La Monnaie - Jules Dalsème - E-Book

La Monnaie E-Book

Jules Dalsème

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Extrait : "« Donne-moi de quoi que t'as ; je te donnerai de quoi que j'ai… » C'est l'offre naïve du marmot encore ignorant de la civilisation, — et de la grammaire. A la grammaire près, la phrase contient toute la formule du commerce, lequel ne constitue, en somme, qu'une suite d'échanges. Le campagnard récolte du blé ; le citadin tisse du drap : « Donne-moi du pain, dit l'habitant de la ville. — taille-moi des habits, » répond l'agriculteur."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Monnaie de papier et monnaie de billon
Chapitre I

Comment on devient commerçant. – Le troc. – Une artiste dans l’embarras – L’enfance des monnaies. – Pasteurs et conquérants. – Coquillages et métaux précieux. – Ce qu’exige une monnaie irréprochable. – Les rentes en blé. – La liqueur d’or. – Le titre et le poids.

« Donne-moi de quoi que t’as ; je te donnerai de quoi que j’ai… » C’est l’offre naïve du marmot encore ignorant de la civilisation, – et de la grammaire. À la grammaire près, la phrase contient toute la formule du commerce, lequel ne constitue, en somme, qu’une suite d’échanges.

Le campagnard récolte du blé ; le citadin tisse du drap : « Donne-moi du pain, dit l’habitant de la ville. – Taille-moi des habits, » répond l’agriculteur. Marché conclu. Mais l’un a froid, et il faut du temps pour coudre ; l’autre a faim et il faut du temps pour moudre. Tous deux ont cherché, de longue date, et trouvé le moyen de ne se point attendre réciproquement. D’autres personnages, d’ailleurs, les ont aidés à se mettre d’accord : le boulanger, qui a toujours du pain sur la planche ; le confectionneur qui tient une réserve de vêtements tout prêts. Que l’on se présente chez eux, et l’on est servi. Il ne reste qu’à payer en bonnes espèces, en monnaie.

Ceux qui n’en possèdent point continuent à suivre les vieux us, – car l’échange n’a jamais cessé de se pratiquer directement : on troque un encrier contre une toupie ; plus tard on troque une vieille montre contre un lot de bouquins… On troque même des airs de musique contre les denrées les plus étrangères à l’art musical.

Il y a quelques années, une artiste du Théâtre-Lyrique, séduite par les annonces d’un journal transocéanien, accepta place dans une troupe pour une tournée autour du globe. On donna un concert, notamment, aux îles de la Société. La chanteuse devait recevoir le tiers de la recette. Les comptes réglés, elle se trouva à la tête d’un total dont voici les éléments : trois porcs, – vingt-trois dindons, – quarante-quatre poulets, – cinq mille noix de coco, – sans parler d’une montagne de bananes et de citrons ! Cachet opulent, devait penser maint camarade. – Mais la voyageuse n’était pas de taille à en opérer l’absorption, et elle dut employer l’une des moitiés de son bénéfice à nourrir l’autre, en attendant que quelque chef de cambuse voulût bien la débarrasser du demeurant contre un genre moins encombrant de finances.

Il s’agissait bien d’un troc, encore, mais d’une nature spéciale ; un troc contre une marchandise acceptée par tout le monde pour être troquée à son tour contre toute autre marchandise. Car telle est la qualité fondamentale et la raison d’être de la monnaie ; de la monnaie, agent universel des échanges, première expression du génie humain appliqué aux transactions commerciales.

Qui l’a inventée ? À quel siècle en faire remonter les origines ? Question à laquelle il serait malaisé de répondre. Ces origines sont lointaines, assurément, puisque les peuples les plus barbares, les Cafres, les Hottentots, les nègres de Guinée ; ceux qui sont, dans leur propre histoire, à peu près où nos pères pouvaient être de la leur il y a cinq ou six mille ans ; puisque les Cafres, les Hottentots et les nègres de Guinée possèdent l’art éminemment respectable de payer leurs dettes. On achète et l’on vend, chez eux. L’on s’acquitte en coquillages, en cauris.

Une artiste dans l’embarras

Monnaie tout à fait élémentaire, à la vérité. Mais quoi ! Lorsque l’on est petit et qu’on va à l’école, on tient volontiers ses poches pleines de billes. On aime mieux cela, souvent, que d’y voir des sous. Les billes, c’est de la monnaie aussi ; plus vile, soit ; mais combien plus commode ! Ne se trouve-t-elle pas divisée tout menu ? Pensez donc : dix billes pour un sou ! À cet autre bambin qui passe, brandissant fièrement un bâton de sucre d’orge : « Coupe-m’en la moitié, veux-tu ? Tu auras cinq billes !… – Je préférerais ton crayon qui marque rouge ; tu sais ? – Oh ! le crayon, je ne le céderai pas à moins de quinze billes… et encore parce qu’il est entamé d’un bout ! »

L’enfance de l’homme ressemble singulièrement à l’enfance de l’humanité. Billes et cauris offrent ce commun avantage de ne représenter, isolés, que l’équivalent d’une valeur insignifiante. Enfants joueurs, sauvages commerçants, se rencontrent en une même conclusion en demandant à la monnaie, comme l’une de ses vertus essentielles, la divisibilité.

L’âge, aussi bien que la civilisation, amène vite des exigences nouvelles. Que ne faut-il point à des monnaies pour mériter le titre d’irréprochables ! En outre de cette divisibilité grâce à laquelle elles nous permettent de faire face aux petits paiements comme aux gros, nous voulons qu’elles constituent par elles-mêmes ou du moins par la matière qui les forme, une marchandise, une chose que l’on rechercherait pour son utilité ou pour son agrément.

À ce titre, toutes les productions du sol, toutes celles de l’industrie pourraient servir. Les Malais soldent souvent encore leurs achats, entre eux, à l’aide de coupons d’étoffe plus ou moins volumineux. Des peuplades de l’Afrique septentrionale ont adopté le sel. Les Indiens de l’Amérique du Nord se servaient de colliers de wampum, coquilles noires ou blanches polies par un long frottement, monnaie si bien usitée, il y a deux siècles, que l’État du Massachusetts lui donna cours légal, entre colons, jusqu’à concurrence de quarante shillings.

Chacun, en un mot, obéit à la force des choses. Les peuples chasseurs prennent pour terme de comparaison, dans leurs échanges, la fourrure de l’animal qui leur offre la proie la plus fréquente. Chez les Lapons, le même mot signifie à la fois « peau » et « monnaie ». Peut-être faut-il assigner une origine analogue à la tradition d’après laquelle les plus anciennes monnaies, à Lacédémone et à Carthage, étaient des pièces de cuir. – Les peuples pasteurs évaluèrent leurs richesses en tête de bœufs ou de moutons : les étymologistes s’accordent à reconnaître que le nom latin de la monnaie, pecunia, dérive de pecus, bétail. Telle semble être également la source de l’expression : capital (capita, têtes). – Les peuples agriculteurs adoptèrent des produits végétaux : le blé, dans la péninsule scandinave et au Mexique ; l’huile d’olive dans les îles Ioniennes, le tabac dans les colonies anglaises de la Virginie. (En 1618, le gouvernement local ordonna de l’accepter sur le pied de 3 shillings par livre, sous peine des travaux forcés.) – Les peuples conquérants comptèrent en esclaves. Ainsi font encore les nègres du Soudan, lesquels se déclarent la guerre dans l’unique but de se procurer cette monnaie humaine.

Ne poussons pas plus loin notre revue.

Ces solutions pèchent toutes : elles ne satisfont qu’à l’une de nos légitimes exigences. Nous voulons en effet que la monnaie soit inaltérable ; nous voulons aussi qu’elle soit transportable, et, parmi les monnaies précitées les unes demeurent bien peu de temps intactes ; d’autres vieillissent et succombent ; d’autres ont cette propriété de se transporter si aisément, qu’elles ne négligent aucune occasion de prendre la fuite !

Les monnaies, encore, doivent offrir une assez forte valeur sous un faible volume, sous peine de devenir bientôt embarrassantes. – Témoins les pièces de fer que Lycurgue faisait forger, précisément pour ôter aux Spartiates l’envie d’être riches.

Il ne convient pas qu’elles soient sujettes à de brusques changements dans la valeur qu’on y attribue. Il faut de plus que leur substance soit toujours homogène, partout semblable à elle-même, afin que l’on en puisse vérifier la nature à chaque instant et sans difficulté.

Ainsi, le blé, que tant d’excellentes gens ont proposé en guise de monnaie universelle, le blé fournirait une pitoyable monnaie. Certes, il permettrait de payer les sommes les plus infimes, puisqu’un litre de froment, qui équivaut à quelques sous, renferme une dizaine de milliers de grains ! Mais ces grains se gâtent à l’humidité, sans parler des atteintes de la dent des rongeurs. Puis, le blé est loin de se retrouver semblable partout à lui-même. Comparez la touselle de Provence aux froments emmagasinés à Odessa ! Puis, encore, la récolte d’une année ne donne les mêmes résultats, en qualité ou en quantité, ni de l’année d’avant ni de l’année d’après. L’économe qui, dans son grenier, a conservé quelques hectolitres des moissons dernières, voit son épargne engrangée perdre juste la moitié de sa valeur, si cette moisson-ci est deux fois plus abondante.

À la vérité, si l’on étudie la statistique d’un grand nombre d’années consécutives, on s’aperçoit que des moyennes s’établissent entre la production générale des céréales et le nombre total d’individus que le globe nourrit. Les sept vaches maigres du songe égyptien finissent toujours par dévorer les sept vaches grasses. Un équilibre tend à s’établir. Aussi, des économistes ont-ils proposé de prendre le blé comme terme d’évaluation, dans les contrats embrassant une longue période, dans les baux par exemple. Ceux-là célèbrent la prévoyance des hommes d’État de la reine Élisabeth, lesquels obligèrent les collèges d’Éton, de Cambridge et d’Oxford, à louer leurs terres pour des rentes fixées en blé. Ces établissements, proclame-t-on, en sont devenus plus riches, les rentes fixées en numéraire ne représentant plus, cent ans après, qu’une fraction de leur primitive valeur.

Et le diamant ? Oh ! le diamant offre une valeur considérable sous une apparence exiguë. Mais il n’est pas homogène. Le diamant du Cap ne vaut pas celui du Brésil. Le diamant teinté est inférieur au diamant d’une eau sans tache. Le diamant est divisible ; mais à mesure qu’on le divise, il se déprécie dans une proportion toute différente. Les gros diamants sont extrêmement rares. Qu’une pierre précieuse soit partagée en deux, et les deux moitiés ne valent plus ensemble que la moitié de la gemme qui tout à l’heure occupait le même volume avec le même poids.

Parmi les métaux seuls, les hommes pouvaient trouver satisfaction. Ils s’adressèrent, tout naturellement, aux métaux précieux. Ceux-ci représentent les plus rares. Jadis, cependant, ils étaient les plus répandus : l’on n’en connaissait point d’autres. Incrustés en lourdes pépites au sein des roches, ou, en paillettes brillantes, se mêlant aux sables que roulent les torrents, ils avaient été les premiers découverts.

« L’attention des peuples qui recherchaient des pierres compactes pour la fabrication de leurs armes ne pouvait être éveillée par l’aspect de la plupart de nos minerais, sombres, peu résistants, presque friables. Au contraire, l’or et l’argent attiraient les regards. Il en fut de même du cuivre natif, lequel se présentait par masses et en lames soudées aux roches qui en forment le gangue. »

Dans l’or et l’argent, aussi bien que dans le cuivre, nos ancêtres, en effet, apercevaient des pierres plus lourdes que les autres ; des pierres que ne brisait pas le choc et qui se laissaient, au contraire, sous des coups répétés, étaler en plaques, amincir en lames, arrondir en disques. L’idée d’en user comme d’un terme de comparaison entre les valeurs des objets échangés devait naître sans effort ; et dès que l’on sut peser, on les pesa.

La belle couleur de l’or, en particulier, son éclat qui le fit dédier au Soleil jusque par nos alchimistes, le désignaient comme le métal précieux par excellence. On y voulut, même, découvrir d’extraordinaires propriétés. Les médecins arabes le dotèrent de pouvoirs surnaturels. Ils le faisaient porter en amulettes. Les nôtres, au Moyen Âge, varièrent le procédé en administrant à leurs malades le fameux bouillon d’or : un ducat cuit, vingt-quatre heures durant, avec un vieux coq… Heureux malades, auxquels le volatile fournissait un consommé réconfortant ! Heureux médecins, qui retrouvaient intact le ducat !

Les siècles ont succédé aux siècles ; l’or et l’argent sont demeurés en possession de leur rôle.

C’est que l’un et l’autre sont inaltérables, sensiblement. C’est que tous deux, surtout, sont partout et toujours identiques à eux-mêmes. L’or de la Californie ne se distingue à aucun degré de l’or sorti des placers australiens. L’argent affiné à Poullaouen, dans notre Bretagne, ne diffère en rien de l’argent extrait au Mexique ou au Pérou. Portez au quai Conti, à l’hôtel des monnaies, un bijou ou un lingot : nul ne vous questionnera sur la provenance du métal qui le forme. Vient-il de l’ancien continent, ou du nouveau ? Le fit-on émerger du lit d’une rivière, ou bien des entrailles du sol ? Peu importe. Il serait, au surplus, impossible de répondre. Une seule chose intéresse : le poids du lingot, avec son titre, c’est-à-dire la proportion de métal fin qu’il renferme.

Chapitre II

De Judée en Chine. – Le faux monnayage royal. – Nicolas Oresme. – La fausse monnaie légale. – Encore les Chinois. – Le billon. – Bronze et argent. – Un franc est-il un franc ? – L’arithmétique et le sens commun. – Le droit de battre monnaie. – Étalon simple et étalon double.

Rien ne serait plus curieux à suivre, en sa lente évolution, que le régime monétaire des divers peuples.

Une telle étude nous apprendrait, peut-être, ce que, jadis, monarques petits et grands tirèrent de bénéfices licites ou illicites, en exploitant le privilège de battre monnaie. Elle aurait le défaut de nous entraîner trop loin, au Moyen Âge, surtout, où le chaos devient, par période, presqu’impossible à débrouiller.

À peine conçoit-on que les populations soient parvenues à se retrouver, au sein d’un désordre qui n’a cessé de se traduire, depuis les temps bibliques jusqu’à 89, par l’abaissement et la falsification de plus en plus accusés, du titre comme du poids des monnaies.

Encore, dans les premiers temps, alors que les hommes ne se servaient que par exception de l’or et de l’argent, aux siècles primitifs où l’on échangeait son champ contre une couple de bœufs ou sa fille contre un troupeau de moutons, une honnêteté relative présidait-elle à ce rare usage des métaux précieux.

La monnaie proprement dite n’existait pas ; on pesait le métal. Ainsi, nous raconte la Genèse, Abraham pesait 400 sicles d’argent aux fils de Heth, desquels il venait d’acheter une pièce de terre.

Ce mode tout patriarcal, mais susceptible d’engendrer évidemment certaines lenteurs, s’est conservé chez les Chinois, gens qui ne sont jamais pressés, comme on sait. En Chine, l’argent se transmet de la main à la main dans les transactions, sous forme de lingots de poids quelconque, comme chez nous on livre quotidiennement du plomb, du bois ou du sucre.

On peut d’ailleurs remarquer que, dans presque tous les pays civilisés où des pièces de monnaie servent aux échanges, beaucoup de ces pièces portent les mêmes dénominations que des poids actuellement ou autrefois en usage.

Le talent, par exemple, dans la Grèce antique, l’as chez les Romains, le pound chez les Anglais, la livre en France, le taël en Chine, désignaient à la fois des poids et des monnaies, et celles-ci pesaient précisément un talent, un as, une livre, un taël, etc.

Mais les choses ne pouvaient rester longtemps ainsi, l’autorité publique étant investie du droit de fabriquer seule ou de faire fabriquer la monnaie.

Il était si simple, si commode, si tentant de se rendre plus riche en diminuant le poids et en faussant le titre des pièces, que peu de gouvernements y faillirent. Le Sénat de la République romaine, comme plus tard les rois de France que l’histoire a flétris du nom de faux monnayeurs, ne se firent pas faute d’user de cette façon d’enrichir le Trésor public, en recevant une pièce de la main droite pour n’en rendre que la moitié de la main gauche.

On a peine à croire que le faux monnayage officiel ait pu passer pour légitime, au moins dans une certaine mesure, jusqu’à la fin du siècle dernier. Il existe pourtant une circulaire de Necker, contrôleur des finances, circulaire en date du 2 avril 1779 (en 1779, il y avait déjà des circulaires ministérielles), où il est reproché en toutes lettres aux directeurs des hôtels des monnaies « de ne pas fabriquer les pièces assez faibles pour qu’il en puisse résulter un plus grand bénéfice pour le roi. »

Comment s’étonner, après cela, que la livre d’argent, en 1789, eût été successivement réduite à ne plus offrir que la 75e partie de ce qu’elle pesait sous Charlemagne, c’est-à-dire d’une livre ?

En Angleterre, pays de l’Europe où la monnaie a été le moins altérée, la livre sterling ne représente plus, poids d’argent, que le tiers de sa masse primitive.

Les princes, toutefois, ne s’abusaient, ni en 1779, ni même au Moyen Âge, sur leurs prétendus droits. La preuve en est dans les précautions qu’ils prenaient pour dissimuler leurs frauduleuses opérations.

Les leçons, au surplus, ne leur avaient point manqué, non plus que les instituteurs. Le collaborateur financier du sage Charles V, Nicolas Oresme, exposait, dès 1370, la théorie rationnelle des monnaies et de leur rôle économique avec la plus clairvoyante netteté.

Dans son Traité des monnaies, Nicolas Oresme montre très bien comment l’usage de ces instruments succéda à l’échange pur et simple, au troc. Il explique à merveille de quelle façon, après qu’on se fût lassé de peser les métaux livrés en paiement de marchandises, un progrès se réalisa « pour ce que c’était ennuyable chose de souvent recourre à la balance, et avecques ce le vendeur en plusieurs cas ne povoit cognoistre la substance du métal dont la monnoie étoit composée, par les saiges du temps y fut saigement pourvu, que les pièces de monnoies se feroient de certaine manière et déterminé pois, en laquelle se imprimeroit une figure à chacun notoire et congneue, qui signifieroit la qualité de la matière et la vérité du pois du dernier. »

Le conseiller de Charles V condamne énergiquement « la mutacion du pois de la monnoie, ainsi que l’altération du titre des espèces, la mutacion de la matière de la monnoie. » Il déclare illégitimes les bénéfices réalisés de la sorte ; il juge avec sévérité les maux qu’entraîne la falsification des monnaies, et pour le prince qui commet la fraude alors justement que c’est « chose propre à lui de condamner et punir les faux-monnoyeurs », et pour les populations que la fraude ruine et démoralise.

Les gens faisant commerce d’argent et d’or, plus instruits en cette matière que le commun de la nation, avaient bien soin d’accepter la monnaie seulement pour sa valeur reconnue, balance en mains. La masse du public, donc, supportait tout le poids de la royale supercherie.

Dès le commencement du XVIe siècle, Copernic, plus affirmatif encore que Nicolas Oresme, écrivait :

« Quelque innombrables que soient les fléaux qui d’ordinaire amènent la décadence des royaumes, des principautés et des républiques, les quatre suivants sont, à mon avis, les plus redoutables : la discorde, la peste, la stérilité de la terre, et la détérioration de la monnaie.

Pour les trois premiers, l’évidence fait que personne ne les ignore. Pour le quatrième, peu de gens s’en occupent. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas d’un seul coup, mais petit à petit, par une action presque latente, qu’il ruine l’État. »

Aujourd’hui, tous les peuples policés ont reconnu que la monnaie n’est pas un simple signe susceptible de recevoir arbitrairement telle ou telle dénomination et de circuler pour une valeur de fantaisie, mais une marchandise tout comme une autre, ne s’échangeant que contre une marchandise équivalente.

Il n’est au pouvoir d’aucune autorité impériale, royale ou nationale de fixer à quel degré l’or et l’argent doivent être considérés comme des matières précieuses.