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  • Texte révisé suivi de repères chronologiques.
"J’ai simplement pensé que, à une époque où l’on s’efforce de remonter aux sources de la science humaine, afin d’y trouver la vérité à peu près impolluée, j’ai pensé qu’il était bon de représenter la source primordiale et traditionnelle de toute connaissance, le flot initial dont toute l’humanité est tributaire … 
J’ai été amené à diviser ce travail en trois parties : l’une — que je présente — relate, sous le titre de « Voie métaphysique », les principes de la Tradition et son mouvement philosophique et cosmogonique : la seconde, sous le titre de « Voie Rationnelle » relatera la systématisation de la Tradition, avec le Taoïsme, ou « Voie et vertu de la Raison », de Laotseu ; — la troisième, sous le titre de « Voie sociale », relatera l’adaptation de la Tradition, avec la philosophie politique et communiste de Kongtzeu (appelé Confucius par les missionnaires chrétiens)."

Extrait de la note explicative (1905)

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La voie métaphysique

Matgioi

Copyright © 2020 Philaubooks, pour ce livre numérique, à l’exclusion du contenu appartenant au domaine public ou placé sous licence libre.

ISBN : 979-10-372-0142-3

Table des matières

La voie métaphysique (1905)

Note explicative

1. La tradition primordiale

2. Le premier monument de la connaissance

3. Les graphiques de dieu

4. Les symboles du verbe

5. Les formes de l’univers

6. Les lois de l’évolution

7. Les destins de l’humanité

8. Les conditions de l’individu

9. Les instruments de la divination

Repères chronologiques

La voie métaphysique (1905)

Note explicative

Ceci n’est point une préface où, prompt à la logomachie, je présente la Tradition orientale à la critique occidentale ; car, en ce qui concerne les choses de l’esprit, il serait plus poli, logique et normal de présenter l’Occident à l’Orient, au cas que ce dernier y consentît.

Je n’ai pas voulu davantage mettre en opposition deux doctrines, ou, pour mieux parler, deux enseignements humains sur une doctrine. — J’ai simplement pensé que, à une époque où l’on s’efforce de remonter aux sources de la science humaine, afin d’y trouver la vérité à peu près impolluée, j’ai pensé qu’il était bon de représenter la source primordiale et traditionnelle de toute connaissance, le flot initial dont toute l’humanité est tributaire ; je l’ai tirée de limbes d’où il est assez délicat de la dégager : d’abord parce que l’obligatoire séjour en Extrême-Orient se fait aujourd’hui encore plus souvent pour y couper des têtes que pour y déchiffrer et y comprendre des textes ; ensuite, parce que l’idéographie où la Tradition s’enferme est abstruse, ou à peu près, à la race blanche ; enfin parce que, si je sais compter, il y a précisément cinq Européens, dont l’un vient de mourir, qui, en même temps que le moyen matériel de lire, ont reçu le moyen intellectuel de comprendre le fonds de leur lecture.

J’ai été amené à diviser ce travail en trois parties : l’une — que je présente — relate, sous le titre de « Voie métaphysique », les principes de la Tradition et son mouvement philosophique et cosmogonique : la seconde, sous le titre de « Voie Rationnelle » relatera la systématisation de la Tradition, avec le Taoïsme, ou « Voie et vertu de la Raison », de Laotseu ; — la troisième, sous le titre de « Voie sociale », relatera l’adaptation de la Tradition, avec la philosophie politique et communiste de Kongtzeu (appelé Confucius par les missionnaires chrétiens).

Cette tâche fort délicate, et dont je puis dire m’être acquitté, sinon avec bonheur, du moins avec scrupule, ne portera sans doute pas de fruits bien agréables au goût européen. Et cependant je dois confesser que, dans le but, plus pratique que louable, de faire immédiatement comprendre les textes sacrés de l’antiquité Jaune, j’ai souvent employé la phraséologie occidentale, et tenu, plutôt que le raisonnement adéquat à ces textes, le raisonnement adéquat au cerveau des lecteurs, toutes les fois que tous deux conduisaient à une conclusion identique.

Je me suis reconnu le droit d’agir ainsi, parce que les enseignements de la « Voie métaphysique » eussent été incompréhensibles sans commentaires ; j’ai donc adapté à la mentalité occidentale, et immédiatement, les commentaires que j’ai faits, au lieu de contraindre à une traduction, toujours fatigante, en langage occidental, des théories en langage jaune, qu’il m’eût été personnellement plus facile d’exposer.

1

Je n’agirai pas ainsi dans la « Voie Rationnelle », non plus que dans la « Voie Sociale » ; car il n’y a pas de raisonnements à ajouter aux enseignements de Laotseu et de Kongtzeu, mais seulement quelque éclaircissement. Outre mon goût naturel, je suis porté à cette rigidité de transposition, en voyant le résultat tout à fait comique obtenu par tels récents pseudo-traducteurs, qui ont cru pouvoir embellir et perfectionner le « Livre de la Voie », et qui, pour ce faire, n’avaient pas même l’excuse d’être membres de l’Institut.

Et si, après la lecture ardue, ou le rejet pur et simple, de ces difficiles, mais merveilleuses doctrines, on me dénie le mérite d’être élégant, intéressant et agréable, du moins serai-je en droit de me rendre ce témoignage que je n’aurai pas cessé d’être un interprète respectueux de la tradition, et un fils exact et pieux des maîtres qui me l’enseignèrent.

Ce témoignage libère ma conscience. C’est de celui-là seul que j’ai toujours été, et que je demeure soucieux. Car le succès de cette petite contingence, qui est l’exposé local d’une doctrine, n’importe pas à un verbe qui se sait éternel.

MATGIOI.

Chapitre 1

La tradition primordiale

Les religions actuelles des peuples jaunes se composent d’une foule d’éléments divers. Il n’y faut voir qu’un fatras populaire, issu de trois foyers générateurs : la religion primitive, le taoïsme, le confucianisme. Ces trois influences, amalgamées plus ou moins heureusement à travers les siècles, constituent la religion traditionnelle de l’empire : à ces trois influences correspondent trois liturgies, qui forment l’ensemble des cérémonies officielles et populaires.

Les voyageurs, les missionnaires, tous les étrangers aux races jaunes, qui ont jugé le statut traditionnel chinois sur cet extérieur, ont pris l’apparence pour la réalité ; eussent-ils d’ailleurs, ce dont ils n’avaient ni le temps ni le goût, essayé de pénétrer plus avant, qu’ils eussent été arrêtés par les détenteurs de la Tradition Primordiale, qui n’est pas vulgarisée parmi le peuple chinois, et que l’on cache a fortiori aux lointains barbares.

Il est facile de méconnaître ceux qui veulent demeurer inconnus. C’est ce que firent les savants occidentaux blancs vis-à-vis des savants orientaux jaunes, et avec d’autant plus d’impunité que nul n’était là pour leur donner la réplique ; croyant qu’on se pouvait passer d’eux, on les ignora : et c’est ainsi que la très vénérable tradition occidentale, pour remonter au commencement des temps, grimpa sur l’Échelle de Jacob, et, faute de mieux, s’accrocha à ce judaïsme, qui n’est qu’une sanglante parodie des vieux cultes hindous, et à ce mosaïsme, qui n’est qu’une adaptation égyptienne délavée dans la Mer Rouge.

Nous nous connaissons aujourd’hui de meilleures et de plus nobles origines ; et quand les conquêtes coloniales de l’Europe n’auraient eu que ce résultat, elles n’en seraient pas moins dignes de la gratitude de l’esprit humain, à qui elles dévoilèrent, inconsciemment bien entendu, les traditions soigneusement cachées derrière les Grandes Murailles, à l’abri des civilisations les plus fermées et les plus antinomiques à nos mentalités.

Je dois essayer ici d’ouvrir au vingtième siècle occidental ce trésor caché depuis cinq mille années, et ignoré même par quelques-uns de ses gardiens. Mais je veux d’abord établir les principaux caractères de cette tradition, grâce auxquels elle apparaît comme Tradition Première, et par suite véritable, et surtout déterminer, par la preuve humaine et tangible que nous laissèrent leurs auteurs, comment les monuments de cette tradition remontent à une époque, où, dans les forêts qui couvraient alors l’Europe et même l’occident de l’Asie, les ours et les loups ne se distinguaient guère des hommes, comme eux couverts de poils et mangeurs de chair crue.

Lorsque Fohi, cet empereur énigmatique, écrivit, trois mille sept cents ans avant Jésus Christ, c’est-à-dire deux mille trois cents ans avant Moïse, les arcanes métaphysiques et cosmogoniques qui servirent de trame au Yiking, il déclara tirer très respectueusement son enseignement du passé, en le déclarant très savant, très prudent, et très difficile à déterminer.

Et, dit-il, il comprend qu’un jour, pour les races futures, son époque sera un passé pareillement abstrus et difficile à préciser.

Il date donc son œuvre, non pas d’une époque conventionnelle ou d’un nom de souverain dont le temps effacera la célébrité et jusqu’à la mémoire, mais bien d’un état solaire et stellaire, qu’il décrit dans tous les détails, et auquel, sans erreur possible, les astronomes de l’avenir pourront assigner une chronologie. Ainsi, tandis que les patriarches hébraïques donnent, parmi les plus gros livres et les travaux les plus revêches, un mal bien inutile aux bénédictins, il suffit, pour connaître la date exacte de Fohi et de son Yiking, de mettre une lunette aux mains d’un des innombrables disciples de M. Camille Flammarion. Sans doute Fohi ne craignait ni le contrôle ni le démenti de la postérité. Et nous insistons sur cette précaution merveilleuse, non seulement pour montrer à quelle perfection était, à ces époques, parvenue la science de l’Astronomie, mais pour faire comprendre, d’un trait, l’esprit pratique, ingénieux, logique et sans nuages, que possédaient déjà les mages chinois d’il y a cinq mille années, esprit qui les distingue de tous les réformateurs de peuples, lesquels, venus plus tard sur la terre, ne vécurent cependant que de légendes et n’écrivirent que des paraboles.

Pour le demi-milliard d’individus qui peuplent l’Extrême-Orient, quelle que soit la forme extérieure de leurs croyances, il n’y a eu, en ce qui concerne l’origine des choses, l’essence divine, et les rapports du ciel avec la terre et les hommes, il n’y a eu, à aucune époque que ce soit, historique ou légendaire (et l’histoire de Chine est authentique depuis cinq mille années), ni révélation divine ni intervention d’en haut. Dans les livres, dans les gloses, dans les traditions, il n’y a rien de « surnaturel » ; l’idée n’en est pas émise ; le mot n’y est pas prononcé. Aucun patriarche n’a vu le Seigneur, comme Moïse ; aucun homme n’eut de conversation avec les anges, comme Mahomet ; aucun saint n’atteignit vivant à la perfection éternelle, comme le Bouddha ; aucun Dieu ne descendit sur la terre, comme le Messie.

Pour raisonner la sévère logique, pour comprendre l’indéniable clarté de la tradition chinoise, il faut préciser, en la marquant fortement, cette distinction originelle : qu’elle se dit humaine, et qu’elle ne réclame que des lumières humaines, à l’exclusion de tout mystère divin et même de tout postulatum métaphysique.

Malgré une erreur très répandue de linguistique, une révélation est précisément le contraire d’un éclaircissement : révéler est l’opposé de dévoiler, comme recouvrir est l’opposé de découvrir ; une révélation est un nuage placé sur la vérité, nuage dont les formes conviennent à l’esthétique morale du moment ; c’est, pour parler brutalement, un mensonge adéquat aux sentiments et aux besoins de l’heure où il est formulé, et destiné à être, dans l’avenir, controversé, nié, et remplacé, à mesure que se transforment les sentiments qui l’ont fait naître.

Est-ce donc là une besogne de Dieu ? et, au contraire, ne convient-il pas de remarquer que la supposition de « révélations » faites par un dieu qui parle ou qui marche et qui vit, est une conséquence de l’anthropomorphisme inconscient, qui fut et demeure encore le maître souverain des conceptions théogoniques d’une bonne partie du genre humain ?

Mais les maîtres de la pensée extrême-orientale n’eurent pas besoin du concours du ciel pour dissiper des erreurs ou pour créer des symboles.

Leurs peuples, satisfaits de la vérité qu’ils n’avaient jamais perdue, ne réclamaient point d’oripeaux pour la couvrir ; ils ne demandaient point la manifestation de Dieu, car ils étaient trop près de lui encore, pour l’avoir oublié ou le méconnaître déjà. Dans la Tradition intacte et dans la parole de ceux qui la transmettaient, ils voyaient clairement le ciel lui-même et son œuvre ; et satisfaits de pouvoir comprendre le Père dont ils descendaient, ils n’éprouvaient point d’urgence à ce qu’une divinité parût à leurs yeux, sous une forme plus ou moins tangible, pour leur imposer une doctrine faite par des hommes et, cependant remplie de mystères étonnant le bon sens humain et renversant la logique humaine.

Ainsi c’est précisément parce que la tradition primordiale sut se perpétuer parmi les Jaunes à qui nous devons les premiers monuments d’écriture et de science, sans avoir eu besoin, pour triompher, de la violence d’un dieu ou d’une intervention céleste, c’est pour cela même que nous devons la reconnaître comme étant appropriée par elle-même au genre humain, et par suite intacte et véritable.

Cette tradition, qui n’est pas dévoilée ni révélée par un dieu, qui n’est pas dogmatisée ni décrétée par les représentants, officiels ou officieux, d’une divinité, ne revêt aucun des caractères propres aux choses qui sont « a priori » au-dessus de la nature humaine, et par là même, hors de la discussion des hommes.

Posons de suite les conséquences pratiques, dans la vie journalière des Jaunes, de cette origine indiscutée de la Tradition Primordiale ; et reconnaissons que, en dehors même de la logique satisfaite et de l’étude rationnelle rendue possible, les Chinois jouirent d’un bonheur inusité dû à la modestie de leurs premiers sages, qui furent aussi leurs premiers empereurs, et qui ne crurent pas urgent, pour être illustres et obéis, de faire sortir leurs décrets de l’antre d’une sibylle, ou de les faire tomber d’une montagne couverte de nuages. Heureux peuples en effet, ceux-là qui ne furent pas contraints à une lutte perpétuelle entre leur raison et leur cœur, qui eurent toujours l’aide et la voix du Ciel à leur portée, qui trouvèrent dans leur tradition sacrée le moyen de leur prospérité immédiate autant que de leur félicité à venir, à qui nulle puissance mystérieuse n’inculqua la crainte d’un souverain d’en haut redoutable et vengeur, et pour qui la pensée de la mort, naturelle et inévitable, n’empoisonna pas leur vie terrestre des affres de l’inconnu.

En effet, cette Tradition, à quoi tout Jaune, même sans la bien comprendre ou approfondir, est aussi attaché qu’à sa famille, à sa terre et à son propre sang, parce qu’elle est, au résumé, tout l’héritage intellectuel et moral des Ancêtres, cette Tradition ne se réclame pas d’une source divine (au moins directe et spéciale à la race) ; elle ignore la doctrine théocratique imposée ; elle ne constitue pas de dogmes religieux. Corollaire immédiat : toutes les religions, toutes les liturgies, qui fleurissent plus ou moins en Extrême-Orient, n’ont pas d’origine traditionnelle ; elles ne participent pas au caractère absolu et infrangible d’un héritage transmis ; elles ne sont que des « facultés » : elles ne peuvent prétendre ni à l’obéissance qu’on doit aux choses léguées comme certaines, ni au respect qu’on doit aux choses léguées comme antiques. La Tradition en personne ne s’impose pas autrement que par sa clarté et la toute puissante vertu de son passé. Comment les religions, traductions plus ou moins pures de cette tradition, dans le but de la plus facilement adapter au populaire, oseraient-elles prendre ce caractère de certitude obligatoire, qui n’est nulle part imposé par la Tradition elle-même ?

« Aimez la Religion : défiez-vous des religions ». Cette maxime, inscrite au fronton des temples et dans l’esprit des hommes, est le seul conseil donné à la race jaune ; et ce conseil n’est pas un ordre. Mais il définit, dans une concision qui n’a d’égale que sa clarté, comment la Religion est précisément la Tradition Primordiale, exclusivement humaine, et comment les Religions, à interventions célestes, sont des moyens plus faciles, mais moins exacts, de s’élever à la Religion.

Et l’on voit immédiatement, de ce système si logique, si simple, si naturel, ou, pour mieux dire, si anti-surnaturel, les conséquences profondes qui découlent pour toute la vie intellectuelle, morale, et même matérielle, des peuples assez sages pour s’y tenir.

La Religion n’a pas d’obligation ; car du moment que, appliquée à connaître l’Essence et la Voie de tous les êtres, la raison purement humaine des premiers Sages en a déduit les symboles et les rites, il est impossible de contraindre les hommes à les croire et à les pratiquer : ce qui est sorti d’un cerveau humain n’est pas a priori obligatoire pour d’autres cerveaux humains. Les maîtres les plus révérés ont cherché à éclairer les dogmes traditionnels de la lumière la plus brillante et définitive ; mais celui qui ne comprend pas n’est tenu à rien ; mais celui qui n’a pas le temps de chercher à comprendre n’est tenu à rien. Et, tout aussi bien que les lettrés les plus savants et les plus studieux, celui-là est quand même entraîné dans l’évolution générale, à laquelle il ne peut heureusement échapper puisqu’il existe.

La Religion n’a pas de sanction ; car ce n’est qu’au nom d’un Dieu, plus ou moins logiquement invoqué, que des hommes peuvent menacer leurs semblables de peines ou de représailles, s’ils ne sont pas crus dans tout ce qu’ils disent, si peu compréhensibles qu’ils puissent être ; et pour que ces menaces aient un effet actif, il faut que ces hommes se déclarent et soient crus les échos d’un Dieu absent et rigoureux. Nul ici n’est donc tenu : chacun est seulement engagé à s’éclairer suivant ses aptitudes et ses moyens et, quel que soit le résultat du travail intellectuel ainsi entrepris, nulle peine, ni dans la vie terrestre, ni dans les autres, n’est suspendue sur ceux qui ne suivraient pas dans leur cœur les enseignements traditionnels.

La Religion n’a pas d’exclusivisme. Il est parfaitement licite, pourvu que les lois ne soient pas enfreintes, de pratiquer ouvertement le taoïsme, le bouddhisme, le confucianisme, ou tel autre culte extérieur ; il est permis d’en changer ; il est permis de n’appartenir à aucun : il y a d’anathème contre personne.

Le Ciel constituant, en fin de l’évolution, l’universalité des êtres ; c’est retarder cette évolution (en admettant la chose comme possible) que de réprouver ou de condamner une parcelle nécessaire de cette universalité.

Il n’y ai donc point de religion d’État, ni de culte de l’État ni de prêtres fonctionnaires : l’état ne protège et ne proscrit aucun culte ; le prosélytisme n’existe pas. L’étude des Religions se poursuit au gré des auditeurs volontaires, chez des maîtres gratuits ; tous les cultes demeurent côte à côte, sous l’œil indifférent de l’État, à cette seule condition qu’ils demeurent dans le domaine des consciences, qu’ils ne se disputent pas leurs adeptes, et que, par l’ambition ou la turbulence de leurs représentants, ils ne fomentent pas dans l’Empire de troubles ni de rébellion contre la loi. Il n’y a pas de persécution : les mesures prises, au cours de l’histoire, contre tels nouveaux cultes, ont été des ripostes et non des attaques.

Il n’y a pas de culte payé : chaque secte ou chaque croyance entretient ses temples et ses prêtres, suivant le nombre et la générosité des adeptes : nul ne s’inquiète de ce qui se passe au fond de ces édifices — dans lesquels, en général, il ne se passe rien du tout, — les religions étant surtout métaphysiques, et les liturgies n’appartenant spécialement à aucune d’entre elles. Et si l’État décrète le lieu et l’époque des honneurs confucéens dans les pagodes commémoratives, c’est que les cérémonies instituées en l’honneur de Confucius n’ont jamais été, de près ou de loin, une religion, mais un Rite civil.

La Religion, au moins en ce qui concerne ces traductions qu’on appelle les religions, et surtout en ce qui concerne le culte extérieur, n’est pas même une affaire de famille ; la naissance, le mariage, la mort ne sont point des affaires religieuses, parce qu’elles sont précisément des affaires naturelles ; et c’est le chef de famille qui est là le seul sacerdote. Entre la pagode du bonze et le foyer de la famille, se dressent, avec toute sa hauteur légale, l’autorité souveraine du père, et avec son antique puissance, le culte familial des Ancêtres, image, réduite à chaque souche, de la Tradition primordiale et générale de l’Humanité. La Religion est donc une affaire de conscience personnelle et d’individuelle liberté ; les principes de la métaphysique et de la philosophie traditionnelles se transmettent, dans les familles, par les lettrés qui en font partie. Hors du mur qui clôt l’enceinte paternelle, rien n’en transpire au-dehors ; et nul n’aurait la témérité, d’ailleurs inutile, de franchir la barrière morale qui protège ainsi l’indépendance et la dignité des citoyens.

Les liturgies n’exigent aucune marque extérieure. Les Rites, déterminés par des séries de lois et de règlements, font partie des principes politiques de l’empire : et la pratique religieuse étant ainsi réduite à rien, les théories ne sont l’objet, entre les observateurs de cultes différents, que de discussions courtoises et souriantes, où ne luit la colère d’aucun regard ou le feu d’aucun bûcher.

Quant à la conduite morale des peuples, qui semble être le but terrestre et immédiat des religions, le philosophe naturiste Confucius s’en charge, en dehors de toute intervention divine ; et on sait de quelle magistrale façon ce doux lettré a éduqué ses disciples, et comment il a mieux conquis l’âme de sa race, que ne firent jamais, des leurs, les prophètes de Judée et de l’Islam, venus parmi les carnages et les malédictions.

Ainsi, le premier des hommes, Fohi cristallisa la Tradition Primordiale 1, Laotseu en tira un corps de doctrine, Confucius en tira un système de morale. Peut-on dire que l’un de ces héritages intellectuels ou que leur amalgame forma une Religion, dans le sens que l’occident donne à ce mot ? C’est impossible ; rien ne serait plus absolument contraire à la vérité. Et cependant il n’y a pas autre chose, dans les races jaunes, pour relier l’homme à Dieu ; et il n’y a pas de pays de l’univers où la croyance à l’Être Suprême soit plus universelle et paraisse plus raisonnable que dans les pays de race jaune. — D’où vient cette apparente contradiction ? Elle vient de l’essence même de la Tradition. Il n’y a pas besoin de religion pour relier l’homme au Ciel 2, la tradition y suffit : elle est le cordon métaphysique par quoi l’Humanité tient toujours à l’Essence ; rien ne l’a rompu ; rien ne l’a relâché ; et cela sera ainsi tout le long du temps. Jamais l’Humanité n’aura fini de naître : et, si elle finit de naître, elle sera devenue, précisément alors, Celui qui l’aura engendrée. Voilà la pierre angulaire de la Tradition. Protégées par les meilleures lois et par la plus calme histoire, les races jaunes n’ont jamais perdu de vue cette pierre angulaire ; une intervention céleste ne leur apprendrait rien de plus : et c’est pour cela que cette intervention ne s’est pas produite, et que nul sage et nul empereur n’ont jugé utile de la simuler. C’est pourquoi la croyance au Ciel est universelle, naturelle et logique. Pour un Chinois, croire à Dieu, c’est croire à lui-même. Dans ces conditions-là, il n’est point d’athées.

Dans la pratique journalière, la conséquence est que, si l’Être Suprême est intéressé aux évolutions de la création, et notamment de l’Humanité, il est très indifférent à ce que l’Humanité s’occupe de lui. Dès lors, point de sacrifices, point de crainte, point d’aumônes et de dons faits au nom de cette crainte : le Seigneur du Ciel couronne cette création sortie de lui, en attendant qu’elle se perfectionne au point de rentrer en lui. Celui-là, qui est la source d’où naît le fleuve, et la mer où il se répand et se perd, ne saurait être l’ennemi des flots qui le composent, à aucun moment de sa course. Et ainsi, sans nier les imperfections qui sont l’inévitable cortège de la divisibilité, le Jaune a de lui-même, de son esprit, et de ses conceptions, une idée de dignité, que lui vaut sa continuité céleste, et qui ne ressemble en rien à l’abaissement où les religions révélées précipitent la créature humaine.