Le Cid - Pierre Corneille - E-Book

Le Cid E-Book

Pierre Corneille

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Beschreibung

Une édition de référence du Cid de Corneille, spécialement conçue pour la lecture sur les supports numériques.

« DON DIÈGUE
Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire :

Je t'ai donné la vie, et tu me rends ma gloire ;

Et d'autant que l'honneur m'est plus cher que le jour,

D'autant plus maintenant je te dois de retour.

Mais d'un cœur magnanime éloigne ces faiblesses ;

Nous n'avons qu'un honneur, il est tant de maîtresses !

L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir.

DON RODRIGUE

Ah ! que me dites-vous ?

DON DIÈGUE

Ce que tu dois savoir. »

(Extrait de l’acte III, scène 6)

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Le plus grand soin a été apporté à la mise au point de ce livre numérique de la collection Candide & Cyrano, afin d’assurer une qualité éditoriale et un confort de lecture optimaux.

Malgré ce souci constant, il se peut que subsistent d’éventuelles coquilles ou erreurs. Les éditeurs seraient infiniment reconnaissants envers leurs lectrices et lecteurs attentifs s’ils avaient l’amabilité de signaler ces imperfections à l’adresse [email protected].

Le Cid

Pierre Corneille

Personnages

Don Fernand, premier roi de Castille.

Doña Urraque, infante de Castille.

Don Diègue, père de Don Rodrigue.

Don Gomès, Comte de Gormas, père de Chimène.

Don Rodrigue, amant de Chimène.

Don Sanche, amoureux de Chimène.

Don Arias, gentilhomme castillan.

Don Alonse, gentilhomme castillan.

Chimène, fille de Don Gomès.

Léonor, gouvernante de l'Infante.

Elvire, gouvernante de Chimène.

Un page de l'Infante.

(La scène est à Séville.)

Acte I

Scène 1

Chimène, Elvire.

Chimène

Elvire, m'as-tu fait un rapport bien sincère ?

Ne déguises-tu rien de ce qu'a dit mon père ?

Elvire

Tous mes sens à moi-même en sont encor charmés :

Il estime Rodrigue autant que vous l'aimez,

Et si je ne m'abuse à lire dans son âme,

Il vous commandera de répondre à sa flamme.

Chimène

Dis-moi donc, je te prie, une seconde fois

Ce qui te fait juger qu'il approuve mon choix ;

Apprends-moi de nouveau quel espoir j'en dois prendre ;

Un si charmant discours ne se peut trop entendre ;

Tu ne peux trop promettre aux feux de notre amour

La douce liberté de se montrer au jour.

Que t'a-t-il répondu sur la secrète brigue

Que font auprès de toi Don Sanche et Don Rodrigue ?

N'as-tu point trop fait voir quelle inégalité

Entre ces deux amants me penche d'un côté ?

Elvire

Non, j'ai peint votre cœur dans une indifférence

Qui n'enfle d'aucun d'eux ni détruit l'espérance,

Et sans les voir d'un œil trop sévère ou trop doux,

Attends l'ordre d'un père à choisir un époux.

Ce respect l'a ravi, sa bouche et son visage

M'en ont donné sur l'heure un digne témoignage,

Et puisqu'il vous en faut encor faire un récit,

Voici d'eux et de vous ce qu'en hâte il m'a dit :

Elle est dans le devoir, tous deux sont dignes d'elle,

Tous deux formés d'un sang noble, vaillant, fidèle,

Jeunes, mais qui font lire aisément dans leurs yeux

L'éclatante vertu de leurs braves aïeux.

Don Rodrigue surtout n'a trait en son visage

Qui d'un homme de cœur ne soit la haute image,

Et sort d'une maison si féconde en guerriers,

Qu'ils y prennent naissance au milieu des lauriers.

La valeur de son père en son temps sans pareille,

Tant qu'a duré sa force, a passé pour merveille ;

Ses rides sur son front ont gravé ses exploits,

Et nous disent encor ce qu'il fut autrefois.

Je me promets du fils ce que j'ai vu du père ;

Et ma fille, en un mot, peut l'aimer et me plaire.

Il allait au conseil, dont l'heure qui pressait

A tranché ce discours qu'à peine il commençait ;

Mais à ce peu de mots je crois que sa pensée

Entre vos deux amants n'est pas fort balancée.

Le roi doit à son fils élire un gouverneur,

Et c'est lui que regarde un tel degré d'honneur ;

Ce choix n'est pas douteux, et sa rare vaillance

Ne peut souffrir qu'on craigne aucune concurrence.

Comme ses hauts exploits le rendent sans égal,

Dans un espoir si juste il sera sans rival ;

Et puisque Don Rodrigue a résolu son père

Au sortir du conseil à proposer l'affaire,

Je vous laisse à juger s'il prendra bien son temps,

Et si tous vos désirs seront bientôt contents.

Chimène

Il semble toutefois que mon âme troublée

Refuse cette joie, et s'en trouve accablée :

Un moment donne au sort des visages divers,

Et dans ce grand bonheur je crains un grand revers.

Elvire

Vous verrez cette crainte heureusement déçue.

Chimène

Allons, quoi qu'il en soit, en attendre l'issue.

Scène 2

L'Infante, Léonor, un page.

L'Infante

Page, allez avertir Chimène de ma part

Qu'aujourd'hui pour me voir elle attend un peu tard,

Et que mon amitié se plaint de sa paresse.

(Le page rentre.)

Léonor

Madame, chaque jour même désir vous presse ;

Et dans son entretien je vous vois chaque jour

Demander en quel point se trouve son amour.

L'Infante

Ce n'est pas sans sujet : je l'ai presque forcée

À recevoir les traits dont son âme est blessée.

Elle aime Don Rodrigue, et le tient de ma main

Et par moi Don Rodrigue a vaincu son dédain ;

Ainsi de ces amants ayant formé les chaînes,

Je dois prendre intérêt à voir finir leurs peines.

Léonor

Madame, toutefois parmi leurs bons succès

Vous montrez un chagrin qui va jusqu'à l'excès.

Cet amour, qui tous deux les comble d'allégresse,

Fait-il de ce grand cœur la profonde tristesse,

Et ce grand intérêt que vous prenez pour eux

Vous rend-il malheureuse alors qu'ils sont heureux ?

Mais je vais trop avant, et deviens indiscrète.

L'Infante

Ma tristesse redouble à la tenir secrète.

Écoute, écoute enfin comme j'ai combattu,

Coute quels assauts brave encor ma vertu

L'amour est un tyran qui n'épargne personne :

Ce jeune cavalier, cet amant que je donne,

Je l'aime.

Léonor

Vous l'aimez !

L'Infante

Mets la main sur mon cœur,

Et vois comme il se trouble au nom de son vainqueur,

Comme il le reconnaît.

Léonor

Pardonnez-moi, madame,

Si je sors du respect pour blâmer cette flamme.

Une grande princesse à ce point s'oublier

Que d'admettre en son cœur un simple cavalier !

Et que dirait le roi, que dirait la Castille ?

Vous souvient-il encor de qui vous êtes fille ?

L'Infante

Il m'en souvient si bien que j'épandrai mon sang,

Avant que je m'abaisse à démentir mon rang.

Je te répondrais bien que dans les belles âmes

Le seul mérite a droit de produire des flammes ;

Et si ma passion cherchait à s'excuser,

Mille exemples fameux pourraient l'autoriser :

Mais je n'en veux point suivre où ma gloire s'engage ;

La surprise des sens n'abat point mon courage ;

Et je me dis toujours qu'étant fille de roi

Tout autre qu'un monarque est indigne de moi.

Quand je vis que mon cœur ne se pouvait défendre,

Moi-même je donnai ce que je n'osais prendre.

Je mis, au lieu de moi, Chimène en ses liens,

Et j'allumai leurs feux pour éteindre les miens.

Ne t'étonne donc plus si mon âme gênée

Avec impatience attend leur hyménée ;

Tu vois que mon repos en dépend aujourd'hui.

Si l'amour vit d'espoir, il périt avec lui ;

C'est un feu qui s'éteint, faute de nourriture ;

Et malgré la rigueur de ma triste aventure,

Si Chimène a jamais Rodrigue pour mari,

Mon espérance est morte, et mon esprit guéri.

Je souffre cependant un tourment incroyable.

Jusques à cet hymen Rodrigue m'est aimable :

Je travaille à le perdre, et le perds à regret ;

Et de là prend son cours mon déplaisir secret.

Je vois avec chagrin que l'amour me contraigne

À pousser des soupirs pour ce que je dédaigne ;

Je sens en deux partis mon esprit divisé.

Si mon courage est haut, mon cœur est embrasé.

Cet hymen m'est fatal, je le crains, et souhaite :

Je n'ose en espérer qu'une joie imparfaite.

Ma gloire et mon amour ont pour moi tant d'appas,

Que je meurs s'il s'achève ou ne s'achève pas.

Léonor

Madame, après cela je n'ai rien à vous dire,

Sinon que de vos maux avec vous je soupire ;

Je vous blâmais tantôt, je vous plains à présent.

Mais puisque dans un mal si doux et si cuisant

Votre vertu combat et son charme et sa force,

En repousse l'assaut, en rejette l'amorce,

Elle rendra le calme à vos esprits flottants.

Espérez donc tout d'elle, et du secours du temps,

Espérez tout du ciel, il a trop de justice

Pour laisser la vertu dans un si long supplice.

L'Infante

Ma plus douce espérance est de perdre l'espoir.

Le page

Par vos commandements Chimène vous vient voir.

L'Infante(à Léonor)

Allez l'entretenir en cette galerie.

Léonor

Voulez-vous demeurer dedans la rêverie ?

L'Infante

Non, je veux seulement, malgré mon déplaisir,

Remettre mon visage un peu plus à loisir.

Je vous suis. Juste ciel, d'où j'attends mon remède,

Mets enfin quelque borne au mal qui me possède,

Assure mon repos, assure mon honneur.

Dans le bonheur d'autrui je cherche mon bonheur,

Cet hyménée à trois également importe ;

Rends son effet plus prompt, ou mon âme plus forte.

D'un lien conjugal joindre ces deux amants,

C'est briser tous mes fers et finir mes tourments.

Mais je tarde un peu trop, allons trouver Chimène,

Et par son entretien soulager notre peine.

Scène 3

Le Comte, Don Diègue.

Le Comte

Enfin vous l'emportez, et la faveur du roi

Vous élève en un rang qui n'était dû qu'à moi,

Il vous fait gouverneur du prince de Castille.

Don Diègue

Cette marque d'honneur qu'il met dans ma famille

Montre à tous qu'il est juste, et fait connaître assez

Qu'il sait récompenser les services passés.

Le Comte

Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes :

Ils peuvent se tromper comme les autres hommes ;

Et ce choix sert de preuve à tous les courtisans

Qu'ils savent mal payer les services présents.

Don Diègue

Ne parlons plus d'un choix dont votre esprit s'irrite ;

La faveur l'a pu faire autant que le mérite,

Mais on doit ce respect au pouvoir absolu,

De n'examiner rien quand un roi l'a voulu.

À l'honneur qu'il m'a fait ajoutez-en un autre ;

Joignons d'un sacré nœud ma maison à la vôtre :

Vous n'avez qu'une fille, et moi je n'ai qu'un fils ;

Leur hymen nous peut rendre à jamais plus qu'amis :

Faites-nous cette grâce, et l'acceptez pour gendre.

Le Comte

À des partis plus hauts ce beau fils doit prétendre ;

Et le nouvel éclat de votre dignité

Lui doit enfler le cœur d'une autre vanité.

Exercez-la, monsieur, et gouvernez le prince ;

Montrez-lui comme il faut régir une province,

Faire trembler partout les peuples sous la loi,

Remplir les bons d'amour et les méchants d'effroi ;

Joignez à ces vertus celles d'un capitaine :

Montrez-lui comme il faut s'endurcir à la peine,

Dans le métier de Mars se rendre sans égal,

Passer les jours entiers et les nuits à cheval,

Reposer tout armé, forcer une muraille,

Et ne devoir qu'à soi le gain d'une bataille.

Instruisez-le d'exemple, et rendez-le parfait,

Expliquant à ses yeux vos leçons par l'effet.

Don Diègue

Pour s'instruire d'exemple, en dépit de l'envie,

Il lira seulement l'histoire de ma vie.

Là, dans un long tissu de belles actions,

Il verra comme il faut dompter des nations,

Attaquer une place, ordonner une armée,

Et sur de grands exploits bâtir sa renommée.

Le Comte

Les exemples vivants sont d'un autre pouvoir ;

Un prince dans un livre apprend mal son devoir.

Et qu'a fait après tout ce grand nombre d'années,

Que ne puisse égaler une de mes journées ?

Si vous fûtes vaillant, je le suis aujourd'hui,

Et ce bras du royaume est le plus ferme appui.

Grenade et l'Aragon tremblent quand ce fer brille ;

Mon nom sert de rempart à toute la Castille :

Sans moi, vous passeriez bientôt sous d'autres lois,

Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois.