La sirène abyssale - Pascale Leconte - E-Book

La sirène abyssale E-Book

Pascale Leconte

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Beschreibung

Toulouse est un jeune artiste dont le rêve est de vivre de sa peinture. En attendant, il gagne sa vie en tant que pianiste sur le yacht de la riche famille de Vanves. Toulouse ignore que Gliline, une sirène abyssale, l'observe régulièrement. L'ondine est fascinée par sa beauté, en particulier lorsqu'il joue au piano sur le ponton. Un soir, alors qu'une dispute éclate entre le fiancé d'Adèle de Vanves et le charismatique pianiste, Gliline invoque une tempête afin de le sauver du revolver pointé sur lui... Un roman fantasque et sensuel qui explore l'impossible amour d'un humain et d'une sirène des abysses.

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Seitenzahl: 152

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Couverture : Camille Benyamina

Correction : Ségolène Tortat

Ce roman est à lire en écoutant les pianistes Joep Beving, Riopy, Francesco Tristano, Martin Stock et bien d’autres encore.

Un grand merci à Isabelle Giudicelli des Ateliers Persona.

Sommaire

CHAPITRE 1

Observation

.

CHAPITRE 2

Possession.

CHAPITRE 3

Obsession.

CHAPITRE 4

Admiration.

CHAPITRE 5

Addiction.

CHAPITRE 6

Séparation.

CHAPITRE 7

Trahison.

CHAPITRE 8

Exhibition.

CHAPITRE 9

Stabilisation.

CHAPITRE 10

Abandon.

CHAPITRE 1Observation.

Les mains de Toulouse plongèrent dans l’eau savonneuse du lavabo en granit.

Ses doigts se perdirent sous la mousse d’un blanc laiteux.

Le jeune homme souffla sur la mèche blonde qui lui tombait devant les yeux puis il remonta les manches de son sweat-shirt à rayures qui lui servait d’uniforme.

Avec précaution, il nettoya un verre en cristal avant de le poser sur l’étendoir de la paillasse.

La vaisselle qui séchait était en porcelaine fine, Toulouse admira cette précieuse batterie puis essuya son verre.

Il le remplit d’un jus de pomme ambré et le but d’un trait.

Jouer du piano durant deux heures sur le ponton ensoleillé d’un yacht lui avait donné soif…

Il se resservit une seconde fois avant de croquer dans la chair sucrée d’un abricot.

Sa pause s’achevait, la famille de Vanves attendait la suite de son spectacle musical.

Toulouse Materla était passionné de peinture et d’art néanmoins il gagnait sa vie comme pianiste pour différents événements festifs ou privés.

Il avait un planning si chargé qu’il était constamment épuisé. Entre les cours au Conservatoire qu’il dispensait aux enfants et ses concerts de piano-bar le vendredi et le samedi soir, il parvenait avec peine à se dégager du temps pour réaliser les œuvres picturales qu’il chérissait tant.

Son dimanche était entièrement consacré au divertissement d’Edgar-Louis de Vanves et ses proches.

Toulouse Materla se prenait souvent à rêver d’être à la place de Charles, le fils de son patron. Lui semblait avoir une vie faite de plaisirs et d’insouciance grâce à l’abondante fortune paternelle. Cela ne manquait d’ailleurs pas de susciter un sentiment de jalousie chez le jeune pianiste qui luttait avec acharnement pour faire de maigres économies…

Tous les dimanches depuis maintenant six mois, Toulouse était réquisitionné sur le luxueux yacht du patron de la société Agropolis. Ce mélomane invétéré habitait en bordure de mer et passait la plupart de ses week-ends à bord de son yacht personnel.

Monsieur de Vanves avait fait installer un piano à queue sur la terrasse arrière de son bateau, car il aimait lézarder au soleil en écoutant les reprises classiques magistralement interprétées par le jeune Toulouse.

Son épouse et ses deux enfants déjà adultes profitaient de ces moments de grâce dès que leurs emplois du temps le leur permettaient.

Aujourd’hui, ils s’étaient réunis afin de gérer les derniers détails concernant l’anniversaire de Mademoiselle Adèle. Leur fille cadette célèbrerait son vingtième printemps le week-end prochain.

Le son ténu d’une clochette retentit dans la cabine du yacht, indiquant que sa musique se faisait attendre.

Toulouse remplit un dernier verre de jus de fruits qu'il déposa sur un plateau d’argent afin de l’emporter avec lui.

Il n’eut aucun mal à se faufiler dans l’escalier étroit qui menait à la terrasse. À force de circuler d’un bout à l’autre du yacht, il en connaissait les moindres recoins par cœur.

Une lumière crue l’aveugla un court instant, il était seize heures, pourtant l’astre solaire semblait encore être à son zénith.

La chaleur qui régnait à l’extérieur plomba l’énergie du jeune homme ; il observa avec envie le verre givré qu’il transportait en équilibre instable sur le plateau.

Le yacht mouillait dans une crique déserte, loin du regard des passants déambulant près du port.

La famille de Vanves s’y était installée en début d’après-midi.

Le cri des mouettes se mêlait subtilement au ressac des vagues. Toulouse respirait le calme et la douceur de vivre.

Encore deux heures de service puis il rejoindrait Sanne, il passerait ensuite la soirée à peindre une nouvelle toile.

Mlle Adèle papotait au téléphone, tranquillement allongée sur son transat. Son corps bronzé n’était couvert que d’un bikini d’un blanc si éclatant qu’il fit plisser les paupières du pianiste.

Cachée derrière ses lunettes de soleil, la jeune fille regarda la haute silhouette de Toulouse s’approcher.

– T’es folle ! s’exclama-t-elle. J’ai déjà dit oui à Max, je peux pas changer d’avis…

Le musicien retroussa ses manches et s’assit devant l’instrument en bois laqué.

– Pourquoi pas, Lisa…, continua-t-elle, en lançant un sourire gourmand au beau pianiste.

Madame de Vanves se limait les ongles, installée, elle aussi, sur un large transat à côté de sa fille.

Excepté l’âge, Mme de Vanves était la copie conforme d’Adèle. Peau excessivement hâlée, maillot blanc immaculé et large chapeau qui protégeait son visage de l’ensoleillement.

Toulouse posa ses doigts sur les touches nacrées et improvisa une ritournelle entêtante.

Dès qu’Adèle eut terminé sa conversation téléphonique, elle rejoignit le musicien et s’accouda au piano.

– Mon cher Toulouse, tu n’es pas censé ignorer que vendredi prochain sera un jour particulier, n’est-ce pas ? murmura-t-elle en se penchant vers lui.

– Nous fêterons vos vingt ans, répondit-il, concentré sur le clavier de son instrument.

– Exactement ! s’enorgueillit-elle.

– Le piano-bar où je travaille habituellement a accepté de me remplacer afin que je puisse vous réserver ma soirée. Je me ferai une joie de venir vous divertir.

– Parfait. À cette occasion, je vous demande de revêtir un costume différent. Votre uniforme habituel est adorable mais il faudrait des habits plus seyants. Possédez-vous déjà un smoking ?

– Oui, il me semble avoir un veston de velours et son pantalon assorti. Par contre, l’ensemble est couleur prune… Peut-être auriez-vous préféré une teinte plus sobre ?

– Non. Ce sera parfait, le noir est d’un barbant !

– J’espère que ton excentricité n’attirera pas trop le regard des jolies invitées, Toulouse ! interrompit soudain une voix masculine.

Charles de Vanves, un jeune homme aux cheveux noirs gominés, venait de les rejoindre sur le ponton.

– Il est des mondes qui ne peuvent se mélanger, rajouta Charles en toisant sa sœur.

– Je serai discret, comme à mon habitude, Monsieur Charles, répondit froidement Toulouse. Je jouerai un répertoire classique durant le repas. Puis je m’éclipserai afin de laisser place à la musique contemporaine de votre playlist.

– Je pourrais te prêter l’un de mes vieux costumes, poursuivit Charles avec mépris. Adèle, puis-je te rappeler que ton fiancé n’apprécie guère la concurrence…

– Oh, lâche-moi avec Max ! s’énerva-t-elle.

Agacé, Toulouse cessa un instant sa mélodie pour boire une gorgée de jus de pomme.

– Pardonnez-moi, mais je ne parviens pas à jouer correctement si nous parlons, s’excusa Toulouse. Pouvons-nous poursuivre cette discussion lorsque j’aurai terminé ma prestation ?

Les deux de Vanves acquiescèrent puis se dirigèrent vers la domestique qui venait leur proposer des brochettes apéritives.

Penché au-dessus du bastingage, Toulouse regardait l’horizon.

Une brise venant du sud caressait ses cheveux.

Il croqua dans une pomme et la dégusta lentement, ne quittant pas des yeux le paysage qui s’offrait à lui.

Il observait la côte et sa ville qui s’étalait le long du littoral.

Tel un harpon projeté dans l’eau, un goéland plongea à quelques mètres du yacht. Très vite, le volatile remonta à la surface, un poisson frétillant prisonnier de son bec.

Le jeune homme s’étira en respirant l’air salin, le yacht arrivait enfin au port.

– Toulouse ! entendit-il à l’avant du bateau. On a amarré, tu peux descendre !

Ravi, il jeta le reste du fruit par-dessus bord, puis s’en alla.

En un vol plané, le trognon transperça la surface de l’eau et s’enfonça dans la mer.

La pomme aurait pu descendre la dizaine de mètres qui la séparait du fond marin, toutefois une main gélatineuse la recueillit dans sa paume…

Une créature aquatique scrutait le curieux aliment venu du monde d’en haut.

Son corps translucide rappelait celui des méduses, à ceci près qu’il possédait une tête, un tronc et deux bras pourvus de mains. Ni jambes, ni queue de poisson à écailles ne parachevaient cet être hors du commun. Non, le bas du tronc était composé d’une longue nageoire transparente.

Les organes intérieurs de cette sirène étaient recouverts de réseaux de glandes phosphorescentes. Plusieurs flux lumineux parcouraient en permanence ce corps souple qui se mouvait au gré du courant.

En guise de chevelure, l’être marin arborait de fins tentacules violacés ressemblant à celles d’un poulpe.

Ses yeux, quant à eux, étaient constitués de deux grosses billes qu’on aurait crues en verre. Des reflets troubles les traversaient de temps à autre, comme s’il se fut agi d’un clignement de paupière.

– Jette ça, Gliline !

Une voix télépathique résonna dans son crâne.

Une seconde créature rejoignait à la hâte la première, son unique nageoire la propulsant avec force.

L’autre sirène abyssale possédait une teinte verte tirant vers le turquoise par opposition au rose violacé de Gliline.

– Il est formellement interdit de s’approcher ainsi des humains !! se fâcha la sirène aux tons verdâtres. Es-tu encore venue observer ce musicien ?

– Sa musique m’enivre… Les mélodies qu’il parvient à sortir de ce coffre noir sont irrésistibles !

– Qu’importe leurs attraits, nous devons fuir les hommes ! Ils sont bien trop dangereux pour nous.

– S’il te plaît, Ombe, ne dis rien à la communauté…, supplia Gliline.

– Je me tairai mais désormais, reste éloignée de leur monde.

Penaude, Gliline lâcha à regret le trognon de pomme, avant de suivre son amie qui reprit sa nage vers le large.

La sirène jeta un dernier coup d’œil à la coque blanche du yacht puis se résigna à rejoindre l’obscurité glaciale des abysses.

En ouvrant la porte de son appartement, Toulouse trouva sa compagne en train de danser dans le salon.

Un air créole résonnait à travers les murs, incitant le jeune homme à onduler des hanches en embrassant Sanne.

– Je viens de rentrer du travail, expliqua-t-elle entre deux baisers. J’ai fait un détour par l’épicier pour acheter les légumes dont tu avais besoin.

– Merci, ma douce. Ce soir, je te prépare un quinoa au lait de coco et sa salade arc-en-ciel ! Ça te va ?

– Miam !! se délecta Sanne. Une danse et puis je dresse la table. Je crève de faim…

– D’accord, d’autant plus que je compte commencer un nouvel autoportrait après le repas !

– Quelle émotion vas-tu retranscrire cette fois-ci ?

– La peur, annonça Toulouse d’une voix caverneuse. Je ne me suis pas encore attaqué à cette part d’ombre en moi…

– Avec une dominante de vert olive, peut-être ?

– Exactement ! T’es trop forte, ma belle.

Le couple enchaîna avec un tango argentin puis se résolut à rejoindre la cuisine pour concocter le menu coloré.

Tandis que Toulouse éminçait les betteraves crues, Sanne s’exclama :

– J’allais oublier de te dire que nous sommes invités au manoir ce mercredi !

– Cool. Ma mère est-elle passée pour te le dire ?

– Non, elle a juste téléphoné. Comme tu bossais sur le yacht, elle n’a pas osé appeler sur ton portable.

– Je me réjouis de cet après-midi à la campagne ! Ça me ressourcera.

– Peinture à volonté et dégustation seront au programme ! précisa Sanne, enchantée.

– Ah bon ? Ma mère doit préparer un nouveau « Happening gustatif » ?

– Oui, France a besoin qu’on teste ses recettes avant le jour J.

Le jeune homme mit deux tasses de quinoa dans une casserole et en rajouta quatre remplies d’eau froide.

– Heureusement qu’elle ne nous a pas invités la semaine suivante, car vendredi prochain, je suis réquisitionné sur le bateau des de Vanves. Adèle fête son vingtième anniversaire et je suis de service toute la soirée.

– Tu rentreras tard ? demanda Sanne, sans parvenir à dissimuler une pointe d’inquiétude dans la voix.

– Aux premières lueurs du jour, à mon avis. Elle n’a pas invité beaucoup de monde, mais je sais qu’ils comptent danser jusqu’au petit matin.

– Cette Adèle est-elle toujours en train de te dévorer des yeux ?! Te fait-elle encore des propositions ambiguës ?

– Ne t’en fais pas, ma douce, dit tendrement Toulouse. Elle séduit tout ce qui bouge. Moi, pas plus qu’un autre. Je reste imperméable à ses avances.

– Et puis, elle est en couple, non ?

– Fiancée même ! Son pauvre Max va en voir de toutes les couleurs avec cette petite allumeuse…

Le repas se termina alors que le soleil n’était pas encore couché.

Sanne s’allongea dans le canapé, un bouquin entre les mains tandis que Toulouse enfila son bleu de travail maculé de peinture sèche.

Il se planta devant un chevalet recouvert de taches, puis prit, un à un, ses différents tubes pour en extraire un peu de gouache.

Sa palette ainsi constituée, il se recueillit dix minutes devant la reproduction d’un autoportrait de Van Gogh.

Toulouse se laissa pénétrer par la puissance du regard de l’artiste puis trempa son index dans le cyan.

Il fit glisser son doigt bleuté vers le jaune primaire et, soudain, naquit un vert vif…

Le peintre caressa lentement la toile rêche. Le tracé reproduisit les contours du visage que Toulouse observait dans le miroir accroché au mur.

Une odeur de jasmin lui picota les narines ; Sanne venait d’allumer un bâtonnet d’encens.

Le jeune homme fit germer une peur grandissante en lui. Ainsi envahie par cette émotion, l’expression de son visage s’en trouva transformée.

Ses longs cils noirs encadraient des yeux d’un bleu perçant. Ses sourcils sombres se fronçaient malgré lui, donnant un air inquiet aux traits que reflétait sa psyché.

Il calma sa respiration, ralentit son souffle afin d’apaiser l’angoisse qui montait en lui. Il mit un peu de gouache blanche sur son majeur et cette crème lumineuse se mêla au vert pour en adoucir la teinte.

Épuisé, Toulouse dut cesser son activité alors qu’il n’avait posé qu’une fine couche de peinture sur l’ensemble de la toile.

Sanne avait quitté le salon pour terminer sa lecture bien au chaud sous la couette.

Il frotta ses mains pleines de couleurs dans une étoffe humide puis salua Vincent Van Gogh qui ne l’avait pas quitté des yeux, fidèle à son poste.

Toulouse se retira dans la salle de bain et évacua toute la tension accumulée durant ces heures de création sous le jet d’eau tiède.

CHAPITRE 2Possession.

France accueillit son fils et sa compagne en brandissant un éventail vers le ciel.

Cette chaleur accablante faisait percevoir la moindre brise comme une bénédiction !

La peintre âgée de soixante ans avait noué un foulard orné d’une fleur autour de sa chevelure blanche.

Elle portait un tablier qui protégeait sa robe en dentelle, une joie sans borne émanait d’elle.

– Bonjour Maman, dit Toulouse en l’embrassant.

– Bienvenue, mes chéris !! J’espère que la route ne fut pas trop embouteillée, s’enquit-elle.

– Non, nous sommes partis il y a une heure environ, répondit Sanne.

– Si vous souhaitez rester dormir ce soir, votre chambre est prête. J’ai mis de nouveaux draps et un bouquet de pivoines sur la table de nuit.

– C’est gentil, Maman. Pourquoi pas…

– Super, mon ange ! Pour le goûter, nous allons déguster des coquillages en chocolat et leurs perles de thé matcha saupoudrées de baies roses. Avez-vous faim ?

Les amoureux lui répondirent d’un sourire entendu.

Le manoir où vivait France fut jadis, une somptueuse demeure. Pour autant, il était devenu aujourd’hui plus que vétuste, vu le manque de moyen pour financer son entretien et sa restauration.

L’immense bâtisse conservait malgré tout un cachet particulier, il constituait le joyau central du parc floral qui l’entourait.

Car France, peintre à ses heures, était d’abord une herboriste chevronnée qui excellait en la préparation et la décoction de tisanes aux vertus médicinales.

Le dernier étage était réservé à son atelier de peinture, des tableaux de diverses tailles s’accumulaient sous la charpente et contre les murs poussiéreux. Des toiles d’araignées semblaient les relier les uns aux autres.

– Aujourd’hui, nous dessinerons dehors ! déclara France, en agitant frénétiquement son éventail. Il fait bien trop chaud pour rester dans le grenier. J’ai installé trois chevalets sous le saule pleureur. On se croirait dans une tente végétale, c’est exquis !

À l’ombre du grand arbre, les trois artistes se concentraient, chacun sur sa toile, un pinceau à la main, excepté Toulouse qui ne peignait qu’avec les doigts.

Sanne tentait de reproduire la pomme qu’elle avait suspendue aux branches du saule.

France barbouillait d’acrylique une toile ronde, tandis que Toulouse frottait sa paume recouverte d’un rouge intense sur un tableau dont la hauteur dépassait deux mètres.

Sa mère s’interrompit pour le contempler à l’œuvre :

– Quelle gravité dans ce pourpre sanguinolent, mon chéri… Cela me laisse une impression dérangeante ! Comme s’il s’agissait d’un mauvais présage.

– Toulouse est justement en train de travailler sur un autoportrait qui reflèterait sa peur, déclara Sanne.

– Intéressant…, conclut France. As-tu peur de quelque chose en particulier, mon fils ?

– J’ai vingt-neuf ans et je n’avais encore jamais abordé cette thématique. Pourtant, elle me semble, à présent, capitale.

– Bientôt trente ans ! soupira sa mère. Et toi aussi, Sanne. N’envisagez-vous pas d’officialiser votre relation ?

La jeune fille éclata de rire avant de répondre.

– Toulouse exècre le mariage ! Je ne vais pas lui imposer ça !

– Pourquoi cette question, Maman ? Alors que tu ne t’es jamais mariée.

– Mariée ou pas, rien n’aurait empêché ton père de fuir le jour de ta naissance, dit-elle sèchement. Mais vous, c’est différent ! Vous êtes amoureux et vous avez de nombreux projets en commun.

– Notamment faire un bébé…, dit timidement Sanne.

– Oui, ma belle, admit-il, le sourire aux lèvres. Je te l’ai promis : nous deviendrons parents à trente ans !

– D’accord, comprit France. Pas de mariage mais des enfants ! Voilà un bon deal, je valide. Encore quelques mois de patience, alors…

– Hem… Enfin, j’aimerais d’abord me faire un nom avec ma peinture, précisa Toulouse. J’apprécie mon travail de pianiste, mais je préfèrerais vivre de ma passion.

– Cela peut prendre des années pour gagner ta vie en tant qu’artiste peintre, rappela France, d’un air triste. Moi-même je n’y suis pas encore parvenue…

– D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi tu n’as jamais voulu montrer tes toiles aux yeux du monde, Maman !

– J’ai essayé, mais les galeries cherchent surtout des artistes prestigieux dont la réputation n’est plus à faire.

Toulouse ferma les yeux avant de plaquer son torse sur la toile pourpre afin de ne faire qu’un avec son œuvre. Il roula sur toute la longueur du tableau. Ses cheveux en bataille prirent une teinte rouge et firent office de pinceaux.

– Moi aussi, finit-il par avouer. Je me suis fait snober par les nombreux galeristes auxquels j’ai montré mon book.

La ligne d’horizon avait pris une teinte orangée.