Voix sans issue - Audrey Degal - E-Book

Voix sans issue E-Book

Audrey Degal

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Beschreibung

Trahisons, disparitions, meurtres... Quand la mort frappe, personne n'est à l'abri ! Une tueur en série rôde dans les rues du Vieux Lyon, des cadavres disparaissent mystérieusement à la morgue, ailleurs un homme enfermé dans une cave comprend que l'horreur ne fait que commencer... Assassinats à la carte, Par pitié ! La Clé de voûte, A Double tour, Pire que la mort, Bienvenue à la morgue, Le Dernier vol, sept récits qui vous feront trembler. Les crimes cachent une histoire, une faute, un passé trouble... Et au-delà des raisons de tuer. Enquêtes sous tension, victimes inaudibles, la mort rôde et frappe. Et si vos propres choix scellaient votre perte ! Le compte à rebours est lancé. Troublant, glaçant, inoubliable, Voix sans issue est une plongée dans les ténèbres. Chaque page est un piège, chaque ligne une menace. Une seule question demeure : jusqu'où êtes-vous prêt à aller ?

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Seitenzahl: 265

Veröffentlichungsjahr: 2025

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À propos de l’auteure

Audrey Degal est mariée, mère de deux enfants, professeure de lettres et titulaire d’un doctorat de littérature médiévale française des XIIe et XIIIe siècles. Elle réside en Occitanie, dans l’Hérault.

Avec sept titres publiés et toujours plus de lecteurs qui la suivent, elle entre dans le sillage des auteurs incontournables. Sa particularité : un suspense haletant et des romans très différents les uns des autres.

Récompensée par deux prix littéraires (1er prix du policier dans l’Ain et 2e prix des Plumes de l’air), ses thrillers ou policiers séduisent et s’imposent.

Voix sans issue est le septième. Il explore les aspects les plus sombres de l’âme humaine.

Actuellement, l’auteure se consacre à l’écriture d’un roman policier assurément captivant dans lequel vous découvrirez, en 2026, la toute première enquête de la capitaine Chloé Martel. Pour cela, la romancière travaille en relation avec la gendarmerie et la police municipale.

Suivez toute l’actualité d’Audrey Degal en vous rendant sur son site officiel :

deshistoirespourvous.com

Autres titres de l’auteure

(Résumés à la fin de cet ouvrage)

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Livres disponibles en ebook ou version papier

RENCONTRE AVEC L’IMPOSSIBLE

PAROLES DE PIERRES

LE MANUSCRIT VENU D’AILLEURS

LA MURAILLE DES ÂMES

DESTINATIONS ÉTRANGES

LE LIEN

Table des matières

1. Assassinats à la carte

2. Par pitié !

3. La clé de voûte

4. À double tour

5. Pire que la mort

6. Bienvenue à la morgue

7. Le Dernier vol

1. Assassinats à la carte

Ce thriller a obtenu le 1erprix du policier à Attignat, dans l’Ain.

Il était très tard lorsque Barbara quitta le restaurant. Le froid était piquant. La porte se referma derrière elle et à travers les baies vitrées donnant sur la rue, elle adressa un signe à ses amis encore attablés. Ils savouraient un dernier verre. Sur leurs lèvres elle put lire « sois prudente, à demain ! ». Mais ce genre de remarque néglige l’importance du destin !

La nuit, particulièrement noire, pactisait depuis des jours avec un épais brouillard que le plus affûté des couteaux n’aurait pu couper. La morsure glaciale du vent s’amusait à griffer les visages des rares piétons qui osaient s’aventurer dans les ruelles du Vieux Lyon aux façades de la Renaissance chargées d’histoire. Les lampadaires, rangés au garde-à-vous, s’ils ne surveillaient rien ni personne, renvoyaient de sordides lumières d’un orange blafard rongé par la brume. Par endroits, on n’y voyait pas à trois mètres et même l’imposante cathédrale médiévale Saint-Jean-Baptiste refusait de se livrer aux regards des passants, étranglée par l’épais magma humide ambiant qui l’entourait de part et d’autre tel un étau.

La jeune femme glissa les mains dans ses poches, serra la ceinture de son manteau de cachemire et accéléra le pas pour regagner sa voiture. Elle détestait rentrer si tard et la rue aussi déserte que sombre semblait engluée dans la viscosité de cette maudite purée de pois. Même le feu de signalisation, qui clignotait au loin et qu’elle discernait vaguement, fraternisait avec cette poisse et menaçait de s’éteindre définitivement. Ces tableaux fantomatiques tranchaient avec les journées si animées de ces lieux. Elle avait l’impression de traverser un cimetière dépourvu de tombes, à la nuit tombée. Le parking Saint-Jean, situé sur les quais de Saône, n’était plus très loin, mais elle n’aimait pas s’éterniser dans ce no man’s land si inquiétant à cette heure-là. L’œil aux aguets, l’oreille attentive, elle avait hâte de rentrer.

Barbara marchait précautionneusement sur les pavés que de l’eau stagnante rendait glissants. Elle s’efforçait de ne pas faire claquer ses hauts talons, soucieuse de ne pas attirer l’attention sur elle. De part et d’autre des ruelles, des myriades de volets fermés semblaient l’épier, comme autant d’yeux malveillants. Plus que quelques mètres et elle tournerait à gauche, quelques mètres qui lui paraissaient une éternité !

Soudain un bruit. Une lutte. Des voix étouffées, un hurlement empêché. Barbara n’avait pas encore bifurqué, mais elle s’arrêta net. Elle retint sa respiration et se mit à frissonner. D’où ces sons provenaient-ils ? Il valait mieux fuir, rebrousser chemin et courir, courir sans se retourner. Elle allait détaler quand elle aperçut une forme s’effondrer sur le trottoir, à six ou sept mètres devant elle. Elle voulut crier, mais ses mains, comme des entités autonomes, se plaquèrent sur sa bouche. Prise de panique, elle recula et se terra sous une porte cochère qu’elle avait repérée. Ne plus bouger ! Faire silence ! Attendre ! L’être tombé au sol, d’abord inerte, commença à se tordre, à se contorsionner puis il se mit à ramper, laissant derrière lui une large traînée brunâtre. Barbara discernait à peine l’individu, mais elle l’entendit gémir, essayer de parler et elle l’imagina grimacer de douleur. Un tremblement irrépressible s’empara d’elle tandis que son sang frappait ses tempes. Elle avait peur. Peur de rester ici et d’être découverte, peur de se sauver, peur de tout. Une silhouette inquiétante s’avança, déchirant l’épais brouillard qui enveloppait la scène puis elle s’immobilisa auprès du pauvre diable qui gisait à terre et s’efforçait de redresser la tête pour implorer la pitié de son bourreau. L’agresseur, d’une stature impressionnante, se planta devant son gibier à l’agonie et lui asséna une série de coups de pied avant de se fendre d’un rire glaçant. Une minute après, sa victime s’affaissa la tête la première dans l’eau croupie du caniveau où des détritus de toute sorte s’amoncelaient. Son tortionnaire l’empoigna alors par le col et la traîna sur le trottoir jusqu’à l’angle d’une bâtisse derrière laquelle tous deux disparurent.

Terrorisée, Barbara n’osait pas quitter sa cachette. Elle se sentait paralysée, prise au piège. Elle attendit encore et encore, étourdie par le silence oppressant qui l’entourait, les muscles engourdis, incapable de bouger. Ses yeux tentaient de fendre les ténèbres. L’épaisse fange blanche qui flottait brouillait sa vue ainsi que sa propre peur. Et si le tueur s’en prenait à elle ! Et si sa vie s’achevait là, sous cette porte cochère ! L’effroi s’empara d’elle et, peu à peu, colonisa tout son être. Elle manquait d’air. Elle se mit à trembler, à transpirer, à suffoquer, incapable de se raisonner. Il lui semblait qu’à tout moment l’assassin allait surgir devant elle, l’empoigner, lui briser la nuque d’un seul geste et l’abandonner. Après de longues minutes, comme aucun bruit ne lui parvenait plus, elle ôta délicatement ses chaussures, bondit tel un chat hors de son refuge et prit ses jambes à son cou, pieds nus sur les pavés, pour s’éloigner le plus possible de la scène du crime. Elle n’osa pas se retourner de crainte de voir ce monstre à ses trousses. Elle courait, droit devant elle, sans idée particulière à l’esprit, perdue. Deux cents mètres plus loin, hors d’haleine, elle s’arrêta. Elle fit deux tours sur elle-même. Elle était seule, totalement seule. D’une main tremblante, elle s’empara de son téléphone, manqua de le faire tomber, le rattrapa in extremis et appela de l’aide.

— Ar… Arthur ? C’est moi, c’est Ba… Barbara. Oh, mon Dieu, c’est horrible ! Je viens d’assister à un meurtre. J’ai peur. Je ne sais pas quoi faire. Je t’en supplie, viens vite.

Pâle comme un linge, la jeune femme pleurait et peinait à maintenir son smartphone à l’oreille.

— Un meurtre ? Dis-moi où tu es, j’appelle la police, mais calme-toi ! J’arrive.

En attendant les secours, elle se réfugia entre des voitures garées en épi, accroupie pour ne pas être vue. Sur ses gardes, elle se retournait sans cesse, bien consciente qu’elle serait de toute façon impuissante si le meurtrier qui rôdait peut-être encore lui tombait dessus. Les pans de son manteau baignaient dans les rigoles et essuyaient les pavés sans qu’elle y prêtât attention. Elle avait perdu la notion du temps, mais il lui semblait qu’il s’était écoulé une éternité. Dans ses jambes repliées depuis trop longtemps, le sang avait du mal à circuler, mais elle demeura prostrée. Intérieurement, elle priait pour que la police et ses amis arrivent vite et pour que tout ceci ne soit qu’un cauchemar. Elle avait le sentiment d’être un insecte qu’un simple pied pouvait écraser d’un moment à l’autre.

Quand le capitaine Léo Tissier se présenta au croisement des rues du Bœuf et de la Bombarde, les amis de la jeune femme étaient déjà sur place, essayant de la calmer.

— Barbara Torin ? Est-ce que je peux vous parler ?

Il redoublait de précautions. Elle posa sur le blouson en cuir du policier puis sur son visage des yeux hagards qui espéraient plus de réponses qu’ils n’avaient à en donner. Il lui tendit un gobelet de café chaud qui la réconforta et rassurée par sa présence, elle recouvra ses esprits :

— C’est un homme ou une femme ? demanda-telle.

Sa voix trahissait son angoisse.

— La victime ? Il est vrai que de là où vous vous trouviez c’est difficile à voir avec ce fichu brouillard, mais c’est une femme. Enfin, c’était… Elle est morte !

Un lieutenant trop zélé se permit d’ajouter :

— On l’a éventrée puis pendue à la façade d’une boutique avec un croc de boucher. Elle était encore vivante quand l’assassin lui a sorti les tripes.

Sous l’assaut de ces précisions macabres, la jeune femme sentit monter un malaise si bien qu’elle crut défaillir. Tissier dut l’agripper par le bras pour lui éviter de s’effondrer et il rattrapa au vol le gobelet qu’elle venait de lâcher. À cet instant, il plongea son regard dans les yeux noirs de son seul témoin et fut aussitôt subjugué. Elle ressemblait à s’y méprendre à Monica Bellucci, même chevelure longue ébène, même bouche parfaitement dessinée, l’accent en moins. Il résista à la tentation de lui demander un autographe, mais il se retrancha derrière d’autres mots :

— Désolé, il n’aurait pas dû vous dire tout ça. Oubliez ! Revenons-en au crime.

Barbara lui décrivit ce qu’elle avait vu et peu après, elle confiait les clés de sa voiture à Arthur tandis qu’elle s’engouffrait dans le véhicule de Tissier.

— Je suis obligé de vous garder encore un moment, Monica, faillit dire le flic derrière son volant. J’ai d’autres questions à vous poser. Je vous reconduirai moi-même chez vous ensuite. Vous serez en sécurité.

Quelques heures plus tard, lorsqu’il la laissa devant la porte de son appartement, le capitaine se voulut rassurant :

— Je sais à quel point être le témoin d’un meurtre peut s’avérer difficile, mais dites-vous que vous avez eu beaucoup de chance ce soir. Un instant plus tôt, ça aurait pu être vous ! Prenez ma carte et si vous avez peur ou si un détail vous revient, n’importe quoi, n’hésitez pas, appelez-moi de jour comme de nuit !

Barbara prit la carte, entra chez elle et verrouilla sa porte. Elle ne fermerait pas l’œil du reste de la nuit.

Deux jours plus tard, au commissariat, quinze rue des anges, dans le cinquième arrondissement, comme chaque matin, les enquêteurs faisaient le point sur l’avancée des investigations en matière criminelle.

— Bon, nous avons deux meurtres sur les bras, résuma Tissier. Deux femmes retrouvées rue du Bœuf : une éventrée pour laquelle nous avons un témoin et l’autre abandonnée la semaine dernière, dans cette même rue, mais dont on sait qu’elle a été noyée dans le local d’un maraîcher, aux halles, avant d’être déplacée. Questions : Y a-t-il un lien entre ces victimes ? Si oui – et je penche pour cette option – quel est le mobile du tueur ?

— Deux femmes, c’est un point commun, mais ça peut être aussi le fait du hasard ! Et ta Monica ne t’a rien appris de plus ?

Quelques sourires, à peine cachés, s’accrochèrent aux lèvres des flics présents, mais le silence et l’œil sombre que leur capitaine leur opposa les tuèrent rapidement dans l’œuf. Tissier avait évoqué, avec ses collègues, la ressemblance de son témoin. Il avait revu Barbara et ils avaient pris un café ensemble. Elle lui plaisait.

— Elle a vu l’assassin frapper sa victime à plusieurs reprises, l’achever de manière impitoyable puis la traîner sauvagement. Les traces de sang sur le trottoir et les bouts d’intestins disséminés l’attestent. Mais malheureusement, elle a juste aperçu le tueur et elle serait incapable de le reconnaître. Malgré tout, les conditions dans lesquelles se sont déroulées ces exécutions me font dire que pour le meurtrier, la mort est secondaire. Faire souffrir ses victimes est en revanche primordial et il soigne sa mise en scène. Je veux parler du fait de suspendre la dernière à un croc de boucher et de lui vider les tripes sur le trottoir. C’est ça son but et il est déterminé !

— Ouais, remarqua un collègue, mais pourquoi a-t-il changé de mode opératoire et pourquoi a-t-il déplacé le corps de celle qu’il a noyée ?

— Ça, il faudra le découvrir, mais le fait est que les deux victimes ont agonisé pendant des heures d’après le légiste, souligna Tissier. C’est le cas de celle retrouvée accrochée devant la boucherie et le dispositif laissé aux halles, par le tueur, le confirme : la planche inclinée, l’entonnoir, les cordes… Il l’a obligée à absorber des litres et il a dû prendre tout son temps. Je suis sûr qu’il l’a regardé se débattre et qu’il la replongeait dans l’eau quand elle pensait que c’était fini. Si la méthode est différente, j’ai le sentiment que ces meurtres sont quand même liés. La signature de notre tueur, c’est la souffrance. Et je crois qu’il va encore frapper !

— Peut-être, mais où ?

— Où, quand et qui sera sa prochaine cible ? ajouta le capitaine. Voilà les questions que nous devons nous poser. En ce qui concerne le lieu, je parierai pour le Vieux Lyon et plus précisément sur la rue du Bœuf et ses environs, mais où exactement, je l’ignore. Il faudrait aussi trouver pourquoi cette rue et pas une autre. Didier et Mallory, vous vous occupez de creuser de ce côté. Par contre à la question quand, j’ai peut-être un début de réponse. Il agit la nuit et le légiste affirme que la noyée est morte entre vingt-trois heures et deux heures du matin, comme la seconde victime.

— Et le « qui », chef ?

— Justement, tu t’en charges et fais-toi aider de Martin.

— Ça roule, capitaine !

— Au fait, pas un mot à la presse sinon le procureur va nous tomber dessus !

— Et s’il est déjà au jus, qu’il nous demande où on en est ou bien qu’il ne veut pas entendre qu’on a affaire à un seul et même tueur. Qu’est-ce qu’on lui dit ?

— Je me fous de l’avis du procureur. Nous n’avons qu’un objectif : avancer dans notre enquête. En plus, je mettrais ma main au feu qu’il s’agit du même meurtrier dans les deux cas.

Tissier assis au bord de son bureau se frottait le menton, l’air dubitatif. Il fixait la carte de Lyon affichée au mur. Les homicides étaient matérialisés à l’aide de petits pics différenciés par des chapeaux distincts. Deux picots rouges correspondaient aux crimes qu’il avait en charge : l’éventrée et la noyée. Les autres couleurs relevaient d’affaires plus anciennes, non résolues ou suivies par des enquêteurs extérieurs. Ses équipiers l’observaient, attendant ses ordres.

— Je veux qu’on surveille le quartier et plus particulièrement les femmes qui empruntent ces rues dès la tombée de la nuit. Discrètement bien sûr, il n’est pas question d’affoler les habitants ni d’ameuter la presse. Allez hop, formez des binômes et filez ! Le proc va nous allumer s’il y a un nouvel homicide.

Les nuits suivantes, des policiers en civil parcouraient les pavés, à l’affût du moindre comportement suspect. Chaque soir, le froid et le brouillard frappaient la cité, l’enfermaient sous un dôme de torpeur, mais le tueur restait terré. De mémoire de Lyonnais, ces conditions climatiques, qui n’avaient rien à envier au film emblématique Fog1, étaient propices aux crimes. Elles ravivaient les moments les plus sombres de la ville, lorsque le guet, membre des confréries, entamait sa ronde nocturne, sonnait sa cloche et chaque heure arpentait les rues en répétant « Dormez braves gens, le guet veille ! ». Il s’agissait alors de rentrer au plus vite car les rôdeurs, les vide-goussets, les tire-laines sévissaient quand ils ne détalaient pas au diable Vauvert.

En raison de compressions de budgets et en l’absence de récidive, le commandant exigea que Tissier relâche la surveillance. Et puis il fallait revenir aux affaires courantes.

La dernière nuit, seuls deux gardiens de la paix et deux officiers se relayèrent. Ils demeuraient postés aux extrémités de la rue du Bœuf. La visibilité était particulièrement réduite. Sous l’effet de l’humidité et d’un hiver exceptionnellement glacial, les ampoules des réverbères éclataient.

Le lieutenant Marc Dantin brûlait d’envie d’allumer une cigarette. Il était transi. Depuis des heures, le manque de tabac et l’immobilité due à la planque le rendaient nerveux. Au loin, un clocher égrena les douze coups de minuit. Une porte claqua. Un couvercle de poubelle tomba et roula au sol avant de s’arrêter. Des plaintes rauques ressemblant à des cris d’enfants s’élevèrent dans l’obscurité sans qu’on puisse dire d’où elles provenaient. Des chats, postés non loin des cuisines des restaurants, se battaient pour des résidus qu’un employé venait de jeter et leurs feulements inquiétants déchiraient le silence. Puis le calme revint, plus pesant que jamais. À cinq heures, Dantin et son collègue abandonnèrent leur poste, certains que le tueur les avait repérés et qu’il se méfiait.

*

Tôt le lendemain matin, sur le bureau de Tissier, un ordre griffonné par le commissaire lui demandait de se rendre chez le fromager, rue du Bœuf. Son échoppe demeurait fermée sans raison depuis plusieurs jours. Des clients inquiets l’avaient signalé.

Sur place, un serrurier vint à bout de la porte, mais pas de l’odeur pestilentielle qui se dégagea à l’ouverture. Un homme d’une cinquantaine d’années gisait sur le carrelage.

— Étranglé avec un fil d’acier, fit Tissier en observant le corps et l’arme encore autour du cou. Les empreintes, qu’est-ce que ça donne ?

— RAS, notre assassin est précautionneux. Il porte des gants quand il tue.

Le visage bleui, la langue pendante, les yeux révulsés, la victime était tombée de tout son poids au sol. Ses poignets étaient attachés dans le dos et son crâne ouvert avait dû heurter le rebord d’un comptoir.

— Par contre, ce dont je suis certain c’est que le tueur lui a patiemment coupé les doigts les uns après les autres de son vivant, précisa le légiste. L’abondance de sang autour du corps plaide pour des tortures ante mortem et les petites marques qu’on voit un peu partout, ce sont des pétéchies.

— Des blessures de défense ?

— Apparemment pas. Il connaissait peut-être l’agresseur.

— Et ça, qu’est-ce que c’est ? Là, regarde, insista Tissier, sa gorge est tuméfiée.

Le légiste, muni d’une pince, s’approcha du cadavre et plongea l’outil dans la bouche puis plus profondément dans le larynx. Il en ressortit une sorte de masse molle et compacte.

— À confirmer, mais on dirait du fromage, une sacrée quantité de fromage ! L’asphyxie ne fait aucun doute même s’il faut attendre l’autopsie. On peut enlever le corps ?

— Allez-y ! accorda le capitaine.

*

Plus tard, salle de débriefing, rue des anges.

— Bon sang, hurla Tissier devant ses collègues. On a trois meurtres sur les bras ! Après les deux femmes, c’est un homme maintenant. Merde et merde ! On a que dalle ! La thèse du tueur de femmes ne tient plus.

Mains sur les hanches, il tournait en rond dans la pièce ou l’arpentait de long en large.

— Bon, l’assassin nous nargue. On l’attend d’un côté, il frappe ailleurs malgré notre surveillance ! On laisse tomber la piste du fêlé maltraité par sa mère dans son enfance. Le nôtre répond à d’autres pulsions meurtrières qu’il faut trouver. Allez, mettez-vous au boulot. Le proc exige qu’on creuse alors creusez. Je veux tout savoir sur les victimes, tout ! Et passez-moi au crible leur téléphone portable, leur PC, les réseaux sociaux, la famille, les amis et même leur chien s’ils en avaient. Débriefing demain à la première heure et ne me dites pas que vous n’avez rien de nouveau !

Il planta nerveusement un troisième picot rouge sur la carte. Ses yeux balayaient le tableau d’affichage allant des photos des trois victimes aux lieux des crimes.

Le lendemain, toujours sous tension, le capitaine récapitula scrupuleusement les faits à ses hommes. Chacun présenta ensuite le résultat des investigations, ce qui permit de faire émerger un nouvel indice passé jusque-là inaperçu :

— Le chiffre six et rue du Bœuf : voilà ce qui lie ces meurtres. Toutes les victimes ont été tuées à six jours d’intervalle. Le dernier rapport d’autopsie précise que la mort du fromager remonte à trois jours donc dans trois jours, on quadrille tout le secteur. Il faudra être prêts à serrer ce malade. Entre-temps, interrogez les voisins, les passants, la famille, tout le monde. Je vous rappelle que soixante-dix pour cent des meurtres sont perpétrés par des proches. On n’a pas assez cherché de ce côté-là. Il y a bien quelqu’un qui a vu ou entendu quelque chose quand même !

La piste du serial-killer se précisait, mais le mobile échappait toujours à la sagacité de Tissier. Le tueur connaissait parfaitement son territoire de chasse et n’assassinait pas au hasard. Les lieux étaient sous étroite surveillance et, trois nuits plus tard, dans le commissariat, le téléphone sonna à plusieurs reprises pour signaler des cris, rue de la Bombarde.

Quand Tissier arriva à l’endroit indiqué, il était trop tard. Le cadavre encore chaud d’un homme l’attendait.

— Je ne souhaite pas une telle fin même à mon pire ennemi, fit le légiste après les contrôles d’usage.

La victime était assise dans un fauteuil, légèrement basculée en arrière. Elle serrait toujours entre ses dents un entonnoir à piston dans lequel l’assassin avait fait couler du chocolat brûlant.

— Il est mort asphyxié après avoir été ébouillanté de l’intérieur ! Une mort atroce ! J’adore le chocolat, mais je ne vais pas aimer celui que je vais découvrir refroidi dans le pharynx et par conséquent collé aux parois ni celui contenu dans son estomac. D’ailleurs, cet organe est particulièrement distendu, ajouta-t-il en palpant l’abdomen du défunt. Il doit y en avoir plus d’un kilo.

Tissier frappa violemment un mur, imprimant ses phalanges dans le revêtement et le plâtre. Les autres le regardèrent, peu habitués à ce qu’il perdît son sang-froid. L’assassin mettait ses nerfs à rude épreuve.

— Je suppose qu’il n’a laissé aucune empreinte ! déclara-t-il.

— Aucune, capitaine ! fit l’officier de la police scientifique.

Le cadavre évacué, Tissier resta un instant sur les lieux du crime. Il réfléchissait, observait. Encore une fois, le tueur avait pénétré sans effraction. Ses victimes le connaissaient. Il en avait la certitude.

*

Six jours plus tard, l’enquête n’avait pas progressé. La police surveillait les rues du secteur en vain et Tissier s’agaçait d’autant que le procureur lui avait fixé un ultimatum. La presse s’était engouffrée dans l’affaire et chaque jour, la une des quotidiens était consacrée au « boucher du Vieux Lyon ». Les réseaux sociaux ne restaient pas en arrière et des abonnés de Facebook, X, TikTok ou Instagram proposaient leur aide aux policiers, certains qu’ils avaient identifié le criminel.

Totalement accaparé par l’enquête, Tissier se négligeait et ne ressemblait plus à rien. Un matin, il se décida enfin à raser sa barbe de cinq jours. Il voulait être présentable. Il avait rendez-vous avec Barbara dans un bouchon lyonnais. Entre eux, le courant passait.

Comme le soir de leur rencontre, le froid et le brouillard régnaient en maître. Quand il sonna à l’interphone, elle répondit aussitôt et une minute plus tard, elle apparut dans le hall. Sous son manteau ouvert, sa robe de soie bleue sublimait les formes de son corps. Un petit foulard jaune porté autour du cou masquait la courbe naissante de ses seins. Elle n’était pas seulement belle, elle était désirable.

Ils avaient réservé une table et leurs mains s’étaient frôlées au moment de saisir la carte que le restaurateur leur tendait. Léo ajusta ses lunettes. Barbara semblait sous le charme et inspirée par le menu.

— Et votre enquête, ça avance ? demanda-t-elle.

— Pas vraiment. Mais je n’ai pas envie d’en parler. Vous avez choisi ?

— Ce soir, je dérogerai à mes habitudes. J’opterais bien pour l’entrée avec salade et présentation charcutière, l’andouillette beaujolaise au vin blanc sur lit de cardons, une cervelle de canut pour le fromage et en dessert je pencherai volontiers pour une tarte à la praline sur coulis chocolaté. Un bon repas s’accompagnant d’un bon vin, j’hésite entre un pot de Beaujolais ou de Côte du Rhône, mais je vous laisse l’initiative.

— C’est parfait ! Je prendrai la même chose que vous.

— Je sais, c’est un peu gras, mais nous sommes dans un bouchon lyonnais après tout. Et puis on doit tous mourir un jour !

À ces mots, Tissier décrocha de la conversation et se mit en boucle. Il ressassait mentalement les propos de Barbara. Elle le regardait, se demandant ce qui lui traversait l’esprit. Elle lui parlait, mais il ne semblait pas l’entendre.

— On doit tous mourir un jour, on doit tous mourir un jour… répétait-il. Tous mourir, la salade…, l’andouillette…, le fromage…

— Un problème Léo ? Qu’est-ce qui vous arrive ? s’enquit la jeune femme.

— Je réfléchis, j’emboîte, j’associe… Encore un instant, Barbara, s’il vous plaît.

Ses grands yeux noirs posés sur le visage de l’enquêteur étaient partagés entre l’amusement, l’étonnement et l’admiration. Le flic était en ébullition. Il se leva brusquement et héla le serveur.

— Apportez-moi un crayon ou un stylo, s’il vous plaît.

Il poussa les assiettes et les couverts sans ménagement, commença à griffonner sur la nappe en papier et quelques minutes plus tard il émergea de sa réflexion, triomphant.

— Merde ! Barbara, je crois que vous venez de résoudre tous ces meurtres !

— Moi ?

Il se redressa soudain. Sa chaise bascula puis se renversa, sous les yeux étonnés de Barbara et des autres clients. Il demanda à s’entretenir avec le propriétaire et deux minutes après il s’installait devant l’ordinateur du bouchon. Tout en tapant frénétiquement sur le clavier, il dévoila son raisonnement à la jeune femme :

— Grâce à vous, je viens de comprendre que tous les crimes correspondent à un repas mentionné sur une carte de restaurant et ils en respectent l’ordre ! La maraîchère, qui a été noyée, fournit les établissements. La femme pendue par un croc de boucher est traiteur, elle les approvisionne en viande. L’homme étranglé avec un fil d’acier est fromager et le dernier, maître pâtissier chocolatier. On a aussi retrouvé le corps d’un homme plongé dans un tonneau de vin et jusqu’à ce soir je n’avais pas fait le lien. Il manquait du vin à cette carte sanglante et donc une victime ! Maintenant, je l’ai. Le menu est complet. Je vais le coincer ce fils de pute, grâce à toi, je vais le coincer !

Il venait de la tutoyer. Il se retourna vers Barbara qui patientait postée derrière lui et déposa un baiser furtif sur sa joue, puis sur ses lèvres. Au même instant, une photo s’afficha sur l’écran du PC qu’il consultait, celle d’un concours de cuisine qui avait eu lieu vingt ans auparavant. Toutes les victimes étaient dessus, souriantes, membres d’un jury. Une seule était encore vivante : la présidente, restauratrice de renom. Tissier s’empara de son téléphone.

En un instant, il ameuta son équipe pour révéler sa découverte.

— Désolé pour le repas, Barbara, c’est partie remise parce que là, il n’y a plus une minute à perdre. Il va y avoir un autre meurtre. On s’en va, vite !

*

À la PJ, c’était le branle-bas de combat. Tous avaient dû renoncer à leur soirée au cinéma, en famille ou devant la télé. Le capitaine leur révéla sa découverte.

— Il y a vingt ans, un couple de candidats a été recalé lors d’un concours culinaire avec une note infamante de six sur vingt attribuée par la présidente, note unanimement relayée par les autres et assortie de commentaires moqueurs. Les membres ont peut-être été soudoyés ! Le restaurant alors renommé, La Vieille table lyonnaise, que tenaient les propriétaires participant à ce concours, fut discrédité. Ruinés, ils se sont suicidés, laissant leur fils âgé de sept ans, Mathéo Dubourgin, orphelin. Le parcours du gamin est éloquent : familles d’accueil, mauvais traitements, scolarité compliquée, affaires louches, détour par la case prison et j’en passe. Enfin – et ça nous intéresse – il est sorti de tôle une semaine avant le premier meurtre. Ce n’est pas tout. Le restaurant de la présidente du concours, L’Horloge gastronomique, concurrent direct, a vu sa notoriété monter en flèche après la promulgation des résultats. Ça sent le complot, tout ça ! Vous avez dix minutes pour me fouiller le passé du couple recalé à ce prestigieux concours, des membres du jury, pour me trouver des infos sur le fils et surtout pour me dégoter l’adresse de la présidente. C’est elle notre prochaine victime. Nous avons probablement affaire à une vengeance.

Sur l’open-space, les ordinateurs ronflaient et peu de temps après Mallory leva les bras en l’air en criant :

— J’ai quelque chose, capitaine !

— On t’écoute.

Telle une vague, tous les OPJ déferlèrent autour de son bureau et un instant plus tard, armes dans les holsters, ils filaient à bord de leurs voitures.

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Il fallait agir vite ! Le tueur allait sévir pendant la nuit ! Le dernier crime remontait à six jours. Or, on était le 30 novembre, date de promulgation des résultats du concours vingt ans auparavant et il était environ 22 h 30. Rapidement, les policiers se rendirent au restaurant de madame Defoe, la présidente et y déployèrent leur dispositif. Elle était sans doute la prochaine cible, brebis destinée à un prédateur sans pitié.

Une heure plus tard, le brouillard dense et la nuit noire, fidèles complices du tueur, enveloppaient tout le Vieux Lyon. L’Horloge gastronomique était désert et le personnel en vacances depuis deux semaines. Soudain, un craquement, une sorte de cliquetis puis un bruit sourd se firent entendre. L’homme venait de s’infiltrer dans les locaux. Des pas feutrés, comme s’il glissait sur le sol. Il progressait lentement, avec une précaution infinie. Sa silhouette noire sortit peu à peu de la pénombre du couloir. Madame Defoe, assise sur une méridienne en velours au beau milieu de la pièce, un magazine sur les genoux, ne bougeait pas, mais ses mains tremblaient. Elle avait en premier lieu nié toute implication dans un concours frauduleux puis elle avait refusé de servir d’appât. Mais Tissier avait su se montrer convaincant en lui faisant miroiter la détermination du tueur et la mort horrible qu’il lui réservait.

— Ne vous inquiétez pas, mes équipiers sont déployés. Vous ne risquez absolument rien. Ensuite, cette série noire sera terminée, croyez-moi.

Tapis dans l’ombre, les policiers attendaient, à l’écoute du moindre bruit, attentifs au moindre geste du tueur, prêts à intervenir. Tissier avait été clair : ils n’auraient qu’une chance pour s’emparer de l’assassin et il ne voulait pas le rater.

Tel un félin, l’homme avançait. Il semblait flotter sur le parquet.

Un pas, deux, trois… tous presque inaudibles.

Il se figea soudain, observa tout autour de lui, écouta. Il se méfiait.

La pompe de l’aquarium d’eau de mer qui ornait le mur du fond venait de se déclencher et la lumière bleutée inondait la pièce. L’atmosphère paraissait surréaliste.

L’homme frôlait les cloisons et tournait fréquemment la tête de gauche à droite, vérifiant de toutes parts que rien ne viendrait l’empêcher de mener à bien son plan.

Il était à présent tout proche du canapé, sa cible en vue. Il se délectait déjà de ce qu’il allait accomplir. Il en rêvait depuis des années et ce jour-là, il touchait enfin au but, à l’épilogue de l’histoire de sa vie.

Il s’arrêta, huma l’air comme s’il savourait par avance l’odeur de sa victoire, puis il sortit un objet.

Un briquet.

Scratch ! fit la molette en libérant la flamme.

Dans l’autre main, il tenait un bidon d’essence dont le liquide se répandait déjà sur le parquet.

— Intervention, intervention ! hurla Tissier. Putain, il veut foutre le feu.