Le tombeau de Joshué - Michel Honaker - E-Book

Le tombeau de Joshué E-Book

Michel Honaker

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Beschreibung

Entre une enquête sur un vol et la recherche d’un mystérieux prophète, Parsifal Crusader nous entraine dans une nouvelle aventure extraordinaire !

Syrie, 1890. Qui a volé la couronne du Christ, joyau du Trésor de Notre-Dame de Paris, alors qu’elle devait être exposée au British Museum ?

Des palais de Venise au désert de Syrie et l’antique cité d’Ugarit, Parsifal Crusader part à la recherche du mythique tombeau de Joshué où, selon la légende, reposerait un prophète aux mystérieux pouvoirs.

Sur fond de sombres tractations politiques internationales, l’aventurier anglais se frotte aux fondements originels du christianisme.

Un second tome empli de mystères à dévorer sans modération !

EXTRAIT

An de grâce 1239, quelque part dans les Alpes.
Les montagnes marbrées de neige avaient disparu dans le ventre des énormes nuages venus du nord. Un vent glacial s’était levé, remontant de cet abîme que la colonne de pèlerins longeait depuis des heures. À peine si ces hommes en long manteau de jute, capuchon abaissé sur le front, distinguaient encore la route, cette simple lèvre de roche accrochée à flanc de paroi. Ils avançaient pourtant, l’échine courbée, escortant un lourd chariot bâché tiré par deux mules. Les bêtes effrayées renâclaient. Leurs sabots glissaient sur la pente. Au premier écart, elles verseraient dans le vide, emportant leur chargement.
Et cela, le chef du convoi le redoutait plus que tout.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Michel Honaker signe son premier roman Planeta non grata en 1978, un récit de science-fiction fantastique. Il écrit une trentaine de romans pour adultes avant de se tourner vers la littérature jeunesse où il s'impose comme auteur de récits d'aventures ou fantastiques : La Sorcière de midi, Le Prince d'Ebène, Croisière en meurtre majeur font rapidement de lui un auteur à succès. Il reçoit de nombreux prix dont le Totem au salon du livre et de la presse jeunesse en 1993 pour Croisière en meurtre majeur. Tout en restant fidèle au fantastique et à l'imaginaire, il explore aussi bien le genre policier qu'historique, et publie en outre neuf biographies de compositeurs de musique classique. Honaker est un autodidacte qui aime composer des personnages sombres et inquiétants, complexes dans leurs relations. À ce jour auteur de plus d'une centaine d'ouvrages, il est traduit dans une douzaine de langues, dont le chinois et le russe.

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PrologueLe convoi secret

An de grâce 1239, quelque part dans les Alpes.

Les montagnes marbrées de neige avaient disparu dans le ventre des énormes nuages venus du nord. Un vent glacial s’était levé, remontant de cet abîme que la colonne de pèlerins longeait depuis des heures. À peine si ces hommes en long manteau de jute, capuchon abaissé sur le front, distinguaient encore la route, cette simple lèvre de roche accrochée à flanc de paroi. Ils avançaient pourtant, l’échine courbée, escortant un lourd chariot bâché tiré par deux mules. Les bêtes effrayées renâclaient. Leurs sabots glissaient sur la pente. Au premier écart, elles verseraient dans le vide, emportant leur chargement.

Et cela, le chef du convoi le redoutait plus que tout.

Robert Baudry était un grand gaillard au visage façonné par les batailles et les privations, dont les tempes grisonnantes disaient le temps passé sous l’armure. Quand il n’encourageait pas ses compagnons, il interrogeait du regard les lacets du chemin interminable qui s’ouvrait devant eux. Cet itinéraire solitaire, s’il avait le mérite de la discrétion, était le pire qui soit pour une telle équipée. Mais le chargement dissimulé sous la bâche était trop précieux pour être convoyé par les routes ordinaires.

Baudry soupira. Arriveraient-ils jamais à destination, lui et les siens ? Il en doutait parfois, même s’il se gardait d’en faire état. Tant d’embûches s’étaient dressées sur leur route depuis leur départ de Venise…

Et maintenant, cette tempête qui obscurcissait tout…

C’était comme si le diable en personne l’avait envoyée.

Baudry pria dans le secret de son âme. Il invoqua la bienveillance du Seigneur pour accomplir cette dangereuse mission dont l’avait chargé le roi de France Louis IX, que le peuple surnommait Saint Louis. Baudry ne craignait pas la mort, seulement le renoncement, et les pèlerins qui le suivaient n’étaient pas moins résolus… Étonnants pèlerins piétinant sur ces hauteurs désolées qui, à bien y regarder, portaient épée et cottes de maille sous leurs manteaux grossiers. Si tous étaient pieux, ils n’en étaient pas moins parés pour affronter un ennemi.

— Hubert ! héla-t-il dans la tourmente. Hubert, par ici !

Bréval, son aide de camp, se porta aussitôt à sa hauteur en grelottant.

— Seigneur ?

Baudry désigna un point au-dessus de leur tête.

— Vous avez la vue perçante, cousin ! N’est-ce pas le col que j’aperçois enfin ?

Une trouée sombre apparaissait en effet entre les pans de granit, dont il était difficile de dire s’il s’agissait d’une ombre ou d’un passage.

— Voulez-vous que j’aille en éclaireur, messire ?

— Certes, car si c’était le col, nous aurions atteint la limite du royaume… ou presque ! Nous serions de retour chez nous.

Baudry suivit des yeux le jeune chevalier qui s’éloignait dans les tourbillons. La perspective de retrouver sa patrie lui redonnait courage. Toutefois, il se refusa tout ­triomphalisme. Tant qu’ils ne seraient pas en territoire sûr, il conviendrait d’ouvrir l’œil. Il ne tenait pas pour négligeables les renseignements des espions royaux. Des ennemis convoitaient le coffre de fer cadenassé qui dormait sous la bâche. Tant de légendes couraient à son sujet…

Un loup hurla et son appel déchirant fut repris par l’écho. Les mules effarouchées dérapèrent, les yeux révulsés. L’une d’elles plia les jarrets. Le précieux chariot fit une embardée, ses roues débordant sur le précipice. Comme un seul homme, les chevaliers se portèrent sur le côté pour faire opposition avec leurs corps. Le sol se déroba sous l’un d’eux. Il battit des bras, cherchant à se retenir. Des mains inutiles se tendirent. Sa bouche s’ouvrit sur un cri muet. Rien qu’un instant se lut dans ses yeux une lumineuse résignation avant qu’il disparaisse dans le gouffre tourmenté, petite croix noire emportée par le vent.

À peine si le drame détourna ses compagnons de leur tâche pour rétablir l’équilibre du chargement. Baudry unit ses forces aux leurs. Plutôt mourir qu’échouer. L’attelage retrouva un appui ferme et des louanges franchirent le seuil des lèvres gercées.

Le convoi repartit.

Bréval reparut sur ces entrefaites, couvert de neige et haletant, mais empli d’une exaltation qui tranchait avec les expressions défaites de ses compagnons d’arme.

— Le passage, seigneur ! C’est bien lui. Plus bas, j’ai aperçu le vieux monastère qui figure sur la carte.

La compagnie se réjouit en silence et poussa son chariot de plus belle entre deux flancs rocheux couleur de charbon qui se rétrécissaient. Comblé de neige, le col était juste assez large pour permettre le passage, si bien que les hommes durent encore manœuvrer.

C’est alors qu’ils le distinguèrent au­-dessus d’eux, encastré dans une entaille de roche : un Christ en bois au front ceint de la couronne d’épines, à l’expression miséricordieuse qui, du haut de sa croix, abaissait un regard de compassion sur les voyageurs frissonnants.

Cette vision apparut comme un présage bienveillant à ces moines-chevaliers. Ils se signèrent et à cet instant, curieusement, les bourrasques s’apaisèrent.

Le chariot était passé.

— Regardez, seigneur, indiqua Bréval. Le voici. Le monastère de saint François.

Baudry aperçut en contrebas une masse noirâtre. C’était bien le refuge espéré… Il fit signe à ses compagnons de fournir un ultime effort. Il fallait encore retenir le chariot sur la pente gelée et l’orienter vers l’entrée de la cour.

Le monastère n’était que ruines émergeant du linceul neigeux. Des franciscains avaient autrefois habité cet édifice solitaire, pour méditer sur la vanité du monde. La rigueur des hivers, la menace des brigands et des loups, avaient fini par les en chasser. Si ces murs avaient jadis résonné de leurs prières, le vent seul y faisait désormais entendre sa voix lugubre.

Baudry fit aménager un camp sommaire parmi les éboulis et quelques croix éparses, témoins que cette place avait aussi été cimetière. Lui et les siens étaient trop épuisés pour s’en formaliser. Dormir était la première nécessité. À l’aube, on repartirait, en espérant que le soleil illuminerait la route.

Baudry s’agenouilla au pied du chariot bâché, imité par ses compagnons… à l’exception de Bréval, qui resta ostensiblement à l’écart. Comme ce n’était pas dans ses habitudes, car il était dévot dans l’âme, le chevalier, sa prière achevée, s’adressa à lui avec étonnement :

— Qu’y a-t-il Hubert ?

— Je m’interrogeais, cousin.

Bréval était jeune, au tempérament enflammé. Il avait bataillé à ses côtés en Terre sainte avec une bravoure qui avait forcé son admiration. Son aîné n’était pas surpris qu’il fût rongé par les doutes.

— À quel propos ?

— Et s’il n’y avait rien dans cette caisse ?

— Quelle étrange idée !

— Mon avis, c’est que nous devrions l’ouvrir pour nous en assurer.

— Je n’ai pas le pouvoir de briser les sceaux apposés à notre départ. Seule Sa Majesté en dispose.

— Quand je songe que cette relique ­séjourne dans un si piètre écrin. Un réceptacle d’or massif lui conviendrait davantage.

— Le Christ buvait dans une coupe en bois, cousin. Il dédaignait les ors et la richesse. Je crois qu’il se serait accommodé d’un tel transport. L’unique couronne dont on ceignit son front fera de même. Songez qu’à Paris, une chapelle à elle seule consacrée l’attend. Allez dormir, Hubert. Vous êtes épuisé.

À cet instant, un cri d’alarme résonna dans l’enceinte du monastère.

— Nous sommes attaqués !

En un clin d’œil, les moines-chevaliers tirèrent leurs épées et s’assemblèrent autour du chariot pour faire rempart de leurs corps. Au même instant, des hommes vêtus de peaux de loup, sales et hirsutes, bondirent par-dessus les murets. Brigands ou barbares, peu importait. Leurs intentions de pillage n’étaient que trop claires.

— On ne recule pas ! ordonna Baudry. Protégez le chariot ! Que nul n’en approche !

Les compagnons levèrent leurs lames et les assaillants se brisèrent dessus telle une vague sur une barrière de rochers. Quoiqu’inférieurs en nombre, les chevaliers français démontraient une puissance spectaculaire, aguerris qu’ils étaient par les batailles menées en Palestine, parfois sous les murs de Jérusalem. Ils luttèrent pied à pied, tels de nobles cerfs assaillis par une meute de loups. Le sol enneigé ne tarda pas à se maculer du sang des malandrins dont les cadavres s’amoncelaient.

Profitant de ce que les siens avaient leur attention détournée, Bréval avait écarté la bâche du chariot et grimpé à l’intérieur. Il n’avait même pas tiré l’épée. La lutte furieuse lui semblait étrangère. Il tira une lourde clé de sa poche et s’affaira sur l’énorme cadenas qui fermait la caisse enchaînée.

Il n’en vint pas à bout.

Baudry l’avait repéré et délaissé le combat quasiment remporté pour se glisser derrière lui sans qu’il l’entende.

— Vous ! s’exclama-t-il. C’est vous qui avez renseigné ces gueux sur notre route ! Éloignez-vous de ce coffre !

— Jamais. Vous ne savez rien de ce qu’il contient. Rien.

— Avez-vous perdu toute raison ?

Bréval fit mine de n’avoir pas entendu et s’acharna sur le verrou.

En le voyant ainsi, comme possédé, Baudry poussa un cri de colère et l’assomma avec la poignée de son épée. Son cousin roula sur le plancher avec une plainte.

— Dieu vous maudisse, vous et le roi, ­murmura-t-il. Cette couronne n’est pas pour vous. Ni pour être conservée dans une chapelle. Elle peut offrir la vie éternelle, entendez-vous ? La vie éternelle…

Et sur ces paroles énigmatiques, il perdit conscience.

1Coups de feu dans les dunes

Désert de Syrie, mars 1890.

Bras croisés derrière la nuque, mâchonnant un brin d’herbe, Nick Profit était étendu au cœur d’une prairie verdoyante, indiscutablement irlandaise. Il apercevait des moutons légers sautillant dans la lande, au pied d’une falaise. Le vent caressait ses joues fraîchement rasées et jouait dans ses cheveux roux. Mieux, une délicieuse danseuse mauresque, dont le voile lissait à peine le charmant visage, ondulait à ses côtés en l’éventant avec une palme. À portée de gobelet, un tonneau de bière fraîche épanchait sa mousse… C’était l’un de ces rêves irréels et délicieux dont personne ne souhaite voir la fin.

Hélas, quelque part au milieu de ce décor de peintre, une pétarade éclata et Profit s’ébroua.

Le menton appuyé sur son poing, il regarda autour de lui avec un air hébété. Le ciel. Rien que ce ciel bleu et brûlant sur lequel se découpait l’enveloppe du dirigeable à hélices. Le ronronnement des brûleurs revint se loger dans le creux de ses oreilles et ­l’Irlandais pesta. Il n’en avait donc pas encore fini avec cet interminable voyage. Comme il eût préféré demeurer dans les vertes prairies de son pays imaginaire…

Il passa la langue sur ses lèvres desséchées, éprouvant ainsi le piquant de sa barbe de plusieurs jours. Une grimace de lassitude effleura ses lèvres. La chaleur, la monotonie du désert avaient eu raison de sa résistance. Il avait sombré dans une somnolence pâteuse dont il peinait à émerger.

Il but un peu d’eau à l’outre suspendue à ses pieds et en proposa à son compagnon vêtu d’une djellaba bleu nuit qui se tenait à la barre.

— Vous voulez boire, baron ?

Parsifal Crusader fit un signe négatif de la tête. Inflexible et vigilant en dépit de la canicule, il dirigeait le vaisseau des airs sans le moindre à-coup. Le litham noir abaissé sur son menton laissait voir ses traits rugueux en dépit de leur jeunesse. Une moustache finement taillée surplombait sa lèvre supérieure. Son regard sombre fixait un point droit devant lui, dont il ne déviait pas.

— Il se passe quelque chose ? soupçonna Profit.

— Laissez-moi deviner, s’amusa Parsifal. Vous rêviez d’un paysage herbeux et d’un alignement de tonneaux de bière… Je me trompe ?

— Vous avez même tout faux, répliqua ­l’Irlandais avec la plus touchante des mauvaises fois.

— La bouche ouverte et les yeux fermés, salivant comme un crapaud dans son étang… commenta son ami. Alors vous deviez songer à votre prochaine invention…

— Pour rêver, il faut dormir, et je ne dormais pas. Je méditais.

L’Irlandais se pencha par-dessus la nacelle afin d’examiner l’étendue sans fin du reg qu’ils survolaient à basse altitude, dont les confins se perdaient dans l’horizon tremblant.

— Aussi plat qu’une galette de sésame, constata-t-il. Vous n’avez pas entendu une sorte de pétarade ?

Pour toute réponse, Parsifal darda son index droit dans la direction vers laquelle ils filaient à belle allure. L’Irlandais plissa les yeux. Il ne s’agissait que de quelques aigrettes de poussière ondulant sur l’infini… mais à mieux y regarder, il décela des points noirs qui gesticulaient.

— Il y a du grabuge, là-bas ! s’écria-t-il. Et vous allez droit dessus !

— Dans le désert, le nomade doit assistance à un autre. Comme les marins en haute mer.

— Et cela nous prédestine à nous fourrer dans des embrouilles dont nous n’avons pas ­besoin ? Dois-je vous rappeler notre précieux ­rendez-vous de ce soir, pour lequel nous avons fait ce maudit voyage ?

— Cela ne prendra qu’un instant.

— Bien sûr, bougonna Profit. Nous mettre à dos une horde de sauvages, cela n’a jamais pris plus d’une minute avec vous. Dites-moi un peu en quoi cela nous concerne ?

— En quoi ? s’étonna Parsifal. Écoutez attentivement… À plusieurs détonations similaires ne répond qu’une seule et même arme, et c’est un bon vieux fusil anglais Enfield !

— Et vous entendez ça, vous ? À cette distance ? J’ai l’impression qu’il s’agit d’une joyeuse bordée de pétards. Vous savez bien que ces Bédouins tirent en l’air pour un rien.

— Pas cette fois, répondit le jeune aventurier. Quelqu’un a besoin d’aide. Notre aide…

— C’est une maladie chez vous, mais ça, vous ne voulez pas en convenir.

— Nous survolons ce désert depuis des jours et quand un peu de piment vient assaisonner le voyage, vous voudriez que je passe mon chemin ?

Profit se renfrogna.

— On n’arrivera pas à Alep à la tombée de la nuit si on s’amuse à se mêler des différends entre tribus.

— Vous avez ma parole que nous y serons.

— Alors, ça change tout, soupira Nick Profit.

— Remplacez-moi !

Abandonnant la grande roue de bois sculpté, Parsifal Crusader plongea la main dans la sacoche en cuir posée à ses pieds et en retira son arbalète à double détente. Il passa le carquois de carreaux en bandoulière puis enjamba le rebord de la nacelle. De ce point plus élevé, la vision de la scène se précisait : une demi-douzaine de détrousseurs du désert vêtus de djellabas disparates étaient aplatis sur le sol brûlant, la jambe droite repliée. Ils tiraient à tour de rôle en direction d’un Bédouin isolé derrière un dévers. Entre eux s’élevait un puits marqué par des grosses pierres et une outre attachée à un balancier. Encore et sûrement une querelle pour l’usage de l’eau, comme il y en avait toujours eu dans cette région du monde.

Le Dragon de Mangalore ne laissait échapper qu’un souffle d’air. Aussi les assaillants concentrés sur leur cible n’entendirent-ils pas immédiatement le monstre des airs arriver sur leurs arrières. Ce ne fut que lorsque son ombre les recouvrit qu’ils comprirent qu’une troisième partie venait se mêler à la bataille.

Parsifal avait d’ores et déjà choisi son camp. Celui de l’agressé. Il avait toujours eu une sainte horreur pour ces ridicules histoires de propriété de puits, comme si l’eau, denrée précieuse, pouvait être refusée à un naufragé du désert. C’eût été comme refuser une bouée à un malheureux perdu dans l’océan.

Sans état d’âme, Parsifal pressa la détente de son arbalète. L’un des bandits roula sur le côté et son voisin ne tarda pas à le suivre. Leurs complices, soudain pris sous le feu de ces traits silencieux et mortels, retournèrent leurs armes contre le dirigeable. Des balles sifflèrent autour de la nacelle, bien trop imprécises pour causer le moindre dommage.

Campé à la barre, Profit alluma posément sa pipe avec un air blasé.

— À vouloir mettre la fesse sur une fourmilière, grogna-t-il, il ne faut pas s’étonner si elle ressort gonflée comme une lanterne.

Cependant, il se lassa vite de l’inaction. Attachant la roue, il stabilisa le dirigeable ­au-dessus du théâtre d’opérations et se porta lui aussi au combat. Il tira son revolver de sa ceinture et fit feu sur les rustres qui commettaient l’outrage de le prendre pour cible. Un Bédouin s’effondra en levant les bras au ciel, en une dernière imploration à Allah. Un autre s’affala sur le muret du puits.

Entre le fusil Enfield de l’assiégé qui touchait juste et ces nouveaux adversaires, les malandrins comprirent que la donne n’était plus en leur faveur. Ils lâchèrent prise pour remonter sur le dos de leurs chameaux abandonnés un peu plus loin. À grand renfort de badine, ils détalèrent en criant des « ot-ot !1 » affolés. Parsifal renonça à les ­poursuivre. Il déroula un filin d’amarrage jusqu’au sol, le long duquel il se laissa glisser avec l’aisance d’un corsaire.

Il tourna ses pas en direction de l’assiégé qui s’était redressé à demi, encore méfiant, le fusil fumant. Dans un réflexe pour dissimuler son visage, il remonta son litham jusqu’à la lisière de ses yeux.

— Sabah el kheir ! lança Parsifal en écartant les bras pour montrer ses dispositions pacifiques. Je viens en paix, mon ami. Qui étaient tes agresseurs ? Des bandits ?

L’homme ne répondit pas. Il eût été vain de rechercher dans ses yeux noirs et durs une ombre de reconnaissance ou de sympathie envers celui qui venait probablement de lui sauver la vie. Il fit relever son chameau harnaché d’une sellerie à pompons, qui patientait à quelques pas de là derrière le repli de terrain. Il se remit en selle avec la souplesse d’un félin et de ce perchoir, abaissa les yeux sur Parsifal :

— Tu es Anglais. Ton accent arabe est déplorable.

— On m’en a souvent fait la remarque, convint Parsifal avec un sourire.

— Et il n’y a qu’un Anglais pour avoir l’idée stupide de traverser le désert en ballon…

— Tu n’as pas répondu à ma question. Qui sont ces gens qui t’ont attaqué ?

En guise de réponse, le nomade retourna l’un des cadavres du bout de sa sandale. Il portait une marque au fer rouge sur le cou, juste en dessous de l’oreille, en forme de queue de scorpion.

— Ils appartiennent à la bande d’Ibn Azhar, constata Parsifal, qui connaissait peu ou prou tous les pillards de la région. Celui qui se fait appeler le Maître des Scorpions.

— Des vautours qui guettent près des points d’eau et s’en prennent aux caravanes. Ils rançonnent. Ils pillent. Ou pire encore. Ils feraient mieux de conserver leurs forces pour jeter les Turcs à la mer.

— Tu vas à Alep ? demanda Parsifal.

— Qui le demande ? se raidit le nomade.

— Celui qui t’a sauvé la vie, et auquel tu ne t’es pas présenté selon l’usage, répliqua Parsifal, moins accommodant.

— Ta djellaba n’est pas aoueitat2. C’est celle d’un nomade du Sahara. Sa couleur est très reconnaissable, et il n’y a qu’un Anglais vêtu ainsi dans la région, celui qui voyage dans son curieux vaisseau des airs. Le Bédouin blanc. Parsifal Crusader.

Il allait repartir quand une sorte de scrupule le retint et il ajouta :

— Ma reconnaissance vole vers toi comme la colombe vers le ciel.

Parsifal accueillit cette sentence un peu théâtrale avec un salut, main sur le cœur, puis lèvres et front, et il regarda s’éloigner l’énigmatique Bédouin.

Pendant ce temps, Profit avait fait atterrir le Dragon de Mangalore. Il attendait le retour de son compagnon les bras croisés.

— J’adore les manières de ces va-nu-pieds ! glissa-t-il goguenard. Un sens si délicat de la gratitude. Voilà qui vous servira de leçon. La prochaine fois, on les laissera s’étriper.

Parsifal haussa les épaules.

— Cet homme a une dette envers nous, et il le sait. Ici, ce n’est pas un vain mot.

— Toujours votre vision romantique de l’Orient… soupira l’Irlandais. Vous verrez que cela vous passera avec l’âge…

Parsifal fit mine de ne pas l’avoir entendu. Il leva les yeux vers le soleil orangé qui déclinait vers l’horizon.

— Nous pouvons encore arriver avant la nuit. Redécollons, Profit.

1 Ordre que l’on donne aux chameaux pour en presser l’allure.

2 Tribu commune de la région.

2Le mystérieux Abed

La mince rivière Qûweiq ressemblait à un copeau de cuivre qui s’étirait entre les griffes rouges du désert. Des chèvres s’y abreuvaient à l’ombre des murailles grises de l’antique cité d’Alep, ce mirage de pierre hérité des temps anciens. Bastions et minarets se disputaient les hauteurs. Quelques jardins offraient leur ombre au voyageur épuisé. Des caravanes déambulaient dans les rues étroites longeant la forteresse abrupte.

À l’approche du crépuscule, les Bédouins avaient dressé leur camp hors de la ville. Ainsi, de grands feux trouaient la nuit çà et là, étoiles surgies des sables, rassemblant de petites communautés. On fumait, on parlait, on grattait du rebab, cet instrument à cordes dont l’origine se perdait dans la nuit des temps. Après plusieurs jours de traversée du reg, ces lieux ressemblaient à quelque mirage inventé par des conteurs.

Comme ces nomades, Parsifal et Profit appréciaient d’entendre autre chose que le murmure du vent et le crissement du sable. Pour avoir survolé les étendues arides, et non les avoir foulées, ils n’en éprouvaient pas moins une immense satisfaction d’être arrivés à bon port. Écartant de leur chemin les enfants qui sollicitaient quelques piécettes, ils remontèrent dans la vieille ville en se faufilant sous une enfilade d’arcades.

Se frayer un chemin dans les souks était une tâche presque plus ardue que se diriger dans le désert, mais Parsifal n’en était pas à sa première visite. Il connaissait son itinéraire et savait se déplacer avec discrétion. Après avoir dépassé une arche massive, puis remonté une ruelle tortueuse envahie par un troupeau de chèvres, il se présenta sur le seuil d’une tisserie qui formait l’angle d’une esplanade.