La négociation vécue par les professionnels -  - E-Book

La négociation vécue par les professionnels E-Book

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Beschreibung

Après le succès de leur Traité pratique de négociation, paru chez le même éditeur en 2019, les auteurs Hervé Cassan, Professeur de droit, et Marie-Pierre de Bailliencourt, dirigeante d’entreprises, ont voulu aller plus loin en soumettant leur méthode d’action – appelée désormais « méthode par items » – à de grands praticiens de la négociation.

Les contributeurs présents dans cet ouvrage sont tous des négociateurs professionnels aguerris, respectés, parfois redoutés, reconnus dans leur milieu et bien au-delà. Ils sont diplomates, avocats, dirigeants d’entreprise, médiateurs, syndicalistes, spécialistes de la gestion de crise, directeurs commerciaux, hauts-fonctionnaires nationaux et internationaux…

En toute liberté, ils nous font bénéficier de leur vaste expérience pratique et partagent, au plus près, leurs pensées, leurs réflexions, voire leurs émotions, à l’occasion des négociations dont ils rendent compte ici.
Ce faisant, ils viennent enrichir la méthode en prenant possession, à leur guise, des items dont tous soulignent l’importance.

Il s’agit donc ici, bien plus que d’une illustration, d’un véritable ouvrage de témoignages, livre-compagnon du Traité pratique de négociation.

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La collection « Prévenir, négocier, résoudre» a pour vocation d’accueillir des ouvrages consacrés aux différents modes de prévention et de résolution des différends en dehors des tribunaux.

Ces ouvrages, pluridisciplinaires, permettent aux praticiens de la négociation et de la gestion des conflits d’acquérir de nouvelles compétences utiles à l’exercice de leur profession.

Sous la direction d’Aurélien Colson, professeur associé de Science politique et de négociation à l’ESSEC, directeur de l’IRENÉ.

Parus dans la même collection

Défier le conflit. La médiation par la compréhension,

Gary Friedman, Jack Himmelstein. Adaptation française de Tanguy Roosen, 2010

Entrer en négociation. Mélanges en l’honneur de Christophe Dupont,

Sous la direction d’Aurélien Colson, 2011

Franchise internationale et alliances stratégiques,

Paola Cecchi Dimeglio, 2011

Médiation et techniques de négociation intégrative,

Approche pratique en matière civile, commerciale et sociale, Coralie Smets-Gary, Martine Becker, 2011

De la prévention à la résolution des conflits en copropriété,

Sous la direction de Jean-Pierre Lannoy et Corinne Mostin, 2013

Médiation et jeunesse,

Jean Mirimanoff et alii, 2013

Négociations d’hier, leçons pour aujourd’hui,

Sous la direction d’Emmanuel Vivet, 2014

Manuel interdisciplinaires des modes amiables de résolution des conflits/Interdisciplinary Handbook of Dispute Resolution,

Sous la direction de Paola Cecchi-Dimeglio et Béatrice Blohorn-Brenneur, 2015

Les écrits en médiation selon le Code judiciaire,

Annette Bridoux, 2e éd., 2016

Droit collaboratif,

Anne-Marie Boudart, 2018

Le Conseil de sécurité des Nations Unies,

Jean-Marc de la Sablière, 2e éd., 2018

Politique du compromis,

Sous la direction de Christian Thuderoz, 2018

Traité pratique de négociation,

Hervé Cassan et Marie-Pierre de Bailliencourt, 2019

Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larcier.com.

© Lefebvre Sarrut Belgium SA, 2021Éditions LarcierRue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

EAN : 978-2-807-92862-6

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour ELS Belgium. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

AVANT-PROPOS

L’idée d’un « livre-compagnon » de notre Traité pratique de négociation, paru chez Larcier en 2019, s’est imposée à nous presque naturellement.

Notre Traité, dès sa parution, a suscité l’intérêt, aussi bien dans les milieux professionnels que dans le monde académique. Il s’est ensuivi, au gré des circonstances, un partage d’expériences et des échanges passionnants avec un certain nombre de collègues ou de confrères vivant, comme nous, une vie en négociation.

Au-delà de l’adhésion à notre méthode, beaucoup de propositions ont surgi spontanément, à l’occasion de ces discussions improvisées, pour venir enrichir, par des éclairages nouveaux, des domaines que nous n’avions fait qu’évoquer. De là est née l’envie de donner la parole à tous ces experts reconnus de la négociation qui ont accepté de partager avec nous leur pratique professionnelle.

Nous avons fait ainsi un double choix :

d’abord, celui des auteurs. Et nous revendiquons, à cet égard, un certain arbitraire. Tempéré par le fait qu’il s’agit tous de négociateurs professionnels aguerris, réputés, et parfois redoutés, dans des domaines d’action que nous avons essayé de concevoir de la façon la plus large et la plus diversifiée possible ;

ensuite, celui du plan général du livre. Il reprend celui de notre Traité pratique de négociation, fondé sur la méthode par items. Le lecteur pourra ainsi mieux comprendre le choix de continuité entre les deux publications.

Pour le reste, nous avons laissé à nos contributeurs l’entière liberté de privilégier leur expérience pratique et de nous faire partager, au plus près, leurs pensées, leurs réflexions, voire leurs émotions à l’occasion des négociations dont ils rendent compte ici. Nous en avons été particulièrement heureux car la plupart des grands négociateurs sont pudiques et secrets, et la confidentialité est leur mode de vie.

Les auteurs présents dans cet ouvrage nous offrent donc une lecture riche, ouverte, vivante, imaginative de notre méthode de négociation. Ils ont, à leur guise, pris possession de nos items. Ils ont fait bien plus que les illustrer, ils les ont interprétés, nuancés, précisés, bousculés. Nous leur en savons gré.

Et nous espérons que, comme nous, au-delà des partitions constituées par ces contributions individuelles, vous entendrez cette petite musique qui résonne entre les textes et qui nous dit à l’oreille que la négociation, au-delà de son objet spécifique, est toujours un engagement sur des valeurs.

Le lecteur trouvera, ci-dessus, la synthèse graphique de la méthode par items qui fait l’objet de notre Traité pratique.

INTRODUCTION

LA MÉTHODE PAR ITEMS DANS LE TRAITÉ PRATIQUE DE NÉGOCIATION

LES ITEMS DE LA NÉGOCIATION

Extraits de l’ouvrage Hervé Cassan et Marie-Pierre de Bailliencourt, Traité pratique de négociation, Larcier, 2019 :

Nous avons voulu, dans le Traité pratique de négociation, proposer une méthode originale de négociation qui allie rigueur et liberté. Nous l’avons nommée « la méthode par items ». Elle a pour ambition d’offrir au négociateur professionnel un fil conducteur de sa négociation, tout en le laissant, en toute occasion, maître de ses décisions. Pour cela, elle est essentiellement une méthode fondée sur le questionnement et structurée par l’action.

De nombreux ouvrages consacrés à la négociation fonctionnent sur le mode : « il faut ». En dépit de leurs différences, ils ont tous un objectif commun : dire au négociateur ce qu’il doit faire. Dans la plupart des cas, il s’agit, sur le fondement d’expériences personnelles, de considérations normatives ou de recherches empiriques, de poser des principes généraux ou de formuler des recommandations pratiques à l’usage du négociateur.

Or, par expérience, nous pensons qu’il n’existe pas de bons conseils pour bien négocier, hormis peut-être celui de savoir ce que l’on veut vraiment et d’être ouvert à tout. Cette approche « par préceptes » reste, quelle que soit la subtilité des analyses, « une pensée venue d’en haut », une recette qui ne prend pas assez en compte le cuisinier et donc, une méthode difficilement appropriable.

À l’inverse de la méthode par préceptes, la méthode par items cherche à mettre le négociateur au centre de la réflexion et face à ses responsabilités, en remplaçant la logique impérative (« voilà ce qu’il faut faire ») par une logique interrogative (« comment vais-je faire ? »).

D’une manière générale, la « méthode par items » vise donc à comprendre un phénomène complexe à partir de ses composantes les plus intimes et à travers les interactions qui s’opèrent entre elles.

Afin de faciliter l’appropriation de cette méthode par le lecteur, nous avons souhaité la transcrire de manière pratique en organisant les items selon leur usage. Ainsi que l’indique le tableau ci-dessous, les trois items essentiels de ma négociation sont :

les personnes impliquées, sous une forme ou sous une autre, dans ma négociation ;

les processus que je dois prendre en compte dans ma négociation ;

les problèmes qui font l’objet de ma négociation.

C’est autour de ces trois questions que nous avons voulu structurer le livre qui va suivre en les posant à « nos auteurs ».

Mais, avant de leur laisser toute la place, nous avons voulu, en guise d’ouverture, attirer l’attention de trois regards sur l’objet de ce livre et, plus généralement, sur notre Traité pratique de négociation et sur la méthode par items.

I. WILLIAM ZARTMAN

Le regard d’un politologue américain

BIOGRAPHIE

I. William Zartman est un des grands politologues américains, spécialisé notamment dans l’analyse du règlement des différends et des processus de négociation.

Il est Jacob Blaustein Professeur Émérite de l’Organisation internationale et la résolution des conflits à l’École supérieure des Études internationales (SAIS) à l’Université Johns Hopkins ; membre du Comité de direction du Programme Processus de la Négociation Internationale à GIGA-Hamburg en Allemagne, et du Conseil consultatif international pour l’Initiative de médiation du Département des affaires politiques de l’ONU. Ancien directeur des programmes d’études africaines et de la gestion des conflits à SAIS ; ancien professeur aux Universités de la Caroline du Sud, de New York, et américaine du Caire, de l’Institut des études politiques de Paris, et de l’Académie navale ; consultant pour le Département d’État ; ancien président de l’Institut de la Légation américaine de Tanger pour les Études marocaines (TALIM), de l’Institut américain des études maghrébines (AIMS), et de l’Association des études du Moyen-Orient (MESA).

Il est titulaire d’un doctorat de Yale et d’un doctorat honoris causa de Louvain et d’Uppsala, et Commandeur du Ouissam Alaouite (Maroc). Il est l’auteur de multiples ouvrages publiés dans de nombreux pays tels que A Pioneer in Conflict Management and Area Studies (2019) ; How Negotiations End : Negotiating behavior in the endgame (Springer 2019) ; Preventing Deadly Conflict (2015) ; Negotiation and Conflict Management ; Essays on Theory and Practice (2010) ; International Cooperation : The Extents and Limits of Multilateralism (2010) ; Engaging Extremists : States and Terrorists Negotiating Ends and Means (2010) ; Negotiating with Terrorists (2006) ; Cowardly Lions : Missed Opportunities to Prevent Deadly Conflict and State Collapse (2005) ; Rethinking the Economics of War : The Intersection of Need, Creed and Greed (2005) ; Escalation and Negotiation in International Conflict (2005) ; La résolution des conflits en Afrique (1990) et Ripe for Resolution (1989).

Depuis plus de 40 ans, William Zartman est une personnalité emblématique du monde de la négociation. Ses parcours académique, diplomatique et pratique en font une référence incontestée du domaine. De son propre aveu, la solidité de son travail vient de sa longue expérience des études régionales, notamment dans le Monde arabe (Machrek et Maghreb) et l’Afrique, point de départ de son intérêt plus conceptuel pour la négociation et le règlement des conflits. Américain de nationalité, son regard cosmopolite, entretenu par de lointaines origines allemandes, une épouse française et un attachement affectif au Maroc, lui permet de voir le monde dans toute sa complexité et de chercher à œuvrer, par la compréhension des mécanismes de la négociation, à une gestion du monde, apaisée et multiforme.

Il y a quarante ans, j’ai publié Le négociateur pratique (The Practical Negotiator, Yale, 1982) ; j’ai donc été heureux d’accueillir « le petit dernier » dans la famille : le Traité pratique de négociation, en 2019. Comme toute nouvelle génération qui se respecte, il trace désormais son propre chemin. L’enjeu n’était pas négligeable : peut-on dire quelque chose de nouveau sur une activité pratiquée comme moyen de surmonter des différends depuis la nuit des temps, dont le premier exemple que l’histoire nous ait rapporté date de la rencontre d’Abraham et de Dieu concernant le sort de Sodome (Gen.18), et sur un sujet commenté depuis trois siècles à partir des conseils de François de Callières sur La manière de négocier avec les souverains (1716) ? Pour moi, les auteurs du Traité ont su relever le défi, sur la problématique plus encore que sur le contenu.

À propos du Traité

Les deux auteurs du Traité sont d’anciens membres du cabinet de Boutros Boutros-Ghali et de Kofi Annan quand ils furent Secrétaires généraux de l’ONU, et leur méthode de présentation provient d’une réflexion qu’ils ont conduite au sein d’un Comité du Secrétariat présidé par le Sous-Secrétaire général Marrack Goulding. Elle consiste, en bref, à identifier les questions qu’un négociateur doit se poser sur la manière de se comporter dans une négociation spécifique, plutôt que de prodiguer des avis et des conclusions censés être applicables en toute occasion.

Ces questions reposent sur trois grands items, qui sont ensuite divisés, dans un extrême souci cartésien, en trois sous-items qui ont trois sujets de questions chacun, avec deux questions chacun. Les auteurs appellent ces 81 matières des « items » pour mieux focaliser l’attention sur leur individualité. Ainsi « itemisée », la négociation se présente dans ce Traité comme un faisceau de questions auxquelles le négociateur doit trouver une réponse satisfaisante en fonction du conflit ou du problème auquel il est confronté. Beaucoup de ces questions semblent aller de soi, mais le grand mérite de cette présentation est de les poser explicitement et systématiquement.

Le message principal du Traité se trouve dans la collection de ces 162 questions. Beaucoup de ces items appartiennent à la catégorie que d’autres analystes ont appelée la Diagnostique ou la Pré-négociation, où ils servent à identifier et à collecter les informations et les renseignements nécessaires à une bonne préparation de la rencontre.

La plupart de ces questions que le négociateur doit se poser avant de se lancer dans le combat sont regroupées dans la première Partie de l’ouvrage, nommée « les Personnes ». Les Personnes sont Moi et l’Autre, mais aussi les Tiers, une référence souvent absente, sur le même plan que Moi et l’Autre, divisée ici en Tiers d’action, Tiers d’opinion et Tiers de régulation. Le rapport des Tiers à la négociation est un sujet aujourd’hui essentiel, ajoutant les Ayants intérêt aux Ayants droit.

La deuxième Partie contient aussi des sous-groupes d’items qui font partie de ce que les auteurs appellent « les Processus » : les Préalables (le quoi ? le comment ? le où ? le combien ?), les Stratégies, et les Règles. Un diplomate a dit, un jour, que la préparation doit occuper 75 % du temps de la négociation et c’est très exactement cette proportion du livre qui contient les questions à se poser avant que la négociation effective ne commence, une préoccupation très essentielle dans la conception du Traité, car, dans de nombreux ouvrages, l’analyse de la négociation ne commence qu’à la table verte et la préparation est à peine évoquée. Cette attention détaillée est une des richesses du Traité.

Enfin, la troisième Partie, « les Problèmes », est composée des questions à soulever lors des pourparlers eux-mêmes, telles les offres et surtout les intérêts, même s’il pourra apparaître curieux, à certains, que ces considérations n’arrivent que vers la fin du Traité. Le dernier tiers de ce troisième grand sujet, « les Problèmes », soit un neuvième du Traité, se clôt naturellement par l’item consacré aux « Solutions », dont le dernier « sous-item » est « le Suivi », un thème là encore très peu développé d’ordinaire, mais ici pris très heureusement en considération. Poser une question n’appelle pas simplement une réponse, mais aussi le prolongement et l’entretien de cette réponse.

Mais au fond, quand on y réfléchit posément, ce Traité n’est pas un livre sur la négociation, c’est un livre sur et pour le négociateur. Son accent est mis résolument sur « la Personne » (en commençant par Moi) qui pose les questions, et non pas sur le Processus de decision making. C’est au « négociateur en tant que Personne » que les 162 questions sont adressées, et c’est lui qui est obligé de trouver des réponses, soit explicitement, soit implicitement en passant par le Processus. La négociation n’est simplement que le passage du négociateur à travers cette liste de questions, comme des bornes, le long de son chemin. L’ouvrage est, en réalité, l’étude de ces bornes. Et cela représente la plus grande contribution du Traité à la littérature sur le sujet.

En effet, sans la Personne, la négociation devient mécanique, robotique, « impersonnelle ». Parmi ces questions, celles que je trouve les plus novatrices sont dans la sous-catégorie du « Moi ». Il est vrai que l’on ne s’interroge pas spontanément soi-même sur son état, son statut, ses pouvoirs, ses rapports. On se fonde sur des non-dits, des a priori, des suppositions, souvent mal fondées. Ici, je veux dire dans le Traité, le négociateur est à la fois celui qui répond aux questions et le sujet même de ces questions. Mettre la Personne, appelée à prendre 162 décisions, au cœur de la négociation, inscrit le processus dans une réalité à la fois évidente et novatrice.

Car, où sont les réponses ? Elles sont, le plus souvent, contenues dans les questions mêmes. Dans tous les cas, elles exigent des réflexions personnelles fondées sur une analyse précise de la situation qui se présente au négociateur. Elles ne peuvent pas être produites hors du contexte spécifique dans lequel s’inscrit chaque négociation. Ces réponses sont le produit de choix individuels qui se posent à chaque borne. Dans l’action, le négociateur doit inventer, en chaque occasion, la réponse la mieux adaptée, et non pas appliquer machinalement des préceptes préfabriqués.

C’est précisément cette méthode par préceptes : « [I]l faut faire ceci » que le Traité rejette. Il lui substitue la méthode par questionnement : « [Q]u’est-ce que je peux faire ? » comme approche analytique. C’est ce qui fait sa force et son originalité.

À propos d’une autre approche

Mais je souhaiterais ici, puisqu’il m’est demandé de poser mon regard sur les items de la négociation, faire quelques remarques plus générales.

À l’encontre de l’hypothèse de départ de l’analyse par items, il faut reconnaître que chaque négociation n’est pas unique. La plupart se ressemblent dans la structure de leur processus, suivant une forme fondamentale constituée des régularités dans le comportement des négociateurs et reflétée dans la majorité des études analytiques sur la négociation des conflits ou des problèmes. On peut l’appeler un schéma ou un modèle du processus de négociation, présenté comme un film du processus – non pas une série de clichés, mais un mouvement dynamique qui passe par des phases depuis le commencement jusqu’à sa fin. À l’opposé d’une collection d’items, l’alternative serait de commencer par un modèle du processus ou un type idéal selon Weber, dans lequel, par la suite, ces items peuvent être situés ; par exemple, l’opposé d’une étude d’un bâtiment brique par brique serait une analyse de son architecture et la disposition de ses chambres.

Cette différence entre les deux approches d’items ou de modèles n’est pas impossible à réconcilier. Pour prendre un exemple dans la législation – une situation comparable à la négociation, chaque expérience de voter une loi est différente, appelant une préparation spéciale, des arguments de débat variés, un vote spécifique, puis une mise en œuvre propre comportant bien des difficultés ; à chaque étape, le comportement des législateurs est guidé par des décisions personnelles. Mais le tout se conforme à un processus reconnu et les décisions ont un sens dans le cours de ce processus. L’utilité de s’interroger sur des aspects – des items – d’une telle rencontre est en effet augmentée en reconnaissant qu’ils s’appliquent à un moment ou à une période de ce processus. Nous avons déjà remarqué que la plupart de ces questions sont particulièrement applicables à la phase de diagnostic ou de Préalables (Diagnose), quoiqu’elles puissent continuer à se poser tout au long de la négociation si elles n’ont pas été traitées d’une manière satisfaisante au bon moment. Même l’analyse par items présuppose un modèle générique en proposant des items par structures qui s’associent au mieux avec la phase de Diagnose. L’utilité des questions est ainsi augmentée selon le moment du processus auquel elles s’appliquent.

Le processus de négociation tel que décrit par Richard Walton et Robert McKersie (1965), Philip Gulliver (1979), Terrence Hopmann (1996) et moi-même (1982), passe en effet par trois phases, dont la première est le Diagnose, suivie par la Formulation et ensuite les Détails. Cette conceptualisation est une réponse à l’approche économique et souvent largement adoptée, selon laquelle la négociation commence par les positions des parties déjà bien établies, et à partir desquelles les négociateurs procèdent au traitement des détails. Le passage de la première phase à la phase de Formulation est marqué par un changement substantif qui peut s’appeler le « Moment du Sérieux », quand les parties, après mûre réflexion, se rendent compte qu’elles sont coincées dans une impasse qui leur est pénible et qu’elles ont besoin de trouver un accord. De même, à la fin de la phase de Formulation arrive un « Moment critique de Clôture » où chacun sent le dénouement proche. Entre la première et la dernière phase se situe l’importante phase de Formulation, dans laquelle les parties conviennent, explicitement ou implicitement, de la nature du problème, du besoin de justice et des termes d’échange qui caractériseront la recherche d’une solution. Par exemple, la formule présidant à la série d’accords sur le problème israélien telle qu’établie dans la Résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU était « Territoire pour Sécurité » ; la formule pour l’accord JCPoA avec l’Iran de 2014 était « le temps de restrictions nucléaires en échange de la réduction partielle des sanctions » (elle-même une révision de la formule de 2013 d’une élimination à somme zéro sans contrepartie, qui échoua). Dans ce débat, les parties développent leur gamme de positions désirables et acceptables et cherchent à les rapprocher pour établir une Zone d’accord possible (ZOPA) au sein de laquelle elles essaient de trouver des points communs.

L’observation d’un modèle engendre des conséquences. On peut entrer en négociation sans diagnostic préalable mais au prix d’un résultat inefficace et insuffisant ; on peut décider des détails sans avoir établi une formule pour les encadrer mais au prix d’une certaine incohérence et d’un processus long et pénible ; on peut négliger les détails mais au prix d’un accord qui laisse traîner des fils et contient des éléments de conflit sans résolution.

Ce modèle d’un processus de négociation composé de phases, d’étapes clés et de tâches à accomplir, ne prédit ni ne propose un accord final, mais il nous indique un chemin possible. Sur ce chemin, des concepts utiles et universels tels la ZOPA et le BATNA nous sont accessibles, même s’ils ne sont pas universellement appliqués. C’est sur de telles omissions que les études théoriques se penchent et peuvent fournir un contexte approprié à l’approche par questions et items.

Une autre piste de réflexion concerne la nature même des problèmes traités. Que l’on favorise la méthode par items ou la méthode par modèle, rien n’est dit sur la nature du problème ou du conflit à traiter. L’approche par items prétend que toute négociation est idiosyncratique et unique, et que l’on ne peut donc rien dire sur le problème puisque lui aussi est unique. L’approche par modèle indique que le problème importe peu parce que le schéma est universel et oriente le négociateur dans le processus.

S’il y a une différence entre les deux approches, celles-ci se rencontrent néanmoins sur les aspects de contexte. La négociation se situe dans un double contexte qui définit la négociabilité – un contexte intérieur et un contexte extérieur. Ce double contexte suppose que des parties ont une volonté de recourir à une voie multilatérale pour trouver une solution à leur conflit ou leur problème, ou au moins qu’elles peuvent être convaincues de l’utilité d’une telle voie. Comme déjà indiqué, en général, cette volonté provient du constat d’impasse pénible dont il est impossible de sortir seul. Le travail préliminaire d’un médiateur, par exemple, est souvent de mettre les parties face à ce constat de l’impasse douloureuse et de les rendre « mûrs » (ripen) pour rechercher une solution. Cette prise de conscience peut être bloquée par certains interdits, comme l’évoque fort justement le Traité sans pour autant approfondir le sujet. Quand ceux-ci sont immuables, pour des raisons institutionnelles, culturelles ou personnelles, la négociation n’est pas possible.

Il me semble important de noter enfin que le monde se trouve actuellement face à un important défi en matière de négociation. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les négociations de conflits (désarmement nucléaire, indépendance de nouveaux États, fin des guerres anticoloniales, etc.) et les négociations de problèmes (droit de la mer, commerce et douanes, création de nouvelles institutions, etc.) ont été menées par des États (ou de proto-États dans le cas de guerres d’indépendance) organisés dans les trois mondes de la Guerre froide. À la fin du millénaire, on a remarqué l’apparition de nouvelles formes de guerres, menées par des groupes plutôt que par des États, semant le désordre plutôt que recherchant un ordre mondial, contestant une souveraineté existante sans en vouloir une autre. Pour la plupart, ces groupes ne veulent pas et ne savent pas négocier. Leurs buts sont dans la violence, mais une violence sans but. À de tels acteurs de la scène politique nationale et internationale, les deux approches de la négociation que nous reconnaissons ici ne disent rien. Les items apporteraient des réponses qui démontreraient combien la négociation est inutile ; les modèles indiqueraient combien les conditions pour une négociation sont absentes. Or, il ne serait pas exagéré de constater que c’est bien l’absence des possibilités de négociation qui permet à ces conflits de persister et à ces problèmes de s’envenimer.

Parallèlement, un autre constat s’impose dans le désordre international. En même temps que paraissent des groupes armés non étatiques, les États réémergent comme acteurs principaux du jeu international, mais hors des contraintes d’un ordre global auquel nous avait habitué le XXe siècle. Loin d’être un système bipolaire ou unipolaire, le champ actuel n’a ni pôle ni organisation. Les institutions d’ordre et de sécurité – que ce soit mondiale telle l’ONU ou régionale telle l’OTAN – laissent le terrain de la négociation à des acteurs hétéroclites qui recherchent leur bénéfice immédiat sans engagement fiable. Un triste exemple en est l’effondrement des normes d’interaction internationale, qu’il s’agisse de gérer les conquêtes territoriales, la prolifération nucléaire, le réchauffement climatique ou le commerce des biens et des idées.

Quelle place pour la négociation dans un tel environnement ? Les conditions qu’exige la négociation et qui sont, comme le rappellent les auteurs du Traité pratique, « un engagement effectif [et] réciproque » entre les parties prenantes au conflit ou au problème, sont élusives et bien souvent absentes du débat. Sans conditions préalables (une impasse pénible, un engagement institutionnel, la conscience des normes et contrats passés,…), la négociation n’est qu’un geste et ne fait pas œuvre de décision. Que l’on discute le processus ou les items de la négociation, un certain nombre de conditions intérieures et extérieures doivent être réunies. L’analyse de ces conditions à la négociation est un impératif. Elle s’appuie non seulement sur la mobilisation d’un ordre géopolitique reconnu, mais également sur un ordre moral et comportemental qui privilégie le respect, la tenue des engagements et le sens du bien commun. Mais cela est un autre sujet,…

PIERRE-CHARLES RANOUIL

Le regard d’un professeur de droit et avocat français

BIOGRAPHIE

Pierre-Charles Ranouil a poursuivi parallèlement ses carrières de Professeur agrégé de Droit (Droit romain et Histoire du Droit) et d’avocat au barreau de Paris où il exerce toujours.

Enfant du Maroc, alors Empire chérifien, il a été l’élève de l’École primaire de Petitjean (Sidi Kacem, Gharb) puis du prestigieux Lycée Gouraud à Rabat. Il a poursuivi ses études à la Faculté de Droit et à l’Institut d’Études Politiques de Paris (Service Public). Après avoir soutenu sa thèse en Droit romain sous la direction d’André Magdelain, il a été reçu à l’agrégation de droit en 1972. Sa thèse a été publiée en 1975 à Paris aux Belles Lettres sous le titre : Recherches sur le Patriciat (509-366 avant J.-C.).

Il a enseigné à Besançon, Brest, Lille et Paris (Paris XIII). Il est fier que deux de ses élèves, dont il a dirigé les thèses, soient professeurs de droit à Marrakech et à Oujda. Ses travaux sur la république romaine archaïque et l’histoire de la procédure criminelle française lui assurent une notoriété certaine dans le monde académique. On peut citer : « Aux origines de l’intime conviction : un malentendu » (Les Épisodiques, l’Espace Juridique, Lille, 1989) ; « L’intime conviction » (Les destinées du jury criminel, L’Espace juridique, Lille, 1990 ) ; « Ernest Constans, Ami de l’inculpé » (Figures de Justice, Études en l’honneur de Jean-Pierre Royer, Lille 2004 ; il s’agit de la genèse de la loi de 1897, dont le rogator était Constans qui a ouvert aux avocats le cabinet des Juges d’instruction).

Avocat au barreau de Paris, il a travaillé au côté de Paul Lombard avant de rejoindre en 2000, comme associé, le cabinet August-Debouzy, département Corporate. Depuis quelques années, il a constitué un Cabinet indépendant. Ce parcours lui a permis de pratiquer le contentieux d’affaires et le conseil. C’est dans une telle conjoncture qu’il a recherché des issues négociées aux conflits et qu’il a participé à des négociations plus pacifiques.

Il se souvient d’avoir été officier de cavalerie. Il est commandeur dans l’Ordre National du Mérite. Il se plaît à penser que dans ses deux métiers la générosité, telle que décrite par Descartes dans son Traité des Passions, a une place privilégiée : s’efforcer au meilleur et l’offrir aux autres.

L’avocat français qui n’a connu que de manière pragmatique la négociation, et à qui il est fait l’honneur d’écrire ici, ne peut qu’être émerveillé par la somme que constitue ce Traité pratique de négociation (le Traité !). Il découvre la réduction à des principes opérationnels de ce monde immense et disparate qu’est la négociation. Il prend conscience que son expérience de cette pratique est rétrospectivement éclairée par le questionnement que lui propose la méthode par items. C’est pour lui une leçon d’anatomie de la négociation où les différentes phases de ce processus sont disséquées, nommées, décrites et éclairées. Il se prend à rêver d’avoir pu disposer avant de ce Traité.

Mais il ne se dissimule pas que dans cette réduction à l’unité d’un agrégat de négociations si diverses, les Auteurs ont d’abord eu en tête la grande négociation qui suppose préparation, temps et équipes, même si, chemin faisant, ils nous font bénéficier de leur expérience appliquée à des cas plus modestes. Or, pour l’avocat français qui confronte ici son expérience et le Traité, la négociation s’est très généralement présentée comme un combat de rencontre. Il a alors affronté l’Autre (les items cités sont assortis d’une majuscule) aussi démuni que le fameux marin dont on se plaît à rappeler le dénuement pittoresque.

Il n’en reste pas moins que le Traité aurait pu s’appliquer à chacune de ses expériences et les éclaire désormais. Les Processus et les Problèmes le renvoient à ce qu’il aurait pu faire et fera mieux grâce à la méthode proposée. Mais les Personnes le renvoient au cœur des difficultés qu’il a rencontrées. Moi comme l’Autre, en effet, ne sont jamais dans les réflexions exposées ici les parties directement intéressées à la résolution amiable, mais leurs avocats. Ces derniers font écran et s’il est relativement simple de comprendre et de deviner son confrère, il peut être difficile de savoir ce que veut véritablement l’Autre. Dans le même esprit, le Moi doit en permanence négocier avec son client pour pouvoir remplir sa mission souverainement.

Aussi avons-nous fait porter notre réflexion sur le Moi dont il faut assurer la parfaite cohésion sous peine de se trouver avec deux Moi et sur l’Autre qui peut s’avérer ne pas être un, mais plusieurs.

Moi

Moi est primordial dans toute négociation (mais du point de vue de l’Autre, c’est lui qui est Moi). Moi, c’est qui négocie et pourquoi. Moi négocie toujours pour un autre. Ce Moi avocat, mis à part les grands contrats de nature économique, négocie toujours dans un climat conflictuel avec la menace constante du recours au juge ou à l’arbitre pour arriver à une transaction. Dans une telle conjoncture, Moi doit être souverain ; en revanche, s’agissant des grands contrats économiques, il n’est que supplétif.

Moi souverain

C’est le contexte conflictuel qui détermine le statut du Moi. Le client a pris conscience des risques d’un affrontement judiciaire (ou arbitral), en demande comme en défense. Il veut rechercher une solution certes satisfaisante, mais moins risquée et plus généralement moins coûteuse, bref une transaction. Ou alors il s’est laissé entraîner dans un contentieux, là encore en demande comme en défense, et l’illusion d’une victoire s’éloigne avec les échanges d’écritures et de pièces qui révèlent toute la complexité des désaccords et, brochant sur le tout, les voies de recours qui s’avèrent inéluctables. Là encore, le client prend conscience que, plutôt que d’affronter la glorieuse incertitude du contentieux, en laissant à d’autres le soin de ses intérêts, il vaut mieux s’efforcer, dans un dialogue avec l’Autre, de limiter gains ou pertes et frais de procédure.

Dans une telle conjoncture Mon statut, Mon état, Mes pouvoirs de négociateur, s’ils sont désormais parfaitement analysés dans les items, se sont cependant conjugués pour construire un Moi souverain. Cette construction est née du projet de négociation que j’ai alors pu construire avec le dominus litis, mon client. Ce n’est que dans la mesure où j’ai pu proposer et faire accepter un vrai plan de campagne que mon Moi souverain m’a été assuré. Il a été le fruit de la négociation primordiale avec mon client, aussi difficile que la négociation avec l’Autre, qui a abouti à un accord documenté. Ce plan de campagne, comme d’ailleurs tous les plans de campagne, n’a été que provisoire. Il a évolué en fonction de mes rapports avec l’Autre lors de l’invention des Processus et la résolution des Problèmes. La négociation mère qui m’a permis de fonder mon Moi souverain s’est poursuivie alors avec mon client jusqu’à l’Accord afin de maintenir notre cohésion initiale et d’en assurer la pérennité. C’est avec lui qu’il a été convenu, certes rétrospectivement, d’abord de satisfaire aux items du Processus et, ensuite et surtout, à ceux des Intérêts et des Solutions.

Cette négociation est le prototype de celle menée avec l’Autre, mais aussi son miroir. Il y a deux négociations. La négociation réussie avec le client commandant la négociation frontale. Et cette négociation primordiale entre aussi complètement dans la sphère du Traité. Il n’y a eu Accord que parce qu’il y avait accord avec le client. Cela peut paraître une banalité lorsqu’on ignore la complexité des rapports de l’avocat avec son client. Mais c’est en réalité un prérequis qui sous-tend toute la négociation et détermine son succès. Sans ce dialogue constant et cette confiance sans cesse renouvelée, il n’y a pas de Moi souverain. Certes, il peut être opposé une autre méthode : un accord initial sur les buts de guerre avec le client, puis le convaincre, avec l’autorité qui est prêtée à l’avocat, de venir signer le traité de paix à l’issue de la négociation avec l’Autre. Mais, c’est s’exposer presque à coup sûr à un retour vers l’Autre, de la volonté du client, alors que le Moi négociateur, prétendu souverain, s’est engagé et ce processus a de fortes chances de se renouveler, ce qui affaiblit considérablement l’avocat. Certains avocats diront qu’il faut « tenir » le client. Mais, dans une négociation un peu complexe, l’expérience montre que c’est une illusion.

En bref, si le Moi veut être un négociateur souverain, il ne doit faire qu’un avec son client. C’est ce qui a toujours été, pour nous, la raison fondamentale des négociations réussies. En effet, Moi peut alors et seulement alors, développer en toute confiance et sécurité ses talents de négociateur mis au service des Stratégies choisies pour aboutir aux Solutions.

Enfin, toujours à propos du Moi négociateur, il faut relever une particularité propre aux avocats qui négocient et tout particulièrement à l’avocat français, ce qui est d’ailleurs aussi vrai pour l’Autre. Il ne peut avoir aucun accès direct à la partie adverse avec qui il négocie. Il doit passer par son avocat, et leurs entretiens sont confidentiels. Cela n’est pas sans ajouter une complexité certaine (qui sera évoquée, ci-après, à propos de l’Autre). Certes, il peut être convenu que les parties et leurs avocats négocient en séance, mais cela affaiblit alors le lien tissé entre avocats et compromet la confidentialité. Aussi, un tel recours ne doit être utilisé qu’exceptionnellement, essentiellement pour débloquer une situation.

Moi supplétif

Certes, il est arrivé que le client, en raison d’une parfaite entente avec son avocat, lui confie la négociation d’un contrat économique d’importance. Mais alors les rôles sont inversés. En ce sens que le client est prépondérant dans la négociation, en dialogue cependant constant avec son avocat qui porte sa parole, avec qui il a préalablement fixé ses objectifs et avec qui il les ajuste. Ou alors, car nous ne sommes pas dans la résolution d’un conflit et qu’il est habituel qu’un NDA ait été signé, le client et son avocat participent ensemble à la négociation. Il n’en reste évidemment pas moins que les principes d’unité entre l’avocat et son client restent les mêmes. Il apparaît alors rétrospectivement que les items ont pu s’appliquer de manière plus raisonnée, le temps étant mieux maîtrisé et la violence absente. Il apparaît encore que c’est dans une telle conjoncture que les enseignements du Traité pourront être utilisés au mieux.

Mais, dans les grandes négociations du type M&A, l’avocat français n’est qu’une composante mineure d’une équipe et il se plaît cependant à penser alors qu’il est négociateur. À ce titre d’ailleurs, dans les publications spécialisées, le nom de sa « firme » et son propre nom sont publiés après les noms des banques d’affaires qui ont eu le premier rôle.

Mais l’expérience comme acteur et observateur de celui qui s’exprime ici, montre que l’avocat est loin du Moi souverain. Il est plus juste alors de parler de Moi auxiliaire, voire supplétif, mot peut-être plus dur mais plus juste quant au rôle de l’avocat. En effet, celui-ci est absent du Processus et n’apparaît que dans les Problèmes à l’item 9.3, l’Accord, et plus précisément au 9.3.a La Rédaction de l’Accord. Là, il donne en effet toute sa mesure dans les interminables échanges de versions marquées et les affrontements sémantiques. Pour être juste cependant, il est exact qu’il peut être aussi consulté en amont sur la qualité de certaines structurations juridiques (pour ne pas user d’un vocabulaire dépréciatif) envisagées. Et il est exact aussi que certaines solutions juridiques peuvent influencer le fond. En dernière analyse, il appartient alors au Moi, certes supplétif, mais le supplétif est toujours très utile, de rendre possibles et viables en droit les choix et solutions économiques du Moi souverain, qui est en l’espèce le client et sa banque d’affaires.

L’Autre

L’Autre est celui que le Moi souverain va affronter. Les mêmes difficultés que celles tenant à la dualité entre le Moi frontal et le moi inconnu, le client, existent pour l’Autre. C’est ce qui peut être nommé Les Deux « Autre ». Mais notre expérience de négociations particulières au sein de l’Université va nous permettre d’évoquer un Autre divers, multiple et protéiforme, l’Autre autres, avec qui le Moi souverain a été amené à pratiquer une négociation, certes originale, mais qui aurait pu entrer dans la sphère du Traité.

Les Deux « Autre »

Pour un avocat, la négociation avec un autre avocat est généralement agréable et, en tout cas, relativement facile ; ce qui ne veut pas dire que les intérêts des clients sont sacrifiés à la courtoisie des rapports. En effet, les références, cultures et pratiques sont les mêmes ou analogues et les procédés prévisibles. Les gammes des items consacrées à l’Autre frontal se jouent aisément, d’autant que cet avocat, confrère, est souvent déjà bien connu. Mais les difficultés commencent lorsque le confrère en vient au thème suivant : « Je voudrais bien, mais mon client ne veut ou ne voudra pas… »

La première hypothèse est en effet qu’il n’est pas en phase avec son client. Il convient alors d’argumenter solidement à nouveau (et à nouveau) auprès de l’Autre frontal et de le presser de revenir vers son client avec nos arguments, qui tiennent compte d’un point d’équilibre, au moins provisoire, auquel la négociation est parvenue. L’aboutissement de ce processus est et a été de finalement afficher que mon client et moi ne pouvons pas croire, eu égard au talent et à l’autorité du négociateur, à la divergence alléguée.

Ce qui conduit à la seconde hypothèse : nous pressentons ou savons que le recours à l’Autre, dominus litis, est un artifice de négociation. La conduite à tenir doit cependant demeurer la même que dans la précédente hypothèse. Nos offres ou contre-offres, que vous reconnaissez fondées, cher confrère, à l’évidence dans l’intérêt d’une négociation équilibrée, relayées par vous, ne peuvent qu’être prises en considération par votre client. Vous savez aussi que les raisons et demandes de votre client nous conduisent à un échec. Nous ne pouvons donc pas croire que dans l’intérêt bien compris des parties vous ne puissiez faire évoluer votre client.

Si cependant l’Autre persiste dans cette divergence affichée, empêchant toute évolution raisonnable, selon nous en la circonstance, des Problèmes, le recours, sinon l’ultime recours, pour le Moi souverain, a été de faire valoir que son client tenait absolument, pour débloquer la situation, à rencontrer son homologue en présence des conseils. Une telle réunion a été rarement refusée, d’autant qu’il était implicite qu’un refus entraînerait la rupture (envisagée plus loin). À une telle réunion prenait place une présentation solennelle et argumentée des positions et tout particulièrement des nôtres. Un rapprochement s’opère ou ne s’opère pas alors entre ces positions exposées pour la première fois sans filtre. Dans tous les cas, il y a eu réévaluation des positions et le subtil item 8 (les Intérêts) et ses déclinaisons ont trouvé alors, rétrospectivement, à s’appliquer. Pour Moi et l’Autre a eu lieu le passage fondamental (pour le succès ou l’échec) des Positions aux Intérêts. Passage qui aurait dû au demeurant intervenir plus tôt s’il y avait eu cohésion des deux Autres. Cette transmutation a conduit généralement à l’Accord. Ou alors elle a révélé qu’il n’y avait aucune possibilité de composer entre l’Autre et Moi.

Une telle rupture a révélé alors l’illusion qui avait précédé l’entrée en négociation. Chaque dominus litis a cru et a fait partager à son avocat une situation mal analysée en matière de rapports de forces. Ceux-ci n’étaient finalement pas si équilibrés puisqu’à un certain niveau de concessions, la partie qui a pensé qu’il était trop exigé d’elle a préféré le contentieux ou le retour à celui-ci. Misant sur une évolution du rapport de forces, à la faveur des aléas procéduraux, permettant une reprise des négociations dans de meilleures conditions, ou tout simplement escomptant une décision du Juge ou Arbitre plus favorable que le résultat de la négociation La rupture a été cependant l’exception.

S’il y a entente, au moins sur les principes, concernant un accord s’exécutant dans le temps, il est alors apparu indispensable de ménager l’Autre. Il ne fallait pas lui imposer une concession de trop, qu’il ne pouvait cependant pas refuser, parce que globalement l’accord était bon pour lui (ou qu’il ne pouvait pas faire autrement). Le faire, pour parfaire une négociation, était en effet la certitude que l’Autre sur la durée rechercherait une revanche. Il prendrait prétexte de ce manque de mesure pour justifier à ses yeux un dévoiement de tel ou tel aspect de l’accord à son profit. Cela aurait été la reproduction entre personnes ou entreprises des errements de certains traités entre puissances souveraines.

Là plus qu’ailleurs, l’hubris du Moi est à proscrire. Dans le même esprit, le négociateur est discret. S’élever des arcs de triomphe au prétexte d’une négociation présentée comme réussie n’est pas de bonne politique. Qui acceptera au surplus de confier ses intérêts à négocier un tel Moi et quel Autre acceptera d’entrer en négociation avec lui ?

L’Autre autres

Les suites de mai 1968 ont dérégulé (et déréglé pour certains) les Universités françaises et plus particulièrement les Facultés de Droit (qui intéressent celui qui écrit ici). Il régnait dans ces dernières un subtil équilibre, protégé par le règlement, entre les disciplines. Quant aux professeurs ils jouissaient de leurs fiefs, qu’étaient leur discipline et leurs matières de prédilection, sous la paix tutélaire que faisait régner une administration déférente et débonnaire. La période qui s’est ouverte après 1968 et qui dure encore, non seulement a confié aux Professeurs l’administration des Universités et Facultés, en compagnie il est vrai d’autres enseignants, des étudiants et du personnel administratif (rien n’est jamais parfait), mais encore a ouvert la boîte de Pandore des programmes. Le fonctionnement de ces conseils, élus par des collèges composés de chacune des catégories d’électeurs, a révélé bien des ambitions éloignées des traditions académiques et a érigé la négociation en discipline reine, même si non enseignée. Mais pour celui qui écrit ici, les enjeux essentiels se sont révélés être les appétits des disciplines les plus représentées pour dévorer la place dans les programmes des disciplines minoritaires. Cela était possible en usant des libertés que laissaient désormais les programmes officiels d’écarter telle ou telle matière considérée comme non fondamentale au profit de telle autre appartenant à une discipline majoritaire. Cela était aussi possible lors de la création de nouveaux fiefs spécialisés qui admettaient ou non la présence d’une discipline minoritaire. Et tout était décidé en conseils où les rapports entre personnes étaient prépondérants s’agissant essentiellement d’enseignants et d’étudiants.

Le Moi qui écrit ici était alors particulièrement attaché à sa discipline minoritaire, le droit romain et l’histoire du droit, et négociait, évidemment en minoritaire, pour lui conserver une place significative, étant persuadé de son caractère indispensable à la formation des étudiants futurs praticiens. Négociation originale car l’Autre, s’agissant d’autres, était divers, fluctuant et heureusement n’était pas homogène. Il s’agissait d’empêcher par plusieurs négociations simultanées la formation de majorités hostiles. La grille du Traité (dont l’un des auteurs, universitaire, a bien connu cette période) alors à naître, aurait pu s’appliquer pour chacun des autres, afin de le convaincre, par les influences les plus appropriées, de s’abstenir de tout vote hostile. Tout dépendait dans ces circonstances de la capacité du Moi, alors véritablement souverain puisqu’il agissait pour ce qu’il considérait être l’intérêt général, à mener plusieurs négociations à la fois. Chaque Autre était différent, mais le but que chacun poursuivait avec plus ou moins d’énergie, et souvent heureusement celle des repus, était toujours le même : la croissance de sa discipline. Le Moi souverain alors fondamentalement universitaire était heureusement enrichi par la réputation du praticien et une expérience de jeunesse du commandement des hommes. L’esprit de cette négociation était d’arriver à un accord généralement implicite avec le plus grand nombre d’autres. Mais à chaque nouvelle réforme la négociation était à reprendre et l’expérience a montré que ses résultats ne reposaient que sur des hommes.

Si cette expérience ancienne et particulière a été évoquée, c’est qu’elle est transposable aux négociations qui perpétuellement animent les assemblées délibérantes. Et lorsqu’il y a un Autre homogène, c’est en son sein même que la négociation prend place.

Pour clore ce propos tiré d’une expérience visitée à la lumière du Traité pratique de négociation, deux constats. D’abord, les négociations réussies sont celles où Moi et l’Autre incarnent, sans la moindre faille, le client. Ensuite, le négociateur avocat, comparé au début de ce propos au fameux marin démuni, aura désormais un troisième outil pour l’éclairer sur lui-même et les autres et le rasséréner : le Traité !

HUBERT VÉDRINE

Le regard de l’ancien chef de la diplomatie française

BIOGRAPHIE

Hubert Védrine est un homme politique, pendant 14 ans collaborateur de François Mitterrand et ancien chef de la diplomatie française.

Licencié d’histoire, diplômé de l’Institut de Sciences Politiques de Paris et de l’École Nationale d’Administration, il entre au ministère de la Culture en 1974. Il rejoint la Direction Générale des Relations Culturelles, Scientifiques et Techniques du ministère des Affaires étrangères en 1979, en mobilité.

En 1981, à 34 ans, il est appelé par le Président Mitterrand comme Conseiller diplomatique. Il devient, par la suite, en 1988, Porte-parole de l’Élysée puis Secrétaire Général en 1991. Il le restera jusqu’en 1995. Entre-temps, il avait rejoint en 1986 le Conseil d’État comme Maître des requêtes. De 1997 à 2002, il est ministre des Affaires étrangères de la France, pendant la troisième cohabitation, Chirac/Jospin.

En 2003, il crée une société de conseil géostratégique « Hubert Védrine Conseil » et prend la présidence de l’Institut François Mitterrand. En 2005, il est nommé par Kofi Annan membre du Haut Conseil pour l’Alliance des Civilisations de l’ONU. Il participe en 2007 à la préparation de la Conférence de Paris sur l’environnement visant à poser les bases d’une future Organisation des Nations unies pour l’Environnement. À la demande du Président Sarkozy, il rédige en 2007 un « Rapport sur la France et la mondialisation » et, en 2012, à la demande du Président Hollande, un « Rapport sur les conséquences du retour de la France dans l’OTAN, sur la relation transatlantique et sur l’Europe de la défense ». En 2014, il co-préside avec Lionel Zinsou la commission qui rédige un rapport sur les perspectives économiques entre l’Afrique et la France.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages de géopolitique parmi lesquels Les Mondes de François Mitterrand– À l’Élysée de 1981 à 1995, 1996 ; L’hyperpuissance américaine, 2000 ; Multilatéralisme : une réforme possible, 2004 ; Atlas du monde global, avec Pascal Boniface, 2008 ; Dans la mêlée mondiale, 2012 ; La France au défi, 2014 ; Sauver l’Europe, 2016 ; Atlas des crises et des conflits, avec Pascal Boniface, 2019 ; Compte à Rebours, 2017 ; Et après ?, 2020.

Hubert Védrine est administrateur du groupe LVMH, ainsi que de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques, et de l’Institut Aspen France.

Pour lui, la négociation est l’essence même de la diplomatie, élément indispensable à la recherche des équilibres qui permettent à la fois la défense des intérêts vitaux de chaque nation et la nécessité de vivre sinon ensemble, du moins côte à côte. En démocratie, c’est la seule voie qui garantisse le respect du mandat public tout en mobilisant l’expertise de quelques-uns au service du plus grand nombre.

L’interrogation d’un diplomate sur la pertinence de la négociation ne se pose pas ; il s’agit pour lui de l’air qu’il respire, de la nature même de sa fonction. Car la négociation est l’essence même des relations et de la gouvernance internationales. Elle s’impose à tous les pays quels qu’ils soient. C’est la raison d’être de la diplomatie : préserver nos intérêts vitaux en trouvant des modalités d’accord. La négociation est d’autant plus un impératif pour la France qu’elle est une puissance moyenne dans le concert des puissances (il y en a une vingtaine, pas deux cents !) et qu’elle pense, à tort ou à raison, qu’elle a un rôle universaliste à jouer. Elle est donc obligée, encore plus que d’autres, d’avoir à son service des professionnels de la négociation.

Contrairement à l’idée répandue, je ne suis pas un diplomate de carrière. J’ai été cependant, pendant un certain temps et à une époque de réagencement des grands équilibres géopolitiques issus de la Guerre froide, de 1997 à 2002, le chef de la diplomatie française. En cette qualité, j’ai eu à orchestrer, avec mes alter ego, de nombreuses négociations. Je n’ai pas suivi pour cela de théories des négociations, mais elles sont bien sûr utiles.

Le découpage de la négociation entre les Personnes, les Processus et les Problèmes me semble un apport très utile pour faciliter l’analyse et la préparation d’une négociation. Je vais les aborder ici tout en sachant bien que, dans la conduite de l’action, ces trois éléments se combinent.

Je commencerai par le premier item du Traité : les Personnes. Plus l’on monte dans la hiérarchie des personnes concernées, plus la part personnelle est importante. Si la négociation est essentiellement technique, alors le rôle des personnes en tant qu’individus importe peu. Mais il est certain qu’au niveau d’un ambassadeur, d’un ministre et bien évidemment d’un chef d’État, le caractère personnel et officiel du négociateur peut devenir important.

Bien des négociations historiques et leurs conclusions ont dépendu largement du caractère des négociateurs. L’analyse des pensées et psychologies personnelles devrait nourrir le processus lui-même de la négociation. On pense, par exemple, aux grandes Conférences de Téhéran, Yalta, Postdam. Les faits sont déterminants, mais les personnalités de Churchill, de Roosevelt et de Staline ont été essentielles. Quand les négociations sont plus techniques et les enjeux moins absolus, les relations interpersonnelles comptent un peu moins.

La question de l’émotion en négociation relève de la même ambivalence. Faut-il proscrire les émotions et ne s’attacher qu’aux aspects matériels et techniques que favorisent les approches américaines de la négociation ? Bien sûr, c’est impossible ! Ou, à l’inverse, faut-il embrasser les aspects subjectifs d’une négociation et les utiliser si on le peut ?

En général, on considère le diplomate comme celui qui doit garder son calme en toute occasion, se comporter en monstre froid pour éviter le conflit et trouver des solutions. Dans une telle interprétation, l’émotion doit jouer le moins possible. Le diplomate est là pour défendre des intérêts collectifs, des objectifs à long terme établis, le bien commun. Tout dépend, bien sûr, des enjeux que l’on traite. Les enjeux techniques « prennent rarement aux tripes ». Comme un chirurgien devant s’abstraire des sentiments de la famille afin de mettre toute son expertise et sa concentration dans son opération, un diplomate fait abstraction de ses émotions personnelles.

Mais, à notre époque, les négociations se font sous le regard du public. Une approche uniquement à la Kissinger n’est plus complètement possible. D’ailleurs, Alexis de Tocqueville l’avait anticipé : « Les démocraties vont traiter de considérations extérieures sur la base de considérations intérieures ». Et la géopolitique est marquée aussi par les émotions des hommes qui gouvernent et de ceux qui négocient. Les mémoires regorgent de ce genre de remarques. Car, dans les démocraties, on ne peut plus s’extraire de la sensibilité de l’opinion publique. Cela augmente donc considérablement la pression sur les négociateurs. C’est contraignant, mais il peut être parfois utile de se servir de cette dimension émotionnelle, voire de la revendiquer afin de montrer l’implication personnelle mise au service de la négociation, que cela soit sincère ou tactique.

Cette pression médiatique et cet impératif de transparence soulèvent bien des questions. La demande de transparence est, de nos jours, insatiable. Il faut donc en prendre la mesure, mais en distinguer les étapes. L’impératif de transparence n’est pas possible tout au long du processus de négociation. Elle dépend du moment. En début et en fin de négociation, il faut être honnête sur l’objectif que l’on négocie, même s’il s’agit de sujets sensibles. On ne donne pas de détails, mais on doit annoncer honnêtement quel est le but recherché. Mais, pendant la négociation elle-même, il est indispensable de garder secrets les détails du jeu et la nature des concessions que l’on envisage. En fin de processus, on doit être transparent lorsqu’il s’agit de présenter le résultat de la négociation.

Je me souviens des négociations israélo-palestiniennes de Camp David no 2, à la fin du second mandat de Bill Clinton, en septembre 2000. Le Président Chirac et moi-même soutenions le processus mené par le Président Clinton avec Madeleine Albright, la Secrétaire d’État américaine, auprès des délégations. Ehud Barak, le Premier ministre israélien craignait la montée en puissance d’Ariel Sharon, son opposant politique, qui défendait une posture tout à fait fermée à l’égard des Palestiniens. Shlomo Ben-Ami, alors ministre des Affaires étrangères israélien, négociait à l’aune de cette pression médiatique, surveillant les réactions de la presse israélienne qui, quotidiennement – que cela soit fondé ou non – dénonçait à l’avance les soi-disant concessions faites aux Palestiniens. Cette contrainte publique gênait leur action. Les Palestiniens n’étaient pas en reste non plus. L’émotion et les agendas personnels ont souvent été les maîtres tyranniques des négociations israélo-palestiniennes. Mais, comme évoqué, plus le sujet est technique, moins cela compte. Négocier au Proche-Orient est certes plus passionnel que sur la PAC au milieu des technocrates de Bruxelles ! Et encore !

Dans une démocratie, dans le jeu des concessions nécessaires pour avancer, la vraie question est finalement celle de l’autonomie du négociateur par rapport à son mandat et à ses autorités. En démocratie, il s’agit moins d’ailleurs d’un impératif de transparence que d’un impératif d’honnêteté.

Cela m’amène maintenant à parler des Processus de négociation. Et, dans ce domaine, les éléments que nous devons d’abord maîtriser relèvent de la préparation de la négociation, ce sont les fameux « Préalables » sur lesquels insistent les auteurs du Traité pratique de négociation. En négociation, il faut d’abord travailler en amont et se préparer au mieux, en prenant en compte les différents scénarios. Ces scénarios ont pour fonction de nous aider à nous projeter dans les différents possibles de la négociation à venir mais ils nous obligent également à clarifier autant que possible ce que l’on veut vraiment et les concessions que l’on est prêt à faire pour réussir.

Cette part « technique » de la préparation nous permet également de faire face à l’imprévu qui ne manque jamais d’advenir. Ces scénarios nous aident à adapter l’analyse à chaque imprévu en gardant le cap et en réfléchissant sur les compromis possibles à venir. Mais soyons honnêtes, on n’y arrive pas toujours. Il y a trop d’éléments impossibles à contrôler ou à prévoir : la nature même de la négociation diplomatique aujourd’hui, multilatérale par essence, le regard public, les intérêts privés, les médias, les réseaux sociaux,… Les impondérables sont nombreux. C’est un avis à nuancer pour les négociations économiques et industrielles, où les choses sont plus techniques, plus mathématiques, plus complexes, mais plus prévisibles. Les industriels doivent aussi réadapter sans arrêt leurs scénarios. Mais dans la politique, tout est plus instable ! Un industriel doit penser à 5, 10, 15 ans. Un gouvernement en démocratie a des horizons beaucoup plus courts et a, finalement, peu de leviers. C’est un handicap.

Les mémoires des dirigeants sont édifiants en ce sens. Souvent, ils consacrent plusieurs pages à expliquer combien ils sont attachés à leurs idées et pourquoi ils ont dû y renoncer, sous la pression. La négociation est une « rivière sans retour » parcourue de concessions.

Cette réflexion pose la question de l’éthique. Rappelons-nous la distinction classique entre l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction. Quand on a une responsabilité étatique, il n’y a pas de place pour l’éthique de conviction. Si l’on n’est pas d’accord avec la ligne de son gouvernement, on démissionne de son poste. Mais c’est assez rare.