Le Carrefour - Elpy - E-Book

Le Carrefour E-Book

Elpy

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Beschreibung

Le Carrefour est un témoignage sous forme romancée du parcours de soins d’un alcoolique. Il relate la vie de ce malade de la période allant « juste avant » son sevrage jusqu’à celle « juste après » son retour à la vie sociale habituelle. Cet ouvrage montre également la place qu’occupe l’alcool dans notre société. Sam, Katia, Tom, Lisa, Vladimir, Muriel, Esposito, Béa, Éric… certains « boivent », d’autres pas… certains « font avec », d’autres se croisent…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Dès son jeune âge, Elpy a été initié à la lecture par des textes de Jacques Prévert qui lui servaient alors de support. Cet éveil à la poésie l’a conforté et, spontanément, depuis 1994, il a choisi l’écrit pour les cris, les mots pour les maux, en développant des sujets pouvant tous nous concerner.

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Seitenzahl: 174

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Elpy

Le Carrefour

Roman

© Lys Bleu Éditions – Elpy

ISBN : 979-10-377-6563-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

« Hum…

— Sam… debout, fainéant, ton café est prêt…

— Hum… tu es vraiment pressée que je parte…

— Idiot ! »

Katia avait quitté la pièce. Sam avait ouvert les yeux, s’étirait, et prit le temps, comme à son habitude, de regarder le tableau qui lui faisait face. Un clown triste en rouge sur fond noir avec un vieux cadre doré. Il n’était jamais arrivé à savoir si ce tableau avait été offert à Katia par sa famille, par un ami ou par un de ses anciens amants. Et d’ailleurs, il s’en moquait… il était heureux d’avoir fait la connaissance de ce clown.

Puis, il regarda le réveil à quartz de Katia et bondit hors du lit. Et voilà ! Le week-end était terminé…

Il se rasa, prit sa douche et examina ses habits de la veille. Bon, pas trop de dégâts, la chemise n’était pas trop froissée. Elle pourrait tenir jusqu’à ce qu’il rentre se changer chez lui, ce midi.

Pour la brosse à dents, il prit celle de Katia : leur degré d’intimité lui permettait bien ça.

Puis, il se rendit dans la cuisine où Katia, vêtue d’un simple peignoir, achevait un de ces petits déjeuners boulimiques dont elle avait le secret. Il prit son bol de café avec une pomme.

Le silence devenait un peu pesant. Il alluma une Gitanes.

« Je te revois quand ?

— Le plus tôt possible, tu le sais bien. Pas le week-end prochain, je suis chez des amis. Disons le week-end suivant, ça te va ?

— Non.

— Tu as quelque chose de prévu ?

— Non.

— Alors ?

— Alors ? J’en ai marre d’être le joker, le remède contre la solitude de Monsieur ! Pourquoi est-ce que tu gâches toujours les moments passés ensemble ?

— N’exagère pas… on a passé un bon week-end, non ?

— Bien sûr… mais je ne sais pas quand je te reverrai… ni même si je te reverrais ! Peut-être, entre temps, tu auras rencontré LA femme de ta vie… tu sais, celle pour qui tu ne compteras plus ton temps…

— Tu sais bien qu’en semaine nos horaires sont tels qu’on ne se verrait pas plus…

— Emmène-moi chez tes amis, le week-end prochain… »

Sam se tut. Puis, il regarda sa montre.

« Oh là là ! Il faut que j’y aille ! Bon, je t’appelle dans la semaine ?

— Ce soir ?

— Ce soir ! Promis, mon bijou ! »

Il passa sa main droite dans l’échancrure du peignoir, tandis que la gauche caressait ses cheveux noirs. Puis, il se pencha, l’embrassa sur le bout des lèvres et se retira en douceur avant de se diriger vers le hall, prendre ses clefs et descendre l’escalier.

Sacrée Katia ! Toujours, le même refrain… deuxième étage… enfin, elle finit chaque fois par se calmer… premier étage… de toute façon, il est hors de question qu’elle vienne le week-end prochain ! Rez-de-chaussée et sortie des artistes !

Bon, au fait, où est la voiture ? Ah, c’est vrai, j’ai dû la garer au coin hier soir… pourvu qu’elle démarre, ce matin !

Sam prit place avec précaution dans sa Simca 1100 rouge, qu’il avait quand même payée mille francs, et dont le siège du conducteur ne tenait plus que par deux boulons, ce qui renforçait l’utilité du volant ! Il démarra, mit le poste en route et s’engagea sur les boulevards. Le crachin, régulier, collait la poussière aux façades et faisait ruisseler le pavé.

Évidemment, comme toujours quand il pleut, ça ne roule pas ! Enfin…

Il n’arriva au travail qu’avec dix minutes de retard. Pour un lundi, s’il comparait avec ses collègues, il était bien en avance ! Ce qui lui permit de préparer le café et de s’installer dans la « cafète’ ». Puis les uns et les autres arrivèrent et ils devisèrent ensemble sur le week-end écoulé, alors que le public s’agglutinait dans la salle d’attente.

Bon gré mal gré, chacun regagna son poste de travail, et Sam son bureau sous le toit au deuxième étage.

Il profitait souvent du lundi matin pour se mettre en règle avec ses paperasseries qu’il oubliait toute la semaine. Puis, il préparait son programme de prospection hebdomadaire, en ayant soin d’y intégrer deux visites à Éliane, en début d’après-midi.

« Alors Sam, en plein boulot ?

— Eh ! Joseph ! Et alors, ces vacances en Afrique du Sud ?

— Superbes ! D’ailleurs, j’ai pris des diapositives et, à l’occasion…

— Oh, tu sais, pas la peine de te fatiguer ! Pour certains pays comme l’Afrique du Sud ; le Zaïre ou la Yougoslavie, je préfère encore m’en tenir aux photos de Paris-Match !

— Toujours aussi aimable…

— Disons plutôt que je continue à penser que les conflits permettent à certains de visiter à pas cher les coins du monde les plus reculés…

— Bon, je vois ce que c’est ! Je te laisse à ta crise politique ! On mange ensemble ce midi ?

— Ça marche. Tu réserves au Bistrot du Quai ?

— C’est comme si c’était fait.

— Salut, touriste !

— Salut, anar ! »

Sacré Joseph… tiens, si j’appelais Éliane ?

Après avoir fermé la porte, il composa un numéro de téléphone. Une voix rauque lui répondit :

« De tout un peu, Éliane à votre service, bonjour !

— Bonjour, madame, ce serait pour savoir si vous assurez des prestations de siestes crapuleuses ?

— Sam ! »

Elle riait :

« Un de ces jours, je répondrai avec le haut-parleur et mon boss sera en face !

— Pour l’instant, tu n’as pas répondu à ma question…

— Passe à quinze heures, il n’y aura personne avant dix-huit heures.

— Hum… fantastique ! Et Fred, il bosse comment, ces temps-ci ?

— De nuit ! Toute la semaine !

— Hé hé ! J’ai bien fait d’appeler… bon, il faut quand même que je bosse un peu ! À cet après-midi !

— Ciao ! »

Au moment où il raccrochait le combiné, quelqu’un frappa à la porte.

« Oui, entrez !

— Salut, Sam, ça va ?

— Comme un lundi, ma biche, comme un lundi…

— Quand tu arrêteras de faire la bringue, ça ira sûrement mieux… tiens, ce sont les messages de vendredi et de ce matin, rien de très urgent…

— Faux ! Tout client a un manque affectif quand il appelle, et c’est pour ça qu’il est urgent que je le rappelle : pour qu’il sache que je l’aime encore !

— Par contre, moi, tu ne m’embrasses même pas !

— Ah, Lisa, avec ce que tu m’as dit tout à l’heure à propos de mes "bringues", j’aurais peur que tu croies que je te drague !

— Hé ! Peut-être que je n’aurais pas peur…

— Toi, non, mais moi, si ! Ne jamais mélanger ses collègues et ses copines ! J’ai déjà essayé, ça a toujours foiré… et de manière mesquine en plus ! Fais-toi virer, on y verra plus clair.

— Couillon ! Allez, à plus tard… Don Juan ! »

Don Juan ! Drôle d’idée… c’était vraiment se fier aux apparences… à moins que Don Juan ait été, lui aussi, très malheureux et très seul…

Car, si Sam cherchait la compagnie des femmes, célibataires ou mariées, c’était bien par peur de sa propre solitude, un peu pour se rassurer, pour entretenir l’illusion de ne pas être « seul »… et le plaisir qu’il cherchait n’était peut-être pas tant charnel que calorifique… ah, sentir la chaleur d’un corps à côté du sien quand on dort… même si, parfois, pour vaincre sa peur du froid du lit, il devait fermer les yeux sur certaines « valeurs »… oublier le mari absent… oublier qu’il savait certaines nuits sans lendemain…

***

Après avoir rangé l’appartement en ruminant toute la matinée, Katia prenait le temps de manger dans sa cuisine aux tons bleu et jaune d’or.

Elle n’avait cessé de penser à Sam et se demandait si un jour, il réaliserait qu’elle tenait à lui plus que comme un copain du week-end ! Et encore, pas tous les week-ends…

Comment lui faire comprendre qu’elle connaissait ses relations dispersées sans le blesser ni le faire fuir ? Comment lui faire admettre que la vie de couple n’est pas forcément un enfer, et que, en tout cas, l’enfer, il y arrivera bien plus vite s’il continue à boire comme il boit en ce moment ? C’est vrai qu’il « encaisse », mais, elle, elle sait quand il passe le point de non-retour. Elle, elle le sent quand il échappe à tout le monde et se réfugie dans le goulot…

Comment faire pour qu’il sache que sa carapace, elle l’a percée depuis longtemps, et qu’elle sait qu’il n’est pas heureux ainsi, elle qui serait prête à tout pour qu’il le soit ?

Au début, elle aussi s’était fait prendre au piège par ce jeune homme provocateur, toujours vêtu de jeans sales ou trop longs, mal rasé, aux chemises mal repassées, à la guimbarde bruyante, avec sa casquette bleu marine, son charme et son sens de l’humour…

Provocateur, certes, mais au moins sortant du rang des jeunes gens lisses ou de ses collègues du Théâtre qui se prenaient déjà pour des stars alors qu’ils montaient sur les planches pour la première fois !

Dans les premiers temps de leur relation, ils se voyaient très souvent, et Sam appelait tous les jours… jusqu’au jour où elle lui avait proposé la vie commune ! Elle ne l’avait alors plus vu pendant trois mois !

Le jour même, il avait changé son numéro de téléphone et s’était inscrit en liste rouge.

Elle n’arrivait pas à y croire. Qu’avait-elle dit qui pouvait déclencher une telle réaction ? S’était-elle fait rouler par un aventurier au cœur sec ? Peut-être allait-il revenir aussi vite qu’il était parti…

Mais les jours passaient. Le téléphone restait désespérément muet, la boîte aux lettres sordidement vide. Le seul trésor qui lui écrivait était « public »…

Alors, Katia s’était mise à fuir cet appartement. Elle passait ses journées au Théâtre, à répéter. Et quand ce n’était pas possible, elle errait à travers la ville, à la recherche d’un nouveau chapeau pour sa garde-robe. Elle aimait les chapeaux de velours, aux couleurs chaudes, qui valorisaient si bien ses épaules. C’était une manière de rester en vie.

Pour vaincre la solitude et ne plus trop penser à la sonnerie du téléphone, elle avait acheté l’intégrale d’Édith Piaf. Par moments, on aurait pu croire que le poster de Piaf sur scène, qui se découpait sur le mur blanc du hall, se mettait à vibrer… Elle pensait à Sam mais n’osait pas le contacter à son bureau. Alors, elle restait seule, avec ses questions sans réponse…

Puis, Sam avait repris contact, et depuis elle le voyait de manière épisodique.

Accepterait-il un jour de vieillir ? Pourraient-ils construire quelque chose ensemble ?

La sonnette retentit. Deux coups brefs, trois coups longs : c’était Béa ! Elles s’embrassèrent.

« Et alors, tu n’es pas au Théâtre ? Attention, Béa, tu n’auras pas tes trois quarts d’heure d’avance…

— Tu parles ! J’ai eu Esposito au téléphone : la répétition est repoussée à demain… alors, comme ça fait longtemps qu’on n’a plus papoté ensemble, et puisque les vitrines sont alléchantes, je pensais…

— Bravo ! Ça, c’est une idée ! Ça va me sortir de ma léthargie ! Le temps de me changer…

— De changer quoi ?

— De tenue, pardi ! Ça, c’est celle de "représentation". Mais là, je peux m’habiller cool avec un jean ! Tu veux que je t’en prête un ?

— Hé ! Pourquoi pas ? Et pendant que tu y es, prête-moi donc aussi un de ces gros pulls à grosses mailles de laine que ta grand-mère te confectionne !

— Ça marche ! Mais à une condition…

— Laquelle ?

— Tu te démaquilles !

— D’accord ! »

Un quart d’heure plus tard, elles étaient redevenues lycéennes, et leur joie les rajeunissait tout autant.

Elles décidèrent de partir à pied, sans sac à main, libres comme l’air !

Le vent froid les surprit dès leur sortie dans la rue. Elles se donnèrent le bras et partirent le long du quai en riant.

Les rues étaient féériques et l’approche de Noël rendait attirants jusqu’aux magasins les plus repoussants. Chacune piochait des idées de cadeaux dans les vitrines, mais sans rien acheter pour autant. Après deux heures de marche, frigorifiées, elles décidèrent de bouder exceptionnellement le chocolatier qui tenait un salon de thé, pour se réfugier dans une échoppe algérienne où elles pourraient déguster du thé à la menthe et des friandises méditerranéennes…

Il y avait peu de monde. Quatre habitués tapaient le carton dans l’arrière-salle, mais la boutique était plus fréquentée par les clients de la vente au détail que comme salon de thé. Aussi avaient-elles pu choisir leur table, dans un coin, à côté de l’étal.

Ce fut Béa qui amorça la conversation.

« Tu sais, pour Alex ?

— Quoi ?

— Ben… Alex et moi…

— Oui. Eh bien, qu’est-ce qu’il y a ?

— Alex me trompe.

— Ah.

— J’en suis sûre, tu sais. Je sais même avec qui !

— …

— Qu’est-ce que tu ferais ?

— Pardon ?

— À ma place, qu’est-ce que tu ferais ?

— Ah, ça… c’est dur à dire… c’est déjà si difficile d’être à ma place…

— Oui, mais toi, si tu voulais…

— … je pourrais être "casée" avec un type que je n’aimerais pas et qui me ferait dégoûter de moi-même ! Non, merci. Moi, celui que je veux, je ne sais pas s’il viendra un jour avec moi, mais je sais que c’est lui… et lui, il continue à cavaler, aveugle et sourd !

— Il y a quelque chose, au moins, entre vous ?

— Oui, bien sûr… mais c’est insuffisant et instable…

— Dis… je le connais ?

— Oui.

— Ah…

— Ne cherche pas, c’est Sam.

— Non !

— Si.

— Ah, ça…

— Quoi ?

— Rien… enfin, ça me fait drôle de vous imaginer ensemble… vous êtes tellement différents… et puis…

— Et puis ?

— Rien.

— Si, dis-le.

— Sam m’a toujours effrayée. Je ne sais pas pourquoi, note, mais, pour moi, il est dangereux. Je n’arriverais pas à t’en dire plus…

— C’est pourtant simple : il boit, il fume, il charme, il provoque, il s’habille mal !

— Il y a de ça…

— Et il me trompe aussi, d’ailleurs… enfin, ce n’est pas vraiment moi qu’il trompe. Il se trompe, il trompe l’ennui. C’est un trompe-la-mort…

— Mais tu ne te sens pas bafouée d’être trompée ?

— Bafouée ? Non… un peu triste, bien sûr. Mais ce qui m’intéresse chez lui va au-delà de son corps et de ses apparences. Le jour où il l’aura compris, et accepté, je pense que le meilleur remontera à la surface… et Dieu sait qu’il y en a, du meilleur, chez lui…

— Il le cache bien, dis donc !

— Oui. Il m’a fallu du temps pour m’en apercevoir, tu sais. Dis, tu permets qu’on revienne à Alex et toi ?

— Ben, oui…

— Qu’est-ce que ça t’apporte de savoir où, quand et avec qui il couche ? Tu ne crois pas que ce sont des blessures inutiles ? Ne cherche pas à en savoir davantage… Tu finirais par le haïr à force d’imaginer cette relation où tu n’es pas désirée…

— Je ne peux quand même pas m’en foutre !

— Des détails, si… il vit encore avec toi ? Donc, rien n’est perdu !

— Tu parles ! Je suis sa femme de ménage ! Je repasse les chemises contre lesquelles une autre va se frotter !

— Arrête… au moins, toi, tu as su le séduire pour qu’il reste à tes côtés ! Et il reste encore, d’ailleurs… ça fait combien de temps ?

— Qu’il me trompe avec cette chienne ? Trois mois !

— Mais non, idiote, que vous vivez ensemble…

— Cinq ans…

— C’est beau…

— Tu parles !

— Ah, si je pouvais avoir Sam avec moi pendant 5 ans… tu sors parfois avec Alex ?

— Ah, ça, maintenant, c’est hors de question !

— Au contraire ! Donne-lui, toi, ce qu’il va chercher chez l’autre, ces petits imprévus, ces soupers aux chandelles, ces salons de thé le week-end, ces surprises, ces petits cadeaux…

— Pour rencontrer sa maîtresse à un coin de rue !

— Alors là, ce serait une victoire totale ! Réfléchis… »

Elles rirent. Longtemps, avec force, aux larmes. Et elles recommandèrent aussitôt un thé à la menthe avec leur troisième assiette de friandises !

« Tu as peut-être raison, Katia… dis, tu permets que je te parle aussi franchement ?

— Vas-y, je t’écoute.

— C’est pour Sam… tout à l’heure, tu t’imaginais avec lui après cinq ans de vie commune…

— Hum…

— Tu n’as pas peur qu’il devienne poivrot ?

— …

— Tu m’en veux ?

— Non. Franchement, non. J’y ai déjà pensé. Et j’irai plus loin que toi : c’en est déjà un. Ça n’empêche…

— Oui, bien sûr… mais ça peut quand même être dur à vivre, parfois…

— Sam boit parce qu’il est dans le désert. Et dans le désert, tu apprécies l’eau, le jour où tu trouves l’oasis…

— Es-tu sûre d’être son oasis ?

— C’est à lui de décider. Qui sait, quand il en aura marre des mirages ?

— Ça peut prendre du temps…

— Ça prend du temps. Mais il n’y a que lui qui puisse m’apporter autant…

— Ah, ces mecs !

— Comme tu dis ! »

Soudain, elles s’aperçurent qu’il faisait déjà nuit. Avant de partir, Béa acheta des friandises, en glissant à Katia :

« Ça, c’est la première surprise ! »

Quand elles s’embrassèrent, on aurait cru deux complices de longue date qui mettaient tout leur amour dans leur embrassade…

***

À peine était-elle rentrée chez elle que Katia dut courir au téléphone : c’était Sam.

« Salut Miss ! Comme promis, je t’appelle…

— Ça va ?

— Crevé ! Tu parles d’une journée !

— Tu fais quoi ce soir ?

— Pour l’instant, rien. Pourquoi ?

— Je t’invite à souper chez un "Russe".

— Tu as gagné au loto ?

— T’occupe ! Alors, c’est oui ?

— Da !

— Tu passes me prendre vers vingt heures ?

— Plutôt vingt heures trente. Il faut que je passe chez moi me changer. Je n’ai pas eu le temps à midi…

— D’accord. Ah, au fait, tenue de soirée de rigueur !

— Hé ! Tu ne vas pas me reconnaître !

— Si, si…

— Bon, d’accord, je termine ce dossier et je décolle !

— Bisous…

— Bisous. »

Eh bien ! Encore heureux que Fred, le mari d’Éliane, se soit cassé la patte à midi ! Comme quoi, après la pluie, le beau temps !

Pauvre Fred ! Non seulement il avait un plâtre, mais en plus il, s’était fait engueuler copieusement par Éliane, furibarde de voir une semaine de vacances nocturnes lui passer sous le nez… enfin, comme disait la tendre épouse, il serait plus prudent qu’il aille dans un centre de rééducation en bord de mer…

« Encore là, Sam ?

— Eh oui, patron, plus qu’un dossier à terminer…

— Bon courage ! N’oubliez pas de fermer l’ordinateur. Et demain, arrivez donc un peu plus tard !

— Merci, patron.

— Bonne soirée !

— À vous aussi. »

Sam passa chez lui, où régnait un capharnaüm indescriptible. Il eut toutes les peines du monde à retrouver son costume, avant de choisir une chemise assortie à laquelle il ne manqua de bouton et qui ne fut ni tâchée ni brûlée ! Puis, ce fut une partie de cache-cache avec le fer à repasser… pour enfin s’apercevoir qu’il avait grossi et que, si le pantalon pouvait être mis en le maintenant en dessous du ventre, la veste, elle, ne pouvait plus être fermée. Alors, il mit une écharpe bleu marine autour de son cou, la laissant pendre sur l’ouverture de la veste. Le résultat était acceptable.

C’est donc un quasi-gentleman (enfin, gentleman-farmer) qui prit le volant de la voiture la plus redoutée des tympans du quartier !

***

Trois coups de sonnette brefs : c’est Sam !

Katia ouvre. Et rit ! Il faut voir la tête de Sam…

« Eh oui, ce soir, j’inverse les rôles : j’invite, tu es bien habillé, et je suis plus que cool. »

« Ça, pour être cool… »

Katia avait son jean délavé, un gros col roulé jaune sous un pull marin troué, et des baskets fortement usagées.

« Je te choque ? »

« Non… mais je suis quand même un peu surpris…

— On y va ?

— Quand tu veux. C’est loin ?

— Rue des Franciscains. On prend ta voiture et c’est moi qui conduis !

— Bien, chef ! »

Le spectacle de cette Katia inconnue au volant de sa guimbarde fit rire Sam aux éclats. Et ils arrivèrent souriants au restaurant russe.

Ils commandèrent un bortsch. Comme il y avait vingt minutes d’attente, la Maison leur offrit une vodka.

« Tu ne préfères pas autre chose ? »

« Non, non, Sam ! Ce soir, je bois mon verre, comme une grande fille ! »

Elle but sa vodka cul sec. Pendant ce temps, Sam lampait la sienne.

« Sam…

— Oui…

— Je sais quelle est ta vie, je ne suis pas dupe. Mais je t’aime. Je n’aime que toi, je suis prête à tout pour toi.

— …

— Est-ce que tes "trophées" te rendent heureux ?

— Hum… tu reprends une vodka ?

— Non, merci. Mais sers-toi si tu en veux une… »

Sam se servit une dose « coloniale ». C’est ainsi qu’il appelait les verres remplis d’alcool à ras bord. Elle lui prit la main ; il ne la retira pas…

« Qu’est-ce que tu proposes ?

— Je ne propose pas Sam… je demande… viens vivre avec moi, rien qu’un mois… essayons !

— Chez toi ou chez moi ?

— Comme tu veux…

— Tu crois…

— Quoi ?

— Que tu vas me supporter ?

— Je t’aime. »

Entouré de deux violons, le serveur amena le bortsch. C’est au son de la musique tzigane qu’ils furent servis, alors que leurs yeux à tous deux brillaient de mille reflets, et ils n’étaient pas exclusivement liés à l’alcool. Sam souriait.

Ils mangèrent en silence, se dévorant des yeux et se parlant par des regards. Comme dessert, ils commandèrent des crêpes Suzette, qui n’avaient rien de Russes mais présentaient l’avantage de demander un quart d’heure d’attente.

« Sam… la seule chose que je te demande, pendant ce mois, si tu acceptes…

— Hum…