La Vie merveilleuse de Benoîte Rencurel - François de Muizon - E-Book

La Vie merveilleuse de Benoîte Rencurel E-Book

François de Muizon

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Beschreibung

La messagère des volontés divines.

Le 4 mai 2008, Mgr Jean-Michel Di Falco-Léandri, évêque de Gap et d’Embrun, reconnaît le caractère surnaturel des apparitions de Notre-Dame du Laus (1664-1718). L’acte est rare au sein de l’Église catholique (5 reconnaissances officielles d’apparitions depuis 1900 dans le monde) et souligne d’autant plus l’extraordinaire vie de Benoîte Rencurel. La mission de cette femme, laïque, illettrée, pauvre, vivant de rien et qui fut pendant un demi-siècle la messagère des volontés divines est édifiante à plus d’un titre. Sa vie est une des plus merveilleuses, au sens littéral du mot, qu’un être humain puisse vivre : pendant plus de 50 ans, Benoîte Rencurel a vécu avec la Vierge Marie, qui est venue régulièrement lui rendre visite, et avec un Ange, qui fut son compagnon de route. Les éléments contenus dans les Manuscrits du Laus et le dossier de béatification fournissent des fondements solides pour rendre compte de ces phénomènes extraordinaires et de leur contexte historique. Le Laus est devenu un lieu où viennent volontiers les personnes qui se sont tellement éloignées de Dieu qu’elles ne savent plus comment le retrouver.

Découvrez La Vie merveilleuse de Benoîte Rencurel a vécu avec la Vierge Marie, qui est venue régulièrement lui rendre visite, et avec un Ange, qui fut son compagnon de route.

EXTRAIT

L’Ange ou d’autres Anges disent le chapelet avec elle : ils commencent le « Je vous salue Marie… » et Benoîte répond : « Sainte Marie, Mère de Dieu… ». Ils adorent ensemble le saint sacrement, chantent les litanies de la Passion… L’ Ange est parfois présent durant la messe auprès d’elle. Il arrive qu’il soit à ses côtés dans la vie de tous les jours, accourant pour l’aider ou la protéger. Il lui dit, par exemple, où retrouver des clés qu’elle a « perdues ». Il lui retire des objets dont elle n’a pas besoin ou au contraire lui fait des cadeaux, comme ce magnifique collier que Benoîte transformera en chapelet. Il la console lorsqu’elle est épuisée par ses ascèses. Leur intimité est telle qu’apparaissant un jour dans sa chambre à son réveil alors qu’elle n’est pas encore habillée, elle s’écrie : « Bon Ange, attendez s’il vous plaît que je me sois habillée ! "

A PROPOS DE L'AUTEUR

François de Muizon, ancien maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, étudie les phénomènes religieux depuis de longues années. Son sens du récit est fondé sur une véritable recherche et une réelle sensibilité spirituelle. Il a publié notamment Dans le secret des ermites d’aujourd’hui (Nouvelle Cité).

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PRÉFACE

L’âme et le cœur profond de Benoîte ont des dimensions insoupçonnées. Je me suis aperçu qu’en nous communiquant ce que nous en percevions, notre cœur se dilatait. Nous pénétrions alors dans un Sanctuaire dont la hauteur, la longueur et la profondeur nous dépassent.

Je n’ai pas l’intention de présenter le contenu de ce livre parce que c’est au lecteur de l’accueillir, de le découvrir et de le laisser retentir en lui suivant sa propre sensibilité. Je veux seulement situer La Vie merveilleuse de Benoîte Rencurel dans la généalogie des écrits sur la voyante et le Sanctuaire, et je me contenterai de reprendre ce que j’ai écrit, il y a environ sept ans, en conclusion de la partie historique du dossier de béatification.

« L’histoire des écrits sur Benoîte et Notre-Dame du Laus est révélatrice d’une longue recherche en même temps que du rayonnement de la grâce du Laus au cours de trois siècles. Chaque époque, suivant sa sensibilité et avec ses moyens a su exprimer à sa manière la vie mystique de Benoîte et la grâce typique du Laus, en se référant aux Manuscrits originaux. Il a fallu pourtant attendre les ouvrages récents pour qu’à travers une approche critique de ces manuscrits, on parvienne à une connaissance plus authentique. À cet égard, les travaux du Père de Labriolle et de Madame Vallart-Rossi sont déterminants.

« Avec le Docteur Pain, Robert Pannet, et même des auteurs anciens comme Martel, Pron, Vernet, Médan et Brémond, des perspectives nouvelles ont été entrouvertes pour mieux faire entrer Benoîte dans le concert des autres mystiques et l’événement du Laus dans l’ensemble des apparitions et dans l’histoire universelle de l’Église. La voie est désormais ouverte pour de nouvelles recherches et d’autres expressions qui correspondent mieux aux aspirations profondes de notre époque. Il fallait, en même temps, avoir le courage et la pertinence pour remettre en cause le rationalisme et les a priori de notre culture1. »

Le cardinal Robert Coffy, archevêque de Marseille, ancien évêque de Gap et grand ami du Laus, a écrit sur Benoîte une page qui mérite attention : « C’est une certaine manifestation de l’au-delà dans notre histoire qui est en cause. Et finalement, ce n’est pas le cas de Benoîte qui pose question, mais bien la lecture qu’un chrétien du XXe siècle en fait. Pour bien lire les phénomènes extraordinaires qui jalonnent la vie de Benoîte, nous devons non seulement les replacer dans sa vie, sa personnalité, sa mission, mais encore les aborder sans a priori. Nous devons nous souvenir que dans le Credo, nous confessons que Dieu a créé l’univers visible et invisible et que Jésus a été aux prises avec Satan2. »

La voie est ouverte, pour qu’à travers les phénomènes extra-ordinaires qui jalonnent la vie de Benoîte : apparitions de la Vierge, présence de l’Ange, expérience mystique de la crucifixion, interventions démoniaques, en même temps qu’à travers la simplicité et le réalisme concret de sa vie quotidienne, les nouvelles générations s’interrogent sérieusement sur la réalité de l’au-delà et le monde invisible.

À mon sens, dans ce domaine, François de Muizon ouvre une nouvelle porte. Les apparitions mariales de Notre-Dame du Laus et le témoignage de Benoîte sont replacés de façon pertinente et forte dans l’histoire religieuse ; la rigueur de son analyse, la lumière qui imprègne l’ensemble, la manière dont il situe les apparitions donnent à ce livre une portée considérable.

Depuis la première édition de ce livre en 2004, deux nouveaux ouvrages sont venus enrichir l’histoire des écrits sur Benoîte Rencurel, à l’occasion de la reconnaissance des apparitions par Mgr Jean-Michel di Falco-Léandri, évêque de Gap et d’Embrun, le 4 mai 2008. Il s’agit du livre du P. Bertrand Gournay, alors recteur du sanctuaire (Notre-Dame du Laus, l’espérance au cœur des Alpes) et celui de Mgr di Falco (Benoîte Rencurel, la visionnaire du Laus). Il était important que le livre de François de Muizon soit réédité pour apporter son éclairage sur les Merveilles de Notre-Dame du Laus.

Ici, Benoîte se découvre non seulement « comme une femme de son temps et comme un des ressorts les plus cachés et les plus puissants de l’Europe3 », mais encore et surtout comme un phare pour le troisième millénaire. En lisant La Vie merveilleuse de Benoîte Rencurel, nous passons un seuil dans l’histoire des écrits sur la bergère de Saint-Étienne d’Avançon et la voyante de Notre-Dame du Laus.

Bonne route sur les pas de Benoîte !

René COMBAL,Ancien recteur du sanctuaire de Notre-Dame du Laus

1La Fondatrice du Sanctuaire Notre-Dame du Laus, Benoîte Rencurel, laïque du Tiers Ordre de Saint-Dominique – 1647-1718, Biographie Documentée (B.D. : voir à la fin du livre, page 245, la liste des abréviations utilisées), 650 pages, Rome 1996, rééditée en 1998. En vente au Sanctuaire de Notre-Dame du Laus.

2 Marie-Agnès VALLART-ROSSI, Une laïque missionnaire, Benoîte Rencurel (1647-1718). Le témoignage du Laus, pp. 127-129, Nouvelle Cité 1986.

3 Jean GUITTON, « Les Davidées ».

L’Ange a dit plusieurs fois à Benoîtequ’elle ferait bien de faire écriretout ce qui se passe de remarquable au Lauspour l’âme et pour le corps : les miracles,les autres grâces qu’on y reçoitet les avis qu’elle donne […]parce que cela fera grand fruit à la suite des temps1.

1 Ga 104 IX (rappel : voir p. 245 la liste des abréviations utilisées).

PROLOGUE

Quelle prodigieuse aventure que celle de cette paysanne illettrée, qui fut pendant cinquante-quatre ans (1664-1718) la messagère des volontés divines et qui, dans le même temps, reçut les plus implacables assauts de forces démoniaques qui la transportaient, disait-elle, en pleine nuit dans les montagnes environnantes. Sa vie est une des vies les plus merveilleuses que l’histoire religieuse nous ait laissées, merveilleuse au sens propre du terme tant Benoîte Rencurel vécut avec la Vierge Marie qui venait régulièrement lui rendre visite, et avec un Ange qui fut son compagnon de route. On est très vite étonné pour ne pas dire stupéfié par les charismes multiples et extraordinaires que le Seigneur a mis en elle : extases, illuminations, songes et visions, connaissance du futur, voyance et prévoyance, pénétration des esprits et des cœurs, relations avec les morts…

Benoîte a été choisie, et Le Laus, ce hameau inconnu des Alpes du sud, perdu dans la montagne à 200 km de Marseille et 150 km de Turin, pour remplir une Mission sans équivalent dans l’histoire des hommes, une Mission dont on mesure sans doute mal, aujourd’hui encore, la dimension prophétique. En effet, les événements que nous allons raconter préfigurent étonnamment les grandes apparitions mariales des XIXe et XXe siècles : Chapelle de la rue du Bac à Paris (1830), La Salette (1846), Lourdes (1858), Pontmain (1871), Pellevoisin (1876), Fatima (1917), Beauraing et Banneux (1932-33)… Il y a un avant et un après Le Laus.

Prenons garde cependant de ne pas faire de Notre-Dame du Laus seulement un sanctuaire marial. Les apparitions de Jésus, que ce soit crucifié sur la Croix d’Avançon ou enfant auprès de Marie, sont, à n’en pas douter, au cœur même des messages. Le Laus est aussi la Terre des Anges par excellence tant ils s’y manifestèrent de multiples manières. Enfin n’omettons pas les apparitions des saints au premier rang desquels saint Joseph, des bienheureux, comme les appelle Benoîte, de défunts ou encore, et dans un tout autre ordre, de démons.

Alors bien sûr, raconter une telle histoire est un pari certainement difficile. La vie de Benoîte Rencurel est d’une richesse si prodigieuse qu’il peut paraître bien téméraire de vouloir en embrasser d’un coup toutes les facettes : la voyante, la missionnaire, la mystique, la conseillère, l’ascète, la persécutée… Comment être fidèle à une personnalité aussi complexe, déconcertante parfois, admirable toujours, une personnalité qui ne se laisse enfermer dans aucun schéma préétabli ?

Fort heureusement, la raison se rebiffe et le doute s’insinue. Tout ce qu’on raconte est-il vrai ? Sommes-nous dans la réalité ? Est-ce une expérience hors norme ou une façon de dire, dans un contexte social et religieux tellement différent du nôtre ?

Ces questions s’imposent d’autant plus naturellement que cette histoire sublime se déroule à une époque où des récits légendaires soutiennent encore à l’occasion la foi populaire. Dans ces conditions, quelle crédibilité attribuer à ce que nous savons ?

Solidité des sources, personnalité de la voyante et cohérence des messages : les éléments d’information regroupés dans les Manuscrits du Laus1 apparaissent comme des fondements solides et pertinents pour étudier ces phénomènes extraordinaires. Leur crédibilité s’est trouvée renforcée par l’instruction du dossier de béatification et de canonisation. Une commission de six historiens dont les noms sont traditionnellement gardés secrets en a notamment reconnu le caractère « authentique ».

« Refugium peccatorum », rappelle une inscription en latin, tirée des litanies de la Vierge et placée au-dessus de la chapelle incluse dans la basilique de Notre-Dame du Laus. Refuge des pêcheurs, c’est-à-dire des âmes en quête de paix et de repos. Un lieu pour ceux et celles qui sont tellement éloignés de Dieu, qu’ils ne savent plus comment le retrouver. Il faut, quand on vient ici, se souvenir de ces mots de Jésus : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin des médecins, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent2. »

Dans le gouffre où l’homme se retrouve parfois, une échelle est lancée. Il ne la voit pas toujours. Souvent il ignore son existence car il regarde vers le bas et non pas vers le haut. Pour emprunter cette échelle, il faut en avoir le désir et la volonté, changer son regard, ouvrir les yeux, avoir la lucidité et la force nécessaires… Opérer une conversion. Le mot sera employé par Marie lorsqu’elle annoncera à Benoîte la Mission du Laus.

Cette grande et belle histoire commence au milieu du XVIIe siècle dans une petite vallée des Alpes…

1 Cf. chapitre VIII, 6.

2 Évangile de Luc 5,31-32.

Chapitre IL’ÉVEIL(1647-1664)

Le pays de Benoîte Rencurel est l’étroite vallée de l’Avance, près de Gap, dans ces Alpes intermédiaires, qui n’appartiennent déjà plus au sud, mais qui ne sont pas encore du nord, comme en témoigne sous l’Ancien Régime une situation à la frontière entre la Provence et le Dauphiné. La terre est assez ingrate et le plus souvent rocailleuse, l’environnement sans grand attrait : on ne trouve rien de pittoresque ou de spectaculaire dans cette nature simple et vigoureuse. Le schiste qui affleure ici et là donne une touche grise et austère au paysage.

On imagine aisément l’isolement de la vallée au milieu du XVIIe siècle, quand les moyens de transports sont limités au cheval qui n’est pas encore à vapeur. L’actualité met du temps à venir. Cependant la route d’Italie passe par là pour éviter l’octroi de Gap, filant ensuite vers Chorges, Embrun, Briançon et le col de Montgenèvre. Le trafic engendre davantage de maux que de richesses, comme nous le verrons, avec les guerres et leur charroi de prédateurs.

Les parents de Benoîte habitent à Saint-Étienne d’Avançon1, village de 180 habitants parmi lesquels on compte trente hommes en âge de travailler. Le cadastre recense huit propriétaires. Nous sommes sur le fief seigneurial d’Avançon, qui dépend du diocèse d’Embrun sur le plan religieux et de la subdivision de Gap pour les affaires judiciaires. Le village aux maisons serrées les unes contre les autres semble placé sous la protection de l’église qui se dresse sur la pente.

L’endroit est considéré par l’historien Raymond Juvénis, comme « l’un des plus pauvres » de la province du Dauphiné. On compte seulement deux bœufs pour labourer les champs. La population vit de cette agriculture de montagne qui n’a jamais enrichi personne. Aux cultures du blé, du seigle et des légumes dans la vallée sur les terres les plus riches, s’ajoute l’exploitation des noyers dont on tire une huile précieuse, de la forêt pour le bois de construction et des vignobles sur les coteaux. L’élevage des vaches, des moutons et des chèvres tient une place importante dans l’alimentation. Enfin la fabrication artisanale de plâtre à partir des carrières de gypse et le chanvre produit par quelques chènevières2, dans les marais sur la rive droite de l’Avance, complètent l’économie locale.

Les récoltes sont perturbées par les crues, la vigne donne un vin de qualité médiocre, la forêt ne possède pas de riches essences… On aura compris pourquoi les revenus que l’on tire de cette terre sont modestes.

La nourriture se compose, pour l’essentiel, de pain, de fromage et de lait, encore qu’il n’y en ait pas tous les jours, pour tout le monde : on ne mange « régulièrement à sa faim » que dans deux ou trois familles, précise Juvénis. La situation la plus difficile est celle des veuves qui sont le plus souvent contraintes d’aller chercher du travail à Gap.

Dans les années 1640, la misère est accrue par la crise qui touche une France en proie à un lourd déficit des finances publiques. Le pays est saigné par la Guerre de Trente Ans, qui se termine en 1648 avec la signature du traité de Westphalie. L’imposition excessive qu’engendrent le soin des armées et le financement des campagnes militaires n’a pas fini de peser sur l’économie, avec les conséquences que l’on connaît : hausse des prix, faillites, chômage et baisse de revenus pour la population.

Le Parlement de Paris réagit en votant le 13 mai 1648 une réforme des institutions politiques, qui vise à réduire le pouvoir royal. C’est un défi lancé à la régente, Anne d’Autriche (le futur Louis XIV n’est pas en âge de régner) et au Premier ministre Mazarin. La régente réagit en ordonnant, le 26 août 1648, l’arrestation des chefs de file de la sédition. Les corps intermédiaires et une noblesse dissidente se révoltent : la Fronde éclate à Paris et dans les provinces du Royaume. Ces événements vont avoir des répercussions jusque dans la vallée de l’Avance.

L’année suivante, de nouvelles hausses d’impôts sont imposées par le Premier ministre pour remplir les caisses de l’État. Le Parlement de Paris, suivi par les Parlements de Province, refuse. La Fronde prend de l’ampleur. Un mouvement insurrectionnel traverse le pays. Le pouvoir vacille.

Amat, le Directeur Général des Gabelles est assassiné en 1649, à Avançon. Le complot a été fomenté par plusieurs bailliages locaux. Les responsables sont arrêtés et les bailliages impliqués, dont celui de Saint-Étienne d’Avançon, condamnés solidairement à une amende de 2 100 livres. Le poids d’une telle dette laissera de profondes cicatrices dans un terroir qui n’avait pas besoin de cette épreuve supplémentaire.

Si la famille Rencurel n’est pas parmi les plus pauvres, elle n’est pas riche pour autant. Elle habite une maison3 du village à proximité de l’église. Le rez-de-chaussée, comme c’est généralement le cas à l’époque, abrite l’écurie. Le logement est à l’étage ; il est composé d’une grande pièce avec une cheminée et une alcôve. On trouve aussi un oratoire avec une statue de la Vierge et « quelques images pieuses4 ». Les parents ont la réputation d’être de « bons catholiques et très vertueux ».

C’est dans cette modeste famille de paysans alpins que naît Benoîte le 16 ou le 17 septembre 1647, et non le jour de la fête de saint Michel comme une pieuse légende le voudrait, prédestinant ainsi celle qui sera l’amie des Anges. Les archives de l’État Civil de Saint-Étienne d’Avançon ont été brûlées lors d’un incendie en 1692 et le seul document officiel que nous possédons est la copie de son certificat de baptême qui porte la date du 17 septembre. On en a déduit celle de sa naissance, en tenant compte de l’usage courant selon lequel on baptisait un nouveau-né le jour de sa naissance ou le lendemain.

Dans cette famille, on choisit des prénoms bien chrétiens. Benoîte, le nom vient du latin benedicta, qui veut dire bénie. Son aînée d’un an et demi s’appelle Madeleine et elle aura, trois ou quatre ans plus tard, une seconde sœur prénommée Marie5. Les enfants reçoivent une éducation religieuse et sévère à la fois. On rapporte qu’à l’âge de quatre ou cinq ans, Benoîte a été « fouettée aux orties6 » pour avoir donné des pelures de fromage à des enfants qui avaient faim, car la faim dans ce pays, on apprend à la supporter et on économise la nourriture surtout le fromage qui en est un élément de base, mais déjà pour Benoîte, les autres passent avant toute autre considération.

Sa première épreuve, elle la connaît à sept ans, avec la mort prématurée de ce père qu’elle aime tant. Quand on n’a pas de patrimoine comme chez les Rencurel, la disparition du père, c’est-à-dire de celui qui apporte son salaire pour faire vivre la famille, équivaut à plonger dans la misère. Benoîte s’en remet à la Providence et dit à sa maman, Catherine : « Dieu et sa Mère nous assisteront. » Ce serait une erreur de considérer cette attitude comme la banale réaction d’une fillette dévote : Benoîte se met intuitivement, spontanément, naturellement dans les mains de Dieu.

Le curé du village, Jean Fraisse, aide fort heureusement Catherine Rencurel et ses trois enfants dont l’aînée, Madeleine, n’a que neuf ans. Il agit en voisin puisqu’il habite la maison d’à côté, et il le peut sans se priver grâce à ses terres considérées comme les meilleures du terroir et sa pension annuelle de 550 kilogrammes de blé et 320 litres de vin.

La situation financière de la mère de Benoîte va s’aggraver quand ses parents – les Matheron – la dépouilleront du peu qu’elle a. Aussi, dès que ses enfants seront en âge de travailler, ils seront placés. Après Madeleine, ce sera le tour de Benoîte. Catherine Julien, nièce du curé, lui offre un emploi de bergère. Cette manière ne doit pas choquer : elle est usuelle. C’est une forme d’embauche et de troc dans l’économie de pénurie et de crise que l’on connaît alors. L’essentiel est assuré : un toit et le minimum vital.

On ne sera pas surpris d’apprendre que Benoîte n’a eu ni le temps, ni les moyens d’aller à l’école. Elle ne saura jamais lire, ni écrire, et signera jusqu’à la fin de sa vie d’une simple croix comme en témoignent les registres paroissiaux où elle figure quarante fois comme marraine.

Avant sa mise en service – c’est-à-dire son départ du foyer maternel – Benoîte, qui a douze ans, va voir sa maman et lui demande un chapelet. On est en droit de penser qu’elle a l’habitude de lui emprunter le sien pour prier et qu’il va lui manquer. Sa mère accepte. Pour Benoîte, grâce à ce chapelet, un lien est assuré avec Marie, la sainte Vierge, sa maman du ciel.

Un an plus tard, c’est-à-dire en 1660, sa situation change. Elle est placée, en alternance, une semaine chez les Rolland toujours comme bergère et une semaine chez madame Astier, une veuve du village7.

Dès cette époque, elle s’inflige des ascèses très dures. Il en va ainsi de sa faculté à jeûner. Lorsqu’elle s’aperçoit que les enfants de sa patronne n’ont pas suffisamment à manger, elle leur donne en cachette sa part de nourriture. Il lui arrive aussi de sauter régulièrement des repas lorsqu’elle travaille chez madame Astier, et même dit-on, de passer une semaine quasiment sans manger. À l’ordinaire elle est d’une extrême frugalité, se nourrissant de presque rien.

Très jeune aussi, elle commence à s’imposer de cruelles mortifications. Elle n’a que 14 ans quand elle se flagelle le dos et les épaules jusqu’au sang avec la discipline, un petit fouet composé de cinq chaînettes en fer. Comme si cela ne suffisait pas, elle porte un sous-vêtement de crin, un cilice, qui irrite et blesse la peau. Elle dort très peu. Quelques heures à peine. En général trois ou quatre heures. Et consacre le reste de sa nuit à la prière. On ne doit pas s’en étonner. Il est dans la culture religieuse de l’époque de valoriser la pénitence et les mortifications. Même chez les pré-adolescentes, on laisse faire avec un œil bienveillant des pratiques qui paraissent aujourd’hui excessives ou même dangereuses.

Deux siècles plus tard, Mélanie, la petite voyante de La Salette, jeune paysanne des Alpes comme Benoîte, sera dès son plus jeune âge une grande ascète. « Je sentais en moi, déclarera-t-elle, comme une nécessité absolue de souffrir8. » Benoîte aurait très bien pu faire, nous semble-t-il, le même aveu. Elle suit le chemin de la Croix. Ce besoin d’imitation de Jésus Christ dans la souffrance n’est pas pour autant une spiritualité négative. L’ascète s’élève. Benoîte trouve un équilibre mystérieux et fécond dans un mode de vie, qui sera le sien jusqu’à la fin de ses jours.

On voit également naître, dans ses jeunes années, les traits caractéristiques d’une forte personnalité religieuse. Elle pratique naturellement la méditation et s’adonne à la prière. Voici un des premiers témoignages que nous en ayons. Un matin, sa mère lui demande9 d’aller chercher de l’herbe aux champs près de Valserres, sur les pentes du Puy-Cervier. En s’y rendant, elle passe devant la petite chapelle qui se trouve à côté du cimetière, et poussée par « un très fort désir intérieur », elle y entre.

Elle tombe aussitôt en prière. Les heures passent sans qu’elle s’en aperçoive. C’est la fin de l’après-midi lorsqu’elle prend conscience qu’il est temps d’aller couper de l’herbe. Elle a complètement oublié le travail qu’elle avait à faire, et voilà qu’en sortant, elle voit le sac, qu’elle avait laissé dehors, rempli d’herbe… On peut penser qu’une de ses amies passant par là l’aura ramassée, ou y voir, comme certains auteurs, une intervention céleste.

Très tôt chez Benoîte se manifeste un caractère mystique marqué. Son âme contemplative est attirée, aimantée par les mystères du ciel. Elle plonge dans l’oraison comme dans tout ce qu’elle entreprend, c’est-à-dire sans calcul, ni demi-mesure. Elle a le goût et le sens de Dieu sans que cela résulte chez elle de cette piété imitative que l’on retrouve chez certains enfants.

L’église de Saint-Étienne d’Avançon devient le lieu privilégié de sa prière. Elle s’y rend de jour comme de nuit, dès qu’elle le peut. Elle a de la chance, si on peut dire… Détruit pendant les Guerres de Religion, l’édifice a été rebâti en 1614 sur des fonds fournis personnellement par Mgr Honoré de Laurens, l’archevêque et prince d’Embrun. Ce n’est pas sans importance dans la vie d’un village : l’église est le centre communautaire, c’est là qu’on se retrouve dimanches et fêtes pour la messe ; on sonne les cloches au moindre événement et même pour détourner l’orage, la vibration des cloches ayant cette réputation. C’est aussi sous l’auvent de l’entrée que se réunit le Conseil de Communauté10, qui gère les affaires communes.

Benoîte va donc prier dans cette église qui se trouve à deux pas de chez elle. On peut l’imaginer à genoux devant les statues de la Vierge, de sainte Anne ou de l’Enfant Jésus. Elle doit dire des Je vous salue Marie, des Notre Père et des Je crois en Dieu, les trois seules prières qu’elle connaisse.

La dévotion naissante qu’elle manifeste pour la Vierge Marie s’enflamme à la suite d’une homélie dominicale de Jean Fraisse. Le curé y parle de la bonté et de la miséricorde de la sainte Vierge en des termes qui la marquent profondément. Retenons ici la capacité d’écoute et d’obéissance de la jeune Benoîte, et aussi cette phrase forte de Maurice Zundel, qui semble avoir été écrite, trois siècles et demi plus tard, pour elle : « Celui qui écoute porte en lui-même une faculté de discernement. » Il faudra s’en souvenir.

Dès ce moment-là, « elle éprouve un grand désir de voir la Vierge Marie et de se mettre à son service11 ». D’autres voyants ont manifesté cette folle espérance avant de bénéficier d’apparitions. Ce sont les mêmes âmes simples, pures, fortes, brûlantes…

Il est clair que Benoîte n’est pas un enfant banal. Non ! Vraiment pas… Il ne faut pas succomber cependant à cette tentation insidieuse qui consiste à relire les événements de l’enfance à la lumière de ce qui va suivre. Que penser de certains épisodes qui fleurent bon la Légende Dorée ? Ne dit-on pas que lorsqu’elle avait huit mois « le démon renversa son berceau pour tenter de l’étouffer12 », qu’à 18 mois « il l’enleva de son berceau et lui passa la tête dans la chatière de la porte » ou qu’il « la cacha sous un lit d’où on ne put l’en faire sortir qu’après avoir fait un exorcisme13 » ? Ou encore comment devine-t-elle, alors qu’elle a trois ou quatre ans, que les gens qui vont frapper à sa porte viennent pour voler, comme elle en prévient sa mère ?

Quand elle a dix ans, sa mère la conduit en pèlerinage à la chapelle de saint Sixte, réputé guérir « les fièvres ». Malgré une forte constitution, elle souffre de maladies chroniques dont on ne connaît pas la nature exacte, et sa mère veut la placer sous la protection de ce saint comme on a l’habitude dans la région. Les voilà donc parties en compagnie d’un groupe de pèlerins de Saint-Étienne d’Avançon, pour Bréziers, un village qui se situe sur les hauteurs, de l’autre côté de la vallée de la Durance. Il faut traverser le fleuve sur un bac, guidé par une corde tendue entre les deux rives.

Au retour, pendant que la barque traverse la Durance, les amarres se rompent et l’embarcation est emportée. La situation devient vite périlleuse, car le courant est fort et le débit important : personne ne sait nager, la barque peut se renverser à tout moment, l’angoisse grandit parmi les pèlerins. Benoîte, qui somnole auprès de sa mère, certainement fatiguée par le voyage, est alertée par les cris et le tumulte. Dès qu’elle voit ce qui se passe, elle dit qu’il faut prier et implorer la miséricorde de Dieu. On l’écoute. Mieux ! On lui obéit en oubliant à la fois son jeune âge et cette peur qui tétanise. La barque finira par achever providentiellement sa course folle dix kilomètres plus loin, sans que l’on sache comment, sur l’autre rive près de Tallard. La tradition y voit une intervention divine. Un oratoire a été élevé en 1870 à cet endroit pour faire mémoire de cet épisode14.

Cette foi en la providence est un trait marquant chez la jeune Benoîte. On l’a vu lorsqu’elle conseille à sa mère de prier Dieu de leur venir en aide après la mort de son père, et maintenant encore face au danger… La réaction paraît quasi instinctive et reflète un naturel profondément religieux. Dieu est Celui en qui elle met toute sa confiance.

La fillette est écoutée. Voilà une autre facette de sa personnalité : cette force de conviction, ce pouvoir qu’elle a d’entraîner les autres. Il y a en elle, comme on le pressent déjà, un charisme capable de séduire, motiver, élever… Une puissance insoupçonnée se dévoile en ces moments intenses : plus tard, elle sera mise au service de la Mission.

On devine enfin à travers les témoignages des habitants de la vallée, une enfant pleine de bonté, de générosité, sociable mais qui, pour autant, sait rester à sa place et demeurer discrète. Madame Astier insiste sur « sa très grande douceur » et son souci constant de « soulager les autres ». « Quoi qu’on lui fît, note-t-elle, elle ne se fâche jamais et se fait aimer de chacun. »

La droiture et la pureté de ses sentiments frappent ses proches, à commencer par les Julien, qui affirment « qu’elle n’a aucun vice15 ». Ses premiers employeurs la décrivent comme une fille « sage, modeste et pieuse », ce qui n’empêche pas une certaine exubérance, beaucoup de spontanéité et de vitalité.

Elle est courageuse. On en aura une démonstration éclatante, un peu plus tard, lorsqu’elle échappera à des muletiers qui voulaient la violer, en s’enfuyant dans les marais où ses agresseurs n’ont pas pu la suivre car ils s’enfonçaient dangereusement dans la terre fangeuse.

L’histoire pourrait s’arrêter là et ne mériterait que la rubrique des faits divers, mais les muletiers sont si admiratifs qu’ils vont se repentir auprès d’elle de leurs mauvaises intentions ! Tout se passe comme si, grâce à Benoîte, ils s’élevaient au-dessus de leur faute.

Elle lutte instinctivement contre le Mal. Son patron, Jean Rolland est réputé pour « parler et frapper en même temps » dès qu’il est mécontent. À dire vrai, tout le monde sait au village qu’il est invivable. Personne ne le supporte et tous le craignent. Seule Benoîte lui fait face paisiblement, lui parle de Dieu et parvient à « l’apaiser ». Sa Mission apparaît comme en filigrane. Quel est ce don mystérieux ? On dirait qu’elle fait prendre conscience de l’influence négative du Mal.

Cet enfant recèle décidément bien des mystères, un destin exceptionnel l’attend… mais cela, nul ne le sait encore. Nul ne peut le deviner.

1 Rebaptisé Saint-Étienne-le-Laus en 1914.

2 Un quartier de la commune s’appelle toujours « Les Chènevières ».

3 C’est la mairie actuelle.

4 Abbé DEPÉRY, Précis historique de la maison de sœur Benoîte, 1851.

5 Les dates de naissance des deux sœurs, Madeleine et Marie, ne sont pas sûres en raison de la disparition des archives.

6 Ga 3 IV (rappel : voir p. 245 la liste des abréviations utilisées).

7 Jean Peytieu (Pe 387), Pierre Gaillard (Ga 5 X et 6 XII) et François Aubin (note 2 sur Pe 387) ne s’accordent pas sur la chronologie des patrons successifs de Benoîte.

8 René LAURENTIN et Michel CORTEVILLE, Découverte du secret de La Salette, 2002, p. 93.

9 On peut situer cet épisode plus tard, en s’en tenant à la chronologie de Pierre Gaillard.

10 Il est composé de deux consuls, quatre assesseurs et des chefs de famille.

11 B.D. p. 38.

12 Ga 3 II.

13 Ibid.

14 On peut découvrir cet oratoire, pas très bien placé, le long de la route entre Tallard et Lettret, sur la gauche. Il a été restauré en 2001.

15 Pe 387.

Chapitre IILE TEMPS DU VALLON DES FOURS(mai-août 1664)

La voici adolescente : elle a seize ans et demi, et conduit un imposant troupeau de « 150 moutons ou chèvres1 ». Nous sommes au mois de mai, en 1664. Benoîte monte par trois fois au sommet de la montagne de Saint-Maurice, qui se trouve au-dessus de Valserres, où elle bénéficie de l’apparition d’un « vieillard habillé de rouge […] avec un bonnet en pointe comme une mitre, qui a une très bonne mine et une longue barbe2. » Il lui dit : « Je suis Maurice » et lui conseille « d’aller dans le Vallon qui est au-dessus de l’église de Saint-Étienne où elle y verra la Mère de Dieu3 ». C’est sur les flancs de la montagne Saint-Jean. On appelle cet endroit le Vallon des Fours, car la pierre à gypse y abonde et on en tire du plâtre en la faisant brûler sur place.

Benoîte lui répond : « Hélas Monsieur, elle est au ciel4 ! » L’apparition ajoute : « Elle est au ciel et sur la terre quand il lui plaît. »

Alors qu’elle s’apprête à redescendre au village, saint Maurice lui donne « son bâton » et la prévient qu’elle rencontrera « quatre loups bien décidés à dévorer des bêtes du troupeau », mais qu’en « les menaçant avec le bâton, ils s’en iront sans faire de mal ». C’est très exactement ce qui se passera, nous donnant ainsi une forte parabole prémonitoire sur la Mission du Laus dans la lutte contre les forces du Mal, symbolisées par les loups.

1. La première apparition

Nous sommes donc en 1664, au début du mois de mai, la mémoire n’en a pas gardé le jour précis. Benoîte mène son troupeau du côté du Vallon des Fours. Elle se trouve à moins d’un kilomètre du village et récite son chapelet comme elle en a l’habitude, quand soudain elle voit en levant la tête, au-dessus d’elle, le long du torrent dévalant la pente qui est très raide à cet endroit :

« une belle dame avec un petit enfant d’une beauté extraordinaire, qu’elle tient par la main5 ».

Benoîte est impressionnée par « l’éclat du visage6 » de la dame.

Cette dame entre et sort à plusieurs reprises d’une cavité qu’il y a dans le rocher, à gauche du torrent, en tenant l’enfant tantôt par la main, tantôt dans ses bras.

– Belle dame, que faites-vous là-haut ? Voulez-vous acheter du plâtre ? lui demande-t-elle comme s’il s’agissait d’une inconnue de passage.

Elle ne reçoit pas de réponse.

– Voudriez-vous, lui propose-t-elle, un peu de pain qui est bon, que nous tremperons à la fontaine…

La dame rit et demeure silencieuse.

On reconnaît bien là Benoîte, n’est-ce pas ? Sa générosité, sa gentillesse et sa spontanéité aussi lorsqu’elle ajoute :

– Voulez-vous me donner cet enfant qui me réjouit tant ?