Le disciple à l'épreuve du temps - Agnès Gueuret - E-Book

Le disciple à l'épreuve du temps E-Book

Agnès Gueuret

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Beschreibung

Écriture ancrée dans le quotidien de l’auteure, ce livre nous convie un cheminement intérieur à la relecture de
l’évangile selon Marc sans omettre les questions posées par notre actualité si souvent bouleversée. Reparti de l’injonction de l’ange aux femmes venues au tombeau à l’aube du premier jour de la semaine : « Allez dire à ses disciples … Il vous précède en Galilée… », le récit s’ordonne dans ce « retour » aux premiers jours et s’attèle à reparcourir jusqu’à leur terme les chemins empruntés par le Maître. En sept chapitres conçus comme des vagues qui vont de plus en plus fortes se perdre sur les pages du livre, le récit progresse de pause en pause dans une sorte de respiration où les pensées de notre quotidien affleurent drainant vigueur, hésitation, question, résolution. On aura compris que cette relecture sonne comme l’engagement pris et repris sans cesse par le disciple conquis et cependant toujours pris entre doutes et certitudes, façon de rejoindre chacun sur le chemin de sa vie.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Agnès Gueuret, née en 1936 à Rouen, est diplômée de l'École Pratique des Hautes Études. Elle y a mené une étude sémiotique des deux premiers chapitres de l'évangile selon Luc, suivie par une thèse sur la mise en discours de ce même évangile. Elle a publié depuis 2006 dix ouvrages poétiques qui manifestent son intérêt pour les textes bibliques.

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Agnès Gueuret

Le discipleà l’épreuve du temps

Une relecture de l’évangile selon Marc

Préface Fr. Jean-Pierre Longeat osb

Préface

En prenant en main les livres des Évangiles, chacun est invité au grand voyage de Jésus. Mais un tel voyage ne se fait pas seul ; il y a toutes sortes de compagnons sur la route. Agnès Gueuret est l’une de ses femmes qui n’en finissent plus de marcher aux côtés de Jésus et des autres qui le suivent comme celles que décrivent les auteurs bibliques. Et elle sait raconter l’aventure que cela entraîne. Elle y encourage inlassablement. Ce qui touche le plus chez elle, c’est que son cœur est traversé par mille questionnements. Elle n’assène pas des vérités, elle cherche avec nous, sur la route, la vérité qui se révèle sous nos yeux.

Comment en effet, dans cette vie, n’être pas assailli de questions lancinantes ? Pourquoi l’injustice, pourquoi la souffrance, pourquoi le mal ? Alors même que le bien reste non moins surprenant dans tout ce fatras d’incohérences. Et malgré tout cela, nous marchons, nous avançons, en serrant les dents parfois pour suivre le mouvement qu’imprime en nous Jésus. Ensemble, avec patience, avec « passion », nous sillonnons la Galilée, nous passons plusieurs fois la Mer, nous montons vers Jérusalem. Et surtout nous écoutons cette voix si précieuse qui vient de lui, Jésus, et nous raconte les secrets du cœur de Dieu. La route est longue, mais le trésor de l’eau vivifiante est toujours là, à portée de mains, à l’infini.

Au plus creux de l’expérience du disciple, il y a impérativement, la dépose de sa propre vie, à la suite de celle du Christ. Il ne s’agit pas de mourir macabrement, il s’agit de vivre au-delà de tout enfermement. Il s’agit d’être soulagé du poids de l’illusion de soi, pour se trouver soi-même et vivre enfin y compris dans la mort comme un Vivant. Avec Agnès Gueuret, dans une discrétion extrême, nous entendons à cette heure de la mort, la voix du centurion : « Celui-ci était vraiment le fils de Dieu » et nous entrevoyons le regard des femmes qui ont marché auprès de Jésus depuis la Galilée et qui l’accompagnent encore dans sa Pâque.

Avec Agnès Gueuret, la compétence n’a d’égal que l’extrême frémissement d’une vie donnée. Ce livre n’est pas un commentaire, c’est une plongée, c’est un baptême, qui permet de se tenir debout pour veiller sur le trésor et le transmettre.

Voilà donc un petit livre de chevet pour le grand destin de nos vies dans l’ordinaire des jours.

À l’Abbaye de Ligugé, le 22 novembre 2023

fr. Jean-Pierre Longeat

Avertissement

Le travail d’écriture ici proposé est le résultat d’une relecture de l’évangile selon Marc suscitée par des questions qui se sont posées et se posent à moi aujourd’hui. Je livre ici, de façon personnelle et dans la simplicité, le cheminement de « mes » questions adossées à la relecture d’un texte que je fréquente depuis longtemps. Je ne me souviens pas sans une certaine émotion des cours de Pierre Geoltrain suivis à la Ve section de l’EPHE en 1974 et dans les années suivantes, cours qui avaient pour sujet cet évangile. C’était l’époque où l’exégèse biblique s’ouvrait à l’analyse sémiotique des textes d’Algirdas Julien Greimas et accueillait le livre de Fernando Belo intitulé Lecture matérialiste de l’évangile de Marc. Ce passé lointain m’est toujours présent, même si j’ai fait depuis mon chemin après le mémoire de l’EPHE présenté en 19801 et la thèse qui a suivi soutenue en 19852. Mon travail de comptable à plein temps m’a ensuite éloignée un long moment de ces sphères d’études, mais quand le temps de la retraite est venu, c’est vers ce domaine que je me suis tout naturellement tournée. Si l’on y ajoute, ma redécouverte d’une capacité d’écrire que bien des circonstances m’avait ôtée, on aura le soubassement de l’histoire qui m’a conduite à ce nouvel écrit et qui peut expliquer à la fois « le sérieux » et « la certaine liberté » dont sont teintées les pages qui suivent.

Des amis, les un(e)s biblistes et théologiens, les autres compagnes/compagnons d’écriture dans l’atelier que je suis depuis plus de vingt ans, m’ont aidée à trouver l’architecture de ce livret qui prend la liberté d’emprunter des formes différentes : relectures, commentaires, poèmes, formes qui s’égrènent et parfois s’imbriquent. Toutes les refontes par lesquelles ces pages sont passées permettront-elles aux lectrices/lecteurs auxquels je les dédie d’y entrer aisément pour leur plaisir autant que pour l’intérêt qu’ils peuvent y trouver ? Je l’aimerais, car si l’on écrit pour soi et que cela vous parle, cela ne concerne-t-il pas tout naturellement autre que soi ?

« Pas un jour sans un trait », disait Paul Klee reprenant les propos tenus il y a bien longtemps par Pline Le Jeune : « Nulla dies sine linea ». Ces pages elles aussi s’inscrivent dans cet exercice auquel je me tiens chaque matin devant le clavier des lettres de mon ordinateur.

1 Mémoire publié au Cerf sous le titre L’engendrement d’un récit l’évangile de l’enfance selon Luc, Lectio Divina 113, 1983.

2La mise en discours, recherches sémiotiques à propos de l’évangile de Luc Éditions du Cerf, collection Thèses, 1987.

Exergue

Reprise

comme un vieux vêtement rapetissé,

comme la coda différée après la pause,

comme un regain d’attention

après un moment de distraction…

et mille et autres choses…

Ici, recommencement d’une course

perdue dans les brumes de l’histoire

et cependant éperdue

tant un désir ardent, fougueux

en imprègne les moindres méandres

Retour au point de départ

mais non sans l’obligation

d’avoir à mesurer

les tailles infligées à l’arbuste

en sa croissance

lequel, vaille que vaille, pousse,

avance, va son chemin.

Retour sur un parcours

à l’heure où la vieillesse

comme une fleur désorientée

repense aux rayons clairs

d’un soleil pur

tel un trésor

caché dans le grenier

ou enfoui dans la cave

de son âme en attente

d’une éclosion prochaine.

Est-ce le poids de l’âge ? Ou bien l’étendue des désastres qui affligent la terre ? Les glaciers fondent, les mers débordent, le sol s’assèche et les pauvres suffoquent tandis que les plus riches profitent sans vergogne ! Pire ! Certains3 envoient les leurs se faire tuer et massacrer leurs proches pour que leur règne à eux demeure !

Pourquoi ai-je pensé au jardin de « Gethsémani » ? L’appel au Père et son silence, la sueur de sang et l’abandon des amis les plus proches ensuqués de sommeil, et celui qui trahit aux portes de l’enclos. Il a trente ans, un parcours exemplaire et le voici soumis aux coups et à la mort. Il a trente ans : il va mourir ! Que ferait-il aujourd’hui même si, atteint de vieillesse, ses yeux et ses oreilles voyaient cette misère sous mille formes gangréner les humains ? Reprendrait-il son bâton et son sac pour arpenter la Galilée ? S’arrêter pour héler des pécheurs sur le lac ? S’asseoir dans une barque et haranguer la foule, enseigner ses disciples et guérir les malades ? Ses jambes alourdies par les années le porteraient-elles, vaillant, à proclamer à tous les vents « Le temps est accompli ! Le règne de Dieu s’est approché ! » ?

Du fond de l’abîme où mon âme chaque matin doit émerger après les nuits sans lune et devant les désastres inchangés qui accablent la terre, j’ai repris dans mes mains le livre où sont consignés les faits et gestes de Jésus « Christ » qui s’est dit « fils de l’homme » et que ses disciples eux-mêmes ont appelé « Fils de Dieu ». Et là, je me suis souvenue de réflexions montées en moi il y a plusieurs années, après avoir lu le chapitre de Kierkegaard intitulé : « Les disciples de seconde main » dans son ouvrage « Les miettes philosophiques »4 ; en reprenant le titre de ce chapitre « Les disciples de seconde main », j’avais écrit :

Sur nulle vague un jour clairement dénommée

Il n’a dit qu’Il marchait. Toujours Il va, Il passe

et celui qui le suit ne sait jamais d’avance

la courbe de la route ou son escarpement.

Aux profondeurs de l’heure une baie parfois s’ouvre :

brève clarté, lumière, écartement des doutes

dont le vent se repaît sur les brumes du fleuve.

En l’instant immobile, un souffle se fait brise.

Sur nulle vague offerte en repère à ses sens

le disciple ne peut tabler assurément

à ceci près qu’il ose entrouvrir son oreille

à la montée en lui des compassions humaines

sans deviner qu’ainsi un ouvrage s’esquisse

en ses os devenus abîme où va le Maître.

Jésus, le Christ, vieillirait donc en moi, disciple que la compassion envahit et submerge à voir tant de malheurs accabler notre monde. Serait-ce là le soc capable de changer la terre des combats en un champ préparé à la moisson de grains qui rassasient ?

Sur la route qui monte aux pieds des tours, j’ai osé ces pensées et repris l’ascension qui porte mes années jusqu’à leur terme, quand le vase de terre que sont mes os se brisera sur la margelle et qu’un autre disciple reprendra le flambeau passé de mains en mains depuis ce temps où Jésus, « Christ », a proclamé à qui voulait l’entendre : « Les temps sont accomplis : Le royaume de Dieu est à portée de main ». Et dans l’aurore de ce jour, les derniers mots du Livre comme à nouveau résonnent au plus profond de moi dans la voix du Souffle Saint et celle des disciples qui Le supplient : « Seigneur Jésus, viens ! Viens, Seigneur Jésus ! »

3 Poutine en Russie, les Ayatollahs en Iran, le sort des Ouighours en Chine.

4 C’était au cours d’un séminaire de Sabina Loriga et Olivier Abel à l’EHESS en 2003.

I. - « Da capo »5

Devant le crépuscule qui tombait peu à peu sur la ville qui m’entourait, j’ai repensé à la dernière page des évangiles ; à ce soir-là précisément où les disciples, la tête basse, s’en retournaient chez eux après la mort de leur Seigneur. Pourquoi alors en moi s’est imposé le souvenir des femmes munies des aromates franchissant la colline qui menait au tombeau où l’on avait, la veille du sabbat, déposé le corps supplicié de Jésus ? Matthieu, Marc, Luc parlent d’elles ; seul Jean a sa façon de les réduire à une, comme si l’évoquer convoquait toutes celles de ce jour-là et des jours à venir qui, de leurs larmes et leurs prières, monteraient au tombeau avec des aromates pour oindre leur Seigneur et accueillir de lui son baume salvateur afin de le répandre sur tout disciple, sur tout humain. Qu’avaient donc fait ces femmes ? Avertir, parler, convaincre, inviter par des silences et des paroles à s’élancer pour voir ce qui en vérité se passait là ? Peut-être. Mais il y eut aussi ces femmes, dont parle Marc. Atterrées, elles scrutaient le sol et s’enfuyaient, la peur au ventre, munies pourtant de l’ordre étrange qu’elles venaient d’entendre : « Retournez donc en Galilée ; c’est là qu’il vous attend ! »6