La légende des Guerriers-Lune - Michel Honaker - E-Book

La légende des Guerriers-Lune E-Book

Michel Honaker

0,0

Beschreibung

Plongée dans le monde d’un aventurier britannique intrépide, cousin d'Indiana Jones avec des airs de héros de Jules Verne.

Kenya, 1889. Pendant que les grandes puissances européennes posent les jalons de la Première Guerre mondiale en s’affrontant à travers leurs colonies, de mystérieux indigènes, que l’on dit immortels, font régner la terreur en faisant prisonniers les imprudents qui s’égarent sur leur territoire.

Quel secret protègent-ils ? D’obscurs industriels et diplomates prussiens et anglais ne jouent-ils pas aux apprentis sorciers en voulant s’approprier ce que nul être humain n’est à même de comprendre ?
Pour répondre à ces questions, et à bien d’autres, Parsifal Crusader devra se jeter dans les bras du démon et affronter à mains nues la reine des Guerriers-Lune...

Suspense garanti dans cette confrontation avec des guerriers prétendument immortels !

EXTRAIT

Sud du Kenya, printemps 1889.
Alors que le soleil se cachait derrière l’horizon, étendant une ombre sulfureuse sur la savane, un frisson parcourut la montagne tout entière…
Cette myriade de chuchotis qui tissent le silence de la nuit africaine se tut.
Toute chose se figea, et ce changement aussi bizarre que soudain glaça les sangs de Daniel Thorpe. L’explorateur leva le bras pour ordonner halte à la douzaine de personnes qui composaient l’expédition dont il avait la charge depuis Mombasa. C’étaient des porteurs kikuyus1 qui à son signal se dévisagèrent avec inquiétude. Ils avaient entamé l’ascension en début d’après-­midi, et déployé de grands efforts pour parvenir à ce plateau situé à mi-hauteur du Tswamba Salu dont le sommet, noyé dans les nuées, paraissait encore lointain.
L’ancien volcan avait un autre nom : la Montagne Cannibale.
On racontait que ceux qui osaient s’aventurer sur ses flancs ne revenaient jamais dans leur village. Daniel Thorpe connaissait l’existence de ces ragots. Il ne leur avait jamais prêté beaucoup d’attention. Jusqu’à cet instant où, face à cette jungle ondoyante qui barrait le passage, son instinct lui dictait de ne plus avancer d’un pas.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

- « Michel Honaker a donné vie à un nouvel héros, Parsifal Crusader, dont nous n’avons sûrement pas fini de lire les aventures rocambolesques et fantastiques. Très bien. » (L’Ibby Lit)

A PROPOS DE L’AUTEUR

Michel Honaker signe son premier roman Planeta non grata en 1978, un récit de science-fiction fantastique. Il écrit une trentaine de romans pour adultes avant de se tourner vers la littérature jeunesse où il s'impose comme auteur de récits d'aventures ou fantastiques : La Sorcière de midi, Le Prince d'Ebène, Croisière en meurtre majeur font rapidement de lui un auteur à succès. Il reçoit de nombreux prix dont le Totem au salon du livre et de la presse jeunesse en 1993 pour Croisière en meurtre majeur. Tout en restant fidèle au fantastique et à l'imaginaire, il explore aussi bien le genre policier qu'historique, et publie en outre neuf biographies de compositeurs de musique classique. Honaker est un autodidacte qui aime composer des personnages sombres et inquiétants, complexes dans leurs relations. À ce jour auteur de plus d'une centaine d'ouvrages, il est traduit dans une douzaine de langues, dont le chinois et le russe.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 197

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



1Sur le mont cannibale

Sud du Kenya, printemps 1889.

Alors que le soleil se cachait derrière l’horizon, étendant une ombre sulfureuse sur la savane, un frisson parcourut la montagne tout entière…

Cette myriade de chuchotis qui tissent le silence de la nuit africaine se tut.

Toute chose se figea, et ce changement aussi bizarre que soudain glaça les sangs de Daniel Thorpe. L’explorateur leva le bras pour ordonner halte à la douzaine de personnes qui composaient l’expédition dont il avait la charge depuis Mombasa. C’étaient des porteurs kikuyus1 qui à son signal se dévisagèrent avec inquiétude. Ils avaient entamé l’ascension en début d’après-­midi, et déployé de grands efforts pour parvenir à ce plateau situé à mi-hauteur du Tswamba Salu dont le sommet, noyé dans les nuées, paraissait encore lointain.

L’ancien volcan avait un autre nom : la Montagne Cannibale.

On racontait que ceux qui osaient s’aventurer sur ses flancs ne revenaient jamais dans leur village. Daniel Thorpe connaissait l’existence de ces ragots. Il ne leur avait jamais prêté beaucoup d’attention. Jusqu’à cet instant où, face à cette jungle ondoyante qui barrait le passage, son instinct lui dictait de ne plus avancer d’un pas.

— Que se passe-t-il, Dan ? Un problème ?

Jusqu’alors, le professeur Dexter Equinox n’avait pipé mot. L’exercice physique n’était pas celui où excellait le biologiste, qui préférait les allées et venues entre les éprouvettes et les microscopes. Toute la journée, il avait eu peine à suivre l’allure imposée. L’arrêt de la colonne lui permettait de retrouver un peu de souffle. Il ne s’en plaignait pas. Thorpe secoua la tête et esquissa un geste vague en direction du rideau de végétation.

— Je ne sais pas, Professeur… C’est cette forêt… J’aurais juré qu’elle n’était pas là lors de ma dernière ascension.

— D’après mes observations, fit Equinox en renouant avec le ton professoral qu’il affectionnait, une forêt ne met jamais que quelques décennies à se former. Voire quelques siècles. Vous devez faire erreur.

Il coupa un morceau de liane qui courait à ses pieds et le glissa dans sa poche.

— Je suis certain de ce que j’avance, insista Thorpe. C’est très curieux.

Equinox avait bien son idée, mais il la garda pour lui.

— J’analyserai cet échantillon dès mon retour à Londres. À première vue, c’est vrai, je ne reconnais aucune des espèces qui la composent… Si nous voulons atteindre le sommet, nous devrons pourtant la traverser. Nous n’avons guère le choix. Poursuivons, voulez-vous ?

— Vous êtes éreinté, Dexter.

— Non, non… Je vais bien. Je vais bien, je vous assure.

— On devrait camper ici jusqu’au matin. Cela ne me dit rien de m’y risquer à la seule lumière des torches.

— Le temps nous est compté, Thorpe, rechigna Equinox. Mes commanditaires sont pressés…

— J’entends, mais je suppose qu’ils désirent nous voir revenir en vie, pas vrai ?

Devant la moue du vieux savant au visage empourpré par la chaleur, il se résigna. Il désigna les deux indigènes les plus proches et indiqua dans leur dialecte ce qu’il attendait d’eux.

— Allez en éclaireurs. Pas trop loin. Juste histoire de voir s’il y a un sentier praticable…

Les deux Kikuyus eurent un mouvement de recul, pas très prompts à s’exécuter.

— Dites-leur que je paierai double cette journée, insista Equinox.

Thorpe traduisit, et il obtint que les deux hommes s’approchent de la lisière. Après bien des hésitations, et peut-être afin de ne pas passer pour des lâches auprès de leurs congénères, ils s’enfoncèrent sous le couvert. Il s’écoula plusieurs minutes durant lesquelles la nuit resserra son étau sur les environs. Discrètement, Thorpe fit glisser son fusil de son épaule.

— Curieux endroit, concéda Equinox, mains sur les hanches. Ce silence, dans un lieu aussi sauvage… Vous avez raison. Il serait peut-être plus avisé d’attendre le matin.

Il ne put achever sa phrase. Des tréfonds de la forêt, un cri de terreur avait jailli, aussitôt suivi d’un tumulte de broussailles secouées. Les porteurs reculèrent de frayeur. Thorpe mit machinalement son fusil en joue et se rapprocha de la lisière. Il lança des appels en swahili, sans obtenir de réponse. Il allait s’engager à la recherche des éclaireurs quand l’un d’eux reparut subitement entre les branchages, les yeux agrandis d’effroi.

— Danger ! eut-il le temps de s’époumoner. Danger, bwana !

Juste avant qu’une liane ne s’enroule autour de son corps et ne le happe littéralement à l’intérieur de la forêt. À la vue de cette scène de cauchemar, les porteurs se délestèrent de leurs ballots et détalèrent. Thorpe tira en l’air afin de les faire revenir, en pure perte.

— Par tous les saints ! s’exclama le professeur Equinox en désignant la forêt. Cet homme… Qu’y a-t-il là-dedans ?

— À vous de me le dire ! rétorqua le guide. Pour quelle raison seriez-vous ici, sans cela ?

— Il faut sauver ces malheureux !

— Allez-y, ne vous gênez pas.

Des mouvements se produisirent à l’intérieur de la masse de végétation. Les deux Européens sentirent leur gorge se dessécher. Conscients qu’un danger se rapprochait, ils reculèrent de plusieurs pas.

— Avons-nous fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? interrogea Equinox.

— À votre avis ? répliqua Thorpe. Je vous avais prévenu. Nous sommes sur un territoire interdit. S’il est interdit, ce n’est pas sans une bonne raison. Je n’irai pas plus loin.

— Il le faut, cependant ! persista Equinox.

— À vous l’honneur, Professeur.

Sur ces paroles, Thorpe n’attendit pas son reste et fila.

Equinox hésitait encore. Le sort des deux indigènes le tourmentait.

Et puis, il entendit du bruit en provenance de la lisière. Des pas. De grandes enjambées qui convergeaient vers lui. Des hommes.

Equinox oublia tout sentiment humaniste. Il ne songea qu’à sauver sa peau et commença à courir, sans pouvoir s’empêcher de regarder par-dessus son épaule, cédant à son insatiable curiosité scientifique.

Et il les aperçut.

Les gardiens du Tswamba Salu à la peau ligneuse et blême, d’une taille supérieure à un être humain ordinaire, et même d’un guerrier massaï… Ainsi, ils n’étaient pas une légende. Ces fantômes longilignes se déplaçaient sans un bruit, armés de longues sarbacanes.

Rassemblant son swahili, Equinox leur lança :

— Mimi kuja kama rafiki ! Je viens en ami ! En ami !

En guise de réponse, une clameur sauvage s’éleva dans la nuit, dont il douta qu’elle fût issue d’une gorge humaine. Le savant abandonna toute idée de fraternisation. Il tourna les talons et s’enfuit à toutes jambes. De longues fléchettes sifflèrent à ses oreilles, ce qui ne fit qu’ajouter à sa panique.

Il dévala la pente, le cœur dans la gorge.

— Thorpe ! hurla-t-il. Thorpe ! Au secours !

Le professeur courait le long du sol pentu en songeant à tous les efforts consentis. Tout cela pour finalement rebrousser chemin. Il en éprouva un sentiment d’amertume qui mêla une bordée d’injures à son sanglot.

Derrière lui, les géants livides se rapprochaient sur cet étroit chemin bordé d’un à-pic. Ils bondissaient dans la nuit, tels des démons. Equinox n’avait plus de souffle. Ses genoux se dérobaient. Il songea qu’il achèverait sa carrière pitoyablement, loin de ses paillasses et de ses alambics.

Ce serait donc son dernier voyage. La dernière étude du professeur Dexter Equinox.

Une étude en rouge.

Il rédigeait mentalement son épitaphe quand un curieux phénomène se produisit.

Un grondement puissant emplit le silence de la montagne et, descendant du ciel, un dragon fendit les nuées en crachant une boule de feu dans la nuit. Sa masse puissante au faciès grimaçant frôla la paroi de la montagne et dans ce vacarme, une voix atteignit les oreilles du savant.

— Prenez ma main, vieil idiot !

1 Ethnie du Kenya.

2À fond les gaz, Monsieur Profit !

En un éclair, Equinox saisit la main tendue, et avant de comprendre ce qui lui arrivait, il fut tiré dans les airs avec une vigueur surhumaine. Il retomba sur un plancher en osier, le souffle court, mais sauf. Le dragon effleura la paroi de la montagne avant de s’en écarter dans un bond violent et de reprendre de l’altitude. À bien y regarder, il ne s’agissait pas d’un de ces fabuleux animaux de légende, mais d’un imposant dirigeable dont la proue en bois sculpté évoquait une gueule grimaçante. De part et d’autre de ce vaisseau aérien tournaient quatre hélices horizontales de belle taille qui venaient en aide à l’imposant ballon de forme oblongue chauffé par un puissant brûleur. Equinox n’avait jamais vu un tel engin, et la stupeur qui se peignit sur son visage fit éclater de rire l’homme qui, au prix de sa vie, suspendu à un filin, l’avait halé à l’intérieur.

— Bienvenue à bord, Professeur !

Il était vêtu d’une djellaba bleu nuit et d’un teguelmoust noir, ce voile typiquement berbère, qui masquait le bas de son visage. Sanglée dans son dos, une fine arbalète laissait dépasser sa crosse.

— Vous ! s’exclama Equinox en le reconnaissant.

Il avait déjà rencontré ce singulier personnage déguisé en Bédouin à Mombasa, dans une taverne, où il gagnait un peu d’argent en dansant la gigue sur les tables. Il était bien le dernier qu’il se serait attendu à voir voler à son secours. Voler étant le mot parfait pour décrire la situation.

— À fond les gaz, Monsieur Profit ! lança le mystérieux sauveteur.

À peine l’ordre lancé, le pilote de l’engin, un solide rouquin vêtu de tweed écossais qui se tenait à la barre, actionna des manettes et modifia l’altitude. Tant d’efforts avaient coûté au professeur Equinox. Il eut un spasme et crispa une main sur sa poitrine. Comprenant qu’il faisait un malaise, le Bédouin sortit une fiole de sa ceinture et la porta aux lèvres de son patient.

— Buvez ça, ordonna-t-il.

Equinox obéit, au prix d’une grimace de dégoût.

— Je sais, c’est infect, compatit son sauveur. C’est la poudre de cafard pilé qui donne ce goût bizarre, mais ça vous remet un mort debout.

Joignant le geste à cette assurance, il en avala une gorgée, claqua la langue et s’esclaffa.

— Vous en voulez, Profit ?

— Non, merci, baron. Gardez vos philtres de sorcière et trouvez-moi une bière fraîche.

— Je le ferai, mon ami, dès que nous serons rentrés à Mombasa…

De fait, Dexter Equinox reprit peu à peu ses sens. Le ronflement régulier du brûleur autant que le calme apparent des deux personnages qui l’avaient arraché aux griffes de la Montagne Cannibale le convainquirent qu’il était désormais en sécurité. À une certaine hauteur, mais en sécurité.

Pour autant, il avait du mal à cerner la situation.

— Par tous les saints, comment m’avez-vous trouvé, Crusader ?

Parsifal Crusader abaissa son litham, dévoilant un visage encore juvénile et bien modelé, barré d’une fine moustache qui suivait le pli de sa lèvre supérieure. Le front et les pommettes bien marquées tendaient vers l’énergie plutôt que la contemplation. Les yeux noirs disaient la beauté des choses vues et déjà, l’amertume des peines de la vie. Dans son entier, le visage au teint mat était d’une beauté presque orientale, et non conforme à celle en vogue dans les salons et à la Une des magazines.

— Vous êtes indécrottable, Professeur, lança Parsifal sur un ton de reproche à peine voilé. Ne vous avais-je pas mis en garde contre le Tswamba Salu ? Que diable cherchez-vous là-bas ?

— Vous le savez, je suppose… rétorqua le savant.

— En effet, et c’est pourquoi je ne commets pas la folie de m’y aventurer. Toutes les légendes ne sont pas que racontars. Où est votre guide, Thorpe ? Où sont vos porteurs ?

— Tout le monde s’est enfui. Nous avons perdu deux hommes. Ils ont été… tués. Cette jungle qui tapisse le flanc de montagne, c’est… C’est abominable…

— Navré de vous interrompre, lança Nick Profit depuis la barre, mais quelque chose ne va pas. J’ai beau faire, nous sommes tirés par le bas !

— Les vents d’altitude qui nous font défaut, diagnostiqua Parsifal.

Nick Profit, solide Irlandais à l’accent rocailleux, vêtu comme s’il sortait d’un pub mal famé, renfonça sa casquette sur l’oreille et se répandit en rouspétances acerbes. Il s’activa sur les manettes et les hélices se mirent à tourner encore plus vite. Cependant, l’aéronef continuait sa descente inexorable. La plaine hérissée d’acacias devenait bien visible.

— Désolé de vous contrarier, baron, insista Profit, mais nous avons un problème de surcharge ! Rien d’autre.

Parsifal bondit sur ses pieds. Il scruta d’abord l’intérieur du ballon, mais n’y détecta aucune déchirure. Il se pencha alors par-dessus le bastingage emmailloté de cuir usé et une exclamation de stupeur lui échappa. Deux indigènes à la peau terreuse remontaient le long des filins d’amarrage qui s’étaient déroulés incidemment pendant l’opération de sauvetage. À quel moment étaient-ils parvenus à s’y accrocher, mystère, mais à présent, sarbacanes entre les dents, ils se hissaient pouce après pouce en direction des voyageurs et leurs intentions ne faisaient aucun doute.

Face au péril, Parsifal n’eut aucun état d’âme. Il détela son arbalète à double détente de son épaule et visa.

— Coupez plutôt ces maudits filins ! conseilla Profit.

— Vous n’y pensez pas ? se récria le jeune aventurier. C’est un cadeau de la princesse Kouroubari ! Il y a une mèche de ses cheveux dans chacun d’eux !

— Elle nous dira merci en sachant qu’ils ont été sacrifiés pour sauver notre peau.

À regret, Parsifal se rendit au bon sens de son compère et tira la dague courbe passée à sa ceinture. D’un geste sec, il trancha les cordes et les géants blêmes disparurent dans la nuit. Libéré du surpoids, le dirigeable reprit aussitôt de l’altitude.

— Qui étaient ces hommes, Professeur ? interrogea Parsifal. À quelle tribu appartiennent-ils ?

— Je l’ignore et c’est la vérité, assura Equinox.

Crusader lui adressa un regard réprobateur, comme s’il possédait une réponse personnelle à cette énigme, qu’il préféra garder pour lui. Il se porta auprès du pilote irlandais.

— Nous n’atteindrons pas notre camp de base avant demain soir, Profit. Je prends la barre. Allez dormir un peu.

— Pas de refus. Parlez-moi encore d’expédition nocturne ! Si elle ne se termine pas dans un pub, inutile de compter sur moi à l’avenir.

3Explications et mystères

Les vents contraires retardèrent le Dragon de Mangalore, et il ne se posa sur les bords du lac Manyara que le surlendemain. Equinox ne fut pas fâché de sentir le fond de la nacelle racler l’herbe rase. Une fois l’engin immobilisé, il ne se priva pas d’être le premier à reprendre contact avec la terre ferme. Le lieu était enchanteur, en bordure de la vaste étendue d’eau, dans une enclave de verdure adossée à une falaise de sable où nichaient des oiseaux. Une tente primitive tendue sur des branchages, un cercle de pierres pour délimiter le foyer, c’était ce que Parsifal Crusader appelait son « camp de base ».

Il n’était pas désert. Un clan de Kikuyus y avait élu domicile pour un temps, dont les membres s’étaient réunis en cercle à l’approche de l’aérostat.

Parsifal laissa à Profit le soin de l’extinction du brûleur et des tâches d’amarrage – il fallut emprunter des cordes en liane aux indigènes afin d’y pourvoir – et partit saluer celui qui semblait le chef de la petite communauté, un grand Africain entre deux âges à l’air affable.

— Karibu, kuona wewe !2 lança ce dernier en swahili. Vous avez réussi ? Vous avez sauvé vos amis ?

Tout en lui donnant une chaleureuse accolade, Parsifal ne lui cacha pas sa déception.

— Ce n’étaient pas mes amis, Shomari, juste des gens qu’il fallait sauver. Et comme tu vois, il n’y a qu’un seul survivant.

— Les femmes t’ont vu arriver de loin. Elles ont fait à manger. Tu as faim ?

— Ce ne sera pas de refus.

Parsifal Crusader se laissa tomber près du feu sans cacher sa lassitude. Il dénoua son teguelmoust, dévoilant ses cheveux lisses d’un noir corbeau. Equinox et Profit ne tardèrent pas à le rejoindre. Shomari leur apporta des écuelles remplies d’un brouet de maïs relevé avec des épices.

— Asante, remercia Parsifal. Dis à tes amies que j’apprécie.

Il salua le groupe de femmes vêtues de tuniques qui l’observaient en dissimulant leurs sourires radieux – et un peu moqueurs – derrière le paravent de leurs mains. Sans se formaliser de l’absence de couverts, Parsifal plongea ses doigts dans la gamelle et mangea avec avidité. À ses côtés, Profit le regarda faire avec dégoût.

— Vous devriez manger, conseilla Parsifal.

Son associé déclina.

— Non, je préfère attendre le prochain endroit civilisé où on me cuira un steak. Un steak de n’importe quoi, mais un steak. Ces grumeaux, je vous les laisse…

— C’est pourtant mangeable, confirma Equinox.

Parsifal se hâta de vider son écuelle, se lécha les doigts, puis posa la question qui lui tenait à cœur depuis deux jours.

— Que recherchiez-vous précisément sur le Tswamba Salu, Professeur ?

— Je poursuivais des recherches.

— De quelle nature ?

— Je ne suis pas certain que le fait de m’avoir probablement sauvé la vie vous autorise à me questionner de la sorte, jeune homme.

— J’ai vu de près les indigènes qui tentaient de s’accrocher à notre dirigeable, enchaîna Parsifal sans s’émouvoir. Je n’en avais jamais aperçu de cette ethnie. Je parierais qu’il s’agit de cette tribu légendaire, dont même les Massaïs parlent avec terreur. Les Guerriers-Lune. Les invincibles gardiens de la Montagne Cannibale.

— Shujaa Mwezi, intervint Shomari d’une voix inquiétante. Ils ne sont pas une légende. Ils existent. Des géants venus d’ailleurs, à la peau de cendre, comme la surface de la lune.

— Je ne suis pas étonné qu’un type comme Thorpe ait accepté de vous mener dans cet endroit, Professeur, releva Parsifal. Il ne crache jamais sur quelques billets. En revanche, je suis curieux de savoir comment vous avez convaincu une équipe de porteurs kikuyus de vous accompagner.

— Tswamba Salu est un endroit ju-ju pour nous, indiqua Shomari. Tabou.

— Cela m’a coûté un troupeau de chèvres, concéda Equinox. Et tout ce que je peux en dire, c’est qu’ils ont fui, ainsi que Thorpe. J’ignore ce qu’ils sont devenus.

Parsifal n’éprouvait aucune compassion à son égard. Il n’avait que peu de sympathie pour ceux qui s’imaginent pouvoir dominer la nature et négliger les conseils de bon sens.

— Quand nous nous sommes rencontrés à Mombasa, Professeur, rappela-t-il, je vous ai mis en garde contre votre idée d’escalader le Tswamba Salu. Pourquoi ne pas m’avoir écouté ?

— Monsieur Crusader, je suis chargé d’une mission : recueillir des échantillons d’une espèce végétale inconnue. Je suis biologiste, voyez-vous. Je poursuis mes travaux, quels qu’en soient les risques.

Ce langage parlait à Parsifal, lui-même tête brûlée notoire. Il changea d’avis au sujet du savant. C’était un idéaliste, un illuminé comme il l’était lui-même, avec la fièvre de la découverte chevillée au corps.

— Vous êtes britannique. Vous travaillez pour le British Museum ? s’enquit Parsifal.

— Oui… J’entends leur faire part des résultats de mes recherches dès mon retour. À défaut de rapporter des échantillons, je peux leur faire part de mes observations.

Le jeune aventurier eut l’impression qu’il ne disait pas toute la vérité, mais pour l’heure, il estima que cela n’avait pas grande importance. Il se tourna vers Profit.

— Moi aussi, je rentre à Londres.

L’Irlandais ne cacha pas son étonnement – ainsi qu’une joie mal contenue.

— Comment ? Vous renoncez à retourner sur le Tswamba Salu ?

— Dans l’immédiat. Une affaire urgente me rappelle dans le monde civilisé.

— Ce télégramme que nous avons reçu à l’hôtel avant notre départ ? soupçonna Profit.

— Tout juste. Et puis une promesse faite à un ami cher. Celle de ne jamais m’aventurer sur la Montagne Cannibale.

— Ce n’est pas moi qui vous contredirai, se réjouit Profit. L’air pollué de Londres me manque trop. Mes poumons ont soif de fumée de charbon.

— Mais… plaida Equinox. Thorpe est peut-être encore là-haut. Blessé, ou pire. Que faites-vous de la valeur de la vie humaine ?

Parsifal sonda son interlocuteur d’un regard pénétrant.

— C’est une question qu’il aurait fallu vous poser au moment de décider de votre expédition, Professeur. Suivez mon conseil. Abandonnez votre étude sur le Tswamba Salu. Vous n’aimerez pas ce que vous risquez de découvrir. Thorpe n’est pas mon ami. Il savait à quoi il s’exposait.

— J’ai entendu parler de vous, Crusader, répliqua le savant, outré par cette indifférence. La presse vous dépeint comme un aventurier dépourvu de conscience. J’ai également lu vos carnets de voyage. Selon mon opinion, ils renferment beaucoup d’invraisemblances.

Parsifal se contenta de hocher la tête.

— C’est en effet ce qu’en pensent les barbons de la Royal Geographic Society, et pourtant, ces cartes modernes que vous avez utilisées pour arriver jusqu’ici, j’ai contribué à les dessiner.

— Vous avez peur de quelque chose à Tswamba Salu, soupçonna Equinox. Quoi ?

— De la même chose qui vous fait garder le silence sur la véritable raison de votre présence.

Estimant qu’il n’y avait rien à ajouter, Parsifal se glissa sous la tente et s’étendit sur la couchette de paille qui l’attendait. Profit ne tarda pas à le rejoindre. Il ôta sa veste à carreaux qu’il mit en boule sous sa tête en guise d’oreiller.

— Baron ?

— Quoi ?

— Juste… Je me serais plutôt attendu à ce que nous retournions voir ce qu’il se passe exactement sur cette fichue montagne. Ce n’est pas dans vos habitudes de renoncer à un défi. D’ordinaire, plus il est impossible, plus il vous excite. C’est ce télégramme, vraiment ?

Parsifal exhala un soupir, où perçait une vague frustration.

— Oui. À Londres aussi, je dois sauver quelqu’un. En dépit de sa volonté.

2 Bienvenue, content de vous revoir.

4Galanteries

Londres, cinq semaines plus tard.

— C’était ennuyeux au possible. Je ne comprends pas que tu trouves le moindre intérêt à ces cris de chouette.

Parsifal Crusader s’ébroua. Il avait l’esprit ailleurs. Malgré lui, le morne défilé des rues derrière la vitre du fiacre s’était estompé pour céder la place à une savane aride où se dressaient çà et là des acacias rougeoyant dans le couchant. Et, en arrière-plan, le Tswamba Salu, auréolé de cette brume énigmatique qui ne dévoilait jamais son sommet.

— Quoi ? Mozart en chouette ? réagit-il.

— Parsi, tu ne m’écoutes même pas… Ta tête est restée en Afrique, mon ami.

L’aventurier dévisagea Augustina Carrington qui, pour appuyer son reproche, avait délicatement posé sa main gantée sur sa cuisse.

— Je sais la vérité, lui souffla-t-elle dans le creux de l’oreille.

— À quel propos ?

— Ton retour précipité.

— Mozart est un abîme d’angoisse sous les apprêts d’un gentilhomme, préféra-t-il éluder. Que l’on gratte la poudre et le maquillage, et c’est un visage tordu par l’effroi que l’on découvre… Mozart plaisante et badine, rit à gorge déployée puis, brusquement, un nuage passe… La réalité crue du monde ébranle son univers. Voilà Mozart.

Augustina leva les yeux au ciel, retira sa main audacieuse et retroussa son charmant petit nez en faisant mine de regarder ailleurs.

— C’est ce que je disais. Tu n’es pas ici, pas avec moi.

— Si, mon cœur, je t’assure.

Parsifal se tendit vers elle, mais ne rencontra qu’un mur d’indifférence.

Augustina Carrington, héritière de la banque Carrington, était une adorable personne, fraîche et attirante. Sa bouche en cœur était l’ornement suprême d’un visage lisse et rond aux yeux bruns rieurs, qui donnait à quiconque envie d’y déposer un baiser. Elle n’appartenait pas au monde de Parsifal. Elle vivait des largesses de son père, fréquentait les salons et se gavait de potins. Il avait fait sa connaissance par hasard, lors d’une soirée où la notoriété du jeune homme, acquise dans le domaine de la course en ballon, lui avait valu la remise d’un trophée.

De retour depuis peu, Parsifal n’avait pas envie de se fâcher avec celle dont il s’était entiché dès la première poignée de main. Il se rapprocha encore, à la manière galante, et embrassa la base de sa nuque imprudemment découverte.

— Arrête ça, tu vas me décoiffer. Mon père va encore avoir des soupçons.

— Ton père a des soupçons depuis le jour où je lui ai été présenté. C’est sûrement la raison pour laquelle il a l’intention de te faire épouser Sir Charles…

Augustina le dévisagea avec une stupeur qui n’était pas feinte.

— D’où tiens-tu cela ?

— De mes informateurs.

— Tes… informateurs ? Ici ? À Londres ? Tu me fais surveiller ?