Paroles de pierres - Audrey Degal - E-Book

Paroles de pierres E-Book

Audrey Degal

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Beschreibung

Lorsque les membres de la Communauté de Communes de la Vallée du Garon valident le projet d'implantation d'un pôle aquatique sur la commune de Brignais, ils ne se doutent pas que sa réalisation va prendre une tournure que personne n'aurait pu soupçonner. A peine commencés, les travaux sont à l'arrêt, les ouvriers terrifiés et il faut faire appel aux plus grands scientifiques pour tenter de comprendre ce qui se passe dans les tréfonds de la Terre, sur le site de Rochilly. Mélanie et Damien, deux experts dépêchés sur place, entreprennent des fouilles pour éclaircir ce mystère. Mais ils sont très loin d'imaginer ce qu'ils vont trouver et les questions se bousculent : que cache ce site ? sont-ils surveillés ? seront-ils à la hauteur ? Un roman captivant qui puise sa force dans une histoire intense, mystérieuse et particulièrement originale.

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Seitenzahl: 277

Veröffentlichungsjahr: 2021

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Audrey Degal, auteure à l’imagination foisonnante, est mariée, mère de deux enfants, professeure de lettres en lycée dans l’Académie de Lyon et titulaire d’un doctorat de littérature médiévale française des XIIe et XIIIe siècles.

En 2015, elle décide de publier gratuitement une nouvelle, sur son site officiel. L’histoire, très originale, intitulée « Seul » rencontre un franc succès en ligne. Dès lors, les lecteurs cherchent à se procurer ses écrits. Ainsi débute une longue série de publications, loin de s’achever, car Paroles de pierres est son cinquième roman.

Forte du premier prix du policier obtenu au salon littéraire d’Attignat en 2017, sa plume est toujours guidée, selon ses propres mots, par le suspense, les rebondissements et les dénouements qui doivent « passionner les lecteurs ». Mission accomplie !

Paroles de pierres est un récit surprenant, riche, inattendu, mais aussi différent des précédents : « les lecteurs ne doivent pas avoir l’impression de lire toujours la même chose ». L’auteure se renouvelle sans cesse.

Rencontre avec l'impossible sera sa sixième publication.

Un roman policier, dont le titre n’est pas encore arrêté, suivra prochainement cette série très prometteuse.

Suivez toute l’actualité d’Audrey Degal en vous rendant sur son site officiel :

deshistoirespourvous.com.

Audrey Degal possède aussi une chaîne YouTube

Du même auteur

(Résumés à la fin cet ouvrage)

Aux éditions BoD : (à commander chez votre libraire ou sur internet. Livres disponibles en ebook ou version papier)

LE LIEN, janvier 2015 (roman à suspense)

DESTINATIONS ÉTRANGES, août 2015 (recueil de 12 nouvelles à suspense)

LA MURAILLE DES ÂMES, mars 2017 (roman policier)

LE MANUSCRIT VENU D’AILLEURS, octobre 2019 (roman-enquête)

À paraître prochainement :

- RENCONTRE AVEC L'IMPOSSIBLE

- Un roman policier (titre non arrêté à ce jour)

Je remercie Guy, mon époux, qui m’apporte l’aide précieuse dont tout auteur a besoin.

Chaleureuses pensées à mes parents, Marie Rose et Sigismond Galdéano ainsi qu’à tous ceux qui m’entourent et me sont chers : Virginie, Mickaël, Thibaut, Raphaël, Nathan, Chloé, Morgane et Damien.

Ce roman est par ailleurs un hommage à mon père et à ma tante, Yvette Bergonzi, trop tôt partis.

Enfin, à travers cette histoire et mon imagination, ce livre dit combien j’apprécie la ville de Brignais et les communes situées aux alentours, où il fait si bon vivre.

*

Ce roman est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux, les événements sont issus de l’imagination de l’auteure. Leur utilisation ne sert que l’histoire et toute ressemblance, quelle qu’elle soit, avec des personnes réelles, vivantes ou non, des administrations ou des lieux de loisirs, relèverait d’une pure coïncidence.

Office notarial de Maître Laurentis Le 12/06/2086

23 cours de la liberté

69003 Lyon

Madame, Monsieur,

Dans le cadre de la succession de monsieur Voltaire Damien récemment décédé, à propos de laquelle je vous ai déjà contactés, j’ai requis un état de situation auprès d’établissements financiers, notamment le Crédit Lyonnais.

Or, il s’avère que votre père a ouvert un coffre-fort (en 2014) au siège social de cette banque, rue de la République à Lyon, partagé avec madame Legrand Mélanie. Ce coffre enregistré sous le numéro suivant: S11-N2-1128 fait l’objet d’un contrat juridique particulier. Il ne peut être ouvert que conjointement par les deux cotitulaires et au décès de l’un des deux, uniquement par le dernier en vie. La jouissance du coffre et de son contenu ne sera accessible aux descendants qu’au décès des deux cotitulaires.

En conséquence, je me dois d’intégrer ce dernier à l’inventaire successoral.

Je vous prie de croire, Madame, Monsieur, en l’assurance de mes sentiments distingués.

Maitre Laurentis

Sommaire

7 septembre 2086

Deux ans plus tôt, le 18 janvier 2014.

La veille, 7 h 38.

Toc-toc-toc !

Quelques heures avant.

Au même moment.

Deux jours plus tard, 7 heures 30.

Quelques temps après.

Centre Aquagaron, à Brignais. Début 2017.

Des dizaines de milliers d’années auparavant.

« Tous les silences ne font pas le même bruit. » Baptiste Beaulieu

7 septembre 2086

Si vous lisez ce livre aujourd’hui, c’est que je vais bientôt disparaître ! J’ai décidé de vous confier l’histoire de ma vie afin qu’elle soit transmise à la postérité. Cette date du 7 septembre 2086 ne sera donc pas un jour comme les autres, ni pour vous, ni pour moi, même après ma mort. Cela peut vous paraître étrange et pourtant... Lorsque je vous aurai révélé mon secret, votre vision de l’existence et de l’humanité ne seront plus jamais les mêmes.

C’est aussi parce que j’ai dû me taire pendant très longtemps et que cela ne peut durer éternellement. Le temps est venu de tout dévoiler !

Mais ne vous trompez pas : si je m’apprête à vous faire des déclarations fracassantes à travers ce livre, ce n’est pas vraiment par choix. Il en a été décidé ainsi en 2014 et je n’étais pas seule à l’époque.

Pourtant, pendant soixante-dix longues années, j’ai parfois failli céder à la tentation de décrocher mon téléphone pour appeler la presse et divulguer mon secret, notre secret ! Puis j’ai renoncé parce que, comme les autres, je m’étais engagée à me taire, et même si ce silence était trop lourd à porter, nous nous sommes tous tus.

Les autres, parlons-en justement ! Le temps qui passe impitoyablement n’épargne personne et il a fini par les rattraper. Ils ont tous disparu : Damien Voltaire, Yvette Bergonzi, le maire de Brignais, le président de la CCVG. Ils ont partagé avec moi ce secret et je suis désormais la dernière à savoir et à pouvoir enfin avouer l’indicible, l’incroyable.

Aujourd’hui, le moment est venu. Parce que, quand le miroir s’empare des trop nombreuses rides de mon visage, je vois que ma vie ne tient plus qu’à un fil. Parce que mes enfants ou peut-être mes petits-enfants ont pensé qu’il était enfin possible de publier mon histoire. Parce qu’ils ne peuvent pas taire indéfiniment la plus grande découverte que le monde ait jamais portée. Parce que la science est enfin prête à entendre mon secret.

Sachez qu’à ma demande ils ont dû se taire, attendant le moment où enfin ils pourraient l’exhumer du coffre-fort où je l’avais enfoui, coffre-fort scellé et inaccessible telle une tombe. Nous étions deux à détenir la clé et je suis désormais la seule à pouvoir l’ouvrir. Ce sésame permettra un jour à la lumière de remplacer la nuit, à la parole de se substituer au silence, à la connaissance de balayer l’ignorance.

Enfin, je voudrais vous dire que je n’ai rien inventé et que tout est scrupuleusement vrai même si cela vous semblera impossible. Pour vous, je vais remonter le temps, progressivement jusqu’en 2014 afin que vous compreniez bien comment tout cela s’est déroulé.

Mais venons-en au fait.

Tout a débuté de façon vraiment très ordinaire.

Le téléphone sonne, je prends la communication. On m’appelle pour un travail. Jusque-là rien d’original.

C’est après que ma vie a basculé !

Dès son inauguration au cours de l’été 2016, le pôle aquatique baptisé « Aquagaron », implanté sur la ville de Brignais, à côté de Lyon, était appelé à rencontrer un vif succès auprès des usagers. Les travaux de construction étaient terminés et l’ouvrage moderne scellait désormais le projet et l’union de plusieurs villes - Chaponost, Millery, Montagny, Vourles et bien sûr Brignais. Il avait pour vocation de créer un espace de détente privilégié et c’était une réussite ! Le bâtiment était superbe, parfaitement intégré dans son environnement et les aménagements des abords, dotés de voies douces accessibles aux piétons et aux vélos, avaient été remarquablement pensés.

Ce lieu, conçu pour être agréable, était attendu par la population. Esthétiquement harmonieux, il était hors du commun mais pas au sens où la population l'entendait, car rares étaient ceux qui connaissaient les péripéties liées à sa réalisation. Parmi les usagers qui fréquentaient le complexe sportif, personne ne pouvait imaginer que, sous leurs pieds, la fiction avait rejoint la réalité.

Brignais est une localité sympathique et attractive mais même la ville la plus tranquille peut détenir, dans ses chairs, une âme insoupçonnée.

Voici comment tout s’est déroulé !

*

Mercredi 7 septembre 2016.

Il était tôt, ce matin-là, quand un camion de chantier s’arrêta sur le parking du centre intercommunal ouvert depuis quelques semaines au public.

Alfred et Loris, deux ouvriers d’une entreprise locale, quittèrent leur véhicule et l’un d’eux commença à décharger des matériaux : sacs de ciment, parpaings, truelles... Le plus âgé se dirigea vers la structure moderne, récemment mise en service et une fois à l’intérieur, il héla l’employé installé derrière un guichet sur lequel se trouvait un présentoir garni de dépliants publicitaires.

— Bonjour ! Nous venons pour les travaux des vestiaires.

— Ah oui, bonjour. On m’a prévenu de votre intervention. Suivez-moi.

— OK, mais d’abord je vais aider mon collègue à approcher le diable.

— Le diable ?

Le visage de l’employé venait de se liquéfier.

— Oui, le diable, répéta l’ouvrier surpris par la réaction de son interlocuteur.

Alfred observa le réceptionniste qui semblait déstabilisé. Moqueur par nature, il renchérit sur un ton qui ne cachait pas son amusement.

— Enfin le diable, c’est comme ça qu’on l’appelle dans le métier. C’est un chariot avec deux roues qui sert à transporter les charges très lourdes sans se casser le dos par exemple. Le diable, quoi ! Vous comprenez ?

— Oui, oui, je sais. Vous ne m’apprenez rien, répondit l’homme. Allez-y ! Je vous attends.

L’espace d’un instant, Alfred ne sut si c’était l’ignorance de l’employé ou, plus surprenant, ce qui l’inquiétait dans ce mot qui l’avait mis dans cet état. En tout cas, il ne pouvait s’empêcher de se gausser intérieurement.

Il sortit finalement du bâtiment et se posta juste devant les grandes baies vitrées pour faire signe à son jeune collègue d’avancer. Mais ce dernier était occupé à autre chose. Il ne bougeait pas, assis sur le large repose-pied du camion. La tête inclinée sur l’avant, il pianotait sur son téléphone.

— Qu’est-ce que tu fous ? cria Alfred. Tu n’as pas compris qu’il faut y aller ! Allez, secoue-toi ! On a du boulot !

Loris, qui n’avait pas vraiment envie de suspendre ce qu’il faisait, leva à peine le nez. Alfred le rejoignit d’un pas décidé.

— Je te rappelle que je ne devais pas être là aujourd’hui, répondit le jeune ouvrier. J’étais en RTT et je remplace Manu, c’est tout. En plus, je sais pas ce que j’ai mais je suis fatigué.

Il ne lâchait pas des yeux son smartphone tandis que ses doigts longs et fins continuaient de s’agiter à une vitesse impressionnante sur la surface de verre rétroéclairée. Alfred fulminait, prêt à sortir de ses gongs lorsque le jeune homme se permit une nouvelle remarque.

— Tu te prends pour le chef ?

C’en était trop. Alfred allait exploser quand l’autre interrompit ce qu’il faisait pour dire nonchalamment :

— C’est bon, je blague. J’arrive !

Alfred, qui n’acceptait pas que l’on remette son autorité en cause, fit comme s’il n’avait pas entendu les réflexions de son apprenti même s’il était profondément révolté par son attitude. Il brûlait d’envie de lui botter le train. Il avait l’habitude de travailler avec des jeunes fraîchement émoulus des écoles, qui croyaient tout savoir et n’avaient pas encore compris que le temps des classes douillettes était révolu. Même si le comportement du jeune homme l’horripilait, il évita d’entrer en confrontation avec lui. Ce n’était pas le moment et ils avaient du pain sur la planche.

— Je sais que normalement tu étais de repos aujourd’hui mais si tu crois que je vais bosser tout seul, tu te fous le doigt dans l’œil. Même si tu remplaces Manu, tu dois m’aider, ça fait partie de ton job. Allez, remue-toi, sinon on versera ton salaire à ton pote.

L’apprenti paraissait contrarié. Les coudes en appui sur les genoux, smartphone blotti au creux des mains, la tête baissée comme un élève puni pris sur le fait, il ne bougeait toujours pas. Ses cheveux mi-longs et bouclés, qui lui donnait un côté féminin, flottaient dans l’air et masquaient les expressions de son visage.

Alfred fit un autre pas dans sa direction. Profondément contrarié, il haussa le ton :

— Bonté Loris, l’heure tourne et on a d’autres chantiers. Approche le diable jusqu’ici et grouille-toi un peu.

« Fainéant » pensa-t-il. Il fronça involontairement ses sourcils épais et grimaça, faisant pointer l’extrémité de ses épaisses moustaches noires vers le ciel. Cette manie était à l’origine du surnom dont l’avaient affublé les autres ouvriers : Mario Bros. La casquette rouge un peu délavée et la salopette bleue qu’il portait souvent campaient définitivement Alfred dans la peau du personnage virtuel.

Son jeune collègue, les yeux encore rivés sur son iphone, persistait à vouloir finir une partie du jeu Candy Crush Saga. Il ne voulait surtout pas perdre les bonus gratuits qu’il venait de gagner en regardant une page de publicité.

Quand Alfred, aidé par sa forte stature, se planta devant lui, prêt à lui arracher le téléphone des mains, il réagit, coupa immédiatement sa connexion avant de glisser l’objet dans la poche arrière de son jean et de se lever d’un bond. Les bras croisés sur la poitrine, les jambes écartées, la mine renfrognée, Alfred s’imposa en donnant un coup de poing maîtrisé dans la porte du camion. Il avait gagné. Il n’allait pas se laisser mener par le bout du nez quand même ! Il jubilait devant la capitulation de l’apprenti. Sur les chantiers, c’était bien lui le chef. Pourtant, une réflexion de Loris, sortie de nulle part le décontenança :

— Apparemment, tu n’es pas au courant !

Le jeune homme demeurait toujours aussi apathique et sur la défensive. Mais comme il venait d’écarter ses cheveux de part et d’autre et de bloquer ses mèches derrière ses oreilles, Alfred devina à son visage qu’il était soucieux, très soucieux même.

— Au courant de quoi ? fit Mario surpris.

Loris le fixa et, le regard abattu, il ajouta :

— Tu ne sais vraiment pas ! C’est dingue ça !

— Je ne sais qu’une chose : tu commences à me casser les pieds ! Nous devrions déjà être en train de bosser !

— Je n’en reviens pas ! Tu n’as jamais entendu parler de ce qui s’est passé ici ? Il paraît que les gens perdent le contrôle...

Selon lui, l’apprenti divaguait. Le ton goguenard et presque impertinent qu’il employait vint à bout de sa patience, lui qui avait résisté jusque-là à la colère qui l’envahissait. Sa moustache vibrait fébrilement et ses muscles tressautaient de façon imperceptible, présageant une explosion imminente. Déjà, dans sa jeunesse, boxeur invétéré, il lui fallait souvent calmer ses ardeurs pour ne pas démolir les adversaires qu’il obligeait à se coucher après deux petits rounds. Mais ce jour-là, il fut stoppé net par l’intervention de l’employé de mairie qui s’impatientait depuis un bon moment derrière la double porte vitrée et venait d’émerger du bâtiment. Tout en restant à distance, il interrompit leur conversation :

— Dépêchez-vous, l’heure tourne et je n’ai pas que ça à faire !

Deux visages se tournèrent aussitôt vers lui. Alfred, dont la tension était extrême, bascula brutalement le diable sur ses puissantes roues pour le pousser et jeta un œil noir à Loris qui comprit qu’il n’avait plus le choix. Il fallait y aller, contraint et forcé.

Un instant plus tard, le réceptionniste invita les deux ouvriers à le suivre et à laisser le diable devant une rampe d’accès extérieure où ils pourraient le récupérer. Ils contournèrent ensuite le bâtiment pour emprunter l’entrée principale. Loris marchait derrière eux, traînant les pieds comme s’il allait rebrousser chemin. Il regardait loin devant eux, se retournait fréquemment, levait les yeux vers le toit de l’édifice et lorsque deux gros corbeaux noirs s’envolèrent, il sursauta et s’écarta du groupe instinctivement. Les deux volatiles plongèrent ensuite en piqué dans leur direction avant d’amorcer un virage serré et de s’éloigner en croassant. L’employé remarqua l’étrange manège de Loris et à son tour il jeta un coup d’œil furtif en direction de l’appentis qui les dominait largement. D’autres corbeaux s’y étaient posés qui semblaient les observer.

Par la grande baie transparente qui donnait sur les piscines, les deux visiteurs purent admirer le complexe sportif où les premiers et rares nageurs s’entraînaient déjà. L’endroit était lumineux, végétalisé, et baignait dans une atmosphère bleutée liée à la réverbération de l’eau des bassins, ce qui donnait à l’ensemble un côté irréel. Les reflets, qui capturaient la clarté céleste par les immenses ouvertures donnant sur l’extérieur et celle des rampes électriques haut perchées, étaient une invitation au bien-être. Il fallait le reconnaître : l’infrastructure était accueillante.

Pressés par leur hôte bougon et désagréable, ils quittèrent le hall d’entrée pour se rendre au niveau inférieur où ils découvrirent une série de portes colorées qui correspondaient aux tons du totem de la ville. Plusieurs vestiaires collectifs réservés aux clubs de natation et aux élèves des établissements scolaires environnants se succédaient en enfilade.

En les voyant, Loris sentit un frisson courir le long de sa colonne vertébrale. Amateur de films à sensations, cet alignement de portes le replongea dans les interminables couloirs de l’hôtel terrifiant de Shining et il crut que Jack Nicholson en personne allait surgir brutalement pour l’assassiner, un hachoir à la main. Il avala bruyamment sa salive, frappé d’une angoisse incontrôlable depuis qu’il était arrivé sur le site.

— Voilà, nous y sommes ! fit l’employé sans s’approcher davantage.

— OK, répondit Alfred.

L’attitude distante de leur guide qui croyait se débarrasser enfin d’eux l’étonna.

— Tant que j’y pense, il nous faudra aussi une arrivée d’eau.

— Ce n’est pas ce qui manque ici, ironisa l’employé. Tenez, regardez ! Vous voyez là-bas, tout au bout, derrière le pilier orange ? Il y a un robinet. Vous pourrez vous brancher mais je vous laisse à présent ! Appelez-moi dès que ce sera fini et puis évitez de salir. Les locaux restent accessibles au public et le personnel d’entretien ne viendra que demain matin.

Alfred s’abstint de rétorquer, car l’homme apparemment pressé tournait déjà les talons et commençait à s’éloigner. Légèrement en retrait, Loris se contentait d’écouter, le dos appuyé contre une paroi vitrée. Il avait l’air fatigué et il brûlait d’envie de dégainer son smartphone s’imaginant peut-être qu’il possédait des vertus médicinales susceptibles de l’aider à chasser la boule qu’il avait dans la gorge depuis le matin ou plutôt dès qu’il avait su que le chantier était celui d’Aquagaron. Il n’attendait qu’une chose : quitter cet endroit.

— Attendez, intervint in extremis Mario avant que son interlocuteur ne disparaisse. Et pour la porte ?

L’employé s’immobilisa. Sans revenir sur ses pas, il se retourna, jaugeant Alfred d’un regard distant. Son visage était blême et ses yeux se mirent à balayer l’horizon derrière eux comme s’il s’attendait à voir surgir un esprit malveillant. Visiblement sur ses gardes, il semblait sur le point de prendre la fuite. Il leur répondit de loin, semblant craindre d’approcher à nouveau :

— La porte, oui, bien sûr ! C’est le numéro sept, rien de compliqué.

— D’accord, mais avant de vous sauver, il faudrait peut-être nous donner la clé !

L’homme se figea une nouvelle fois, visiblement très agacé. Au même moment, un souffle glacial s’abattit dans les escaliers et dévala les marches avant de se répandre dans le couloir, à une vitesse fulgurante. L’atmosphère des lieux devint glacée. Le face à face d’un duel de western n’aurait pas été plus oppressant. Le premier qui bougerait ou parlerait serait le vainqueur. Alfred attendait, toisant l’autre statufié. L’employé impassible le regardait aussi. Loris n’était que le témoin muet de cet affrontement, témoin qui semblait sur le point de défaillir.

Soudain, une porte claqua, qui les fit sursauter.

Finalement, le réceptionniste se ressaisit et sortit un trousseau de la poche de son pantalon. Il passa en revue plusieurs sésames et dégagea une clé de l’anneau qui la retenait parmi d’autres.

— Vous n’avez qu’à venir la prendre. Je la laisse ici, déclara-t-il.

Il s’accroupit, déposa la clé au sol, descendit quelques marches pour refermer la porte qui avait claqué quelques instants auparavant puis leur tourna le dos sans autre mot avant de déguerpir. Mario, étonné par sa réaction, ne put retenir son rictus habituel : sa moustache frétilla et ses sourcils vrillèrent en accent circonflexe. La clé, abandonnée à elle-même, les attendait sur un rebord de l’escalier. Elle brillait légèrement.

— Quel drôle d’hurluberlu ce gars !

Le couloir était toujours aussi froid et Loris qui semblait frigorifié ne cessait de frotter ses mains l’une contre l’autre pour les réchauffer. Il transpirait.

— Va chercher la clé !

L’ordre d’Alfred tomba, cinglant. Il fallait obéir. Loris ne dit rien mais posa le bout de son index tremblant sur sa poitrine l’air de dire : « pourquoi moi ? ».

Il s’exécuta finalement, bon gré mal gré mais surtout fébrile. Il chancelait sur ses jambes qui peinaient à le porter et avançait, d’un pas hésitant, les mains dans les poches, titubant presque tel un ivrogne sur le point de s’effondrer.

Il revint quelques secondes après, la clé nichée dans la paume de sa main. La porte que l’employé avait pourtant refermée claqua une seconde fois, brisant encore le silence étouffant qui régnait. Loris, l’œil vitreux, tressaillit et au moment où il allait remettre la clé à son collègue ce dernier méconnaissable, le visage déformé par la fureur, lui sauta dessus. Il se mit à le frapper à l’estomac, au visage avec une vigueur inouïe. Le souffle coupé, Loris surpris par cette réaction inattendue se débattit mais les forces lui manquaient pour lutter. Son adversaire était bien plus robuste. Soudain, il se sentit soulevé en l’air, à bout de bras, puis jeté violemment sur le carrelage. Comme cassé, l’espace d’un instant, il tenta tout de même ramper pour s’échapper mais Alfred le rattrapa aussi sec pour lui décocher des coups de pieds sans aucune retenue. Il était à sa merci. L’apprenti se tordait au sol, se demandant ce qui lui arrivait et priant pour que ce passage à tabac se terminât vite. Comme les coups ne pleuvaient plus, il crut un moment que son tortionnaire l’avait abandonné. Il comprit rapidement qu’il se trompait. Alfred l’enjamba, plaça ses pieds de part et d’autre de sa victime, avant de s’asseoir sur elle, pesant de tout son poids sur ses côtes meurtries. Il sortit de sa poche un chiffon qu’il avait toujours sur lui et l’enfonça profondément dans la bouche de Loris qui commençait à suffoquer. Sa langue déchirée par les ongles acérés qui tassaient brutalement le tissu ne parvenait pas à expulser le corps étranger qui, au contraire, descendait lentement et de plus en plus dans la trachée. Pris d’un réflexe nauséeux et de spasmes incontrôlés, il commençait à convulser. Mais rien ne semblait pouvoir arrêter la folie meurtrière d’Alfred. Il maintenait la pression sur le chiffon pour qu’il restât en place et plaqua ensuite l’autre main sur le nez de Loris pour l’asphyxier.

De l’air, j’ai besoin d’air ! Je ne peux pas mourir ici ! songeait Loris.

Dans un ultime sursaut de vitalité, il se secoua dans tous les sens, battant des jambes comme un forcené. Il saisit des deux mains les avant-bras d’Alfred pour tenter de les écarter. Impossible. Son cerveau en détresse criait au secours. Il essayait en vain de prendre une inspiration par la bouche mais à chaque fois le chiffon barrait l’entrée d’air et la panique, une panique atroce s’instillait dans son esprit. Même s’il refusait de renoncer, même s’il voulait s’accrocher à la vie, ses yeux rivés au plafond se floutèrent et il sentit le peu d’énergie qui lui restait s’évaporer tout doucement hors de lui.

Il n’avait plus d’oxygène.

Il commençait à glisser vers le néant.

Enfin, il perdit connaissance et cette antichambre de la mort lui procura un étrange bien-être auquel il ne s’attendait pas.

*

— Ça ne va pas mon grand ? Tu es bouillant !

Alfred, le accroupi auprès de Loris, parlait d’un ton paternaliste, sa grosse main aussi légère qu’une plume délicatement posée sur le front de son apprenti. Affalé par terre, Loris sortait peu à peu de sa torpeur mais il continuait à se débattre. Il poussait sur ses pieds comme pour fuir et tentait d’esquiver les derniers coups de poings imaginaires en se protégeant avec les bras.

— Oh là jeune homme, du calme ! Tout va bien.

Le front en sueur, l’apprenti regardait hagard son agresseur sans parvenir à expliquer pourquoi il se montrait maintenant si prévenant. Il resta silencieux un bon moment, les yeux dans le vide, le corps agité de mouvements réflexes puis, quand ses idées devinrent plus claires, il comprit que la fièvre aidant, il avait déliré.

— Il te faut un Doliprane pour faire baisser ta température. Je m’y connais, tu sais, j’ai des enfants.

Il lui proposa de le laisser un instant pour se rendre au camion chercher la trousse de secours. Mais le jeune homme remis de ses émotions insista pour rester avec lui.

— Je me sens déjà mieux. Dans un moment, j’irai moi-même.

— Comme tu veux !

Le jeune homme se redressa, toujours tremblant, soutenu par son chef.

— C’est bon, je peux marcher !

— Tu devrais aller t’asseoir là-bas, conseilla-t-il en désignant les escaliers. Tu seras mieux.

Alfred l’aida à se redresser puis le regarda s’éloigner en direction des marches, à la fois ennuyé qu’il soit malade et un brin moqueur. Les jeunes le laissaient parfois sans voix avec leur jean tombant exagérément sur leurs fesses, dessinant un entrejambe trop bas. Il se demandait comment ils pouvaient marcher ainsi, surtout qu’ils ne laçaient jamais leurs baskets, menaçant à chaque pas de tomber. D’ordinaire, il aurait attendu que cela se produisît pour éclater de rire et le mettre en boîte pendant toute la journée. Mais cette fois, c’était différent. Si Loris manqua à plusieurs reprises d’écraser ses lacets, il évita la chute de justesse. Habitude ou chance, qu’importait ! C’était mieux ainsi car il aurait pu se blesser.

Parvenu au bout du couloir, il fit demi-tour et s’installa sur l’escalier, le temps de se reposer un peu. Il adressa un signe à Mario pour lui faire comprendre que ça allait.

Un petit clic résonna lorsqu’Alfred ouvrit la porte du vestiaire numéro sept après avoir donné un tour de clé. Le battant s’ouvrit dans un grincement contrastant avec les lieux qui sentaient le neuf, avant d’arrêter sa course contre le mur que la poignée métallique heurta bruyamment. Il se referma ensuite, mu par une force invisible qui se serait trouvée derrière la porte pour interdire l’accès à la pièce. Le clac de fermeture qui résonna le fit sursauter.

De ses grosses mains calleuses attaquées par le ciment, Mario repoussa à nouveau le panneau coloré qui se déploya en couinant une nouvelle fois avant de s’immobiliser. A l’intérieur de la salle, la lumière jaillit automatiquement.

— Waouh, c’est chouette, fit-il, et puis il y a un éclairage instantané, j’adore. Tout doit se couper dès qu’il n’y a plus personne. J’installerai bien ça chez moi. Les gosses oublient toujours d’éteindre la lumière et ça me coûte un bras en électricité.

Il parlait suffisamment fort pour que Loris puisse l’entendre.

Même souffrant, l’apprenti ne put s’empêcher de faire le rapprochement avec le slogan de la publicité et de murmurer entre ses dents :

— C’est pas Versailles ici !

— Franchement, je me demande pourquoi ils veulent murer ce vestiaire !

A ces mots le jeune homme réagit et recolla totalement à la réalité. Il était là, assis, dans ce complexe sportif où il aurait refusé d’entrer si on le lui avait demandé. Il réfléchissait. Des rumeurs couraient à propos de la piscine et ils devaient monter un mur pour condamner l’accès à un local. Même s’il se sentait fatigué et n’avait pas les idées très claires, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait un rapport entre les deux affaires.

Alfred, de son côté, prit le temps d’examiner la pièce. Il procédait toujours ainsi avant de commencer les travaux. Des bancs rangés au garde-à-vous, plaqués aux murs et rivés au sol occupaient le pourtour, l’air d’attendre les baigneurs. Les alignements de faïence qui grimpaient jusqu’au plafond brillaient étrangement, paraissant animées d’une vie propre. Ils rappelaient les thèmes spécifiques à chaque vestiaire. Il se demanda pourquoi interdire l’accès à un si beau vestiaire. Mais il n’était pas là pour penser, juste pour effectuer la tâche pour laquelle son patron le payait.

— Ça va mieux ? demanda-t-il à Loris, de loin.

Le jeune homme le vit sortir la tête de l’encadrement de la porte.

— Pas de problème, Mari... faillit-il répondre.

Alfred avait tout de même entendu mais exceptionnellement, il se garda de rétorquer. Il détestait ce surnom et pestait quand les jeunes l’appelaient ainsi. Il partait alors dans une colère noire et les obligeait ensuite à accélérer la cadence pour les faire taire mais surtout pour prendre sa revanche.

— Bon, allez, assez traîné. Il faut attaquer !

Il rejoignit Loris et l’aida à se relever.

— Je vais chercher le diable mais avant on va au camion.

Tout en le soutenant fermement, Alfred le dévisageait et malgré sa faiblesse, il trouvait son comportement étrange, différent de d’habitude. Une fois dehors, le jeune homme certain qu’il pourrait rejoindre le véhicule tout seul voulut abandonner son compagnon. Il se sentait un peu mieux et l’air frais lui faisait du bien. Il était surtout content de fuir ce lieu trop oppressant qui alimentait les rumeurs les plus folles.

— Tu crois que tu vas pouvoir faire le boulot tout seul ?

Alfred marqua une pause, amusé par la réflexion puérile mais gentille de son apprenti.

— Pas de problème, je gère, va te reposer mais avant dis-moi, tout à l’heure, sur le parking, tu voulais me révéler quelque chose. Qu’est-ce que c’était ? Tu parlais de gens qui perdent le contrôle... si je me rappelle bien.

Loris parut embarrassé. Même à l’extérieur de la piscine, il ne se sentait pas rassuré. Il repensa au vestiaire, au couloir désert trop tranquille, à l’atmosphère presque cotonneuse qui y régnait, au froid glacial qui s’était soudain abattu dans l’escalier, sans raison, à leurs voix qui résonnaient comme elles l’auraient fait dans une caverne, aux clapotis étouffés et lointains semblant sortis d’outretombe dus à la nage des quelques baigneurs matinaux... Il était angoissé mais n’osait l’avouer. Lui aimait le bruit, la musique et faire la fête.

— Eh bien, je... je...

— Si au moins tu me disais ce qui te tracasse !

Loris prit une profonde inspiration qui lui fit tourner la tête. Puis il regarda à droite, à gauche comme pour vérifier quelque chose, jeta un œil derrière lui et se décida enfin à parler.

— Voilà, hum, hum... Il y a des on-dit qui courent autour de la construction de ce complexe aquatique. Les réseaux sociaux, Twitter, Facebook, Instagram en ont parlé pendant des jours, et à l’époque, tous mes potes étaient sur le coup. Il paraît que même la télé a relayé l’info, mais j’en suis pas sûr. Tu vois, c’est drôlement important. Par contre, ce qui m’étonne, c’est que du jour au lendemain... pouf, disparu... plus rien à ce sujet.

— C’est des « fac-niou »... Comment vous dites déjà ?

— Des fake news ! rectifia le jeune homme. Non, c’était tout ce qu’il y a de plus vrai. Mais tu sais, parfois, ils étouffent les rumeurs pour ne pas affoler la population !

— La théorie du complot, fit Alfred, c’est devenu à la mode. Je n’y crois pas. Et qu’est-ce qui s’est passé ensuite ? Ne me dis pas qu’on a trouvé des cadavres atrocement mutilés, pile à l’endroit où ils ont creusé la piscine !

Loris, toujours fébrile, chancela un instant et recula d’un pas pour s’appuyer sur une large barrière destinée à parquer les vélos. Alfred, qui trouvait ses élucubrations tirées par les cheveux, lui proposa de remettre la discussion à plus tard mais le jeune homme paraissait sincère. Il insista pour terminer son récit.

— Il n’y avait pas de cadavres mais il paraît que ceux qui ont creusé les fondations ont entendu des murmures et même des voix venant de la terre.

— Des voix... du fond de la terre en plus. On t’a fait marcher !

— Moi, je te dis ce que je sais ! Des phénomènes inexplicables se sont produits ici et c’est pour ça que le chantier a pris énormément de retard pendant la construction.

Alfred mit sur le compte de l’imagination et probablement de la fièvre les révélations de son apprenti qui semblait pourtant convaincu par ce qu’il disait.

— OK man ! fit le jeune homme en guise de conclusion. Je te laisse, je vais m’asseoir dans le camion. Je ne me sens pas très bien. Si ça va mieux, je te rejoindrai en bas.

— Ne te fais pas de bile, repose-toi ! Tu viens si tu veux. Je peux faire ce travail tout seul.

Ils se séparèrent pour emprunter des directions opposées. Mario pressa le pas pour rejoindre les vestiaires par l’entrée latérale destinée aux livraisons où le diable chargé de sacs de ciment, de parpaings, d’un bac à gâcher et d’outils divers l’attendait.