Le fantôme de l'église Saint Rémy - Paul Bruard - E-Book

Le fantôme de l'église Saint Rémy E-Book

Paul Bruard

0,0

Beschreibung

Émile le savait. Dans le but de redonner le plein de confiance à son petit-fils en souffrance, il savait que la légende de Joseph Rémy fonctionnerait. Une histoire de revenant qu’il ne faut réveiller pour rien au monde, une tombe à ne surtout pas fouler, et deux adolescents avides de sensations. Un parfait mélange pour une aventure qui transforme pourtant les vacances de Valentin et Margot en cauchemar.

Car, à jouer avec la mort, on risque de l’attirer.

Et si la légende disait vrai, finalement ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Paul Bruard - Originaire de Franche-Comté et père de trois enfants, il a réussi à suivre, malgré son côté rêveur, plusieurs cursus de formation. Après une licence en économie, il a obtenu le diplôme d’État d’éducateur spécialisé qui lui a permis de travailler dans différentes structures et auprès d’un large public. Il est revenu depuis peu dans l’animation, et accompagne au quotidien des enfants de maternelle jusqu’au CM2. Amoureux des mots depuis le plus jeune âge, il est sans cesse à la recherche de nouveaux projets. Après un passage dans le monde de la scène (auteur-compositeur-interprète de plusieurs chansons répertoriées sur différents sites de musique), il a décidé de se lancer dans l’écriture de romans et d’histoires plus courtes, dans le but de les partager avec les enfants qu'il accompagne au quotidien.

« Faire voyager et transmettre le pouvoir merveilleux des mots » telle est sa devise !

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 182

Veröffentlichungsjahr: 2024

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

 

Paul Bruard

 

Le Fantôme de l’église Saint-Rémy

Roman Jeunesse

 

 

 

ISBN : 979-10-388-0850-8

Collection Saute-Mouton

ISSN : 2610-4024

Dépôt légal : mars 2024

 

 

 

 

 

© Couverture Ex Æquo

© 2024 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

 

 

 

 

Éditions Ex Aequo

6 rue des Sybilles

88370 Plombières les Bains

www.editions-exaequo.com

 

 

 

 

 

Pour Noé, Tom et Lila

 

À Mme Chavanne, professeur

de Français qui m’a transmis

la passion de l’écriture…

 

Pour mes grands-parents.

 

À tous mes camarades de 6ème et 5ème B…

 

 

 

Préface

 

 

Ce roman est particulier pour moi.

Peut-être parce que je l’ai écrit une première fois à l’âge de 11 ans, sur l’unique ordinateur disponible au CDI du collège. Il fallait s’inscrire une semaine à l’avance pour y avoir accès ! Remarquez, ça me laissait le temps de tout écrire à la main, de corriger les fautes et de le réécrire deux ou trois fois avant de le taper ! Une bien belle époque qui me manque parfois. C’est certainement pour cette raison que j’ai ressorti cette histoire. Je l’ai dépoussiérée, et remise au goût du jour, comme un clin d’œil à l’adolescent que j’étais. Celui qui osait à peine rêver que cette aventure soit un jour publiée et qui inventait le nom de sa maison d’édition.

Aujourd’hui, j’associe à ce roman tous les copains et copines de 6ème et de 5ème B, qui avaient dédicacé la version imprimée pour notre prof de Français. Et bien sûr, j’ai une énorme pensée pour elle. Mme Chavanne m’a encouragé, et a semé dans mon esprit la petite graine de l’écriture. Elle a été la source, l’origine de l’aventure, et je la remercie du fond du cœur.

Alors à présent que le point final est posé, que la boucle est bouclée comme on dit, il y a une chose que je voudrais murmurer à tous ceux qui songent à écrire…

Croyez en vous.

De toutes vos forces.

Et si vous pensez que la réussite est au bout du chemin, sachez que peu importe l’issue, c’est le chemin lui-même qui est une réussite.

C’est tellement bien d’écrire…

 

 

 

Prologue

 

 

 

14 juillet 1789.

Paris, aux alentours de la Bastille.

 

L’atmosphère devenait étouffante.

La foule, de plus en plus nombreuse et agressive, s’étirait sur des centaines de mètres et la tension était insoutenable. Un peu comme une marmite dont l’eau, en ébullition depuis trop longtemps, menaçait d’exploser à tout moment. La moindre petite flamme risquait dorénavant de déclencher un incendie colossal, sanglant et incontrôlable… Dans la cohue, les rumeurs allaient bon train. On racontait que la délégation, censée négocier avec le Gouverneur la poudre que les émeutiers réclamaient pour leurs armes, avait été faite prisonnière dans les entrailles du monstre.

Le monstre.

La prison de l’horreur.

C’est ainsi que les Parisiens décrivaient cette forteresse imprenable, tant elle leur faisait peur. La Bastille, de son côté, contemplait sagement cette marée humaine qui s’entassait devant ses portes. Impassible, elle semblait mépriser la colère de tout un peuple. L’Histoire ne changerait pas aujourd’hui, et la forteresse résisterait à tout, c’était certain.

Et pourtant…

Aux armes ! Aux armes !

Les cris féroces des Parisiens résonnaient jusqu’aux soldats, perchés en haut des remparts, prêts à tirer quand l’ordre serait donné. Mais le Gouverneur De Launay ne souhaitait pas ouvrir le feu. Il avait été informé que la révolte prenait de l’ampleur depuis plusieurs jours et il n’avait aucune envie de se lancer dans un conflit armé. Pas question néanmoins d’accepter de remettre aux assiégeants les armes et la poudre qu’ils étaient venus chercher, après avoir récupéré aux Invalides des milliers de fusils et de canons. Les laisser faire revenait à trahir son roi. Voilà pourquoi les négociations traînaient, accélérant une échéance qui devenait inéluctable. Tous les soldats avaient été rappelés à l’intérieur de l’enceinte, laissant le premier pont-levis sans la moindre défense. Ce détail, les insurgés l’ignoraient pour l’instant, mais cela ne durerait pas. Tandis que le Gouverneur cherchait encore une solution pacifique à cet embrasement de la capitale, à l’extérieur, la foule s’enhardit. Parmi elles, un homme tenait sa fourche en l’air. Grand et de bonne corpulence, Joseph Rémy était vêtu d’un pantalon à rayures bleues et blanches, d’une carmagnole couleur neige et de sabots abîmés. Sur sa poitrine, il arborait la feuille d’un arbre, comme tous ses compagnons insurgés, électrisés et galvanisés depuis que Camille Desmoulins, avocat parisien, avait tiré l’épée et le pistolet en brandissant cette cocarde verte. Bien que handicapé par un pied bot{1} héréditaire qui rendait sa démarche chancelante, Joseph avait rejoint les émeutiers, fatigué par la monarchie absolue et par les conditions de vie qui devenaient cruelles. La veille, il avait dépensé quinze sous pour une simple miche de pain, ce qui représentait plus de la moitié de l’argent qu’il gagnait en travaillant comme un forçat du matin au soir.

C’en était trop.

Il n’était évidemment pas le seul dans cette situation où la survie remplaçait progressivement la vie. Il suffisait de regarder autour de lui. Une véritable marée humaine qui, bien qu’il l’ignorât encore, allait poser la première pierre d’une incroyable révolution. Celle qui changea la face de la France. Le visage de Joseph, marqué par une cicatrice au-dessus de l’œil droit qui traversait son sourcil, était partagé entre le désespoir, la colère et la peur.

— Regarde, cria une voix derrière lui en posant une main sur son épaule.

Un homme venait de grimper sur le muret latéral, découvrant alors que le premier pont-levis avait été abandonné par les soldats de la forteresse, Suisses pour la plupart et invalides pour les autres.

— Il n’y a point de gardes ! Aux armes ! hurla-t-il.

La foule lui fit écho et amorça une marche en avant. Joseph se retourna brusquement en direction de sa femme qui avait tenu à prendre part à l’insurrection populaire.

— Eugénie, ma bien-aimée. Je vous somme de rentrer chez nous à présent.

Cette dernière le dévisagea.

— Je ne puis me résoudre à vous laisser, gémit-elle.

Ils avaient abordé le sujet sur le chemin de la Bastille, alors qu’ils traversaient le Pont Royal. Si l’émeute devenait dangereuse, Eugénie devait s’éloigner. Mais il y avait quelque chose dans le regard de son mari qui la retenait. Elle avait l’étrange sentiment qu’elle ne le reverrait plus. Joseph aussi le redoutait. Quelque chose avait changé dans la foule, envahie par les rumeurs et haranguée par des clameurs sanglantes. Il ne s’agissait plus simplement de récupérer des armes et de la poudre, mais de libérer les prisonniers enfermés et torturés dans la Bastille, faire tomber le gouverneur et détruire cette prison de l’horreur, symbole de la monarchie absolue.

Un coup de feu résonna soudain.

Des centaines de cris de colère s’élevèrent et des bousculades éclatèrent à de nombreux endroits tandis que les premiers assaillants escaladaient le rempart donnant accès au pont-levis. Joseph posa alors sa main sur le ventre arrondi de sa femme.

— Je vous en conjure, rentrez. Et prenez soin de notre enfant. Dites-lui que son père a fait ce qui était juste…

Les yeux rougis de larmes, Eugénie s’éloigna avant de disparaître dans la foule qui se rua brusquement à l’assaut de la forteresse. Les soldats suisses, perchés sur les remparts, se mirent à tirer sur les insurgés. Autour du lui, Joseph vit s’écrouler plusieurs hommes, femmes, et même quelques gamins, foudroyés sur place. Une épaisse fumée s’éleva dans les airs. Il était 13h30 quand la bataille débuta.

Aux armes ! Aux armes !

Lorsqu’il s’engagea en boitillant à l’assaut du pont-levis, disparaissant dans la brume de poudre, Joseph était terrorisé.

Mais cela n’avait plus d’importance.

Aux alentours de 17 heures, ce 14 juillet 1789, le Gouverneur De Launay capitula.

La Bastille tomba aux mains des assaillants qui tuèrent les défenseurs de l’édifice.

Joseph Rémy ne rentra plus jamais chez lui.

 

 

Chapitre 1

 

 

 

De nos jours, pendant les vacances d’été.

 

— Hé, Valentin, attends-moi !

Le début du mois de juillet était étouffant. Outre la chaleur, l’air semblait être une denrée rare et le jeune gaillard de 11 ans n’avait qu’une hâte : arriver au plus vite.

— Dé…dé… dépêche-toi, Ma…Ma…Margot !

Et voilà, c’était reparti pour un tour.

Valentin poussa un profond soupir et ferma les yeux en inspirant profondément.

Parler relax, parler relax…

Les exercices travaillés avec son orthophoniste lui revinrent en mémoire…

L’image du toboggan, allonger les sons vocaliques, lier les syllabes…

Sa respiration reprit petit à petit un rythme normal, et lorsque sa grande sœur parvint à sa hauteur, il siffla sans le moindre bégaiement :

— J’suis pas né pour passer ma vie à t’attendre, tu sais.

Margot le regarda d’un air amusé. Elle adorait son petit frère, malgré son caractère parfois impossible. Il était né comme ça, selon ses parents. Dès le plus jeune âge, son activité favorite consistait à jouer le plus possible avec les règles fixées. Se confronter à l’autorité lui prenait une grande partie de son temps, quand il ne le passait pas à écrire des histoires.

— On s’demande bien pourquoi t’es né, tiens ! lui glissa-t-elle en lui balançant un léger coup de coude.

Valentin répondit immédiatement à sa sœur en faisant voler sa casquette. Cette dernière, après quelques acrobaties aériennes, atterrit directement sur une bouse de vache en bord de route.

— Beeeerk ! maugréa Margot en cherchant le moyen de se venger.

— Tu v… vas f… faire quoi ?

La future lycéenne lâcha sa valise et regarda au loin. Le village de ses grands-parents se dessinait à l’horizon, au bout de cette longue et interminable ligne droite, sans le moindre coin d’ombre. Une dizaine de minutes s’était écoulée depuis qu’ils étaient sortis de la gare en direction de la maison de leurs vacances.

Trois semaines de bonheur.

À condition d’arriver.

— Rien, soupira-t-elle en s’essuyant le front après avoir ramassé sa casquette dont la couleur rose était maintenant parsemée de jolies taches marron. Il est temps d’arriver, Val. Je n’ai plus d’eau et le soleil tape fort.

Son petit frère fixa à son tour le village au loin. On remarquait un élément qui se détachait du décor.

Le clocher.

— C’est d…d…dingue quand même, souffla-t-il. Dans n’importe quel p…p…patelin, la p…p…première chose que tu remarques, c’est l’église.

Margot passa devant son frère, qui lui emboîta le pas.

— Moi, elle me fait peur.

— T’es sérieuse ?

La jeune fille de 14 ans sembla subitement prise de frissons malgré la chaleur estivale.

— Ouais, depuis toute petite, quand on venait avec les parents. J’ignore pourquoi, mais elle me fiche une trouille bleue. On dirait qu’elle a été bâtie il y a mille ans.

Valentin pouffa de rire.

— T’as p…peur des trucs v…v…vieux en fait !

— Tu comprends rien. J’adore les antiquités. Mais cette église-là, c’est différent. Ses pierres sont sombres et usées. Il y a toujours de la brume qui sort de terre, juste au niveau du cimetière et puis j’en sais rien, mais quelque chose cloche, c’est tout. C’est comme si…

Margot baissa les yeux.

— Comme si q…q…quoi ?

La jeune fille marqua un long silence avant de s’arrêter.

— Comme si le lieu était habité.

Elle fixa son frère avec intensité, mais ce dernier ricana avant d’accélérer l’allure. Il faut dire que Valentin s’était forgé une solide carapace depuis quelques années. Le bégaiement dont il souffrait s’était aggravé en approchant de la fin de l’école primaire malgré de nombreux rendez-vous chez les spécialistes en tout genre. Selon ses parents, il fallait lui laisser le temps, et le problème se réglerait.

Mais Margot savait des choses.

Des choses qu’elle était la seule à connaître sur la vie de son petit frère. Les moqueries, il connaissait bien, et il avait appris à ne plus s’en soucier, mais les mots étaient devenus plus durs, plus blessants, en grandissant. Et le caractère fort de Valentin ne semblait plus être un rempart infranchissable, depuis le début de l’adolescence et le passage au collège. Quelques semaines auparavant, elle l’avait entendu pleurer à travers le mur de sa chambre. Bien sûr, il avait refusé d’aborder le sujet, lui assurant même qu’il chantait et qu’il était temps pour elle de se nettoyer les oreilles, mais Margot avait soupçonné une grande détresse chez son frère. Et le meilleur moyen d’en avoir le cœur net, c’était de se plonger dans les histoires qu’il écrivait. C’est là qu’elle avait pris peur. Après s’être introduite dans sa chambre pendant qu’il était occupé à regarder des séries japonaises à la télé, elle avait découvert le titre de son dernier roman, en pleine phase d’écriture :

La tête haute.

Lorsqu’elle en termina la lecture, Margot fut certaine de deux choses. La première, c’est que son frère avait beaucoup de talent. La deuxième, c’est qu’il vivait un enfer au quotidien. Le héros de son aventure, étrangement brun comme lui, subissait au collège des attaques quotidiennes, car il bégayait. Refusant d’en parler à ses parents, ce jeune garçon s’enfermait dans l’écriture, avec l’espoir que ses histoires deviennent réelles.

Ce soir-là, Margot appela son grand-père.

Papy Milo.

Un personnage absolument exceptionnel, prêt à tout pour aider ses petits-enfants et le cœur rempli de ressources. Blagueur, mais sérieux, la tête dans l’imaginaire, mais les pieds bien sur terre, il était l’homme de la situation. Elle lui avait tout raconté, dans les moindres détails. Si le bégaiement de son frère s’accentuait, il y avait une raison évidente : Valentin était en train de perdre toute confiance en lui.

— Quand il y a un problème, avec Milo ça passe crème ! lui lança-t-il en s’accaparant le langage des jeunes. Je m’occupe de tout !

Quelques jours plus tard, ils furent invités à venir passer trois semaines de vacances chez leur grand-père, à Saint-Rémy.

Saint-Rémy.

Lorsqu’ils s’arrêtèrent devant la pancarte indiquant l’entrée du village, mille souvenirs leur revinrent en mémoire. Les courses de vélo à travers les ruelles, le carrousel et les glaces au bord du ruisseau qui serpentait dans le centre, le cinéma en plein air en haut de la butte surplombant les faubourgs, et les chasses au trésor gigantesques organisées par leur Papy Milo, quand leur grand-mère était encore en vie. Depuis la mort de sa femme, Émile avait un peu perdu de sa joie de vivre. Il organisait toujours de belles balades, mais il n’était plus le même. Valentin et Margot avaient petit à petit perdu l’envie de rester plusieurs jours dans l’immense maison qui sonnait de plus en plus vide. Leur dernier séjour remontait à deux ans, et hormis un passage éclair pendant les vacances de Noël, ils n’avaient pas revu leur grand-père depuis.

— T…t…tu crois qu’il va mieux ? demanda Valentin en sautant à pieds joints sur un trottoir.

Margot leva les yeux en l’air.

— J’en sais rien. Une fois, il m’a dit qu’on pouvait toujours guérir d’un chagrin d’amour. Sauf quand la personne disparue était elle-même le remède à tous les chagrins.

— On aurait p…peut-être dû revenir le voir p…p…plus souvent.

Les deux adolescents remontèrent la rue principale du village, avant de s’engager sur un petit chemin menant à la maison de leurs grands-parents. Cette dernière, immense et fleurie par le passé, se situait dans une impasse, en bordure d’une épaisse forêt. Parfois, quelques cerfs s’approchaient prudemment, à la recherche de nourriture que Milo leur gardait précieusement. Ce dernier attendait ses petits-enfants sur la terrasse, confortablement installé dans un fauteuil à bascule, une tasse de café à la main. Lorsqu’il les aperçut, il descendit à leur rencontre à la manière d’un soldat, la main collée à la tempe droite, et marchant au pas.

— Un véritable acteur, songea Margot.

— P…P…Papy ! hurla valentin en lâchant sa valise avant de se ruer dans ses bras.

Le vieil homme fit mine de perdre l’équilibre, mais se rattrapa au prix d’une pirouette parfaitement contrôlée. Il serra ses petits-enfants contre lui, puis recula d’un pas, se râcla la gorge et déclara en se fendant d’une révérence :

— Soyez les bienvenus, mes chers trésors, pour des vacances que vous n’oublierez jamais !

Valentin et Margot se mirent à rire de bon cœur, avant de prendre possession des lieux que leur grand-père avait préparés pour l’occasion. Ils s’installèrent dans des chambres séparées, avec une magnifique vue sur les bois, avant de se retrouver dans la cuisine pour prendre un goûter et une citronnade amplement mérités. Tandis qu’ils mâchaient goulûment une tartine de confiture, Émile les rejoignit, un étrange sourire aux lèvres.

— Bien installés ?

— Ouaip, lança Valentin.

— Tant mieux ! Et j’espère qu’il vous reste quelques forces, car nous allons saluer votre grand-mère, au cimetière.

Les deux adolescents se dévisagèrent.

— Tu veux dire qu’on va y aller m…m…m…maintenant ?

Margot adressa à son frère un regard sévère.

— Avec plaisir Papy, déclara-t-elle en exagérant l’intonation. C’est une très bonne idée !

Valentin eut l’impression de voir son grand-père adresser un clin d’œil à sa sœur, mais il se mit ensuite à cligner des deux yeux sans interruption, avant de leur offrir un grand sourire amusé.

Un vrai clown…

Puis ils sortirent de la maison et prirent la route du cimetière, à l’autre extrémité du bourg. Lorsqu’ils traversèrent à nouveau le centre du vieux village, Margot remarqua la nouvelle boutique qui s’était installée en lieu et place du salon de coiffure. Derrière la vitrine, le propriétaire les dévisageait étrangement. Devinant le regard interrogateur de la jeune fille, Émile expliqua :

— C’est une librairie. Un petit couple que je ne connais pas bien vient d’emménager à St-Rémy. Ils ont décidé de vendre des livres. C’est une bonne chose, car les gamins ne lisent plus aujourd’hui. N’est-ce pas ?

Valentin laissa s’échapper un petit rire. C’était un sujet brûlant, à la maison. Ses parents insistaient pour lui tirer le nez des mangas, seuls ouvrages qu’il acceptait de tenir dans ses mains et cela donnait lieu à de sérieuses prises de bec, interminables et sans solutions.

— Et où vas-tu te faire coiffer à présent ? insista Margot.

Émile se mit à grimacer.

— Vois-tu, jeune fille, à partir d’un certain âge, les cheveux tombent sans même l’aide d’un professionnel. Alors en ce qui me concerne, je me débrouille avec un peigne ! Mais rassure-toi, le salon n’a pas disparu, il a déménagé non loin de la mairie. Plus grand et plus moderne… Pas pour moi, donc !

Valentin vint se blottir contre son grand-père.

Ils n’étaient arrivés que depuis quelques heures, mais il se sentait déjà un peu plus en confiance. Du moins jusqu’à ce que le cimetière apparaisse… Pour y accéder, il fallait contourner la sombre église par la droite, en suivant un petit chemin en gravier mal entretenu, puis pousser avec force le portail d’entrée, ce qui déclenchait à chaque passage un bruit métallique glaçant, semblant provenir d’outre-tombe. Les adolescents marchèrent derrière Émile, en silence, visiblement peu à l’aise au milieu des sépultures et des morts qui reposaient sous la terre. Ils restèrent un long moment devant la pierre où le nom de leur grand-mère était inscrit en lettres dorées.

 

Colette Malatier

1950 – 2018

 

Un léger vent venait de se lever, rafraîchissant l’air et sifflant à travers le cimetière.

— Allons-y, renifla Émile, le regard embué de larmes.

Ils reprirent l’allée principale, et s’approchaient du portail quand Margot remarqua quelque chose d’étrange, au pied d’une petite butte de terre.

— Milo, c’est quoi, ça ?

Elle désignait une croix en pierre blanche, semblant sortir du sol, à une dizaine de mètres. Totalement à l’écart, elle paraissait bannie des autres habitants éternels du lieu.

— Ah ! C’est une très bonne question, déclara Émile. Je ne vous en ai jamais parlé ?

— Non, assura la jeune fille.

— Croix de bois, croix de fer ? s’amusa le vieil homme en raison de l’endroit où ils se trouvaient.

— Si j’mens j’vais en enfer, compléta Margot avec un sourire complice.

— Alors, venez avec moi, mais soyez extrêmement prudents…

En prononçant ces mots, le visage du vieil homme devint subitement très sérieux. Il posa un doigt sur sa bouche recouverte d’une barbe grise et s’avança lentement en direction de cette étrange croix, suivi de près par ses petits-enfants. Tandis qu’ils s’approchaient, Valentin remarqua la pierre tombale, enfoncée dans le sol et recouverte en grande partie par une mousse épaisse et quelques racines entremêlées. Ses mains devinrent moites, tant l’atmosphère était à nouveau étouffante et sa respiration s’accéléra progressivement. Quelques pas encore et il se retrouva face à cette croix singulière qui devait être blanche à l’origine, mais que les dégâts du temps avaient considérablement transformée. On distinguait une multitude de couleurs et de taches, laissées par la pluie, tandis qu’une mousse verdâtre sortait des fissures de la roche. Il n’y avait aucune inscription. Pas le moindre nom sur cette sépulture qui jaillissait de terre et semblait attendre ici depuis une éternité.

— P…P…Papy, balbutia Valentin. Q…qui est enterré ici ?

Émile s’était écarté et le fixa sans cligner des yeux, les bras croisés.

— Vous voulez connaître la terrible histoire de Joseph Rémy, les enfants ?

Un violent coup de vent balaya soudain le cimetière.

— P…p…pour sûr, ouais !

Le vieil homme passa sa main sur son crâne dégarni, avant de se gratter à nouveau la barbe grise, tout en prononçant quelques mots incompréhensibles. Puis son regard se posa sur la pierre tombale et il commença :

— Vous savez évidemment tous les deux pourquoi le 14 juillet est un jour spécial en France, non ? Alors, laissez-moi vous expliquer ce qu’il s’est passé ce jour-là. À cette époque, c’est le Roi qui décide de tout dans le pays…

Margot se trémoussa.

— C’est ce qu’on appelle la Monarchie, le coupa-t-elle, toute fière d’étaler ses connaissances. Le peuple en a eu marre, et s’est révolté !

Son grand-père lui adressa un regard sévère.

— Vous êtes priée de ne plus me couper, jeune fille.

Valentin esquissa un sourire.

Non, mais !

— Ce que tu ignores, reprit Émile, c’est que la monarchie, le peuple s’en accommodait plutôt bien. Le problème, c’est qu’elle était absolue. Ce qui signifiait que tous les pouvoirs étaient concentrés dans les mains d’un seul homme. La justice, l’armée, les finances, enfin tout… Et cet homme, c’était le fameux Louis XVI.

Margot poussa un soupir. Elle connaissait toute l’histoire de ce roi au destin tragique.