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Que feriez-vous si, en pleine nuit, vous vous aperceviez qu'un inconnu s'est glissé dans votre lit, persuadé d'être chez lui ? Que feriez-vous si, lors d'un voyage, votre train ne desservait pas les gares prévues et changeait de destination, à votre insu ? Que feriez-vous si, le même jour, on vous volait votre voiture, on vous remettait des photos compromettantes et que vous vous retrouviez devant un juge ? Les personnages de ces intrigues vont rencontrer l'impossible. Sauront-ils échapper au pire ? On traverse ces trois histoires en apnée et on s'interroge sur ces situations improbables pourtant bien réelles ! Qu'il s'agisse de "L'Intrus", du "Train à destination de..." ou de "Autopsie d'une histoire", le lecteur est comblé.
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Seitenzahl: 248
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Audrey Degal est mariée, mère de deux enfants, professeure de lettres et titulaire d’un doctorat de littérature médiévale française des XIIe et XIIIe siècles. Elle vit actuellement en Occitanie, dans l’Hérault.
Forte du succès remporté par la nouvelle intitulée « Seul » publiée en 2015 sur son site officiel deshistoirespourvous.com, elle fait paraître son premier thriller, Le Lien, roman désormais suivi de bien d’autres.
Les lecteurs sont au rendez-vous, toujours plus nombreux, et cet enthousiasme est déjà couronné par deux prix littéraires (1er prix catégorie policier dans l’Ain et 2e prix des Plumes de l’air).
Rencontre avec l’impossible est un recueil de trois récits particulièrement surprenants. Chaque intrigue accroche le lecteur dès le début et l’entraîne vers un dénouement très travaillé.
Le prochain livre d’Audrey Degal sera un roman policier assurément captivant même si le titre n’est pas encore arrêté.
Suivez toute l’actualité d’Audrey Degal en vous rendant sur son site officiel :
deshistoirespourvous.com.
Aux éditions BoD :
à commander chez votre libraire ou
sur internet.
Livres disponibles en ebook ou version papier
LE LIEN, 2015 (roman à suspense)
DESTINATIONS ÉTRANGES, 2015 (recueil de 12 nouvelles à suspense)
LA MURAILLE DES ÂMES, 2017 (roman policier)
LE MANUSCRIT VENU D’AILLEURS, 2019 (roman-enquête)
PAROLES DE PIERRES, 2021 (roman-enquête)
Je remercie encore et toujours Guy, mon époux. Il me soutient, se passionne pour mes récits qu’il connaît autant que moi, me conseille et m’apporte l’aide précieuse dont tout auteur a besoin.
Je pense inévitablement et affectueusement à mes parents disparus car il est impossible de les oublier. Marie Rose Galdéano, qui a relu et corrigé ma thèse de doctorat, lecture pourtant ardue et mon premier roman. Sigismond Galdéano, un être doué dans tout ce qu’il entreprenait.
Je songe aussi aux plus jeunes, que j’aime : Virginie, Mickaël, Thibaut, Raphaël, Nathan, Chloé, Anna et Morgane.
Je n’oublie pas non plus Gisèle, ma belle-sœur, mes amis qui sont aussi mes premiers lecteurs et attendent impatiemment chaque nouveau livre. Parmi eux : Yolande M., Didier M., Monique H. et bien d’autres qui me pardonneront de ne pas les avoir cités.
L’INTRUS
LE TRAIN À DESTINATION DE
AUTOPSIE D’UNE HISTOIRE
— Non, c’est impossible ! se répétait Thomas Boccello en fixant le canon de l’arme qui le visait.
Il venait de rentrer chez lui, comme chaque soir.
Un tour de clé, deux, la porte s’était ouverte…
À l’extérieur, aucun bruit ne l’avait alerté. Celui qui l’attendait de pied ferme était resté silencieux. Telle une mise en scène, il patientait, calé dans un fauteuil posté juste en face de l’entrée, prêt à faire feu.
Une longue explication s’était engagée entre les deux hommes mais l’autre, sûr de son fait et sous l’emprise de l’alcool, tenait des propos incohérents. À quoi bon discuter ? Thomas avait compris qu’il n’avait qu’une intention : le tuer.
Pétrifié dans les premiers instants, il joua sa seule carte, celle de la surprise et de la rapidité. Il se rua comme un forcené sur son agresseur au moment où il allait se redresser.
Pas d’autre issue que ce corps-à-corps improvisé.
Pas le temps de réfléchir davantage mais le sentiment que ce combat ne pouvait être vrai.
C’était maintenant ou jamais.
La vie ou la mort.
Sous l’impulsion, les deux hommes se heurtèrent violemment, tombèrent au sol dans un bruit sourd, collés l’un à l’autre comme s’ils n’étaient qu’un seul et même homme. Ils roulèrent, leurs jambes entremêlées pour empêcher l’autre de dominer ou de s’enfuir. Les coups de poing pleuvaient de part et d’autre. Gêné dans ses gestes par la crosse de l’arme qu’il avait toujours en main, l’agresseur ne parvenait pas à tirer. Thomas lui bloquait le bras pour s’emparer de l’arme. Mais un mouvement de hanche le surprit et le renversa. L’intrus l’enjamba, se posta à califourchon sur son torse et lui asséna un coup puissant du canon de son revolver en plein milieu du front avant de tenter de l’étrangler de l’autre main.
Je ne veux pas mourir ! pensait Thomas, poings serrés frappant encore et encore l’agresseur au niveau des tempes.
Parfois, il n’atteignait que le vide, d’autres fois il criblait sa cible de coups quand ce n’était pas lui qui les encaissait. À un moment, l’autre sonné par un uppercut lâcha prise avant de se ressaisir. Il se mit alors à rugir telle une bête furieuse et enserra la poitrine de son adversaire qui étouffa, coincé dans un étau. Thomas se débattit. Il ne devait pas faiblir. Il puisa ce qui lui restait de forces dans son désir de vivre et d’un coup de rein, il entraîna l’autre dans une succession de tonneaux, comme une voiture qui quitte la route et tourbillonne avant de s’écraser sur le toit. Une puissante déflagration claqua dans l’air, interrompant le tournoiement des deux corps, aussitôt suivie d’une seconde et d’une troisième.
— Je l’ai eu, c’est fini !
Les deux silhouettes inertes au sol se séparèrent, au ralenti, tandis qu’une flaque rouge sombre glissait sur le carrelage et grandissait pour conquérir son territoire. Le silence se fit en même temps que la lutte cessa, sorte de paix factice qui couronnait un gagnant et saluait un mort.
L’un fixait le plafond, couché à plat dos, exténué mais vivant. Il se mit à rire nerveusement.
Le second se vidait de son sang.
*
Des mois avant.
Thomas était un loup de la finance, un trader comme on dit. Il n’avait pas son pareil pour analyser les fluctuations des marchés boursiers. Prévoir, anticiper étaient ses mots d’ordre et les établissements bancaires avaient vite repéré son talent. Le plus prestigieux l’avait embauché et comptait bien le garder. Il gérait comme personne le portefeuille d’actifs qu’on lui avait confié, jonglant aussi facilement avec les capitaux qu’il l’aurait fait avec des balles. Doté d’un sens inné du risque, il surveillait en permanence les indices boursiers, les matières premières, les données géopolitiques... Acheter ou vendre des titres financiers, actions, obligations, devises ou bons du Trésor était pour lui un jeu d’enfant. Il avait longuement étudié pour devenir ce qu’il était, il excellait dans son domaine et avait désormais un solide compte en banque.
Mais voilà, la médaille qu’on aurait pu lui attribuer pour son efficacité avait un revers. Le travail sans fin, être sollicité à longueur de journée, rester aux aguets, mener un rythme effréné, la pression due aux marchés volatils, tout cela l’empêchait de profiter et depuis quelque temps, il frôlait le burn-out. On lui demandait plus, toujours et encore plus, et cette overdose le plongeait dans un état mortifère.
Dans l’immense salle des marchés, ou au bureau, il nourrissait parfois des envies de meurtre. Il s’imaginait sortir un couteau et planter un autre trader, verser de la mort au rat dans le café d’un client qu’il exécrait ou bien le balancer par-dessus la rambarde lors d’une discussion sur la terrasse.
Il rêvait de grasses matinées, d’aventures, de voyages et s’il pouvait tout s’offrir, il se refusait tout. Pas le temps ! Celui-ci s’évaporait, les années passaient et il était incapable de les retenir. Il s’effondrait moralement.
Sur le point d’exploser, il décida de consulter une psychiatre réputée, censée pouvoir l’aider. Mais il ne parvenait pas à se convaincre que ces longues séances où il ne parlait que de lui-même étaient efficaces. Il se surprenait parfois à lui dire ce qu’elle voulait entendre et ne pouvait s’empêcher de prier des entités lambdas susceptibles de mettre fin à cette situation : Vishnou, Le Saint-Esprit, Bouddha... Après tout, c’était un moyen comme un autre de tenir, en croyant que le lendemain tout irait mieux. Mais ses suppliques montaient au ciel où de toute évidence elles s’égaraient.
Cette existence de trader déprimé aurait pu perdurer. Pourtant, ce mardi 8 mars, Thomas vivait sans le savoir sa dernière journée normale.
*
Il s’était offert un magnifique appartement dans la résidence cossue d’un quartier prisé.
S’il était extrêmement bien meublé et disposait de tout le confort moderne, le four à micro-ondes et les plats cuisinés emballés étaient ses alliés. En fin de journée, installé au milieu de son grand canapé, il ingurgitait des barquettes de nourriture industrielle, des mets aux noms pompeux, aux parfums flatteurs, riches en sel, en graisses saturées et en adjuvants aux codes impénétrables. Il s’en contentait.
L’immense écran de télévision à affichage dynamique abritait ses amis virtuels. Avantage de ces êtres pixélisés : il pouvait les faire taire d’une simple pression sur la touche arrêt de la télécommande.
Les jours comme les soirées se ressemblaient. Il remettait sans cesse le fait d’appeler ses parents, des amis, ou de sortir. Il préférait exceller dans son métier, se promettant quotidiennement qu’il rattraperait bientôt le temps perdu. Mais ce jour n’arrivait jamais et il s’enfonçait. Sa psy le lui avait bien dit : il devait prendre soin de lui et s’écouter, mais le trader doué qu’il était ne pouvait se le permettre.
— Minuit ! dit-il tout haut en consultant son téléphone portable.
Une douche rapide et quelques minutes après il s’insinuait dans ses draps froissés. Avant de s’endormir, il se remémora vaguement sa journée, visualisa ce qu’il devrait prioriser le lendemain et harassé, finit par succomber au sommeil. Dehors, un orage commençait à gronder si bien que par moments, sa chambre se striait d’éphémères éclairs comme si des flashs d’appareils photo tentaient de capturer les instants exceptionnels de son intimité. Ce n’était pas le cas. Thomas était monsieur tout le monde et il n’y avait pas de paparazzis chez lui. Il n’était qu’un homme ordinaire et cet homme ordinaire dormait.
*
À 4 heures du matin, comme le dîner de la veille était très salé, une soif tenace le réveilla. Sa gorge et sa bouche étaient aussi sèches que ses lèvres. Il s’assit au bord de son lit, les pieds posés sur la couverture qu’il avait repoussée au sol dans son sommeil. Il avait chaud. Il se massa la nuque un moment et se leva finalement. Encore à moitié endormi, il se dirigea à tâtons vers un des murs de la chambre, franchit la porte ouverte et longea, tel un aveugle, le couloir au bout duquel il tourna à gauche. Parvenu à la cuisine, il voulut prendre un verre mais ses mains n’embrassèrent que le vide. Impossible d’en trouver un sur l’évier. Il fit alors demi-tour pour allumer. Seul le clic émis par la manœuvre de l’interrupteur lui répondit. La pièce restait baignée dans l’obscurité.
— Ah, c’est vrai, se souvint-il. L’orage ! Les fusibles ont dû sauter. Zut !
Il but directement au robinet, s’essuya les lèvres sur sa manche de pyjama et s’étonna d’entendre du bruit. Il s’arrêta net, fit silence et tendit l’oreille.
— Ce n’est rien, se dit-il à lui-même comme pour s’en convaincre. Allons bon, je parle tout seul maintenant !
Il rebroussa donc chemin, évita l’angle de la commode qu’il se promettait chaque jour de déplacer et arriva rapidement jusqu’à son lit. Penché en avant, il longea les bords du matelas pour se diriger puis se faufila dans les draps redevenus froids. Là, il voulut rouler sur le côté pour s’installer en chien de fusil mais il heurta quelque chose et cette chose se mit à remuer.
— Nom de Dieu ! jura-t-il sans s’offusquer de son blasphème. Qu’est-ce que c’est ?
Par réflexe, il bondit hors du lit et se réfugia dans un coin de la pièce.
— Mmmh ! fit la forme.
— Que… qui est là ? bredouilla Thomas effrayé.
— Mmmh !
Il plissait les yeux et scrutait les ténèbres pour tenter d’apercevoir quelque chose mais les stores automatiques, qu’il actionnait quand il rentrait le soir, occultaient totalement l’appartement. Il restait plongé dans une obscurité à couper au couteau. Instinctivement, il se déplaça en direction de la porte et sur son chemin bouscula une chaise qui se renversa entraînant dans sa chute sa serviette et tous les papiers qu’elle contenait. Le sang glacé par le fracas provoqué, il s’immobilisa aussitôt et tendit les deux bras en avant pour vérifier que personne ne s’approchait de lui. Il ne frôla que le vide.
— Qui est là, bon sang ! Dégagez immédiatement de chez moi ! hurla-t-il.
Comme rien ne se passait, il bifurqua à gauche, contourna une table de travail, parcourut le chambranle de la porte du bout des doigts et pressa l’interrupteur.
Aucune lumière ne jaillit et la panique commençait à gagner du terrain. De la pointe de ses pieds nus, il explorait le sol quand il sentit soudain le fil électrique d’une lampe posée sur un guéridon. Il s’accroupit, le palpa en remontant pour atteindre le bouton, mais le tremblement nerveux qui s’était invité depuis peu rendait ses gestes brouillons. Il parvint finalement à trouver le commutateur et, anxieux, il l’actionna. Qu’allait-il découvrir dans sa chambre ? Rien ! Tous les plombs avaient sauté. La pièce restait elle aussi plongée dans le noir.
— Merde ! Qu’est-ce que c’est ce délire ?
Il pivota et, face à son grand lit baigné par les ténèbres, il se mit à vociférer :
— Sortez de là ou…
Une voix masculine, qui lui était curieusement familière, râla :
— Mmmh ! Je dors, bonté divine. Moins de bruit !
— Fichez le camp de chez moi sinon…
Il n’achevait pas ses phrases. Les menaces qu’il aurait aimé prononcer restaient coincées dans sa bouche, entravées par une frayeur qui l’oppressait. L’autre, nullement inquiet, ne bronchait pas. Thomas s’empara de la lampe qui, à défaut de lui procurer de la lumière, ferait office d’arme. D’un geste brusque, il la leva en l’air, arracha la prise et propulsa violemment l’objet en direction de la voix détectée dans son lit. Incapable d’être précis dans le noir, il manqua sa cible et le luminaire alla se fracasser contre un mur dans un bruit abominable. L’intrus réagit enfin.
— Non mais ça va pas ! T’es devenu fou ou quoi.
Thomas devina qu’il s’était redressé et assis.
— Débarrassez le plancher ou j’appelle la police !
— Tu aurais pu me faire mal !
Dans l’affolement, Thomas n’arrivait ni à rassembler ses esprits ni à réfléchir. Désemparé par la réponse de l’inconnu, il saisit le radio-réveil qu’il avait repéré grâce aux chiffres fluorescents et qui devait fonctionner sur batterie depuis la coupure de courant. Il le lança en essayant cette fois d’ajuster son tir pour viser l’autre.
L’appareil vola dans la chambre avant d’atteindre la tempe de l’intrus et de rebondir, pour finir pulvérisé sur le parquet.
— Putain, t’es dingue ! Ҫa fait mal. Arrête ton cirque et viens te recoucher, je n’ai pas envie de me retrouver aux urgences. On s’occupera de tes conneries demain.
Thomas se sentait alternativement fébrile, hésitant, paniqué, ou indécis face à cette situation incompréhensible qui menaçait de l’étouffer. Le souffle lui manquait. L’autre le tutoyait comme s’il le connaissait, il ne paraissait pas effrayé outre mesure et tentait même de le raisonner. Et il y avait cette voix, cette voix étrange qui le contrariait.
Comme les yeux de Thomas commençaient à s’habituer à la pénombre, il finit par discerner une vague silhouette allongée sur le côté. Il la fixa, inquiet, perplexe et surtout déconcerté, d’autant plus que l’individu restait indifférent aux menaces. Son calme l’impressionnait.
— Allez, recouche-toi et remets la couverture en place. Il ne fait pas chaud !
Thomas croyait halluciner, stupéfait par l’aplomb dont faisait preuve l’intrus. Tout était pourtant bien réel et la chambre était effectivement fraîche. D’ailleurs, il commençait à grelotter. Pris d’une sensation de vertige, il faillit vaciller. Ses jambes se dérobaient sous lui et il se retint de justesse au rebord de son lit pour ne pas tomber. Il secoua la tête à plusieurs reprises comme si ces mouvements allaient lui remettre les idées en place et rétablir une situation normale. Sa respiration était courte, il haletait. Il s’obligea à prendre plusieurs grandes inspirations pour essayer de recouvrer ses esprits et ses forces, écartelé entre les faits et son imagination qui lui jouait peut-être des tours.
— Thomas, il faut dormir, recouche-toi, insista l’étranger en tapotant les draps du plat de la main comme on ordonne à un animal de venir auprès de soi.
Ce timbre de voix, cette façon de s’exprimer, Thomas ne les entendait pas pour la première fois.
Ce squatteur nocturne le connaissait, lui, puisqu’il l’appelait par son prénom. Par contre, Thomas ne parvenait pas à l’identifier. Qui donc était étendu, là, dans son lit ? La question tournait en boucle dans sa tête. Non, non, c’est impossible ! Il se mit à parler à voix basse comme pour conjurer un mauvais sort :
— Je travaille trop, je dois être fatigué. Demain, je n’irai pas bosser. Je dois me reposer.
L’intrus imperturbable ne voulait pas déguerpir et semblait plutôt obsédé par le fait de finir sa nuit. Sa respiration se fit progressivement plus lente et plus sonore. Il se rendormait. Thomas en profita pour quitter la chambre à pas de velours puis il tira délicatement la porte derrière lui avant de partir en quête de son smartphone pour appeler les secours.
Désorienté par la quasi-obscurité, il avait du mal à se repérer et alors qu’il croyait contourner le canapé, il fonçait droit dedans. Quand son petit orteil gauche heurta l’angle de la banquette, il réprima un cri de douleur pour ne pas alerter l’intrus. Il s’affala sur les coussins et se massa le pied pour enrayer l’élancement qui remontait jusque dans le mollet. En se relevant, il buta contre une canette de bière qui traînait depuis des jours au sol. Elle roula sur un mètre avant de s’arrêter plus loin. Il prêta l’oreille mais le silence avait repris ses droits dans l’appartement et l’étranger devait dormir à poings fermés.
Bonté, où est ce foutu téléphone ? se demandait Thomas.
Il avançait prudemment, les mains tendues devant lui, longeant les meubles ou suivant leurs contours. Arrivé proche de la télé murale, il sentit enfin sous ses doigts un objet rectangulaire, plat, fin et froid qu’il reconnut sans hésitation. Il tapota deux fois l’écran qui s’éclaira. Quelques instants plus tard, il était en contact avec la police et après des explications confuses, son interlocuteur le rassura.
— Surtout ne tentez rien ! Je vous envoie quelqu’un.
— Venez vite, c’est sûrement un détraqué !
— Nous verrons ça sur place, mais n’intervenez pas. Restez calme, on arrive !
Alors qu’il raccrochait, Thomas consulta l’heure sur son smartphone : 4 h 20.
— C’est un cauchemar. Je vais forcément me réveiller.
Il ferma les yeux, contracta tous les muscles de son visage et serra les poings comme si cette intense concentration pouvait lui permettre de mettre fin à cette situation kafkaïenne.
En attendant et malgré l’étrangeté du contexte, il était moins tendu. La police ne tarderait pas et pour l’instant l’inconnu ne s’était pas montré agressif. Peut-être s’agissait-il d’un voisin qui avait perdu la raison, qui s’était trompé de palier ou d’appartement et qui se croyait vraiment à son domicile. Mais dans ce cas, comment étaitil entré ? Pourquoi s’était-il glissé dans son lit et n’était-il pas surpris de la présence de Thomas ? Ҫa ne collait pas. Il pouvait aussi être victime d’un malade mental qui avait fait une fixation sur lui, avait repéré où il habitait et avait pénétré d’une façon ou d’une autre chez lui pendant son absence. Pourtant, Thomas n’avait jamais laissé sa porte ouverte, ne serait-ce qu’un instant, elle n’avait jamais été forcée et il n’avait perdu ses clés à aucun moment. Cette hypothèse ne tenait donc pas la route non plus ! S’il échafaudait des théories autant fumeuses les unes que les autres, celle d’un criminel doublé d’un pervers extrêmement sûr de lui s’imposa tout à coup. Il serait peutêtre la prochaine victime d’un serial killer qui s’amusait avec lui comme le ferait un chat maintenant entre ses griffes une innocente souris, avant de lui infliger les pires supplices. À cette idée, tout son corps se crispa, son cœur se mit à marteler sa poitrine tandis que des bouffées de chaleur et une sensation d’étouffement montaient, prêtes à le submerger s’il ne se ressaisissait pas très vite. Il devait trouver un abri en attendant la police. Tel un automate, il se dirigea vers le couloir et pénétra dans un placard, loin de sa chambre. Jamais auparavant il n’aurait imaginé qu’il s’y cacherait et que ce lieu constituerait un refuge. Il resta immobile, comme paralysé, coincé entre un balai, un aspirateur, la tête sous une barre de penderie chargée de vêtements qui, pour l’occasion, faisaient office de bouclier dérisoire. Si on lui avait dit, quelques jours plus tôt, qu’il serait en planque là-dedans, comme un voleur, il aurait ri et n’en aurait pas cru un mot. Pourtant, il s’était bien enfermé volontairement dans ce réduit, prisonnier de sa peur, à la merci de ce dingue convaincu d’être chez lui. Seul dans le noir, il se sentait impuissant et se demandait quand tout cela allait s’achever. Il s’efforça de rester silencieux et il attendit. Que faire d’autre ? La police finirait bien par arriver même si les minutes qui s’écoulaient semblaient durer des heures.
Alors qu’il prêtait attention au moindre bruit, un problème majeur auquel il n’avait pas pensé lui traversa l’esprit : la sonnerie.
— Merde, jura-t-il.
Il venait de comprendre que l’interphone ne fonctionnerait pas puisque le courant était coupé. Il devait sortir de sa planque et rétablir l’électricité.
Au moment de choisir son appartement, il avait opté pour un endroit spacieux. Après tout, il avait les moyens ! Mais aujourd’hui, il n’y voyait que des inconvénients. Le disjoncteur se trouvait à l’opposé du placard où il se cachait, à l’extrémité du long couloir. Il devait l’atteindre et l’enclencher. Il se souvint tout à coup que le technicien qui avait installé l’interphone lui avait suggéré un modèle doté d’une batterie susceptible de prendre le relais en cas de coupure de courant. À quoi bon, ce genre de problème, c’est comme les accidents, c’est généralement pour les autres ! Aujourd’hui, il s’en mordait les doigts.
Sa pomme d’Adam effectua un aller-retour lorsqu’il déglutit tout en faisant glisser la porte coulissante. Personne ! Décidément, l’inconnu devait dormir comme une masse, sinon pourquoi un tel silence ! Il alluma son téléphone qui lui procura une délicate lumière bleutée, suffisante pour se repérer. À chaque pas, il se rapprochait de la chambre et il finit par percevoir distinctement la respiration régulière, lente et sereine de l’intrus.
Près de l’entrée, il visualisa le tableau électrique sur sa droite. Il ouvrit doucement la petite porte métallique qui le masquait mais alors qu’il allait lever le commutateur, il hésita. Et si une lumière éblouissante jaillissait et qu’elle réveillait l’inconnu ! Il réfléchit puis se dit que c’était un risque à prendre et qu’il n’avait pas le choix.
Sous ses pieds nus, le sol était froid et ses pantoufles comme son peignoir lui manquaient plus que jamais ! Il déposa son téléphone à même le sol pour frotter ses mains glacées l’une contre l’autre et se réchauffer. Puis, dans un élan éphémère de courage, il actionna le bouton du disjoncteur avec le sentiment d’avoir pris une décision hors du commun comme s’il engageait le lancement de la bombe atomique. Un léger clac retentit mais aucune lumière ne s’éclaira, ce qui lui arracha un soupir de soulagement.
Pour ne pas avoir à retraverser le couloir et risquer de faire du bruit, il choisit d’oublier son premier refuge, d’autant que la buanderie située juste derrière lui pouvait lui offrir un abri sommaire mais surtout moins étroit. Il y dégoterait bien des vêtements dans le sèche-linge pour se mettre quelque chose sur le dos.
Il pénétra dans la pièce avec d’infinies précautions. Il allait refermer la porte sur son passage quand elle lui échappa et claqua. Il resta avec une poignée orpheline dans une main, tandis que l’autre tomba sur le carrelage, à l’extérieur, aussitôt suivie de la tige métallique. Un vacarme épouvantable secoua le couloir et le calme de la nuit. Thomas retint sa respiration. Il comprit rapidement qu’il était désormais coincé dans la buanderie. D’ordinaire, il aurait tempêté, crié après lui-même mais seul un juron étouffé lui échappa. Inquiet, il se concentra pour écouter et tendit l’oreille. La faible expiration de l’étranger qu’il avait perçue en sortant du placard s’était interrompue. Le vacarme avait probablement réveillé le squatteur. Thomas s’attendait à tout moment à entendre des pas derrière la porte close et une voix qui lui demanderait ce qu’il fichait là-dedans. Chaque seconde comptait pour des minutes et chaque minute pour l’éternité. Que se passait-il de l’autre côté ? Finalement, un froissement de draps atténué lui parvint ainsi qu’un léger ronflement. L’intrus remuait dans le lit.
Maladresse ou manque de chance, tous les éléments semblaient se liguer contre lui. Depuis des semaines, il se promettait de faire réparer la poignée mais il reportait sans cesse l’intervention. Il risquait de payer cher son laxisme, désormais enfermé dans la buanderie, téléphone à l’extérieur, posé au sol devant le disjoncteur.
Il pestait intérieurement, se maudissait et piaffait de colère. Il était le seul responsable de sa captivité. À ce moment-là, une envie irrépressible de frapper sur n’importe quoi le saisit pour évacuer le trop-plein de tensions. Il se retint pour ne pas faire de bruit et alerter l’autre qui, de toute évidence, restait imperturbable. Il ne savait plus combien de temps s’était écoulé depuis qu’il était enfermé. Et la police qui tardait !
Une sonnerie retentit soudain. Un dring, deux dring , trois dring . L’interphone ! La police, enfin ! Mais il prit tout à coup conscience de l’absurdité de la situation : il ne pouvait ni répondre à l’appel ni ouvrir à ses sauveurs.
— Bon Dieu ! s’agaça-t-il en prenant appui sur le sèche-linge comme si l’appareil pouvait comprendre sa détresse.
Sur la machine à laver, la présence d’une chemise froissée l’interpella. Il ne se souvenait ni de l’avoir portée ni abandonnée là. Mais un autre détail attira son attention sans qu’il puisse préciser de quoi il s’agissait, car pour l’instant il avait autre chose de plus urgent à faire que de s’interroger. Il devait débloquer la porte. Il chercha autour de lui n’importe quoi qui pourrait l’aider. Il essaya d’abord d’introduire un stylo qui traînait par terre dans le trou prévu pour le carré et ainsi faire tourner le mécanisme. Crac ! Sous la pression, le plastique trop fragile se brisa et se répandit en miettes au sol. Il utilisa tous les objets qu’il avait sous la main, un vieux clou rouillé oublié derrière une corbeille, une tige en plastique rigide… La porte restait close et lui confiné.
Sixième puis septième dring. Dehors, les policiers s’impatientaient et s’appesantissaient sur le bouton de l’interphone. Impuissant, Thomas se résigna et se contenta encore une fois d’écouter. Il entendait battre son cœur, sa propre respiration mais rien d’autre. L’environnement lui paraissait cotonneux comme s’il absorbait le moindre son. Il ne se passait rien. Le silence figeait tout et emplissait l’appartement.
Soudain, interpellé par un bruit, il se tendit, fit un pas en arrière, baissa la tête et aperçut un rai de lumière filtrer sous la porte. Quelqu’un marchait lourdement dans le couloir. Le squatteur s’était réveillé.
Thomas prit encore un peu de recul comme pour se protéger d’une intrusion violente. Il était aux aguets. Une voix endormie lui parvint. L’inconnu était de l’autre côté, il venait de décrocher l’interphone et parlait.
— … oui, c’est bien moi ! Qu’est-ce que c’est ? …. La police !... Qu’est-ce qui se passe ?... Moi ?... Non, vous faites erreur, je ne vous ai pas appelés… Un intrus, ici, c’est une plaisanterie !... Excusez-moi, mais je vous assure que je suis absolument seul. Je suis d’ailleurs étonné d’être dérangé en plein milieu de la nuit !
L’inconnu semblait irrité et mal réveillé.
— …
— OK, OK, continua-t-il alors que les agents insistaient, je comprends, vous devez vérifier. Je vous ouvre…. Troisième étage, porte gauche.
Il actionna le déverrouillage de l’allée comme s’il était vraiment chez lui.
Quelques instants plus tard, un policier toqua discrètement au domicile pour ne pas ameuter le voisinage.
— Pouvons-nous entrer ?
— Je vous en prie mais je vous assure que tout va bien. En fait, je dormais quand vous avez sonné.
La porte se rabattit contre celle de la buanderie dont elle masquait désormais l’accès. Toujours retranché, Thomas venait de comprendre que si les agents ne la refermaient pas derrière eux, ils ne le découvriraient jamais dans sa cachette d’autant que l’inconnu avait ramassé la poignée et le carré qu’il avait trouvés par terre. Pour mieux cerner ce qui se passait dehors, il s’approcha du panneau de bois, apposa une main dessus pour prendre une profonde inspiration et signaler sa présence. C’était la seule solution mais il se sentait oppressé et l’air lui manquait comme si la buanderie était en phase de dépressurisation. Il avait besoin de respirer et de se calmer car dans sa poitrine son cœur battait trop rapidement. Il se racla la gorge, se ressaisit et se lança :
— Je suis…
Les mots ne sortaient pas. Il redoubla d’efforts pour reprendre :
— À l’aide ! Je…
Il bredouillait plus qu’il ne parlait et sa voix proche du murmure ne franchissait pas la barrière de la porte. De toute façon que dirait-il aux policiers s’ils lui ouvraient et comment réagirait l’intrus ? Tout s’embrouillait dans sa tête.
Il essaya encore une fois d’appeler mais aucun son ne quittait sa bouche. Quelque chose l’empêchait de formuler le moindre mot. En proie à une anxiété grandissante qui le paralysait, il était entravé dans sa volonté par des forces contradictoires qui le dépassaient. Ni ses cordes vocales ni son corps ne lui obéissaient. La peur le rendait impuissant et la fatigue de la nuit blanche n’arrangeait rien. Malgré ses efforts, il n’arrivait pas à comprendre pourquoi il restait muet alors que tout le poussait à sortir au plus vite de ce traquenard. Il voulut cogner à la porte mais ses doigts renoncèrent, paraissant dotés de leur propre conscience. Ils se contentèrent d’effleurer le bois. Son corps se refusait à lui.