La peur, arme politique - Robert Charvin - E-Book

La peur, arme politique E-Book

Robert Charvin

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Beschreibung

La peur, arme politique

Qu’y a-t-il de commun entre l’Arabe, le Noir, le musulman, le juif, l’immigré, la femme, l’insécurité, la pauvreté, la religion, l’avenir, la crise, le communisme, le terrorisme, le populisme et la mort ? La peur qu’ils ou elles suscitent.
Peurs légitimes ou peurs fabriquées ? Comment s’y retrouver ? En ces temps de crise et d’angoisse, le livre de Robert Charvin tombe à pic. Comparant les peurs d’hier et celles d’aujourd’hui, il dévoile la stratégie commune à tous ces pouvoirs : effrayer, puis rassurer. Après l’Église, qui aujourd’hui manipule nos raisonnements et paralyse nos combats ? Cette peur nous fera-t-elle accepter un nouveau fascisme ? Une réflexion perspicace et profonde dont nous ressortons plus riches et plus vigilants.

Comprendre ses peurs, c’est le chemin pour les maîtriser et se débarrasser de ses chaînes.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Auteur de très nombreux essais politiques, Robert Charvin est professeur émérite de Droit à l’Université de Nice. Il est également consultant en droit des relations internationales.

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La peur,

arme politique

Ouvrages déjà parus chez Investig’Action :

Michel Collon, USA. Les 100 pires citations, 2018

Edward Herman et Noam Chomsky, Fabriquer un consentement, 2018

Saïd Bouamama, Manuel stratégique de l’Afrique (2 tomes), 2018

Ludo De Witte, L’ascension de Mobutu, 2017

Michel Collon, Pourquoi Soral séduit, 2017

Michel Collon et Grégoire Lalieu, Le Monde selon Trump, 2016

Jean-Pierre Page, Camarades, je demande la parole !, 2016

Ilan Pappé, La propagande d’Israël, 2016

Robert Charvin, Faut-il détester la Russie ?, 2016

Ahmed Bensaada, Arabesque$, 2015

Grégoire Lalieu, Jihad made in USA, 2015

Michel Collon, Je suis ou je ne suis pas Charlie ?, 2015

Raf Custers, Chasseurs de matières premières, 2013

Michel Collon, Libye, Otan et médiamensonges, 2011

Michel Collon et Grégoire Lalieu, La stratégie du chaos, 2011

Bayar Kimyongür, Syriana, 2011

Michel Collon, Israël, parlons-en !, 2010

Michel Collon, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, 2009

Ouvrages à paraître prochainement chez Investig’Action :

Jacques Pauwels, Les mythes de l’Histoire moderne

Ludo De Witte, Quand le dernier arbre sera abattu,

nous mangerons notre argent

Robert Charvin

Professeur Émérite à l’Université de Nice – Sophia-Antipolis

La peur,Arme politique

Gouverner,

c’est faire peur… et rassurer

Investig’Action

© Robert Charvin et Investig’Action.

Mise en page : Simon Leroux

Couverture : Joël Lepers

Correction : Céline Lambert, Corinne Lingat,

Michel Collon et David Delannay

Merci à tous.

Édition : Investig’Action – www.investigaction.net

Distribution : [email protected]

Commandes : [email protected] ou sur le site www.investigaction.net

Interviews, débats : [email protected]

.

ISBN : 978-2-930827-22-3

Dépôt légal : D/2019/13.542/2

« Nous sommes à la charnière d’une transition entre des démocraties libérales en décomposition et la possibilité d’une nouvelle forme de totalitarisme post-démocratique ».

Roland Gori, La nudité du pouvoir. Comprendre le moment Macron, Paris, Les liens qui libèrent, 2018.

« Nous sommes (…) toujours exposés à être complices des contraintes qui s’exercent sur nous, à collaborer à notre propre domination ».

Pierre Bourdieu, Si le monde social m’est supportable, c’est parce que je peux m’indigner. Entretien avec Antoine Spire, Paris, Édition de l’Aube. 2001.

« Un jour, la guerre contre le terrorisme prendra fin, comme toutes les guerres. Et quand cela arrivera, nous nous trouverons à vivre encore dans la peur. Non pas la peur du terrorisme ou de l’islam, mais celle des dirigeants que la peur aura laissés derrière elle ».

Corey Robin, La peur. Histoire d’une idée politique, Paris, Armand Colin, 2006.

« L’histoire ne vaut que si elle est un peu déplaisante… Faire peur, à défaut de faire croire, sans jamais rien faire comprendre : tel est assurément le moyen le plus sûr de se faire obéir ».

Patrick Boucheron, professeur au Collège de France.

« En politique, l’angoisse collective du vide est dévastatrice. C’est là qu’on s’approche à nouveau du fascisme : des citoyens qui se sentent impuissants et qui redoutent en même temps l’impuissance de l’État demandent à celui-ci des mesures sécuritaires visibles, d’instituer quelque chose comme un apartheid, sous quelque forme et quelque nom qu’il se présente ‘de façon à s’assurer qu’ils sont toujours du bon côté’, que les victimes, les pauvres-types- j’allais dire les ‘sous-hommes’ ce n’est pas eux, ce sont encore les autres ».

Étienne Balibar, Droit de Cité. Culture et politique en démocratie, Paris, Éditions de l’Aube, 1998.

Table des matières

D’où viennent nos peurs ? Préface de Michel Collon 9

Avant-Propos : La mort n’est-elle plus ce qu’elle était ? 13

Introduction 21

Chapitre 1 : Quelques jalons historiques pour saisir la peur 33

La peur dans l’Antiquité et au Moyen-Âge 38

De la Renaissance à nos jours 42

Chapitre 2 : L’administration contemporaine de la peur 49

Une évolution des « hérétiques » 56

Les peurs actuelles et leur utilité 61

La peur de l’autre, son origine et son actualisation 77

Une origine du sexisme sociétal ? 80

En résumé… 85

Chapitre 3 : Les réponses à la peur  89

Les différents meneurs 90

La sécurité de la collectivité 92

Le problème écologique comme parade 94

La loi pour tous 96

Vers l’État social : un grand pas, mais… 100

En bref… 103

Chapitre 4 : La révolution, laquelle et pourquoi pas ? 105

D’où viennent nos peurs ?

Préface de Michel Collon

Qu’y a-t-il de commun entre l’Arabe, le Noir, le musulman, le juif, l’immigré, la femme, l’insécurité, la pauvreté, la science, la religion, le diable, l’avenir, la crise, le communisme, le terrorisme, le populisme et la mort ? La peur qu’ils ou elles suscitent.

Comment s’y retrouver parmi toutes ces peurs, certaines légitimes, et d’autres consciemment fabriquées ou exacerbées ? Il semble que notre société se retrouve paralysée par la peur. La peur de l’autre. La peur de perdre le peu que l’on a. Une angoisse qui peut fausser nos raisonnements et nous priver du courage nécessaire pour transformer cette société.

En ces temps de crise et soulèvements populaires, le superbe livre de Robert Charvin tombe à pic. Parcourant l’Histoire récente ou plus ancienne, il compare les peurs d’hier et celles d’aujourd’hui ; il les décortique et en expose les mécanismes. Il nous aide à comprendre comment les dominants ont toujours joué et jouent encore avec ces peurs. Pour asseoir leur pouvoir et pour en détourner les contestations. Au fond, la peur joue un rôle fondamental pour toute classe dominante : démoraliser, faire diversion, diviser. La stratégie des « 3 D ».

Se pencher sur l’Histoire n’est donc pas un détour, mais un raccourci. Les peurs anciennes, que nous pouvons juger avec plus de recul et de détachement, vont nous aider à comprendre comment l’on nous manipule aujourd’hui. Les formes changent, mais les procédés demeurent. Je ne cesse de le redire : hier nous permet de comprendre aujourd’hui pour agir dès demain. L’Histoire n’est pas un luxe, mais une nécessité. C’est bien pour cela que les gouvernants cherchent à l’évincer des programmes scolaires. Ou alors, à la rendre inoffensive en la privant de l’essentiel : ce combat de toujours entre le 1 % et les 99 %.

Voilà pourquoi ce livre sera utile et même indispensable pour comprendre ce qui nous empêche d’agir ou ce qui nous pousse contre de fausses cibles. Charvin démontre brillamment comment la peur est toujours un outil essentiel de la domination. Il expose avec lucidité le rôle des élites politiques et médiatiques. Soulignant le rôle crucial que l’Église a joué dans l’Europe chrétienne pour légitimer le pouvoir politique et remplir les cerveaux, Charvin s’interroge : qui remplace aujourd’hui l’Église dans cette fonction ? Les médias ? Certains intellectuels laïques se comportant en « police de la pensée » ? Des réflexions décapantes.

Dans une société où tout devient argent, la peur aussi devient une marchandise. Charvin analyse très bien ce nouveau marché de la peur, ces nouveaux métiers, ces nouvelles fortunes basées sur la trouille entretenue et « surtout pas la paix ! ». Très actuel, il nous montre aussi comment, avec le discrédit qui frappe les partis au pouvoir, de droite ou dits de gauche, la menace du fascisme réapparaît. Ne l’attendons pas sous les formes anciennes, qui étaient d’ailleurs très variables, fait-il remarquer, mais comprenons ce que Bolsonaro annonce peut-être pour l’Europe. Si l’on ne résout pas les problèmes, si l’on ne combat pas les injustices, alors un néofascisme nous guette.

Lire La peur, arme politique vous demandera, ne le cachons pas, un petit effort. Car la langue de Charvin est riche, précise et souvent fleurie. Car il aborde des questions profondes. Car cette façon de survoler l’Histoire, de la dépoussiérer et de comparer sans cesse des époques différentes pourrait donner le vertige. Mais cet effort sera payant. Un bon livre est un livre dont on ressort plus riche, mieux armé, encouragé.

Car il est temps de dépasser ce « syndrome Internet » qui nous déforme : sur la toile, tout doit aller très vite ! Nous sommes poussés, sous prétexte de ne rien rater (et en réalité pour vendre de la pub), à avaler le maximum d’infos et le maximum d’images le plus vite possible. Ceci n’est plus de l’info, mais du consumérisme « accro ». Manifestement sous l’influence de ce grand principe capitaliste : « Le temps, c’est de l’argent » (pour qui ?).

Ici, avec Robert Charvin, c’est le contraire : lisons à notre aise, n’hésitons pas à relire, souligner, annoter. Bref, l’éloge de la lenteur quand il s’agit de réfléchir et de chercher le meilleur en nous : notre capacité à comprendre les causes, les mécanismes fondamentaux. Un bon livre, c’est un plaisir, mais seul l’effort qu’il exige de nous permet d’acquérir quelque chose d’unique et de précieux.

Lorsque j’interviens dans des conférences ou des débats, ou par la discussion au hasard des rencontres de la rue, j’entends souvent : « Oui, mais les gens ne veulent pas bouger ». D’abord, « les gens », cela n’existe pas, il existe toutes sortes de gens, avec des opinions diverses et des engagements variables, il y a des gens qui voulaient bouger avant de se décourager. Il y a aussi l’inverse.

Charvin nous amène donc à poser la question autrement : quelle est leur peur, à ces gens ? Et d’où vient-elle ? En écoutant sans condamner, en réfléchissant ensemble, nous pourrons comprendre qui est à la manœuvre derrière cette peur et dans quel intérêt. À un moment ou un autre, presque tout le monde se révolte contre une injustice, presque tout le monde souhaite une société meilleure et la clé sera de relativiser les peurs, de montrer qui les fabrique ou les exploite. Le carburant de la domination, ça reste le traditionnel « diviser pour régner », et donc désigner des boucs émissaires vers lesquels détourner la colère des gens en souffrance.

Nous avons donc besoin de développer un dialogue le plus large possible entre tous ceux que le pouvoir cherche à opposer et diviser, telle est la clé du changement de société. C’est d’ailleurs sur une telle perspective que Robert Charvin termine son livre. Une perspective lucide, y compris sur les faiblesses du peuple, mais pas désespérée.

Que doit-on craindre le plus ? Les matraques policières ou les discours paralysants ?

Comprendre sa peur, c’est le chemin pour la maîtriser et se débarrasser de ses chaînes.

Avant-Propos :

La mort n’est-elle plus ce qu’elle était ?

La peur de la mort est à l’origine de croyances qui varient d’une civilisation à une autre. Toutefois, les plus vieilles traces de religion concernent le culte des morts, qui révèle chez les vivants le besoin de croire à un au-delà. Cette vie pensée après la mort devient l’ultime espérance des populations. Les premières religions servent donc à atténuer la crainte fondamentale de l’humanité : la fin de la vie. Rendre un culte aux défunts, c’est aussi maintenir des liens entre les vivants et les morts, c’est ne pas les considérer comme définitivement disparus. C’est aussi se protéger des colères posthumes et menaçantes, sources de la peur de ceux qui survivent.

Les religions premières1 comme celles d’aujourd’hui pratiquent des rites funéraires qui diffèrent selon l’importance politique et sociale du mort et selon les croyances religieuses. La hiérarchie des défunts est marquée de tout temps dans les modalités du deuil et l’importance ainsi que la richesse des tombaux. Mais au-delà des multiples formes locales des sépultures (les plus anciennes datent de 100 000 ans), il s’agit de doter les morts d’un lien visible. Ce dernier incarne dans un même temps le rapport matériel et mémoriel avec les vivants. Le tombeau est une construction rassurante d’un au-delà de la mort en vue d’un séjour inviolable et d’un repos éternel. Cela a toute son importance, car il s’agit de l’ultime espérance de l’homme. En effet, celui-ci refuse sa disparition définitive et l’idée même du néant.

À cette peur originelle fondamentale s’ajoute le mystère de la naissance. Celui-ci est fortement lié à l’énigme de la conception et de la sexualité. Il est source d’une autre peur fondamentale, peut-être à l’origine de l’angoisse que la femme inspire à l’homme. Bien que soumise à sa violence, la femme devient en effet le juge de sa virilité. À l’exception de la croyance en la réincarnation dans le sein de la mère pour laquelle le père n’a aucune place, les religions ont pratiqué des cultes phalliques. Elles ont également conçu des « déesses-mères », privilégiant ainsi, au contraire, la puissance maternelle. L’intensité de ces cultes est indissociable de la faible population : l’homme était rare, la vie de groupe était en jeu. Avec la croissance démographique, les religions ont évolué et se sont efforcées de gérer les contradictions entre le sexe prolongateur de vie, mais aussi incarnation du mal. En effet, l’amour détourne de l’adoration des dieux !

Cette double crainte majeure (celle de l’extinction et celle de la femme) rend l’Homme disponible pour une angoisse chronique2 et assure la survie des religions, des sectes et de multiples croyances. Toutes celles-ci sont source d’un irrationalisme diffus édifié par des « bricolages » idéologiques individuels et des communions variées3. Toutefois, cette double crainte ouvre aussi la voie à toutes les peurs, y compris les moins fondées. La croyance en dieu en France attire encore 60 % de la population, dont certains estiment « qu’il y a quelque chose, mais je ne sais pas quoi ». La croyance en l’Enfer, après avoir beaucoup reculé, a progressé depuis les années 1970-1980 (33 %). Par contre, la notion de péché a beaucoup reculé.

Ce climat, qui pèse sur bon nombre de Français, ne favorise pas une citoyenneté responsable et produit un esprit de sujétion. Il est profitable à toutes les hiérarchies, à la « communication » la plus irrationnelle et à la recherche de nouvelles « consolations ». Il est également indissociable d’un système qui a besoin que règnent avant tout l’émotion, le « présentéisme » et la vitesse.

Toutes les émotions collectives, productrices de consensus, sont utiles aux dominants. Il en est ainsi de la Shoah, célébrée sous de multiples formes et à toute occasion, comme de l’attentat du 11 septembre 2001 à New York. Ainsi, nous sommes tous antiracistes (comme si les juifs avaient été les seules victimes des massacres nazis) et « tous américains », comme titrait le bulletin officiel de l’intelligentsia française, le journal Le Monde !

Néanmoins, l’émotion peut aussi être orchestrée autour de décès anecdotiques, créant des héros posthumes, style Elvis Presley, Claude François, la Princesse Diana ou Johnny Halliday ! Il s’agit de fabriquer des béatifications profanes, aptes à faire pleurer les foules ! Ces diversions, que représentent ces « belles morts » mises en scène par les médias et les instances publiques, semblent utiliser le trivial pouvoir de fascination de la mort. Celle-ci, invariable à travers les âges, est le reflet privilégié de nos peurs et de nos espérances ! Le même but est poursuivi avec les transferts (sélectifs) au Panthéon de personnalités célébrées en grande pompe. Pourtant, en Méditerranée disparaissent simultanément dans l’indifférence des milliers de candidats au refuge et, au Moyen-Orient, des milliers de civils sous les bombes …

Dans certains pays de l’Est apparaît un néoconservatisme proche des fascismes qu’ils avaient adoptés avant la Seconde Guerre mondiale. On y célèbre des morts politiques de la période communiste dans le but d’émouvoir une population en réhabilitant un passé jusque-là condamné. Les opposants anticommunistes des régimes Rakosi et Kadar, la mort en exil du Cardinal Midzenty, mais aussi le culte des « héros » du régime fasciste de Horty (1919-1944) ou encore les victimes des combats de 1945 contre l’Armée rouge ont été vigoureusement sponsorisés par le néofascisme de la Hongrie « nouvelle ». Tout cela est orchestré pour redonner vigueur à la peur du communisme.

Il en est de même en Pologne et dans certains États baltes. Là-bas, l’héroïsation des victimes de l’URSS et la criminalisation des partisans antinazis font de la mort un outil spectaculaire de reconstruction du bien et de déconstruction du mal, à l’inverse de la phase historique précédente4 ! Ce ritualisme autour de la mort à usage politique n’a cependant pas toute l’efficacité recherchée par les pouvoirs. Il est en effet souvent vécu comme une propagande particulièrement usée. Les tragédies du passé tendent à s’effacer de plus en plus vite devant l’accumulation d’informations diffusées dans les esprits par toutes les techniques de communication.

La logique même du fonctionnement capitaliste contemporain exige de manière de plus en plus intensive une concentration productiviste. Cette dernière exclut toute préoccupation du passé et de l’avenir : il n’y a plus de temps mort dans une journée de travail. Ce présent emporte tout, y compris en période de deuil. L’assistance au mourant n’est plus familiale, elle est le plus souvent le fait des services hospitaliers lorsqu’ils en ont les moyens. Par conséquent, la durée des funérailles est de plus en plus brève et les rituels de plus en plus sommaires, particulièrement lorsque les obsèques ne sont pas religieuses5. Le funéraire privé se porte bien dans le cadre d’une concurrence (toujours faussée) entre les « PFG » et les petites entreprises. Les cimetières eux-mêmes (en raison du prix du foncier et des concessions) deviennent des lieux privilégiés grâce à l’incinération moins coûteuse. En plus, ils sont de moins en moins fréquentés faute de temps et d’intérêt réel pour un passé qui s’oublie de plus en plus vite. Le rythme de la vie au travail et dans la cité qui s’accélère6 exclut les souvenirs et gomme les préoccupations d’avenir. Pour paraphraser, le citoyen devient un sujet adapté aux besoins du système économique, lequel « n’a pas de temps à perdre » puisque « le temps, c’est de l’argent » !

Ce « présentéisme » de rigueur (auquel n’échappent que les intellectuels dont les ambitions ne sont pas dévorantes) présente de grands avantages pour le politique. Ne pas savoir d’où l’on vient et quelle était la situation dans le passé favorise l’acceptation du traitement subi dans le présent. Ainsi, beaucoup ignorent que le chômage n’est pas une réalité sociale permanente donc naturelle ! L’intensité de la mobilisation quotidienne supprime donc les interrogations importantes sur un avenir à construire. Tout cela conduit à supporter les menaces de licenciement et les risques de dégradation des conditions de vie, au gré des décisions des employeurs ! Le « présentéisme » constitue donc une drogue qui anesthésie l’individu et atténue sa peur d’une vie incertaine. La mort n’existe plus que pour les autres7…

Enfin, les progrès de la science mondiale participent à la disparition de la mort : la souffrance physique des agonisants tend à disparaître. Les soins palliatifs consolent ceux qui vont perdre leur proche. En bref, la morphine médicale et l’accompagnement par des hospitaliers professionnels sont ce qu’on appelle « l’humanisation » des fins de vie. Ces éléments évitent aux proches de se mobiliser eux-mêmes et réduisent la charge qui pesait autrefois sur les descendants. Ils permettent également de limiter la mémoire des derniers instants, qui n’ont plus à se prolonger toute une vie. La page se tourne très vite et restreint la peur de la mort pour soi-même.

Toutefois, en dépit de ces mutations réduisant la peur chronique de la mort, celle-ci demeure et resurgit parfois au premier plan. En arrière-plan, comme depuis le début des temps, la conscience de sa propre mort persiste. Elle suscite la recherche de nouvelles consolations ou, du moins, de diversions variées. Ces dernières réduisent la lucidité non seulement vis-à-vis de soi-même, mais aussi à l’égard du monde extérieur. Cette perte de lucidité peut aller d’un hédonisme (dans l’extrême, la plus indigne dévalorisation de la spiritualité) jusqu’à la haine de ceux qui ne partagent pas les mythes auxquels on a pourtant souvent adhéré par hasard.

Ont beaucoup d’audace ceux qui osent prétendre que l’Homme aspire avant tout à la liberté ! C’est loin d’être le cas même pour soi-même ! Non, l’homme cherche avant tout à épancher ses peurs comme un homme perdu dans le désert utilise sa gourde. Face aux peurs et à l’angoisse, la recherche prioritaire est celle de la sécurité, sans trop perdre cependant l’estime de soi. L’Homme opte ainsi le plus souvent pour l’ordre établi. Il espère en tirer le profit maximum par sa servitude, quitte à changer d’option si un nouvel ordre s’impose à lui. Il peut aussi se consoler en usant de refuges ou de rites et de cérémonies qui, magiquement suggestifs, éloignent ses angoisses. Son imagination se plaît alors à croire que son rattachement à un passé historique lui fera prolonger sa vie dans la mort. Du moins, cela servira à apaiser ses craintes. Toute communauté relativement resserrée et ritualisée (Église, secte, maçonnerie, parti, association, etc.) crée ainsi une forme de religiosité sécurisante vis-à-vis d’un monde extérieur, profane et dangereux.

1. Voir Odon Vallet, L’héritage des religions premières, Paris, Gallimard, 2003.

2. Voir Paul Diel, La peur et l’angoisse, Lausanne, Payot, 1956. « Les valeurs, leur exigence bio-génétique et leurs dogmatisations sociales ne deviennent pas entièrement compréhensibles si l’on ne tient pas compte qu’elles sont, en dehors de leur portée éthique, conçues comme un moyen de surmonter l’angoisse devant la mort et son mystère ». « L’angoisse devant le danger mortel se trouve introduite au cœur même de la vie... ».

3. Le professeur Michel Vovelle note que, malgré la déchristianisation globale des Français, 37 % croient à la communication des vivants et des morts (dont 11 % de catholiques), tandis que nombreux sont ceux qui croient à la résurrection, 71 % à la transmission de pensée, et 39 % aux extra-terrestres, etc.

4. Voir M. Vovelle, La mort de l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983 ; M. Vovelle, L’heure du grand passage, Paris, Gallimard, 1993 ; M. Vovelle, Les âmes du purgatoire ou le travail de deuil, Paris, Gallimard, 1996.

5. Les laïcs n’ont pas encore trouvé un nouveau cérémonial civique pouvant rivaliser avec les cérémonies religieuses.

6. Cette vitesse, devenue une contrainte structurelle, source de destruction de la santé et de la qualité de la vie, propre au système capitaliste, conduit certaines doctrines non pas à « ralentir », mais seulement à « nouer un meilleur rapport au monde et aux autres ». Il faut surmonter « l’incapacité à entrer en relation avec ses semblables ». Voir Hartmut Rosa, Résonance. Une sociologie de la relation au monde, Paris, La Découverte, 2018.

7. Les survivants ne portent plus le deuil, rappel constant du décès subi ; les services publics se chargent d’ailleurs d’accélérer l’atténuation de la douleur par une « aide psychologique » rapidement mobilisée !