L'Empire Japonais et sa vie économique - Joseph Dautremer - E-Book

L'Empire Japonais et sa vie économique E-Book

Joseph Dautremer

0,0
1,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

L’Empire du Japon resta inconnu à l’Europe jusqu’au XIIIe siècle, époque à laquelle Rubruquis et Marco Polo en dévoilèrent l’existence ; mais ce n’est guère qu’après l’arrivée dans les îles japonaises des jésuites portugais, c’est-à-dire au XVIe siècle, que ce pays devint un peu plus familier aux Occidentaux. Je n’ai pas à retracer ici l’histoire du Japon ; qu’il me suffise de dire que depuis 1852, époque à laquelle les États-Unis forcèrent ses portes, jusqu’à nos jours, le Japon a subi de telles transformations, il a su si bien secouer sa vieille civilisation chinoise et adopter le mécanisme européen, qu’il est devenu un facteur militaire et économique, surtout militaire, avec lequel il faut compter et qu’on ne saurait négliger. Le fond du caractère japonais, très guerrier et batailleur, portera encore longtemps ce peuple vers les choses de la guerre ; car, depuis l’antiquité, l’éducation du jeune Japonais de bonne famille était principalement une éducation militaire.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB

Veröffentlichungsjahr: 2022

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



JOSEPH DAUTREMERConsul de France, Chargé de Cours à l’École des Langues Orientales.

L’EMPIRE JAPONAISET SA VIE ÉCONOMIQUE

© 2022 Librorium Editions

ISBN : 9782383834120

Le Parc de Hikone.

 

L’EMPIRE JAPONAIS ET SA VIE ÉCONOMIQUE

CHAPITRE PREMIER

I. L’Empire du Japon. — II. Sa situation géographique ; développement des côtes, superficie, population. — III. Climat. — IV. Humidité atmosphérique. — V. Système orographique, volcans. — VI. Hydrographie, rivières et lacs.

I. — L’Empire du Japon resta inconnu à l’Europe jusqu’au XIIIe siècle, époque à laquelle Rubruquis et Marco Polo en dévoilèrent l’existence ; mais ce n’est guère qu’après l’arrivée dans les îles japonaises des jésuites portugais, c’est-à-dire au XVIe siècle, que ce pays devint un peu plus familier aux Occidentaux. Je n’ai pas à retracer ici l’histoire du Japon ; qu’il me suffise de dire que depuis 1852, époque à laquelle les États-Unis forcèrent ses portes, jusqu’à nos jours, le Japon a subi de telles transformations, il a su si bien secouer sa vieille civilisation chinoise et adopter le mécanisme européen, qu’il est devenu un facteur militaire et économique, surtout militaire, avec lequel il faut compter et qu’on ne saurait négliger. Le fond du caractère japonais, très guerrier et batailleur, portera encore longtemps ce peuple vers les choses de la guerre ; car, depuis l’antiquité, l’éducation du jeune Japonais de bonne famille était principalement une éducation militaire.

II. — Tout en longueur, le Japon est situé au Nord-Ouest de l’Océan Pacifique ; il se compose de quatre grandes îles : Nihon ou Honshu ; Shikoku ; Kiushu ; Yezo ou Hokkaidô ; et d’une foule de petites îles parmi lesquelles les plus considérables sont : Sado, Oki, Awaji, Tsushima. Le petit archipel des Riukiu compte aussi comme partie intégrante de l’Empire, bien qu’en réalité les habitants ne soient pas des Japonais.

En outre, à la suite de la guerre contre la Chine, le Japon a conquis l’île de Formose et les Pescadores ; et à la suite de sa campagne de Mandchourie contre les Russes, il a réussi à se faire rétrocéder la partie sud de l’île Sakhalin ou Karafuto, qu’il avait cédée à la Russie en 1875.

A l’extrême nord de Yezo, le Japon possède les Kouriles ou Chishima ; et, dans le Pacifique, le groupe des Bonin, en japonais Ogasawara.

Tout l’Empire est compris entre le 156° 32′ et le 119° 20′ de longitude Est ; et le 21° 48′ et le 50° 56′ de latitude Nord (méridien de Greenwich). Il est séparé de la Corée, au Nord-Ouest, par la mer du Japon.

Les îles principales Honshu, Shikoku, Kiushu et Yezo (plus connu au Japon sous le nom de Hokkaido), avec les Kouriles, les îles de Sado, Oki, Awaji, Iki, Tsushima, les Riukiu et les îles Bonin ou Ogasawara ont un développement de côtes de 7.000 lieues ; avec Formose et les Pescadores de 7.423 lieues. On n’a pas encore actuellement des renseignements précis pour la partie japonaise de Sakhalin (Karafuto). Comme superficie, tout ensemble, le territoire japonais a 27.126 lieues carrées. La population, en 1906 (41e année de meiji), était de 47.674.471 habitants, dont 24.047.953 hommes et 23.626.518 femmes. Au 20 décembre 1908 elle était de 49.232.822 habitants dont 24.864.385 hommes et 24.368.437 femmes.

III. — Le Japon est très long et très étroit ; le climat se ressent de cette configuration et, tandis qu’au Nord il fait très froid, l’hiver, au Sud, au contraire, la chaleur est excessive, l’été ; en général, cependant, le climat est tempéré, mais excessivement énervant pour les Européens, surtout pour les femmes. Les suicides et la neurasthénie parmi la population blanche sont relativement fréquents.

On pourrait, au point de vue physique, diviser le Japon en trois zones : zone du Nord : l’île de Yezo et le Nord de Honshu jusqu’à la baie de Sendai ; zone du centre depuis la baie de Sendai jusqu’à Yokohama et la baie de Yedo ; zone du Sud depuis la baie de Yedo jusqu’à la pointe extrême de Kiushu. La zone Nord, comme je viens de l’indiquer, est très froide en hiver ; la neige y tombe en abondance et la glace y est permanente. La zone centrale est plus tempérée, mais les saisons n’y sont cependant pas aussi nettement déterminées qu’en Europe centrale ; et il y existe toujours, même l’hiver, une certaine humidité ; les étés y sont très chauds sauf sur les hauteurs ; ainsi dans la plaine de Tokio, le thermomètre monte jusqu’à +35° et +36°[1].

[1] La pression atmosphérique étant réduite au niveau moyen de la mer et corrigée de la variation de pesanteur.

Quant à la zone méridionale, elle est sensiblement moins froide l’hiver et beaucoup plus chaude l’été ; dans sa partie extrême Sud, c’est-à-dire vers Nagasaki et Kagoshima, les chaleurs d’été sont pénibles. Les trois zones sont soumises au régime pluvieux de la mousson de suroît et les mois de juillet et d’août y sont en général aussi humides que sous les tropiques ; les moissons y sont souvent dévastées par les inondations. Aussi la moyenne de l’humidité atmosphérique est-elle considérable : Kagoshima, 76 pour 100 ; Kochi, 75 pour 100 ; Osaka, 73 pour 100 ; Nagasaki, 75 pour 100 ; Shimonoseki, 77 pour 100 ; Sakai, 80 pour 100 ; Tokio, 73 pour 100 ; Kanazawa, 79 pour 100 ; Akita, 78 pour 100 ; Ishinomaki, 80 pour 100 ; Hakodate, 77 pour 100 ; Nemuro, 81 pour 100.

IV. — D’ailleurs, par les tableaux ci-dessous, il est facile de se rendre compte de l’humidité du pays :

 

Nombre de jours de pluie.

Temps clair.

Kagoshima

178

61

Kochi

146

49

Osaka

145

40

Nagasaki

168

36

Shimonoseki

174

34

Sakai

225

23

Tokio

134

54

Kanazawa

235

23

Nagano

176

30

Akita

224

11

Ishinomaki

174

36

Hakodate

203

29

Nemuro

140

46

Ce relevé est celui de l’année 1906[2].

[2] Il n’est pas parlé des jours de neige, gelée, etc.

Il est clair donc que, pour l’Européen, peu habitué à une terre humide, le climat du Japon n’est pas, malgré tout ce que l’on en dit, le climat par excellence, et il est notamment inférieur à celui de la Chine. Les Européens ayant résidé longtemps au Japon et y étant parvenus à la vieillesse sont bien plus rares qu’en Chine. Cependant au point de vue pittoresque, par la beauté de ses paysages verdoyants et fleuris, le Japon l’emporte de beaucoup sur la Chine.

Voici les maxima et minima de température observés en 1906 :

 

Maximum.

Minimum.

Kagoshima

33° 2

−1°

Kochi

35°

−5°

Osaka

35°

−3°

Nagasaki

33°

−2°

Shimonoseki

34°

−6°

Sakai

32°

−4°

Tokio

32°

−4°

Kanazawa

34°

−5°

Nagano

33°

−16°

Akita

33°

−15°

Ishinomaki

30°

−11°

Hakodate

28°

−19°

Nemuro

28°

−21°

V. — Pays essentiellement montagneux, le Japon est coupé du Nord au Sud par un système de chaînes et de pics, dont quelques-uns assez élevés, se ramifiant dans toutes les directions. La chaîne principale part du Nord du Honshu pour se continuer sur Tokio et de là sur Kioto et Shimonoseki, coupant, pour ainsi dire, en deux, la grande île et divisant son régime des eaux en deux versants bien distincts Ouest-Nord, Est-Sud, dans la direction de l’Ouest à l’Est, de Aomori, à la pointe extrême Nord-Est, jusqu’à Akamagaseki à la pointe Sud-Ouest de la province de Chôshû. De cette chaîne principale se détachent des chaînes secondaires qui se dirigent l’une vers la presqu’île d’Idzu au cap Irozaki ; l’autre vers Wakayama au cap Shiwomizaki (Sud de l’île) ; et une troisième vers la presqu’île de Noto, au cap Rokkozaki (sur la mer du Japon).

Les îles du Sud, Shikoku et Kiushu, sont également partagées dans toute leur longueur en deux versants par une chaîne de montagnes qui court, pour Shikoku, du Nord-Est (Tokushima) au Sud-Ouest (cap Ashizurimisaki) ; et pour Kiushu, du Nord (Kokura) au Sud, où elle se divise en deux branches (Nomamisaki à l’Ouest et cap Satamisaki à l’Est).

La grande île d’Yezo n’échappe pas au système montagneux du reste de l’Empire. Mais les chaînes de montagnes qui la traversent ne la partagent pas en deux versants bien nets ; on pourrait dire qu’elles la coupent en quatre versants, en prenant comme point central le sommet du Tokachidaké (3.500 mètres). En effet, du Tokachidaké part une chaîne qui se dirige vers le Nord au cap Soyamisaki (cette chaîne renferme le mont Ishikariyama, la seconde montagne de l’île, 2.350 mètres). Du même point une autre chaîne court vers le Nord-Est où elle se divise en deux branches pour se terminer aux caps Shiretokozaki et Noshafuzaki ; enfin, toujours du Tokachidaké part une troisième chaîne qui se dirige au Sud pour finir au cap Yerimisaki. Vers l’Ouest, entre le Tokachidaké et la ville de Sapporo, une grande dépression forme la plaine de Sapporo, où s’est répandue jusqu’ici la plus grande partie de l’émigration japonaise.

A l’Ouest de Sapporo, au cap Kamoimisaki, le terrain se relève ; et, de ce cap jusqu’à Hakodate, à la pointe extrême Sud de l’île, une autre chaîne de montagnes coupe cette partie de l’île en deux.

Des pics élevés se dressent sur toute l’étendue de ce système orographique, aussi bien au Nord qu’au Sud, et quelques-uns atteignent des hauteurs de 2.000 à 3.000 mètres.

Dans la province du Mutsu (district de Tsugaru), au Nord, nous citerons l’Iwakiyama (1.594 mètres) dit aussi Tsugaru no fuji ou Fuji de Tsugaru à cause de sa ressemblance comme forme avec le Fuji ; il est, d’ailleurs, célèbre dans toute la région ;

l’Iwateyama, province de Rikuchu ;

l’Osoresan (la montagne qui fait peur), volcan en activité, dans la province de Mutsu, district de Kitagori ;

le Chôkai san (1.960 mètres), dans la province d’Ugo, district d’Akumi ;

le Gessan (1.700 mètres), province d’Uzen, district de Tagawa ;

le Jide san (1.200 mètres), chaîne plutôt que pic, qui s’étend sur les provinces de Iwashiro et d’Echigo ;

le Nikkôzan, les montagnes de Nikkô, d’une hauteur d’environ 2.000 mètres, les plus célèbres montagnes du Japon avec le Fuji et l’Asama. Elles sont les plus hautes montagnes de la province de Shimodzuké, et on les appelle aussi Futaharayama ou Kurokamiyama. Elles sont dominées par leur pic principal, le Nantaisan, situées au Nord-Ouest du district de Kami tsuga gori ; au Nord-Est, le Niôhôzan continue la chaîne et, sur le versant oriental qui est presque à pic, se trouvent les sept cascades (nana taki) qui forment la source de l’Inarigawa. Entre ces deux points se trouvent les deux plateaux de Omanago et Komanago. Au Nord de Omanago se dresse isolé le Tarodake et, à l’Est du Niôhôzan, se prolonge la chaîne de l’Akanagi. En s’éloignant de cette chaîne, on aperçoit sur la rive Nord de l’Inarigawa la colline appelée Toyama ; bien qu’elle ne soit pas très élevée, elle est originale, seule et isolée au milieu du massif. A l’Est de cette dernière se trouve le Ogurayama ; le Konosuyama s’élève au Sud de la rivière Daiyagawa, et à l’Ouest de cette rivière on aperçoit le plateau élevé de Nakimushi. Vers le milieu de la chaîne se développent en ligne droite les plateaux du Tsukimi, Matsu taté, Ni no miya.

Dans ces montagnes, pleines de sites admirables et de splendeurs naturelles, deux Shôgun[3] ont voulu être enterrés. C’est pourquoi on y rencontre aujourd’hui un nombre incalculable de temples et des monastères.

[3] Shôgun, général en chef, lieutenant du Mikado. C’est lui que les Européens appelaient Tai Kun et avec qui ils signèrent leurs premiers traités.

Le Tsukuba san, peu élevé, mais de forme originale, plonge sur les districts de Tsukuba, Niibari et Makabe dans la province de Hitachi ; le Bandai San (1.900 m.) s’élève au Nord du lac d’Inawashiro ; cette montagne, que l’on croyait depuis longtemps être un volcan éteint, s’est remise soudainement en activité le 14 juillet 1888 et a détruit de nombreux villages dont elle a enseveli les habitants[4].

[4] L’effet de l’éruption s’est fait sentir jusqu’à Tokio, où je me trouvais à ce moment, et la ville a été violemment secouée.

Vue du Fujiyama au col de l’Otomi.

Le Fuji san ou Fujiyama a 3.900 ou 4.000 mètres. Cette montagne peut être nommée la montagne sainte du Japon ; d’une forme admirable et régulière (sauf un petit renflement d’un côté) elle a été de tout temps l’objet du culte et de l’adoration de tous les Japonais. Bien qu’actuellement éteint, le Fujiyama a eu dans les époques antérieures plusieurs éruptions, notamment vers 799 de l’ère chrétienne, puis en 863.

La dernière éruption eut lieu dans le cinquième mois de la période Hoyei (1706). C’est de là que le petit renflement signalé plus haut sur un des flancs de la montagne (au Sud-Est), a reçu le nom de Hoyeizan. Le cratère a pris sa forme actuelle à la même date en vomissant des masses considérables de cendres que le vent porta jusqu’à Yedo.

Le Fuji, tous les étés au mois d’août, est un lieu de pèlerinage très fréquenté ; c’est par milliers qu’hommes et femmes, habillés tout de blanc, un bâton à la main, font l’ascension de la montagne.

Du massif du Fuji partent des ramifications assez élevées : les montagnes de Hakone et la chaîne de l’Amagi.

L’Asamayama (2.500 mètres) est le plus célèbre des volcans en activité. Il ne sort plus de son cratère actuellement que d’épaisses fumées et aussi des cendres ; mais il a eu parfois des éruptions terribles, et l’on peut s’attendre à tout moment au retour de ces phénomènes ; en 1783, notamment, l’éruption détruisit quantité de villages et de vies humaines. Au Sud de l’Asama se trouvent le Tateshi yama (2.300 mètres) et le Yatsugadake (2.700 mètres).

L’Ontake san, qui domine les trois provinces de Shinano, Mino et Hida.

Le Tateyama (2.000 mètres), dans la province d’Echu.

Le Hakusan (3.000 mètres), d’où l’on a une vue très étendue sur les provinces de Kaga, Echizen, Mino et Hida.

Le Sanshôgataké, dans la province de Yamato ; c’est le pic le plus élevé de la chaîne de montagnes de Yoshino. Les ramifications vont rejoindre la chaîne de montagnes de Kumano et de Kôya dans la province de Kii.

L’Unsengatake (1.500 mètres), dans la province de Hizen ; volcan en activité ; non loin de là se trouvent des sources d’eaux thermales très fréquentées.

Le Sakurajimagataké, volcan en activité dans l’île de Sakurajima, province d’Osumi.

Dans les temps de formation géologique, l’action volcanique a dû être extrêmement violente, et d’ailleurs cette action a continué à se manifester dans les temps historiques. Des centaines de montagnes, actuellement au repos, étaient autrefois des brasiers enflammés. Les annales du Japon sont remplies de ces terribles crachements de cendres, de feu, de lave vomis par les montagnes au Nord et au Sud, à l’Est et à l’Ouest ; des milliers de vies humaines furent détruites en un instant, des villages engloutis. A l’époque où nous vivons, les Japonais estiment que leur pays compte encore à peu près vingt volcans en activité et une centaine qui dorment mais qui peuvent se réveiller d’un moment à l’autre avec un épouvantable fracas. En 1874 le volcan de Taromai, dans l’île de Yezo, dont le cratère, refroidi depuis longtemps, semblait inoffensif, fit explosion, envoya au loin la croûte qui le fermait et lança des cendres jusque sur le bord de la mer.

L’Asayama yama, jamais tranquille, mais jetant constamment de la vapeur et de la fumée, craquant et tremblant tour à tour, est la terreur des campagnes environnantes. Le Fuji lui-même, la montagne sainte, posé si majestueusement dans la plaine de Subashiri, n’offre aucune sécurité.

Le volcan de Hakuzan, sur la côte Ouest, qui dresse sa crête au-dessus des nuages, à 3.000 mètres au-dessus du niveau de la mer, et renferme dans son cratère un lac aux eaux de la plus grande pureté, entra, lui aussi, un jour en fureur, lança du feu, de la fumée, des rocs, des cendres et de la lave. Que de fois, par les nuits noires, le pêcheur Japonais un peu éloigné des côtes aperçoit les feux des volcans d’Oshima !

En dehors des champs de scories si nombreux et qui attestent le caractère volcanique du sol japonais, des lits de soufre abondent partout comme preuves du feu souterrain. Satsuma, Riukiu, Yezo sont connus pour la quantité de soufre qu’ils produisent. Des flancs du Hakuzan il sort d’énormes blocs de soufre ; des solfatares existent dans presque toutes les provinces ; enfin, dans les provinces de Shinano et d’Echigo, les paysans s’éclairent et cuisent leur riz avec le gaz inflammable qui sort de terre et qu’ils font servir à leurs usages en le captant dans des tubes.

Par suite de la nature volcanique du pays, les tremblements de terre sont nombreux et causent souvent des malheurs terribles. Des villes et des villages ont été et sont encore constamment détruits, des provinces ravagées. Le dernier grand tremblement de terre qui a eu lieu à Yedo en 1855 a été l’un des plus effrayants que l’on ait vus : la ville a été à peu près entièrement détruite et brûlée ; les maisons japonaises étant de bois, le tremblement de terre occasionne à sa suite un incendie qui achève ce qu’il a commencé.

En 1891, au mois d’octobre, un autre tremblement de terre qui fut une vraie catastrophe, désola le pays entre Nagoya et Kioto ; il y eut environ 30.000 victimes.

VI. — Le Japon est arrosé par un assez grand nombre de cours d’eau ; mais, par suite du peu d’étendue de ses vallées, lesquelles sont forcément très resserrées vu le peu de largeur et l’extrême longueur du pays, les fleuves ont un cours fort modeste et ne sont jamais navigables qu’en partie, vers leur embouchure. J’en citerai quelques-uns néanmoins :

Le Fujikawa est formé de trois rivières qui prennent naissance dans la province de Kai. Il se dirige vers le Sud et traverse la province de Suruga, passe au pied du mont Fuji avant de se jeter dans la mer. Le Fujikawa est à proprement parler un torrent qui, aux grandes pluies d’été, est assez souvent l’ennemi du cultivateur et le destructeur des récoltes.

Le Oigawa prend sa source à la limite des provinces de Shinano et de Kai ; il coule vers le Sud, formant la limite des provinces de Suruga et de Totomi.

Le Tenriugawa, un peu plus important que les précédents (60 ri de longueur)[5], prend sa source au lac Suwa. Ce fleuve a son embouchure dans la province de Shinano ; il traverse la province de Totomi en coulant vers le Sud.

[5] Le ri représente 3 kilom. 927 mètres. (Voir tableau des mesures de longueur, à la fin du volume.)

Le Shinanogawa prend sa source dans la province du même nom sous le nom de Chikuma gawa, il coule au Nord-Ouest puis au Nord, et traverse la province d’Echigo où il prend le nom de Shinano gawa. Ce fleuve se jette dans la mer à Niigata. La longueur de son cours est d’environ 100 ri ; navigable seulement en partie, il offre des rapides qui rendent son utilisation très peu sûre comme voie de transport.

Le Kisogawa prend naissance dans le district de Chikuma, province de Shinano et coule au Sud-Ouest, puis au Sud. Il entre dans la province de Mino, coule vers l’Ouest et reprend ensuite la direction du Sud ; il se divise alors en plusieurs branches qui vont se jeter dans la mer en traversant les provinces d’Owari et d’Ise.

L’Abukumagawa prend naissance dans le district de Shirakawa, province d’Iwaki et, se dirigeant vers le Nord, entre ensuite dans la province d’Iwashiro où il coule vers l’Est. Changeant de direction, il rentre dans la province d’Iwaki, coule vers le Nord jusqu’à la limite de la province de Rikuzen, puis se dirige vers l’Est pour gagner la mer.

Le Kitakamigawa a sa source dans le district d’Iwate, province de Rikuchu ; il coule vers le Sud, traverse la province de Rikuzen et se jette dans la mer au port de Ishinomaki.

Le Mogamigawa part de la montagne de Dainichi, dans le district de Oitama, province d’Uzen ; il traverse les deux districts de Murayama et de Mogami en coulant vers le Nord, et se dirige ensuite vers l’Ouest à la limite de la Province d’Ugo. Il se jette dans la mer à Sakata.

Le Tonegawa (190 ri), le fleuve le plus considérable du Japon, sort du Nakanodake, passe à Numata, puis contourne à l’Ouest la chaîne de l’Akagi pour arriver à la grande ville de Mayebashi (50.000 habitants) ; en aval de cette dernière ville, le fleuve se dirige directement à l’Est jusqu’à la hauteur de Koga (ville d’environ 10.000 habitants), puis vers le Nord et enfin vers l’Est. Il se jette dans l’Océan Pacifique au Nord du cap Inubomisaki. Quoique passant pour un grand fleuve au Japon, le Tonegawa n’a rien des fleuves du continent européen ; il n’égale même pas la Seine, et si quelques jonques à fond plat et quelques petits vapeurs à faible tirant d’eau peuvent y naviguer jusqu’à Numata, son importance comme voie commerciale n’est pas considérable. En outre, à son embouchure, il n’existe pas de bon port ; en dehors d’une barre toujours renouvelée, les vents battent la plage inhospitalière aux navires. Le Tonegawa bifurque à Sekiyado dans la province de Shimosa, et forme la branche nommée Yedogawa, qui tombe dans la baie de Yedo, non loin de Tokio.

Le Sumidagawa (75 ri), plus connu sous le nom d’Arakawa à sa source dans le massif du Kokushidake et aussi dans tout son cours supérieur, se jette à la mer à Tokio après avoir traversé une grande partie de la ville. Il n’est guère navigable, comme toutes les rivières japonaises, que vers son embouchure.

Le Baniugawa, qui a seulement 18 ri de longueur, est un torrent qui sort, sur les pentes Nord-Est du Fujiyama, du lac de Yamanaka. Comme le Fujikawa, il cause souvent des désastres l’été.

Le Yodogawa prend sa source dans le lac Biwa, province d’Omi ; il se dirige vers le Sud, entre dans la province de Yamashiro, puis reprend son cours vers l’Ouest. Ce fleuve qui, à son origine, porte le nom d’Ujigawa, passe à Yodo, d’où son nom ; il coule alors vers le Sud-Ouest et sépare les deux provinces de Kawachi et de Setsu. Il se jette dans la mer en passant par Osaka : il n’a que 20 ri de longueur.

Le Gôgawa est formé par deux rivières dont la première, nommée Mioshigawa, prend naissance dans la province de Bingo, et la seconde, nommée Yoshidagawa, dans la province d’Aki. Le fleuve, formé par la réunion de ces deux rivières, coule vers le Nord-Ouest et passe dans la province d’Iwami. Il prend le nom de Gôgawa à son entrée dans cette province dont il arrose les deux districts d’Ochi et de Naka, en se détournant un peu de son cours ; puis, il retourne vers le Nord-Ouest pour gagner la mer. La longueur de son cours est de 80 ri.

Le Yoshigawa prend sa source dans le district de Tosa, dans la même province, se dirige d’abord vers l’Est, puis incline vers le Nord ; il traverse la province d’Awa, reçoit la rivière Iyogawa et se jette dans la mer par plusieurs embouchures.

Le Chikugo ou Chitosegawa est formé par la réunion de deux cours d’eau, dont l’un vient de la province de Higo et l’autre de la province de Bungo. Ce fleuve coule d’abord vers le Nord-Ouest jusqu’à la limite des provinces de Chikuzen et Chikugo ; il traverse ensuite cette dernière province qu’il sépare de Hizen.

Pays montagneux et volcanique, le Japon renferme un nombre considérable de lacs, au Nord aussi bien qu’au Sud : je me bornerai à citer ici les trois principaux ; d’abord le lac Biwa, non loin de Kioto, dans la province d’Omi ; il a environ 74 lieues de tour, et doit son nom à sa configuration en forme de guitare japonaise (Biwa) ; des bateaux à vapeur font le service du lac dans tous les sens et offrent le confort désirable pour bien visiter les endroits remarquables.

Le lac de Hakone, fort petit, n’a que 5 lieues de tour ; mais il est très connu et très fréquenté par suite de sa situation dans un des sites les plus agréables du Japon.

Le lac de Chiusendji, dans la province de Shimodzuke, est situé au sommet des montagnes de Nikkô ; il a 8 lieues de circonférence ; c’est sur ses bords que les Européens habitant Tokio et Yokohama vont se réfugier pendant les chaleurs de l’été ; et grâce au chemin de fer qui relie Tokio à Nikkô, Chiusendji est devenu la résidence du corps diplomatique pendant les mois de juillet, août et septembre.

 

CHAPITRE II

I. Aborigènes et conquérants. — II. Infiltration chinoise ; Mongols et Ainos. — III. Le type japonais actuel. — IV. Avant et après la Révolution de 1868 ; aristocratie et peuple. — V. Constitution japonaise ; le gouvernement. — VI. Justice, tribunaux. — VII. Loi de finances, budget. — VIII. Loi électorale. — IX. L’Empereur et le Patriotisme. — X. La Nation ; sa dissimulation et son sourire. Caractère du Japonais. — XI. Religion et superstition. — XII. Les étrangers au Japon.

I. — Par qui le Japon était-il peuplé au début de l’histoire ? c’est là un problème qui n’a pas encore été résolu, et ne le sera, je crois, jamais. Il est fort probable qu’avant l’arrivée des conquérants, (les Japonais actuels), les îles de l’Extrême-Orient étaient peuplées, au Nord d’Aino, de Goldes et de Giliaks, races sibériennes dont on trouve encore des traces aujourd’hui à Yezo, à Sakhalin et dans la province de l’Amour soumise aux Russes ; le Sud semble avoir été la résidence de tribus canaques et négritos comme il en existe encore aux Philippines, aux Bonin, à Nouméa et à Taïti.

Mais à partir de 660 avant J.-C., date assignée au premier empereur japonais, ces différentes races ont été remplacées par un flot malais. Lorsque le chef de guerriers, connu sous le nom de Iwarehiko, vint avec ses bandes aborder dans l’île de Kiushu, il détruisit ou réduisit en esclavage les indigènes et, poussant toujours sa conquête vers le Nord, il atteignit le Honshu (île de Nippon). Proclamé empereur en 660 sous le nom de Jinmu Tennô, il laissa à ses successeurs, qui s’en acquittèrent fort bien, la tâche de continuer l’occupation du territoire. Le malais est donc incontestablement l’élément conquérant et dominateur au Japon.

II. — Il n’en est pas moins vrai qu’il y a eu une infiltration chinoise, par l’intermédiaire de la Corée. L’écriture, les lettres, les arts et les sciences de la Chine furent apportés au Japon par des indigènes du Céleste Empire, et à différentes reprises, les Empereurs du Japon firent venir dans leur pays des hommes et des femmes pour enseigner l’art de travailler les métaux et de tisser la soie. Il y eut donc un mélange mongol, mais il est hors de doute que ce mélange fut peu considérable, et si l’on retrouve aujourd’hui encore quelques Japonais nettement mongoloïdes, le fond du peuple présente le type malais bien prononcé ; on rencontre aussi, mais plus rarement, le type indigène aino, et il m’est arrivé, mais pas souvent il est vrai, de le retrouver chez certains Japonais ayant une abondante chevelure et une grande barbe noire, qui, vêtus à l’européenne, auraient pu à la rigueur, passer pour des Américains du Sud. Par contre, dans le Sud surtout, on découvre quelquefois le type negritos, cheveux crépus, teint noirâtre et lèvres épaisses.

III. — Groupement d’îles séparées du reste du monde, sans relations extérieures, sauf avec la Chine par l’intermédiaire de la Corée (tardivement d’ailleurs), tous ses ports fermés aux Étrangers vers 1617 à la mort de Iyéyasu : le pays vécut dans un isolement absolu. Ceci facilita un mélange, un amalgame de toutes les races qui s’étaient infiltrées sur le sol du Nippon et aujourd’hui le type japonais est bien un type à part : il est, en général, de petite taille, il a un grand torse sur des jambes courtes, et il est plutôt laid ; quelques types féminins font exception, mais on peut dire que, prises en bloc, les Japonaises sont plutôt jolies par leur toilette que par leur physique.

IV. — Avant la révolution de 1868 qui rétablit sur le trône le descendant de Jinmu Tennô et détruisit le pouvoir du Shôgun ou Lieutenant général, véritable empereur depuis plusieurs siècles, le Japon vivait en état de féodalité, et, sous l’autorité du Shôgun, les Daïmios ou princes feudataires détenaient les provinces ; le Shôgun occupant pour son propre compte Yedo (aujourd’hui Tokio) et les provinces environnantes, dont l’ensemble constituait le Kouan tô.

Aujourd’hui, la féodalité est anéantie et le Mikado règne sur un pays uni et centralisé. Mutsu hito, 121e empereur du Japon, est considéré comme l’héritier direct en ligne continue de Jinmu Tennô ; il va sans dire que ce n’est là qu’une fiction. Les empereurs du Japon n’ont, depuis bien longtemps, selon toute vraisemblance, dans les veines aucune goutte de sang de Jinmu ; car avec les empereurs enfants qui se sont succédé sans interruption sous les Fujiwara, les Taira et les Minamoto[6] (800 à 1200 environ ap. J.-C.), avec le système des adoptions qui a été en vigueur de tout temps dans la famille impériale quand il n’y avait pas d’héritier mâle, il est évident que la ligne directe a été interrompue il y a longtemps. Mais les Japonais en conservent la fiction, et leur patriotisme exalté leur fait toujours considérer que leur race impériale descend de la divine Amaterasu, déesse du soleil (Amaterasu O mi Kami).

[6] Familles de Shôgun ou lieutenants généraux.

Les anciens seigneurs féodaux, connus sous le nom de Daïmios, ont tous fait leur soumission à l’Empereur, et forment aujourd’hui une partie de l’aristocratie japonaise ; je dis une partie, car l’aristocratie actuelle, en dehors des vieilles familles, compte dans ses rangs de simples plébéiens anoblis. La noblesse est une noblesse ouverte, comme en Angleterre, et l’Empereur confère les titres de duc, marquis, comte, vicomte ou baron à celui de ses sujets qu’il estime l’avoir bien servi, quelle que soit l’humilité de son origine.

Au-dessous des nobles viennent les Shizoku, anciens soldats et serviteurs des Daïmios et du Shôgun ; le titre seul les distingue du Heimin ou peuple, qui vient après eux ; car à aucun point de vue il n’y a de différence entre eux aujourd’hui.

Grande noblesse ou Kwazoku, petite noblesse ou Shizoku, peuple ou Heimin, tout le monde est égal devant l’Empereur et devant la loi.

Le Japonais est un peuple essentiellement facile à gouverner ; habitué sous l’ancien régime à une discipline extraordinaire, il a conservé son amour de la hiérarchie, de l’autorité, du respect des supérieurs. Un passant demandant son chemin dans la rue à un agent de police s’approchera de ce dernier avec une timidité respectueuse ; l’agent de police est le représentant de l’autorité !

V. — Habitué à obéir aux ordres de l’Empereur et de ses ministres, le peuple japonais ignorait ce qu’était une constitution ; pour moderniser davantage les rouages du gouvernement, le Mikado, sur le conseil de ses ministres, octroya une constitution à son peuple le 11 février 1889, avec Chambre haute et Chambre basse ; cette constitution est calquée sur la constitution de l’empire allemand, les ministres n’étant responsables que devant l’Empereur, et pouvant, par suite, se passer du Parlement lorsqu’ils le jugent à propos.

Les principaux articles de la constitution japonaise peuvent se résumer ainsi :

1. L’Empereur exerce le pouvoir législatif de concert avec les Chambres ; il sanctionne les lois et ordonne leur promulgation. Il convoque les Chambres, les ferme, les proroge et les dissout.

2. Quand les Chambres ne siègent pas, les ordonnances impériales ont force de loi. Il est bien dit que ces ordonnances doivent être soumises à la prochaine session du Parlement, lequel les révoque s’il ne les trouve pas à son gré ; mais qui oserait se prononcer au Parlement contre une ordonnance impériale ?

3. L’Empereur détermine l’organisation des différentes administrations et fixe les salaires des fonctionnaires civils et des officiers.

4. L’Empereur a le commandement suprême de l’armée et de la marine ; il déclare la guerre, fait la paix et conclut les traités.

5. Il confère les titres de noblesse et les honneurs et décorations ; il a le droit de grâce et d’amnistie.

6. En cas de minorité, il est nommé un régent qui remplit tous les devoirs de l’Empereur au nom de ce dernier.

7. Le Parlement impérial comprend deux Chambres : la Chambre des Pairs et la Chambre des Représentants.

La Chambre des Pairs est constituée par les membres de la famille impériale, la noblesse et les personnes que l’Empereur juge dignes d’y être appelées.

La Chambre des Représentants est formée des membres élus par la nation conformément à la loi électorale.

Les deux Chambres votent les projets de loi qui leur sont soumis par le gouvernement, et elles peuvent prendre l’initiative des lois.

Une proposition de loi rejetée par l’une ou l’autre des deux Chambres ne peut plus être représentée pendant la même session.

8. Le Parlement est convoqué tous les ans, pendant trois mois ; en cas de nécessité, l’Empereur peut prolonger la session. En cas de circonstance urgente, l’Empereur peut convoquer le Parlement. Les deux Chambres siègent en même temps, et si la Chambre basse est dissoute, la Chambre haute est ipso facto prorogée.

9. Quand la dissolution est prononcée, de nouvelles élections ont lieu et la nouvelle Chambre est convoquée dans les cinq mois.

10. Aucune décision ne peut être prise si un tiers au moins des membres n’est présent. Toute décision est adoptée à la majorité absolue, la voix du président étant prépondérante en cas d’égalité des votes.

11. Les délibérations sont publiques, mais le Gouvernement et les Chambres peuvent ordonner le huis clos.

Les Chambres peuvent présenter des pétitions à l’Empereur et en recevoir des habitants de l’Empire.

12. Les membres sont inviolables et ne peuvent être arrêtés sans le consentement des Chambres ; sauf dans les cas de flagrant délit, ou de délit connexe à des troubles intérieurs ou à la guerre étrangère.

Tous les ministres siègent de droit dans les deux Chambres.

Avec les Chambres et au-dessus d’elles se trouvent les ministres d’État et le Conseil privé.

Les ministres d’État sont responsables devant l’Empereur, et doivent contresigner toutes lois, ordonnances ou rescrits impériaux de toutes sortes.

Les conseillers privés délibèrent sur les importantes questions d’État quand l’Empereur les consulte. Leurs délibérations sont toujours tenues secrètes et jamais publiées.

Voici la composition du Gouvernement à partir de la tête c’est-à-dire de l’Empereur :

Nai Kaku (Cabinet) ;

Ministre de la maison impériale (Ku naishô) ;

Ministre de l’Intérieur (Nai mu shô) ;

Ministre de la Justice (Shi hô shô) ;

Ministre des Finances (O kura shô) ;

Ministre de l’Agriculture et du Commerce (Nô shô mu shô) ;

Ministre de la Guerre (Riku gun shô) ;

Ministre de la Marine (Kai gun shô) ;

Ministre des Communications (Tei shin shô) ;

Ministre de l’Instruction publique (Mom bu shô) ;

Ministre des Affaires étrangères (Gai mu shô) ;

Conseil privé (Su mitsu in) ;

Chambre des pairs (Ka zoku gi in) ;

Chambre des représentants (Koku kai gi in).

Comme en Europe, ces différentes administrations sont divisées en directions, sous-directions, bureaux, etc… dont je crois inutile de donner une énumération ici.

Il existait autrefois un ministère des Travaux publics, Kô bu shô, mais il a été supprimé et les divers services qu’il administrait ont été répartis entre le ministère de l’Agriculture et du Commerce et le ministère des Communications.

VI. — De même que dans tous les pays d’Orient, il n’y avait pas autrefois au Japon de distinction entre le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire ; en se mettant au niveau des pays d’Occident, le Japon a déterminé des règlements pour l’établissement de tribunaux, pour le fonctionnement de la « Justice ».

1. Les jugements sont rendus par des cours de justice établies conformément à la loi.

2. Les juges sont pris parmi les sujets de l’empire qui présentent les qualifications requises par la loi. Aucun juge ne peut être relevé de ses fonctions sinon sous le coup d’une sentence criminelle ou d’une punition disciplinaire.

3. Les débats en cour sont publics ; mais, s’il est jugé que la publicité des débats dans une affaire peut être préjudiciable à la paix, à l’ordre ou à la moralité publique, la cour peut déclarer le huis clos.

Toutes les affaires ne relevant pas des tribunaux ordinaires (telles que les crimes ou délits des militaires et marins) sont jugées par des tribunaux spéciaux. De même toutes plaintes contre des mesures illégales ou des abus de l’autorité sont examinées par une cour spéciale des Litiges administratifs.

VII. — La loi de finances, à son tour, a été remaniée ainsi qu’il suit :

1. L’impôt est fixé par la loi. Les emprunts nationaux et toutes dettes contractées au nom du Trésor public doivent recevoir l’assentiment du Parlement.

2. Les recettes et les dépenses de l’État requièrent l’approbation du Parlement par le moyen d’un budget annuel ; toutes dépenses engagées hors du budget, une fois que ce dernier est fixé, doivent recevoir la sanction du Parlement.

3. Le budget est soumis d’abord à la Chambre des Représentants.

4. Les dépenses de l’Empereur et de la maison impériale sont supportées par le Trésor national, mais non soumises à la délibération de la diète, sauf au cas où une augmentation serait demandée. En général tout ce qui touche aux dépenses de l’empereur ou de la maison impériale ne peut subir aucune réduction de la part du Parlement sans le consentement du Gouvernement.

En cas d’urgence le Gouvernement peut prendre telles mesures financières qu’il jugera convenable au moyen d’ordonnances impériales.

Quand le budget n’est pas voté, le Gouvernement applique le budget de l’exercice précédent.

Tous les comptes financiers de recettes et de dépenses de l’État sont vérifiés par la Cour des comptes.

VIII. — Quant à la loi électorale, voici ses dispositions :

Pour pouvoir être électeur, il faut :

Être Japonais, âgé de 25 ans ;

Résider depuis un an ;

Payer 15 yen[7] au moins d’impôt direct.

[7] Le yen vaut 2 fr. 55.

Les électeurs ne sont pas très nombreux, beaucoup ne sachant pas encore ce que c’est qu’une élection et s’en souciant fort peu, s’abstiennent de voter. Dès la première élection, il y eut des gens très au courant déjà des mœurs électorales qui vendaient leurs voix au plus offrant, cela atteignait jusqu’à 25 yen (63 fr. 75).

IX. — Malgré cette ombre de parlementarisme, il est bien évident que l’état politique du Japon ne ressemble en rien à ce que nous appelons le régime constitutionnel. L’État c’est l’Empereur, et sa personne est sacrée ; ses décisions sont respectées comme si elles venaient effectivement du ciel dont il est le descendant supposé ; Fils du ciel, Ten shi sama, ainsi l’appellent les bons sujets du Nippon. Malgré tout cependant, il est incontestable qu’il se présente déjà quelques fissures dans cette « foi du charbonnier » ; et l’Empereur passant dans les rues de Tokio n’est souvent regardé qu’avec indifférence ; on le respecte, mais ce n’est plus l’adoration du passé ; il m’est même arrivé d’entendre des Japonais, attendant à une revue l’arrivée de l’Empereur, s’impatienter et s’exprimer peu poliment sur le compte de « cet empereur qui pourrait être plus exact ».

Il est cependant une chose qui maintiendra encore longtemps intact l’amour du peuple pour l’Empereur : c’est le patriotisme farouche, sauvage même, dont tout Japonais est animé. L’Empereur est l’identification de la patrie, et la patrie japonaise est une chose sacro-sainte. Dès l’école primaire, on enseigne aux enfants de cinq ans qu’il n’y a pas de plus beau pays que le Japon, que c’est le pays des dieux dont l’Empereur est le fils, et qu’il faut mourir pour le pays et l’Empereur. Inculqués à une race batailleuse, excessivement orgueilleuse et guerrière, ces principes en font une nation éminemment combative et courageuse[8].

[8] Une chanson, que l’on trouve dans les livres primaires de lecture, est bien caractéristique :

« Les sabres de l’armée sont comme le givre ;

« Les balles sont comme la grêle ;

« Dans la lutte sur terre

« Les montagnes sont secouées, les rivières frissonnent ;

« Les guerriers du Japon sont obéissants et loyaux.

« Ne rompez pas les rangs ; franchissez montagnes et rivières ;

« Avancez, fixez vos regards sur l’ennemi.

« L’artillerie résonne dans l’air ;

« La torpille frémit dans la mer.

« Dans le combat naval le vent se lève, la vague est furieuse ;

« Les guerriers du Japon sont obéissants et loyaux ;

« Mettez les navires en ligne ; franchissez les flots blancs ;

« Avancez, fixez vos regards sur les bateaux ennemis. »

Autre échantillon de « Chanson d’enfants faisant leurs adieux à leur père » :

« Pour le départ du père pour la guerre, le frère aîné apporte son casque et le jeune frère ses bottes ; ils sont, les deux frères, plus calmes que d’habitude. Ils disent à leur père : « Allez maintenant et rapportez-nous comme cadeaux à la maison des têtes d’ennemis. » Le père fait un assentiment de la tête. »

X. — Au-dessous de l’Empereur on peut dire qu’il n’y a qu’un peuple ; la distinction en classes est, en effet, plus dans les lois que dans les mœurs ; le souverain à part, le Japonais est plutôt démocratique, comme d’ailleurs le Chinois, et en général l’Oriental ; il n’existe pas d’aristocratie, hautaine comme en Angleterre, ou cassante et dure comme en Allemagne.

Par conséquent, au point de vue social, l’égalité existe plus au Japon que partout ailleurs. Le peuple, du reste, j’entends le paysan, l’ouvrier, est infiniment plus poli et mieux éduqué ici que dans n’importe quel pays d’Europe. On est agréablement surpris, quand on voyage dans la campagne japonaise, de trouver des gens excessivement courtois, très hospitaliers et, en général, d’une grande propreté ; sur ce point la comparaison avec certaines de nos provinces ne tournerait pas toujours à notre avantage. Il ne faudrait pas en conclure d’ailleurs, parce qu’ils sont polis et hospitaliers, qu’ils nous aiment, nous, Européens ; non : ils ne nous aiment pas ; ils nous détesteraient plutôt, mais ils ne le font pas voir. Que pouvons-nous demander de plus ?

Là est l’une des grandes forces du caractère japonais : sa dissimulation. Habitué, dès la plus tendre enfance, à ne rien laisser paraître sur son visage de ses chagrins ou de ses joies, le Japonais se compose une physionomie impénétrable, et il est impossible de deviner sa pensée. Toutes ses idées se cachent derrière un sourire immuable que nous voyons partout et en toute circonstance.

Il est intéressant de reproduire ici, sans appréciation ni commentaire, un passage paru dans une correspondance japonaise de l’Avenir du Tonkin sous la signature de « Sujin » :

« Tout récemment sorti de la féodalité, le Japonais est encore soumis à l’autorité de l’opinion, que nul ne songe à braver. De là cette volonté collective dont la puissance a produit cette chose incroyable : une dissimulation nationale sur un mot d’ordre donné à tout un peuple. L’humanité dont on fit montre envers les prisonniers a été une attitude imposée par l’élite de la nation en vue des observateurs occidentaux. Pareillement, la politesse envers les étrangers recouvre habilement la haine qu’ils inspirent.