Le Grogneux face à l'inexplicable - Iris Rivaldi - E-Book

Le Grogneux face à l'inexplicable E-Book

Iris Rivaldi

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Beschreibung

Le commissaire Paul Berger, surnommé "Le Grogneux" par tous ses collègues à cause de son fichu caractère, n'est pas au bout de ses peines. Ce policier un rien atypique est confronté tous les jours à un monde impitoyable à la lisière du sordide. Heureusement que ses amis dévoués et sa merveilleuse épouse à la nature espiègle et amoureuse lui permettent de souffler de temps à autre. Seulement voilà, même s'il a une longue expérience de fin limier derrière lui, notre commissaire n'a encore rien vu et va soudain subir d'étranges phénomènes, loin d'être le fruit de son imagination. En effet, il est brutalement projeté dans une dimension inconnue, par chance, dans la tourmente et croyant perdre l'esprit, quelqu'un plein de ressources croisera sa route. Une question se posera néanmoins : Comment ce super flic incarnant loi et autorité se comportera-t-il face à l'inexplicable, lui d'habitude censé avoir réponse à tout ? Chaque tome de la série relate une aventure inédite et peut être lu indépendamment.

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Une nouvelle aventure du commissaire Paul Berger

Roman policier

Vous avez sous les yeux une fiction, toute ressemblance avec des personnes, des événements et des lieux existants serait une sacrée pirouette du destin.

Merci à Jean-Pierre

La retraite une pause ?

Pas pour «Grogneux» qui ose

Confronté à nouvelles dimensions

Inexplicables sensations

Pour un homme malgré tout

Ordinaire et simple en tout

Inconcevables pour sa raison ?

De s’adapter, on verra s’il a le don...

Dans la même série :

Le Grogneux, un premier roman qui pose le décor avec du rythme et de la sensualité – tome 1

Le Grogneux rempile – tome 2

Le Grogneux face à l’inexplicable – tome 3

La mare au faon – tome 4

Toutes ces aventures du Grogneux sont inédites et peuvent être lues indépendamment.

Sommaire

Mauvaises nouvelles

Une mort embarrassante

Un certain King Jong

Le carrousel

L’ami Roger

La Grande Arche

Le parloir

L’enterrement

La grand-mère

Le massage

Le premier magistrat est à bout

Les Glycines

L’inspection de la chambre

Les pensionnaires

Une piste ?

Fabien

Le suspect court toujours

Fabien entre en scène

Un nouvel ordinateur

L’audition d’Albert

Tout un poème

Un dimanche entre amis

Vous avez dit étrange ?

Je suis la proie

Appréhendé

Dépêchons !

Le retour

Bientôt

Le temps m’est compté

Rien de rien

Finir en beauté ?

Tous suspects

Grand-mère Lucie

Le rituel chamanique

Mauvaises nouvelles

Un éclair illumina la chambre.

— Hein ?! Quoi ?

— Ce n’est que moi chéri, excuse-moi, j’essaye mon nouveau smartphone avec flash incorporé. Je tiens à avoir une photo de toi quand tu dors, tu es si mignon, tu souris comme un bébé. Tu rêvais de moi, c’est ça ?

Dans sa nuisette rose nacré, ma jeune épouse Émilie venait de me tirer le portrait... et de mon profond sommeil. Je regardais le réveil sur le plateau en marbre noir de la table de nuit. Il était tout juste sept heures. Bien trop tôt ! Je devais à Morphée quinze minutes de sursis puisque l’alarme était programmée dans un quart d’heure. Malgré tout, un sourire se dessina sur mes lèvres alors que mes yeux émergeaient à peine du brouillard. J’attrapai ma matinale petite coquine par la main.

— Viens par là monstresse que je te montre de quel bois se chauffe un Grogneux au réveil. Faut pas trop le chercher...

Émilie se laissa tomber près de moi dans le lit. Je commençai à la chatouiller et elle gigotait dans tous les sens en criant et en essayant de retenir ma main entreprenante. Elle avait si bien fait qu’elle avait maintenant les jambes complètement découvertes et mis les draps sens dessus dessous. Je pouvais admirer à loisir sa petite culotte d’un rose un peu plus soutenu que celui de son déshabillé. Ma douce maîtrisait à merveille tout l’art du camaïeu vestimentaire. Elle ne cessait de pouffer de rire, tentant d’articuler :

— Attends chéri... Je reprends mon souffle... Après je te grimpe dessus...

Alors qu’elle m’enfourchait gaillardement, mon portable sonna.

— Zut, zut et encore zut !…

Avant d’avoir eu le temps de dire ouf, Émilie étendit le bras et attrapa le téléphone.

— Allô oui ? Ah c’est Louis... OK je te passe Paul...

— Oui mon ami, je t’écoute ?

— Bonjour patron, j’apporte de mauvaises nouvelles. Vous n’allez pas être content. L’agence immobilière Confiance en Toit du centre-ville est en feu. Les pompiers sont sur place. Leur capitaine m’a prévenu que c’était un incendie criminel. Tôt ce matin, quelqu’un a balancé un cocktail Molotov contre la devanture.

— Bon sang ! C’est ce que je craignais. Y a-t-il des victimes ?

— Je n’en sais encore rien.

— Bon rends-toi sur place. Je te rejoins. Préviens aussi nos experts.

— OK patron.

Louis était d’astreinte et, comme souvent, la nuit avait été mouvementée dans notre bonne ville de Sernon, où je suis commissaire principal de police. Au fil du temps, j’avais ainsi vu la délinquance monter en flèche. Malgré tous nos efforts, les délits et même les crimes avaient la fâcheuse tendance à grossir les statistiques que je rendais régulièrement à la hiérarchie. Personne ne chômait par chez nous.

Figurez-vous que je devais partir en retraite, mais alors que tout le commissariat était réuni pour fêter ce grand événement, mon remplaçant, le commissaire Emmanuel Hermon qui sortait de chez lui pour se joindre aux réjouissances, fut lâchement assassiné.

Son décès a chamboulé tous mes plans, m’obligeant bon gré mal gré à attendre un autre remplaçant... que j’attends encore... Et, comme par un fait exprès, sous un étrange effet domino, un nouveau problème en amène un autre. Cet enchaînement de mauvaises conjectures a non seulement pour conséquence de me désespérer mais aussi de me faire râler. Il s’agit d’ailleurs là d’un trait saillant de mon caractère et je suis même perçu comme une sorte de grincheux congénital, ce qui m’a valu d’être surnommé Le Grogneux au boulot. Il faut toujours qu’on exagère... je dois cependant reconnaître être un peu tatillon. La faute à tous ces dossiers qui s’entassent sans répit sur mon bureau et celui de mes lieutenants. J’explose souvent : « Faites donc attention, sacré nom d’un chien, bordel ! » car les erreurs et les omissions sont vite arrivées et les dossiers nous reviennent comme des boomerangs. Je m’énerve alors et jure volontiers car on ne lutte pas contre le crime avec un stylo-bille. Pendant que je fais le mariolle enfermé entre quatre murs, les assassins se dorent la pilule.

Un couple ayant fait l’objet d’investigations gère l’agence immobilière Confiance en Toit. Le mari, Théo, a été mis en examen et écroué, après avoir trempé dans des affaires louches en rapport avec un tripot. Ses agissements crapuleux l’ont conduit à dérober une grosse somme d’argent à la pègre du sud-ouest et un contrat n’a pas tardé à planer au-dessus de sa tête. C’est alors que notre jeune commissaire Emmanuel Hermon, en raison de sa ressemblance physique avec Théo, a par mégarde été la cible des tueurs à gages. Le sort a donc fait preuve d’une terrible ironie, puisque en effet Théo et Emmanuel étaient voisins.

Je me disais qu’après avoir raté leur coup, les commanditaires de cet assassinat « manqué » ne s’avoueraient pas vaincus. J’avais encore raison. Ceux-ci n’avaient pas lâché l’affaire et avaient sûrement enrôlé de nouveaux truands qui, ce matin, étaient passés à l’acte. Les barreaux d’une prison assuraient quelque sécurité à l’agent immobilier ; sa femme en revanche n’était à l’abri de rien. Le juge Clément chargé de l’affaire n’ayant pas jugé utile de la placer sous protection, celle-ci demeurait alors une proie facile sur laquelle les vautours se sont acharnés en toute quiétude aux premières lueurs du jour.

— Bon Émilie, je dois y aller. Je me serais bien prélassé au lit quelques minutes avec toi, mais Louis m’attend et cette histoire n’en finit pas. Les malfrats ne laisseront jamais ce couple. J’espère que personne n’a morflé.

— D’accord chéri. Peux-tu patienter une petite minute ? Tu me déposeras en ville, tu m’as promis un nouvel ordinateur, rappelle-toi, alors je dois aller en reconnaissance dans un magasin du centre, ils font des super promos en ce moment. J’en commanderai un si l’occasion se présente. Tu veux bien ?

— OK mais dépêche-toi de faire vite...

Quand je dis « vite », vous connaissez les femmes, Quand je pars à l’heure d’arriver, j’ai déjà l’impression d’être en avance, est la devise de la plupart d’entre elles... Émilie s’était élancée vers la salle de bains et moi, je devais attendre. Je trépignais. Je la vis me faire son délicieux sourire du haut de l’escalier.

Un long instant après, elle réapparut mais elle ne s’était pas encore maquillée et allait encore devoir squatter la glace du salon.

— S’il te plaît mon petit cœur, mets le turbo ! dis-je en la rejoignant.

— Je sais, la patience n’est pas ta principale qualité mon cœur, je crois voir un gosse qui n’arrive pas à se retenir…

— Ben, Louis pourra attendre, pour ce qui est de l’incendie, il n’y a hélas plus rien à faire. Ce qui me soucie c’est de ne pas savoir... Tu sais, je suis toujours empressé, même dans l’amour que j’ai pour toi.

— Oui, c’est d’ailleurs pour cela que je n’ai pas pour habitude de te faire soupirer, tu t’en es sans doute aperçu, n’est-ce pas chéri ?

Dans la chambre, elle enfilait maintenant son adorable petit tailleur anthracite qui me mettait dans tous mes états et descendit peu après les marches comme s’il s’agissait du grand escalier du Casino de Paris. « Dommage d’être si pressé, je ne me serais pas fait prier pour arracher un à un tous les vêtements qu’elle avait mis des plombes à enfiler. »

Une mort embarrassante

Une heure et des poussières plus tard, j’étais sur les lieux. L’agence était complètement détruite, la vitrine brisée et à l’étage les logements ne valaient guère mieux. Les décombres fumaient encore. Louis avait fait établir un cordon de sécurité car les badauds, mus par une curiosité morbide, s’étaient attroupés et les commentaires allaient bon train. Quand Louis m’aperçut, il vint aussitôt vers moi :

— Patron, il y a de nombreux blessés parmi les locataires. Ils ont été surpris dans leur sommeil. Heureusement que les détecteurs de fumée ont fait leur boulot, mais on déplore une victime, malheureusement...

— Est-ce Léa Durand, la femme de Théo ?

— Il me semble bien que oui, patron, mais on attend confirmation.

— C’est vraiment désolant mais, chez nous, en France, pas moyen de protéger les innocents. Encore une victime de la connerie de Théo. Bon sang, c’est pas Dieu croyable... Cette pauvre femme brûlée vive, quelle abomination.

— Oui patron, c’est terrible.

— On a des témoins, Louis ?

— Non, à l’heure de l’attaque, la rue était déserte. J’ai quand même envoyé quelques gars faire du porte-à-porte dans la rue.

— Bon, tiens-moi au courant, je rentre au commissariat. À toute !

L’acharnement des truands sur le couple d’agents immobiliers fit remonter à ma mémoire un effroyable souvenir d’enfance pendant que je roulais. En ce temps-là, j’avais assisté à un spectacle glaçant depuis la fenêtre de ma chambre avec vue sur la pelouse du jardin. Sans crier gare, un groupe d’oiseaux au plumage lugubre, des merles probablement, animés d’une extrême férocité, avaient fondu tout droit sur un moineau isolé dans le cruel dessein de le mettre à mort sans autre forme de procès.

Arrivé à mon bureau, Julie m’appela :

— Patron, le clown...

— Quoi le clown ?

— Il a encore frappé !

— Bon Dieu de merde ! Y en a marre Julie... Ne voyez-vous pas que la coupe est pleine ?!

— Eh ! Mais j’y suis pour rien moi, c’est quand même pas de ma faute si un taré se balade déguisé en clo...

— Gérez ma bonne Julie, comme vous savez si bien le faire... Moi, je suis débordé, alors le clown ! dis-je en accompagnant ma réplique d’un éloquent mouvement de la main. Mais bon, ma collaboratrice hors pair avait toute ma confiance, c’est elle qui traiterait cette affaire. La pauvre, elle ignorait encore à quoi elle allait se frotter.

J’allai regagner mon fauteuil, quand la sonnerie du téléphone retentit.

— Commissaire !

— Bonjour monsieur le maire...

— C’est quoi encore ce bordel ? Ma ville ressemble à Chicago !

— N’exagérons rien...

— Je n’exagère pas, je suis même loin du compte, si je prends en considération toutes les affaires non résolues... Voilà qu’un mercredi matin, jour de semaine supposé tranquille... un immeuble brûle en plein centre-ville, ben voyons... Rien de plus naturel... Et ce foutu clown qui n’arrête pas de vous narguer !

— Justement, je quitte à peine ma collaboratrice à qui je disais que nous tenions une piste sérieuse. Encore un peu de patience, monsieur le maire...

— Bien... Mais comprenez monsieur le commissaire que mes concitoyens n’en peuvent plus. Et moi non plus ! Personne n’a les moyens de patienter, comme vous dites... Toute la ville a peur ! Et moi, je suis sur un siège éjectable...

Je raccrochai embarrassé alors que Louis arrivait dans mon bureau.

— Patron, vous n’allez pas me croire, un mec s’est fait refroidir hier soir. Je me rends sur les lieux. Il paraît qu’on a aussi un blessé grave. Ma femme va devoir m’attendre, je ne serai pas rentré avant un bail et moi qui voulais profiter de mon jour de repos.

— Je sais, je sais Louis, fais de ton mieux. On est tous sur le même navire. « En espérant qu’il ne s’agisse pas du Titanic » ruminai-je in petto.

Une fois Louis parti, je me pris la tête entre les mains. « Je vais finir par croire que ce maire porte la poisse... »

Un certain King Jong

L’homme travaillait pour un magazine féminin qui, pour se montrer à l’avant-garde, l’avait recruté comme chroniqueur de mode. Dans ses papiers, il se faisait ainsi passer pour le mec hétéro de base ayant tout compris à la psychologie féminine. À chaque nouveau reportage, on le voyait empoigner un appareil photo pour un shooting avec une demoiselle différente à la plastique irréprochable. Le scénario était bien rodé, il invitait Mélanie, Solène, Cindy, Tatiana et j’en oublie pour un dîner en ville, un brunch, un vernissage, un déjeuner... chaque créature tout droit sortie du monde de Barbie et ses copines revêtait la tenue adaptée pour l’occasion.

Ses talents de rédacteur se déclinaient au fil de rubriques très suivies ayant pour thème la meilleure manière de s’approprier d’incontournables pièces d’habillement, allant du carré de soie au porte-jarretelles. L’un de ses articles qui s’intitulait Le look qui trench montrait comment un banal imperméable faisait toute la différence quand il est porté avec la distinction d’une Charlotte, qu’elles soient Rampling ou Gainsbourg, à laquelle la plupart des femmes peuvent aisément s’identifier... C’était en tout cas sa façon de penser.

De manière générale, ses écrits étaient donc censés faire germer dans le cerveau des lectrices l’idée qu’elles pouvaient voir en lui le bon copain que chacune rêve d’avoir, le pote zélé, toujours prêt à dispenser ses précieux conseils, genre avoir tout le temps sur soi un collant de rechange pour s’éviter la gêne de se retrouver au beau milieu d’une garden-party avec une grosse patate laissée par la maille qui a perfidement filé. Il n’oubliait jamais de pointer du doigt l’inexcusable faute de goût : porter des sous-vêtements foncés sous des vêtements clairs ou laisser voir des mi-bas filés (encore) sous son pantalon dans un prétendu souci de recyclage écolo, car la supercherie n’échapperait à personne ; le monde entier se rendrait compte d’avoir affaire à une radine congénitale ou une fauchée pitoyable. Il mettait aussi en garde contre certains tue-l’amour pouvant entraîner des conséquences désastreuses lors d’un premier rendez-vous galant – après c’était moins grave – à savoir porter des textiles en polyester laissant de terribles odeurs corporelles suite à une balade romantique main dans la main.

Grâce à lui, les femmes apprenaient aussi que le temps de certains tabous avait vécu. En effet il n’était plus interdit de mixer les pois aux rayures, d’associer le noir au bleu marine ou encore de mélanger les tons roses aux rouges les plus vifs. Mais attention, il incitait toutefois à la vigilance, car trop d’audace tuait l’audace et King Jong enjoignait donc la gent féminine à savoir raison garder.

Il devait parfois répondre au courrier de certaines lectrices, qui avaient fait des expériences vestimentaires hasardeuses : « J’ai eu le coup de foudre pour l’adorable petite robe à fleurs présentée dans votre numéro de mai, j’ai donc succombé et me la suis offerte ! Quand j’ai voulu faire la surprise à mon copain et que je lui ai demandé ce qu’il en pensait, il m’a répondu, dubitatif : J’hésite entre la petite fille et la grand-mère... »

En pareils cas, King Jong déployait des trésors de diplomatie pour aider ses fashion victims à surmonter le traumatisme et leur permettre de construire une relation de couple harmonieuse : « La prochaine fois, proposez à Jules de vous “habiller” pour mieux vous déshabiller ensuite... Faites vos emplettes ensemble ! Demandez ce qu’il aimerait vous voir porter. Il n’aura qu’une hâte après l’essayage, vous dévorer de baisers, vous ferez alors son bonheur et il vous rendra heureuse... » Mais dans son for intérieur, King Jong devait résister à l’envie de traiter Jules de gros bourrin sans espoir, ne connaissant rien à rien.

Selon la légende, le chroniqueur avait toujours refusé de répondre à son prénom de baptême, Jean-René, car à l’école ses jeunes camarades s’étaient trop souvent moqués de lui en le surnommant l’ignoble J.R, lui qui était pourtant doux comme un agneau. Puis, à l’adolescence, le film King Kong l’avait profondément marqué et l’image de cet émouvant gorille déraciné de sa jungle qui défiait les avions de combat du haut de l’Empire State Building dans un dernier baroud d’honneur ne l’avait plus quitté. Son pseudo s’était alors imposé comme un hommage à tous ceux qui luttent seuls contre tous.

King Jong était mort et un autre homme dénommé Roger, retrouvé inanimé à ses côtés, avait été transporté d’urgence à l’hôpital où il végétait dans le coma. Mon capitaine m’appela un peu plus tard pour me faire son rapport.

— Patron, ça a tout l’air d’un drame impliquant un couple d’homosexuels. Pourtant Roger, le survivant, est toujours marié à une certaine Martine. Je me suis permis de la convoquer au commissariat pour demain.

— Parfait Louis. Tu as bien fait. Mais je songeais : « Le milieu gay ne m’est pas du tout familier. Je me demande bien comment je vais m’y prendre pour faire toute la lumière sur cette foutue histoire. » Merci capitaine. J’auditionnerai cette Martine. Pour le moment, je vais téléphoner au proc.

— D’accord patron, cette femme en sait sûrement plus qu’elle n’en a l’air.

Le carrousel

Lors de son audition le lendemain au commissariat, je demandai à Martine :

— Comment va Roger ?

— Les médecins ne se prononcent pas. Ils disent qu’il a une fracture du crâne et que c’est sérieux. Je ne sais pas s’il va se réveiller. Il fait pitié, allongé sur son lit retenu à la vie par toutes ces machines.

— Désolé madame, mais dites-moi, Roger et vous êtes bien mariés ?

— Oui commissaire.

Martine m’expliqua alors comment elle avait rencontré son mari. Mais selon elle, depuis ce jour, il y a près de trente ans, Roger et elle entretenaient des relations houleuses et tout le voisinage était témoin de leurs vicissitudes conjugales.

— Vous savez commissaire, à l’époque, y avait pas grand-chose comme émissions à la mords-moi-le-nœud pour rencontrer quelqu’un et les speed machin, sites Internet, trucmuche et patin-couffin..., encore heureux que ça n’existait pas, ça m’aurait vite cassé les bonbons... De toute façon, moi, j’avais aucun problème avec les mecs... je cherchais pas à me marier non plus, ça va pas la tête ! si je m’étais inscrite à la télé, c’est à cause d’un pari avec des copines. On était sorties en boîte et, au cours de la soirée, on s’était dit que, celle qui ne réussirait pas à emballer, paierait le petit déj’ aux autres. On se disait toutes que, pour une meuf, c’est super facile de trouver un pigeon, puisqu’il y a toujours un tas d’affamés à nous tourner autour... mais résultat des courses, au petit matin, aucune de nous n’avait emballé personne... On avait toutes pas mal picolé et dans notre délire, l’une de nous a lancé une vanne : « Regardez-vous, un peu, les filles, à ce rythme, on sera bientôt bonnes pour Tournez manège ! » C’est là que, sans bien réfléchir, j’ai dit : « Chiche ! »

Martine s’était donc présentée à l’émission dont le concept devait permettre aux célibataires en quête de l’âme sœur de trouver la chaussure de la bonne pointure. Un carrousel de fête foraine leur servait de terrain de chasse sous l’égide de Cupidon. Trois candidates enfermées dans un box devaient établir le contact avec trois individus du sexe opposé, en posant des questions, à tour de rôle. Pour pimenter l’exercice, les concurrents opéraient à l’aveugle, avec comme seule boussole sur la carte du Tendre le prénom, la voix et surtout la pertinence des réponses de leurs vis-à-vis invisibles.

— C’est bien beau tout ça. Ce que je veux savoir c’est comment vous avez fini par fréquenter Roger si, au départ, il n’y avait pas d’atomes crochus entre vous ?

— Arrêtez commissaire, j’ai l’impression d’entendre la p’tite brune de l’émission. Il fallait s’en méfier comme de la peste de celle-là, elle avait le chic pour piéger les gens avec ses questions à la con !...

— Je vous entends suite à un homicide, madame, en l’occurrence celui de King Jong, vous le connaissez peut-être, veuillez donc répondre.

— Ça va cool, vous fâchez pas commissaire ! Si on peut plus rigoler... En parlant de jeu, ah ah ! il se la jouait gentleman justement, le Roger, pendant sa période Tournez manège !. Moi j’étais contente, pour une fois que je tombais pas sur un porc qui me saute dessus dès le premier soir. Pour avoir sorti le grand jeu, il a mis le paquet, mon Gégé, il m’a même offert le restau. J’avais dû aller à Paris pour l’émission, jusqu’ici, je n’y avais mis les pieds que pendant des voyages scolaires super chiants. J’ai trouvé ça tellement romantique, tout ce tralala avec mon Gégé ! J’avais l’impression de jouer dans un clip... C’était bien la peine de se creuser la cervelle pour trouver des questions intelligentes, tiens ! Finalement, j’ai quand même décroché la timbale, en un sens...

— Si votre histoire était si belle, pourquoi y a-t-il eu autant de remous au cours de vos années de vie commune ?

— Vous en connaissez beaucoup, vous, des couples qui vivent toute leur vie comme dans une comédie romantique, hein ?

— …

— Ah, vous voyez ! Eh bien moi non plus ! Par moments, j’avais vraiment l’impression de sortir avec une gonzesse ! Ça me mettait hors de moi de le voir se manucurer pendant des heures, s’épiler les sourcils, les poils du torse et tutti quanti... Il passait plus de temps que moi dans la salle de bains, la chochotte ! Même si lui, il prétendait ne pas être de la jaquette, franchement, j’avais de gros doutes... Mais bon...

« Tu parles d’une bonne femme, toi ! Elle aurait incité n’importe qui à changer de bord... » Cela dit, si elle avait voulu se débarrasser de son “Gégé” comme elle l’appelle, c’est sûrement pas les occasions qui auraient manqué tout au long de leur vie aventureuse, je ne la croyais donc pas coupable. Il me fallait mieux creuser la piste “gay”.

— Votre mari avait-il un amant ?

— Oh là ! Tout doux commissaire, n’allez pas tirer de conclusions actives.

— Je ne tire pas de conclusions « hâtives », répondis-je en insistant bien sur le mot... je cherche juste à découvrir la vérité. Vous aussi, je suppose que c’est ce que vous voulez, votre époux est tout de même l’une des victimes.

— D’accord, mais je ne peux pas vous aider. Je ne sais pas ce que trafiquait mon Gégé, il a son jardin secret. Je n’ai jamais cherché à lire son courrier ou ses mails, par exemple. Je n’ai jamais été jalouse, je pars du principe que je n’ai rien à envier.

— Si vous êtes si indifférente, c’est peut-être parce que vous n’êtes plus ou pas assez amoureuse, tout simplement ?

— Y en a marre de vos insinuations, vous avez fait psycho ou quoi ?!

— Du calme madame, soyez honnête, je ne vous demande rien d’autre.

La suite de mes questions n’éclaira pas plus ma lanterne.

Après une perquisition que le juge avait ordonnée chez Martine, nos experts avaient saisi la fameuse cassette VHS immortalisant cette émission de 1990, qui expliquait comment Martine avait croisé le chemin de son futur époux, pour le meilleur et pour le pire. Je la visionnais dans mon bureau sur mon vieux magnétoscope.

L’ami Roger

Je pouvais voir les ex-speakerines reconverties en présentatrices vedettes qui stéréotypaient l’image de la brune et de la blonde : Fabienne, la brune, aussi piquante que les réflexions qu’elle se plaisait à exprimer malignement et Évelyne, la blonde, plutôt fadouille mais bienveillante, qui mettait tout en œuvre pour mettre les candidats à l’aise.

Le jour du grand oral, furent évoquées des préoccupations indispensables à une vie de couple épanouie. Dans l’ordre aléatoire :

— Connais-tu la recette de la vinaigrette ?

— Non.

— Comment réagirais-tu, si jamais on te faisait un cadeau qui ne te plaît pas ?

— Je ne dirais rien. Je le garderais sans faire de remarque.

— Que fais-tu si l’on t’offre de la lingerie coquine ?

— Je la mets.