La grande artère de la Chine: le Yangtseu - Joseph Dautremer - E-Book

La grande artère de la Chine: le Yangtseu E-Book

Joseph Dautremer

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Beschreibung

Sur la rive droite, dans la province du Yunnan, la première qu'il traverse, il n'a pas d'affluents bien considérables, mais seulement de petits torrents peu longs et peu larges qui viennent des hautes montagnes mêler leurs eaux aux siennes.
Dans le Kouei-Tcheou, prend naissance la rivière Wou qui s'unit au Yangtseu à quelque distance de Tchong-King, dans la province du Sseu-Tchuen; un autre affluent, plus petit, le Li-Tchuen, se jette dans le fleuve un peu en aval du précédent.
Dans la province du Hounan, la rivière Yuan constitue un affluent indirect du grand fleuve en ce sens qu'elle tombe dans le lac Tong-Ting, lequel communique avec le Yangtseu au port de Yao-Tcheou; il en est de même de la rivière Siang, un peu à l'est de la dernière, et qui se dirige aussi vers le lac Tong-Ting après avoir arrosé la capitale de la province Tchang-Cha-Fou. Enfin, le dernier affluent considérable est le Kan-Kiang qui traverse la province du Kiang-Si et se jette dans le lac Poyang, lequel communique avec le Yangtseu au petit port de Hankeou.

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DU MÊME AUTEUR

L'Empire Japonais et sa vie économique. Un volume in-8º broché, avec illustrations et carte hors texte. 6 fr.

Type de pont chinois.

JOSEPH DAUTREMER

Consul de France,

Chargé de Cours à l'École des Langues Orientales

LA GRANDE ARTÈRE

DE LA CHINE

LE YANGTSEU

© 2022 Librorium Editions

ISBN : 9782383834274

LA GRANDE ARTERE DE LA CHINE

LE YANGTSEU

CHAPITRE PREMIER

I. Le Yang-Tseu-Kiang et ses affluents.—II. La navigation sur le Yang-Tseu.—III. Essai de navigation à vapeur sur le haut-fleuve.—IV. Les rives du fleuve et leur aspect; dangers de la navigation sur le haut-fleuve.—V. Climat.—VI. Les provinces arrosées par le Yang-Tseu et leurs productions.—VII. Origine des Chinois.—VIII. Caractère du Chinois.

I.—Le Yang-Tseu-Kiang, dit aussi Ta-Kiang[1] ou grand fleuve, et plus généralement connu des riverains sous le nom de Kiang, «le fleuve», le fleuve par excellence, prend sa source dans les montagnes du Thibet, et se jette à la mer non loin du grand centre commercial de Changhai. Il coule de l'ouest à l'est et, soit par lui-même, soit par ses affluents, arrose les provinces du Yunnan, du Sseu-Tchuen, du Kouei-Tcheou, du Houpe, du Hounan, du Kiang-Si, du Ngan-Hoei, et du Kiang-Sou. Il parcourt donc la Chine dans toute sa largeur, de l'occident à l'orient, et il a une longueur totale d'environ 4.845 kilomètres.

[1] Dans cet ouvrage, j'ai transcrit les noms chinois suivant l'orthographe française, par la raison bien simple qu'il n'existe pas, comme pour le japonais, de méthode internationale adoptée par tous les sinologues des divers pays et servant à transcrire les sons chinois. Cependant, pour les noms des ports ouverts, j'ai eu soin, à côté de l'orthographe française, de mettre entre parenthèses l'orthographe anglaise; car c'est sous cette dernière forme que les ports ouverts de la Chine sont connus des étrangers. La langue anglaise est le véhicule nécessaire, indispensable, des affaires en Extrême-Orient, et les maisons de commerce, à quelque nationalité qu'elles appartiennent, traitent leurs opérations en anglais. C'est un fait dont il faut tenir compte dans nos relations avec la Chine, et nos négociants doivent se persuader que sans l'anglais ils ne pourront rien entreprendre dans les ports de l'Empire chinois.

Sur la rive droite, dans la province du Yunnan, la première qu'il traverse, il n'a pas d'affluents bien considérables, mais seulement de petits torrents peu longs et peu larges qui viennent des hautes montagnes mêler leurs eaux aux siennes.

Dans le Kouei-Tcheou, prend naissance la rivière Wou qui s'unit au Yangtseu à quelque distance de Tchong-King, dans la province du Sseu-Tchuen; un autre affluent, plus petit, le Li-Tchuen, se jette dans le fleuve un peu en aval du précédent.

Dans la province du Hounan, la rivière Yuan constitue un affluent indirect du grand fleuve en ce sens qu'elle tombe dans le lac Tong-Ting, lequel communique avec le Yangtseu au port de Yao-Tcheou; il en est de même de la rivière Siang, un peu à l'est de la dernière, et qui se dirige aussi vers le lac Tong-Ting après avoir arrosé la capitale de la province Tchang-Cha-Fou. Enfin, le dernier affluent considérable est le Kan-Kiang qui traverse la province du Kiang-Si et se jette dans le lac Poyang, lequel communique avec le Yangtseu au petit port de Hankeou.

Les affluents de la rive gauche sont plus importants. Nous avons d'abord le Yalong, descendu lui aussi des montagnes du Thibet et qui rejoint le Yangtseu à la limite des provinces du Yunnan et du Sseu-Tchuen; la rivière Min, qui arrose la ville de Kia-Ting et se mêle au fleuve à Sou-Tcheou; le Kia-Ting, qui a son embouchure à Tchong-King; la Han, qui prend sa source dans les montagnes du Chen-Si, sur les confins du Sseu-Tchuen, et vient se jeter dans le fleuve entre Hankeou et Hanyang. Cette rivière est l'une des plus importantes du bassin du Yangtseu; les grosses barques peuvent la remonter depuis Hankeou jusqu'à Siang-Yang-Fou, au nord de la province du Houpe, et le trafic y est considérable.

Depuis Hankeou jusqu'à Tchen-Kiang, premier port ouvert à l'embouchure du fleuve, il n'existe pas d'affluents valant la peine d'être cités.

II.—Le Yang-Tseu-Kiang est navigable jusqu'à la ville de Tchong-King, c'est-à-dire sur une longueur de 1.500 kilomètres environ. Dans cette partie de l'immense empire chinois, le Yangtseu est non seulement la principale, mais encore la seule voie de communication entre les régions de l'ouest et la côte; en effet, comme il n'existe pas de routes, tout transport se fait par eau, soit par le Yangtseu, soit par ses affluents et les canaux ou arroyos creusés pour les faire communiquer entre eux.

Depuis Changhai jusqu'à Hankeou et Itchang les bateaux à vapeur peuvent remonter le fleuve: grands ferry-boats du type américain jusqu'à Hankeou, et ferry-boats plus petits, à cause de la moindre profondeur des eaux, jusqu'à Itchang.

De nombreux bateaux à vapeur sillonnent le fleuve; ils s'arrêtent à tous les ports ouverts et ils y embarquent ou débarquent voyageurs et marchandises. Ils appartiennent à plusieurs compagnies, dont trois sont les plus anciennes:

Jardine, Metheson and Cº, propriétaire de trois vapeurs;

Butterfield and Swire, avec également trois vapeurs;

China Merchant Steam Ship Cº, compagnie chinoise fondée par Li-Hong-Tchang, avec aussi trois vapeurs.

A ces compagnies qui effectuaient un service régulier de passagers venaient s'ajouter deux autres compagnies; elles ne faisaient que le service des marchandises et ne s'arrêtaient pas à quai dans les ports intermédiaires entre Changhai et Hankeou.

Tels étaient les services de transport entre Changhai et Hankeou jusqu'en 1898; depuis, la concurrence s'est établie, les Japonais, les Allemands, et même les Français ont installé des compagnies de navigation sur le Yangtseu; les Japonais d'abord, avec quatre bateaux, les Allemands avec trois, et enfin les Français avec deux.

La navigation sur le Yangtseu est relativement facile dans toute la partie basse du fleuve, c'est-à-dire de Changhai à Hankeou. A part quelques mauvais passages, connus d'ailleurs et balisés, rien n'est plus facile que ce voyage, à tel point que les bateaux marchent même la nuit. Il arrive bien parfois, aux basses eaux, c'est-à-dire en hiver, qu'un banc de sable se déplace et arrête un bateau; j'ai même vu cinq bateaux arrêtés à la suite les uns des autres sur un banc de sable assez mauvais, juste avant d'arriver à Hankeou, mais c'est là une surprise assez rare, et la chose, en elle-même, n'offre d'ailleurs aucun danger.

Ce qui est plus pénible, c'est la navigation entre Hankeou et Itchang. Ici, en effet, le petit vapeur, si minime qu'il soit, ne peut s'aventurer sans un éclaireur, une petite chaloupe dépêchée en avant pour sonder les passages connus, et constater s'ils n'ont pas changé par suite du déplacement des sables. On va donc très lentement, même si on a la chance de ne pas s'échouer; quant à moi, je me suis trouvé trois jours dans cette situation, le navire complètement à sec, dans l'attente du flot favorable qui devait chasser le sable. C'est fort désagréable. Mais il faut se résigner; il n'est pas possible de rendre le fleuve régulier par suite de la mobilité des sables qui forment la base de son lit.

Le fleuve est, heureusement, très amplement aménagé de phares, de bouées et de balises. Ces différentes lumières des bouées et balises sont connues des navigateurs du fleuve sous des noms anglais; car tous les pilotes du Yangtseu sont anglais, ou chinois sachant l'anglais, et d'ailleurs les cartes sont également toutes en anglais.

Changhai compte quatorze feux, quatre bateaux-feux, trente-six bouées et vingt-neuf balises; Tchen-Kiang: onze feux, cinq bateaux-feux, deux bouées, deux balises; Kieou-Kiang: quinze feux, dix bateaux-feux, trois balises; Hankeou: dix-sept feux, neuf bateaux-feux, huit balises; Yo-Tcheou: trois feux, dix-neuf bouées, trois balises; Tchang-Cha: quatre feux, quatre balises; Itchang: deux bouées, quatre balises.

Tous les feux sont soit fixes, soit à éclat, soit tournants; les bouées et balises peintes soit en rouge, soit en blanc ou noir; placés à tous les endroits dangereux du fleuve depuis Changhai jusqu'aux premières gorges en amont d'Itchang, ils rendent la navigation aussi sûre que possible, et jamais on n'entend parler d'accident, si ce n'est aux hautes eaux quelquefois, lorsqu'un bateau, poussé par le courant, va s'ensabler dans une rizière, chose rare d'ailleurs, et peu dangereuse.

Depuis Itchang jusqu'à Tchong-King, la navigation devient purement chinoise; et bien que les deux villes ne soient pas éloignées l'une de l'autre de plus de 800 kilomètres, il faut compter un minimum de quatre semaines pour faire le trajet; les rapides parfois terribles des gorges du Haut-Yangtseu rendent la marche des jonques pénible et dangereuse, et les flots jaunes du fleuve recèlent des trésors coulés depuis des milliers d'années avec les jonques qui les portaient. Si on pouvait aller au fond du fleuve dans ces endroits si redoutés des mariniers chinois, nul doute qu'on n'en retirât des sommes considérables en lingots d'argent.

III.—Les Européens ont voulu essayer de remonter le fleuve à la vapeur depuis Itchang jusqu'à Tchong-King; le premier essai[2] a été tenté par la canonnière à fond plat «Woodcock» de la marine britannique, au mois d'avril 1899; elle est arrivée à Tchong-King, mais assez abîmée; en septembre 1901, les Français ont fait un essai à leur tour, et ils ont dû y laisser leur petit bateau qui ne pouvait plus redescendre. Les Allemands ont tenté aussi, un peu plus tard, d'y faire remonter un navire de commerce; mais ce dernier fut mis en pièces sur les rochers. On en est donc resté aux jonques chinoises, très confortablement aménagées d'ailleurs, et pour le loyer desquelles on paye de 140 à 150 taels, soit environ 450 frs[3].

[2] Une tentative avait été faite avant celle-ci par M. Little, résident anglais de Tchong-King, au printemps de 1898, avec un petit vapeur, le Leechuen; mais vu le peu de force de sa machine, il avait été obligé de recourir au track à la cordelle.

[3] Le Père Chevalier, le savant jésuite qui dirige avec le Père Froc l'observatoire de Zika-Wei, près de Changhai, a fait, en 1897-98 le voyage du Haut-Yangtseu, de Itchang-Fou à Ping-Chan-Hien, et a décrit et illustré merveilleusement le cours du fleuve dans la région supérieure. Son récit est complété par des observations astronomiques d'une grande valeur, des relevés de sondages dans les différentes parties du fleuve; un atlas fort complet forme le complément de l'ouvrage.—Le Haut-Yangtseu, de Itchang-Fou à Ping-Chan-Hien en 1897-98, par le R. P. CHEVALIER, S.J. Changhai, 1899. (Paris, chez E. Guilmoto.)

IV.—L'aspect du fleuve et de ses rives, dans toute sa longueur jusqu'à Itchang, est prodigieusement monotone: vastes plaines herbeuses variant avec les champs de riz, s'étendant à perte de vue; eaux jaunâtres l'hiver et tournant au rouge l'été, lorsque le fleuve charrie la terre enlevée, dans ses crues, aux montagnes du Thibet, telle est à peu près partout la seule vue sur laquelle puissent s'arrêter les regards. Par delà les plaines, des rangées de montagnes dénudées, roussâtres, apparaissent de temps en temps; pas un arbre, pas un buisson. A l'approche du lac Poyang seulement, on découvre, dans le lointain, par delà la petite ville de Kieou-Kiang, quelques collines boisées formant la chaîne du Lou-Chan et où l'on distingue plus de brousse que de hautes futaies. Les Chinois, imprévoyants, ont tout coupé, et la terre inculte des montagnes est entraînée de plus en plus par les pluies dans le grand fleuve, qui charrie ces masses pour les accumuler en une barre de sable et de boue à son embouchure.

Aussi l'aspect du fleuve est-il triste, et la navigation est d'une monotonie désespérante pour le voyageur entre Changhai et Hankeou. Rien ne vient distraire la vue si ce n'est l'arrêt aux différents ports intermédiaires, et de temps en temps un camp chinois ou une batterie installée, on ne sait trop pourquoi, sur quelque point plus élevé de la rive. Avant d'arriver au lac Poyang, une île, le Petit Orphelin, en chinois Siao-Kou-Chou, attire les regards; elle est originale, en pain de sucre, couverte de monastères bouddhiques tout blanchis à la chaux; et elle est la seule distraction de ce voyage.

Malgré toute la bonne volonté dont le voyageur pourrait être doué, malgré un entraînement naturel vers l'enthousiasme, il ne saurait être saisi par la platitude accablante de la vaste plaine et de la non moins vaste étendue d'eau qui s'étend de Changhai à Itchang. Il chercherait en vain, dans le parcours pourtant si long du Bas-Yangtseu, quelque coin où reposer ses yeux et son cerveau fatigués de ce calme, de cette uniformité.

Il n'en est pas de même, toutefois, à Itchang. Ici, l'aspect du fleuve et de ses rives change brusquement. Dès que l'on quitte Itchang, on pénètre dans les gorges du Yangtseu, où l'eau, tantôt resserrée entre des falaises à pic, semble un lac d'un calme absolu, tantôt encaissée entre d'énormes bancs de roches, se précipite furieuse, avec un bruit de tempête, et forme des rapides. Il y en a ainsi plus d'une centaine depuis Itchang jusqu'à Tchong-King, et le passage d'un de ces rapides est toujours émouvant, quelquefois dangereux comme, par exemple, celui du Sin-Tan, bien connu des navigateurs du haut-fleuve. Malgré l'adresse des bateliers chinois et leur endurance, il peut arriver que la corde casse ou que tout autre accident se présente et fasse aller la jonque à la dérive et la brise sur les rochers. Heureusement ces incidents ne sont pas très fréquents, encore qu'il s'en produise pourtant tous les ans; en revanche, la nature offre ici à l'œil du voyageur une diversité de vues qui font oublier la longueur et la difficulté du voyage. Défilés entre des montagnes élevées et nues, sans un arbre, sans une touffe d'herbe; gorges sombres, creusées et recélant quelque temple rouge ou quelque statue énorme; vallées délicieuses où poussent l'orange et le pamplemousse, et où de jolies cascades d'eau fraîche, ombragées de bambous et de saules, invitent à s'arrêter. Tantôt l'aspect des lieux est sauvage et semble peu hospitalier; tantôt, au contraire, dans une vallée bien protégée par la montagne et où le soleil pénètre par en haut, on éprouve une douce sensation de bien-être devant la nature gracieuse et verdoyante.

V.—Située entre le 26° et le 33° de latitude septentrionale, la vallée du Yangtseu offre dans toute son étendue un climat presque uniforme; les saisons sont à peu de chose près les mêmes que dans l'Europe occidentale; toutefois, elles sont moins marquées, et l'été est beaucoup plus chaud. Le printemps n'existe pour ainsi dire pas, et, dès les premiers jours d'avril, il fait très chaud. Puis cela va ainsi en augmentant jusqu'en août; il y a alors, tant à Changhai qu'à Nanking, Hankeou, Itchang ou Tchong-King, entre 40° et 42° centigrades à l'ombre. Les nuits ne sont guère moins chaudes, et il est souvent impossible de fermer l'œil. Au mois de septembre, quelquefois au 15 août, un orage éclate qui abaisse la température et on peut espérer le début de l'automne. Au moment où la chaleur est ainsi brusquement en baisse, il faut faire attention aux maladies d'entrailles, particulièrement à la dysenterie. L'automne dans toute la vallée du Yangtseu est délicieux. Un temps frais le matin, un ciel bleu, sans nuages, un soleil radieux et pas trop chaud, telle est la caractéristique de cette saison qui se prolonge depuis septembre jusqu'à janvier. Vers les mois de novembre ou décembre, les nuits deviennent plus fraîches, il gèle; le soleil perd de sa force, mais le ciel reste toujours bleu. Quant à l'hiver, il dure à peu près trois mois, janvier, février et mars, et il est parfois rigoureux; à Changhai et à Hankeou, où les colonies européennes sont nombreuses, on patine et on se livre à toute espèce de sports d'hiver. Cependant le fleuve n'est jamais gelé et le thermomètre n'atteint pas les basses températures remarquées fréquemment même en France.

En somme le climat de tout le bassin du Yangtseu est assez sain: il est évidemment quelquefois pénible l'été, pendant les mois de juin, juillet et août, mais le blanc peut y vivre et bien y vivre; il y est sujet aux mêmes maladies qu'en Europe, fièvre typhoïde, variole, maladies des bronches, et de plus il est atteint fréquemment de diarrhée et de dysenterie. Il est vrai que ces deux dernières maladies ne sont pas très redoutables, car le malade peut en trois jours être évacué à Changhai et prendre là la mer qui le remet de suite; à condition toutefois qu'on n'y ait pas recours trop tard.

La peste n'avait pas fait de trop gros ravages jusqu'à présent dans cette partie de la Chine, mais le choléra y est endémique et fait des victimes tous les ans parmi les indigènes; assez rarement il devient épidémique.

Les maxima peuvent aller jusqu'à + 45° l'été et les minima - 15° l'hiver; mais ce cas est rare: + 40° et - 7° sont plus près de la moyenne.

Les pluies ne sont pas particulièrement abondantes et donnent une moyenne raisonnable; elles tombent le plus généralement au printemps (février-mars) et un peu aussi l'été (juin-juillet). Parfois cependant, elles sont assez persistantes au printemps, et souvent février et mars sont très humides; il n'y a alors pour ainsi dire pas d'hiver, mais une saison désagréable, toute d'humidité froide.

VI.—Les différentes provinces qui sont arrosées par le Yangtseu et ses affluents ont à peu près les mêmes productions; la population y est en majeure partie agricole et cultive surtout le riz. Les terres y sont très fertiles et bien arrosées, et la récolte y est rarement mauvaise. Les immenses plaines du Bas-Yangtseu se prêtent merveilleusement à cette culture; quant aux provinces du Haut-Yangtseu, où les montagnes se dressent, quelquefois très élevées, elles sont aménagées pour la culture du riz avec un art infini: les Chinois détachent les pierres et en font de petites murailles pour soutenir les terrasses qu'ils élèvent sur le flanc des montagnes; ils aplanissent ensuite les terrains et y sèment le grain; l'entreprise est pénible, et montre qu'en Chine on ne perd pas un pouce de terrain, là où le riz peut pousser. Pour irriguer ces rizières élevées, les Chinois détournent l'eau des sources et des cascades, créent des réservoirs où ils reçoivent les eaux de pluie et font ainsi couler l'eau en descendant de rizière en rizière jusque dans la vallée.

En dehors du riz, on aperçoit dans les campagnes le maïs, la patate douce, l'arachide, diverses espèces de haricots, le melon, la pastèque, le topinambour, la châtaigne d'eau, le chou, le navet, la carotte et en général tous nos légumes.

La vallée du Yangtseu possède le buffle qui ne sert qu'au travail des champs, le bœuf à bosse, le mouton, le petit poney dur et résistant, mais capricieux et souvent méchant et irascible. La volaille y vit et y prospère admirablement; il y a quelques années on payait encore à Hankeou un poulet huit cents, soit 0,20 centimes, et un canard cinq cents, soit 0,10 centimes 5; depuis la pénétration de la civilisation européenne avec le chemin de fer, ces prix se sont modifiés. Quant au porc, comme partout en Chine, il court les rues.

Le gibier abonde: lièvres, faisans, chevreuils se trouvent en grande quantité; mais les environs de Changhai en sont, à vrai dire, un peu dépourvus depuis que l'augmentation de la colonie européenne de la ville a renforcé les compagnies de chasseurs; il a même fallu que les municipalités, d'accord avec les consuls, prissent des mesures de défense contre la disparition totale du gibier. Quoi qu'il en soit, si on remonte vers Kieou-Kiang et Hankeou et au delà, on trouve encore des chasses productives. Le mont Louchan à Kieou-Kiang donne asile à des troupes de sangliers de petite espèce qu'on s'amuse à chasser et qui fournissent un aliment fort agréable; les Chinois, bien entendu, n'en mangent pas, ils ne touchent à aucun gibier. Le porc fait la base de leur alimentation.

Le Yangtseu et ses affluents, ainsi que les lacs traversés par ces affluents, regorgent littéralement de poissons; on en trouve partout, jusque dans les fossés des rizières. Il est vrai de dire que le Chinois repeuple ses cours d'eau. Des bateaux, qui font le commerce du frai, parcourent le pays; j'ai assisté sur les bords du Yangtseu à cette pisciculture. On élève les petits poissons dans des trous ou fossés, en les nourrissant de lentilles de marais ou de jaunes d'œufs, et quand ils sont assez grands on les jette dans le fleuve. Aussi, jamais le poisson ne manque en Chine, et le Yangtseu, en particulier, est un réservoir inépuisable. Les Européens qui habitent les ports ouverts préfèrent le poisson nommé Kouan-yu, ou mandarin, sans arête et d'un goût très fin. Mais le fleuve en renferme de toutes sortes d'espèces connues et inconnues à l'Europe. Au printemps, l'esturgeon remonte le Yangtseu, et l'on en pêche, même à Hankeou et à Kieoukiang, qui sont à peu près gros comme des veaux.

L'alose (Sam lai) remonte également au printemps, mais ne va guère plus loin que Changhai, d'où on la transporte sur tous les points du Yangtseu où habitent les Européens.

La carpe est un des poissons les plus communs de la Chine, avec l'anguille, et les marchés des villes en sont toujours abondamment pourvus.

Les provinces les plus riches de cette partie de la Chine sont sans conteste le Kiang-Nan, c'est-à-dire les trois provinces du Kiang-Sou, Kiang-Si, Ngan-Hoei, et la magnifique province du Sseu-Tchuen, considérée comme la meilleure de toute la Chine au point de vue de la production et de la richesse. Quelques-unes des provinces arrosées par le Yangtseu sont assez pauvres: tels sont le Houpe et le Hounan, le Kouei-Tcheou et le Yunnan. Cette deuxième province est particulièrement déshéritée.

VII.—Il est généralement admis que les Chinois sont venus des environs du Tarim, et du plateau central de l'Asie; ils se sont répandus dans le bassin du Fleuve Jaune, qui forme, depuis la province du Chen-Si jusqu'à celle du Chan-Toung, le premier habitat chinois. La vallée du Yangtseu, qui nous occupe plus spécialement, n'a été peuplée par les Chinois qu'au début de notre ère, lorsque la population chinoise, augmentant sans cesse, n'a plus trouvé de place suffisante pour vivre dans les régions où elle s'était d'abord installée. Elle a donc dû conquérir le pays sur les aborigènes qui, sous le nom de Miao-Tseu, occupèrent les contrées qui forment aujourd'hui les provinces du Sseu-Tchuen, du Houpe, du Hounan, du Kouei-Tcheou, du Kiang-Si. Puissamment organisés, les Chinois n'eurent pas de peine à triompher de tribus barbares éparses, sans cohésion, et, dès le commencement de l'ère chrétienne, toutes ces tribus avaient disparu, fondues dans l'élément conquérant et civilisées et assimilées par lui. Aujourd'hui il existe encore dans le Hounan, le Kouei-Tcheou et le Sseu-Tchuen quelques petites tribus indépendantes, toutes réfugiées sur les montagnes et qui, d'ailleurs, ne donnent plus aucun souci à l'administration impériale. Dans d'autres provinces, notamment au Yunnan, les aborigènes sont tellement assimilés qu'on ne les distingue plus des Chinois. Cependant ils conservent encore quelques usages propres et parlent une langue distincte, bien que tous aient la connaissance du chinois.

VIII.—La vallée du Yangtseu, d'une extrémité à l'autre, n'est donc chinoise que depuis un temps relativement récent, par rapport à l'histoire de la Chine qui remonterait à 2.500 ans avant notre ère. Aujourd'hui, toutefois, elle est le grand centre; elle est la Chine commerciale et industrielle, la partie la plus prospère et la plus active de l'Empire du Milieu: c'est donc là qu'il est le plus intéressant d'étudier le caractère du Chinois et la vie chinoise.

En général les Chinois sont d'un caractère doux, calme et peu démonstratif; dans leurs manières il règne beaucoup d'affabilité et ils ne sont ni violents ni emportés. La modération de leurs allures se remarque même dans le peuple. Aussi lorsqu'un Européen a à traiter avec des Chinois, il doit bien se garder de se laisser aller à la fougue de son tempérament; il lui faut être de grand sang-froid et maître de lui sous peine de passer pour un homme qui n'a pas d'éducation. Toutefois, si, dans le commerce ordinaire de la vie, le Chinois est doux et paisible, lorsqu'on l'a offensé il devient violent et vindicatif à l'excès, et il ne se venge jamais qu'avec méthode; il dissimulera son mécontentement; il gardera vis-à-vis de son ennemi tous les dehors de la bienséance et de la mansuétude; mais que se présente l'occasion de se venger, il la saisira sur-le-champ, après avoir attendu souvent des années pour exercer sa vengeance.

Il est aussi menteur, et la bonne foi, la franchise n'est pas sa vertu favorite, surtout lorsqu'il doit traiter avec un Européen; cependant il ne conviendrait pas d'être trop sévère avec lui sur ce chapitre; car il pourrait peut-être nous retourner souvent à bon droit cette critique.

Ce que nous pouvons lui reprocher à plus juste titre, c'est d'être sale; je sais bien qu'en Europe la propreté n'est pas toujours et partout très en honneur; cependant je ne crois pas que nous poussions la saleté au point où la pousse le Chinois. Chez nous, même le paysan, qui ne prend jamais de bain, change au moins de linge une fois par semaine, c'est une espèce de propreté. Le Chinois, lui, pendant la saison froide, accumule vêtement sur vêtement au fur et à mesure que la température baisse, et c'est à peine s'il se lave les mains et le bout du nez tous les matins. Dès que la saison chaude se fait sentir, il enlève ses fourrures également au fur et à mesure; aussi une famille chinoise sent-elle horriblement mauvais. Je crois que les seuls habitants un peu propres du Céleste Empire sont les coolies qui, pour leurs efforts musculaires, étant vêtus légèrement, sont obligés de laver la sueur qui les couvre après leur travail; mais on peut dire qu'en principe, le Chinois a peur de l'eau, surtout pour ses cheveux; un pauvre diable même, n'ayant pas de parapluie, mettra sa veste autour de sa tête pour abriter ses cheveux et se laissera stoïquement mouiller le corps.

Quoique en général doux et poli, quand il a ses motifs de se mettre en colère, le Chinois devient violent et se livre à des outrances de langage qu'on ne pourrait pas rapporter même en latin. Le fond de sa nature est plutôt cruel, quoique caché sous des dehors aimables; il est sans pitié pour le pauvre et le malade, il passera à côté d'eux sans s'arrêter ni se détourner. Que de fois dans mes voyages ai-je rencontré, dans les rues d'une ville, ou à la campagne sur les routes, des cadavres de gens morts sans que personne prenne garde à eux! même des squelettes laissés sans sépulture! Il va de soi que cette absence de pitié s'étend aux animaux.

Monument élevé à la mémoire d'une veuve fidèle.

Plus dépravé que le Japonais, le Chinois, à première vue, paraît cependant avoir une conduite meilleure; ce n'est là qu'une apparence; il est essentiellement licencieux mais toujours avec dissimulation. Quoique vicieux, il admire la vertu et la chasteté; lorsque des veuves, par exemple, ont vécu seules, pleurant leur mari défunt, il les honore après leur mort par des arcs de triomphe rappelant le dignité de leur vie. En fait de nourriture, à part les banquets de noces et de funérailles où il mange et boit à l'excès, il est généralement sobre et ne fait usage que du thé ou de l'eau.

Au point de vue commercial, sauf de très rares exceptions, il est admis par tous les Européens qui ont eu affaire à lui, que le Chinois est essentiellement honnête et qu'on peut compter sur sa parole, quoique l'argent ait sur lui un pouvoir d'attraction énorme. L'intérêt est le grand faible de la nation tout entière; il est le mobile de toutes les actions; dès qu'il se présente le moindre profit, rien ne coûte au Chinois, et il entreprendra les choses les plus pénibles; l'intérêt, c'est là ce qui met la Chine dans un mouvement perpétuel, ce qui remplit les rues, les rivières, les grands chemins. Pour l'intérêt le Chinois fera tout. Entendez deux mandarins, deux commerçants, deux coolies causer dans la rue; le mot tsien, argent, reviendra toujours dans la conversation.

 

CHAPITRE II

I. Type et nature du Chinois.—II. Les maisons et leur mobilier.—III. La nourriture chinoise.—IV. La famille chinoise, le mari et la femme, les enfants.—V. Religion et superstition, le feung chouei.—VI. Les jeux et divertissements.—VII. Les classes de la société.

I.—Le Chinois est, en général, de bonne taille; la teinte de sa peau, que nous qualifions de jaune, n'est pas précisément de cette couleur; sur les côtes des provinces méridionales, à la vérité, les grandes chaleurs donnent aux artisans, bateliers et gens de la campagne, un teint basané et olivâtre; mais dans les provinces du nord, ils sont à peu près aussi blancs que les Européens et, sauf leurs yeux bridés, leur physionomie n'a rien de rebutant; ils sont, en tout état de cause, bien mieux que les Japonais.

Chez eux la maigreur est signe de laideur; un beau Chinois doit être gros et dodu, bien rasé et avoir les joues bien pleines; la queue tressée qu'ils portent en guise de coiffure leur a été imposée par les conquérants mandchoux; car autrefois, sous les anciennes dynasties, ils portaient leurs cheveux longs, relevés en chignon sur la tête. Leurs vêtements sont de cotonnade pour les travailleurs, de soie pour les gens de la bourgeoisie. Des pantalons attachés aux chevilles et une ample robe de fourrure en hiver forment leur costume habituel. Les femmes sont plus petites que les hommes; elles portent une ample houppelande de cotonnade ou de soie suivant leurs moyens; leur chevelure est huilée et abondamment ornée d'épingles et de fleurs. Autrefois on leur serrait les pieds dès la naissance dans des bandelettes, afin de les empêcher de grandir; mais cette coutume est aujourd'hui officiellement abolie par décret impérial. La queue elle-même commence à tomber en désuétude, et les Chinois qui vivent en Europe l'ont tous coupée. Les soldats de la nouvelle armée l'ont également supprimée. Ce qui relève beaucoup la grâce naturelle des dames chinoises, c'est une extrême modestie dans leur regard, leur attitude et leurs vêtements. Leurs robes sont fort longues, leurs mains sont toujours cachées sous des manches très larges et si longues qu'elles traîneraient presque jusqu'à terre si elles ne prenaient pas soin de les relever. La couleur de leurs vêtements est rouge, bleue ou verte, selon leur goût; les dames avancées en âge s'habillent de noir ou de violet. Les vêtements d'apparat sont magnifiquement brodés de fils d'or représentant des dragons, des oiseaux et des fleurs.

Jamais les hommes n'ont la tête découverte ni la queue enroulée autour de la tête quand ils parlent à quelqu'un: ce serait une impolitesse.

II.—Les Chinois aiment la propreté dans leurs maisons; mais il ne faut pas s'attendre à y trouver quoi que ce soit de bien luxueux; leur architecture n'est pas fort élégante et ils n'ont guère, en fait de beaux bâtiments, que les palais, les édifices publics, les arcs de triomphe et les temples. Les maisons des particuliers sont très simples et l'on n'y cherche que la commodité. Seuls, les riches y ajoutent quelques ornements de sculpture sur bois et de dorure qui les rendent plus riantes et plus agréables.

D'ordinaire, ils commencent par élever les colonnes et placer le toit; ils ne creusent pas de fondations. Les murailles sont de briques ou de terre battue; quelques-unes sont tout en bois et elles n'ont pas d'étages autres qu'un grenier pour mettre les grains ou les marchandises. La première pièce en entrant est le salon, où se trouvent les tablettes des ancêtres, les fleurs et les brûle-parfums; puis, derrière, une cour carrée autour de laquelle sont les différentes chambres de l'habitation; les appartements des femmes se trouvent tout au fond, dans l'endroit le plus retiré. Dans les maisons riches les demeures sont disséminées au milieu de jardins très compliqués: fleurs, arbres, rochers, petits lacs; sauf dans les pays du nord, la maison chinoise n'est pas chauffée; dans le nord, chaque maison a un poêle en briques dont le foyer est sous la maison; deux ouvertures extérieures permettent d'allumer le feu et de laisser passer la fumée.

Le mobilier chinois se compose, à peu de chose près, comme celui des maisons européennes, de lits, tables et chaises; un intérieur chinois ressemble fort à un intérieur européen et la vie matérielle en Chine est pour un Européen bien plus confortable qu'au Japon. Seulement la propreté manque parfois, notamment dans les auberges de voyageurs. Une auberge chinoise est quelque chose d'inénarrable comme saleté et il faut avoir passé par là pour s'en rendre compte.

 

III.—La nourriture du Chinois comporte deux aliments principaux: le riz et le porc; c'est là la base du repas. Cependant les Chinois mangent aussi du poisson, de la volaille et des légumes. Quoique leurs viandes et leurs poissons se servent coupés en morceaux et bouillis, leurs cuisiniers ont l'art d'assaisonner les mets de telle sorte qu'ils sont assez agréables au goût.

Pour faire leurs bouillons, ils emploient de la graisse de porc (qui sert à tous les usages culinaires); pour apprêter les viandes, ils les coupent en morceaux dans des vases de porcelaine, puis ils achèvent de les cuire dans la graisse. En toute saison il croît une quantité d'herbes et de légumes qu'on ne connaît point en Europe et qu'on emploie aussi pour les sauces. Les cuisiniers de France seraient surpris de voir que les Chinois ont porté l'invention en matière d'assaisonnements encore plus loin qu'eux et à bien moins de frais. Ainsi, avec de simples fèves qui croissent dans leur pays, et avec la farine qu'ils tirent du riz ou du blé, ils préparent une infinité de mets tous différents les uns des autres à la vue et au goût; ils diversifient leurs ragoûts en y mêlant diverses épices et des herbes fortes.

Leurs mets les plus délicieux et le plus souvent servis dans un repas prié sont les ailerons de requin, les nids d'hirondelle et les nerfs de cerf. Pour ces derniers, ils les exposent au soleil pendant l'été et, pour les conserver, les enferment avec du poivre et de la cannelle; quand ils veulent en régaler leurs amis, ils les amollissent en les trempant dans l'eau de riz, et les ayant fait cuire dans du jus de chevreau, ils les assaisonnent de plusieurs sortes d'épices.

 

Les nids d'hirondelles sont une espèce de colle de poisson dont certains oiseaux bâtissent leurs nids sur les côtes d'Annam et surtout de Java et de Bornéo; c'est bien cher, parce que c'est assez rare et surtout difficile à se procurer. D'ailleurs ce mets n'a aucun goût et c'est, comme dit le proverbe, la sauce qui fait passer le poisson.

Quant aux ailerons de requin, les voyageurs qui ont été en Chine se rappellent en avoir vu en abondance dans toutes les villes, suspendus aux plafonds des boutiques, chez les marchands de victuailles, en compagnie de canards aplatis et fumés. On les mange en sauce dans la graisse de bœuf; c'est très gluant et plutôt lourd à digérer.

Un des mets recherchés des Chinois est également l'œuf pourri, c'est-à-dire cuit sous terre dans une couche de chaux, cela vous a un fort goût d'acide qui rebute bien des Européens; j'avoue que, personnellement, j'ai trouvé cela exquis.

La Chine du Nord et les pays montagneux du centre produisent du blé et de l'orge, mais néanmoins c'est de riz que se nourrit le plus généralement le Chinois. Le riz pousse d'ailleurs à une latitude assez élevée et on peut dire que toute la Chine en fournit.

Comme boisson, le plus souvent, ils consomment du thé chaud; cependant ils ne laissent pas de boire de l'alcool et la Chine en fournit en abondance. Le plus commun est celui de riz fermenté qui se fabrique et se boit dans tous les pays de civilisation chinoise, depuis le Japon jusqu'au Siam; et le plus renommé en Chine est l'alcool de Chao Ching. Vers le nord on en fait avec le Kao Léang ou sorgho; il est excessivement fort et enivre rapidement.

 

Dans les montagnes du Yunnan, du côté de Li Kiang fou, on prépare un alcool exquis avec du riz gluant; on dirait du Xérès et j'en ai rapporté moi-même à dos de mulet depuis Tali fou jusqu'à Lao Kay; il se conserve admirablement.

IV.—La famille chinoise est la base de la société; la tribu est la cellule organique du vaste empire des Célestes, et le plus ancien dans la tribu, l'aïeul ou le bisaïeul, le père, dans la famille, sont les véritables gouvernants. Car ici, l'État, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de pays qui se croient plus civilisés que la Chine, se contente du minimum de contact avec l'individu. Il réclame l'impôt, les honneurs dus à l'Empereur et le respect aux autorités; quant au reste il n'en a cure. Les familles, guidées par leurs chefs naturels, se conduisent comme elles veulent; le mandarin n'intervient pas, à moins d'en être prié, dans les affaires des particuliers. La justice, le châtiment le plus terrible, la mort, sont du ressort du père de famille; il a les mêmes pouvoirs que le paterfamilias romain. En 1893 j'ai vu, au Kiang Si, un jeune homme de vingt ans condamné à mort par le conseil de famille présidé par le père. Ce jeune homme était un paresseux et un débauché; plusieurs fois on lui avait pardonné et on avait essayé de le remettre dans le droit chemin; comme on n'y pouvait réussir il fut jugé et condamné. Le malheureux n'eut aucune révolte, d'ailleurs; il se soumit avec le flegme de tout Chinois devant la mort et fut jeté dans le lac Poyang une pierre au cou. J'ajouterai, au reste, que je crois ce fait assez rare, ou plutôt, s'il n'est pas rare, il se passe avec moins d'apparat et déploiement de cérémonies.

 

La famille, base de la société, n'existe pas seulement dans le présent, elle existe dans le passé et le culte des ancêtres est la forme sous laquelle on honore les aïeux disparus. Toute famille chinoise est une chaîne ininterrompue, de mâle en mâle; aussi le Chinois qui n'a pas d'enfant mâle, adopte-t-il le fils d'un parent, d'un ami; au besoin, il se rend en cachette à l'orphelinat des enfants trouvés où il en choisit un qu'il fera passer pour son fils. Une famille sans postérité masculine est une famille méprisée et malheureuse.

Le premier principe, la pierre fondamentale de leur état politique est ce sentiment de piété filiale qu'ils gardent vivace jusqu'après la mort de leurs pères à qui ils continuent de rendre les mêmes devoirs que pendant leur vie; il faut y joindre l'autorité absolue que les pères ont sur leurs enfants. De là vient qu'un père vit malheureux s'il ne marie pas tous ses enfants; qu'un fils manque au premier devoir de fils s'il ne laisse une paternité qui perpétue la famille; qu'un frère aîné, n'eût-il rien hérité de son père, doit élever ses cadets et les marier, parce que, si la famille venait à s'éteindre par leur faute, les ancêtres seraient privés des honneurs et des devoirs que leurs descendants doivent leur rendre; et parce qu'en l'absence du père, le fils aîné sert de père à ses cadets.

Si le père, ou, à son défaut, le frère aîné joue le rôle important dans la famille, il n'en est pas de même de la femme. La femme, en Chine ne compte pas et la naissance d'une fille dans la famille est presque considérée comme un malheur. Si on ne les supprime point toutes, c'est qu'il en faut bien pour avoir des garçons. On peut dire, sans exagération, que la condition de la femme en Chine est terrible. Quand il s'agit de la marier, sa famille lui signifie simplement qu'elle épousera le fils de telle autre famille (jusque-là c'est un peu la coutume française). Mais quand elle est mariée, elle est la domestique, l'humble servante de toute la famille de son mari. Aucune intimité, aucune tendresse entre le mari et la femme. Le mari va à ses affaires toute la journée et la femme reste à la maison sous l'autorité de sa belle-mère qui lui rend la vie insupportable, surtout si elle n'a pas bientôt un fils. Aussi n'est-il pas rare de voir de jeunes femmes se suicider de désespoir peu de temps après leur mariage.

Si le Japon est le paradis des enfants[4], on ne peut en dire autant de la Chine; aussi, dans ce dernier pays, les enfants craignent, mais n'aiment pas leurs parents. Ceux-ci les élèvent en vue de la continuité de la famille, non pour eux-mêmes et pour les rendre heureux. La tendresse n'est pas le fort du Chinois. Au Japon on voit les enfants gais, souriants, gentils, débrouillards déjà, courir les rues et les parcs, les tout petits portés avec amour par la maman ou la grande sœur; en Chine on voit d'affreux petits magots empaquetés dans plusieurs couches de vêtements, avec des visages graves, presque mélancoliques; ce n'est pas étonnant, personne ne leur sourit jamais.

[4] Cf. L'Empire japonais, par J. Dautremer, ch. V, p. 68 et suiv.

V.—Le Chinois n'est pas religieux; l'ensemble de la nation prend pour guide le code des livres sacrés, refondus par Confucius et commentés par plusieurs philosophes. Aucun peuple, soit en Europe, soit en Amérique, ancien ou d'âge relativement moderne, n'a possédé un plus beau code de morale que les King ou livres sacrés.

 

Aucune idée licencieuse, aucun sacrifice humain, aucune orgie; au contraire, le respect des parents, l'humilité, l'amour du travail et la justice: la morale chinoise est parfaitement belle, mais malheureusement aujourd'hui elle n'est plus pratiquée. Le Bouddhisme, qui a pénétré en Chine, y a encore de nombreux temples et de nombreux fidèles, mais il a dégénéré en une religion de superstitions extraordinaires, propagées, selon toute vraisemblance, par les disciples de Lao-Tseu, philosophe qui vivait en 600 avant J.-C.; il a précédé Confucius, qui cependant l'a connu. La superstition existe dans tous les actes de la vie chinoise: elle fait partie de la nature même du Chinois, mais si elle a saisi son âme à un tel point, cela vient des Taoistes ou prêtres du Tao. Le Tao est la voie droite, le chemin à suivre, expliqué par Lao-Tseu dans son livre le Tao-te-king ou livre pour arriver à connaître la voie. D'un caractère philosophique et moral fort élevé, ce livre n'a jamais été bien compris par ceux qui se sont intitulés les disciples de Lao-Tseu; et aujourd'hui leurs successeurs ou prêtres du Tao sont de vulgaires charlatans, qui remplissent la profession de devins.

La superstition qui tient le plus au cœur des Chinois est le feung chouei, littéralement le vent et l'eau; si l'on construit une maison, il faut consulter le devin pour savoir si le vent et l'eau sont favorables; si, par exemple, votre voisin bâtit une maison et qu'elle ne soit pas tournée comme la vôtre, mais que l'angle qui fait la couverture prenne la vôtre en flanc, c'en est assez pour croire que tout est perdu; la seule précaution qui vous reste à prendre, c'est de faire élever un dragon de terre cuite sur votre toit; le dragon jette un regard terrible sur l'angle qui vous menace et ouvre une large gueule pour engloutir le mauvais feung chouei; alors vous êtes en sûreté; ou bien, devant la porte de votre maison, à deux ou trois mètres de distance, vous faites construire un mur sur lequel un fin lettré inscrira en énormes lettres le caractère fou (bonheur). Vous êtes sauvé.

On pourrait raconter beaucoup d'autres absurdités semblables sur ce qui regarde la situation des maisons, l'endroit où il faut mettre la porte, le jour et la manière dont on doit bâtir le fourneau ou faire cuire le riz; mais où le feung chouei triomphe, c'est en ce qui concerne les sépultures; il y a des charlatans qui font profession de connaître les montagnes et les collines dont le séjour est favorable; ils prennent leurs mesures, consultent les astres, exécutent une foule de simagrées et se les font payer très cher; car lorsqu'ils ont déclaré tel endroit propice, il n'est pas de somme que le Chinois ne sacrifie pour posséder cet endroit.