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Shany vient de vivre un drame qui a bouleversé sa vie. Désormais à la tête d'une importante entreprise, elle se réfugie dans le travail et décide finalement de partir en Chine avec son amie de toujours, Anna. Ce devait être la plus fabuleuse des destinations. Ce sera la plus imprévisible et la plus dangereuse. Et si elle n'avait pas fait ce voyage par hasard ! Et si on l'avait guidée jusque-là, sans qu'elle s'en aperçoive ! Qui et pourquoi ? Le guide qui les accompagne est-il vraiment ce que l'on croit ? Que cache-t-il ? Dans les rues animées de Pékin, quelqu'un les suit. Leur veut-il du bien ou du mal ? La perspicacité de l'inspecteur Zhao permettra-t-elle à Shany et à Anna d'échapper au sombre destin que d'autres ont tracé pour elles et tiennent entre leurs mains. Les arcanes de ce thriller emmènent le lecteur dans la Chine actuelle et plongent l'héroïne au coeur d'une intrigue où les superstitions côtoient le monde moderne. Et si l'explication de tout ce qui arrive était liée au passé de ce vaste pays mystérieux, aussi appelé l'Empire du Milieu. De la grande Muraille à la province du Sichuan, en passant par Pékin et la Cité Interdite, les 384 pages de ce roman vous tiendront en haleine. Vous serez happé, dès le premier chapitre par une lecture haletante et addictive. Les rebondissements vous emporteront jusqu'à un dénouement renversant ! THRILLER Texte intégral
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Seitenzahl: 447
Veröffentlichungsjahr: 2017
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Audrey Degal
Titulaire d’un doctorat de Lettres Modernes et spécialiste en littérature médiévale française, Audrey Degal enseigne aujourd’hui dans un lycée de l’Académie de Lyon.
L’écriture a toujours été une passion et, à ce jour, outre ses publications universitaires, elle a publié deux livres, Le Lien, (2015) et Destinations étranges, (2015), aux éditions BoD. Le suspense caractérise son écriture, autant que l’originalité des intrigues.
La Muraille des âmes, son troisième roman, s’inscrit dans la veine du thriller policier.
Le quatrième livre d’Audrey Degal, Rencontre avec l’impossible, sortira fin 2017. Actuellement, la romancière écrit un cinquième ouvrage (un thriller), Le Royaume sans escale, prévu pour 2018. Ses lecteurs ont pu en découvrir quelques extraits sur son site.
Retrouvez toute l’actualité de l’auteure sur :
deshistoirespourvous.com
Je remercie mon époux, Guy, lecteur des premiers instants d’écriture, pour ses conseils éclairés, sa patience et son aide.
PREMIÈRE PARTIE
L’UN
1 MAYDAY
2 BEIJING
3 ZHAO
4 BEIJING SHATAN HÔTEL
5 LA DISPARITION
6 L’ORIGINE
7 CHAMRE 404
8 LA DERNIÈRE LIVRAISON
9 UNE JOURNÉE INATTENDUE
DEUXIÈME PARTIE
L’AUTRE
10 LA MURAILLE DES DIX MILLE LI
11 RÉSURRECTION
12 QUI ES-TU VRAIMENT ?
13 LA PART DU VRAI ET DU FAUX
14 L’ENJEU
15 YONG ME
16 LE TEMPS D’UN OBJET OUBLIÉ
17 LE TRONÇON DE MUTIANYU
18 LE JEU DES APPARENCES
19 ENTENDRE L’IMPOSSIBLE
20 EXPÉRIENCE DE MORT IMMINENTE
21 LA PÈGRE
22 FINI DE JOUER !
23 HUI LING
TROISIÈME PARTIE
LE GRAND CHOIX
24 REMONTER LE TEMPS
25 MENSONGES
26 ABANDONNÉE
27 NIAO’AI
28 L’IMPENSABLE
29 MAUDITS !
30 L’UN OU L’AUTRE
31 ON EFFACE TOUT...
32 ... ET ON RECOMMENCE !
Assise à l’arrière du Pilatus PC-12 NG, petit avion à moteur qu’ils avaient loué dans la précipitation, Shany somnolait. Le village de Niao’ai était encore loin. Auprès d'elle, Qiang la regardait amoureux comme jamais. Elle était si belle. Il n’avait plus d’autre choix désormais. La situation s’était emballée et la vie de celle à laquelle il tenait était menacée. Mais elle ignorait tout, là, totalement abandonnée sur son épaule comme une poupée fragile dont un enfant ne veut pas se séparer au risque de la casser. Maintes fois il avait voulu lui révéler ce qu’il lui cachait, lui dire ce qu’il était. Elle ne l’aurait pas cru ! Il l'emmenait dans son village natal, seul lieu où elle serait en sécurité. Y parviendrait-il ? Par moments, il en doutait même s’il était prêt à tenter l’impossible. Et justement l’impossible, il savait plus que quiconque ce que ce mot représentait depuis cette nuit inoubliable et cette virée au volant de la voiture de sport, une Maserati 4200 GranSport V8. Cette nuit-là ! S’il avait pu l’effacer d’un claquement de doigt, faire en sorte qu’elle n’ait jamais existé, passer directement d’un jour à un autre en propulsant dans les abîmes de l’oubli ce qui n’aurait jamais dû se produire.
Les trépidations de l’avion étaient presque agréables. Elles berçaient en quelque sorte les occupants de la carlingue. Le sommeil de Shany était paisible, insouciant, probablement très loin d’appréhender la vérité. Comment aurait-elle pu rêver à l’inimaginable ? Sous le ventre de l’engin, les paysages défilaient. Après les zones désertiques, le fleuve Yangzi Jiang, impétueux, s’étirait au creux des profondes vallées qui lançaient leurs sommets à l’assaut du ciel comme pour le défier. Il ne ressemblait qu’à un vague serpent. Plus au sud, les nuages ne cessaient de s’admirer dans les miroirs que leur tendaient les rizières en terrasses. Les paysages pluriels, à l’image de la Chine, étaient vertigineux, démesurés. On pouvait distinguer des champs cultivés à perte de vue, verts, denses et des forêts. Derrière eux, la grande métropole chinoise avait disparu depuis longtemps.
Le ronron du moteur de l’avion s’éternisait, éternité dont Qiang ne disposait pas pour sauver Shany. Il lui fallait arriver au plus vite à Niao’ai, avant la nuit tombée. La course contre la montre était lancée, impérative, vitale. Pour cela, le couple s'était rendu à l'aéroport au petit matin. Quelques liasses de billets, une poignée de main et l’équipage défiait les lois de la gravité. Dans le ciel, comme des stratocumulus sans importance agitaient la carlingue, le pilote rassura ses passagers en leur disant qu’il avait l’habitude de ces turbulences sans danger.
— Tu es réveillée, fit doucement Qiang en effleurant de ses doigts le front de Shany.
— Je ne pensais pas m’endormir.
— Tu as bien fait. Tu devais être fatiguée.
Elle passa une main dans ses cheveux, frotta ses yeux et jeta un œil par le hublot, tentant d’appréhender l’immensité de la vue.
— Où sommes-nous ?
— Cela changerait-il vraiment quelque chose si je te le disais ?
Elle se contenta de lui sourire. Il était vrai qu’elle avart une totale méconnaissance de cette partie de la Chine. Amusé, il regarda sa montre puis se rapprocha d’elle le plus possible afin de commenter ce qu’elle apercevait.
— Nous volons au-dessus de la province du Sichuan et le relief est particulièrement accidenté. La plus haute montagne culmine à 4800 mètres. La région appartient à une réserve naturelle classée au patrimoine de l’Unesco : la vallée de Jiuzhaigou, qui signifie « ravin aux neuf villages » pour être précis.
Shany, le nez plaqué à la vitre, admirait le paysage qui défilait. L’avion amorça un léger changement de cap en direction du sud et modifia son assiette. Les passagers comprirent que le pilote entamait la descente de l’engin.
— C’est magnifique !
— Niao’ai se trouve plus bas. C’est la raison pour laquelle nous avons changé de trajectoire. Sans être vraiment à côté d’ici, mon village n’en est pas moins pittoresque.
— C’est un lac là-bas ? demanda Shany.
— Un lac ! Des lacs, tu veux dire. Je t’y emmènerai un jour, je te le promets. Si la région est très longtemps restée inaccessible, les touristes peuvent la visiter maintenant. Tu dois voir légèrement sur ta gauche le lac du « Double-dragon », si je ne me trompe pas et l’autre, plus loin, est le lac « aux cinq couleurs ».
— Je les vois, déclara la jeune femme qui étirait son cou afin de pouvoir suivre la description. Ils portent bien leur nom. Il me semble effectivement reconnaître deux dragons. Quant aux couleurs, je ne sais pas s’il y en a cinq mais quelle palette !
— Il y en a bien d’autres. La région est connue pour ses ruisseaux et ses cascades : Shuzheng, Nuorilang... Leurs eaux semblent magiques, tu verras !
— Somptueux, vraiment ! Extraordinaire ! Tu as vécu dans un lieu vraiment époustouflant !
— Époustouflant, oui. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Il se laissa retomber sur son siège, pensif et consulta à nouveau sa montre. Shany abandonna le hublot et le regarda.
— Tu ne m’as toujours pas dit pourquoi il nous a fallu partir si vite, abandonner les autres et sauter dans cet avion.
— Tu le sauras bien assez tôt !
— Je suppose que je dois me contenter de cette réponse !
— Il le faut !
Elle n’avait pas l’habitude d’abdiquer si facilement. Mais il lui avait demandé tant de fois de ne lui poser aucune question, d’avoir confiance... Elle l’avait suivi aveuglément. À nouveau calé dans son siège, Qiang songeait, les yeux perdus dans le vague. Si elle savait! Il ne tenait plus en place et changeait de position sans arrêt. Nerveux, il décida finalement de se lever.
— Veuillez vous asseoir monsieur, s’il vous plaît, déclara le pilote. Nous descendons lentement mais ça risque tout de même de secouer.
Shany n’avait pas compris le moindre mot mais elle n’eut pas besoin de demander à son ami de traduire. Il reprit place dans son siège aussitôt après, à contrecœur. Il lui prit la main, sans un mot et tâcha de se détendre en fermant les yeux. Il resta ainsi un long moment, jusqu’à ce que l’avion se mît à cahoter. Il se redressa brusquement et regarda encore une fois l’heure. Au même instant le pilote pria le couple de s’attacher.
— Que se passe-t-il ? demanda Qiang.
— Ce sont ces maudits oiseaux, rétorqua-t-il. Ils ne...
Soudain un grand BANG résonna dans la cabine. Une épaisse fumée s’échappa de l’avant tandis qu'en se penchant par le hublot, on pouvait voir la projection de ce qui restait des corps des oiseaux happés par l’hélice. Arriver à temps à Niao’ai semblait désormais compromis.
Alors que la descente était jusque-là progressive, l’appareil se mit brusquement à piquer vers la forêt dont la cime des arbres s’approchait bien trop vite. De part et d'autre, des montagnes caressaient le ciel et, entre elles, d’étroites gorges peinaient pour se frayer un passage. L’endroit paraissait aussi beau qu’hostile. Le pilote, accroché aux commandes, tentait de remédier à l’accélération incontrôlée de l’avion qui les entraînait vers un crash certain. Les pales de l’hélice étaient sérieusement endommagées.
Toute explication, toute traduction était inutile. La direction de l’avion était explicite. Shany planta ses ongles dans le bras de Qiang à qui elle se retenait. Il plongea son regard dans le sien avec cette lueur de confiance et de sérénité qui le caractérisait.
— Je suis avec toi. N’aie pas peur.
— Mais j’ai peur ! Nous allons mourir. Je ne veux pas mourir Qiang.
Dans le cockpit, le pilote, loin de renoncer, s’acharnait à redresser l’appareil. Le moteur fonctionnait par intermittence et l’avion planait ou piquait alternativement. Accaparé par la traction qu’il exerçait sur le manche pour tenter de les soustraire à la plongée dans le vide, il n’entendit pas la question de Qiang qui proposait de l’aider.
— Nous allons mourir ! répéta la jeune femme terrifiée.
Qiang ne répondit pas. Il se contenta de la serrer tout contre lui, presque à l’écraser et d’une main, il caressa ses cheveux et son visage. Les secondes leur parurent des heures, des mois, des années, une éternité pendant laquelle ils mesuraient tous deux involontairement le peu de temps qu’il leur restait encore à vivre. Et cet impact certain, sans cesse retardé. Quand ? Quand l’avion tomberait-il ? Quand le fil de la vie serait-il coupé ? Ce n’était pas possible ! Mourir alors qu’il l’amenait à Niao’ai pour la sauver ! Le sort s’acharnait ! Il repensa à la dernière nuit qu’ils venaient de passer ensemble.
Qiang avait dû laisser Shany à l’hôtel. Il était impossible de lui révéler la vérité. Elle n’était pas prête. Il risquait de la perdre alors il avait joué serré. Elle avait bien senti que quelque chose lui échappait mais l’amour rend aveugle. Il était rentré comme prévu un peu après minuit. Elle l’attendait. La chambre n’était pas éclairée mais ils n’allumèrent pas la lumière. Seule la clarté de la lune s’immisçait dans la pièce, se frayant un passage entre les rideaux de satin mal joints. Sans un mot, il s’était approché d’elle. D’une main, il avait écarté quelques mèches de cheveux pour mieux se glisser jusqu’à son oreille et lui murmurer son amour. Le souffle chaud de ses paroles caressa le cou de Shany qui sentit le désir monter en elle. Avec la plus grande délicatesse, il déboutonna son chemisier tandis qu’elle caressait son visage, ses épaules, son torse. Elle voulait tout découvrir, se nourrir du contact de sa peau. Leurs lèvres, avides, se cherchaient, se perdaient, se retrouvaient. Il n’oublierait jamais son parfum. Un bruit de métal: les ceintures qu’ils portaient glissèrent au sol, entraînant les jeans qu’elles retenaient. Il la serra dans ses bras, la repoussa et promena ses mains sur la rondeur de ses seins en éveil. Elle enroula une jambe autour de lui et ils basculèrent sur le lit. Ils ne firent plus qu’un cette nuit-là, décidés à sceller leur destin. Au matin, la lune s’était retirée. Ils n’avaient pas dormi.
La dure réalité se rappela soudain à lui. Comme s’il psalmodiait d’ultimes prières, le pilote ne cessait de parler et même si le mandarin était une belle langue, en ces instants tragiques, sa tonalité était devenue amère. Particulièrement expérimenté, l’homme ne renonçait pas. Il déployait une force surhumaine pour maintenir un équilibre relatif tandis que l’avion continuait à tanguer de gauche à droite, qu’il tremblait, agité par de violentes secousses, tout en piquant toujours en direction du sol. Shany, terrorisée, était devenue muette, s’attendant au pire. Soudain, la voix de Qiang déchira le silence et couvrit le bruit du vent omniprésent dans la carlingue.
— Qu’est-ce que je vous ai fait ? hurla-t-il. Pas maintenant, pas avec elle !
L’espace d’un instant son visage s’éclaira d’une colère, retenue jusque-là et qui ne demandait qu’à exploser. Puis il se calma brutalement. À quoi bon !
À l’avant, dans le poste de pilotage, les paroles de l’aviateur semblaient émaner d’un travailleur de force, d’un athlète qui lutte en vain pour maîtriser le poids de ses haltères mal équilibrés.
Les dernières minutes du vol furent anarchiques. Essayant d’anticiper l'inévitable impact avec le sol, le pilote scrutait la terre afin de repérer un endroit dégagé qui ferait office de piste d’atterrissage. C’était difficile. L’engin s’en rapprochait trop vite. Il crut toutefois discerner une tache plus claire que le reste. Ce n’était certainement pas un terrain d’atterrissage. Un espace pour se poser ? Peut-être ! Une sorte de piste ? Ce serait inespéré ! Pas assez longue cependant ni assez large, chaotique. Rien de mieux ne se présentait. Encore eût-il fallu y arriver et s’y poser sans que l’avion se disloquât !
— Cramponnez-vous ! Je largue le carburant, je n’ai pas le choix ! lança-t-il.
Il réduisit totalement la manette des gaz puis tira vigoureusement sur une autre. Le kérosène s’évanouit dans les airs, signant le testament d’une tragédie dont le dénouement ne tarderait plus à se jouer. Dans l’habitacle, le crissement de l’air vint remplacer celui de l’agonie du moteur.
— J’aurais tant aimé mieux te connaître. Qiang, tu es tout pour moi !
Avec une douceur infinie, il l’attira à lui et s’enroula audessus d’elle afin de former un bouclier pour la protéger.
À l’approche de la piste improvisée, l'engin lécha d’abord la cime des arbres. Les branches les plus hautes, gigantesques tentacules verts, ralentirent légèrement la descente infernale avant d’arracher le train d’atterrissage. Déstabilisé, l’avion attaqua le sol de biais et partit dans une interminable glissade. Un rocher saillant, abandonné là depuis des millénaires par quelque glacier depuis disparu, arracha l’aile gauche qui se volatilisa avant de se disloquer. Amputé, l’avion rebondit, sauta, se reposa maintes fois, dérapa encore dans un bruit assourdissant de ferraille déchirée par des mains invisibles pour finir par se retourner et agoniser. Ventre en l’air, il oscilla, parut hésiter, grinça mais finit par s’immobiliser définitivement.
Le calme revenu, seuls les animaux sauvages, témoins muets, aperçurent le panache de fumée noire qui s’élevait dans la canopée.
Le Pilatus PC-12 NG venait de s’écraser, quelque part dans la province chinoise du Sichuan.
Quelques mois plus tôt.
— Partir en Chine, voir Pékin, la muraille, la Cité Interdite, les palais... adieu Paris ! s’était inlassablement répété Shany pour se convaincre que rien ne pourrait l’en empêcher.
Elle venait de quitter son bureau de l’avenue d’Eylau, proche du Trocadéro et dans l’ascenseur, elle se disait qu’elle ne reviendrait que dans deux mois. Deux mois ! Elle avait besoin de rompre avec le quotidien, avec le monde des affaires, avec la finance. Il lui fallait couper les liens qui la retenaient à Paris. Finis les tailleurs, les talons aiguilles, finis les coups de téléphone à longueur de journée et les soirées interminables où elle devait rester parce qu’un délégué du personnel devait absolument la rencontrer. Fini tout cela ! Elle tira la lourde porte et une fois dans la rue elle fut éblouie par un éclair.
— Tiens, de l’orage ! se dit-elle.
Mais rien dans le ciel parisien ne laissait présager la moindre pluie même fugace. Elle tourna les talons à droite laissant la Tour Eiffel dans son dos et longea le trottoir jusqu’au restaurant italien Di Vino qui occupait l’angle de la rue Longchamp et de la rue Eylau. Elle s’installa en terrasse, sous l’avancée de toile à rayures vertes et blanches. Le patron la connaissait bien, c’était un ami. Elle commanda un carpaccio de saumon et Saint-Jacques à l’huile d’olive et au citron vert, un risotto à la truffe noire et en dessert, un mille-feuille à la poire et à la mousse de mascarpone, le tout accompagné d’un verre de « santa cristina le maestrelle antinori ». Tandis qu’on la servait, un nouvel éclat de lumière vint fendre l’ombre procurée par le store largement ouvert.
— Je ne vais pas traîner. C’est le deuxième éclair en moins de 5 minutes. Je crois qu’il va...
— Prends ton temps ma belle, la soirée sera superbe, dit Xavier qui s’occupait d’elle en personne. Ce n’était pas un éclair mais le flash d’un appareil photo. Il y a beaucoup de touristes en ce moment.
*
Sur un cliché parmi des millions pris dans la capitale ce jour-là, on voyait nettement Shany attablée, souriante, qui s’apprêtait à déguster l’entrée que l’on avait posée devant elle. Un doigt rectifia le cadrage, le contraste, la luminosité. La photo était nette. L’instant d’après, on avait arrêté l’appareil.
*
La lecture de nombreuses brochures, de divers magazines et de livres, avait permis à la jeune femme d’affaires d’anticiper mentalement le voyage. Le clic de fermeture des valises aurait dû concrétiser le début d’une merveilleuse aventure.
Lorsqu’elle quitta son appartement de l’avenue Montaigne, situé dans le XVIe arrondissement, elle avait tout prévu. Un tel périple au bout du monde nécessitait une préparation méticuleuse. Elle avait dressé une liste minutieuse : vêtements, argent, passeport, chapeau, adresses utiles, plans, boussole, appareil photo, piles, cartes micro S.D... Elle n'avait rien oublié. Elle avait aussi envisagé d’emporter deux livres, Pandemia, le dernier roman de Franck Thilliez et Gravé dans le sable de Michel Bussi. Un petit assortiment de friandises et de fruits l’attendrait à l’aéroport Charles de Gaulle, dans une boutique dutyfree. Elle en avait pensé la composition et avait passé commande. Elle était gourmande et si ses écarts dessinaient quelque peu ses hanches autant qu’ils affirmaient ses joues, elle était gracieuse, sensuelle, sculptée, belle et son charme redoutable faisait succomber bien des hommes. L’existence l’avait cependant rendue prudente et les Roméo qui sonnaient à sa porte très souvent s’y heurtaient.
Elle avait pris soin de bien fermer portes et fenêtres, de baisser les stores électriques à partir de la commande centralisée et d'activer l'alarme. Elle était prudente. Elle craignait d’être victime de quelque cambriolage et redoutait toute intrusion dans sa vie privée. Ainsi, elle se sentait mieux protégée.
Elle connaissait déjà la Grèce, les îles Santorin et Myconos, s’était enivrée des paysages grandioses de l’ouest américain, de Bagdad café plutôt prisé par les Français, de Zion, de Monument Valley... Mais la Chine avait toujours excité son imaginaire du fait de son caractère démesuré et de la richesse de sa culture. Pourtant, l’opportunité ne s’était jamais présentée.
Désormais ce projet prenait forme. Quelques heures à peine la séparaient de ses vacances aux confins de la planète. Discrète – car elle en était certaine, le silence est d’or – elle n’avait évoqué avec personne son prochain départ. Dirigeante de plusieurs sociétés de produits de beauté et de joaillerie, elle s’était contentée de mettre en ordre ses affaires et de les confier à son plus fidèle associé, son bras droit.
Comme une enfant, elle jubilait. Cette fois, plus que jamais, le dépaysement allait être total. L'Airbus A.380 l'emporterait vers ce pays légendaire et mystérieux dont l’immensité dépassait l’entendement. Elle était certaine qu’une fois le pied posé sur le tarmac du Beijing Capital International Airport, , elle serait aux anges. La sonorité de ces mots exotiques la ravissait. La langue chinoise résonnait dans sa tête comme une mélodie enchanteresse, comme une promesse de rupture avec le quotidien.
Elle s’était longuement penchée sur l’histoire de la Chine, qui la passionnait, et elle en connaissait les moments incontournables même s’ils prenaient souvent une dimension mythique. De la succession des dynasties à la période maoïste, elle s’était imprégnée de l’atmosphère propre au plus puissant des états émergents. Elle avait pris quelques cours de mandarin espérant mieux se fondre dans la culture du pays ou parer à d'éventuelles difficultés. Mais malgré ses facilités à apprendre, elle balbutiait le chinois plus qu’elle ne le parlait. La prononciation de cette langue était loin du latin ou de la langue de Shakespeare. Aussi, sur les recommandations de l’agence de voyages, elle s’était procuré un petit dictionnaire bilingue.
Elle était convaincue que ce serait une expérience extraordinaire et une petite voix lui susurrait que sa vie ne serait plus jamais la même après. Il est parfois étrange de constater que les pressentiments, sans existence avérée et venus de nulle part, peuvent finalement se vérifier !
Anna, sa meilleure amie, sa complice de toujours, celle avec qui elle avait tout partagé, l'accompagnait. Shany lui offrait le voyage. C’était une façon de sceller cette profonde amitié, une façon aussi de la remercier, elle qui lui avait tant de fois prêté son épaule quand autour de Shany tout s’était brusquement effondré.
*
Deux sièges côte à côte réservés en classe affaires, des films, des plateaux-repas, un peu de lecture romanesque, un vol interminable mais riche de perspectives à venir et les voilà posant le pied sur le sol chinois. Là, dans le district de Shunyi, on leur avait réservé une chambre dans un petit hôtel ravissant à défaut d’être pittoresque. Elles y passèrent leur première nuit.
Comme le décalage horaire les avait épuisées, elles dormirent tard. Après un petit-déjeuner qui se voulait européen, spécialement préparé pour les touristes venus du vieux continent, elles devaient rejoindre leur groupe. Le programme des visites commencerait alors, comme prévu, par Pékin. Le voyagiste s’occuperait de leurs bagages afin de les transférer à l'étape suivante. Elles étaient libres. La découverte pouvait commencer.
Appareil photo en bandoulière et plan de la ville en mains, elles quittèrent leur chambre. Quelques minutes après, elles s’orientaient dans les rues de la capitale afin de rallier le point de rendez-vous que l’agence « Envol » leur avait indiqué. Ce n’était pas très loin mais déjà, ces quelques pas sur le sol de l’Empire du Milieu les enchantaient.
— Je me suis toujours demandé pourquoi on appelle souvent la Chine l’Empire du Milieu.
— Tu sais, c’est toujours la même chose. Les hommes aiment se croire le centre du monde, remarqua Anna.
Le guide qu’elles devaient rencontrer serait facile à reconnaître, leur avait-on précisé. Il porterait un pull orange et un foulard bleu. Arrivées par le côté nord de l’avenue Chang’an, l’immensité de la place Tian'anmen sur laquelle elles débouchèrent leur donna le vertige. Deux immenses portes délimitaient l’endroit, cerbères imposants, témoins silencieux de l’histoire de la Chine.
— Facile de trouver le guide ont-ils dit, constata Shany en tournant invariablement la tête à droite puis à gauche. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit si grand !
— Mais tout le pays est immense. Nous sommes sur la quatrième plus grande place du monde. Tu te rends compte ! exulta Anna dont les yeux exprimaient une joie intense et l’envie de tout découvrir.
— Oui mais il faut rejoindre notre groupe et le guide. Voyons !
La jeune fille sortit un document et lut :
— Rendez-vous au pied de l’obélisque entre parenthèses, de 38 mètres de haut, monument de granit et de marbre dédié aux héros...
Elle ne put achever sa phrase.
— Je vois l’obélisque, là-bas, sur ta droite, regarde ! l’interrompit Anna.
Shany détacha ses yeux du dépliant et suivit la direction désignée par son amie.
— Effectivement, on ne peut pas le rater ! Ce doit être là. Allons-y !
Il me semble même voir quelqu’un avec un vêtement de couleur plutôt orangée.
Quelques minutes plus tard, elles se joignirent au groupe d'étrangers que Qiang, leur guide, leur présenta : un couple d'Allemands, six Anglais et trois Russes. Tous semblaient sympathiques. Particulièrement souriant, l'accompagnateur, qui maîtrisait un nombre impressionnant de langues, avait rapidement mis chacun à l'aise. Il discutait avec les uns, avec les autres, les questionnant à propos du déroulement de leur voyage ou évoquant les particularités géographiques et culturelles de leurs pays d’origine. Il connaissait assurément tous les recoins de la Terre et n’avait pas son pareil pour mettre tout le monde à l’aise. Le séjour s'annonçait parfait. C’était du moins ce que les apparences semblaient suggérer !
Les visiteurs avaient hâte de se rendre au premier monument dont la visite était programmée dans la matinée : la Cité Interdite. Le petit groupe s’achemina donc en direction de ce palais, suivant le guide comme des enfants égarés mais curieux. Qiang en connaissait l'histoire et tous les détails. Il rivalisait d’ingéniosité pour susciter la curiosité. Avant de franchir la muraille d'enceinte par la porte de la Paix céleste, il expliqua que le palais portait un nom évoquant une étoile pourpre. Il raconta les quatorze années de construction de l'édifice et s'apitoya sur les paysans réduits à l'esclavage pendant cette période. Son léger accent lui donnait un charme irrésistible. Sa voix était chaude.
— Si vous voulez bien me suivre, nous allons maintenant nous diriger vers le Pavillon de l'Harmonie appelé « Baohe dian » et nous verrons ensuite celui de la Gloire Littéraire « Wenhua ». Vous remarquerez que les tuiles de ces palais...
Shany l’écoutait, sous le charme des demeures et de ses paroles. Qiang était séduisant et elle se sentait attirée par lui bien qu’intérieurement elle tentât de se convaincre de l’inverse. Si elle admirait la beauté et l’exception des lieux, elle ne pouvait rester insensible aux yeux profondément noirs du jeune homme. Il émanait de sa personne quelque chose d’indéfinissable qui le rendait presque attachant. Elle le regardait, pensive parfois et suivait attentivement ses explications. Sa voix était douce. Elle ne s’était pas aperçue qu’elle avait distancé Anna depuis un moment déjà. Son amie la rattrapa.
— J’ai l’impression qu’il te plaît, chuchota cette dernière. Si tu n'arrêtes pas de le regarder ainsi, il va finir par s’en apercevoir. Les autres aussi.
La jeune femme commença par rougir puis elle rétorqua tout doucement :
—Tu as raison ! Je ne m’en étais pas aperçue. C’est plus fort que moi. Je n’ai jamais agi comme ça auparavant. Je ne comprends pas. Il a quelque chose de... Comment dire ? Il est ... C’est sûrement le charme de Pékin qui agit. Bref, ce n’est rien. N’en parlons plus, écoutons !
— Combien y a-t-il de pièces dans le palais ? demanda John, un des Anglais.
De toute évidence, le guide attendait la question. Subjugués à la fois par l’étendue exceptionnelle de La Cité Interdite et la multitude des constructions toutes ornées avec raffinement, les touristes s’interrogeaient. Il put ainsi rappeler la légende qu’il présenta de façon énigmatique pour intéresser le groupe.
— 9999 pièces, annonça-t-il tout en s’amusant d’avance de l'effet que l'annonce de ce nombre allait provoquer.
— 9999 ? Pourquoi pas 10 000 ? s'enquit aussitôt un curieux.
— J’attendais cette question ! Eh bien, selon les croyances chinoises, seules les divinités pouvaient concevoir des palais de 10 000 pièces. L'empereur n'étant pas un dieu, même si certains prétendaient en être les enfants directs, il ne pouvait prétendre à cela. Par contre 9999 pièces montraient qu'il s'approchait des dieux, qu’il les côtoyait, tout en les respectant.
— Original et fabuleux ! constata un membre du groupe. Les légendes sont toujours surprenantes !
— Oui et non car 9999 salles impériales n'est qu'un idéal, un espoir. Une étude menée récemment en aurait dénombré 8704 réparties dans 800 palais. C'est tout de même un nombre extraordinaire, n'est-ce pas !
Il s’interrompit avant de poursuivre :
— Vous désirez une précision mademoiselle ?
Shany sentit le sang lui monter au visage et le rythme de ses battements cardiaques s’accélérer lorsque Qiang s'adressa à elle. Il ajouta :
— Comme vous me regardiez, j'ai pensé que vous vouliez me demander quelque chose ou que vous désiriez intervenir !
Déstabilisée dans un premier temps, la jeune femme se ressaisit. Comme une senteur taquinait ses narines, elle rétablit la situation à son avantage.
— Euh... Oui... En même temps que vous parliez, je me demandais ce qu'était cette odeur étrange et douce qui m’interpelle depuis un moment ! Je réfléchissais sans trouver la réponse.
Dans le groupe, chacun leva le nez pour déceler le parfum que personne parmi eux n'avait remarqué.
— Je dois dire que vous avez un sens de l’odorat subtil mademoiselle Morand. Rares sont les touristes qui remarquent cet effluve si discret !
— Shany, vous pouvez m'appeler Shany. Nous allons passer beaucoup de temps ensemble. Ce sera plus simple. Qu'en pensez-vous ?
Habituée à diriger, elle avait le sens de la répartie.
— Shany, un prénom ravissant. Donc, ce que vous sentez Shany est une odeur de bois de santal brûlé. Les conservateurs de la Cité tentent de faire revivre l'esprit de l'époque Ming et Qing au cours de laquelle on parfumait le palais. Ce sont les statues que vous remarquez ici ou là qui diffusent cette fragrance délicate. Le bois qui se consume très lentement est inséré par de petites fentes situées à l'arrière de chacune d'elles.
— Décidément, je suis sous le charme, murmura Shany à l'oreille de son amie tandis que le jeune guide poursuivait son explication.
— Moi aussi, c'est extraordinaire et ça sent si bon !
— Mes paroles étaient volontairement ambiguës. Je te parlais du palais et du savoir de ce guide !
— J’avais bien compris. Je plaisantais moi aussi.
Elles se regardèrent, complices et en sourirent, attirant l’attention du groupe et de Qiang.
— J’ai dit quelque chose qui vous dérange mesdemoiselles ? J’ai peut-être fait une erreur de français ! Cela m’arrive !
— Absolument pas, répondit Shany, tout est parfait !
La visite se poursuivit plus au nord, avec le Palais de la Pureté, les légendes du « fils-dragon du ciel », les conspirations, les trahisons... Puis, la journée touchant à sa fin, le groupe quitta la Cité Impériale et se dirigea vers un restaurant de la capitale. La petite collation prise à midi n’avait pas totalement apaisé la faim et un bon repas s’imposait en soirée.
L’accompagnateur conduisit donc tout le monde vers le quartier Chaoyang. Des tables avaient été réservées au Dadong Kaoya où la cuisine était correcte. Là, on leur proposa trois plats. Shany fit en sorte de s'installer à côté de Qiang qui ne semblait pas insensible à son charme. Il expliqua à tous comment utiliser efficacement les baguettes que l’on venait d’apporter. On riait à table. Déguster ainsi le poisson n'était pas une mince affaire mais lorsqu'il fallut s'attaquer au bol de riz, tout se compliqua. Shany peinait à prélever plus de quatre grains à la fois comme les autres d'ailleurs. Le guide s'amusait de les voir batailler ainsi avec la nourriture qui leur résistait. Chacun suggérait à l’autre la méthode infaillible, découverte à l’instant, qui lui avait permis de s’emparer d’une quantité conséquente de grains de riz, à peine équivalente à une cuillerée. Mais aussitôt après, la technique semblait dysfonctionner et s’avérer cruellement inefficace. Qiang traduisait tout ce qui se passait. Les doigts parcouraient les baguettes à la recherche de l’emplacement idéal, les mains se refermaient énergiquement pensant attraper les champignons noirs qui se laissaient saisir puis glissaient, inexorablement aidés en cela par une sauce onctueuse et huilée. Le touriste allemand évoqua une scène du film de Quentin Tarentino, Kill Bill, au cours de laquelle l’héroïne, incarnée par Uma Thurman, ne parvenait pas à manger son bol de riz avec les baguettes lorsqu’elle était chez maître Pai Mei pour apprendre l’art du combat. Certains se surprirent à la mimer, faisant remarquer au passage que même blessée, elle avait fini par y arriver. Cependant, lassée par ce combat engagé avec les grains d’un blanc étincelant, Shany renonça et piqua ses deux tiges dans le riz.
— Une fourchette, par pitié ! s'amusa-t-elle à réclamer. Je n’ai jamais été douée pour cela. J’abandonne !
À la vue des deux baguettes érigées au centre du bol, Qiang fut saisi d’effroi. Il laissa échapper le verre qu'il allait porter à ses lèvres. La boisson se répandit sur la nappe. Il lança un regard inquiet à la jeune femme, se leva, saisit les deux piques avec une rapidité déconcertante et, d’un coup sec, les brisa entre ses mains. Il héla ensuite le personnel et un serveur apporta une fourchette. Une brève conversation s'engagea entre les deux hommes, à laquelle personne ne comprenait rien. Il était évident cependant qu'il ne s'agissait pas d'une discussion anodine. Les mots semblaient aussi percutants que les gestes qu’ils faisaient. L'employé du restaurant paraissait contrarié mais il finit par se retirer, murmurant d’obscures paroles alors qu’il s’éloignait.
On demanda à Qiang quelque explication quant à l’incident mais il resta évasif et répéta que c’était sans importance. Il parut toutefois plus sombre pendant la fin du repas. Aux tables situées à proximité, des couples et des familles chinoises dévisageaient Shany par intermittence. À la sortie de l'établissement, le personnel salua le groupe et tous les clients qui franchissaient le seuil. Shany en fit partie mais sur son passage, les employés s’inclinèrent plus longuement. Elle le remarqua.
— Pourriez-vous m’expliquer ce que cela signifie ?
— Ne vous inquiétez pas. Ce n’est rien. Vous avez un peu dérogé aux coutumes chinoises, c’est tout. Laissez tomber, cela n’a aucune importance. Vous devez avant tout profiter de votre séjour.
Le guide conduisit ensuite son groupe jusqu’à l’hôtel. Certains traînaient en chemin et il ne manquait pas de les interpeller :
— Vous aurez tout le temps de visiter demain. Pour l’instant, il faut rentrer et dormir. La prochaine journée sera encore longue et fatigante.
Shany remarqua qu’il ne cessait de regarder sa montre. Elle en fut agacée.
— Il semble bien pressé ! dit-elle à Anna.
— Oui, il a peut-être un rendez-vous. Il est peut-être marié.
— Peut-être en effet !
Le visage de Shany s’assombrit. Elle accéléra le pas.
— Eh, attends-moi. Ne file pas comme ça surtout que je connais la réponse à tes «peut-être».
— Ah et comment le saurais-tu ? Tu lui as demandé toimême ?
— Pas du tout, insista Anna, mais je le sais ! Je l’ai tout bêtement entendu le dire à l’Anglais qui lui demandait comment il était devenu guide, où il avait appris à parler autant de langues, patati patata et s’il était marié. Il a répondu « Bien sûr que non ! ». Néanmoins, ceci ne signifie pas qu’il est seul et il a probablement quelqu’un dans sa vie.
— Effectivement et tu es bien placée pour le savoir. Dès que je rencontre quelqu’un qui me plaît, soit il est intéressé par ma situation, soit il est en couple, soit il est marié ou... Laisse tomber Anna. J’ai l’habitude et j’en ai pris mon parti depuis longtemps, intervint Shany. Pourquoi trouverais-je en Chine celui que je n’ai jamais rencontré à Paris ? D’abord, je ne suis pas là pour ça !
— Je plaisantais !
— Tu n’es pas drôle. Et puis je m’en moque. Je ne veux pas savoir. Nous sommes en vacances pour profiter, pour visiter, pour nous distraire...
— Je te le dirai quand même. Il a ajouté qu’il était libre comme l’air et il a plaisanté à propos de cette expression qui se traduit de façon imagée très différente selon les cultures.
Shany marqua un temps d’arrêt. Ses yeux exprimaient un certain plaisir.
— Tu m’impressionnes. Tu as progressé en anglais car je suppose que Qiang n’a pas traduit !
— Absolument mais je suis sûre de moi ! Je te garantis que notre guide est un jeune homme libre.
— Nous venons d’arriver et je suis déjà sous le charme. Je veux garder les idées claires, mais je dois avouer qu’il y a chez cet homme quelque chose d’indéfinissable que je n’ai jamais remarqué chez personne et c’est ce qui me plaît. Mais pourquoi a-t-il l’air si pressé ? Il est constamment rivé au cadran de sa montre !
— Je ne saurais répondre. Il doit avoir une réunion, une urgence quelconque ou alors c’est un maniaque du timing ! Cela n’a aucune importance ! De toute façon, on rentre. On verra cela demain et il passera la journée entière avec nous, avec toi aussi par conséquent. Souris à la vie Shany, souris !
*
Un observateur avisé aurait pu apercevoir, loin derrière elles, un homme qui suivait le groupe depuis la sortie de la Cité Interdite. Il avait marqué les mêmes haltes, faisant semblant de scruter une vitrine, de photographier un monument, de téléphoner... Il avait ensuite pris place dans le même restaurant, dans un recoin, à une table qu’il avait vraisemblablement réservée et avait observé les faits et gestes de chacun pendant le repas. Il était discret. Personne ne l’avait remarqué. Dans les rues sombres mais encore peuplées de Pékin, il était à l’écoute de tout ce qui se disait dans le groupe. Il marchait tantôt sur le trottoir de droite, tantôt sur celui de gauche, les mains dans les poches. À sa ceinture, un pistolet, un Glock 22 qui ne le quittait jamais.
L’inconnu n’abandonna les touristes que lorsqu’ils furent devant l’hôtel où Qiang, après avoir furtivement regardé encore une fois l’heure, salua chacun avant de se retirer. Il était très tard. Il leur donna rendez-vous le lendemain. Après avoir contourné l’angle de la première avenue, le jeune guide se mit à courir. Il sauta dans une voiture, démarra et partit en trombe. De toute évidence il était urgent pour lui de quitter les lieux ou de se rendre quelque part !
1 Pékin.
Au 2, Dondajie, Andingmen, Dongcheng District de Beijing, les nombreuses fenêtres du Bureau de Sécurité Publique, BSP, scrutaient la ville. L’immeuble se trouvait dans le palier provincial de la région autonome de Pékin. Les employés chargés de faire régner l’ordre étaient, quant à eux, calfeutrés entre les quatre murs du bâtiment. Ils étaient, pour beaucoup, moins efficaces que les surfaces vitrées qui guettaient inlassablement la ville.
L’inspecteur Zhao travaillait depuis des années au BSP. Chaque matin, après une séance de tir au sous-sol du bâtiment, il sortait deux ou trois heures pour aller enquêter sur le terrain. Pour lui, rien ne valait la pratique. Les administratifs, comme il les appelait, souvent des chegguans2, préféraient noircir du papier, bien à l’abri dans les locaux, plutôt que de salir leurs semelles ou leurs mains dans les rues. Ils appartenaient pourtant à une unité tactique de la police de sécurité publique mais seul leur importait leur salaire en fin de mois.
Au-dessus de lui, un supérieur hiérarchique coriace mais intègre régnait sur le xian, , en chinois, subdivision administrative de la République populaire de Chine. Mais, bien au chaud, ce chefaillon restait cloîtré dans son bureau et, depuis longtemps déjà, il n’avait plus qu’une idée très approximative de ce qu’était une enquête.
Au second étage, dans une immense salle dotée d’une multitude de bureaux disparates, on s’activait plus ou moins : certains jouaient les prolongations matinales autour d’un café qui s’éternisait, d’autres discutaient de tout et de rien tandis que quelques-uns étaient déjà à la tâche.
Tout au fond de cette vaste étendue, sur la gauche, à proximité des portes battantes qui menaient vers l’escalier de secours, un homme semblait absorbé dans la lecture de documents. Des piles de dossiers, stockées verticalement, encombraient le bureau où il travaillait depuis deux heures au moins, si bien qu’on le voyait à peine. Sur le côté droit, une tasse était posée, dont il n’avait pas bu le contenu désormais froid. En face de lui, des portraits étaient épinglés sur un grand tableau cartonné, des scènes de crimes, une carte de la ville sur laquelle il avait placé des repères et dessiné des flèches partant dans diverses directions.
— Alors Zhao, toujours noyé dans tes sombres affaires ! fit remarquer un collègue – du moins fallait-il poliment le désigner ainsi–.
Il ricanait et donna un coup de coude à son voisin de bureau qui s’amusa tout autant que lui de ce sarcasme.
Zhao ne réagit pas, habitué à ce genre de réflexion déplacée, puérile et gratuite qui n’engageait que l’incompétence de celui qui parlait. Les autres policiers l’avaient toujours marginalisé. Son côté métissé gênait. Il parlait couramment le français, l’anglais appris au lycée, le mandarin et d’autres dialectes nombreux en Chine. Cela lui donnait parfois un avantage que ses concurrents à l’avancement lui enviaient.
— C’est l’affaire qui te turlupine ?
À proximité, des têtes se levèrent aussitôt et chacun regarda le visage de Zhao attendant une éventuelle colère. Mais l’inspecteur ne réagit pas à la provocation. Il se contenta d’adresser un regard dédaigneux à ces adversaires de pacotille.
— C’est une affaire classée depuis des années, reprit l’autre en s’éloignant. Il faut savoir laisser tomber et s’avouer vaincu !
— « Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu », citation de Brecht. Mais j’oubliais, ironisa Zhao, Berthold Brecht, la lutte, tout cela ne vous dit rien. La culture se limite à celle du riz en ce qui vous concerne !
Vexé, l’autre s’apprêtait à revenir sur ses pas quand une porte claqua, annonçant l’arrivée du chef sur le plateau. Il regagna précipitamment la place à laquelle il aurait dû se trouver depuis longtemps, faisant mine d’être absorbé par l’écran de son ordinateur.
Le chef, un homme dodu, au visage sévère et au ventre proéminent, les mains dans les poches, s’immisça dans chaque allée. Il s’intéressait en apparence à ce que faisaient les employés. En fait, il vérifiait qu’ils étaient bien à leur poste et qu’ils travaillaient. Tous avaient dû prendre connaissance du planning et de la répartition des missions du jour. Le document était consultable sur les écrans depuis que le service était informatisé. Lorsque son périple l’amena dans l’allée où se trouvait le bureau de l’inspecteur Zhao, ce dernier prit soin de faire disparaître le dossier . Il le glissa au-dessous d’une des piles. Comme rien n’attira son attention, le chef se frotta le menton, dubitatif mais certainement pas dupe. Les mains dans le dos cette fois, il poursuivit sa tournée avant de regagner son local d'où il ne sortirait que le soir venu.
Zhao passa ses mains dans ses cheveux noirs puis sur son front où un film de sueur s’était déposé. Contrairement aux ordres, il s’obstinait sur l’enquête . Si son implication hors normes dans ses missions lui avait permis de se bâtir une solide réputation, il craignait qu’à un moment ou à un autre, on ne lui reprochât une performance moindre dans les affaires en cours. On l’empêcherait alors de continuer ses investigations parallèles même s’il y consacrait un temps dérisoire en termes de présence.
Comme souvent, il repensa à Hui Ling. La seule évocation de ce prénom éveillait en lui tant de souvenirs. Il revit devant lui ses yeux verts en parfaite harmonie avec ce prénom qui signifiait «jade magnifique». Elle avait toujours été sa parfaite complice et, plus tard, une jeune femme sans histoire au charisme extraordinaire. Il se souvint de l’enfance, des jeux, de la confection des lanternes en papier et des dragons rouges merveilleux pour fêter avec leur mère, nónglì xīnnián, le Nouvel An chinois. Il repensa aux découpages de serpents en spirale qu’ils agitaient ensuite des heures durant, fiers et complices. Perdu dans ce passé qui ne reviendrait plus jamais, il prit la tasse de café qu’il avait oubliée et la but. À un moment, il crut entendre sa sœur lui dire :
— Xīn nián ho, bonne année !
Il la vit souriante, lui racontant la légende associée à ce moment, celle d’un monstre terrifiant qui, le jour précédant le Nouvel An, venait dévorer les hommes. Ceux-ci placardaient sur leurs portes des affiches rouges. Puis, dans un bruit infernal, ils faisaient exploser des pétards et allumaient des lampions. Toute cette mascarade était destinée à effrayer le monstre qui s’en allait jusqu’à l’année suivante.
Hui Ling était sa sœur aînée. Elle avait toujours su le rassurer, le guider. Il était entré dans la police. Elle, attirée par l’enseignement, avait obtenu brillamment son gaokao3 avant d’intégrer l’une des plus prestigieuses universités de Pékin. Depuis, elle enseignait les disciplines fondamentales aux élèves. Tout le monde l’appréciait. La famille était heureuse de la réussite de ses deux enfants mais un jour le bonheur prit fin brutalement. La jeune femme disparut, sans explication, sans lettre, sans raison. Zhao ne la revit jamais.
— Ohé, ohé, réveille-toi ! intervint Lian qui passa à plusieurs reprises, devant le visage du policier, une main censée l’extraire de ses songes.
C’était une jeune femme pétillante, inspectrice dans la police tout comme lui. Ils avaient maintes fois travaillé ensemble, aussi méticuleux l’un que l’autre, aussi obstinés à trouver la vérité. De là une solide amitié était née.
— Lian ! Bonjour ! répondit l’enquêteur en revenant brutalement à la réalité.
— Tu étais encore perdu dans tes rêves ? Tu as eu chaud ! Un de ces jours, le chef découvrira les dossiers que tu essayes de dissimuler. Tu es encore passé entre les mailles du filet mais fais bien attention. J’ai l’impression qu’il se doute de quelque chose.
— Je ne le crains pas, lui répondit-il. Il est si prévisible ! Il tourne toujours dans le même sens et s’arrête auprès des mêmes employés.
— C’est vrai mais s’il n’a pas encore vu que tu enquêtes sur des dossiers classés, je crains fort qu’un des chegguans ne te dénonce, histoire d’obtenir quelque faveur de la part de la hiérarchie.
— Je prends le risque !
— Quand laisseras-tu tomber cette affaire Zhao ? Elle te pourrit la vie.
— Peut-être mais je dois retrouver le ou les coupables. Comment pourrais-je arrêter sans savoir ? Ça me poursuivrait toute ma vie !
— Ça te poursuit déjà ! Il y a si longtemps que cela s’est passé. Abandonne !
— Deux ans, quatre mois et neuf jours très exactement !
La jeune femme dodelina de la tête et se mordit les lèvres. Cette précision à laquelle elle ne s’attendait pas montrait toute la souffrance qui se cachait encore derrière la détermination de l’enquêteur. La plaie était encore ouverte.
— Rien ne ramènera ta sœur, tu sais !
— Je sais cela mais je n’aurai la conscience tranquille que lorsque j’aurai trouvé qui se livre à ces crimes abjects.
— Crimes ? Tu parles de crimes ?
— Absolument !
— Mais nous n’avons jamais trouvé aucun corps Zhao !
— Pour l’instant ! Ce n’est, à mon sens, qu’une affaire de temps et bientôt je...
Elle l’interrompit :
— Une affaire de temps ? Tu y consacres justement trop de temps et tu délaisses les affaires en cours. Tu vas finir par avoir de sérieux problèmes. Tu ne boucles pas tes dossiers. Renonce Zhao !
— Tu sais bien que je ne peux pas. Renoncer serait trahir Hui Ling, l’abandonner !
— Tu cours trop de lièvres à la fois et tu n’arrives à rien. Jamais personne n’a trouvé le plus petit indice qui aurait pu nous mettre sur une voie. Jamais personne...
— Si tu parles des incompétents qui sont sur cette plateforme, je suis d’accord avec toi. Comment auraient-ils pu être efficaces, le derrière vissé à longueur de journée sur leur chaise ? Ils sont à côté du chauffage en hiver et de la machine à café toute l’année. Si on m’avait confié l’enquête, si on m’avait laissé le temps, elle aurait pris une autre tournure et aujourd’hui les coupables seraient sous les verrous, voire auraient été condamnés et exécutés.
— On ne pouvait pas te charger de l’affaire et tu le sais Zhao. On ne confie jamais une enquête à quelqu’un qui a un lien direct avec elle. Tu risquais de ne pas être objectif
— Mieux vaut un manque d’objectivité qu’une incapacité due à l’incompétence. Nous sommes une unité tactique de sécurité publique qui n’est plus que l’ombre d’elle- même. En enquêtant, je redore son blason et je vais résoudre cette énigme ! Par la même occasion je saurai ce qui est arrivé à ma sœur.
— Que comptes-tu faire ? Disposes-tu de nouveaux éléments ?
— Peut-être !
— Tu me l’as souvent annoncé et en général cela s’est soldé par une impasse. Ne crois-tu pas que tu t’exposes à une désillusion de plus ?
— Pas cette fois-ci ! J’en suis certain et j’en mettrai ma main au feu !
— Tu es sur une piste ? Dis-moi ! Qu’as-tu découvert ? s’enquit Lian à la fois impatiente et désireuse d’aider Zhao.
Il lui expliqua ses dernières découvertes et les recoupements qu’il avait pu faire avec d’autres dossiers non élucidés. Il avait trouvé un point commun entre des disparitions que l'on pensait isolées. Pour la première fois, une lueur d’espoir se dessinait. L’engouement manifesté par la jeune inspectrice au sujet des indices récents qu’il venait de lui confier lui insuffla l’élan qui manquait à sa journée. Lian était particulièrement perspicace et d’une intelligence qui forçait l’admiration. Alors qu’elle était appuyée sur le rebord du bureau de Zhao qui détaillait méticuleusement les failles des enquêtes précédentes et ses nouvelles trouvailles, elle se redressa brusquement et claqua ses deux mains en disant :
— Comment cela a-t-il pu leur échapper ? Ne dis rien, je sais ce que tu vas me répondre. J’avoue que cette fois ça vaut la peine d’approfondir. Je crois que tu es sur une piste !
Quelques minutes plus tard, Zhao rassembla ses clés et quelques affaires personnelles qu’il avait jetées sur son bureau en arrivant le matin au BSP. Il s’apprêtait à partir. Lian était retournée à sa place et, alors qu’il sortait, elle lui fit signe en levant son téléphone portable en l’air et en le pointant vers lui. Il comprit ce que cela voulait dire. Elle voulait être tenue au courant. Il pourrait aussi la contacter en cas de nécessité. Il apprécia son soutien. Il aurait effectivement besoin de son aide !
2Chegguans : agents de police temporaires ou irréguliers.
3 Diplôme chinois.
Journée épuisante. Soirée déconcertante. Shany et Anna étaient entrées au Beijing Shatan hôtel avec les autres membres du groupe. Tous étaient fourbus.
En attendant les clés de leur chambre, Anna avait résumé chaque étape marquante de leur première visite. Elle avait aussi évoqué l'incident du restaurant mais celui-ci restait une énigme.
— Oublions-le, proposa Anna.
— Tu as raison et puis demain est un autre jour, n'est-ce pas ?
— Absolument.
Alors que tous les autres s’étaient déjà retirés, les deux amies patientaient toujours à l’accueil de l’établissement. Certes, on leur avait attribué une chambre mais la clé magnétique demeurait curieusement introuvable. L'hôtel affichait complet et comme Qiang était parti, il était difficile de négocier et de trouver un compromis.
— Décidément, nous n'avons pas de chance, précisa Shany en s'installant à nouveau dans un fauteuil face à la réception après avoir tenté de se faire entendre. J'ai tellement envie d'un bon bain chaud !
Le personnel s’agitait derrière le comptoir. Il comparait des badges, des cartes, des numéros et consultait l’ordinateur. Quelqu’un brandit même, à un moment, une clé avec une mine réjouie. C’était une erreur. Finalement, à force de recherches, le responsable de l’accueil conclut que leur chambre avait été malencontreusement attribuée à un autre client et qu’il n’y en avait plus aucune autre de disponible.
Shany, irritée par ce remue-ménage et impatiente de se reposer, interpella un employé qui parlait un français très approximatif. Avec lui, elle passa de l’autre côté de la réception afin de consulter l’écran de l’ordinateur :
— Vous me comprenez ? Oui ? Fort bien !
Elle s’efforçait d’être concise, de parler lentement et d’articuler.
— Vous devez absolument nous trouver une chambre dans l’hôtel !
— No, mamaselle, no, pas chambre diponible ! lui répondit-il en lui montrant un schéma représentant des pavés éclairés. Chambre plus être libre !
— Oui, cela je l’ai compris mais si vous regardez de plus près, tous les pavés sont en rouge sauf deux : la chambre 528 qui, si je ne fais pas d’erreur, sert de dépôt de linge et celleci. Regardez !
Elle pointait du doigt, sur l’écran, un pavé éclairé en vert.
— Moi pas comprendre vous dire «celle-ci», mamaselle.
Elle reprit patiemment, redoublant d’efforts pour garder son calme.
— Deux pièces sont éclairées en vert, répéta-t-elle un peu plus agacée. Là, suivez mon doigt : les numéros 528 et 404. La 528, n’en parlons plus mais il y a la 404. Donc, si le voyant est vert, la chambre 404 est libre et je vois, sur le tableau juste derrière vous qu’il y a la carte... enfin la clé magnétique. Vous m’avez comprise ?
— Oui, oui !
— Enfin ! soupira-t-elle. Il n’y a donc personne dans cette chambre. Elle est inoccupée ! C'est simple à comprendre !
Le garçon la regarda d’un air étonné puis il dit :
— No, mamaselle, pas chambre 404 !
— Elle n'est pas libre ? s’insurgea-t-elle, haussant le ton pour montrer qu’elle en avait assez.
— No... Voui...
— Non ? Oui ? Vous ne savez plus ! Le vert signifie qu’elle est libre. Non ?
— V... Voui, mamaselle. Mais 404.
Shany s’efforçait de se concentrer pour comprendre ce que lui disait l’employé. Dans sa bouche, la langue française devenait méconnaissable.
— Quoi 404 ? 528, 404, 9999, qu’est-ce que cela fait ? Nous nous en moquons mon amie et moi ! C'est votre dernière chambre et nous sommes épuisées, nous la prenons. Donneznous la carte je vous prie !
— 404 ?
Oui, 404. Il n'y en a pas d'autre. 404, c’est tellement évident !
Bon. Ok ! Si vous insister, moi donner chambre. Mais vous pas changer avis, hein ? Nous pas responsables après !
Il attendit vainement sa réponse puis face au silence de la cliente, il reprit :
— Nous préparer chambre. Vous attendre un petit po. Nous dépêcher.
— Oui, nous attendre un po mais faites vite, se surpritelle à répondre. Nous sommes très fatiguées.
— Oui mamaselle, oui.