La poudre à canon et les nouveaux corps explosifs - Hélène Maxime - E-Book

La poudre à canon et les nouveaux corps explosifs E-Book

Hélène Maxime

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Extrait : "Une obscurité profonde enveloppe la plupart des grandes découvertes qui ont accompli dans l'humanité plus qu'un progrès, une révolution, une transformation. L'antiquité avait imaginé à cet égard une explication fort simple et surtout fort ingénieuse. Dans l'impossibilité de déterminer à quelles époques telle invention s'était produite, à quels hommes on en était redevable, on coupait court à toutes difficultés en faisant intervenir les divinités."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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À mon père

À ma mère

Hommage de respectueuse tendresse

Préface

Au premier rang des merveilleuses découvertes que nous a léguées l’antiquité, découvertes dont il nous est parfois impossible de démêler les véritables origines, se place la poudre, ou plutôt le mélange fulminant et incendiaire perfectionné par la science moderne, l’ancêtre de la redoutable substance explosive que les sanglants exploits de la guerre et les conquêtes plus pacifiques de l’industrie nous ont appris à connaître.

Relisons, feuillet par feuillet, l’histoire des luttes qui marquent, comme d’un sceau fratricide, chacun des siècles de notre ère, depuis le siège de Constantinople par les Arabes, et auparavant peut-être, jusqu’aux combats plus grandioses et plus perfectionnés qui se livrent sous nos yeux, nous retrouverons partout, sinon l’usage de la poudre elle-même, du moins celui de substances dans lesquelles entraient les éléments du corps explosif.

Déjà, les poètes anciens, Ammien Marcellin, Athénée, font mention d’un « feu qui s’allume de lui-même ». Ils nous montrent Médée ceignant le front de sa rivale d’un diadème qui prendra feu dès que la beauté, vouée à la mort par une haine jalouse, s’approchera de l’autel. La légende du feu grégeois a bercé notre enfance, mêlée à ces attachants récits des croisades, qui tenaient en suspens notre imagination naïve, éveillée par ce brillant spectacle des guerriers bardés de fer, des casques, des lances et des oriflammes, des chevaux richement caparaçonnés qui se cabrent sous l’éclair du terrible feu.

Du feu grégeois à la poudre à canon, de la flamme qui lèche les armures, enlaçant chaque combattant dans une sorte de torche vivante, à la poudre qui éclate et au projectile qui fauche tout sur son passage, il n’y avait qu’un pas, et nous nous sommes habitués à le franchir bien vite, sautant brusquement par-dessus les essais si variés qui ont conduit à la découverte de la poudre moderne, à ce mélange ternaire de salpêtre, soufre et charbon, à la fois l’âme de la guerre et l’auxiliaire docile de l’homme dans les œuvres pacifiques qu’il entreprend.

Mais voici qu’une autre série de composés, plus terribles encore, vient envahir le domaine des explosifs. Le fulmicoton, la nitroglycérine, la dynamite occupent désormais une large place dans les applications si nombreuses réservées autrefois à la poudre. À chacune de ces substances nouvelles, nous avons assigné une place spéciale dans notre volume, que nous avons divisé en quatre livres dont nous donnons ci-dessous un résumé succinct.

Notre premier livre est spécialement consacré à la Poudre à Canon. Il résume son histoire depuis les temps les plus reculés, étudie séparément les propriétés et la fabrication des trois corps composants, salpêtre, soufre et charbon ; expose les procédés les plus usuels de fabrication des poudres de guerre, de mine ou de chasse ; signale les essais auxquels donnent lieu ces produits, et passe en revue les composés divers qui ont été proposés pour remplacer les poudres à base de salpêtre, et dont le plus important est la poudre à base de chlorate de potasse.

Avec le second livre, nous abordons l’étude des Nouveaux Corps Explosifs, issus des recherches de la chimie moderne, les picrates, fulminates, le coton-poudre, la nitroglycérine, la dynamite. Inapplicables au service des armes, que leurs propriétés brisantes détérioreraient vite ou feraient même éclater brusquement, l’industrie a accaparé leur pouvoir destructeur, et, à ce titre, la dynamite, plus encore que ses congénères, a véritablement détrôné la poudre noire.

Côte à côte avec la description des explosifs eux-mêmes, et comme une justification de leur puissance, nous avons voulu faire l’histoire de leurs applications les plus grandioses et les plus récentes. Notre troisième livre, la Guerre et la Paix, est consacré à cette étude.

Ce sont d’abord, dans le domaine de l’artillerie, inséparable de la poudre, ces monstrueuses pièces, telles que le roi-canon anglais – the King-Gun – de l’Inflexible, le canon de cent tonnes du Duilio italien, les canons du Pierre-le-Grand et des popoffkas russes, qui garnissent les tourelles puissamment blindées des monitors, et dont les essais aux arsenaux de Woolwich et de la Spezzia ont éveillé à un si haut point l’attention du monde militaire.

Les évènements d’Orient nous commandaient de ne point omettre l’application la plus sanglante qui ait été faite du pouvoir destructeur des nouveaux explosifs. Nous voulons parler des Torpilles, à quelque classe qu’elles appartiennent, qu’elles reposent, silencieuses, sous la surface des flots, ou qu’elles marchent droit à l’ennemi, portées sur des bateaux-torpilles analogues aux canots russes qui détruisirent dans les eaux du Danube les monitors turcs Hifse-Rahman et Seïfi.

Sous ce titre, la Guerre de campagne, nous avons écrit un chapitre consacré, comme les deux précédents, à l’art militaire. Les nouveaux explosifs, la dynamite surtout, jouent un rôle considérable dans la guerre nouvelle. Destruction des ponts en pierre ou en fer, comme celle du pont de Kehl au début des hostilités en 1870, sautage des ouvrages d’art, viaducs, tunnels, etc., mise hors de service des voies ferrées, rupture des rails, destruction du matériel roulant, locomotives, wagons, etc., la lutte franco-allemande nous fournit des exemples nombreux de ces hauts faits d’un nouveau genre, auxquels nous condamnent les nécessités impérieuses de la guerre.

En regard de ces exploits sanglants, nous avons relaté les Victoires pacifiques, les œuvres de civilisation et de paix, telles que le creusement par la poudre et la dynamite des grands souterrains transalpins du Mont-Cenis et du Saint-Gothard, la destruction des récifs de Hell-Gate qui encombraient l’entrée du port de New-York.

Une courte description des Feux d’artifice et la nomenclature des feux colorés les plus usuels complètent ce troisième livre.

La Fête nationale du Salpêtre de l’An II (1794), le récit de la Conspiration anglaise des Poudres, et le rappel de quelques explosions célèbres, dans lesquelles chacun de nos corps détonants, poudre, picrates, fulmicoton, nitroglycérine, dynamite, possède sa lugubre page, forment le quatrième et dernier livre.

Nous avons enfin jugé utile de reproduire en appendice deux pièces curieuses, dont l’une, fort rare, est la préface du livre de Monge, alors membre de la Commission nommée par le Comité de salut public de l’an II pour l’instruction des élèves de l’École du Salpêtre, sur l’Art de fabriquer les Canons. La deuxième pièce est le rapport, présenté au ministre des travaux publics par le Comité de défense, institué pendant le siège de 1870, sur la recherche du salpêtre.

Puissions-nous, dans cette brève étude, avoir atteint le but que nous nous sommes proposé, l’exposition claire et intéressante à la fois de l’histoire des corps détonants, dont l’existence est si intimement liée à la vie des peuples. Ce petit livre peut, à notre avis, être doublement utile. S’il est en effet intéressant pour le lecteur de connaître les procédés ingénieux au moyen desquels les explosifs sont appelés à jouer, dans le domaine pacifique, le rôle merveilleux que nous avons signalé, il peut, à un moment donné, être plus indispensable encore de ne point ignorer le parti que l’on peut tirer de la puissance redoutable de composés tels que la poudre, le fulmicoton ou la dynamite.

Les luttes sanglantes sont malheureusement loin d’être terminées, et, malgré les souhaits ardents que nous pouvons faire en faveur du développement des idées humanitaires, les haines nationales vivront encore de longs jours. Longtemps nos différends se videront sur les champs de bataille ; longtemps le dernier mot de la discussion sera dit par le canon, ou, pour parler avec plus de justesse, par la poudre à canon.

Dura lex, sed lex.

M. H.

Novembre 1877.

LIVRE PREMIER La poudre à canon
CHAPITRE PREMIER Histoire de la poudre à canon
§ 1 La Légende et l’Histoire

Une obscurité profonde enveloppe la plupart des grandes découvertes qui ont accompli dans l’humanité plus qu’un progrès, une révolution, une transformation. L’antiquité avait imaginé à cet égard une explication fort simple et surtout fort ingénieuse. Dans l’impossibilité de déterminer à quelles époques telle invention s’était produite, à quels hommes on en était redevable, on coupait court à toutes difficultés en faisant intervenir les divinités. Cérès avait enseigné aux hommes les premiers principes de l’agriculture et donné à Triptolème le modèle de la charrue. Jupiter s’était laissé ravir par Prométhée le feu céleste. Bacchus parcourait l’univers en enivrant les humains. Les Indiens, paraît-il, n’ont point failli à cette tradition vénérable, et ils attribuent à un autre Vulcain, à Visvocarma, la découverte de la poudre à canon et des armes à feu. Certes, dans notre siècle de lumières, le lecteur le plus bénévole se contenterait à grand-peine d’une explication si naïve. Et pourtant, la vérité n’en eût pas beaucoup plus souffert que de tant de contes forgés et répétés par un si grand nombre d’historiens plus ou moins graves.

L’apparition de la poudre à canon en Europe, ses premières applications, sont d’une date relativement récente, et cependant il est à peu près impossible d’en dégager la véritable origine. C’est que jusqu’ici, en l’absence d’instruction, la plupart des hommes répugnent à la méthode scientifique, à l’observation impartiale des faits ; ils se complaisent davantage dans le merveilleux. À défaut de dieux, il leur faut un grand homme, et c’est pour cela que Roger Bacon a passé si longtemps pour l’inventeur de la poudre. À défaut d’un grand homme, on invoquera un héros inconnu, ou la force aveugle du hasard.

Outre ce défaut de méthode, une grave cause d’erreur provient de je ne sais quel amour-propre national, de puéril patriotisme qui s’efforce « per fas et nefas » à rattacher toute grande découverte au sol qui nous a vu naître. Ainsi, nous avons sous les yeux un ouvrage d’écrivains allemands, d’ailleurs compétents et autorisés, qui n’hésitent pas à attribuer exclusivement à l’Allemagne l’honneur de la découverte de la poudre à canon, par la raison que, si dans d’autres pays, en Chine, en Grèce, en Arabie, on a connu certains mélanges et certaines combinaisons de soufre, de charbon et de salpêtre, ces mélanges n’étaient pas identiques à ceux connus aujourd’hui, et qu’on n’en faisait pas un identique usage.

Il est visible qu’une semblable méthode est extrêmement vicieuse. La condition essentielle d’une loyale investigation, quand il s’agit de découvrir l’origine d’une grande invention, est d’en analyser les éléments et d’en suivre les transformations et les développements à travers le travail et la lente élaboration des siècles. Il est fort rare, pour ne pas dire sans exemple, qu’une invention éclate dans le monde spontanément, sans précédents. Natura non fecit saltum (la nature ne marche point par bonds). Ceci est vrai de la formation des choses dans la nature, comme de l’appropriation des forces de la nature par le génie de l’homme.

Si donc nous voulons rechercher les origines de la poudre à canon, nous ne considérerons pas la poudre telle qu’elle est aujourd’hui ; mais après en avoir analysé les éléments essentiels, salpêtre, soufre et charbon, nous examinerons à quelles époques et par quelles séries de tentatives on a pu arriver à combiner ces éléments essentiels.

§ 2 Les feux de guerre dans l’antiquité

Dès la plus haute antiquité, on a fait usage, à la guerre, de feux et de matières incendiaires. Dans les sièges, on jetait de la poix et de l’huile bouillante sur les assiégeants. On connaissait également les effets du naphte, puisque Médée, dit la légende, brûla sa rivale à l’aide d’une couronne enduite de naphte, qui prit feu en s’approchant de l’autel.

Ammien Marcellin rapporte que dans les armées de l’empereur Julien, on se servait de flèches creuses assujetties avec des fils de fer et remplies de matières inflammables.

Bien plus, on a prétendu que les Romains connaissaient quelque chose d’analogue à nos feux d’artifice, ce qu’on a inféré de quelques vers de Claudien.

Athénée fait mention d’un célèbre prestidigitateur nommé Xénophon, qui savait préparer la matière d’un feu s’allumant de lui-même. Jules l’Africain donne la composition de ce feu :

« Prenez, dit-il, parties égales de soufre natif, de salpêtre, de pyrite kerdonnienne (sulfure d’antimoine), broyez ces substances dans un mortier noir au milieu du jour ; ajoutez-y parties égales de soufre, de suc de sycomore noir et d’asphalte liquide, puis vous mélangez le tout de manière à obtenir une masse pâteuse ; enfin vous y ajoutez une petite quantité de chaux vive. Remuez la masse avec précautions, en prenant soin de vous garantir le visage avec un masque, et enfermez le mélange dans des boîtes d’airain, en les conservant à l’abri du soleil. »

§ 3 La poudre à canon chez les Chinois – Première apparition du salpêtre

Nul doute que ces mêmes matières inflammables n’aient été employées chez les Orientaux, et même perfectionnées par eux. La sécheresse et la chaleur du climat de l’Asie rendaient ces engins d’une utilité incontestable pour l’attaque et pour la défense.

Mais on ne peut signaler un progrès véritable et décisif, quant au problème qui nous occupe, que lorsque, dans ces mélanges incendiaires, s’introduisit un nouvel élément, le salpêtre.

Le salpêtre, dont nous décrirons les propriétés principales et la fabrication dans le chapitre suivant, est très commun en Orient. On le trouve à la surface du sol, ou on le recueille dans des grottes. Il est surtout répandu en Chine et dans les Indes, où il se forme à la surface du sol. Il suffit de recueillir les terres imprégnées d’efflorescences salines pour en retirer le salpêtre par un simple lessivage à l’eau.

Dès lors, rien de surprenant que les Orientaux aient été les premiers à avoir connaissance du salpêtre et à en faire emploi.

Il est de plus très probable qu’on ne fut pas longtemps sans observer la propriété dont jouit le salpêtre de fuser sur des charbons incandescents, c’est-à-dire de les faire brûler avec un très vif éclat, et d’activer la combustion avec une grande énergie. De là surgit très naturellement l’idée de le mêler avec les autres matières inflammables.

Il est avéré, de plus, que les Chinois mélangèrent le salpêtre dans diverses proportions avec le soufre et le charbon, ce qui suffit pour établir à leur égard une certaine priorité dans l’invention de la poudre.

On n’oserait plus cependant prétendre aujourd’hui que les Chinois ont été dès le onzième siècle en possession de machines de guerre analogues à nos armes à feu. On avait cru d’abord trouver trace de véritables canons ayant servi dans un siège de la ville de Kai-Foung-Fu, plus tard Piang-King. Mais il a fallu reconnaître qu’on avait singulièrement exagéré le sens du mot ho-pao, qui ne signifie rien autre chose que « machine à lancer du feu ».

Ce qui paraît beaucoup plus certain, c’est que, l’an 969 de notre ère, on présenta au prince Tai-Tsou une composition qui allumait les flèches et les portait au loin.

Assurément, ce n’était encore là qu’une machine de guerre rudimentaire, analogue à celle dont se servaient les Romains, et dont parle Vegetius. Mais, au lieu de soufre, de poix et d’étoupes, les Chinois employaient le soufre, le salpêtre et le charbon. Ils obtenaient ainsi une sorte de fusée de guerre qu’ils attachaient à leurs flèches. De cette façon, ils décuplaient la vitesse du trait, qui ne pouvait s’éteindre par cette rapidité même.

C’est à cela, croyons-nous, qu’il convient de borner l’emploi de la poudre chez les Chinois en fait d’instruments de guerre. Le P. Amyot donne une longue énumération des préparations incendiaires en usage chez les Chinois, telles que les flèches de feu, les nids d’abeilles, le tonnerre de la terre, le feu dévorant, le tuyau de feu, etc… Il s’agit là plutôt de compositions pour feux d’artifice.

§ 4 Le feu grégeois ou la poudre à canon chez les Grecs du Bas-Empire

De Chine, le secret de la nouvelle composition incendiaire passa d’abord chez les Grecs. Ce fut en 674, pendant le siège de Constantinople par les Arabes, sous la conduite du calife Mouraïra, que Callinicus, architecte syrien, fît connaître à l’empereur Constantin les propriétés et le mode d’emploi du nouvel engin, qui fut désigné sous le nom de feu grégeois.

C’était une tradition que Callinicus tenait des Chinois le secret de cette composition, et cela n’a rien d’invraisemblable quand on songe aux relations commerciales qui unissaient depuis plusieurs siècles l’Empire grec et l’Empire de l’Extrême-Orient. De plus, il est à remarquer que les Arabes empruntèrent de même, quelques siècles plus tard, ce secret aux Chinois, ainsi que le témoignent les épithètes ordinaires du salpêtre, sel de Chine, grêle de Chine, etc.

Quoi qu’il en soit de l’origine, la date de l’importation est constante, et non moins constante est l’utilité grande qu’elle eut pour les Byzantins, et qui leur permit d’éloigner pendant plus de huit siècles de leurs murs l’invasion arabe.

Le feu grégeois recevait diverses dénominations, feu maritime, feu liquide, feu artificiel, feu romain, feu grec, feu mède. Constantin Porphyrogénète le définit « le feu liquide qui se lance au moyen de tubes ».

Quelle était exactement la composition du feu grégeois ? Constantin en avait mis la préparation au rang des secrets d’État. On l’entourait de craintes superstitieuses. Un des grands de l’Empire, gagné, disait-on, par de magnifiques présents, avait voulu communiquer aux étrangers la recette du feu sacré, mais en entrant dans la sainte église du Sauveur, une flamme divine l’avait entouré et dévoré.

La préparation du feu grégeois était confiée à un seul ingénieur, qui ne devait jamais sortir de Constantinople. Sa fabrication était exclusivement réservée à la famille et aux descendants de Callinicus.

Anne de Comène donne ainsi la composition du feu grégeois : « Poix et sève inconsumable de certains arbres verts. On broie le mélange avec du soufre et on l’entasse dans de petits tuyaux en roseaux. » M. Ludovic Lalanne, qui a écrit une très belle étude sur le Feu grégeois et l’introduction de la Poudre à canon en Europe, pense que cette recette est à dessein faussement donnée dans le but de détourner et de faire dévier les recherches.

Dans le fait, le secret fut longtemps fidèlement gardé, et l’on pense généralement qu’il ne se répandit en Europe qu’après la prise de Constantinople par les Latins, en 1204.

Les ingrédients principaux qui entraient dans la composition du feu grégeois étaient le naphte, le soufre, le goudron, la résine, l’huile, les graisses, les sucs desséchés de certaines plantes, le charbon, enfin toutes les substances grasses ou résineuses d’une combustibilité excessive.

Le salpêtre devait aussi jouer son rôle dans ces combinaisons. Ceci, bien que contesté, nous paraît vraisemblable, si nous considérons que le feu grégeois était importé de l’Extrême-Orient, où le salpêtre entrait dans beaucoup de mélanges, que le feu grégeois était incontestablement supérieur à tous les feux connus, et notamment à ceux employés par les Arabes jusqu’au treizième siècle, et enfin si nous en croyons le témoignage de Marcus Græcus.

De ce Marcus Græcus, on ne connaît rien, si ce n’est qu’il a laissé un petit livre latin des plus intéressants en ce qui concerne l’histoire des origines de la poudre. Ce livre a pour titre : Liber ignium ad comburendos hostes, « livre des feux pour brûler les ennemis ». À quelle époque fut-il composé ? Les uns le faisaient remonter au huitième ou neuvième siècle ; la plupart admet aujourd’hui que l’apparition de ce livre se place dans la première moitié du treizième siècle.

On jugera de l’intérêt de ce petit ouvrage par quelques citations. Marcus Græcus donne ainsi la recette pour la préparation du salpêtre :

« Le salpêtre est un minerai terreux qui se trouve dans les vieux murs et dans les pierres. Pour l’en retirer, on dissout ces pierres dans l’eau bouillante ; on l’épure en la faisant passer sur un filtre. Si on laisse déposer la liqueur pendant un jour et une nuit, on trouve au fond du vase le sel cristallisé en lamelles pointues. »

L’auteur donne ailleurs la composition de ce que nous nommons aujourd’hui fusée et pétard :

« La seconde préparation du feu volant, “volatilis ignis”, se fait ainsi. Prenez une livre de soufre vif, deux livres de charbon de tilleul ou de saule, six livres de salpêtre, et broyez les trois substances le plus fin possible dans un mortier de marbre. Vous mettez ensuite ce qu’il vous conviendra de cette poussière dans une enveloppe à voler, “tunica advolandum”, ou dans une à faire tonner, “tunica ad tonitruum faciens”.

L’enveloppe à voler doit être longue et mince ; on la remplit de la poudre ci-dessus décrite très tassée. L’enveloppe à faire tonnerre doit être courte, grosse, renforcée de toutes parts d’un fil de fer très fort et bien attaché. On ne la remplit qu’à moitié de la poudre susdite.

Il faut à chaque enveloppe pratiquer une petite ouverture pour recevoir l’amorce qui y mettra le feu. L’enveloppe de cette amorce, amincie à ses extrémités et large au milieu, est remplie de la poudre susdite. »

Il est impossible de donner une description plus simple et plus fidèle. Il est donc à peu près certain que, dès la fin du douzième siècle, on connaissait la poudre à base de salpêtre, et qu’on savait en faire soit des fusées propres à servir à la guerre, soit des mélanges incendiaires pour les brûlots.

Les Grecs du Bas-Empire employaient le feu grégeois surtout dans les sièges et dans les combats maritimes. Dans les sièges, on élevait des tours, ou encore on dressait des machines à frondes qui servaient à lancer le feu. Pour les luttes sur mer, on disposait des sortes de brûlots qui s’approchaient des navires et les incendiaient.

La tactique de l’empereur Léon indique ainsi les divers modes d’emploi :

« Parmi les moyens de combattre, est le feu d’artifice qui se lance au moyen de tubes et qui, précédé de tonnerre et de fumée, embrase les vaisseaux. – On doit toujours, suivant la coutume, avoir à la proue des vaisseaux un tube revêtu d’airain pour lancer aux ennemis le feu d’artifice. – Des deux derniers rameurs qui sont à la proue, l’un doit être le syphonator. – On se sert encore de ce feu d’une autre manière au moyen de petits tubes qui se lancent avec la main, et que les soldats placent derrière leurs boucliers. Ces petits tubes sont appelés cheirosyphona ; ils devront être remplis de feu d’artifice, et jetés au visage des ennemis. – Nous recommandons aussi de lancer aux ennemis des pots pleins de feu d’artifice, qui, en se brisant, enflammeront aussi leurs navires. »

Nous trouvons dans Marcus Græcus la recette d’un de ces brûlots maritimes :

« Prenez de la sandaraque pour une livre, du sel ammoniaque même quantité, faites de tout cela une pâte que vous chaufferez dans un vase de terre verni et lutté soigneusement ; vous continuerez à chauffer jusqu’à ce que la matière ait acquis la consistance du beurre. Après cela, vous y ajouterez quatre livres de poix liquide. On évite à cause du danger de faire celle préparation à l’intérieur d’une maison.

Si l’on veut opérer sur mer, on prendra une outre en peau de chèvre, dans laquelle on mettra deux livres de la composition que nous venons de décrire, dans le cas où l’ennemi est à proximité. Dans le cas où l’ennemi est à une grande distance, on en mettra davantage. On attache ensuite cette outre à une branche de fer, dont toute la partie inférieure est elle-même enduite d’une matière huileuse ; enfin, on place sous cette outre une planche de bois proportionnée à l’épaisseur de la branche, et on y met le feu sur le rivage. L’huile s’allume, découle sur la planche, et l’appareil, marchant sur les eaux, met en combustion tout ce qu’il rencontre. »

Ces brûlots, comme les tubes, ne devaient avoir qu’une bien faible portée, et être la plupart du temps contrariés par le vent. Mais pour donner une idée de l’importance de cet engin dans la guerre maritime, il suffira de rappeler, d’après une chronique anonyme, que le nombre des navires armés de feu grégeois s’éleva jusqu’à deux mille, dans une expédition entreprise sous Romain le Jeune contre les Sarrasins de l’île de Crète.

§ 5 Le feu grégeois chez les Arabes – La première époque de l’artillerie

Après les Grecs du Bas-Empire, c’est chez les Arabes que nous trouvons les mélanges incendiaires et la poudre à base de salpêtre.

Vers les douzième et treizième siècles, les Arabes connaissaient déjà le feu grégeois. En avaient-ils eu connaissance par quelque Grec fugitif, ou bien même le secret leur avait-il été dévoilé par l’empereur Alexis III, alors que, détrôné, il s’était réfugié à la cour du sultan d’Iconicem ? Il est plus que probable qu’ils tinrent directement le secret des Chinois. Dès le septième siècle, en effet, des relations suivies s’étaient établies entre les deux peuples, et les Chinois avaient envoyé, au premier siècle de l’hégire, une ambassade à la Mecque. Nous avons d’ailleurs raconté plus haut comment les synonymes du salpêtre étaient chez les Arabes, neige de Chine, grêle de Chine, etc.

Ce qui n’est pas douteux, c’est que, dès le treizième siècle, les Arabes surent employer le salpêtre avec succès dans leurs mélanges incendiaires. Le manuscrit d’Hassan Alrammat, qui date à peu près de cette époque, donne ainsi la manière de fabriquer le salpêtre :

« Prends le baroud (salpêtre) blanc nettoyé et deux poêles. Dans une de ces poêles, tu mettras le baroud que tu submergeras d’eau ; tu allumeras dessous un feu doux, jusqu’à ce que l’eau s’éclaircisse et que l’écume surnage. Jette cette écume et allume un bon feu, de manière à ce que l’eau se clarifie entièrement. L’eau clarifiée sera versée alors dans l’autre poêle, avant que rien de la partie pesante ne soit descendu. Allume encore un feu doux jusqu’à ce que la matière se soit coagulée ; alors enlève-la.

Prends ensuite du bois de saule sec que tu feras brûler, et que tu submergeras pendant qu’il sera embrasé. Sépare deux parties en poids de baroud et une partie de cendres de charbon ; tu en feras un mélange que tu mettras dans les deux poêles. Si tu peux avoir des poêles de cuivre, cela vaudra mieux. Tu verseras l’eau et tu remueras de manière à ce que cela ne prenne pas ensemble. »

Comme dernière recommandation, le vieil alchimiste arabe ajoute : « Prends surtout garde aux étincelles de feu. »

Les Arabes formaient ainsi divers feux, qu’ils appelaient volants, exprimant ainsi la propriété qu’ils possédaient de se mouvoir en brûlant. Chose remarquable, dans deux de ses compositions, dénommées rayons de soleil, les proportions se rapprochent singulièrement de celles de notre poudre à canon.

Ces feux étaient employés à mille usages divers pendant la guerre. Tantôt ils étaient lancés directement à la main, sous forme de pots ou de balles de verre. Tantôt ils étaient attachés à l’extrémité de bâtons dont on frappait l’adversaire, ou lancés au moyen de tubes qui, comme les lances de guerre, dirigeaient leurs feux sur l’ennemi. Ils étaient encore attachés aux lances et enfin projetés à de grandes distances par les arbalètes à tour et les machines à fronde.

Les Grecs du Bas-Empire avaient surtout appliqué les feux grégeois à la guerre maritime ; les Sarrasins en firent un plus grand usage dans les combats sur terre. Les chrétiens tout particulièrement eurent beaucoup à en souffrir.

À cette occasion, nous croyons utile de réduire à leur juste valeur les effets que pouvaient produire les feux grégeois, effets exagérés et dénaturés par tant d’historiens qui se sont plu à représenter le feu grégeois comme irrésistible, inextinguible, et susceptible de dévorer des bataillons entiers. Et cependant, il suffirait de lire les récits naïfs, mais véridiques, des chroniqueurs du temps, pour rétablir la stricte vérité. Voici par exemple ce que rapporte Joinville, dans son Histoire du roy saint Loiris :

« Un soir advint que les Turcs amenèrent un engin qu’ils appeloient la pierrière, un terrible engin à malfaire, et par lequel ils nous jetoient le feu grégeois.

Cette première fois, ils atteignent nos tours de bois ; mais incontinent le feu fut éteint par un homme qui avoit cette mission. La manière du feu grégeois étoit telle, qu’il venoit devant nous aussi gros qu’un tonneau, avec une queue d’une grande longueur. Il faisoit tel bruit, qu’il sembloit que ce fût foudre qui tomboit du ciel, et comme un grand dragon volant dans l’air avec une traînée lumineuse. »

Joinville rapporte ailleurs que Guillaume de Brou reçoit un pot de feu grégeois sur son bouclier, que Guy Malvoisin en est tout couvert, et que saint Louis a la culière de son cheval tout incendiée. En somme, il résulte de ces récits, que le feu grégeois contribuait à jeter la terreur parmi les ennemis, mais que, admirablement propre à incendier les tours, les palissades, les navires, il était sans grand effet sur les combattants eux-mêmes. Ce qui fortifie encore dans cette conviction de l’innocuité relative du feu grégeois, c’est que l’art militaire de cette époque continuait à se servir des projectiles les plus grossiers, en usage de toute antiquité, et qui eussent certainement été abandonnés, si le feu grégeois avait véritablement possédé ce merveilleux don de détruire que la renommée lui accorde.

Quant à la faculté que posséderait le feu grégeois de ne pouvoir s’éteindre dans l’eau, elle est tout aussi peu fondée. Cinname raconte que les Grecs, poursuivant des navires vénitiens, ne purent les brûler, parce que ces derniers avaient recouvert leurs navires d’étoffes de laine imbibées de vinaigre, et que le feu, étant lancé de loin, s’éteignait en tombant dans l’eau.

Mais les Arabes ne s’en tinrent pas à l’emploi du feu grégeois et des compositions incendiaires, et firent plus. Ils furent les premiers à observer et à appliquer les effets de la poudre salpêtrée, à utiliser sa force de projection. Pendant longtemps, on avait connu et utilise seulement les effets fusants de la pondre, parce que le salpêtre préparé était impur, c’est-à-dire mélangé de sels étrangers peu combustibles. La combustion, au lieu de se faire brusquement sur toute la masse, ne se faisait que lentement, de place en place ; mais, dès qu’on sut préparer le salpêtre pur, on éprouva aussitôt les effets de l’explosion.

À quelle époque fit-on pour la première fois usage de la poudre à canon pour lancer les projectiles ? il est difficile de le déterminer d’une façon précise. D’après des textes arabes, il résulterait que le sultan du Maroc, Abou-Yousouf, faisant le siège de Sidjilmesa, l’an 672 de l’hégire (1273 de notre ère), abattit un pan de muraille à l’aide d’une pierre lancée par une medjanie.

Les mêmes textes arabes donnent la description d’une madfoa, instrument d’une faible portée, fort imparfait, et qui consistait en un tube de bois ou de fer, qu’on remplissait au tiers de poudre, et qu’on chargeait avec une flèche ou un petit projectile.

Nous voici déjà en présence des armes à feu, fort rudimentaires en vérité. Avant de signaler leurs perfectionnements, terminons-en avec le feu grégeois et les origines de la poudre dans les pays de l’Europe occidentale.

§ 6 Le feu grégeois chez les peuples de l’Europe occidentale, aux quatorzième, quinzième et seizième siècles

Le feu grégeois fut connu en Occident, au moins peu après la prise de Constantinople par les Latins, en 1204. Mais bien que ce feu et les autres compositions incendiaires analogues ne fussent plus le secret exclusif des Grecs, il est remarquable qu’ils furent longtemps encore les seuls à s’en servir. À cet effet, les superstitions se joignirent à l’esprit chevaleresque pour enrayer la marche et les progrès des nouveaux engins de guerre. La superstition y voyait une invention de l’esprit des ténèbres, le courage chevaleresque un moyen honteux et lâche de combattre.

Néanmoins, il fut incontestablement employé, et quoi qu’on ait dit, le secret ne fut jamais perdu. On suit ses traces au siège de Romorantin, au siège de Pise, au siège de Constantinople, en 1453. Notons, comme curieux souvenir historique, que dans cette dernière circonstance, la vieille cité orientale fut défendue par un Allemand nommé Jean, très habile dans la fabrication des artifices de guerre.

Enfin, pour n’en citer qu’un dernier exemple, Hanzelet le Lorrain, dans sa Pyrotechnie, publiée en 1630, donne la composition des feux brûlant dessus et dessous l’eau :

« Dans un sac de toile forte, on a laissé une ouverture pour mettre le pouce. On met une livre de poudre, une livre de soufre, trois livres de salpêtre, une once et demie de camphre, une once d’argent vif réduit en poudre avec le camphre et le soufre, le tout mêlé en pâte avec de l’huile de pétrole, puis on ferme. On couvre de résine, de poix fondue, de térébenthine. Au moment de jeter la balle, on perce dans le sac, très fortement serré, un trou qui va jusqu’au centre, et qu’on emplit de poudre. On y met le feu et on le jette à l’eau. Il brûle dans l’eau et sur l’eau assez longtemps. »

§ 7 La poudre à canon proprement dite – Roger Bacon et Berthold Schwartz

Nous arrivons enfin à l’époque où la poudre à canon va faire en Europe un progrès décisif, révolutionner l’art de la guerre, et, par suite, exercer une si grande influence sur les relations internationales et les destinées des peuples.

Jusqu’ici, on n’est point encore parvenu à dissiper tous les nuages qui enveloppent l’origine et les premières applications de la poudre, mais tout au moins la lumière se fait peu à peu et bien des erreurs se sont déjà évanouies.

Ainsi, on ne saurait plus aujourd’hui compter Roger Bacon comme l’inventeur de la poudre à canon. Il n’est pas douteux qu’il n’en ait connu les éléments, le procédé de fabrication, qu’il n’en ait prévu jusqu’à un certain point l’usage et la puissance. Mais il est non moins évident qu’il en parle comme d’une chose connue de son temps et jusqu’à un certain degré devenue vulgaire.

C’est ce qui résulte des passages si souvent cités de ses deux ouvrages De Operibus secretis artis et naturæ et Opus majus.

« Prenez du salpêtre, here vapo vir con utri (anagramme de charbon), et du soufre, et de cette manière vous produirez le tonnerre, si vous savez vous y prendre.

Une petite quantité de matière préparée de la grosseur du pouce fait un bruit horrible et un éclair violent. Cela se produit de beaucoup de manières par lesquelles une ville ou une armée peut être détruite.

D’ailleurs on répète en petit l’expérience dans tous les pays du monde où l’on emploie dans les jeux des fusées et des pétards. »

Il en est de même d’Albert le Grand, contemporain de Bacon, à qui on attribuait également la découverte de la poudre, et qui n’a fait que reproduire textuellement les passages cités plus haut de Marcus Græcus.

La conclusion, c’est qu’il est puéril d’attribuer à telle ou telle personnalité le bénéfice de cette découverte. Il sera plus juste d’en faire honneur aux multiples efforts de ces infatigables chercheurs du Moyen Âge, les alchimistes.

Dès qu’ils connurent les procédés des Grecs du Bas-Empire et les premiers essais des Arabes, ils se préoccupèrent d’imiter, de s’approprier, de perfectionner ce terrible engin, et ils y réussirent.

Nous trouvons trace de ces courageux travaux dans un livre de Canonnerie et artifices de feux, imprimé à Paris, en 1561, sans nom d’auteur, chez Vincent Sertenas, et ayant un chapitre intitulé : Petit traité contenant divers artifices de feux très utiles pour la canon-merle, et recueillis d’après un vieil livre écrit à la main et nouvellement mis en lumière.

On y peut suivre les nombreux procédés pour préparer le salpêtre, afin qu’il fût aussi pur que possible, les cent combinaisons différentes du mélange de salpêtre, soufre et charbon. On y trouve également la description d’une arme à feu analogue à la medfaa dont nous parlions plus haut, avec cette différence que la charge de poudre est des 3/5 au lieu du tiers.

Nous y trouvons encore une recette qui nous peut faire comprendre comment et en quoi le hasard a pu aider à manifester les qualités explosives de la poudre à canon. Voici cette recette « pour faire grosses pouldres pour gros bastons » :

« Prenez salpêtre 100 livres, soufre 25 livres, charbon 25 livres, et mettez le tout ensemble, et faites bien bouillir jusqu’à ce que tout soit pris ensemble, et vous aurez grasse pouldre. »

Or, il suffisait que le vase fût fermé par un couvercle ou une pierre, et, sans étincelle, la chaleur du feu pouvait projeter le couvercle à une grande distance.

Le moine allemand Berthold Schwartz, qui vivait dans la première moitié du quatorzième siècle, fut longtemps regardé comme le promoteur de la poudre à canon. Si l’on en croit la légende, un jour qu’il avait laissé dans son laboratoire, au fond d’un mortier recouvert d’une pierre, le mélange ternaire de salpêtre, soufre et charbon, une étincelle, tombée par hasard, enflamma le mélange qui fit explosion, et laissa le moine sous le coup d’une terreur indescriptible. Revenu de sa stupeur, Schwartz aurait reconnu la propriété balistique de la poudre.

On ne connaît du reste rien de précis sur la vie et les découvertes de Schwartz. On a, il est vrai, retrouvé un règlement des monnaies, tant de France qu’étrangères, dans lequel il est dit : « Le 17 mai 1354, le dit Sire Roy étant acertené de l’invention de faire artillerie trouvée en Allemagne par un nommé Berthold Schwartz, ordonne aux généraux de monnaies faire diligence d’entendre quelles quantités de cuivre étaient audit royaume de France, tant pour adviser au moyen de faire artillerie que semblablement pour empêcher vente et transports d’iceux à l’étranger. »

M. Lalanne en conclut que l’invention de Berthold Schwartz concernait l’emploi de la grosse artillerie, et peut-être à la fois d’une plus grande portée donnée à l’artillerie.

§ 8 Premières applications de l’artillerie dans les guerres européennes

Nous terminerons ce rapide exposé par quelques détails sur les premières apparitions de la poudre à canon dans la guerre, en nous appuyant sur l’intéressant ouvrage de M. Lorédan Larchey.

M. Lorédan Larchey a, d’après une chronique de Prailles, datant du quinzième siècle, démontré qu’en 1524, la ville de Metz, assiégée par les troupes réunies de l’archevêque de Trèves, du roi de Bohême, du duc de Lorraine et du comte de Bar, fit appuyer une sortie par une serpentine et un canon, ce qui causa une si grande frayeur aux ennemis, que le roi de Bavière fît aussitôt corner la retraite.

En 1326, comme il appert d’une provisione authentique, la république de Florence possédait une artillerie relativement puissante, ayant canons en métal et projectiles en fer.

En 1338, 1340, 1342, etc., des comptes témoignent de livraisons d’armes et de canons pour la défense des places de Quesnoy, Cambrai, Lille, Cahors, Agen, Montauban.

En 1346, à la bataille de Crécy, il paraît certain que les Anglais se servirent de canons et déterminèrent ainsi le gain de la bataille.

Un passage de Froissart, découvert par M. Louandre, dans un manuscrit conservé à la bibliothèque d’Amiens, confirme cette assertion : « Et les Angles décliquèrent aucuns canons qu’ils avoient en la bataille pour esbahir les Genevois. »

Depuis, Froissart mentionne avec soin l’emploi des canons et armes à feu à Calais (1547), Romorantin (1556), à la défense de Saint-Valery, en 1358. Il convient toutefois de ne pas se faire illusion sur la valeur des armes à cette époque. On en peut juger par l’ordre suivant, recommandé aux défenseurs de Brioule, en 1347, par Hughes de Cardaillac :

1° tirer avec des arbalètes à tour qui portent le plus loin ;
2° avec les arbalètes à deux pieds ;
3° et puis avec les pierres et canons.

Comme on voit, nous sommes loin encore du fusil à aiguille et du canon Armstrong. Que diraient nos chevaliers du Moyen Âge, si sensibles sur le point d’honneur, refusant par dignité de se servir d’armes qui excluent jusqu’à un certain point le courage individuel de la lutte corps à corps, – que diraient nos preux des croisades s’ils revenaient un jour sur nos champs de bataille modernes de terre et de mer, au milieu du sifflement des obus et de l’explosion sourde des torpilles !

CHAPITRE II Les corps composants (Salpêtre – Soufre – Charbon)
§ 1 Les propriétés balistiques de la poudre à canon

C’est donc à la réunion purement mécanique des trois corps ; salpêtre, soufre et charbon, que la poudre à canon doit ses merveilleuses propriétés balistiques. Nous disons réunion et non combinaison, car, à l’aide de dissolvants appropriés, il est possible de séparer chacune des matières qui composent la poudre, sans qu’il se produise aucun des phénomènes qui accompagnent d’ordinaire les combinaisons et décompositions chimiques.

Au contact de corps chauffés au rouge ou en combustion, sous l’influence d’un choc ou d’un frottement déterminés, ce mélange va s’enflammer, et, grâce à l’action éminemment oxydante du salpêtre, donner, comme produits de la combustion de la masse, une quantité de gaz azote et acide carbonique équivalente à plus de huit cents fois le volume de la masse enflammée.

Produits à l’air libre, ces gaz n’ont aucune action balistique, puisqu’ils trouvent le champ libre à leur expansion. Il ne saurait en être de même s’ils rencontrent sur leur route un obstacle quelconque, ou, mieux encore, si leur combustion est opérée dans un vase clos ou ne présentant qu’une seule surface incomplètement fermée. La légende qui veut que Berthold Schwartz ait le premier reconnu la force explosive du mélange ternaire de salpêtre, soufre et charbon, n’est point appuyée sur une autre propriété.

En vase clos, l’explosion se produira si, comme c’est le cas dans la plupart des expériences, les parois du vase ne sont point assez solides pour résister à l’énorme pression des gaz produits. Tel est le cas des projectiles creux, des obus, récipients en fonte destinés à l’éclatement, remplis de poudre qu’on enflamme au moyen d’une amorce au fulminate qui détone elle-même par le choc.

Si le vase présente une surface incomplètement fermée, comme le serait une bouteille en fer munie d’un bouchon enfoncé à frottement dur dans le goulot, le bouchon sera projeté au dehors, avec d’autant plus de violence que la quantité de poudre renfermée dans la bouteille sera plus considérable. Ainsi s’expliquent, bien simplement, les effets balistiques des armes à feu, canons ou fusils, dans lesquels le projectile est violemment chassé par la détonation de la charge.

Les quelques explications qui précèdent nous suffiront déjà pour nous démontrer les raisons qui font donner, dans les armes à feu, la préférence aux poudres vives sur les poudres lentes, réservant évidemment les poudres brisantes