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Ce livre est le tout premier consacré à la jurisprudence de la Cour de justice de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CJ-CEMAC), vingt ans après le lancement des activités de cette juridiction en 2001. Il s’agit à la fois d’un livre sur la CJ-CEMAC – au vu de la densité inégalée de son introduction – et d’un livre sur sa jurisprudence.
Cet ouvrage permet de disposer, en un seul volume d’utilisation facile, de la quasi-totalité de la jurisprudence de la CJ-CEMAC (153 avis consultatifs et arrêts) depuis deux décennies.
Son originalité tient à ce qu’il s’écarte aussi bien de la tradition des Grands arrêts que de celle du Bréviaire de jurisprudence, tout en laissant parler le juge, point par point, de sorte qu’un même avis ou un même arrêt est souvent cité plusieurs fois, en fonction du nombre de problèmes qui y sont tranchés par le juge.
Il présente en effet les rationes decidendi et les obiter dicta dans des extraits clés verbatim des avis consultatifs et arrêts de la CJ-CEMAC, l’unique juridiction d’organisation d’intégration néo-fonctionnaliste opérant en Afrique centrale. L’ouvrage, structuré autour des points de droit tranchés par le juge, et non autour des arrêts et avis, expose règle jurisprudentielle par règle jurisprudentielle, suivant une structuration scientifique et dogmatique rigoureuse : chaque extrait est précédé de la règle jurisprudentielle qu’il contient (énoncée en titre ou en sous-titre) et de l’identification de l’arrêt ou de l’avis dans un encadré ; la règle jurisprudentielle étant mise en valeur en italiques dans l’extrait entre guillemets. Cette structuration permet à l’utilisateur d’accéder immédiatement à ce que le juge a dit sur tel ou tel autre point de droit, à partir du sommaire, de la table des matières ou de l’index. Il a en outre l’avantage d’ajouter la concordance entre les textes initiaux cités par le juge et les nouveaux traités de 2009, en indiquant, entre crochets, les nouvelles références ou les nouvelles appellations des structures de la CEMAC mentionnées dans les prononcés juridictionnels antérieurs à l’entrée en vigueur de ces nouveaux textes.
Dans le domaine spécifique du Droit communautaire, du contentieux communautaire ou du Droit communautaire comparé, ce livre présente le grand avantage de couvrir tous les champs du droit et du contentieux communautaire en Afrique centrale : Droit institutionnel, Droit matériel et Droit processuel. Il n’en est pas moins utile pour ceux qui s’intéressent au contentieux administratif, au Droit de la fonction publique internationale ou au Droit bancaire. En cela, il constitue un fondement structurant pour l’enseignement, les travaux de recherche de master ou de doctorat ainsi que pour des travaux de recherche thématiques.
Il sera également très utile aux praticiens comme les magistrats, les avocats, les juristes des banques et des autres entreprises privées, des administrations publiques et des organisations intergouvernementales. En plus d’une portée didactique et heuristique, il a donc aussi une orientation très pratique.
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© Lefebvre Sarrut Belgium SA, 2021
Éditions BruylantRue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles
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978-2-8027-6995-8
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« Lorsque […] les faits concernés sont analogues à des faits antérieurement soumis aux tribunaux, il ne suffit plus d’argumenter à l’aide du Droit écrit : il faut encore tenir compte de la jurisprudence. […] Il en résulte, en premier lieu, que le plaideur – et, en définitive, quiconque applique le Droit – doit intégrer la jurisprudence dans son raisonnement. »
« [L]a jurisprudence […] en son point culminant, […] renferme tout le secret du Droit et de la justice. Bien fou qui voudrait s’en passer. »
Gloire à l’Éternel qui a fait, ordonné et disposé pour que cet ouvrage soit publié à bonne enseigne, en exauçant les intercessions et les prières élevées devant Ses saints parvis par Ses serviteurs du Centre de prière.
Parmi les hommes, de très hautes personnalités camerounaises, sous-régionales et internationales m’ont apporté leurs encouragements. Par leurs engagements et leurs actes subséquents, ils m’ont très tôt communiqué une vive conscience de l’utilité du projet de publication de cette œuvre et de la nécessité de la mener à son terme.
J’adresse en premier lieu toute l’étendue de ma gratitude à Son Excellence, Monsieur Paul Biya, président de la République du Cameroun et président en exercice de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) qui m’a fait l’incandescent honneur d’autoriser ma mise en mission exceptionnelle à Paris et à La Haye en mai-juin 2019. Cette mission m’a permis d’accéder à des grilles de lecture insoupçonnées, exploitées pour renforcer substantiellement l’introduction et la structure du présent ouvrage.
Je suis heureux d’exprimer ma très profonde gratitude à Son Excellence Monsieur le Professeur Daniel Ona Ondo, président de la Commission de la CEMAC qui a cru en ce projet en acceptant de le préfacer dès que je lui en ai parlé. Non content de m’encourager fortement à l’achever promptement, il m’a par la suite gratifié d’une insigne faveur en assurant le pré-achat, par la Commission de la CEMAC, d’un grand nombre d’exemplaires de cet ouvrage auprès de l’éditeur.
Qu’il me soit également permis d’offrir mon infinie reconnaissance à Monsieur Abbas Mahamat Tolli, le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) qui a itérativement témoigné son soutien sans faille au programme de recherche dont cet ouvrage est l’une des composantes, avant de m’encourager à solliciter le financement de la Commission de la CEMAC pour la publication de ce livre, non sans m’accorder un don miraculeux.
C’est le lieu d’exprimer ma profonde gratitude à l’endroit du Professeur Michel-Cyr Djeuna Wembou, Secrétaire permanent du Programme des réformes économiques et financières de la CEMAC qui, grâce à ses invitations systématiques aux réunions du Comité de pilotage de cette instance communautaire de l’Afrique centrale – lorsqu’elles se tiennent à Douala – m’a donné l’occasion de me mettre en contact avec les plus hauts dirigeants de la CEMAC et de renforcer mes liens avec les ministres camerounais chargés de l’Économie et des Finances. Cette éminente figure de l’intégration africaine s’est enthousiasmée à la vue du compuscrit de cet ouvrage, dans l’esprit d’accueil et d’ouverture qui est la marque de ceux qui croient aux apports de la recherche aux praticiens.
Je n’évoque pas sans émotion le soutien ardent, teinté de bienveillance et les compliments appuyés du Professeur Magloire Ondoa, Recteur de l’Université de Douala, auteur de la postface du présent ouvrage. Ils m’ont galvanisé à un moment clé de l’élaboration de ce travail. D’autant qu’ils furent accompagnés d’une contribution substantielle du Rectorat de l’Université de Douala, qui s’est ajoutée à une aide plus modeste de la Faculté des sciences juridiques et politiques de la même Université. Par cette contribution, le Doyen André Akam Akam a tenu à matérialiser sa conviction que l’ouvrage alors annoncé serait d’une grande utilité pour les juristes privatistes (dont il est), autant que pour les publicistes et les politistes, voire pour les économistes de tous les horizons.
Il va sans dire que cet ouvrage doit beaucoup à Monsieur Jean-Marie Ntoutoume, premier président de la Cour de justice de la CEMAC (2001-2008), à Maître Ramadane Gounoutch, Greffier-en-chef de la Cour de justice de la CEMAC ainsi qu’à Monsieur Florent Ozouaki, Responsable de la documentation à la CJ-CEMAC, qui m’ont régulièrement procuré les prononcés de la juridiction sous-régionale d’Afrique centrale pour nourrir mes travaux de recherche et mes enseignements de Droit communautaire approfondi à l’École régionale supérieure de magistrature (ERSUMA) de Porto-Novo ainsi qu’en Master dans les universités de Douala et de Dschang, pendant une quinzaine d’années. Du même élan, je salue avec gratitude le Doyen François Anoukaha qui m’a invité à Dschang pour ces enseignements pendant une décennie. Ils ont cultivé en moi, avec constance et ferveur, la graine plantée par le célèbre arrêtiste qu’a été le Professeur Roger Gabriel Nlep. Comme moi, aucun d’eux ne pouvait alors imaginer que son apport constituerait ce que Dany Laferrière, de l’Académie française, a appelé « les ferments d’une œuvre à venir ».
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, le concours capital qui m’a décidé à me lancer dans ce projet d’ouvrage est venu d’une rencontre fortuite dans un bus assurant la ligne entre Yaoundé et Douala, avec l’improbable Monsieur Moussa Karambe, consultant en relations publiques ressortissant du Tchad, qui a fraternellement et généreusement mis l’ensemble de la jurisprudence contentieuse de la CJ-CEMAC à ma disposition dans une clé USB, à la fin de l’année 2018. Cet apport majeur qui m’a permis d’enrichir ma collection de plusieurs années de jurisprudence a, par la suite, principalement été enrichi et complété par Monsieur Eugène Pascal Parfait Nkilli Mbida, Attaché au parquet général près la cour d’appel du Littoral à Douala chargé du contentieux administratif, qui m’a spontanément procuré l’ensemble des avis consultatifs de la CJ-CEMAC en version électronique, tout en contribuant activement à la chasse aux arrêts manquants. Je savoure le sentiment d’une infinie gratitude à leur égard.
Comment ne pas renouveler ma gratitude à mon assistante de direction et collaboratrice dévouée, Madame Lydie Francine Wo’o, qui a vertueusement saisi tous les extraits d’arrêts et des avis de la Cour ainsi qu’à mes doctorants Jules Onana Ayi, Ferikouop Mamouda et Jean Baya qui ont diversement contribué à la mise en forme du compuscrit final, au prix de lectures répétées suivies de mille et une vérifications, parfois conduites avec une précision harcelante.
J’exprime enfin l’amicale reconnaissance qui m’étreint au célèbre africaniste, Maître Alain Feneon des Éditions Juris Africa (éditeur de la revue Penant et de la Revue juridique et politique) qui m’a très vivement encouragé dans la recherche d’un éditeur susceptible de donner un rayonnement optimal à cet ouvrage pour lequel il a dit le plus grand bien avec des mots merveilleux.
« Je voudrais vous assurer, en ma qualité de président en exercice de notre Conférence des chefs d’État de la CEMAC, de ma détermination à contribuer autant que possible au renforcement du processus d’intégration de notre sous-région en vue de l’atteinte des objectifs de notre organisation à l’horizon 2025 ».
« L’ambition commune de nos peuples est que l’Afrique centrale, aux côtés de ses partenaires au développement, redouble d’efforts afin que s’ouvrent pour nos États, les voies de la stabilité et du progrès. […] Voilà ce à quoi, dans le cadre de la CEMAC, nous devons, je crois, travailler sans relâche pour bâtir ensemble une ambitieuse entreprise de cœur et de raison. »
« [N]otre processus d’intégration […] doit être ressenti, non comme la dépossession de nos souverainetés nationales, mais plutôt comme une mutation qui porte en elle des promesses d’unité et d’intelligence de l’avenir. »
« L’intégration régionale, dans un monde globalisé, demeure un moteur important de croissance, par l’émergence de marchés plus larges et l’attraction des investisseurs étrangers ».
REMERCIEMENTS
QUELQUES CITATIONS DE SON EXCELLENCE MONSIEUR PAUL BIYA
LISTE DES ABRÉVIATIONS ET ACRONYMES
PRÉFACE DE MONSIEUR LE PROFESSEUR DANIEL ONA ONDO
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 LES STRUCTURES COMMUNAUTAIRES ET LEURS ACTES
CHAPITRE 2 LES PRINCIPES FONDAMENTAUX
CHAPITRE 3 LA COMPÉTENCE ET L’INCOMPÉTENCE DE LA COUR
CHAPITRE 4 LE RÉGIME DE LA RECEVABILITÉ ET DE L’IRRECEVABILITÉ DES DEMANDES D’AVIS CONSULTATIFS ET DES RECOURS
CHAPITRE 5 LES PROCÉDURES D’URGENCE
CHAPITRE 6 L’INSTANCE
CHAPITRE 7 LES RECOURS ORDINAIRES
CHAPITRE 8 LE CONTENTIEUX DE LA FONCTION PUBLIQUE COMMUNAUTAIRE
CHAPITRE 9 LE CONTENTIEUX DES DÉCISIONS DE LA COBAC
CHAPITRE 10 LE RENVOI PRÉJUDICIEL
CHAPITRE 11 LES RECOURS EXTRAORDINAIRES PORTANT SUR LES ARRÊTS DE LA COUR
CHAPITRE 12 LE CONTENTIEUX DE L’EXÉCUTION DES SENTENCES ARBITRALES PRONONCÉES PAR LES INSTANCES DES INSTITUTIONS ET ORGANES DE LA CEMAC AINSI QUE DES ARRÊTS DE LA COUR
POSTFACE
INDEX DES MOTS-CLÉS
INDEX DES NOMS PROPRES
LISTE CHRONOLOGIQUE DES AVIS CONSULTATIFS ET DES ARRÊTS CITÉS
ABC
Amity Bank Cameroon
AFDI
Annuaire français de droit international
ASSA-AC
Agence de supervision de la sécurité aérienne en Afrique centrale
AUSGIE
Acte uniforme sur le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique
BDEAC
Banque de développement des États de l’Afrique centrale
BEAC
Banque des États de l’Afrique centrale
BICA
Banque internationale pour la Centrafrique
BIAT
Banque internationale de l’Afrique au Tchad
BMBC
Banque Méridien BIAO Cameroun
BVMAC
Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale
C1
Classe 1
CACOCO-BTP
Compagnie africaine de conception et de construction en bâtiment et travaux publics
CARICOM
Communauté des Caraïbes
ChADHP
Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples
CBC
Commercial Bank Cameroon
CBCA
Commercial Bank Centrafrique
CBT
Commercial Bank – Tchad
CCE
Conférence des chefs d’État
CCJ
Cour centraméricaine de justice
CCJA
Cour commune de justice et d’arbitrage (de l’OHADA)
CE
Conseil des chefs d’État
CEBEVIRHA
Commission économique du bétail, de la viande et des ressources halieutiques
CEDH
Cour européenne des droits de l’homme
CEEAC
Communauté économique des États de l’Afrique centrale
CEMAC
Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
CEN-SAD
Communauté des États sahélo-sahariens
CFC
Crédit foncier du Cameroun
CFD-MICAJA
Coopérative COFYDES MICAJA
CFHL
Capital Financial Holding Luxembourg
CICOS
Commission internationale du Bassin du Congo-Oubangui-Sangha
CIRDI
Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements
CJ
Chambre judiciaire [désormais Cour de justice de la CEMAC]
CJ-CAE
Cour de justice de la Communauté de l’Afrique de l’Est
CJCE
Cour de justice des Communautés européennes
CJ-CEDEAO
Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
CJ-CEMAC
Cour de justice de la CEMAC
CJUE
Cour de justice de l’Union européenne
CJ-UEMOA
Cour de justice de l’Union économique et monétaire Ouest africaine
CLC
Crédit Lyonnais Cameroun
CM
Conseil des ministres
CMEC-OUEST
Réseau des sociétés coopératives d’épargne et de crédit BINIUM du Cameroun
COBAC
Commission bancaire de l’Afrique centrale
COFINEST
Coopérative financière de l’estuaire
COMESA
Common Market of Eastern and Southern Africa (COMESA – Marché commun de l’Afrique orientale et australe)
COPIL
Comité de pilotage
COSUMAF
Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale
CPA
Compagnie professionnelle d’assurances
CPI
Cour pénale internationale
CPAC
Comité inter-États des pesticides d’Afrique centrale
CrADHP
Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples
CRC
Conseil régional de la concurrence
EAC
East African Community (EAC – Communauté de l’Afrique de l’Est)
EHT-CEMAC
École de l’hôtellerie et du tourisme de la CEMAC
EIED-CEMAC
École inter-États des douanes de la CEMAC
ETI
Ecobank Transnational Incopored
GABAC
Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale
GAFI
Groupe d’action financière
GIE
Groupement d’intérêt économique
GIMAC
Groupement interbancaire monétique de l’Afrique centrale
IBAC
International Bank of Africa Cameroon
IEF
Institut de l’Économie et des Finances – Pôle régional
ISSEA
Institut sous-régional de statistique et d’économie appliquée
ISTA
Institut sous-régional multisectoriel de technologie appliquée, de planification et d’évaluation de projets
MERCOSUR
Mercado Común del Sur – MERCOSUR (en espagnol) ; Mercado Comum do Sul – MERCOSUL (en portugais) ; Marché commun du Cône du Sud
MINFI
Ministère des Finances
NDJANGUICAM
Ndjangui du Cameroun
OCEAC
Organisation de coordination pour la lutte contre les endémies en Afrique centrale
OHADA
Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
OIT
Organisation internationale du travail
OIVC
Organisation internationale des commissions de valeurs
ORD-OMC
Organe de règlement des différends (ORD) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
OSC
Organe de surveillance de la concurrence en zone CEMAC
PC
Parlement communautaire
PLC
Public Limited Company
PRASAC
Pôle régional de recherche appliquée au développement des savanes d’Afrique centrale
PRI
Programme régional des réformes institutionnelles
PUF
Presses universitaires de France
Rec.
Recueil
RCA
République centrafricaine
RCADI
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
RDC
République démocratique du Congo
RDJ-CEMAC
Revue de droit et de jurisprudence de la CEMAC
SABC
Société anonyme des Brasseries du Cameroun
SADC
Southern African Development Council (SADC – Communauté de développement de l’Afrique australe)
SARL
Société à responsabilité limitée
SCB
Société camerounaise de banque
SCI
Société civile immobilière
SFA
Société financière africaine
SFDI
Société française pour le droit international
SICA
Système d’intégration centraméricain
SYNDOUCAF
Syndicat des douaniers centrafricains
TGI
Tribunal de grande instance
TIDM
Tribunal international du droit de la mer
TJCA
Tribunal de justice de la Communauté andine
TPIR
Tribunal pénal international pour le Rwanda
TPIY
Tribunal pénal international pour les crimes commis en ex-Yougoslavie
TPR
Tribunal permanent de révision (TPR) du marché commun du Cône du Sud (en espagnol : Mercado Común del Sur – MERCOSUR)
UBC
Union Bank of Cameroon
UDEAC
Union douanière et économique de l’Afrique centrale
UEAC
Union économique de l’Afrique centrale
UEMOA
Union économique et monétaire Ouest-africaine
UMAC
Union monétaire de l’Afrique centrale
USTC
Union des syndicats des travailleurs centrafricains
Les États membres de la CEMAC, à l’instar des autres pays d’Afrique, se sont inscrits ces dernières années dans une perspective volontariste d’amélioration du climat des affaires soutenu par un aménagement institutionnel fort, une amélioration de la gouvernance démocratique caractérisée par une attractivité de l’investissement, s’inspirant ainsi des modèles de développement rapide des nations émergentes.
Ce volontarisme va de pair avec le souci d’approfondissement de l’intégration sous régionale en Afrique centrale, qui s’est notamment caractérisé par la mise en place d’une Cour de justice de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CJ-CEMAC). Cette Cour occupe une place centrale dans la construction communautaire1 en tant que, comme le stipule l’alinéa 1er de l’article 48 du traité révisé de la CEMAC, elle « assure le respect du Droit dans l’interprétation et dans l’application du présent Traité et des conventions subséquentes ». Une telle perspective se réclame par ailleurs du fait que « la bonne marche de la Communauté exige la mise en place d’une Cour de justice communautaire capable d’assurer le respect du Droit communautaire »2.
En ce sens, il appert que la construction communautaire est régie par le droit. D’où l’importance de disposer d’un matériau jurisprudentiel accessible et de haute facture ; fonction de salut public que vient remplir l’ouvrage proposé par le professeur James Mouangue Kobila, consacré à La jurisprudence de la Cour de justice de la CEMAC dans ses aspects institutionnel, matériel et processuel. Il propose en effet au grand public les ratione decidenci, obiter dicta et extraits clés verbatim des arrêts et avis de cette Cour. Pour ce faire, ce bréviaire de jurisprudence communautaire comble un vide en même temps qu’il se distingue des entreprises éditoriales existant dans le domaine3.
Une telle œuvre doctrinale était attendue, notamment depuis la mise en place de la Cour – sous la forme d’une Chambre judiciaire – en 2001. En effet, depuis cette date, ses décisions et avis n’ont fait l’objet ni de compilation systématique et structurée, ni d’annotations en vue d’une diffusion dans la communauté des chercheurs, parmi les praticiens du Droit communautaire ainsi qu’auprès du public intéressé par les questions d’intégration. Tout ceci participe d’une pertinente diffusion du Droit communautaire de l’Afrique centrale4 tel qu’il est progressivement façonné par son juge spécialisé.
L’auteur, à travers cette œuvre pionnière, passe en revue pas moins de 153 décisions de la Cour de justice de la CEMAC dont 31 avis consultatifs (de février 2003 à octobre 2020) et 122 arrêts (de décembre 2001 à octobre 2019), mis en perspective par une introduction substantielle. Les douze chapitres de ce recueil commenté de la jurisprudence communautaire, concernent respectivement : les structures communautaires et leurs actes ; les principes fondamentaux (de l’ordre juridique communautaire) ; les questions de compétence de la Cour ; les conditions de recevabilité et d’irrecevabilité des recours ; les procédures d’urgence ; l’instance ; les recours ordinaires ; la fonction publique communautaire ; le contentieux des décisions de la COBAC ; le renvoi préjudiciel ; les recours extraordinaires portant sur les arrêts de la Cour ; le contentieux de l’exécution des sentences arbitrales prononcées par les instances des organes et institutions de la CEMAC ainsi que des arrêts de la Cour.
Par son périmètre et son champ d’application, cet ouvrage participera à n’en point douter à une meilleure connaissance du Droit communautaire de la CEMAC, et servira de puissant matériau de recherche dans ce même champ disciplinaire. Il devrait servir par ailleurs d’ouvrage de référence en vue d’une meilleure contextualisation des enseignements de Droit communautaire dans les cycles de licence, master et doctorat dans les institutions d’enseignement supérieur d’ici et d’ailleurs.
De manière plus large, l’ouvrage de James Mouangue Kobila contribue à une meilleure compréhension des enjeux de l’intégration juridique et juridictionnelle sous régionale et régionale dont il faut tirer parti en vue d’une harmonisation des dispositifs normatifs des États membres. L’auteur vient ainsi magistralement mettre un terme au débat sur la méconnaissance des prises de position jurisprudentielles de la Cour en les rendant plus accessibles pour les universitaires, les professionnels du droit et toutes les personnes intéressées par le Droit de la CEMAC.
Professeur Daniel Ona OndoPrésident de la Commission de la CEMAC
1. Voy., à titre de droit comparé, A. S. SWEET et J. A. CAPORASO, « La Cour de justice et l’intégration européenne », RFSP, 1998, pp. 195-244 ; R. LECOURT, L’Europe des juges, Grands écrits, Bruxelles, Bruylant, 2008, 334 p.
2. Préambule de la convention du 30 janvier 2009 régissant la Cour de justice communautaire.
3. Concernant en particulier l’Union européenne, voy. not. : H. GAUDIN, M. BLANQUET, J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et F. FINES, Les grands arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, t. 1, Droit constitutionnel et institutionnel de l’Union européenne, Grands arrêts, Paris, Dalloz, 2014, 1004 pp. ; Ch. BOUTAYEB (dir.), Les grands arrêts du droit de l’Union européenne. Droit institutionnel et matériel de l’Union européenne, Les grandes décisions, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-Lextenso, 2015, 1107 p. ; M. KARPENSCHIF et C. NOURISSAT (dir.), Les grands arrêts de la jurisprudence de l’Union européenne, 3e éd., Thémis/Droit, Paris, PUF, 2016, 668 p.
4. Sur les enjeux de cette diffusion, Fr. MELEDJE DJEDJRO, « L’appropriation des normes communautaires par les milieux universitaires et le monde judiciaire », communication à la 3e rencontre inter-juridictionnelle des Cours communautaires de l’UEMOA, la CEMAC, la CEDEAO et l’OHADA, Dakar, 4 au 6 mai 2010, 17 p. ; A. SOW, « La diffusion du droit communautaire ouest-africain », Civitas Europa, 2016, vol. 37, n° 2, pp. 351-370.
Largement méconnue parce que discrète, nonobstant son prestige, la Cour de justice de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (ci-après : « CJ-CEMAC »), qui regroupe six États (Cameroun, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée-équatoriale, République centrafricaine et Tchad) et environ 51 millions d’habitants, est la seule Cour de justice d’une organisation néo-fonctionnaliste d’intégration sous-régionale opérationnelle en Afrique centrale1, l’une des cinq sous-régions de l’Union africaine2. Le fait est que la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) n’a jamais été mise en place, depuis la création de cette organisation le 18 octobre 1983 et la mise en place de son Secrétariat général deux ans plus tard (il y a cependant lieu de préciser que le traité révisé de la CEEAC, adopté à Libreville le 18 décembre 2019 prévoit de nouveau la création d’une Cour de justice et d’une Cour des comptes en ses articles 29 et 30). Il en va autrement dans la sous-région d’Afrique de l’Ouest où deux cours sont opérationnelles : la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CJ-CEDEAO) et la Cour de justice de l’Union économique et monétaire Ouest africaine (CJ-UEMOA).
La CJ-CEMAC est l’une des institutions fondatrices de la CEMAC3. Outre la CJ-CEDEAO, opérationnelle depuis 19914, et la CJ-UEMOA, opérationnelle depuis 1999, la CJ-CEMAC est l’équivalent, en Afrique centrale, du tribunal de la Southern African Development Council (SADC – Communauté de développement de l’Afrique australe), opérationnel depuis 2005 ; de la Cour de justice de la East African Community (EAC – Communauté de l’Afrique de l’Est), opérationnelle depuis le 30 novembre 20015 ; de la Cour de justice du Common Market of Eastern and Southern Africa (COMESA – Marché commun de l’Afrique orientale et australe), opérationnelle depuis 1998. Elle est, avec la CJ-UEMOA, l’une des deux cours de justice francophones opérationnelles dans les cinq sous régions de l’Union africaine, organisation continentale dont la Cour de justice (la Cour africaine de justice et des Droits de l’homme), créée en 2014 n’est pas encore opérationnelle. La Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples6 est en effet, pour l’heure, la seule juridiction opérationnelle à l’échelle continentale depuis son entrée en fonction le 2 juillet 2006, date de la prestation de serment de ses premiers juges.
Afin de permettre au lecteur de mieux comprendre le contexte et l’intérêt du présent ouvrage, l’on s’attardera successivement sur les données factuelles de la CJ-CEMAC (I), l’importance de la jurisprudence de la CJ-CEMAC (II) et sur la présentation critique de la jurisprudence de la CJ-CEMAC (III).
La CJ-CEMAC offre l’une des illustrations les plus parlantes de l’avancée de l’intégration en Afrique centrale. Cette institution contribue en effet, avec ses équivalentes des autres sous-régions africaines, à rompre avec la tradition de l’absence ou du faible développement des organes à fonction juridictionnelle dans le régionalisme africain. Les données factuelles sur la CJ-CEMAC concernent l’avènement et l’évolution de la CJ-CEMAC (A) ainsi que l’activité de cette juridiction (B).
Voici un demi-siècle, Doudou Thiam observait pertinemment que, dans le régionalisme africain du lendemain des années 1970, le cas le plus fréquent était celui où aucun mode de règlement des litiges n’était prévu7. Dans la sous-région d’Afrique centrale, le changement radical d’orientation résultant de l’avènement de la CEMAC est attesté par le fait que le traité instituant sa devancière, l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC), ouvert à la signature à Brazzaville le 8 décembre 1964, entré en vigueur en 1966, n’avait pas prévu de juridiction. À l’image de la défunte Organisation de l’Unité africaine (OUA) à laquelle a succédé l’Union africaine, il revenait au Conseil des chefs d’État de l’UDEAC – qui statuait à l’unanimité – d’« arbitrer » les différends relatifs à l’application du traité entre États membres.
La nouvelle orientation impulsée par les auteurs des traités de la CEMAC est toutefois conforme au phénomène général de judiciarisation des relations internationales qui se vérifie aussi bien à l’échelle universelle par l’avènement de l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), des juridictions internationales pénales ad hoc (TPIY et TPIR) et de la Cour pénale internationale (CPI) ainsi que du Tribunal international du droit de la mer (TIDM)8 ; qu’à l’échelle des régions et sous régions, à travers la multiplication des instances de règlement juridictionnel des différends à caractère sectoriel ou omnifonctionnel (la Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples [CrADHP], la Cour commune de justice et d’arbitrage [CCJA] de l’OHADA, les juridictions des organisations d’intégration sous-régionales africaines précitées9) et par l’intensification de l’activité des organes juridictionnels et judiciaires préexistant à ce phénomène, tant en Afrique qu’en Amérique latine10.
Créée par le traité constitutif de la CEMAC adopté à N’Djamena le 16 mars 1994, la Cour était régie par une convention de Libreville datant du 5 juillet 1996, jusqu’à l’adoption et à l’entrée en vigueur de la nouvelle convention la régissant, également signée à Libreville, cette fois le 30 janvier 2009. C’est une institution supranationale, et par conséquent indépendante des États, des organes et des autres institutions de la Communauté. Sa création participe du transfert progressif de certaines compétences, souvent rattachées à une souveraineté étatique déterminée, au profit des instances communautaires. En sa séance du 25 juin 1999, la Conférence des chefs d’État a fixé, par acte additionnel, le siège de la Cour de justice de la CEMAC à N’Djamena, au Tchad.
Contrairement aux juridictions communautaires d’autres organisations d’intégration régionale ou sous-régionale, la CJ-CEMAC présentait, jusqu’à la date de son éclatement effectif en deux cours distinctes le 10 décembre 2018, la particularité de l’unicité. Alors que dans l’Union économique et monétaire ouest africaine (ci-après « UEMOA »), tout comme dans l’Union européenne et dans le COMESA, deux cours distinctes ont toujours coexisté : une cour de justice et une cour des comptes, l’ancienne CJ-CEMAC, conçue sur le modèle de certaines cours suprêmes des États du continent africain11, comprenait une Chambre judiciaire [désormais Cour de justice] et une chambre des comptes [désormais Cour des comptes]. Ces deux chambres étant coiffées par un premier président (étonnamment dépourvu de fonctions juridictionnelles) qui jouait un rôle fédérateur en assurant la représentation des deux sous-ensembles, conformément à l’article 9 de la convention de 1996 régissant la Cour de justice qui était ainsi conçu :
« [l]a Cour de justice comprend une Chambre judiciaire, une Chambre des Comptes. Chaque Chambre dispose d’un greffe. Elle se compose de treize juges et est dirigée par l’un de ceux-ci élu par ses pairs Premier président, assisté de deux autres juges élus Présidents de Chambres. Le Premier président assure la fonction de représentation de la Cour de justice ».
La formation plénière n’étant pas une instance juridictionnelle, contrairement à la plupart des cours suprêmes unifiées des États membres de la CEMAC12, elle était dépourvue de greffe. Cette construction participait d’un mimétisme endogène de mauvais aloi qui a inscrit les institutions juridictionnelles originelles de la CEMAC dans ce que Philippe Singer et Jean-Charles Engel appelleraient le « terreau fondateur »13 que constitue l’architecture juridictionnelle faîtière de ses États membres.
Le mimétisme endogène imparfait de l’architecture juridictionnelle de la CEMAC se traduit aussi par l’articulation des organismes à fonction juridictionnelle des institutions, organes et institutions spécialisées de la CEMAC à la Cour de justice communautaire, à l’image de l’organisation juridictionnelle interne des États dans laquelle nombre de structures internes connaissent en premier ressort du contentieux administratif, à l’instar des organismes de sécurité sociale ou du Conseil de discipline budgétaire et comptable. La convention du 30 janvier 2009, qui remplace celle du 5 juillet 1996 régissant la Cour de justice, consacre en effet l’existence d’une pluralité d’organismes à fonction juridictionnelle au sein de la Communauté14, en son article 23 (dernier tiret) en ces termes : « [d]ans son rôle juridictionnel, la Cour connaît notamment : […] – des recours contre les sanctions prononcées par des organismes à fonction juridictionnelle de la Communauté »15.
Ce trait de l’organisation juridictionnelle de la CEMAC, qui a survécu aux réformes institutionnelles de 2009, l’éloigne également du modèle européen où les recours se font à plusieurs étages au sein d’une même juridiction, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), entre le Tribunal de la fonction publique communautaire, le tribunal de première instance et la Cour de justice proprement dite, en tant qu’instance faîtière16. Le propos sera plus nuancé, si l’on rapproche l’activité judiciaire et consultative de la CJ-CEMAC de celle de la CJUE.
La première génération des membres de la Cour a été désignée par acte additionnel de la Conférence des chefs d’État le 10 février 2000. Son installation s’est ensuivie le 12 avril 2000. Elle a été saisie pour la première fois d’un recours en annulation de la décision de la Commission bancaire d’Afrique centrale (ci-après : « COBAC ») n° D-2000/22 du 17 octobre 2000 ayant démis d’office le requérant de ses fonctions de directeur général et de président du conseil d’administration de la Société Amity Bank Cameroon PLC, assorti d’une demande de désignation d’un administrateur judiciaire, le 10 décembre 2000, suivie d’une demande de sursis à exécution introduite contre la même décision le 17 juillet 2001. La CJ-CEMAC a rendu son premier arrêt moins de deux ans plus tard – c’est-à-dire dans des délais raisonnables – le 13 décembre 2001, arrêt TASHA LOWEH Lawrence (Amity Bank Cameroon, intervenante), sur la demande de sursis à exécution de la décision de la COBAC précitée17. La décision au fond étant par la suite intervenue le 3 juillet 200318, après une avalanche de sept recours et d’autant d’arrêts relatifs à la même affaire, portant sur un référé19, une récusation20, une exception de procédure21, une exception d’irrecevabilité d’intervention forcée22, une demande d’intervention volontaire23, une demande d’intervention forcée24 et sur une nouvelle demande de sursis à exécution25. Il importe de mentionner que le requérant Tasha Loweh Lawrence, qui a permis à la CJ-CEMAC de commencer par une activité contentieuse intense et fournie, a généré quatre autres affaires à la suite de cette première décision au fond26, ce qui porte au crédit de ce justiciable un total de douze affaires devant la CJ-CEMAC dans un laps de temps de six ans. Nonobstant la circonstance que, par la suite, la même cause a souvent donné lieu à plusieurs arrêts de la Cour, ce record tient toujours.
Par comparaison, la Cour de justice des communautés européennes, installée dès 1952 a commencé à fonctionner l’année suivante et a rendu son premier arrêt en décembre 195427. Le parallélisme avec la CJCE est saisissant. La mise en place de la CJ-CEMAC peut donc être qualifiée de satisfaisante.
Le traité révisé, adopté le 30 janvier 2009 à Libreville, et les conventions subséquentes régissant respectivement la Cour de justice et la Cour des comptes communautaire ont consacré le désassemblage de l’ancienne Cour unique en deux juridictions distinctes.
Au 13 octobre 2020, sur une période couvrant près de deux décennies (après le passage de témoin à la nouvelle Cour de justice de la CEMAC intervenu le 10 décembre 2018), la Chambre judiciaire [désormais Cour de justice] de la CJ-CEMAC avait rendu 122 arrêts et 31 avis consultatifs en 20 ans (soit une moyenne approximative de 6,1 arrêts et 1,55 avis par an). Il importe de relever que ces chiffres ne reflètent pas l’ensemble du contentieux communautaire, dans la mesure où certains prononcés n’ont pas été retrouvés, dans la mesure aussi où la CJ-CEMAC est juge d’appel dans certaines matières et que les décisions rendues en premier ressort par d’autres instances des institutions et organes communautaires ne lui sont pas systématiquement déférées.
Quoi qu’il en soit, suivant les statistiques jointes en annexe à la présente introduction, la durée moyenne d’une affaire contentieuse est de 18 mois, contre cinq mois pour les procédures consultatives. Le plus long procès a duré sept ans et douze jours, tandis que la plus longue procédure consultative a duré quatre ans et dix jours. Les plus courtes procédures ont respectivement duré huit jours pour les affaires contentieuses et cinq jours pour les avis consultatifs (voy. annexe 1 : Statistiques relatives à la durée des procédures en deux tableaux [affaires contentieuses et avis consultatifs]).
L’essentiel du contentieux de la CEMAC concerne les structures financières et fiscales qui sont largement en tête des organes dont les actes sont contestés devant la CJ-CEMAC avec 87 affaires sur un total de 153, réparties entre la COBAC (37 affaires contentieuses et quatre avis consultatifs), la BEAC (17 affaires contentieuses et deux avis consultatifs), la BDEAC (14 affaires contentieuses et deux avis consultatifs), l’École inter-États des douanes dont le personnel enseignant est issu des administrations des douanes des États membres (9 affaires contentieuses et deux avis consultatifs) et la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (4 affaires). La Commission de la CEMAC tient un rang honorable avec 18 affaires contentieuses et 8 avis consultatifs, soit 26 affaires en tout. Les États membres ne sont pas en reste, qui totalisent 24 affaires à raison de 22 demandes contentieuses et deux demandes d’avis consultatifs.
Il importe de souligner que, de manière générale, les institutions, organes, institutions spécialisées et agences d’exécution de la CEMAC étaient impliqués dans 115 affaires sur les 122. Le contentieux de la fonction publique communautaire représente quant à lui plus de la moitié du contentieux communautaire avec 60 affaires contentieuses initiées par les fonctionnaires et autres agents de la CEMAC sur 122, tandis que les situations concernant les fonctionnaires de la Communauté ont été à l’origine de 11 avis consultatifs sur les 31 répertoriés dans le présent ouvrage, soit en tout 71 affaires contentieuses et consultatives sur les 153 répertoriées.
De manière spécifique, 54 affaires contentieuses concernent les entreprises et, en matière consultative, 29 avis sur les 31 répertoriés ont été rendus à la demande des structures de la CEMAC.
Le contentieux de l’annulation porte sur 31 affaires, dont 25 contre les actes des institutions, organes et institutions spécialisées de la CEMAC et 5 contre les actes des États membres (voy. annexe 2 : Statistiques par type de recours des affaires contentieuses tranchées par la CJ-CEMAC en quatre tableaux). Il est frappant de constater que les recours en annulation font presque systématiquement l’objet de demandes de sursis à exécution avec 29 demandes de sursis sur 31 recours en annulation. L’on a relevé 37 demandes de réparation dont 11 dirigées contre la BEAC, 7 contre la CEMAC ou la Commission, 6 contre la BDEAC et 4 contre l’EIED.
L’importance du Droit processuel de la CJ-CEMAC est particulièrement soulignée par le fait que plus de la moitié des recours contentieux (69 sur les 122 exploités) n’ont pas été examinés au fond, pour cause d’incompétence de la Cour ou pour non respect des règles processuelles (délais, recours administratif préalable, autorité de la chose jugée, conditions de saisine, conseil non inscrit au Barreau du Tchad, etc.).
Le taux de productivité de la CJ-CEMAC est proche de celui de la Cour de justice de la Communauté de l’Afrique de l’Est28, la plus réussie du continent « en termes de niveau d’intégration, avec la réalisation d’un marché commun »29. Ses statistiques, significatives de l’effectivité de la CJ-CEMAC, sont cependant sans commune mesure avec certaines juridictions comparables en Amérique latine30, encore moins avec la productivité du modèle archétypal qu’est la CJUE31.
Les arrêts rendus par la CJ-CEMAC sont petits et grands32, plus ou moins longs33. Il y a lieu de souligner que la distinction entre arrêts et décisions ou ordonnances34, familière en Droit international – mais qui est absente de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des Droits de l’homme35 – n’est apparue dans la jurisprudence de la CJ-CEMAC qu’à partir du 30 juillet 201936. Il en résulte qu’avant cette date, tous les prononcés préliminaires de la CJ-CEMAC, même sur des questions purement procédurales, étaient des arrêts et étaient de ce fait revêtus de l’autorité de la chose jugée, ce qui a notamment pour effet d’empêcher la Cour de les modifier dans la suite de l’instance37. La Cour de justice de l’Union européenne, dans sa « sophistication juridico-institutionnelle »38, distingue quant à elle entre les ordonnances39, les arrêts avant-dire-droit, les arrêts et les arrêts déclaratoires40.
Quoi qu’il en soit, ce nombre de prononcés, bien que relativement important, permet de mentionner tous les arrêts et d’en extraire tous les principes jurisprudentiels ou toutes les règles jurisprudentielles (rationes decidendi et obiter dicta), ce qui correspond bien à l’exhaustivité de l’acception du mot « jurisprudence » retenue par Stefan Goltzberg41 ainsi que par Patrick Jacob, Frank Latty et Arnaud de Nanteuil42. Le nombre d’affaires tranchées par la CJ-CEMAC témoigne surtout du « degré de confiance des justiciables envers leur juge »43. En ce sens, l’on devrait saluer le succès de la Cour de l’Afrique centrale qui augure de l’importance de sa jurisprudence.
L’importance de la CJ-CEMAC est particulièrement accusée, dans la mesure où, cumulant des attributions qui relèvent de plusieurs juridictions faîtières dans les ordres juridiques nationaux, elle est à la fois juge international pour le contentieux entre États44, juge constitutionnel en sa qualité de gardienne des traités45, juridiction administrative (notamment pour le contentieux de la fonction publique communautaire) et juridiction judiciaire46 notamment en matière de Droit social et de Droit des sociétés47 ainsi que juridiction régulatrice. La CJ-CEMAC secrète aussi bien des normes juridictionnelles que des principes jurisprudentiels à l’autorité différenciée (A), mais la marque de l’interprétation judiciaire du Droit communautaire par la CJ-CEMAC est sa généralité (B).
17 ans après sa mise en place et à l’aube du 20e anniversaire de la CJ-CEMAC qui sera célébré en 2021, cette juridiction d’organisation d’intégration économique apparaît de plus en plus comme un lieu d’exercice du pouvoir au sein de cette organisation néo-fonctionnaliste, en ce qu’elle secrète un Droit dérivé communautaire spécifique, sous deux formes.
La première forme de droit dérivé secrété par la Cour est implicitement mentionnée dans les sources conventionnelles du Droit communautaire au rang des décisions48. Mais l’autorité des « décisions » de la CJ-CEMAC est renforcée par la force qui s’attache à la chose jugée. Il s’agit de ce qu’Emmanuelle Jouannet appelle « la norme juridictionnelle produite par [l’]arrêt et incluse dans le dispositif du jugement »49. Elle est concrète50 et individuelle, mais limitée51, en ce qu’elle s’impose uniquement aux parties au différend bien qu’elle ait force de vérité légale52.
Aux termes de l’article 41 du traité révisé de la CEMAC du 30 janvier 2009 en effet, « les décisions sont obligatoires dans tous leurs éléments pour les destinataires qu’elles désignent ». L’article 48 du même instrument, repris par l’article 2 de la convention du 30 janvier 2009 régissant la Cour de justice, prévoit que « [l]a Cour de justice assure le respect du Droit dans l’interprétation et dans l’application du présent Traité et des conventions subséquentes ».
Certes et en principe, l’interprétation du droit qui résulte d’une décision de justice « n’a aucune force juridique en dehors du litige auquel l’arrêt met un terme »53, à moins que les conditions de l’autorité de la chose jugée soient réunies.
En second lieu, la Cour secrète un Droit dérivé communautaire spécifique sous une autre forme : il s’agit de ce qu’Emmanuelle Jouannet appelle « la règle jurisprudentielle […] insérée dans les motifs d’un arrêt »54 ou d’un avis consultatif, encore appelée « principe jurisprudentiel »55 relatif à un point de droit discuté entre les parties56. Celui-ci « est issu directement de l’activité jurisprudentielle du juge [et] est nécessairement localisé dans les motifs et non pas dans le dispositif »57. Au contraire de la chose jugée et de la norme juridictionnelle, il se caractérise par sa généralité58 et sa vocation corrélative à « s’appliquer à un nombre illimité de cas et d’objets différents »59.
En cela, il se distingue en principe de la chose jugée qui se situe ordinairement dans le dispositif de l’arrêt60 ou de l’avis consultatif. À la différence de la norme juridictionnelle, le principe jurisprudentiel ne bénéficie pas souvent de l’autorité de la chose jugée, à moins que le motif – le motif de droit uniquement, les motifs de faits ne pouvant être porteurs de principes jurisprudentiels – représente « une condition absolue de la décision [ou de la position] de la Cour », conformément au dictum de la Cour permanente de justice internationale dans l’affaire Usine de Chorzów61. Bien que réfutable, susceptible de faire l’objet d’un revirement ou d’être renversé par la volonté des États, le principe jurisprudentiel est néanmoins « tenu pour obligatoire de façon générale, au-delà du cercle des parties au différend »62 ou des institutions ayant participé au processus ayant conduit à l’édiction de l’avis consultatif. C’est précisément cette règle jurisprudentielle obligatoire en raison de son origine, mise en exergue dans cet ouvrage de jurisprudence, à travers les extraits pertinents des arrêts et avis de la Cour, qui fait « jurisprudence »63, même dans les cas où, trop elliptique ou lapidaire, elle n’explicite pas la règle de droit qui lui sert de support.
Il y a lieu d’insister sur ce que le terme « avis » consultatif ne doit point être trompeur quant à la force juridique des règles jurisprudentielles insérées dans les « avis » de la Cour. Certes, la convention régissant la CJ-CEMAC, en son article 34 relatif à la fonction consultative de la Cour, est silencieuse sur la force juridique de ses avis et le dernier alinéa de l’article 41 du traité révisé de 2009 indique que « [l]es recommandations et les avis ne lient pas ». Cependant, en vertu de l’interprétation par le contexte (autrement appelée l’interprétation systématique ou structuraliste)64, il est permis de penser que cette stipulation conventionnelle ne vise que les recommandations et avis émis par les organes cités dans l’article 40 : le Conseil des ministres de l’UEAC, le Comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (UMAC), les premiers responsables des institutions, organes et institutions spécialisées. Sous ce prisme, l’article 40 ne vise nullement les avis consultatifs de la Cour.
Dans la mesure où les interprétations de la Cour sont réputées « exactes » (article 27 de la convention régissant la Cour), l’on pourrait même affirmer qu’a pari65, par analogie avec le régime général des arrêts interprétatifs de la Cour qui se dégage des articles 26 et 27 de la convention régissant la CJ-CEMAC, toutes les interprétations du droit formulées par la Cour, y compris dans le cadre de sa fonction consultative, « s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles », non seulement de tous les États, mais également à celles de la Communauté. D’autant que : i) le préambule de la convention régissant la Cour assigne à celle-ci pour mission de « garantir la mise en place d’une jurisprudence harmonisée » ; ii) l’article 2 de la même convention engage celle-ci à « veille[r] au respect du Droit quant à l’interprétation et à l’application du Traité de la CEMAC et des textes subséquents »66 (il va de soi que ce respect du droit s’impose aussi bien aux structures communautaires qu’à celles des États membres) ; et que iii) les articles 26 et 27 du même instrument posent explicitement que ses « interprétations [des textes et actes communautaires] s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles de l’État » (les autorités communautaires ne sont pas explicitement mentionnées), dans le cadre du renvoi préjudiciel ou des recours directs en interprétation. Les avis de la CJ-CEMAC déploient donc naturellement leurs effets au-delà des institutions qui les ont sollicités et des situations concrètes qui les ont provoqués.
L’on peut aussi avancer qu’en raison de la spécificité des organisations d’intégration et de la mission intégrative de la Cour, ces avis sont parfois d’authentiques arbitrages interprétatifs, en référence à la notion d’« arbitrages consultatifs »67, car suscités à l’occasion de divergences d’interprétation des normes communautaires68. Ils sont par conséquent investis, non pas de la simple autorité morale attachée aux avis consultatifs des juridictions internationales classiques, mais d’un caractère juridique contraignant, aussi bien pour les organes qui les sollicitent que pour les États membres eux-mêmes. Il s’agit en effet souvent d’avis interprétatifs que la Cour émet « sur la conformité aux normes juridiques de la CEMAC des actes juridiques ou des projets d’actes initiés par un État membre, une institution, un organe ou une institution spécialisée dans les matières relevant du Traité » (article 34 de la convention régissant la Cour de justice) et d’avis émis à l’occasion de difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de normes communautaires.
Cette lecture est corroborée par la Cour elle-même qui a posé, dans un avis du 5 juin 2013, qu’elle « dit le Droit dans son rôle consultatif »69, en sa qualité de « garante de l’existence d’une Communauté de Droit »70. Il est saisissant à cet égard de constater que la Cour se réfère à sa jurisprudence consultative pour statuer en matière contentieuse, comme dans l’affaire Société PRICE WATERHOUSE SARL (Autorité monétaire du Cameroun, intervenante), appel contre la décision de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) n° D-2010/126 portant retrait de l’agrément de la requérante en qualité de commissaire aux comptes titulaire de SCB-Crédit Lyonnais Cameroun, arrêt n° 006/2013-14 du 26 juin 2014, où elle a dit pour droit que « comme l’atteste l’avis n° 001/2009 de la Cour, la cessation d’activité d’un commissaire aux comptes ne peut constituer un obstacle à des poursuites et à des sanctions dirigées à son encontre ».
Sous ce double rapport, le principal mérite du présent ouvrage réside dans ce que plusieurs auteurs ont caractérisé comme « l’ampleur de la difficulté à isoler précisément un principe jurisprudentiel au sein d’un jugement [ou d’un avis] de la Cour »71. Cependant, une fois isolé, le principe jurisprudentiel est d’application générale.
La généralité de l’interprétation judiciaire du Droit communautaire que la Cour opère dans ses motifs à l’occasion des affaires qui lui sont soumises (avis consultatifs et affaires contentieuses) bénéficie d’autres justifications, empiriques et juridiques, tirées de la spécificité du Droit communautaire.
D’abord en raison de ce que, comme l’a bien vu Paul Delnoy, « comme par pragmatisme, [les] juristes sont forcés d’envisager l’hypothèse où un autre litige naîtrait, ils sont bien obligés de tenir compte de l’interprétation que les juges donneraient des règles qu’ils appliquent, car les juges ont le […] dernier mot »72. Ce point de vue est d’autant plus fondé que le juge communautaire de la CEMAC a tendance – sauf cas d’erreur avérée ou de revirement – à respecter et à se référer à sa propre jurisprudence (contentieuse et consultative)73, comme dans l’affaireMBOA Marcel c. Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC),recours en réparation pour refus de détachement et de mise en disponibilité, arrêt n° 009/CJ/CEMAC/CJ/09 du 13 novembre 200974 en ce qui concerne la jurisprudence contentieuse ou comme dans les avis du 5 juin 201375, du 25 juin 201376, du 26 juin 201377, du 24 février 201578 et du 4 avril 201779, en ce qui concerne sa jurisprudence consultative. Paul Delnoy explique que « les juges adoptent généralement des lois l’interprétation qu’ils leur ont eux-mêmes donnée et celle qu’en ont donné leurs collègues, que ceux-ci leur soient supérieurs dans la hiérarchie judiciaire, qu’ils leurs soient égaux, voire qu’ils leurs soient inférieurs »80.
A fortiori lorsqu’ils sont tenus de le faire, à l’instar des juges nationaux qui sont tenus de respecter le principe fondamental de la primauté du Droit communautaire sur le Droit national81. Sous ce prisme, la jurisprudence de la CJ-CEMAC, qu’elle soit consultative ou contentieuse, ne sera pas sans incidence sur la jurisprudence administrative82, judiciaire et électorale, voire constitutionnelle des juridictions nationales des États membres, bien au-delà de la mise en œuvre du Droit communautaire. L’on peut supputer que la jurisprudence de la CJ-CEMAC pourrait déployer des effets sur la jurisprudence constitutionnelle des États membres lorsque le juge communautaire de l’Afrique centrale dégagera des « principes généraux de Droit [constitutionnel] communs aux États membres », sur le fondement de l’article 28 de la convention qui la régit, à l’instar du droit au juge ou du principe d’égalité, consacrés par toutes les constitutions des États membres83. D’autant que la CJUE dont la CJ-CEMAC s’inspire84a « toujours admis que les principes généraux communs aux États membres […] ne devaient pas nécessairement procéder de l’ensemble des législations ou constitutions nationales »85.
En deuxième lieu et surtout, la généralité de l’interprétation judiciaire du Droit communautaire, faite par le juge communautaire, tient à ce que la Cour de justice de la CEMAC est chargée, en vertu des alinéas 2 et 3 du préambule de la convention de 2009 qui la régit, d’« assurer le respect du Droit communautaire […] dans les conditions propres à assurer la mise en place d’une jurisprudence harmonisée ». Il en résulte que, même en dehors du champ du renvoi préjudiciel où, suivant l’article 26 de la convention qui la régit, « [l]es interprétations données par la Cour en cas de recours préjudiciel s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles dans l’ensemble des États membres », de manière générale et dans les matières des traités communautaires, voire au-delà, sa « jurisprudence » (au cas précis, les motifs de droit qu’elle retient) s’impose à tous les États ainsi qu’à toutes les juridictions nationales des États dans les matières des traités communautaires, la dimension « droits de l’homme » y comprise86. Christophe Deguyse relève ainsi, relativement à la Cour de justice de l’Union européenne, dont la CJ-CEMAC s’inspire87, que « [l]es arrêts de la Cour constituent une jurisprudence d’autant plus importante que le Droit communautaire prime sur les droits nationaux »88. Rostane Mehdi confirme la primauté de la jurisprudence communautaire qu’elle situe à juste titre sur le même plan que le Droit primaire communautaire constitué par les traités. Cet auteur précise que, « par sa jurisprudence, la Cour assume une fonction quasi-législative. Elle remédie aux carences des traités, œuvrant ainsi au développement constant du Droit communautaire »89. La Cour de justice de l’Afrique de l’Est a fait droit à cette lecture, en tranchant que, de manière générale, « the Court’s decisions will prevail over the ones of national courts over similar issues »90.
Les justiciables peuvent donc se prévaloir de la jurisprudence de la CJ-CEMAC, source « non écrite » du Droit communautaire91 devant leurs juridictions nationales, en faisant fond du principe fondamental de la primauté de l’ordre juridique communautaire sur les ordres juridiques des États membres qui implique « la supériorité du Droit communautaire sur les droits nationaux des États membres »92et du principe de l’effet direct de celui-ci93, qui « implique qu’il s’intègre automatiquement dans leur ordre juridique interne, sans avoir besoin d’y être “reçu” par un texte exprès »94.
Enfin, la portée des arrêts de la CJ-CEMAC n’est pas indifférente au fait qu’il s’agit d’une Cour internationale bénéficiant d’un fondement conventionnel direct (la convention régissant la Cour, dûment signée et ratifiée par les États membres). L’on peut en déduire avec Jean-Marc Sorel que, puisqu’elle est internationale, la Cour s’impose sur les juridictions internes95. C’est en ce sens que, citant la Cour interaméricaine des Droits de l’homme, Ludovic Hennebel et Hélène Tigroudja, rappellent que le contrôle de conventionalité des normes internes infra-constitutionnelles que doit exercer tout juge national – ex officio (selon la pratique interaméricaine96) ou à la demande du justiciable (selon la pratique européenne97) – s’inspire « tant du traité que de la jurisprudence » des organes du traité98. La jurisprudence de la CJ-CEMAC a, de ce fait, au minimum une valeur supra législative dans tous les États membres de la CEMAC, la valeur supra-constitutionnelle des normes communautaires étant controversée99. La controverse pourrait difficilement épargner la présentation formelle, voire le contenu de la jurisprudence de la CJ-CEMAC.
Tous les arrêts exploités pour cet ouvrage de jurisprudence résultent de l’activité de la chambre judiciaire de la « juridiction constitutionnelle » de l’Afrique centrale qu’est la Cour de justice de la CEMAC à l’exception des décisions postérieures au 10 décembre 2018, date de l’autonomisation de la Cour de justice de la CEMAC. Ces avis et décisions ont été prononcés par la nouvelle Cour de justice de la CEMAC. Il n’est donc pas utile de préciser chaque fois le nom de la juridiction auteur de l’arrêt dont l’extrait est présenté. Des observations sur la présentation des extraits pertinents de la jurisprudence de la CJ-CEMAC (A) précéderont la critique de la présentation de cette jurisprudence (B).
La jurisprudence de la Cour étant désormais bien sédimentée, l’arrêt de principe sera placé en tête et les prononcés subséquents qui s’inscrivent dans la continuité jurisprudentielle suivront. Trois hypothèses permettent de tempérer ce choix. D’abord, en présence de « blocs de jurisprudence »100 qui témoignent d’une construction jurisprudentielle progressive, parfois à tâtons, ce sera plutôt l’arrêt le plus récent qui sera présenté en premier, car représentatif de la dernière pureté jurisprudentielle de la Cour. Ensuite, en présence de formules ayant la même charge sémantique, mais à la formulation changeante, l’on mettra en valeur la constance de la jurisprudence par la présentation de séries d’arrêts allant dans le même sens, surtout s’ils recèlent une reformulation intéressante du raisonnement initial. Enfin, lorsqu’on sera en présence d’une « jurisprudence unitaire »101, caractérisée par « la répétition invariable de précédents »102, l’on se contentera de donner l’identification des décisions subséquentes, précédée de la mention « autre arrêt rendu avec la même motivation » ou « autre arrêt rendu avec une motivation identique ».
Le présent ouvrage de jurisprudence n’est pas conçu sur le modèle des Grands arrêts, développé en France par les éditions Dalloz avant d’être repris par d’autres éditeurs français, à l’instar des Presses universitaires de France (PUF) puis ailleurs, dans plusieurs pays d’Europe et d’Afrique, modèle auquel les juristes francophones sont très familiers. L’on n’y trouvera donc pas d’observations à la suite des extraits sélectionnés, l’auteur ayant fait le choix de proposer à la communauté des juristes un ouvrage de jurisprudence au sens de « livre servant de modèle et contenant un enseignement indispensable » (Le Petit Robert, 2017, p. 301) et non un ouvrage doctrinal sur la jurisprudence de la Cour de justice de la CEMAC.
Cet ouvrage présente chaque fois la règle jurisprudentielle (regulae juris) encore appelée principe jurisprudentiel, isolée par l’auteur en titre, suivie de l’identification complète (référence précise et détaillée) de l’arrêt dans lequel elle se trouve et, enfin, l’extrait pertinent du prononcé de la Cour (verbatim des motifs, qu’il s’agisse de la ratio decidendi ou de l’obiter dictum)103. Il y a lieu de rappeler le caractère impératif de la ratio decidendi des arrêts de la CJ-CEMAC pour les juridictions nationales et pour les juridictions des organes, institutions, institutions spécialisées et agences d’exécution communautaires autant que pour chacune de ces structures prises comme telles, dans un ordre juridique hiérarchisé et décentralisé comme celui de la CEMAC104. Il est également utile de mentionner que les obiter dicta sont susceptibles de se transformer en ratio decidendi de décisions subséquentes, lorsqu’ils sont « repris, appliqués et suivis dans une jurisprudence constante »105.
Les extraits en cause ne se présentent pas non plus d’un seul tenant par arrêt, indépendamment du nombre et de la diversité des questions tranchées, et ne sont pas classés par ordre chronologique comme dans la tradition des Grands arrêts106, dans les ouvrages courants de jurisprudence communautaire107 et administrative108 ou dans le Bréviaire de jurisprudence internationale109.
Les extraits sélectionnés dans le présent ouvrage ne contiennent pas et ne sont ni précédés ni suivis d’un rappel des faits, des griefs ou des moyens des requérants, encore moins d’une bibliographie110. C’est pour cette raison que le choix a été délibérément fait de référencer les affaires de manière à permettre au lecteur de saisir la variété des situations concrètes qui ont été soumises au juge communautaire. C’est aussi une manière de contribuer à promouvoir le Droit communautaire en lui donnant chair pour susciter l’intérêt du lecteur. À cette fin, au titre de l’identification de chaque décision, outre le ou les noms des parties et des intervenants (le cas échéant), la référence et l’objet de la décision querellée sont systématiquement présentés de manière complémentaire, en plus des références de l’arrêt. Ainsi,
au lieu de
Affaire NGONO Clémentine c. Parlement communautaire, arrêt n° 002/CJ/2017-18 du 16 novembre 2017
l’on trouvera
Affaire NGONO Clémentine c. Parlement communautaire, recours en annulation de la décision n° 05/CEMAC/PC/SG du 15 avril 2013 prononçant la sanction d’avertissement avec inscription au dossier contre la requérante, de la décision n° 112 du 31 juillet 2014 par laquelle le secrétaire général du Parlement communautaire s’est opposé à la confirmation de la requérante comme secrétaire particulière du président du Parlement communautaire et recours en réparation, arrêt n° 002/CJ/2017-18 du 16 novembre 2017.
Ils obéissent à un classement thématique111 aussi simple et clair que possible, ainsi qu’à une progression systématique, du général au particulier c’est-à-dire de l’extrait posant une règle générale à celui qui apporte des précisions, dans « un souci d’affinement toujours plus grand »112, souvent par « ordre chronologique descendant, la première décision citée étant la plus ancienne [afin de] reconstituer l’évolution de la jurisprudence »113. L’on constatera que plusieurs extraits sont souvent proposés pour un même arrêt, parfois plusieurs dizaines, en fonction du nombre de problèmes tranchés par le Juge.
Le présent ouvrage obéit donc à une approche singulière, volontairement différente, voire originale114, visant à faciliter le travail du praticien (avocat, magistrat, agent communautaire ou fonctionnaire d’un État membre, expert en Droit international, en Droit public, en Droit privé, en Droit communautaire quelle que soit l’organisation concernée, en Afrique ou ailleurs), le travail de l’étudiant ou celui de l’enseignant-chercheur qui souhaite accéder rapidement à la solution et au raisonnement du juge communautaire de la CEMAC sur une question précise, avec la règle jurisprudentielle qui en découle, assortie des références adéquates et, le cas échéant, de l’indication de la référence aux textes communautaires du 30 janvier 2009, issus du programme des réformes institutionnelles de la CEMAC lancé à Libreville le 8 février 2005115.
Dès lors que la jurisprudence présentée dans cet ouvrage couvre trois générations de Droit communautaire de la CEMAC (le Droit de l’UDEAC, le Droit de la CEMAC des traités de 1994 et 1996 ainsi que le Droit de la CEMAC issu des réformes institutionnelles de 2009), ces références au texte en vigueur – à la suite d’une référence abrogée – ont semblé indispensables pour renforcer l’utilité de ce livre, en épargnant au lecteur l’effort d’aller à la pêche du nouveau fondement juridique. Il a également semblé plus utile de permettre au lecteur de voir immédiatement le contenu du nouveau régime dans le texte, plutôt qu’en note de bas de page où cette référence, désormais plus pertinente que l’ancienne, risquait de passer inaperçue, quitte à rendre moins fluide la lecture de l’extrait sélectionné. Les références aux nouveaux textes résultent par conséquent d’un choix délibéré qui a été fait entre l’option de faciliter le travail de l’utilisateur du livre et la fluidité de la lecture. Cet ouvrage n’étant ni une œuvre d’esthétique ni un roman, j’ai délibérément retenu l’option qui permet une consultation rapide, celle qui permet au juriste ou au non-juriste qui recourt à cet ouvrage d’accéder promptement ce qu’il recherche.
L’on peut en dire autant du choix de dupliquer certains extraits avec des mises en italiques différentes visant à mettre en exergue la partie de l’extrait qui se rapporte à la règle jurisprudentielle en titre. Ce choix, également délibéré, a été fait pour éviter des renvois incessants et à l’efficacité douteuse. Car, ainsi que l’a bien vu Didier Guével, « [i]l faut toujours songer que le lecteur d’un travail universitaire ne s’intéressera souvent qu’à un détail et souhaitera retrouver rapidement la référence de la question qui retient son attention »116. D’autant que, comme le souligne cet auteur, « [d]ans le style juridique, les répétitions sont permises […] Le seul exercice littéraire, que peut constituer un devoir de Droit, consiste à rechercher les formules les plus directes, les plus simples et les plus claires, et non à éviter, à tout prix, les réitérations »117