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Quel lien Marie, passionnée de lecture, qui a vécu au XIXème siècle, peut-elle entretenir avec le député sans scrupules Norbert de Belfond qui roule en Porsche et fait souvent la une des quotidiens voire de la presse à scandales ? Comment son existence appartenant à un passé révolu est-elle reliée à celle de Chris et de Shaïma dont la beauté exceptionnelle fait chavirer bien des cœurs ? Ces derniers forment un couple dont l’amour rayonne et suscite la convoitise. Enfin quelle relation y a-t-il entre Viniciane propriétaire d’un vaste domaine et Tony ou Leila qui peinent pour subsister ? Un lien unit ces histoires et leurs personnages dont les vies sont bousculées alors que le destin semblait inexorable.
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Seitenzahl: 342
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Audrey Degal, née en 1960, titulaire d’un Doctorat de Lettres modernes en littérature médiévale, enseigne aujourd’hui la langue française dans l’Académie de Lyon. Dès l’âge de 12 ans elle se lance dans l’écriture au travers de romans non publiés qui l’ont toutefois confortée dans cette passion. Elle est aussi l’auteur de publications dans son domaine de spécialité, La Chanson de geste des Xllème et XHIème siècles. Aujourd’hui elle se partage entre son métier de professeur de français et l’écriture romanesque à laquelle elle consacre de plus en plus de temps, poussée par l’irrésistible envie de partager avec les lecteurs le fruit de son imagination.
« Les appareces suffisent largement à faire un monde »
J. Anouilh.
LE CLOU…
EPRIS QUI CROYAIT PRENDRE
LA VOIX DU TENOR
LES MANGEURS DE TEMPS
DECIBELS
LE PETRIN
LA FEMME VOLANTE
LE LIEN
ET S’IL EN AVAIT ETE AUTREMENT !
EPILOGUE
L’Ardèche. Ses châtaigniers impérissables et centenaires qui ont croisé tant de générations, C’est dans cet écrin de verdure que Norah et Paul avaient enfin pu toucher leur rêve du bout de leurs doigts inexpérimentés. Ils venaient, au prix d’un endettement certain, d’acquérir une maison à la campagne. Leur rêve et le bonheur étaient enfin à leur portée. Du moins le croyaient-ils à ce moment-là !
Ils avaient eu quelques hésitations : se plairaient-ils vraiment si loin de tout ? Le prix ne cachait-il pas quelque ambiguïté ? Car cette maison, c’était une perle rare ! Le courtier le leur avait assuré. Le propriétaire voulait vendre et il était pressé. Le vendeur était un homme d’affaires, une notoriété qu’ils ne rencontrèrent jamais. A quoi bon ! Pourtant, cet homme allait jouer dans leur vie un rôle qu’ils ne pouvaient imaginer à ce moment-là. Et puis, il fallait saisir l’opportunité. Il n’y avait rien de tel sur le marché immobilier et la maison trouverait rapidement un autre acquéreur s’ils ne se décidaient pas sans tarder. Ils franchirent le pas.
A la signature des actes authentiques, chez le notaire, ils entrevirent un nom, celui d’un député. A quelle occasion avaient-ils entendu parler de lui ? On ne sut le préciser. Bien plus tard on se souvint vaguement avoir lu quelque chose dans la presse à propos d’une histoire qui avait été médiatisée. Mais plus jamais le couple n’y repensa.
Longtemps tous deux s’étaient imaginé la maison, remplie de gosses courant autour d’une table brute de bois clair. Sur celle-ci, des bols du petit déjeuner traîneraient encore, marqués par les traces de lèvres chocolatées. Un gros chien pataud et gentil aurait accompagné les bambins, une fille et un garçon vraisemblablement. Au salon, devant la grande cheminée, un tapis de jeu de société aurait été déployé sur le parquet. Les pions s’y seraient disputés. Mais pour l’instant, pas d’enfants encore, juste des projets ! Et devant eux : l’avenir...
La maison était disposée en L et à l’une de ses extrémités, au premier niveau, on pouvait découvrir une grande salle de bains qui avait remplacé l’ancienne bergerie. On y descendait en empruntant quatre marches. Il y avait ensuite la salle à manger, le salon et plus loin la cuisine. A l’étage, les chambres se lovaient dans la tranquillité : une plus spacieuse pour les parents et trois autres généreusement baignées par le soleil.
Les premiers mois qui suivirent l’acquisition furent consacrés à l’élaboration de plans sur lesquels ils déplaçaient, à moindres coûts, les murs ou les cloisons. Ils apparaissaient sur un coin du papier pour disparaître quelques minutes et réapparaître finalement sur le pan opposé. Enfin satisfaits de leurs projets d’aménagements, ils commencèrent les premiers travaux car, sans enfants pour l’instant, ils avaient le temps et le budget à consacrer à la bâtisse. Des entrepreneurs s’occupèrent des réparations les plus difficiles tandis que Paul, à coups de scie circulaire et de perceuse, suivait les conseils avisés de Norah. Et la maison prenait forme, demeure traditionnelle en pierres dont l’intérieur respirait de plus en plus la fraîcheur et la modernité.
Ils étaient souvent d’accord et toujours aussi amoureux, comme au début. Rien ne les opposait jamais. Rien, sauf un détail, lequel se trouvait dans la salle de bains.
La pièce était dotée d’une fenêtre à double vitrage. Norah aurait préféré une porte-fenêtre mais le budget serré du moment l’obligea à réduire ses prétentions. Les murs étaient recouverts d’une faïence rosée et d’un listel grisé aux deux tiers de la hauteur. Un bac à douche avait pris place dans le coin gauche, juste à côté de deux vasques blanches. Le sol initialement en terre battue avait été carrelé. Bref, Paul et Norah avaient fait de l’endroit un lieu clair et agréable. Cependant un mur était resté en l’état. Il présentait deux problèmes : du salpêtre et la présence d’une sorte de clou, proéminence de métal profondément insérée dans la pierre. La solution miracle qui nécessiterait des travaux plus complexes avait été repoussée. Norah passait à maintes reprises devant ce mur et le bout de métal l’agaçait sérieusement. Paul, quant à lui se contentait d’un mouvement de tête pour l’éviter lorsqu’il descendait l’escalier.
Un soir, n’y tenant plus, elle alla trouver son mari qui faisait des mots fléchés, confortablement installé dans le salon, le dos bloqué par des coussins douillets. Les mains sur la taille, le buste légèrement incliné vers l’avant, elle lui dit :
- Paul, j’en ai vraiment assez !
Il ne répondit pas, trop absorbé par un mot de neuf lettres qui refusait obstinément de croiser un autre terme placé dans la grille depuis déjà longtemps.
-Paul, je te parle ! ajouta-t-elle visiblement agacée.
-Oui, chérie ?
-Je ne te dérange pas trop ? ironisa-t-elle alors que la réponse de son mari demeurait masquée par la revue qu’il leva devant son visage.
- Bien sûr que non, voyons ! Ah, c’est pas vrai ! « courroucé » est juste pourtant, j’en suis sûr. Neuf lettres ! Ils ont dû se tromper et il manque une case dans l’autre sens. Ce n’est pas la première fois qu’ils se trompent tu sais ! Alors...
- ...je te disais donc..., coupa Norah un ton plus haut. Elle se planta droit devant lui, les bras croisés, et sa présence se faisant plus appuyée, Paul daigna décoller le nez du jeu qui lui résistait.
- Tu as besoin d’aide chérie ? Tu veux que j’étende la lessive ? J’ai peut-être oublié de ranger mon linge ? J’y vais tout de suite ! Je suis désolé, je t’assure !
Agacée, elle répondit :
- Je n’avais pas pensé au linge mais c’est vrai que tu dois le ranger. Je ne suis pas ta bonne ! Quant à l’aide généreuse que tu me proposes, CHE-RI, je me demande encore pourquoi TU me proposes de M’aider. On travaille tous les deux que je sache et TU évites certaines tâches à la maison. ON s’était promis de s’aider mutuellement pour tout ce qui nous incombe à tous les deux !
Paul était fatigué par les travaux interminables et il était parfois éreinté. Après les repas, fourbu, il finissait souvent par s’endormir, le regrettant aussitôt après. Elle le savait, le comprenait mais aimait le taquiner parfois.
- Tu as raison ma biche, lança-t-il tendrement, esquissant un sourire aux lèvres. Mais quel est le problème si ce n’est pas le linge ?
-Le mur, le salpêtre et donc le clou !
- Ah, tu parles du vieux clou, enfin du gros truc rouillé qui dépasse ?
- Exactement, le vieux clou de la salle de bain. Il est là depuis des années, depuis quatre ans en fait.
- Je vais l’enlever, je te le promets !
-Oui, je n’en doute pas mais quand ? C’est la vingtième fois que tu me l’assures mais il est toujours là. Un de ces jours on va se blesser avec ce clou. C’est dangereux. Il est saillant, rouillé. L’un de nous deux va s’accrocher... Je sais bien que ce n’est pas facile mais si tu pouvais au moins le couper même sans l’enlever ce serait déjà formidable.
-Tu as totalement raison. Mais tu sais, ça ne va pas être simple. Il est vraiment très long et profondément implanté dans le mur et ...Tu sais que dès que l’on tente de l’extraire, rien ne bouge. J’ai déjà essayé ! En fait, je crains que ce ne soit que la face visible de l’iceberg. Je me demande vraiment pourquoi ce clou a été mis là. Franchement, je ne sais pas. Trouvons-lui une utilité après tout ! ... Non ?... Bon j’ai compris. Ecoute je finis ma grille et je vais réfléchir au moyen de l’extraire, je te le promets ! assura-il tandis qu’il relevait la revue à hauteur de ses yeux permettant à Norah de lire :
« SUPER MOTS FLECHES
Juillet 2009
4 euros
Solutions en fin de revue »
Furieuse, elle tourna les talons se parlant à elle-même, suffisamment fort pour que Paul puisse l’entendre et surtout la comprendre :
- J’en ai marre et plus que marre ! Cela fait quatre ans, rien que ça ! Et c’est toujours : oui j’y vais tout de suite, le temps de finir ceci, le temps d’achever cela et patati et patata ! Lui trouver une utilité ! Quelle idée idiote ! Si j’avais la force de l’arracher ce maudit clou, il y a longtemps que je l’aurais ôté moi-même.
- Je te dis que j’y vais, dit d’une voix faible Paul qui se trouvait toujours dans le salon.
Mais une heure après il la rejoignit dehors, sur la terrasse encore ensoleillée, pour lui annoncer qu’il avait fini sa grille. Elle ne comportait finalement pas d’erreur. Il était fier d’avoir remporté la lutte contre les cases, armé de son crayon. Norah quant à elle boudait car elle savait qu’il était trop tard pour qu’il se mît à bricoler donc pour envisager une quelconque extraction.
- Et voilà ! ajouta-t-elle sur un ton désespéré afin qu’il comprît quelle allusion implicite sa réflexion contenait.
Tout en la serrant tendrement dans ses bras, il lui murmura à l’oreille cette phrase :
- On ne doit pas se disputer Norah ! On ne sait jamais de quoi sera fait le soir ou le lendemain. Il arrive un jour où le baiser du matin est le dernier car l’autre s’est en allé...
Elle se contenta de répondre qu’elle n’avait pas l’intention de s’envoler.
Le clou passerait donc une journée, une nuit de plus et peut-être beaucoup d’autres encore à sa place, fiché dans le mur. Plus tard, elle disparut dans la cuisine afin de préparer le dîner. Elle vit, par la fenêtre Paul qui discutait avec le voisin d’à côté.
A table, le soir, ils parlèrent de tout et de rien, firent des projets, choisissant déjà les prénoms des enfants auxquels ils pensaient de plus en plus. La maison était presque terminée et ils se sentaient enfin prêts à partager ce lieu idyllique avec un premier bébé.
*
Le lendemain matin, Norah se réveilla tard tandis que Paul était parti, à la fraîche, faire quelque randonnée solitaire. Norah, elle, n’était pas du matin. Ils feraient donc une balade ensemble plus tard dans la journée. C’est du moins ce que Paul croyait ! C’est souvent ce que l’on croit quand on est certain que l’on maîtrise l’instant d’après. Et pourtant !
Vers neuf heures, Norah enfila ses pantoufles et descendit prendre le petit déjeuner. La journée s’annonçait radieuse et cette seule pensée l’ égaillait. Elle regarda par la fenêtre ouverte. Le soleil était déjà haut. Une odeur d’herbe coupée vint taquiner ses narines. Un tracteur s’activait dans un champ, au loin, et devant un hangar du hameau, une voiture grise qu’elle ne connaissait pas, une Audi A4, était stationnée. Les visiteurs étaient pourtant rares. Elle referma la fenêtre puis s’installa à table.
Elle mangea copieusement puis parcourut rapidement le journal que le facteur avait déposé sur le perron tôt dans la matinée. Elle débarrassa la table, l’essuya et quand la cuisine fut nette elle se dirigea vers la salle de bain pour prendre une douche qui la dynamiserait. Elle traversa les pièces et descendit les quatre marches qui la menaient à la salle de bains. Là, elle prit sa brosse à dents, y déposa un dentifrice fluoré et se nettoya vivement la bouche. Elle prit ensuite une barrette afin de relever ses cheveux au sommet de sa tête. Elle allait pousser les parois de verre dépoli de la douche pour ouvrir les robinets et faire venir l’eau chaude avant même de se déshabiller quand elle s’aperçut qu’elle avait oublié de mettre de la musique. Elle choisit donc un CD, Muse, « Uprising » et régla le niveau sonore. Elle se retourna, fit quatre pas et saisit les baguettes blanches de la cabine pour l’ouvrir. Elle laissa glisser naturellement les chaussures de ses pieds.
Brusquement, la porte s’ouvrit avant même qu’elle n’ait poussé sur les poignées et un homme vêtu d’un jean, d’une chemise sombre et d’une cagoule bleutée bondit du bac à douche. Norah terrifiée se débattit mais elle frappait l’individu trop anarchiquement. Les mains de l’homme agrippèrent ses deux poignets et elle se sentit réduite à l’impuissance. Alors elle agita tout son corps, animée d’une énergie inouïe si bien que le malfaiteur dût la lâcher. Elle se débattait comme une tigresse. Une main enserra ensuite son cou sans trop le serrer dans un premier temps mais, comme elle résistait, la pression s’accentua et elle se dit que l’homme voulait désormais lui broyer la trachée. Elle se sentait impuissante, telle une marionnette. Les yeux exorbités, elle se démenait, cherchant à hurler. Aucune voix ne sortait de sa gorge et les mots auxquels elle pensait, les appels à l’aide, étaient simplement labialisés. Seul un mince flux d’air parvenait à se frayer un passage dans sa gorge presque totalement écrasée. Inconsciemment, elle cherchait une solution. Y en avait-il une ? Soudain, elle eut la présence d’esprit de planter un doigt dans un œil de l’individu. Le bleu injecté de sang vira immédiatement au rouge ce qui le rendit plus terrifiant encore. Il ressemblait à un cyclope, malfaisant et déterminé. Elle profita néanmoins de la douleur occasionnée pour s’extraire de ses mains qui s’étaient relâchées. Bruyamment, elle inspira pour emplir ses poumons d’air. Profitant des quelques secondes de liberté dont elle disposait, elle se rua vers les escaliers, gravit la première marche mais chuta sur la seconde. Ses gestes étaient désordonnés, trop précipités. Elle n’avait qu’une idée en tête : sortir absolument de cette pièce ! Sa jambe heurta violemment l’arête de l’escalier et le muscle tuméfié devint immédiatement violet. Une grimace due à la douleur déforma son visage. Mais il lui était impossible de renoncer ! Elle rassembla ses forces pour partir de nouveau à la conquête de l’escalier. Il fallait monter pour arriver au salon, ouvrir la porte-fenêtre et appeler. Quelqu’un entendrait ses appels désespérés. Des voisins arriveraient sûrement qui l’aideraient ! Paul, s’il n’était pas loin, accourrait. Il volerait à son secours. Mais alors qu’elle s’élançait, elle fut stoppée dans son élévation par un bras puissant qui s’accrocha à sa cheville, bien décidé à l’emprisonner. Norah choqua à nouveau, de plein fouet, l’angle des marches d’escaliers. Elle faillit s’évanouir. Elle avait chaud, elle transpirait. La peur gagnait du terrain. Elle savait que l’intrus venait de la rattraper avec la ferme intention de ne plus la laisser s’échapper. Ses pensées se bousculaient, mêlées d’effroi.
- Mais qui est-il ? Que veut-il ? Pourquoi moi ? C’est impossible, je dois sûrement rêver ! Réveille-toi Norah, c’est ça réveille-toi !
Hélas, la douleur si vive qu’elle ressentait au niveau du cou, celle si brûlante qui montait de ses jambes lui disaient qu’il s’agissait de la réalité. L’homme avait manifestement la ferme intention d’achever sa victime. Il appliqua alors une main sur la bouche de sa proie afin de taire ses cris et de l’autre il la frappait, le poing serré, tel un forgeron battant le fer sur l’enclume. Comme elle avait la bouche ouverte, ses incisives sentirent la chair des doigts et de la paume de l’homme. Norah le mordit alors avec une détermination prodigieuse mais l’individu n’émit qu’un grognement étouffé tandis que son sang coulait sur le carrelage blanc. Pourtant elle lui avait fait mal puisqu’elle sentait sur sa langue le morceau de chair humaine qu’elle avait détaché de sa main.
- Mais pourquoi reste-il silencieux ? se demanda-t-elle. Elle avait vu tant de films dans lesquels le malfaiteur se répandait en menaces horribles pour faire trembler sa victime. Et puis elle l’avait blessé. Il n’avait rien dit ! Etait-il insensible comme le monstre de Millénium, ce livre qui l’avait fascinée ?
Pour la seconde fois il dut lâcher prise. Norah cracha aussitôt le morceau prélevé à l’ennemi et elle le regarda tomber au sol, sanglant. C’était une victoire. Une petite et piètre victoire cependant car l’étranger restait toujours là, barrant la porte de son corps, si bien que Norah ne sût où se retourner. Il obstruait la seule issue. La seule ? Non ! Il y en avait une autre ! De toute évidence elle aurait pu s’enfuir par la fenêtre de la salle de bains mais celle-ci était étroite et l’agresseur ne lui laisserait jamais le temps de s’y glisser. Elle songeait aux discussions stupides qui l’avaient opposée à Paul lors de la réfection de cette pièce. Norah voulait une porte-fenêtre afin d’avoir accès à la terrasse. Paul affirmait que c’était inutile, qu’une salle de bains avait juste besoin d’être éclairée et aérée. Comment aurait-il pu imaginer alors que ce choix rendrait un jour tout espoir de fuite impossible à celle qu’il aimait. Leur budget trop restreint avait finalement décidé à leur place. Une fenêtre ! Seule sortie ! C’était trop bête !
Norah la regarda, découragée. Il lui faudrait trouver autre chose. Mais l’homme lui en laisserait-il le temps ? Grognant étrangement, il se jeta sur la jeune femme et la poussa avec une force herculéenne. Sa tête rencontra le mur faïencé et ricocha sur le meuble placé juste devant. Sa vue se brouilla. La musique qui n’avait pas cessé se tut. L’appareil gisait au sol. Elle devina soudain une forme, un outil probablement oublié là par Paul. Comme il bricolait souvent, tel un Petit Poucet atteint d’amnésie, il semait ses outils et les cherchait ensuite désespérément. Sans réfléchir, elle s’empara de son arme improvisée, fit volte face et accompagna sa rotation d’une frappe en pleine tête. L’individu vacilla. Elle l’avait percuté juste au-dessus de la tempe gauche. Mue par un incroyable instinct de survie et profitant du fait qu’il était hébété, elle saisit sur la console un lourd flacon de parfum d’Yves Saint Laurent, Opium, encore plein. Elle se retourna et frappa la créature malfaisante qui saignait mais ne semblait pas vouloir renoncer. Elle frappa, frappa encore. Fort, plus fort. Pas assez pourtant car il se dressait toujours là devant. Jamais elle n’aurait imaginé auparavant avoir une telle puissance dans ses petits bras minces et frêles, trop faibles pour pouvoir ôter un clou.
- Un clou ! LE CLOU!...
Tandis qu’elle recevait une pluie de gifles, de coups de poings, de coups de pieds, elle pensait non pas à Paul, mais au clou rouillé, fiché là, si solidement, depuis tant d’années. Ses forces l’abandonnaient de plus en plus mais elle refusait d’abdiquer. Ce clou, c’était un espoir. Elle songeait :
- C’est ça ! Voilà, j’ai trouvé... Oui ! Je vais y arriver, je vais le projeter dessus, je vais le planter, lui encastrer la nuque sur ce fichu clou rouillé. Le clou ! Le clou ! Oui !
Terriblement affaiblie, le souffle court, elle tremblait. Elle semblait ne plus pouvoir lutter et c’est au prix d’efforts indicibles qu’à chaque fois elle se relevait. Elle ne s’avouerait pas vaincue avant la fin et ce n’était pas la fin. C’était une femme de caractère, sportive. C’est ce qui avait plu à Paul lorsqu’ils s’étaient rencontrés. L’homme, lui, semblait se délecter de ces moments de soumission de sa victime, lorsqu’elle essayait de reprendre son souffle et ses esprits. La respiration de Norah était entrecoupée de sanglots étouffés et de spasmes. Au sol, à quatre pattes, elle savait qu’elle jouait sa dernière carte, qu’il lui faudrait se redresser, et, au moment où il s’y attendrait le moins, le pousser avec une violence extrême, avec la force puisée dans les causes perdues. Le pourrait-elle ?
- Je vais y arriver, se dit-elle, je vais le tuer, je ne mourrai pas aujourd’hui. Je vais trouver la force de le pousser, oui ! Pousse-le Norah, jette-toi sur lui, pousse-le sur le clou et ce sera fini !
Mais qui était cet homme ? Que lui voulait-il ? Pourquoi vouloir la tuer ! Elle n’avait rien fait. Il n’exigeait rien ! Il ne disait rien ! D’où venait-il ?
Alors Norah osa des questions qu’elle eut le plus grand mal à articuler tant sa mâchoire était tuméfiée :
- Pourquoi, lança-t-elle, mais pourquoi ? C’est de l’argent que vous voulez ? De l’argent ? Prenez tout, mon sac est dans le salon, avec ma carte bleue et mon chéquier. Prenez tout mais laissez-moi ! Je ne vous ai rien fait ! Mais répondez bon sang ! Répondez-moi ! Pourquoi ? Pourquoi moi ?
Inébranlable, l’homme ne bougeait pas. Il n’eut aucune réaction. Elle comprit qu’elle avait parlé en vain. Il ne désirait que sa mort. Il n’était venu que pour cela. Toujours à terre, elle décida de n’avoir plus à l’esprit que le clou puisqu’il n’y avait pas d’autre alternative. Il voulait prendre sa vie. Elle voulait à présent sa mort à lui plus que tout. La salle de bain était une arène, l’homme un gladiateur puissant et elle la victime. Toutefois elle lutterait jusqu’au bout !
Norah se redressa encore une fois lentement. Son dos était voûté. Ses bras pendaient le long de son corps. Ses cheveux, collés en mèches épaisses par le sang coagulé, masquaient partiellement son visage méconnaissable. Intérieurement elle tentait de se persuader qu’elle le vaincrait. Sa stratégie fonctionnerait !
- C’est ma dernière chance. Il me croit déjà anéantie.
D’ailleurs, son adversaire s’approcha d’elle et lui donna une légère tape sur l’épaule, histoire de la voir vaciller une fois de plus, ce qu’elle fit. Il s’amusait. Elle subissait.
- Tu n’as pas encore gagné ignoble monstre, pensa-t-elle. Tu crois être le vainqueur ? Pas encore. Tu ne m’as pas vaincue. Je suis toujours là, vivante. Comment pourrais-tu imaginer ce que je compte faire ? J’aurai la force de te pousser suffisamment fort sur ce clou. Merveilleux clou, vas-tu me sauver la vie Laisse-moi me rapprocher de toi monstre et tu vas voir !...
Elle le vit lever les yeux vers le plafond et serrer les poings à faire craquer ses articulations. Il semblait implorer le ciel. Il savourait une victoire à sa portée ! Norah vivait les derniers instants d’un cauchemar dont le sang, le sien, était vrai !
Elle respirait difficilement. Comme dans un film au ralenti, elle se retourna vers l’homme, sans le regarder, s’imaginant peut-être qu’il risquait de voir dans ses yeux un ultime défi. Elle s’attendait à ce qu’il lui assénât un coup qui l’aurait finalement délivrée. L’homme s’amusait à marteler ses deux poings l’un contre l’autre. Il émit aussi un rire sordide et étrange, presque inaudible qui tenait davantage du râle. La cagoule en fut déformée mais resta muette. Norah recula de quelques pas. Elle titubait. Elle ne ressemblait plus à une femme. Tout à coup, elle plongea vers l’avant avec une puissance extraordinaire. Elle percuta de tout son corps celui qui pensait déjà avoir gagné. Il fut propulsé en direction du clou qui allait la sauver. Norah ressentit l’impact jusque dans ses chairs et elle crut que son bras allait se détacher.
Surpris, l’homme recula de quelques pas. Il allait s’arrêter juste devant le clou qu’elle n’avait jamais osé regarder de peur de voir son intention démasquée.
Elle se rua alors sur l’agresseur. Elle le bouscula violemment une seconde fois, ses mains plaquées sur sa tête qui heurta le clou. Le bout de métal ne demanderait qu’à entrer profondément dans sa cervelle.
Ce fut chose faite. L’homme fut comme sonné, collé à la paroi comme une vulgaire mouche écrasée, glissant ensuite le long de celle-ci avant de tomber assis à terre, le regard dans le vide. L’ennemi était foudroyé. Elle le savait : ce clou dépassant de ce mur aurait la force de le tuer.
Norah fixa l’être inerte toujours encagoulé. Elle recula, regarda à droite, à gauche sans trop savoir pourquoi et elle se mit à pleurer. Elle s’approcha ensuite avec la plus grande difficulté d’une des deux vasques. Elle ouvrit le robinet d’eau pour se rincer la bouche, le visage, les mains et, dans le miroir, elle constata que son corps n’était qu’une plaie. L’élément liquide l’apaisa immédiatement. Elle avait l’impression de se réveiller. Elle revenait à la vie.
- J’ai failli mourir, pensa-t-elle maintenant heureuse.
Elle se demandait si elle parviendrait à monter les quatre marches pour sortir de cette pièce. Son corps douloureux lui rappelait de plus en plus combien la lutte avait été intense. Jusque-là, la peur avait quelque peu étouffé la douleur. Elle la ressentait totalement désormais mais elle s’en moquait. Elle jeta un regard vers l’arrière. Elle ne reconnaissait même plus la salle de bain. La couleur blanche avait cédé sa place au rouge. Les parois de verre de la cabine de douche étaient brisées. Des éclats étaient probablement fichés sous ses pieds. Elle souffrait d’une façon indicible mais elle eut envie de rire. Ses nerfs lâchaient. L’important désormais était qu’elle vivrait ! Combien de temps s’était écoulé ? Une éternité pour elle. Elle n’attendait plus que le retour de Paul, qui l’embrasserait. Il lui dirait combien il l’aimait. Ils mettraient en route leur premier enfant elle le voulait désormais. Et ils profiteraient de chaque moment de l’existence... Vivre ! En un mot elle allait vivre vraiment. Elle affronta de nouveau le miroir et plongea son regard dans son propre regard. Etait-ce bien elle ? Détournant ses yeux de la glace et, penchée au-dessus du robinet toujours ouvert, elle choisit de se laisser aller, de sangloter. Elle resta appuyée sur la vasque, le front posé sur son avant bras gonflé. Elle n’osait bouger.
Soudain elle sentit ses cheveux se dresser sur sa tête, saisis par une main invisible. Une violente traction l’obligea à se tenir droite. Là, elle vit dans le miroir son agresseur qui s’était dressé derrière elle. Par réflexe elle empoigna aussi sa chevelure espérant vainement se dégager de la sorte. Elle fut hissée. La pointe de ses pieds touchait à peine le sol.
- Ce n’est pas possible, pensa-t-elle horrifiée. Tu es mort, je t’ai tué. Tu...
Il la tenait fermement. Il recula ensuite, avant de la propulser brutalement vers la vasque. Son visage rencontra la porcelaine pour la dernière fois. Au même instant elle entendit une voix venant du salon :
- Norah, ma chérie, je suis là ! Il fait beau ce matin ! Tu as vu, je t’ai fait un petit plaisir. Pendant que tu dormais je suis descendu et j’ai enlevé le clou mon amour. Il a résisté tu sais mais je voulais que tu sois contente en te levant ce matin. J’ai enfin appliqué ta règle : on ne remet jamais à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui. Norah, tu es contente n’est-ce pas ? Norah ? Réponds ! Norah !
*
Le mari rentrant d’une balade matinale en forêt avait laissé son épouse dormir. A son retour il l’a découverte inanimée dans la salle de bains, victime d’une agression d’une extrême violence.
Les secours arrivés sur place n’ont pu que constater le décès. Les gendarmes ont procédé à des relevés d’indices et ont déclaré qu’il y avait eu une lutte sans merci. Le Procureur de la République a souligné les conditions étranges de cette agression hors du commun et a aussitôt déclaré qu’une enquête était ouverte pour faire la lumière sur cette sombre affaire.
Le couple, sans histoires, installé dans la région était particulièrement apprécié du voisinage. Diverses pistes s’offrent donc aux enquêteurs telles que l’agression gratuite, la tentative de vol qui a mal tourné ou le drame familial. Les investigations qui seront menées les jours prochains pourraient, éclairer l’affaire sur ce sujet.
La dangerosité de la route qui parcourt la vallée du ruisseau de Chalian n’est plus à démontrer ! Bien que la sécurité routière ait été interpellée à plusieurs reprises, aucune mesure n’a été mise en place pour sécuriser le virage appelé « virage de la mare ». Aussi n’est-il pas surprenant qu’une voiture soit sortie de la route, plongeant dans les eaux profondes en contrebas.Ce sont des randonneurs qui ont donné l’alerte.
Il est encore trop tôt pour dire quand l’accident a eu lieu mais il semble qu’il soit très récent. Deux corps sans vie, ceux d’un homme et d’une femme, ont été extraits du véhicule, une Audi grise.
Un hameçon, deux touches. Les gendarmes ont constaté que le véhicule ne s’était pas enfoncé dans les eaux parce qu’il reposait sur un autre véhicule. Par conséquent, quelques heures après, on sortait de la mare une deuxième voiture, une Porsche noire à bord de laquelle se trouvait un cadavre dans un état très avancé de décomposition. Seuls les vêtements s’agissait d’un homme. La plaque minéralogique devrait permettre de décliner rapidement l’identité du chauffeur.
Trois autopsies suivront donc qui permettront de faire la lumière sur ces tragiques accidents mais qui ne sécuriseront en rien ce virage de la mare.
*
L’histoire de Paul et de Norah aurait effectivement pu se dérouler ainsi mais elle aurait très bien pu se passer différemment...
Viniciane avait toujours adoré parcourir les bois en compagnie de son père. Le gibier y foisonnait et les biches, les sangliers, les cerfs ou les chevreuils nés sur le domaine semblaient ne jamais vouloir ou devoir quitter les lieux.
Enfant, l’auteur de ses jours l’avait invitée à suivre les pas du chasseur avéré qu’il était. Amusée, elle ne songeait alors qu’à le suivre, chaussée de bottes de sept lieues imaginaires issues de ses lectures. Elle se glissait exactement dans les empreintes laissées sur le sol par son idole. Elle s’initiait à l’art de poursuivre et de traquer un animal, d’épauler le fusil, de faire feu et de suivre, à la trace, la lente agonie d’une victime. Elle aimait voir s’achever les vies dans des flaques rouges.
Viniciane gérait le vignoble familial et s’occupait aussi des autres propriétés. Depuis son enfance, son père, un député, adorait acheter des maisons ou des terres même s’il fallait les revendre ensuite. Souvent ces demeures restaient vides et la famille n’y faisait que de brèves haltes. Il s’agissait davantage d’investissements spéculatifs qui rapportaient généralement beaucoup d’argent. Elle adorait chasser avec lui, sur leurs terres et pour la plus grande joie de celui-ci, elle progressait. Il n’avait d’yeux que pour elle, si masculine dans son courage infaillible. Elle contrastait d’ailleurs avec sa sœur, superbe créature précocement remarquée par les agences de mode. Cette dernière, différente, s’était expatriée à New York et ne s’était jamais intéressée ni à la chasse ni aux domaines paternels. Le père était devenu riche grâce à des affaires prospères, à une carrière politique sans scrupules et à de solides relations. Surtout à de solides relations ! Avocats de renom, ministres, ambassadeurs représentaient pour lui autant d’appuis en cas de problèmes. Il régnait sur ses entreprises. Ses deux filles n’avaient jamais rien su de sa carrière dont il cachait les méandres. Il dissociait depuis toujours sa vie professionnelle, de sa vie familiale laquelle était réduite au strict minimum. Elles avaient pourtant eu vaguement connaissance, une fois, de ses démêlées avec la justice. Mais on les tenait volontairement à l’écart de tout tumulte car leur père était un personnage médiatique. Elles étaient habituées à ce qu’une myriade de journalistes les photographiât. Elles ne prêtaient aucune attention aux gros titres des journaux et passaient outre les scandales quels qu’ils soient.
Leur mère, quant à elle, n’avait toujours été que l’ombre du père, Elle avait dû se contenter d’une certaine opacité tandis que son mari resplendissait. Pour tromper l’ennui elle s’était contentée de s’occuper de ses deux fillettes. L’une, garçonne mais fort belle ne vivait que pour les retours de son père. L’autre féminine, raffinée, sensuelle suscitait l’admiration. Très jeune elle fut propulsée sur les plus hautes marches des podiums, vouée grâce à une plastique irréprochable, à mener une carrière internationale. Mais la femme du député, malgré tout l’amour qu’elle portait à ses filles, mit fin à ses jours. Elle avait laissé une lettre expliquant son geste dans laquelle elle disait vouer un amour infini à ses enfants. Dévorée par la solitude, elle s’était donné la mort juste après que la presse eut célébré la victoire du député dans un procès qui avait ébranlé jusqu’à leur entourage tant il avait eut de retentissements. En fait à cause de cette affaire, elle en était arrivée au point où elle exécrait son mari.
Afin de ne point nuire à la carrière de l’homme célèbre, il fut dit qu’une rupture d’anévrisme l’avait emportée. Elle s’était pourtant pendue. Les quotidiens souhaitaient étaler l’affaire à la une mais des pressions politiques considérables avaient eu le dernier mot. Aussi, l’événement avait finalement occupé deux lignes dans la rubrique des faits divers. Il y fut question « d’une femme découverte morte chez elle quelques jours après son décès, victime d’un A.V.C1 ». On ne révéla même pas son identité. Ainsi le député ne fut jamais cité.
*
Bien des années plus tard, Viniciane était devenue plus habile à la chasse que son père. Elle flairait une piste bien mieux que lui et avant même qu’il ne lui ait crié Feu !...la bête tombait. Viniciane déchirait la forêt d’un hurlement de joie. Tout ce qui la croisait et vivait était voué à succomber sous ce tir ajusté de Diane. Mais son père disparut subitement dans des circonstances étranges et l’on ne retrouva pas son corps. Pour combler cette absence, elle intensifia encore et encore sa quête de vies à prendre. Elle prenait manifestement plaisir à tuer et lorsqu’elle abattait un animal, si le premier coup de fusil n’était pas fatal, c’était qu’elle le voulait bien. Il lui fallait regarder la mort dans les yeux. Et même ceux des biches, les plus doux, ne l’attendrissaient pas. Elle les fixait cherchant à y lire la peur, ou un recours en grâce. Puis elle visait sa victime pour voir s’éteindre l’étincelle de la vie.
Cependant, lors de ses courses effrénées pour donner la mort, elle se demandait parfois pourquoi il y avait chez elle tant de cruauté, pourquoi elle éprouvait ce plaisir jamais assouvi d’admirer la mort. Etait-ce la dureté ou la froideur de son père qui s’était coulée en elle ? Etait-ce une envie irrésistible de rencontrer avant l’heure ce qui attend tout homme ? Elle se délectait de l’instant éphémère au cours duquel, à l’instar de Dieu, elle avait droit de vie ou de mort sur la gent animale. Elle chassait et ces terres, des racines jusqu’à la cime des arbres lui appartenaient. Elle régnait en maîtresse absolue sur l’immense domaine. L’avenir pour elle était tracé, immuable. Du moins elle s’en persuadait !
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Alors qu’elle poursuivait une biche, un soir, elle avait eu l’étrange, sentiment qu’on l’observait. Elle avait déjà tiré et blessé la bête qu’elle pistait en suivant les gouttes de sang. Soudain, les oiseaux se turent. Les feuilles des arbres ne bruissaient plus au souffle de vent. Les branches de bois mort sur lesquelles elle marchait ne craquaient pas sous le poids de son corps. Tous les bruits semblaient étouffés par une main imperceptible qu’une entité surgie d’outre-tombe aurait pressé sur les lèvres murmurantes de la forêt. Puis elle aperçut non loin d’elle, la bête qui se traînait. Alors elle tira une seconde fois et le cervidé chancela, avançant avant de s’immobiliser. La rencontre brutale de l’animal avec l’humus ne résonna pas aux oreilles de la chasseresse, pas plus que le coup de feu qui l’avait terrassé. Aucun son, aucun claquement n’accompagna la chute de la biche au sol. Viniciane, perplexe, scrutait la forêt autour d’elle cherchant une réponse quelconque à ce silence assourdissant. Cette absence de bruit lui paraissait malveillante. Elle se retourna brusquement car il lui semblait que quelque chose s’agitait derrière elle. Ses yeux balayaient autour d’elle. Elle écarta d’un geste de la main une mèche de cheveux blonds qui masquait son regard. Prête à toute éventualité, elle cherchait. Mais elle ne voyait rien car il n’y avait rien.
Brusquement une journée similaire lui revint en mémoire. Son père et elle avaient ressenti le même sentiment de silence pesant, de lieux oppressants. Dans le village où ils vivaient à l’époque, on disait que leur maison était ensorcelée, maudite et bien sûr hantée. Les gens disaient :
« Dis mé en caou vas !... Omi de dengun ! Dans le macot ! Mesnie de malhur !..2 »
Son père avait pris peur et avait vendu la propriété pour un prix dérisoire. Mais la malédiction semblait les avoir suivis et rattrapés avec le suicide de la mère ou encore quand la sœur de Viniciane se défenestra le jour même de son mariage.
Pour l’instant, entourée de silence et submergée par trop de souvenirs, Viniciane s’aperçut qu’elle en avait oublié la biche. Elle avança prudemment vers la dépouille et la regarda. Or, pour la première fois, elle renonça. Elle abandonna là la bête et rentra. Une chouette hulula. Le bruit du vent dans les feuilles était revenu.
Quelques années auparavant, elle aurait pu partager cette inquiétude avec son père mais il n’était plus là pour apaiser ses craintes. D’ailleurs lui aurait-elle parlé de cet incident étrange, au risque de paraître faible à ses yeux ? Probablement pas ! Elle était seule comme elle l’avait toujours été, ses amours étant perpétuellement éphémères ou intéressées. Elle songeait à ce qui venait de se passer et elle conclut que c’était le fruit du hasard. Du moins c’était ce don’t elle voulait se convaincre. Cependant au cours de la nuit elle se sentit oppressée et ne trouva pas le sommeil. Elle s’habilla et sortit. Elle erra sur son vaste territoire puis elle s’enfonça au cœur des bois.
Elle s’arrêta à l’endroit où jadis elle avait abattu son premier sanglier. Son père, avait gravé cet exploit dans l’écorce d’un chêne qui vivrait bien après eux. Viniciane s’approcha et lut:
« La force de ce sanglier est désormais en toi ! »
Une modeste larme vint alors se lover dans le lit d’une ride naissante qui bordait ses grands yeux bleus.
- Pourquoi m’as-tu quittée si tôt ? murmura-t-elle.
Elle ne put achever cette ébauche de prière, persuadée d’être une nouvelle fois au centre de milliers de regards braqués sur elle.
- Qui est là ? osa-t-elle lancer. Je sais qu’il y a quelqu’un. Mais que diable me voulez-vous ?
Pour toute réponse la forêt répondit par ses bruits naturels : des canards au loin qui barbotaient dans un étang du domaine et qui devaient dégourdir leurs ailes en faisant clapoter l’eau, un pivert qui martelait inlassablement un bouleau et deux branches qui grinçaient l’une contre l’autre, agitées par une légère brise.
Viniciane courut en direction de la maison. Plus que la peur, elle ressentait de la colère. On cherchait à la déstabiliser. L’absence de véritable ennemi l’agaçait. Elle arriva devant la sellerie dont elle poussa les grandes portes. Là, elle s’empara des clés qui pendaient à sa ceinture, ouvrit l’armoire en noyer et en sortit une arme. Après avoir vérifié qu’elle était bien chargée, elle se précipita dans les bois, rassurée par le contact de ce fusil. Son cheminement la mena auprès d’une bête partiellement dissimulée sous un fourré. Elle la heurta et faillit