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8 décembre 1790, rives de la Rance. Les cadavres du couple Le Gal et leurs aînés sont découverts dans la maison familiale. Seules leurs trois fillettes sont retrouvées indemnes par Jean Pépin, jeune passeur. 15 ans plus tard. Hanté par cette tragédie, Jean revient sur les lieux du crime avec une seule obsession : résoudre le mystère du meurtre de son maître. Mais la question est de savoir où se situe la limite entre la recherche de la vérité et la vengeance…
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Cathie LOUVET
LE CRIME
de la
Passagère
Roman
Cet ouvrage a été imprimé en France par Copymédia
Et composé par Les Éditions La Grande Vague
Site : http://editions-lagrandevague.fr/
3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau
ISBN numérique : 978-2-38460-079-3
Dépôt légal : Mars 2023
Les Éditions La Grande Vague
Voici les faits tels qu'ils furent reconstitués par Jacques Restif (ancien procureur fiscal, qui dirigea l'instruction en l'absence de monsieur de la Binolais, juge à Saint-Malo), dont le procès-verbal figure au dossier judiciaire répertorié aux archives départementales, quelques années après les faits. Ce compte-rendu fut retrouvé dans ses papiers par sa fille Marie qui les conserva précieusement.
Mardi 7 décembre 1790.
Chaque élément du drame qui va se jouer quelques heures plus tard se met en place.
Louis Richard, son épouse, madame Richard, et Félix Gouin, son ami douanier, cheminent sur la petite route qui longe la Rance, fleuve côtier qui prend sa source dans le canton de Dinan, plus loin dans les terres, avant de se jeter dans la Manche, entre Dinard et Saint-Malo. Le village de Quelmer, dernier avant l'embouchure, se trouve devant eux. Ils sont presque arrivés en vue du carrefour dit de Saint-Jouan.
Absorbés par leur conversation, ils ne se soucient guère des mouettes grises et blanches qui planent au-dessus des eaux à la recherche d'éventuels coquillages oubliés par la marée descendante, quelques heures plus tôt. Elles se dépêchent de se rassasier avant que les rives sablonneuses ne soient à nouveau recouvertes par les flots de la marée montante. Leur gracieux ballet tisse d'invisibles trames dans le ciel d'un bleu presque transparent.
En cet après-midi de fin d'automne, le temps est calme. Les trois amis reviennent de Saint-Servan, où monsieur et madame Richard ont effectué quelques achats. Des aiguilles à coudre et de la dentelle pour madame ; du tabac et de la poudre à fusil pour monsieur. Ils ont été rejoints par le brigadier des douanes Félix Gouin, avec lequel le sieur Richard entretient des liens d'amitié depuis que ce dernier l'avait tiré d'un mauvais pas. Gouin ayant terminé sa ronde, il préfère rentrer chez lui en bonne compagnie plutôt que de faire la route tout seul, même si la distance à parcourir ne prend pas plus d'une heure et demi.
Habitant tous les trois de l'autre côté de la Rance, ils avaient décidé de prendre le bac au lieu-dit la Passagère, dont ils connaissaient bien le propriétaire, Jean Le Gal. Selon les rumeurs, on soupçonnait bien Richard de faire des affaires plus ou moins louches avec le passeur, mais sans jamais avoir rien pu prouver. Soit les rumeurs étaient fausses, soit le gaillard était sacrément malin. Quoi qu'il en soit, Richard, aubergiste à Jouvente, sur la commune de Pleurtuit, à quelques lieues de Dinard, était un homme respecté. Ni riche, ni pauvre, il bénéficiait d'une certaine aisance grâce à son commerce florissant et à une petite rente que madame tenait de sa famille. Les mauvaises langues, comme je l'ai dit plus haut, prétendaient qu'il s'adonnait à quelques trafics illicites dans lesquels tous, sur les bords du fleuve, trempaient plus ou moins, afin d'améliorer un ordinaire bien précaire depuis la disette de l'année passée. Vrai ou faux, je n'en sais rien. En tout cas, sa famille ne manquait de rien. Bien de sa personne, il aimait à se donner des allures de bourgeois, pensant sans doute accroître ainsi sa respectabilité et faire oublier ses origines modestes.
Madame Richard, quant à elle, petite femme aux jolies rondeurs, appréciait plus la parure que les travaux ménagers, dont l'aisance financière de son mari la dispensait quelque peu. Ce jour-là, elle portait une robe de soie gris perle, rehaussée de rubans couleur framboise écrasée, dont le bas découvrait des bottines à talons hauts, bien malcommodes pour marcher sur une route de campagne, creusée d'ornières. Mais pour rien au monde elle n'aurait renoncé à cette coquetterie. Accrochée au bras de son mari, elle marchait d'un pas rapide et sûr. Bien que les températures de ce début décembre fussent assez douces, elle portait une longue cape de drap noir dont la capuche était bordée de fourrure d'écureuil.
Presque parvenus au carrefour de Saint-Jouan, ils aperçurent un groupe de quatre hommes et de deux adolescents qui se dirigeaient vers eux, donc en direction de Saint-Servan. Rien n'indiquait qu'ils venaient de la maison des Le Gal. Ils pouvaient tout aussi bien venir de la route de Saint-Jouan, ou même du domaine du Bosq, situé juste à l'angle du croisement, dont la malouinière appartenait à une famille de riches armateurs. En réalité, les époux Richard et Félix Gouin, lorsqu'ils furent interrogés par la maréchaussée, se montrèrent bien incapables de préciser leur provenance. Lors de son interrogatoire, Louis Richard déclara qu'il avait supposé que, bien que portant un costume de ville, ces hommes étaient des chasseurs occasionnels, au vu de leurs longs fusils et des drôles de gibecières portées par les deux enfants. Ils étaient trop bien vêtus pour être des vagabonds. À un moment, l'un des hommes s'arrêta, tira sur un pigeon qui prenait son envol non loin de là, mais le rata, son fusil s'étant enrayé. Les trois amis se trouvaient à environ une cinquantaine de mètres de la scène.
Les deux hommes partirent d'un grand éclat de rire.
Arrivés à la hauteur du groupe, Louis et Félix serrèrent la main des chasseurs tandis que madame Richard se contentait de les saluer d'un bref coup de tête. Félix engagea la conversation avec le tireur malheureux :
L'homme ajouta :
Comme son épouse commençait à donner des signes d'impatience, Richard prit congé.
Après avoir échangé saluts et civilités, les deux groupes se séparèrent et chacun reprit son chemin. Louis se tourna vers son ami :
Ils s'arrêtèrent au milieu du chemin pour laisser à madame Richard le temps de renouer sa bottine. Ils échangèrent un regard entendu.
Félix fit une moue dubitative.
Louis reprend le bras de sa femme et tous les trois se remirent en route. Les deux hommes ne font plus de commentaires, mais il est clair qu'ils n'en pensent pas moins.
Au cours de l'instruction, le groupe en question ne fut jamais identifié, malgré la diffusion d'un appel à témoins. Apparemment, personne ne les vit, ni sur la route de Saint-Jouan, ni à Quelmer, ni à Saint-Servan ; encore moins dans les alentours de la Passagère. Je me suis toujours demandé pourquoi. Il me semble curieux, en effet, qu'un groupe de six personnes, si peu discret de surcroît, n'ait rencontré personne d'autre dans un coin somme toute assez fréquenté. Des domestiques venant ou se rendant à la malouinière du Bosq ; des pêcheurs à pied ; d'autres chasseurs ; des paysans revenant du marché de Saint-Servan et se rendant au bac de Le Gal. Personne. C'est comme s'ils n'avaient jamais existé. Après tout, nous n'en avons connaissance que par le seul témoignage des époux Richard et de leur ami Gouin...
Quelques minutes plus tard, ils arrivent à la Passagère. La maison du passeur est une bâtisse grise dont les hautes fenêtres sont protégées de la bise hivernale et des embruns par d'épais contrevents que l'on gardait fermés en plein hiver. Une plage de sable en pente douce descend jusqu'aux eaux de la Rance. Une cale faite de pavés grossiers permet au bac d'aborder en toute sécurité.
En l'absence de la barge, ils comprennent que Le Gal doit se trouver de l'autre côté, à Jouvente. Ils doivent donc attendre son retour afin de pouvoir rentrer chez eux. S'approchant un peu du bord, Louis et Félix aperçoivent Le Gal entamer sa traversée de retour, aux prises avec le violent courant de la marée montante qui rend sa progression problématique. Madame Richard, craignant d'abîmer ses jolies chaussures, se tient en retrait sur la terrasse en pierres qui flanque l'arrière de la maison. Comme elle se plaint du froid, les deux hommes remontent la grève et tous les trois pénètrent dans la maison se mettre à l'abri.
Bien que Le Gal se soit trouvé en mauvaise posture pendant quelques minutes, il finit par maîtriser les remous et par prendre le dessus. Bientôt, lui et Jean Pépin, son aide, arrivent à bon port. Une fois le bateau solidement amarré, le passeur sort sa blague à tabac et met une chique dans sa bouche. Le vent commençant à forcir, Pépin relève le col de sa marinière en frissonnant.
Le Gal haussa les épaules, dubitatif.
Il regarda l'horizon, vers l'embouchure, mâchonnant sa chique lentement, la faisant passer d'un côté de sa bouche à l'autre.
Puis, les deux hommes remontent la pente et entrent dans la maison où ils trouvent Gouin et les époux Richard confortablement installés près de la cheminée, madame se frottant les mains devant le feu afin de les réchauffer.
Le Gal et Jean Pépin suspendent leur vareuse de marin derrière la porte. Guillemette, l'épouse du passeur, qui se tient près du foyer, se retourne, une grosse cuillère de bois en main.
C'est alors que surgissent de dessous la table, deux bambins qui se jettent sur leur père.
Il prend l'enfant dans ses bras, l'embrasse sur la joue et la repose par terre.
Se retournant vers ses deux aînés, elle dit en brandissant sa cuillère :
Sur la table trône un magnifique pain tout doré pesant bien ses quatre livres. À cela, la jeune femme avait ajouté des gobelets en étain et deux cruchons de cidre fraîchement tiré.
Durant toute cette conversation, les époux Richard et leur ami sont restés silencieux, regardant avec plaisir cette touchante scène familiale. Félix en avait profité pour se lever, vider sa pipe dans la cheminée avant de reprendre sa place. Une fois les deux enfants sortis, les deux nouveaux arrivés s'attablent. Le Gal sort son couteau de sa poche, le déplie et commence à couper de larges tranches dans la miche encore tiède. Pendant ce temps, Hélène, la petite bonne des Le Gal, met le couvert. Puis elle se rend dans l'arrière-cuisine préparer des bols de lait légèrement réchauffé afin de les monter aux petits pour qu'ils trempent leurs tranches de pain tartinées de beurre salé.
18h. Au moment où la pendule sonne la demie de dix-huit heures, Félix Gouin sort sa montre de son gousset et s'écrie :
Se tournant vers sa femme, il dit :
Guillemette se rend alors dans l'arrière-cuisine d'où elle revient avec deux lanternes dont elle allume les chandelles. Elle en tend une à son mari et l'autre à Richard en disant :
Chacun remit qui sa cape, qui sa vareuse, qui sa capote et tout ce petit monde quitta la maison bien douillette et bien chaude. Guillemette fit un signe de la main puis referma la porte. Personne, à part les assassins, ne reverra la jeune femme et sa famille vivantes.
Dehors, en effet, il fait sombre et froid. Mais le vent éparpille les nuages, laissant filtrer une lueur blafarde. On entend les flots de la rivière et le clapot sur le bord de la cale. Quelques mouettes crient dans le lointain. Pendant que son patron devise avec ses clients, Pépin prépare le bac. Puis tout le monde s'embarque. La traversée se déroule sans incident notoire. Les deux hommes sont de retour quelques minutes avant que ne sonne l'angélus.
Le Gal et Pépin rentrent dans la maison.À ce moment-là, ils entendent la clocher de Quelmer sonner sept heures.
Pépin met sa casquette, allume sa lanterne, longe le côté de la maison pour atteindre la petite route. Arrêtons-nous un instant afin de décrire les lieux. Imaginez-vous dos à la maison. De ce côté, la porte donne directement sur le chemin de terre qui longe le jardin potager dans lequel la famille cultive fruits et légumes. À l'angle du muret qui entoure le jardin, à droite, se dresse un gros chêne et quelques buissons de mûres. D'ici, il est aisé de voir la partie gauche de la plage et les rochers qui la bordent à cet endroit, puis en contrebas, le fleuve. Par contre, il est impossible de voir la grève qui s'étend devant et à droite de la maison. Ces précisions sont importantes pour comprendre la suite des événements.
Sept heures viennent donc de sonner au clocher de Saint-Servan quand Pépin quitte les Le Gal. Avant de s'engager sur le chemin qui rejoint la route de Quelmer, il lève un peu sa lanterne pour regarder le ciel, craignant que la tempête prédite par Jean n'arrive plus tôt que prévu. C'est à ce moment qu'il aperçoit sous l'arbre qui s'élève au coin du jardin, comme nous l'avons vu précédemment, un groupe de quatre hommes qu'il décrira plus tard vêtus de redingotes en forme de capotes de couleur bleu foncé ou grise. Ils portent des chapeaux à larges bords. Pépin affirmera ne pas pouvoir les identifier. Mais à cela rien d'étonnant car, malgré sa lanterne, il faisait assez sombre. Il déclarera au juge ne pas les connaître, à tout le moins ne pas se souvenir les avoir déjà vus chez son maître.
L'un des hommes, qui semble être le chef, toujours selon les dires de Pépin, s'approche de lui et engage la conversation.
L'homme fait signe à ses compagnons de s'approcher, déclarant à Pépin qu'ils allaient passer chez Le Gal pour le souper avant de reprendre leur route. Pour où ? Nul ne le sait.
Pépin les salue et continue sa route.
Dans le même temps, Noël Fleury et Julien Legagneux chargent leurs bourriches de goémon sur leur charrette et repartent à travers champs.
Il est curieux, me direz-vous, que Pépin ait répondu avec tant de précision à un homme qu'il ne connaissait pas. Je me suis fait également cette réflexion. Bizarre qu'il n'ait pas trouvé la question de l'homme suspecte. Pourquoi ce dernier a-t-il aussitôt pensé que les deux hommes aperçus au bord de la rivière pourraient être des gabelous ? Et quand bien même... Avait-il quelque chose à se reprocher ? Et que faisaient-ils, lui et ses compagnons, dissimulés à côté du chêne ? Ils espionnaient ? Attendaient quelqu'un ? Faisaient des repérages ? Pourquoi Pépin ne leur a-t-il pas demandé ce qu'ils faisaient là ?
Malheureusement, Pépin ayant quitté le pays quelques semaines plus tard, il ne fut jamais interrogé plus sérieusement et ne put donc jamais s'expliquer sur cette première et unique déclaration. J'avoue que cet épisode m'a longtemps intrigué. Il y a des détails qui ne collent pas. Pépin a-t-il, ce soir-là, croisé la route des meurtriers de son patron et de sa famille ? Ou ces hommes n'ont-ils rien à voir avec le drame ? Tellement de questions restées sans réponse...
Pendant que se déroulaient ces événements, les époux Richard étaient rentrés chez eux, Louis ouvrant son auberge pour les clients de fin de journée. Il était en train d'astiquer son comptoir quand un groupe d'individus qu'il ne connaissait pas entra. Ils lui demandèrent s'il avait vu un groupe de quatre hommes qui se trouvait à Quelmer l'après-midi même, précisant qu'ils devaient les rejoindre à Jouvente par le bac. Richard déclara n'avoir vu aucun groupe de quatre hommes ni sur la route du retour, ni chez le passeur, ni depuis son retour chez lui. Face à l'insistance de l'homme, il répéta n'avoir vu personne en dehors du brigadier Gouin.
Qui étaient ces hommes ? Comment expliquer la présence de plusieurs groupes d'individus le jour même, l'un à la Passagère, l'autre à Jouvente ? Et surtout, comment expliquer que ces groupes semblent s'être évanouis dans la nature sans qu'aucun témoin n'y fasse allusion ? Car ce soir-là, chez Richard, il y avait des habitués. Pourtant, là encore, personne ne s'est manifesté pour répondre à l'appel à témoins. Alors, ce second groupe d'inconnus a-t-il vraiment existé ou, là encore, est-il sorti tout droit de l'imagination de Richard ? Si oui, dans quel but les mentionner ?
PREMIÈRE PARTIE
L'instruction et le procès
(Racontés par Jacques Restif, ancien procureur fiscal, qui dirigea l'instruction en l'absence de monsieur de la Binolais, juge à Saint-Malo).
1.
Je me souviens de l'affaire dite de l’Égorgerie comme si c'était hier. C'était pourtant en décembre 1790. Il y a maintenant quelques d'années. Les corps suppliciés ne quittèrent jamais ma mémoire dès la seconde où je les vis. Mais je m'en souviens également parce qu'elle fut certainement l'une des dernières interventions de la justice seigneuriale qui avait cours avant les événements de 1789, lesquels bouleversèrent à jamais l'ordre et l'équilibre du royaume. Au vu des nouvelles réglementations mises en vigueur en février 1790, la municipalité de Saint-Servan s'adressa au juge de Saint-Malo, monsieur de la Binolais, lequel, bien qu'il vînt d'être élu comme suppléant au tribunal du district, refusa catégoriquement de se charger de l'enquête, pour une raison obscure. Mais moi, j'ai ma petite idée là-dessus. J'en parlerai plus tard.
Avant la Révolution, l'organisation de la justice du pays de Bretagne était fort alambiquée. Bien heureux celui qui parvenait à s'y retrouver. En effet, il existait sur tout le territoire de nombreuses juridictions seigneuriales. Saint-Malo à elle seule en réunissait une demi-douzaine : la juridiction ordinaire et commune de l'évêque et du chapitre, coseigneurs de la ville, exerçant droit de haute justice sur toute l'étendue de ses régaires (juridictions temporelles du fief épiscopal) ; la juridiction de l'Amirauté ; celle des Traites (douanes) ainsi que celle du Consulat (tribunal de commerce), sans oublier le marquisat de Châteauneuf duquel relevaient pas moins de cent vingt-sept juridictions seigneuriales réparties sur trente et une paroisses. À cela s'ajoutaient soixante-deux petites justices seigneuriales, dont un certain nombre dépendaient de la haute justice du marquis de Châteauneuf, le sire de la Vieuville. Un vrai sac de nœuds...
Bien que les agissements du gouvernement révolutionnaire soient discutables à bien des égards, il faut reconnaître que cet ancien système réclamait un bon coup de dépoussiérage. Ce qui fut fait grâce à la loi du 26 février 1790, loi qui divisa le royaume de France en départements et ceux-ci en districts ; elle décida également que de nouvelles institutions judiciaires seraient créées, pour le plus grand bien de notre pays !! Néanmoins, il fut sagement décidé que les juridictions alors en service continueraient de fonctionner normalement jusqu'à la mise en place des nouvelles. La loi du 7 août 1790, ratifiée par Louis XVI quelques jours plus tard, créa des tribunaux de districts dont les juges devaient être élus par des citoyens « actifs », c'est-à-dire s'acquittant d'un certain chiffre d'impôt. Le choix devait porter sur des personnes ayant déjà exercé des fonctions à caractère juridique.
En ce qui concerne le district de Saint-Malo, les élections eurent lieu le 25 octobre 1790. Mais la prise de fonction des nouveaux magistrats fut retardée à cause de l'intervention de la municipalité de Saint-Servan dont le maire, Pierre Lemoine, non content d'avoir obtenu pour sa ville la séparation d'avec Saint-Malo, demandait à l'Assemblée Constituante de fixer le nouveau tribunal de district sur sa commune. Devant traiter les affaires de droit commun en matières civiles, commerciales et immobilières, son argumentation reposait sur le fait que Saint-Servan était plus facile d'accès pour l'arrière-pays, présentant un plus grand nombre de cas, que la cité malouine. Finalement, après de houleuses délibérations, l'Assemblée rejeta la demande de la commune de Saint-Servan et attribua à Saint-Malo le privilège d'abriter le siège du tribunal de district. Saint-Servan dut se contenter du tribunal correctionnel, également appelé tribunal de première instance, présidé par un juge de paix.
Or, l'installation des nouveaux juges ne s'étant effectuée que le 24 décembre 1790, l'assassinat de la famille du passeur relevait du ressort des magistrats du marquisat de Châteauneuf d'Ille-et-Vilaine, le village de Quelmer se trouvant dans sa juridiction. Néanmoins, au moment des faits, en raison de l'absence du sénéchal et de la vacance du poste d'alloué, il fut impossible de réunir le tribunal seigneurial. Je pense que le sieur de la Bignolais, qui figurait déjà en 1773 comme alloué des régaires du chapitre de l'évêché de Saint-Malo et comme lieutenant particulier de l'Amirauté, et vu son ascendance aristocratique, a jugé bon de se faire oublier des autorités révolutionnaires en refusant de figurer dans la juridiction du marquisat de Châteauneuf. Bien lui en prit, car quelques semaines plus tard, le château fut incendié et le marquis arrêté puis exécuté.
C'est donc en ma qualité de juriste et d'ancien procureur fiscal, officier chargé de représenter le ministère public, que je fus nommé pour procéder à l'instruction. Je me fis assister du procureur fiscal Pierre Boullet et du greffier Jean-Baptiste Robert. J'affirme qu'à nous trois, compte-tenu des circonstances politiques et du climat social, nous avons fait du bon travail. En effet, les démêlés de l'Assemblée Paroissiale permanente de Saint-Servan qui, depuis plus de dix-huit mois, bataillait pour obtenir son détachement de la ville de Saint-Malo, ne verraient leur conclusion que le 19 décembre 1790, lorsque le Conseil général d'Ille-et-Vilaine prononcerait la séparation définitive des deux communes. Mais, au moment des faits, rien n'étant encore joué, l'atmosphère était plutôt électrique.
Lorsque nous arrivâmes sur les lieux du crime, au matin du 8 décembre, nous trouvâmes un détachement de treize gardes nationaux, appartenant à la milice paroissienne, composé essentiellement de cultivateurs et de valets de ferme, dépêchés par la commune de Saint-Servan, dont le village de Quelmer constituait un des principaux faubourgs. Le maire, Pierre Lemoine, un des plus gros agriculteurs de la région, craignant que la populace, indignée qu'un crime si horrible ait pu se perpétrer au seuil de ses chaumières, ne se livrât à des actes propres à perturber le travail de la justice, avait cru plus prudent de les faire venir. Précaution inutile car, d'après les déclarations du capitaine Hammerel qui dirigeait le détachement de Saint-Servan, personne ne s'était approché des lieux du crime, à part quelques gamins qui baguenaudaient dans les champs alentours.
Nous commençâmes par jeter un coup d’œil à la grève qui descendait en pente douce jusqu'à la Rance. Je demandai au capitaine s'il avait pensé à chercher des indices dans les rochers qui affleuraient çà et là. Il me répondit que deux de ses hommes avaient minutieusement exploré les environs et qu'ils n'avaient rien trouvé à part du fil de pêche et un vieux sabot, sans doute oublié là par un valet de ferme venu ramasser du goémon. Je lui demandai alors s'ils avaient inclus les bosquets dans leur fouille. Il me répondit par l'affirmative. Ils avaient à nouveau fait chou blanc. Nous nous tournâmes alors vers la petite cour pavée sur laquelle s'ouvrait la porte arrière de la maison. Nous ne trouvâmes rien sur le banc de bois adossé à la façade. Les volets étaient fermés. Tout semblait calme et désolé. Le lourd silence n'était perturbé que par les cris des mouettes que l'on voyait tournoyer un peu plus loin, vers la pointe de Cancaval.
Ma mission était de procéder à l'identification des victimes, devoir indispensable mais bien pénible, surtout lorsque ces dernières nous sont connues. Ce qui était mon cas. Par le passé, il m'était souvent arrivé, dans l'exercice de mes fonctions, de me rendre à Pleurtuit en empruntant le bac de la Passagère. Sans le considérer comme un ami à proprement parler, je peux néanmoins affirmer que Jean Le Gal, que je regardais comme un homme affable et compétent, m'avait toujours bien accueilli dans son établissement et que j'avais plaisir à converser avec lui. M'arrêtant parfois dans leur auberge pour prendre une bolée de cidre, l'un des meilleurs de la région soit dit en passant, j'avais eu l'occasion de faire la connaissance de Guillemette, son épouse, une femme gaie et affable, excellente cuisinière de surcroît, et de leur servante, la jeune Hélène Bourseul, dont je connaissais le père. Quant aux enfants, je les avais parfois gratifiés d'une piécette et caressés leurs têtes blondes. Mon Dieu !! Quelle horrible tragédie !! L'image de leurs corps ensanglantés me restera jusqu'à mon dernier souffle...
J'ouvris la porte de l'auberge et me figeai face au terrible spectacle qui s'offrit à nous : Jean était couché en travers de la porte, bloquant le passage, tué de trois balles dans la tête à ce qu'il me sembla. Je ne pouvais détacher mon regard des trois trous sanguinolents. Son chapeau rond, qu'il ne quittait jamais, gisait à quelques pas de là. Il était visible que le pauvre homme, dont le visage était déformé plus par la stupeur que par la peur, avait été pris par surprise. Il n'avait sans aucun doute pas eu le temps d'esquisser le moindre geste de défense.
Le discret raclement de gorge de monsieur Boullet me tira de ma rêverie. Je me tournai vers lui.
Dans le dessein de pénétrer plus avant dans la salle de l'auberge, nous dûmes enjamber le malheureux passeur. Une longue table de bois épais, flanquée de bancs sur ses deux côtés les plus longs, occupait le centre de la pièce, nous masquant les autres cadavres. Il faisait assez sombre, la seule lumière extérieure venant de la porte ouverte. Afin dene pas trébucher, je m'avançai précautionneusement, suivi de près par monsieur Boullet et le capitaine de la garde. Les autres étaient restés dehors. Je longeai la table. Peu à peu, mes yeux s'habituant à la pénombre, les détails de l'ameublement se faisaient plus visibles. Dans le fond trônait une vaste cheminée de pierre grise dont l'âtre était encombré d'une crémaillère et de plusieurs crocs de fer au bout desquels pendaient jambons et saucissons. Un énorme chaudron reposait en son milieu.
Lorsque j'arrivai au bout de la table, une vision d'horreur s'imposa à moi : Guillemette, Hélène, la jeune servante, et les deux aînés du couple, un garçon et une fille âgés de sept à huit ans, gisaient dans une mare de sang qui masquait une partie du plancher, sauvagement égorgés. Les malheureux avaient dû se vider de leur sang en à peine quelques minutes, au vu de la plaie béante qui courait d'une oreille à l'autre. Encore aujourd'hui, des années après, je reste hanté par cette vision insoutenable : les cheveux fins et blonds des deux enfants coagulés sur leur visage ; l'expression de peur inouïe dans les yeux de la pauvre mère dont les mains étaient tendues vers eux, dans un ultime geste d'amour et de vaine protection.
L'atmosphère, saturée des effluves douceâtres de tout ce sang répandu, était irrespirable. Je demandai au capitaine d'ouvrir une fenêtre afin de laisser entrer l'air frais du matin. Mes compagnons et moi restâmes figés pendant je ne sais combien de minutes, accablés par la tragédie qui avait frappé le passeur et sa famille d'une manière aussi barbare. Tout à coup, monsieur Boullet tira sur ma manche afin d'attirer mon attention.
Ainsi fut fait.
Quelques instants plus tard, nous entendîmes le sergent appeler son capitaine.
Intérieurement, je fis d'ardentes prières pour que les trois jeunes enfants fussent retrouvés en vie. Je crois que je n'aurais pas pu supporter la vue d'autres petits corps sauvagement assassinés.
Aussitôt dit, je passai devant le capitaine Hammerel et montai les escaliers aussi vite que mes faibles jambes me le permettaient. Suivant les indications des sergents, nous pénétrâmes dans la pièce du fond, vaste chambre meublée d'une énorme armoire de couleur foncée, d'une commode aux larges tiroirs, d'une table de toilette supportant un broc et une vasque de faïence blanche et bleue et d'un grand lit dans lequel j'aperçus trois petites têtes blondes dépassant à peine des draps blancs. Il s'agissait des trois petites filles du couple, âgées de quatre, trois et deux ans. Dieu merci, elles étaient en vie ; terrifiées mais en vie. Serrées les unes contre les autres, elles écarquillaient grand leurs yeux où se lisait l'effroi et l'incompréhension. Bien qu'elles semblassent se porter à merveille, j'entrepris, avec des gestes les plus doux possible afin de ne pas les effrayer davantage, d'ouvrir un peu la courtepointe qui les recouvrait afin de me rendre compte si elles étaient blessées.
Les fillettes ne me répondirent pas, mais je vis que l'aînée, prénommée Jacquemine, me reconnaissait. Elle desserra un peu son étreinte autour du cou de ses sœurs et se redressa afin de s'asseoir. Je pus constater alors qu’elles étaient indemnes.
Après un rapide conciliabule, monsieur Boullet et moi convînmes de confier les petites à leur famille après avoir fait enlever les corps qui gisaient à l'étage inférieur. En attendant, nous fîmes venir une voisine qui se chargea de les laver, de les habiller et de les nourrir.
Plus tard dans la journée, elles furent conduites chez un oncle malheureusement trop pauvre pour subvenir aux besoins de trois fillettes. Tous les voisins s'émurent fort du triste sort de ces malheureux enfants.
La municipalité de Saint-Servan prit les choses en main et, le treize décembre, soit presque une semaine après les faits, adressa un courrier aux administrateurs du district de Saint-Malo :
Messieurs,
Nous avons eu l'honneur de vous instruire de l'assassinat du nommé Légalet femme battelierà Jouvante et nous ne pouvons sans frémir de l'horreur de ce crime vous en rappeler l'idée. Si cette malheureuse famille a presque été anéantie dans cette funeste invasion, trois innocents enfants ont encore été malheureusement préservés du carnage, mais que deviendront ces petits infortunés si votre humanité, Messieurs, ne s'emploie pour les secourir. Le plus âgé a environ cinq ans, dénué de toutes ressources appartenant à une famille pauvre, transféré de la maison paternelle chez un oncle dont le travail journalier peut à peine subvenir à sa subsistance. Ces considérations nous engagent à réclamer avec le plus vif intérêt la bienfaisance de vos âmes charitables et à vous prier, Messieurs, de leur accorder votre protection pour les faire recevoir à l'hôpital du district. Nous ne doutons pas que vos représentations à cet égard ne soient favorablement accueillies des administrateurs de cet hôtel Dieu ; jamais charité ne peut être mieux appliquée et cet acte méritoire ajoutera à notre reconnaissance et à celle de la communauté.
Ainsi donc, les trois petites rescapées furent admises à l'hôpital Général de Saint-Servan dont l'histoire est intéressante. Le 14 janvier 1679, la ville de Saint-Malo, désireuse d'ouvrir un établissement de charité publique, acheta une grande propriété située au Grand-Val en Saint-Servan. Il était en effet impossible de construire ailleurs puisque Saint-Malo, enfermée dans ses remparts, ne disposait d'aucun endroit propice à part peut-être le Grand Bey, mais cet îlot abritait déjà un lazaret. Par le contrat d'acquêt, le terrain servannais, qui appartenait à l'écuyer Guillaume Charlet Desblis, devint propriété de la ville malouine pour la somme de quinze mille livres, grâce à la générosité de madame de la Marzelière qui donna dix mille livres, de monsieur de la Villebague qui en donna deux mille cinq cents et de madame de la Lande Magon qui en donna également deux mille cinq cents. Dès l'année suivante, un hôpital s'installa dans les bâtiments existants.
Une des missions de cet hôpital était de recueillir les personnes pauvres et malades natives de Saint-Malo, ou y résidant depuis au moins cinq ans, souvent des marins, mais également des infirmes ou des mendiants, de les soigner, de leur fournir le cas échéant du travail et de les accompagner jusqu'à leur mort ; d'enfermer les fous et les folles dans des cabanons prévus à cet usage ; de donner asile aux filles de mauvaise vie repenties afin de racheter leurs fautes ; d'accueillir les orphelins des deux sexes, les enfants trouvés ou abandonnés par leurs parents, de les soigner, de les instruire et de leur apprendre un métier, les travaux de la mer pour les garçons, ceux de la couture, de la dentelle et de la cuisine pour les filles. Une grande partie du personnel soignant, cuisinières, responsables de salle, instructrice était composée par des sœurs de la Charité de Saint-Vincent de Paul. C'est ainsi que les trois petites firent la connaissance de sœur Gisèle-Marie, jeune fille issue d'une famille pauvre, placée par ses parents qui ne pouvaient subvenir à ses besoins. Elle se prit vite d'affection pour elles et employa tout son zèle à les soigner puis à leur apprendre la couture et la broderie. Elles y restèrent jusqu'à ce qu'elles soient en âge de gagner leur vie honorablement et de se débrouiller seules. L'hôpital leur trouva un logement propre et décent au 38 de la rue Dauphine où elles ouvrirent un atelier de confection qui acquit rapidement une certaine notoriété, Jacquemine et Pauline, les deux aînées, maîtrisant particulièrement les travaux d'aiguille.
2.
Une fois cette déplaisante besogne accomplie, nous fîmes l'inventaire des pièces à conviction, à savoir les vêtements des victimes, le chapeau et le couteau du passeur dont j'ordonnai le dépôt au greffe. Je confiai les meubles et la vaisselle à des voisins afin qu'ils les conservent en attendant que l'on décide quoi en faire. Il nous restait maintenant la douloureuse tâche de reconstituer les circonstances de la découverte du crime.
Afin d'interroger les témoins plus à notre aise, nous nous transportâmes jusqu'à Saint-Servan où le maire avait mis à notre disposition la salle commune. Le seul témoignage vraiment intéressant dont nous disposions pour l'instant était celui de Jean Pépin, qui officiait avec Le Gal comme passeur. C'était un homme de taille moyenne, aux longs cheveux châtains et aux grands yeux gris.
Pépin, tenant son bonnet de marin dans ses mains agitées de faibles tremblements, s'assit.
Je ne fis aucun commentaire sur le fait que le ramassage du goémon était à l'époque, comme aujourd'hui d'ailleurs, strictement réglementé. Je ne voulais pas perdre le fil de mon interrogatoire.
Pépin hésita un quart de seconde, mais un quart de seconde de trop.
À l'époque, j'eus la sensation, et je l'ai encore aujourd'hui, qu'il avait reconnu au moins l'un des quatre hommes, mais qu'il a eu peur et n'a rien dit.
Il me semblait quand même curieux qu'aucun membre de la maison ne fut réveillé à plus de dix heures du matin, mais je gardai mes réserves pour moi.
Le jeune homme prit un instant de réflexion puis secoua la tête.
Je notais le détail dans un coin de ma tête, me promettant d'y revenir plus tard.
Pépin, embarrassé, se tut.
Certes, le témoignage du jeune Pépin était de première importance, mais je compris rapidement qu'il serait très difficile de retrouver les quatre hommes qu'il avait aperçus la veille du meurtre. C'était le soir, il faisait nuit noire, et le coin n'est guère fréquenté dès la nuit tombée. À part les sieurs Fleury et Legagneux, il n'y avait aucun témoin, enfin à ma connaissance. Je décidai de les interroger, bien que je m'attendais pas à des révélations intéressantes.
Noël Fleury, tonnelier de son état, était un honnête père de famille, venu au bord de la Rance pour ramasser du goémon.
Fleury me regarda d'un drôle d'air.
Le juge soupira.
Fleury fit non de la tête.
L'interrogatoire deLegagneux corrobora totalement les déclarations de Fleury. Il fut incapable, lui aussi, d'identifier les hommes en question. Trop loin. Trop sombre. Donc, de ce côté, pas de doute. Les choses s'étaient bien passées comme nous l'avait déclaré le sieur Pépin. Il apparaissait que la famille Le Galavait été assassinée par les quatre hommes venus la veille, sûrement des contrebandiers. Pour quelle raison, c'est ce qu'il faudrait déterminer, mais le 24 décembre, les pouvoirs de la justice seigneuriale prenant fin, les scellés furent apposés sur son greffe et l'affaire en resta là, du moins provisoirement.
3.
Les problèmes d'organisation et de fonctionnement inhérents à la mise en place des nouvelles juridictions absorbèrent l'activité et le temps des nouveaux juges. L'ancien système judiciaire, basé sur la notion de justice royale et seigneuriale, appliquait des règles tellement compliquées que la justice était devenue onéreuse et suspecte aux yeux du peuple. Figurez-vous qu'en Bretagne seule, on dénombrait, en 1789, plus de deux mille trois cents juridictions hautes, moyennes et basses appartenant à différents seigneurs ! Dans ces conditions, comment arbitrer les conflits qui opposaient les paysans entre eux, ainsi que ceux qui les opposaient à leurs seigneurs, avec un minimum d'équité et d'objectivité ? Je me demande bien comment faisaient les officiers royaux pour s'y retrouver.
Dès août 1789, l'Assemblée Nationale Constituante se pencha sur ce dossier très complexe, consciente que l'appareil judiciaire d'un État qui se voulait moderne se devait d'élaborer pour ses administrés une justice parfaitement impartiale. En tant que juriste et ancien procureur fiscal, et qui plus est républicain convaincu, je m'étais intéressé de près aux différentes étapes qui devaient mener à l'accomplissement de cette loi bienvenue.
Ainsi, en mars 1790, je m'étais rendu à Paris et j'avais eu la chance d'assister au discours prononcé par le député Jacques-Guillaume Thouret, ce fils de notaire devenu avocat du Parlement de Normandie. Cet homme profondément humain et violemment opposé au clergé et à ses abus, avait, dès 1787, composé un rapport sur l'état désastreux de sa province. L'année suivante, il avait été élu député duTiers-État de Rouen et avait rédigé les cahiers de doléances qui furent présentés aux États Généraux de 1789. C'est dire si cet homme jouissait d'une grande autorité.