Le faux du vrai - Iris Rivaldi - E-Book

Le faux du vrai E-Book

Iris Rivaldi

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Beschreibung

Le commissaire principal Paul Berger ne fait décidément rien comme tout le monde. Alors que d’autres, après de longues années de service dans la police judiciaire, n’aspirent qu’à une retraite bien méritée, lui, continue sa carrière.
Accompagné d’une charmante adjointe, il va arpenter bien des chemins tortueux au point de former avec elle un duo d’enquêteurs.
L’aventure commence dans un quartier paisible où une voisine animée de bonnes intentions se veut vigilante.
Le mystère se cache dans un obscur laboratoire d’alchimie où parmi les fioles se faufile l’ombre d’une odieuse créature…
Quand le crime se double de surnaturel, nombre de policiers peuvent se sentir déboussolés. Le fin limier va alors affronter l’impensable. Seule sa ténacité lui permettra de mener à terme une enquête forte en rebondissements et faux-semblants. L’amour des siens lui sera d’un grand réconfort.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Le faux du vrai 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Éditons L’Écharpe d’Iris, 2024

2, allée Jacques-Offenbach – 76520 Franqueville-Saint-Pierre

[email protected] 

ISBN : 978-2-487593-09-1 

Dépôt légal : Août 2024

Tous droits de reproduction, traduction et adaptation réservés pour tous pays.

Iris Rivaldi 

 

 

 

Le faux du vrai 

ou 

L’imparfaite alchimie 

 

Cosy mystery 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Collection L’Écharpe jaune 

 

L’Écharpe d’Iris

 

 

 

 

 

 

De la même autrice 

 

- Le Grogneux, première parution aux éditions NDB 

- La chaussure bleue, texte scénarisé du livre Le Grogneux, disponible en format ebook partout en ligne 

 

- Autres titres disponibles en format broché ou ebook, en ligne et en librairie : 

Le Grogneux rempile 

Le Grogneux face à l’inexplicable 

La mare au faon 

Vilaine petite grenouille 

Intrication infernale 

Drôle de nébuleuse 

Brouillard d’ondes 

 

Chaque histoire est inédite et indépendante. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Jean-Pierre 

À mon adorable Jacinthe, qui a imprimé sa patte à cet ouvrage tout au cours de son élaboration (mon clavier en tremble encore !)

 

 

 

 

Délivré ?

En liberté vivre ses jours ?

Le Mal rôde, désolé

et cerne mon amour.

Il est insidieux, même dehors.

Que faire alors

pour fuir le tumulte

et cet ennemi occulte ?

Quand tout combat humain

paraît bien vain.

 

 

 

 

 

 

 

 

De bonne heure, de bonne humeur 

 

 

 

Depuis que le premier clampin de l’État avait officiellement annoncé à la télé que tout le pays était en ordre de marche pour combattre un ennemi invisible, sur le front domestique ma douce Émilie ne chômait pas. Pour parer le manque de masques de protection dont souffrait l’hôpital de Sernon, elle comptait à sa manière participer à l’effort de guerre. C’est pourquoi elle avait redonné du service à la vieille Singer à pédale et manivelle, jusqu’ici remisée au grenier sous sa housse, et ainsi mis à profit les cours de « Coupe et Couture » qu’elle suivait avec assiduité au club féminin de Touy. 

En la voyant filer, j’avais la nostalgie des séances de ravaudage que ma mère, et sa mère avant elle, passaient à la veillée. À force de malmener mes habits, j’avais pour ainsi dire monopolisé les soirées de ces dames qui, mues par un indéfectible amour envers le garnement que j’étais, reprisaient sans compter. À son tour, Émilie finissait d’amortir l’antique machine à coudre en confectionnant une collection de masques maison avec triple plis de rigueur. Les tissus fantaisie employés étaient de haute qualité et de belle épaisseur. 

Chaque jour de la semaine, médecins, infirmières et consorts auraient donc à disposition une « bavette » filtrante, lavable et réutilisable. Cerises, fraises, pommes, poires et scoubidous ou-ah ou-ah… mais aussi de charmants petits animaux : zozios de toute taille, chiots et chatons et même des étoiles de mer… viendraient orner le nez et la bouche des sauveurs de la nation. 

Comme c’est pas tous les jours qu’on affronte une pandémie, Émilie avait aussi consenti certains sacrifices en renonçant au superbe tissu en coton à fleurs Liberty qu’elle réservait au chemisier de ses rêves. 

Sans pour autant céder à nos penchants paranoïaques, avec ce virus mutant dans l’air, ma chérie et moi avions préféré goûter à la douceur du foyer bien avant les communiqués alarmistes du gouvernement. Depuis quelque temps, on se gardait donc de s’aventurer au-dehors malgré un printemps précoce tout disposé à nous faire de l’œil. 

De plus, sous l’effet du changement de saison, Émilie menait à longueur de journée une redoutable croisade contre un autre ennemi, plus visible mais tout aussi envahissant. J’avais ainsi été très surpris le jour où elle m’avait demandé de couper le courant au compteur. En effet, après avoir passé la rampe de l’escalier et les plinthes de chaque pièce à la brosse à dents, ma fée du logis tenait, sur sa lancée, à déloger au coton-tige la moindre particule de poussière de toutes les prises électriques. Même au régiment, l’adjudant maniaque à qui j’obéissais de mauvaise grâce ne s’était jamais montré si pervers… 

À présent, armée de son plumeau, Émilie redoublait de frénésie tout en s’époumonant. Pendant que toute la maison résonnait de la néo-version rock d’Une souris verte, elle époussetait les meubles avec l’incroyable Catch’n’Dust, qu’elle avait déniché sur un site Internet vantant l’objet comme le super bon plan du siècle censé révolutionner le ménage. 

 

« Une souris verte qui courait dans l’herbe… Oh yeah !!! yeah !!! yeahh !!! Je l’attrape par la queue, je la montre à ces messieurs… Badam, dim, doum, dam ! Ces messieurs me disent : “Trempez-la dans l’huile, trempez-la dans l’eau, oh ! oohh ! ooohhh ! ça fera un escargot tout chaud…” » 

 

Ma belle se déhanchait dans d’énergiques mouvements de zumba tandis que j’admirais ce charmant tableau confortablement enfoncé dans mon fauteuil pivotant en similicuir, que les collègues du commissariat avaient tenu à me céder en prévision de ma future et paisible vie de retraité. S’ils avaient su… J’alternais donc la contemplation de ma ménagère adorée avec la lecture d’un bon vieux journal en papier, ne m’étant pas encore fait à l’idée de suivre les événements planétaires sur un écran d’ordinateur. Tout comme j’avais proscrit de ma vie la messagerie instantanée, privilégiant le contact de vive voix avec mes interlocuteurs. Question de génération… 

J’ignore pourquoi mais, avec sa chansonnette enfantine, Émilie me rappelait tout l’attrait régressif d’une spaghetti party, de celle qui macule de sauce tomate les joues des gamins et dont se souviennent les murs du réfectoire quand l’amusement venait à dégénérer. Le type d’incidents qui faisait immanquablement enrager frère Virgile et frère Jules, mes principaux éducateurs chez les jésuites. Dans un état de semi-sommeil, je visionnais donc un souvenir antédiluvien derrière l’écran de mes paupières. 

 

« Yeah, yop, yep, oh, oohh, ooohhh. Je la mets dans mon chapeau, elle me dit qu’il fait trop chaud… Je la mets dans un tiroir, elle me dit qu’il fait trop noir… Je la mets dans ma culotte… Hop, hop, hop. » 

 

À ce moment précis, de grands coups sur la porte nous ont fait sursauter à l’unisson. Encore plongé dans la cantine de l’école primaire que je m’apprêtais à repeindre en rouge avec mes compagnons, Émilie n’a pas attendu que j’émerge de mon fauteuil et s’est précipitée bille en tête vers l’entrée en lâchant son piège à poussière au beau milieu d’une étagère. Mais prudente, avant d’ouvrir, elle a regardé par le judas. 

– Madame Franchon ! Quel bon vent vous amène ?! s’est-elle exclamée avec amabilité en entrebâillant la porte. 

« La voisine d’à côté… Qu’est-ce qu’elle nous veut encore ?! De si bonne heure surtout… » Goûtant peu les visites importunes, j’avais réprimé un grognement d’exaspération. 

– Bonjour Émilie, votre mari est-il là ? 

Question purement rhétorique. « Où aurais-je bien pu être ?! » 

– C’est pour quoi, madame ? Vous savez Paul est très occupé… 

Gros mensonge censé préserver ma quiétude. Mais avec la mère Franchon, on a affaire à forte partie. J’étais, il est vrai, très « occupé » il y a à peine trente secondes… mais pour être honnête, depuis plusieurs semaines, les affaires ne se bousculaient pas et je coulais des jours tranquilles. Mon expertise de commissaire principal de police ne semblait manquer à personne. 

Madame Franchon ne laissait pas Émilie en placer une et débitait son laïus comme une salve de mitrailleuse. 

– Eh bien voilà, je voulais vous prévenir que j’ai vu un drôle de type rôder dans les parages. Ça me paraît louche, on aurait dit qu’il surveillait tout ce qui se passe chez vous… Plusieurs fois, je l’ai vu scruter votre façade comme s’il guettait quelque chose. Il a traîné là des journées entières, je me demande bien ce qu’il cherchait. Si ça se trouve, c’est un cambrioleur qui prépare un mauvais coup… D’ailleurs, l’autre jour, sur le panneau d’information de la mairie, j’ai vu passer l’annonce « Halte aux cambriolages », elle est passée vite, mais j’ai quand même eu le temps de lire qu’il fallait bien fermer les portes en sortant de chez soi… On doit tous se méfier, vous savez, surtout quand on sait qu’on a encore des romanos qui font du camping sauvage dans le coin. Ils reviennent tous les ans, ceux-là, pas moyen de s’en débarrasser… Je suis vite venue pour que vous soyez vigilants… C’est normal de s’entraider entre voisins… Si vous sortez, ce serait plus prudent de me confier vos clés, une fois, j’ai vu votre mari les mettre sous le paillasson. C’est pas très malin !… Sur le panneau lumineux, ils disent qu’il faut jamais faire ça… Heureusement que je garde un œil sur tout ce qui se passe. 

« La mairie devrait l’embaucher comme auxiliaire de police… » 

– Vous avez raison, on pensera à vous… En tout cas, c’est curieux, nous, on n’avait rien remarqué. Paul va surveiller ça, merci de nous avoir avertis… Sinon comment va votre mari ? Ça fait un bail qu’on ne l’a pas vu… s’est enquise Émilie pour ne pas paraître trop fruste. 

– Aahhh mon mari, ne m’en parlez pas ! s’est presque étranglée madame Franchon tout en levant les yeux au ciel avant d’enchaîner : Comme vous, je ne le vois presque plus depuis qu’il est en plein rangement. En ce moment, il est tout le temps fourré dans la cabane au fond du jardin. Vous savez ce que c’est, on entasse, on entasse… après, on ne peut plus mettre un pied devant l’autre sans se cogner sur un objet… Comme on est au printemps, il a trouvé que c’était le bon moment pour faire de la place… Il fait beau ce matin, non ?… À vous voir mal coiffée et dans cette tenue… vous n’êtes sûrement pas encore sortie… vous devriez profiter du soleil, vous êtes bien pâlichonne… Ah au fait, en parlant de l’air de la campagne, hier soir, avez-vous senti les odeurs de barbecue ?! C’est encore les nouveaux voisins… Vous savez, ceux juste à côté de chez nous, la maison aux volets jaunes. Je ne sais pas ce qu’ils utilisent pour allumer le feu, si ça vient des brindilles ou bien d’un liquide inflammable… en tout cas, ça empeste. Il y avait une fumée horrible dans toute la rue. On a été obligés de se barricader pour ne pas mourir asphyxiés… C’est un comble, non ? Ils pourraient faire attention… Mon mari voulait aller les voir, mais je l’ai retenu. On ne sait jamais sur qui on peut tomber… Si ça continue, on fera signer une pétition… Autre chose, Robert fait de l’insomnie et une nuit, il a regardé par la fenêtre qui donne sur le jardin. C’était la fête à Neu-Neu là-bas… Ils avaient dû picoler… Il m’a dit les avoir vus derrière la haie en train de danser tout nus… Ils étaient toute une bande à chanter à tue-tête. Il faut bien que jeunesse se passe, mais elle met du temps à se passer pour certains… quand même, c’est bizarre tout ça. Votre mari devrait enquêter, il est dans la police, d’après ce que je sais… C’est son devoir… Nous, on en a marre… Mais je vous retiens peut-être ?… Alors, je vous laisse. Bonne journée à vous ! Passez le bonjour à monsieur Berger. 

– Je n’y manquerai pas, merci madame. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nouvelle menace ? 

 

 

 

Avant de prendre congé, Émilie a eu la présence d’esprit d’alerter notre chère voisine sur un détail capital. 

– À propos de ce type louche, avez-vous remarqué s’il était bien habillé ? 

– Mais oui, tenez… Maintenant que vous le dites… Il n’avait pas la touche d’un clodo, ni d’un type qui va bosser sur un chantier… C’est vrai, il était endimanché comme pour aller à la noce. Vous le connaissez ?! 

Face à l’inquisition faite femme, n’importe quel agent des services secrets aguerri aux techniques d’intimidation les plus vicieuses se serait senti vulnérable. Pour se tirer d’embarras, Émilie n’avait donc pu esquiver la curiosité de la voisine qu’en refermant graduellement la porte. 

– Pas du tout, non… c’était juste pour savoir. Encore merci madame, bonne journée à vous aussi. 

J’avais prêté une oreille attentive à la conversation, au monologue plutôt… 

– J’ai tout entendu, chérie. T’inquiète pas. 

– Tu sais Paul, ça m’intrigue ce type qui traîne par ici… Il me fait penser au… 

Par superstition, comme pour conjurer le malheur, elle avait laissé sa pensée en suspens car parfois mieux vaut passer certaines choses sous silence. On sait ce que c’est, si on prie le bon Dieu, il n’entend jamais rien, en revanche quand on appelle le diable, il se pointe à coup sûr. 

De plus, comme toute commère qui se respecte, madame Franchon a une tendance naturelle à l’exagération. Le soi-disant type louche n’était peut-être rien d’autre qu’un brave pèlerin venu admirer notre belle façade. Un jeune homme qui montait son entreprise de peinture venait justement de ravaler la nôtre dans les règles de l’art. Le gars avait tenu à laisser ses coordonnées sur notre balustrade et il se signalait ainsi par un petit panneau blanc. On l’avait laissé faire espérant que, grâce à cette publicité grandeur nature, il s’attire d’autres clients. Mais il fallait s’approcher de près pour lire… Malgré tout, ceci n’inspirait rien qui vaille à ma bonne Émilie. 

– Pour un flic, tu n’es pas très curieux, chéri. Moi, je trouve ça inquiétant, surtout quand on sait par quoi on est passé. T’as déjà oublié ? 

– Non ma douce. Mais pourquoi s’exciter aujourd’hui ? Tu ne vas pas tomber dans la psychose… 

– Non mais les ennuis, j’ai appris à les sentir arriver. 

– Rassure-toi, mon cœur. Comme dit la voisine, on sera vigilants. Si le gus est vraiment la créature qu’on croit, tu sais comment l’éloigner. Après tout, grâce à Amaru, tu es une spécialiste maintenant. Et puis, même si tu n’y arrives pas, ce qui m’étonnerait, on pourra toujours faire appel à grand-mère Lucie. 

– Bon et pour les voisins débauchés, qu’est-ce que tu comptes faire ? 

– Rien. C’est pas mon affaire… 

– Je vois… Tu ne bougeras pas une fesse de ton fauteuil… 

– J’attends, c’est tout. L’espace privé doit rester privé. 

J’expliquais donc qu’on oblige personne à observer ses voisins à la loupe. Si des zigotos veulent s’exhiber dans leur jardin le général Popaul à l’air, libre à eux ; chacun vit comme bon lui semble après tout. Danser dans le plus simple appareil, éclairé par la lune n’a jamais été un crime. Tant qu’aucun trouble à l’ordre public n’est à déplorer, pas de raison de partir à la chasse aux sorcières. La première ville à commencer par la lettre S par ici, c’est Sernon, pas Salem. Hormis accorder le bénéfice du doute à ces nouveaux venus dans le quartier, je ne voyais rien d’autre pour leur service. 

Rassurée, Émilie s’était penchée pour me poser un tendre baiser sur le front et s’en retourna aussi sec à son plumeau. Cependant la connaissant, je savais qu’en ce qui concernait le type bizarre, l’affaire n’en resterait pas là. D’autant que, depuis l’intrusion matinale de madame Franchon, la curiosité commençait à me titiller. Ma nouvelle vie casanière entrait parfois en conflit avec mon instinct de détective qui traversait un passage à vide. Alors comme les montées d’adrénaline me manquaient, si l’aventure devait se rappeler à moi en frappant à la porte… pourquoi la laisser passer ? Mais je n’en laissais rien paraître car Émilie aurait immanquablement saisi le coche. Et je voulais la préserver des péripéties qui ne l’avaient pas épargnée ces derniers temps. Il me fallait examiner la situation la tête froide et rien ne laissait suspecter un problème, que ce soit dans l’attitude des voisins ou chez un éventuel Styx expert en bâtiment. 

Ça y est, le mot est lâché : la chose a été appelée par son nom. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un long voyage 

 

 

 

Depuis qu’Amaru avait quitté sa forêt d’émeraude pour faire une halte dans notre contrée normande, ma petite femme avait eu moult révélations quant au sens de la vie terrestre. 

L’authentique chaman venu du bout du monde en avait donc parcouru la moitié en compagnie de la grand-mère d’Émilie pour aider ma choupinette à y voir plus clair sur son destin hors norme. 

Jusqu’ici mon éducation religieuse m’avait fait tenir pour acquis que la poussière retournait à la poussière et, qu’avant de venir s’échouer sur mes étagères, tout poudroiement en suspension dans l’atmosphère renvoyait la vanité humaine à sa misérable et éphémère condition. 

Certes entre-temps, rien ne s’oppose à lorgner du côté de l’élévation spirituelle, mais je vois d’habitude d’un œil suspect tout prophète autoproclamé prompt à extorquer un testament philosophique au benêt de service moyennant une contrepartie douteuse. Faust est passé par là et l’expérience des uns peut parfois servir aux autres. Donc méfiance. Tout ce qui gravite autour de la nébuleuse ésotérico-mystique résonne à mes oreilles comme une langue somme toute étrangère. 

Hormis cela, j’étais de longue date fasciné par certaines énigmes qui ont bien peu en commun avec la résolution d’enquêtes criminelles et qu’on peut volontiers ranger dans les questions existentielles. Ainsi, contrairement aux canetons et aux cygnons que je vois frétiller sur l’Orbe à la saison neuve, il ne m’avait jamais été donné de voir de bébés pigeons. À croire que ces volatiles apparaissaient de nulle part avec une taille standard. De même, où allaient les papillons une fois l’heure de la rentrée venue ? On les voyait virevolter tout l’été et pffftt, en septembre déjà, ils se volatilisaient dans l’éther sans même laisser trace de leur dépouille ailée. 

Même si Amaru m’intriguait, son approche désintéressée me séduisait. En effet, habitué à courir dans la jungle pour se procurer le strict nécessaire, il se souciait peu des apparences et il s’était présenté devant nous sans chichis. Ses pieds avaient Dieu sait quoi de touchant dans les espadrilles que Lucie lui avait achetées au Forum des Halles. Cette étape parisienne qui remontait à l’hiver avait coïncidé avec deux événements marquants pour un esprit affranchi d’Amazonie.