Le choix du vide - Steph Davis - E-Book

Le choix du vide E-Book

Steph Davis

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Beschreibung

Il suffit d’un déclic, d’un choix fait à un moment clef de sa vie pour la rendre complètement extraordinaire !

Steph Davis, une américaine hors limite, qui aime prendre des risques, se laissant guider par son instinct et agissant en fonction de ce qu’elle ressent au plus profond d’elle-même. Pour inégalée qu’elle soit, sa place dans le monde de l’alpinisme a quelque chose de profondément humain. Dans ce livre, elle raconte ses débuts dans le monde de l’escalade et quelques-unes des aventures qui ont forgé sa carrière, mais elle parle surtout des choses de la vie pour essayer de comprendre les moteurs qui la poussent à grimper, à sauter du haut des parois ou à voler en wingsuit. « Pour moi l’escalade a toujours été plus que le fait de grimper ». 

Largement salué aux États-Unis, cet ouvrage d’une totale franchise et d’une haute sensibilité se donne à lire comme un essai intime, à la tonalité très poétique. Il réconcilie le goût de l’extrême avec les valeurs universelles que sont l’amour, l’amitié, l’enrichissement personnel, l’intimité. Au-delà, il offre une généreuse leçon sur ce qu’est la force de l’esprit.

Un roman biographique qui saura vous faire voyager et retenir votre souffle en même temps que celui de Steph Davis !

EXTRAIT

J’ai commencé à grimper en 1991, le jour de la marmotte, sur une petite falaise au bord de la rivière Potomac, dans le Maryland. Je n’étais pas venue pour célébrer cette fête, mais, bien des années plus tard, un souvenir m’assaillit : j’étais assise dans la lumière tamisée du soleil, m’exclamant « C’est le Jour de la marmotte et il fait encore assez chaud pour être en T-shirt ! » À tout moment dans notre existence, nous prenons des décisions qui affectent le cours de notre vie. Parfois, l’une d’entre elles peut tout faire basculer. Comme celle que j’ai prise un jour de manquer mon cours de math de première année à l’université du Maryland et d’essayer pour la première fois cette chose mystérieuse qui s’appelle l’escalade.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Steph Davis est une star américaine de l’escalade, de Base Jump et de sauts en wingsuit. Née en 1972 à Columbia, dans le Maryland, elle s’est fait connaître par ses escalades en Patagonie avec la première ascension en un jour de la Torre Egger en compagnie du célèbre grimpeur Dean Potter.

En 2003, elle réussi à gravir la paroi d’El Capitan, 900m, en un seul jour ; puis en 2005, elle réalise la première ascension féminine en libre du Salathé (Yosemite). Elle s’est aussi illustrée par de nombreuses ascensions en solo intégral comme le Diamond (Colorado). L’escalade n’est pas l’unique passion de Steph Davis, elle aime aussi sauter du haut des parois en wingsuit ou en base jump ; une discipline où elle excelle.

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PRÉFACE

« Risquez tout pour l’amour si vous êtes un être humain véritable. » Si l’alpiniste et grimpeuse américaine Steph Davis a choisi ces mots de Rumi, le poète mystique Soufi, pour ouvrir le récit de ses aventures verticales, c’est qu’ils résument à merveille son itinéraire.

Suivre sa passion coûte que coûte, affronter tous les obstacles, travailler sans relâche, ne jamais abandonner et se défier de regarder derrière soi. L’esprit d’un Samouraï incarné par une belle et fine jeune femme brune.

Au-delà de l’exploit et de la performance, c’est l’être tout entier qui s’engage ici. L’être profond et qui a charge d’âme.

La Patagonie, El Capitan en libre, les solos sur les tours de grès de Moab ou le base jump sont autant de territoires ultimes à explorer pour une meilleure connaissance de sa géographie intérieure. Pour atteindre des instants de grâce, il faut prendre tous les risques. Et pour oser se jeter dans l’inconnu sans filet, il est nécessaire de s’affranchir du doute, cette épée de Damoclès dont le tranchant menace nos élans.

À la lumière des écrits de ses maîtres, Rumi et le grand yogi Iyengar, Steph Davis met en œuvre la discipline nécessaire à l’accomplissement de ses rêves. Son exigence est garante de son succès. Toutes les disciplines où elle s’aventure, réalisant au passage des exploits et des premières, sont, comme le yoga qu’elle pratique assidûment, des entreprises d’auto-réalisation, de libération. L’idée qu’il nous faut, dans cette vie, parvenir à dépasser nos peurs, nos préjugés, pour accéder à une vision juste de la réalité, à une conscience claire. L’idée que le vide est la solution. En soi et autour de soi.

Une démarche ardente qui ne s’accommode d’aucune concession et qui engendre nécessairement l’esprit de solitude. Une solitude bénéfique qui est une rencontre heureuse avec soi-même. Un face à face inestimable. Les heures passées au sommet d’El Capitan à déchiffrer seule le rocher, éveillent les sens, affinent les perceptions et éclairent le mental.

Combien de fois dans notre vie avons-nous eu le sentiment d’être en accord profond avec nos convictions et nos rêves d’enfant ? Combien de fois nos actes ont-ils fidèlement traduit nos pensées ? En se plongeant dans les aventures de Steph Davis, avec effroi et délice, on rêvera peut-être de longues escalades, de grands voyages ou de simples marches dans une forêt inconnue mais surtout, et c’est là sans doute le plus fort message de ce livre, on se promettra d’être plus attentif à notre petite voix intérieure, celle que le quotidien étouffe souvent et dont il faut raviver le souffle, au risque de passer à côté de nos aspirations profondes, de notre vie.

En chemin, la grimpeuse a croisé des êtres exceptionnels qui ne doutaient pas de ce qu’ils pouvaient accomplir et ces rencontres, brisant les dernières barrières du doute et de la peur, l’ont aidée à se façonner, à devenir la singulière aventurière du vide qu’elle est aujourd’hui. Partageant à son tour le fruit de son expérience, comme tous les funambules, elle aiguillonne en nous le besoin de se dépasser, d’élargir nos horizons et d’épurer nos vies.

L’accès à la joie véritable n’a pourtant rien d’aisé, rien de confortable. Elle va souvent de pair avec l’ascèse et la souffrance. « La souffrance porte son propre remède comme un enfant », écrit Rumi. Plus profond sera l’engagement, plus authentique et plus vraie sera la joie. Voler vers l’essentiel, tracer sa propre voie sur le rocher ou dans le ciel en gardant à l’esprit qu’un tel pouvoir se gagne, que les ailes ont un prix.

Stéphanie Bodet

À FLETCH

Les amoureux finalement ne se rencontrent nulle part.Ils sont tout le temps l’un en l’autre.

Rumi

1. PASSION VERTICALE

Risquez tout pour l’amour, Si vous êtes un être humain véritable.

Rumi

J’AI COMMENCÉ À GRIMPER en 1991, le jour de la marmotte1, sur une petite falaise au bord de la rivière Potomac, dans le Maryland. Je n’étais pas venue pour célébrer cette fête, mais, bien des années plus tard, un souvenir m’assaillit : j’étais assise dans la lumière tamisée du soleil, m’exclamant « C’est le Jour de la marmotte et il fait encore assez chaud pour être en T-shirt ! »

À tout moment dans notre existence, nous prenons des décisions qui affectent le cours de notre vie. Parfois, l’une d’entre elles peut tout faire basculer. Comme celle que j’ai prise un jour de manquer mon cours de math de première année à l’université du Maryland et d’essayer pour la première fois cette chose mystérieuse qui s’appelle l’escalade.

Jusque-là, je n’avais jamais fait le moindre sport. Dès l’âge de trois ans, je passais mon temps à jouer du piano, de la flûte, à lire et à faire mes devoirs. Une enfant modèle ! J’aimais beaucoup fureter dans les bois, mais cela n’avait rien de sportif. Étrangement, pendant ma dernière année de lycée, j’ai commencé à m’intéresser au VTT, puis très vite je parcourais avec enthousiasme les bois et les environs du campus de l’université du Maryland. J’aimais littéralement chaque pièce de mon VTT, passant des heures à le démonter et à le remonter. C’était avant l’arrivée des suspensions antichoc et avant que les casques deviennent la norme. Évidemment, je tombais et me faisais mal régulièrement, dont une fois, à ma grande honte, en traversant une colline herbeuse entre les salles de classe.

Je dois à cette nouvelle passion d’être devenue alpiniste. Par un jour ensoleillé, je prenais mon petit déjeuner à la terrasse d’un café, mon VTT posé à côté de moi. Mon université ne favorisait pas vraiment les activités de plein air. La plupart des étudiants se déplaçaient en chaussures de ville et restaient confinés le plus souvent à l’intérieur. Mon allure débraillée et mon VTT peint par mes soins seraient passés inaperçus à Boulder2, mais à College Park, je dénotais ! Je crois que de tous les jeunes de dix-huit ans de l’université, j’étais la moins mondaine. Au cours des ans, j’ai nourri mon cerveau de milliers de livres, mais je ne m’intéressais guère aux rouages des hiérarchies sociales autour de moi. J’ai mis des années à comprendre ce qui s’était passé ce jour-là, mais le fait est qu’un jeune gars du Wyoming, athlétique et beau garçon, arrêta son VTT près de moi et engagea la conversation, me proposant d’aller grimper avec lui. Je ne connaissais strictement rien à l’escalade, pourtant j’eus le sentiment que grimper et faire du VTT étaient deux activités assez proches, et sans même me demander pourquoi un garçon voudrait grimper avec une fille qui n’en avait jamais entendu parler, j’acceptais immédiatement.

Vous vous demandez certainement comment une personne qui passait son temps à lire s’est débrouillée pour tout ignorer de l’escalade ou même de l’alpinisme. Je n’en ai aucune idée. Tout ce que je peux dire est que j’ai grandi dans les faubourgs, que les sports de plein air n’étaient pas encore à la mode, et je ne lisais pratiquement que des classiques. Toute mon enfance, mon livre favori a été Le Meilleur des mondes3, qui traînait dans la maison, une relique d’un des cours de collège de ma mère. Chaque journée d’ennui, je le relisais, au point d’en connaître presque tout le contenu par cœur. Quand j’ai compris qu’il ne s’agissait pas simplement d’une histoire de science-fiction, j’étais déjà totalement et irrémédiablement imprégnée de sa critique sociale. Cela a sans doute profondément influencé ma vision de la vie et m’a transformée, très jeune, en anticonformiste. Quelque chose en a été la cause, aussi, autant en rendre Huxley responsable. Quoi qu’il en soit, je vivais déjà dans mon propre petit monde, comme aujourd’hui, et l’escalade ne faisait pas encore partie de ma vie.

Lors de ce tout premier jour d’escalade, grimpant n’importe comment, glissant et gesticulant sur une dalle de dix mètres, je fus conquise sur-le-champ, et je décidai de tout changer dans ma vie pour me consacrer entièrement à l’escalade. Je ne savais pas que je venais de faire l’expérience du type d’escalade le plus sûr et le moins spectaculaire qui soit, avec une corde au-dessus de moi, m’assurant pour m’empêcher de tomber de plus de quinze centimètres. Pour moi, c’était comme une porte qui s’ouvrait sur un nouveau monde !

Au cours des quinze années qui suivirent, ma passion pour l’escalade n’a pas diminué, mais s’est transformée en un amour profond. J’ai appris les joies et les limites des nombreuses disciplines qui composent l’escalade, l’intensité des courts problèmes de blocs, la complexité de l’escalade artificielle avec des cordes et tout un équipement permettant de vivre dans les grandes parois, la rapidité du style alpin sur les parois rocheuses et les pentes de neige dans les montagnes. J’ai appris à pousser mes propres limites dans des projets en solo intégral, sans corde ni protection, où l’esprit se vide vraiment, détaché de tout sauf du rocher.

Mes choix d’escalade ont toujours été dictés par l’instinct. En vérité, ce n’était pas un choix, mais plutôt un abandon devant l’inévitable. Même aujourd’hui, alors que je suis censée être adulte et plus sage, je prends les décisions les plus fondamentales de ma vie de manière impétueuse, ne me fiant qu’à ce que je ressens en moi, et je ne regarde jamais en arrière. Je ne sais pas faire autrement.

Bien qu’ayant réorganisé ma vie pour assouvir ma nouvelle passion pour l’escalade, j’ai quand même terminé mes études universitaires, et j’ai même obtenu un master. J’ai profité d’un programme d’échanges d’étudiants pour passer ma deuxième année d’études à l’université de l’État du Colorado. J’y revins pour mon master, et bien sûr, je choisis la littérature alpine comme sujet de thèse. À cette époque, le département de lettres n’acceptait pas cette branche de la littérature, mais grâce à l’appui et à l’ouverture d’esprit de mon comité de thèse, je fus autorisée à continuer dans cette voie. Je suis sûre que ces très sages professeurs avaient compris que si je choisissais n’importe quel autre domaine dans la littérature, ce serait peine perdue et que, outre un résultat désastreux, nous nous serions tous ennuyés à mourir. De fait, j’étais si enthousiaste que je terminais ma thèse avec une année d’avance, ce qui est un peu embarrassant même pour un étudiant de premier cycle.

La coexistence heureuse de ma vie universitaire et de l’escalade se termina brutalement lorsque j’obtins mon diplôme. Je partis habiter à Estes Park, au Colorado, avec mon ami Dean4, pour être proche du Longs Peak Diamond et pour gagner de l’argent comme serveuse pendant l’été. Je pensais aller à l’université de l’Utah, à Salt Lake, et poursuivre avec un doctorat en automne. Mes professeurs du Colorado m’avaient encouragée à suivre le programme d’études américaines, pensant que cela pourrait satisfaire mes intérêts quelque peu éclectiques en alpinisme, sciences naturelles, sociologie et littérature. Pourtant, quand je me rendis à l’université, je fus atterrée de découvrir l’ampleur de la partie théorique. Je faisais partie des étudiants en littérature qui aspiraient à lire des romans et des livres d’histoire pour en tirer des enseignements sur notre monde. La nouvelle tendance était la théorie littéraire, que tous les intellectuels branchés étudiaient. Ils semblaient même ne lire aucun livre digne de ce nom. À la place, ils lisaient des livres et des articles qu’écrivaient les théoriciens, puis développaient leurs propres théories sur les théories de ces mêmes théoriciens. Cela me semblait prétentieux et sans intérêt, et ce n’était même pas de la littérature. À l’université de l’État du Colorado, quelques professeurs, les plus anciens et les plus pragmatiques, pensaient comme moi, et m’avaient dispensée de la plupart des cours théoriques. Charge à moi d’en suivre néanmoins quelques-uns et d’être en mesure de démontrer, si on me le demandait, que ma thèse, bien que n’ayant aucune base théorique, en possédait certains fondements. À l’université de l’Utah, c’est ce qui arriva. En fait, tous ceux que je rencontrais dans la section d’anglais semblaient obsédés par la théorie. Par réflexe, je tentais de donner les bonnes réponses avant de m’enfuir de là. Mais lorsque je reçus un courrier avec un avis favorable pour participer à une thèse, ainsi que la proposition d’un poste de maître-assistant, je le jetai.

Je revins pourtant sur ma décision à la fin de l’été, à Estes. Être serveuse dans un bar mexicain n’était pas spécialement agréable. Dean et moi étions emportés par notre passion l’un pour l’autre et par l’escalade, et cela rendait notre vie chaotique et hors norme. Mes parents détestaient tout ce que je faisais et me prédisaient un avenir d’assistée, de pénurie et de misère. À la date limite, je m’inscrivis à la faculté de droit de Boulder, craignant que mes droits d’admission ne soient plus valables et pensant que je pouvais au moins essayer. Il ne me fallut qu’une semaine pour comprendre que c’était une mauvaise idée. L’idylle était terminée. Je ne pouvais plus continuer la vie tranquille et respectable d’universitaire. Très vite, j’allais faire partie de la confrérie des SDF5 de la grimpe.

Pendant les sept années qui suivirent, je vécus d’abord dans la vieille Oldsmobile de ma grand-mère dont les sièges arrière avaient été enlevés, puis dans une camionnette Ford Ranger, usagée certes, mais un vrai luxe pour moi. Je travaillais parfois comme serveuse, d’autres fois comme instructeur d’escalade. Dean et moi vivions ensemble par intermittence. Je me consacrais entièrement à l’escalade et, quand mes horizons s’élargirent, à l’alpinisme. Chemin faisant, je succombais au charme de Moab, en Utah, et m’y installais en louant une unité de stockage pour mes affaires et prenant une carte de la bibliothèque locale. À Moab, je tombais amoureuse d’un petit bouvier australien de races croisées du nom de Fletcher et elle réussit parfaitement à s’adapter à ma vie nomade.

Je m’inquiétais constamment de la tournure que prenait ma vie et qui semblait me conduire droit vers l’indigence. Mais les années passant, je devins moins angoissée. Vivre dans une camionnette demande peu de moyens, et bien que je fusse scandaleusement pauvre, ce n’était pas différent de ma vie d’étudiante, sauf que je devais payer pour avoir une assurance-santé. Je pouvais m’acheter de quoi manger, des vêtements dans un magasin de bienfaisance, et parfois un livre s’il n’y avait pas de bibliothèque dans les environs. Le reste de mon argent et les faibles subventions de clubs d’alpinisme servaient à payer mes expéditions en Patagonie et en Asie. Je réalisais que s’inquiéter de l’avenir ne servait à rien.

Le fait est que je suis totalement incapable de faire quoi que ce soit sans passion, sauf par nécessité temporaire (comme d’être serveuse). Paradoxalement, jusque-là, cette façon d’être m’a offert une vie plus satisfaisante que je n’aurais pu imaginer. J’ai toujours un Ford Ranger et j’ai facilement tendance à y vivre. Dean et moi nous sommes mariés, puis séparés définitivement sept ans plus tard, et Fletch est mort de vieillesse en 2009. Mon premier et bien-aimé sponsor a été remplacé par d’autres, et je suis maintenant heureusement mariée à Mario, un Québécois pratiquant le Base jump. Nous vivons à Moab avec un autre petit chien abandonné dans une réserve indienne et, un jour, un petit chat noir nous a adoptés. Ma vie ne cesse de changer et d’évoluer, mais d’une certaine manière elle est toujours la même.

Au cours de ces années qui ont passé si vite, j’ai rempli d’innombrables carnets personnels, écrit des articles et de courts poèmes en prose quand je me sentais inspirée. Souvent, après une escalade difficile ou une aventure particulièrement forte, je me sens obligée d’écrire. Certains de mes textes sont parus dans diverses publications de montagne, d’autres ont été écrits pour moi seule, et d’autres encore pour ce livre. Ensemble ils forment une petite histoire de ma vie d’alpiniste.

1. Fête d’Amérique du Nord célébrée le jour de la Chandeleur.

2. Boulder, ville des Montagnes rocheuses (à 1665 m) où se trouve la plus grande université du Colorado à côté du parc national des Rocheuses.

3. Aldous Huxley, 1932.

4. Dean Potter.

5. Traduction de Dirtbag climber : aux États-Unis, ce terme désigne les grimpeurs vivant dans la nature, souvent en communauté, sous la tente ou à l’arrière d’une voiture, ne travaillant que pour subvenir à leurs besoins minimum, souvent comme serveur dans un restaurant pendant la saison touristique, avec un but précis : grimper le plus souvent possible, changeant de lieux selon les saisons, au Yosemite, Joshua Tree, dans les Rocheuses ou partant en expédition dans les massifs lointains.

2. DES LIEUX SÛRS

Se libérer de la peur est donné à ceux qui mènent une vie de pureté. Le yogi sait qu’il est différent de son corps, qui est l’habitation temporaire de son esprit. Pour le yogi, la mort apporte du piquant à la vie. Lorsqu’il a lié tout son être à Dieu, de quoi devrait-il alors avoir peur ?

B.K.S. Iyengar

AYANT GRANDI PRÈS DE WASHINGTON, DC, je connaissais très bien le chiffre des meurtres perpétrés dans la ville. Lors de ma première année de collège à l’université du Maryland, il était officiellement demandé aux femmes de ne pas sortir seules le soir. J’appris donc à éviter le regard des étrangers dans la rue et à ne pas adresser la parole aux inconnus. Ce comportement antisocial n’est pas toujours apprécié dans l’Ouest, où je vis désormais. Mais la peur est récurrente.

Lorsque j’ai commencé à grimper, je me sentais parfaitement en sécurité loin des foules. Je crois que l’absence de peur a été une des raisons qui m’ont poussée vers l’escalade. J’aime la solitude, beaucoup plus que la plupart des gens que je connais. J’aime courir seule, grimper seule, me promener seule. J’ai passé mes jeunes années à voyager et à vivre à l’arrière d’une camionnette, la plupart du temps en compagnie d’un chien de dix-huit kilos. Le fait d’avoir survécu aussi longtemps tient du miracle. J’ai probablement fortement entamé mon crédit chance.

L’escalade m’a conduit du Maryland à Fort Collins, Colorado. Entre les cours de l’université de l’État de Colorado, j’ai fait du VTT dans la région du lac de barrage de Horsetooth et passé des heures, seule, sur des blocs, essayant de déchiffrer les anciens et très difficiles problèmes gravis par John Gill qu’il avait marqués par de petites flèches blanches, dans les années 1960, avant même que l’escalade de blocs soit considérée comme un sport à part entière. Je suis encore étonnée de constater à quel point John Gill était un grimpeur en avance sur son temps. Cinquante ans plus tard, ses voies de blocs les plus difficiles sont encore des voies tests, malgré toutes les avancées réalisées en escalade. J’adorais les après-midi calmes à Horsetooth, observant son lac, caressant le grès granuleux, imaginant les grimpeurs venus en ce même lieu, touchant ces mêmes rochers.

Pendant les trois années que j’ai passées à Fort Collins, je ne suis allée que quatre fois sur les falaises réputées d’Eldorado et de Boulder Canyons. Instinctivement, je m’éloignais de la foule et de l’activité urbaine de Boulder, et me passionnais pour le Wyoming. Avec des amis de Fort Collins, je suis allée très souvent au canyon de Fremont, un site d’escalade magnifique et isolé. J’appris à grimper en tête sur Devils Tower, un paisible monolithe en basalte qui surgit au milieu de la plaine. Je me sentais bien dans les grands espaces ouverts du Wyoming, un lieu où la vie semble simple et pure. Et lorsque je découvris les canyons rouges de Moab, Utah, et leur tranquillité, je sus que j’étais chez moi.

Pendant des années, j’ai cru sottement qu’en restant loin des villes et des autoroutes, je serais en sécurité. La triste vérité est que tout endroit éloigné trop facile d’accès n’est pas sûr pour une femme. Pour moi, être blessée par une chute de glace ou en tombant d’une paroi rocheuse est un risque parfaitement acceptable. Être blessée par un être humain ne l’est pas. Les gens parlent souvent de l’escalade comme d’une activité dangereuse ; moi, je me suis toujours sentie en sécurité sur une paroi difficile ou sur une montagne. Même si j’ai conscience que je peux mourir en montagne, j’ai confiance en la main de la Nature, et je sais qu’elle ne me fera aucun mal.

Les êtres humains sont changeants et agissent de manière déroutante. La nature, quant à elle, je peux lui faire confiance.

LA CHUTE

Le voyage en voiture jusqu’au Wyoming m’a fatiguée. La lumière des phares éclaire les armoises, puis soudain, un cerf, au bord de la route. J’essaie d’apercevoir le paysage, dont j’ai gardé la beauté en mémoire, mais c’est encore la nouvelle lune, et je ne suis venue ici qu’une fois. Mon compagnon de cordée et moi sursautons quand notre voiture franchit en cahotant le pont qui enjambe le canyon, d’environ trente mètres de large et de trente mètres de haut. Je me souviens de l’eau stagnante du barrage, endiguée par les parois, couvrant à peine les blocs rocheux ombragés au fond.

Gravir les parois du canyon peut-être impressionnant. Une fois descendu en rappel jusqu’à une terrasse au-dessus de l’eau, le seul moyen de sortir est d’escalader le rocher. La nature tortueuse du granite rose repousse la plupart des grimpeurs, faisant du canyon de Fremont un lieu étrangement isolé. Souvent, quand je grimpe sur ces parois, je n’entends que ma propre respiration, tendue, et les échos des pierres jetées par Mike dans l’eau immobile.

La surface nervurée du pont fait vibrer la voiture et trembler notre voix.

« Connais-tu l’histoire de ces deux jeunes filles qui ont été jetées du pont ? » me demande Mike.

La voiture fait un dernier rebond sur le pont métallique et continue sur la route en terre. Je me retourne, cherchant à voir au-delà du petit pont, mais l’obscurité semble le faire flotter dans les airs.

« Quoi ? De quoi parles-tu ? Quelqu’un a balancé des jeunes filles d’ici ? Dieu du ciel, c’est la mort assurée ! C’est horrible. Sont-elles mortes ?

— Une des deux. »

Derrière nous, le pont disparaît dans l’obscurité.

Pendant toute la semaine qui suit, je ne pense qu’aux jeunes filles. En déroulant nos cordes pour aller au départ de nos escalades, je jette un coup d’œil furtif à l’eau, essayant d’estimer sa profondeur. Je regarde les couleurs vertes aux teintes variées des blocs au-dessous et évalue leur distance sous la surface. Quand je grimpe et que je tombe, trois, six mètres avant que la corde ne me bloque, j’essaie d’imaginer ce que cela ferait si je continuais à tomber. Mike est fatigué de me répéter les vagues informations qu’il a récoltées sur cette histoire et commence à se sentir mal à l’aise. Toute la semaine, le canyon est désert ; la quiétude de ce lieu semble liée à quelque chose.

Un jour, à midi, la chaleur écrasante rendant l’escalade impossible, nous cherchons de l’ombre, mais la végétation la plus haute est formée de bosquets d’herbe de la Saint-Jean. Tout le reste n’est que cactus et granite, sable et gravier. Nous sommes assis à côté de notre voiture, au bord du canyon, en sueur, et nous regardons le pont. L’eau verte enchâssée dans les murs du canyon nous tente. Je propose à Mike : « Descendons en rappel dans l’eau depuis le pont. »

Instantanément, Mike émerge de sa léthargie et commence à sortir cordes et anneaux du coffre.

« OK, mais on laisse les cordes plus courtes et on saute dans l’eau.

— Courtes de combien ?

— Que penses-tu de six mètres ? Il n’y a pas de rocher juste audessous du milieu du pont. »

Nous transportons le matériel sur le pont, faisons des nœuds et posons des anneaux autour des grosses poutres métalliques. En regardant en bas, je ne peux estimer la profondeur, aussi je descends les cordes jusqu’à ce que leurs extrémités touchent l’eau, puis reprends plusieurs longueurs de bras avant de les attacher. Maintenant, les deux cordes pendent bien droites du pont, leurs extrémités se balançant loin plus bas.

La partie délicate est le départ. Attachée à la corde avec mon harnais, je dois me hisser par-dessus puis de l’autre côté du garde-corps pour m’écarter du pont. À moitié dans le vide, je suis coincée entre la corde et la structure du pont. Je tiens la corde fermement, pousse avec force et, d’un bond, m’éloigne de la structure métallique.

Soudain, je me balance comme une araignée, les yeux au niveau du dessous du pont. Les boulons des poutres sont aussi gros et lisses que des soucoupes de tasses à thé. Je frotte l’un d’eux avec ma main libre, puis Mike surgit à mes côtés sur sa corde. Nous nous regardons comme des enfants dans un parc d’attractions et éclatons de rire.

Lentement, pour profiter de ses nouvelles sensations, je me laisse glisser sur la corde. Quand je grimpe et que j’utilise cette technique, il y a toujours une paroi rocheuse en face de moi. Et les grimpeurs ne font pas de rappel pour le fun. Cela ne demande que peu de compétence, et d’habitude je l’associe à une retraite : un accident, un échec, ou le mauvais temps. Dans la partie obscure de mon esprit se cache la peur que la corde puisse se couper ou que je commette une erreur et glisse à son extrémité. Des grimpeurs parmi les meilleurs au monde sont morts de cette façon, pris par la fatigue, l’obscurité, la perte de jugement. Mais aujourd’hui, en cette chaude journée de juillet, ce rappel est différent. Nous le faisons pour le plaisir, et nous avons l’intention de sauter au bout des cordes. Je ne l’ai jamais fait auparavant, et je me demande si mon instinct de survie me laissera sauter.

À mi-corde, je peux voir, en face de moi, une magnifique fissure remontant la paroi jusqu’à l’extrémité la plus éloignée du pont. Je m’arrête pour l’observer plus attentivement, et me dis que j’aimerais bien l’escalader plus tard. Pendant que j’essaie de maîtriser la corde pour l’arrêter de tournoyer, je réalise soudain combien ce lieu est étrange. Je suis à peu près à mi-hauteur au milieu du canyon en trois dimensions. Je suis un point au centre d’un cube formé par l’eau, le pont et les parois du canyon, et je peux rester immobile dans l’espace autant que cela me plaît. Et soudain, l’histoire des deux jeunes filles refait surface et m’envahit : elles étaient à ce même endroit, mais pour une fraction de seconde. Cette histoire s’est passée alors que j’étais enfant et je me trouvais à trois mille cinq cents kilomètres de là, mais à force d’y penser, c’était comme si je les avais vues.

Je jette un coup d’œil vers le haut, là où la corde touche le pont, et le soleil de juillet se transforme en une nuit d’hiver étoilée. Je les vois… deux sœurs, terrifiées, se débattant contre l’étranger. Elles réalisent quelques kilomètres après Casper que l’homme qui les a prises en stop ne va pas dans la bonne direction, mais vers le canyon de Fremont. L’homme déchire leurs vêtements, les viole… Il fait froid, mais la douleur et les larmes les brûlent. Puis, je vois le rebord du pont, plus de raison de se débattre. Quelque chose de plus fort les attire. Elles sont presque soulagées de sentir leurs mains lâcher prise, plus de douleur ni de terreur, seulement la chute. Comme une invitation, si douce, si sombre. Engourdie, je me lâche et heurte la surface de l’eau brutalement avant de m’y enfoncer.

Le souffle coupé, nous émergeons et nageons quelques mètres jusqu’à la berge de gravier. Les cordes se balancent joyeusement au-dessus de nous. Mon harnais est trempé, et je ressens sur mes jambes la brûlure de la claque que j’ai reçue en heurtant la surface de l’eau, mais je suis rafraîchie et bien éveillée maintenant. Nous remontons jusqu’à la route la langue étroite d’éboulis et de poussière. C’est cette même pente que la jeune fille rescapée, sa sœur morte à l’esprit, avait remontée en rampant dix ans auparavant, une hanche brisée, pour se coucher sur le pont et attendre la fin, lors d’une nuit de solitude dans le Wyoming.

À la fin de la semaine, je regarde dans mon rétroviseur le pont qui disparaît dans une courbe, pensant encore aux deux sœurs. Comme toujours, mon esprit est plein de questions. Pourquoi a-til agi ainsi ? Comment a-t-il pu faire cela ? Qu’est-il arrivé à la jeune fille qui a survécu ?

Deux ans plus tard, je reviens à Fremont. J’ai un nouveau compagnon de cordée et je veux escalader des voies plus difficiles. Par miracle, les toilettes portatives ont été vidées. Et cette fois, c’est moi qui raconte l’histoire des deux sœurs pendant que notre voiture vibre en traversant le pont.

« Quoi ? dit Joe. Quelqu’un a jeté des personnes ici ? Que leur est-il arrivé ? »

Mon esprit se remplit à nouveau de la sensation de la chute dans le froid et l’obscurité, de la terreur et de la douleur.

« L’une est morte… As-tu envie de descendre en rappel du pont ? Nous pouvons laisser du mou et sauter dans l’eau. »

Cette fois, je laisse douze mètres de vide avant de fixer les cordes au pont, et quand je heurte la surface de l’eau, je ressens comme un coup de fouet. En sortant de l’eau, je vois un dessin blanc sur la paroi à ma gauche, celle qui rejoint l’extrémité du pont. Dégoûtée, je lance : « Regarde un peu ! Pourquoi des gens ont-ils toujours besoin de dégrader les rochers ? »

J’avance pour regarder de plus près. Le tracé est plutôt bien fait, comme le sont souvent les graffitis. La ligne blanche et régulière contraste singulièrement sur le rose sombre du granite, formant deux silhouettes féminines. Elles ont les mains jointes, le reste du corps détendu, et la pierre rose entre leurs hanches et leurs mains jointes forment un cœur. Avec leurs cheveux flottant au-dessus de leurs têtes, elles ressemblent aux fées des livres de contes, aériennes, tombant tout doucement. Comme un son venu de très loin, j’entends l’eau qui s’écoule du corps de Joe lorsqu’il émerge sur la berge derrière moi. À la droite des sœurs blanches, des mots sont peints avec soin sur la paroi.

Deux âmes

Perdues pour nous

Victimes de violence

Des larmes pleurées

Pour leur innocence perdue,

Leur beauté et

Leur amour.

Puissent les anges

Les escorter

Vers la paix.

Priez Dieu

Qu’il n’y en ait plus d’autre.

M. Carr, 1992

Les voilà, tombant de nouveau, figées pour l’éternité à la moitié de leur chute, sans corde. Elles sont belles, avec leurs chevelures flottantes et leurs membres délicats, gravées en blanc sur le granite rose. Pas de sang, pas de terreur.

Après un long moment, nous remontons jusqu’au pont. L’unique voiture que j’avais vue jusque-là, à Fremont, avance bruyamment et s’arrête à côté de nous. Nous sommes mouillés et sentons mauvais l’eau stagnante. Le chauffeur de la camionnette nous salue cordialement. C’est un homme costaud, aimable comme le sont les habitants du Wyoming, un grimpeur local, ravi de voir des étrangers s’intéresser à sa falaise favorite. Je lui demande immédiatement, avant même de commencer à parler des voies :

« Savez-vous quelque chose sur la peinture en bas ?

— Eh bien, oui. Cette peinture date d’environ deux semaines. Vous avez entendu parler des deux sœurs qui se sont fait kidnapper et violer il y a dix ans ? Eh bien, elles ont été jetées du pont, ici. L’une est morte, et l’autre a rampé avec une hanche brisée. Elle a rampé jusqu’à la route et un couple l’a trouvée à moitié morte au petit matin ; ils l’ont conduite à l’hôpital. Elle a témoigné contre les deux hommes et ils sont dans la prison de l’État du Wyoming à présent. Ils n’en sortiront jamais. Ils s’appellent Kennedy et Jenkins. »

Il fait une pause pour lisser sa petite moustache rousse. J’ai l’impression qu’il a déjà raconté cette histoire à maintes reprises. Je regarde Joe et remonte la bretelle de mon cuissard mouillé. Je ne savais pas c’étaient deux hommes qui avaient kidnappé les deux sœurs. Tout devenait clair. Je m’étais toujours demandé comment un seul homme pouvait violer deux jeunes filles et empêcher l’une d’elles de s’échapper pendant tout le temps qu’avait duré leur calvaire.

« Alors quelqu’un a juste décidé d’en faire une peinture ?

— Eh bien, ça c’est une drôle d’histoire. »

Je sentais le soleil sécher l’épaisse couche d’eau verte sur mes épaules. Mes cheveux tombaient, lourds et malodorants, et je pensais aux crinières blanches et ondulantes des sœurs, trente mètres en dessous de moi.

« La sœur qui a survécu a commencé une nouvelle vie à Casper. Elle est devenue disc-jockey à la radio. Cela a marché très fort pour elle. Mais dix ans plus tard, en fait le mois dernier, elle est venue ici en voiture avec son petit ami. Ils avaient un peu bu et elle est partie devant pour regarder par-dessus la rambarde du pont, et lorsque son petit ami l’a rejointe, elle n’était plus là. Elle avait sauté par-dessus bord. Carrie, ma femme, dit que la nuit, vous êtes attiré, elle dit que tout est doux et sombre. Eh bien, vous savez, c’est peu profond et rocheux en bas. Cette fois, elle s’est tuée. Elle a juste sauté dans l’obscurité. »

Trois fois, alors. Et le troisième saut est resté en suspens gravé sur la paroi en bas. Sidérée, je regarde son visage agréable, encadré par la fenêtre ouverte de sa camionnette. Dans mon dos, les côtés du pont nous enserrent comme le bétail dans un camion. En bas, l’eau stagne, avec des reflets vert sombre sous la chaleur du soleil. Carrie dit que la nuit vous êtes attiré par la douceur et l’obscurité. Mais, même maintenant, je le ressens. Plus je m’avance au bord, plus je ressens la chute. Il n’est pas bon pour un grimpeur de penser autant à la chute. L’eau sur ma peau a séché, laissant mon visage tendu. J’imagine que les deux hommes commencent à me regarder, ou sont-ils en train de m’examiner de plus près ?

« Quelle histoire ! »

Et je m’éloigne des structures du pont, me rapprochant de la solide camionnette aux couleurs vives. Je peux sentir, juste à côté de moi, les deux sœurs en train de tomber.

LE ROCHER ET MOI

Avant je croyais que tout n’était qu’une question de tractions, alors j’en ai fait beaucoup.

Je suis assise en dessous de la fissure. Le désert est rouge. Le grès s’étend sans fin autour de moi.

Je mets une barrette de fleurs dans mes cheveux, telle une offrande, et me tiens prête. Sans corde, je me sens nue, mais libre, aussi pure que la fissure. Je n’ai pas fait de tractions depuis des mois.