La Poutre et le Mot - Bruno Merle - E-Book

La Poutre et le Mot E-Book

Bruno Merle

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Beschreibung

Un conte à rebours, une poésie drolatique, un texte voyageur qui se lance sur les pages comme un chevalier sur les ailes d'un moulin. Dans ce fabuleux récit, l'écriture élude la grammaire, disloque sa charpente pour y suspendre, avec aplomb, humour et déraison, son interrogation. Les mots sont-ils l'armature de nos existences? Voici une littérature inédite qui plonge avec délice le lecteur au pays des mots.

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Seitenzahl: 65

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Bruno Merle y9k

Remerciements

à Yvette, et Eric, Théâtre du Lozange, pour leur interprétation vocale

à Juliette pour son aide technique et musicale à Norbert Sogno pour l'illustration de couverture

Sommaire

La Poutre

Le Mot

La Corde

Il n'est peut-être de vrai bonheur que d'écriture, la vie cherchant après coup à réaliser avec elle-même la parfaite jonction des mots, la juste frappe d'une expression.

Pascal BrucknerL'euphorie perpétuelle

L'épon- -ge cousue de virgules, de silences et traits d'union, invite expulse inspire les signesrépandus sur la table. Eponge, moncerveau appelle, s'engorge, les mots au labyrinthe viennent, l'éponge gonfle.Ma pensée grandit, devient pleine d'elle-même.

La Poutre

Dans une petite ville de Provence, dont je tairai le nom, vivait il y a peu un de ces vieux jeunes hommes avec maisonnette de banlieue, habits bon marché, voiture d'occasion, non hybride, et bibliothèque hétéroclite. Assez haut de taille, les cheveux jadis bruns aujourd'hui gris, le regard tantôt rieur tantôt éteint, c'était un être agréable aux yeux de son entourage même s'il n'était pas toujours enclin à la bonté pour lui-même. Conscient des marques que les années commençaient à lui infliger, il réussit à conserver son narcissisme naturel en se persuadant qu'on disait de lui sur son passage : Ce dut être un bel homme ! Il s'appelait lui-même Vieux Jeune Homme, comme on se donne un titre, comme on dirait gentilhomme. Par commodité graphique il adopta pour se désigner l'acronyme VJH, cette appellation à l'américaine lui conférait une classe universelle. Il passait le plus clair de son temps à voyager, non pas sur le globe bien qu'il eût connu dans le détail plusieurs pays étrangers, mais à voyager parmi les mots. Il y voyagea tout d'abord comme un lecteur ordinaire, porté dans les méandres des romans, questionné par les dialectiques des essayistes, admiratif des observations des anthropologues. Cependant il avait une prédilection pour la poésie, elle lui permettait d'entrer à l'intérieur des êtres, des choses, d'entrer en son propre intérieur. Il plongeait avec tant d'engouement et, il faut le dire, avec tant de curiosité pointilleuse dans ces littératures qu'il en vint à observer le langage à la loupe, les mots lui apparaissaient non plus comme les signes d'un tout mais comme des morphèmes orphelins, extirpés de la phrase, porteurs de mystères et d'interprétations imaginaires. Il voulait découvrir en quelque sorte la signification de la signification. Peu à peu ses lectures finirent par faire émerger dans son esprit maints chemins lumineux qu'il décida de transcrire à son tour sur le papier.

Cela ne vous aura pas échappé, ce préambule s'apparente délibérément à celui du célèbre roman de Miguel de Cervantés. C'est tout naturel puisque notre Vieux Jeune Homme s'était décidé à partir à l'aventure des mots avec le même dessein que le Chevalier à la Triste Figure : venir au secours des déshérités, lecteurs et littérateurs, afin qu'ils puissent pénétrer les arcanes des vocables, faire parler la parole à son insu et ainsi s'approcher de la réalité cachée, cette réalité sans définition ni logique, la véritable, la divine, qui nous échappe toujours et encore. Sa devise : La lettre avant la pensée. Car l'essence des choses et des phénomènes ne bruit qu'à l'instant où elle touche nos âmes, son timbre s'évanouit dès qu'on se met à la réfléchir. Pour s'en approcher il convient d'avancer obliquement à travers les mots, d'écrire comme marchent les crabes. Et tant pis pour la phrase admirable, la formulation parfaite (après la perfection plus d'horizon !) En cette époque du numérique, 01, 0-1, 0-1... de l'I.A chargée d'algorithmes sans imagination, il était impérieux pour notre écrivain de résister à ces formes de pauvreté et d'ignorance. Les armes pour ce combat ? La dérision et la déraison. Le vieux jeune homme commença par s'initier à l'oulipo, à l'écriture automatique, aux dérapages surréalistes, il rechercha toutes les manières de contourner les dogmes de la sémantique. L'exercice consistait à écrire, écrire... jusqu'à modifier la surface des mots et des récits, les décomposer, s'en jouer, dépasser avec gravité ou fantaisie l'artifice de la logique, redistribuer les causes et les effets. Les histoires, comme les rêves, révèlent la vérité à travers leur apparente incohérence. Alors il importe de se risquer sans craindre l'ineptie ni le ridicule, d'éliminer les filtres ou au contraire accentuer les règles, en inventer de nouvelles. Un devoir de santé personnelle, de santé publique.

Il partit donc en errance, stylo-bille lutinant, index (au pluriel) sur le clavier. L'inédit était au coin de chaque mot, à chaque détour de phrase. Notre styliste chutait parfois sur des pistes glissantes, se déchirait à des broussailles enracinées dans les lignes, s'asséchait dans le désert des pages blanches et puis, subitement, recevait, haletant, abasourdi, le rire de l'incongru, la gifle du tragique. Alors se faisait jour la vérité, en creux, qui naissait chancelante mais exacte. Il s'agissait pour notre homme de dénouer le lien fallacieux qui avait toujours uni auteur et lecteur, de les délivrer du poids des justifications, du rituel de l'ordonnance et du convenu afin qu'ils se surprissent l'un et l'autre sans fard. Il fallait prendre du recul, apprendre à regarder par le petit bout de la lorgnette, s'astreindre à gratter le papier encore et encore, à démonter savamment les mots, les syllabes, les consonnes et les voyelles, pour remonter le mouvement de la phrase et entendre enfin un nouveau tic-tac.

Pour comprendre le pourquoi d'une telle gageure, il faut remonter dans le passé. VJH avait fréquemment travaillé sous les ordres d'un patron ou d'une administratrice, d'un contremaître ou d'une directrice, il aimait la chose bien faite, la besogne accomplie, mais il détestait, comme à l'école, les maîtres et les donneurs d'ordre et tous les winners derrière lesquels il faut tout ranger, si bien que le travail constituait pour lui (l'étymologie du mot le lui confirmait) une entrave désespérante à son bonheur. Heureusement VJH avait voyagé, il s'était mêlé aux foules, avait partagé en bien des lieux des moments de ferveur devant le spectacle du monde. S'il avait souffert d'adversités, d'humiliations, il avait aussi aimé sentir sur sa peau la caresse du soleil, du vent et de la brume, il avait aimé rire, jouer sous les préaux. Il avait aimé tout court. Sans le dire parfois. Lorsqu'un jour, embarqué pour un pays du sud, ayant emporté dans ses bagages des romans prometteurs, pour la plupart des romans contemporains, il se rendit compte à leur lecture que, malgré leurs émois et leurs intentions loyales, beaucoup de ces récits fuyaient, ou faisaient semblant. Codifiés, policés, ils avaient tout juste, comme les bons élèves, comme le bon employé qu'il avait été et ne serait plus. Ces romans faisaient penser aux pelouses tentantes qui annoncent le rêve mais qu'il est interdit de franchir. Qu'étaient les pelouses impeccables à côté des prés, même boueux, au milieu desquels on pouvait se rouler ? VJH devenait suspicieux, l'auteur, le lecteur, non seulement ne voyageaient pas dans le même wagon, mais restaient condamnés à observer, le nez collé à la vitre. Ces livres-là ressemblaient à des manuels illustrés, ils se présentaient comme ces défilés historiques et déguisés qui prétendent être des fêtes de village ou ces guirlandes de Noël qui scintillent d'ennui le long des rues désertes et froides. Les fêtes, à l'image des drames, ne se contemplent pas. Quant aux mots, ils doivent descendre du balcon, être eux-mêmes la joie et les larmes. Les mots ont un corps.

Lecteur, prenons garde. Tu as ouvert ces pages et te voici sur le qui-vive... Ce récit va-t-il combler tes attentes ? Vas-tu trouver là un répit à ta vie tourmentée ? Ou lire ce que tu sais mais ne peux dire toi-même? Ou encore participer à une exhumation de secrets enfouis ? Ou peut-être rire, te laisser berner par une histoire extraordinaire.