Le Fils de Monte-Cristo-1 - Jules Lermina - E-Book

Le Fils de Monte-Cristo-1 E-Book

Jules Lermina

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Beschreibung

Fin du XVe, début du XVIe siècle, la conquête des mers par l’Espagne et le Portugal. Un homme ressort de cette période, Magellan. Discret, courageux, tenace, réfléchi, très intelligent, il a un défaut, il ne sait pas communiquer avec les autres. Après moult aventures, péripéties diverses et passionnantes, il arrivera au but de son existence: la découverte du détroit qui porte son nom. Ce texte va au delà du document historique, vous le lirez comme un passionnant roman d’aventures. Prologue: L'Alcyon Début de l'action: trois mois après le départ de Monte-Cristo de Paris. Le procès de Benedetto s'ouvre, commenté par le journaliste Beauchamp et Château-Renaud. Benedetto simule un repentir très chrétien et sauve sa tête... Première partie - La Luciola La première partie du roman se passe à Milan en 1848, sous l'occupation autrichienne, décrite dans toute sa cruauté. Les patriotes italiens s'organisent pour lutter contre l'oppresseur... Deuxième partie - Plus riche que Monte-Cristo Les pages de cette partie sont consacrées au récit de l'expédition menée par le comte de Monte-Cristo en Algérie pour secourir le fils de Mercédès, Albert de Morcerf. Après la révélation du déshonneur de son père et sa mort, celui-ci s'est engagé dans l'armée française pour y reconquérir son honneur...
 

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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SOMMAIRE

PROLOGUE L’ALCYON

|1| LE BILAN D’UNE CATASTROPHE

|2| CE PAUVRE BENEDETTO

|3| LA PEINE DE MORT

|4| LA ROUTE DU BAGNE

|5| LE BILLET DU FORÇAT

|6| MÈRE ET FILS

|7| LE REPORTAGE EN L’AN DE GRACE 1839

|8| LE PONTON N° 2

|9| LA MORTE VIVANTE

|10| LA CONFESSION DE M. DE VILLEFORT

|11| PITIÉ ! PARDON !

|12| VERS L’AVENIR !

|13| MONSIEUR RODIBOIS

|14-15| L’ENTREVUE

|16| L’ÉVASION

|17| LES GORGES D’OLLIOULES

|18| SA MÈRE

|19| À LA MER !

|20| MONTE-CRISTO

PREMIÈRE PARTIE LA LUCIOLA

|1| EXPLOITS DE PANDOURS

|2| LA REINE DES FLEURS

|3-4| PATRIA !

|5| VERT, BLANC ET ROUGE

|6| OÙ SAN PIETRO GAGNE LA PREMIÈRE MANCHE

|7| MASQUES QUI TOMBENT

|8| QUI MEURT POUR LA PATRIE

|9| LES FAUTES NE REMONTENT PAS

|10| LES CONJURÉS

|11| UNE POLONAISE EN PÉRIL

|12| LA CHAMBRE DE TORTURE

|13| PUITS OU OUBLIETTE

|14| ESPÉRANCE

|15| PETITS MOYENS, GRANDS RÉSULTATS

|16| EN AVANT

DEUXIÈME PARTIE PLUS RICHE QUE MONTE-CRISTO

|1| AUGUSTE DIT GUGUSSE DIT COU-COUPÉ DIT COUCOU

|2| LA RESSUSCITÉE

|3| UNE MÈRE

|4| L’IMPOSSIBLE EST-IL POSSIBLE ?

|5| CHERCHEZ LA FEMME

|6| NE TE FIE QU’À TOI-MÊME

|7| LE SACRIFICE

|8| OÙ COUCOU FAIT DES SIENNES

|9| LA CALADE DE L’ARAIGNÉE

|10| MANNELITA

|10| FANTAISIE DE MILLIONNAIRE

|12| MALDAR

|13| LE SECRET DE MISS ELPHYS

|14| UN PARI AMÉRICAIN

|15| ROTI, SCALPÉ, MANGÉ… ET MARIÉ !

|16| LES ADIEUX DE MALDAR

|17| LE SIGNE DES SAINTS

|18| OUARGLA

|19| LE CAPITAINE JOLIETTE

|20| LION CONTRE LION

|21| MEDJÉ

|22| IL NE FAUT PAS MOURIR !

|23| FUITE

|24| AU PIED DE LA CASBAH

|25| OÙ MONTE-CRISTO REDEVIENT DANTÈS

|26| MYSTÈRE

Série : Jules Lermina

|1-2| LE FILS DE MONTE-CRISTO

JULES LERMINA

LE FILS DE MONTE-CRISTO

tomes |1-2|

ROMAN

Paris, 1881

Raanan Éditeur

Livre 1268 | édition 1

raananediteur.com

PROLOGUE L’ALCYON

|1|LE BILAN D’UNE CATASTROPHE

Le 1er janvier 1839, c’est-à-dire environ trois mois après le départ du Comte de Monte-Cristo – l’affaire Benedetto fut inscrite de nouveau au rôle de la cour d’assises.

Mais alors – comme aujourd’hui – les choses allaient si vite à Paris, que nul n’y avait pris garde, et le beau Cavalcanti, qui avait eu son heure de triomphe, risquait fort d’être condamné devant un auditoire composé uniquement de gendarmes et d’avocats.

Il neigeait fort et il gelait dur.

Ce n’était à tous les carrefours que chevaux abattus, que charretiers jurant et cochers s’apostrophant – en raison de ce principe que lorsqu’un cocher a commis une sottise, c’est l’autre qui a tort.

Cependant, vers onze heures du matin, un coupé attelé d’un cheval de pur-sang, conduit par la main d’un cocher émérite, vint s’arrêter juste au bas du grand escalier du Palais de Justice.

Un homme en descendit, gravit légèrement les marches, se hâtant comme s’il eut craint d’arriver en retard.

Mais tout à coup il s’arrêta et deux noms se croisèrent.

— Beauchamp !

— Château-Renaud !

— Pardieu ! très cher, je voudrais bien savoir à quel heureux hasard je dois de vous rencontrer ici ?

Beauchamp avait appliqué son lorgnon dans l’arcade sourcilière avec une maestria qui prouvait de grands progrès depuis les trois mois écoulés.

— Parbleu ! fit Château-Renaud, si le hasard est pour quelque chose dans cette rencontre, avouez qu’il est bien avisé : car vous devenez introuvable, monsieur le futur ministre.

— Oh ! très futur ! interrompit Beauchamp avec un geste modeste.

— Bah ! cela vaut mieux que d’être très passé… Mais voyons, ajouta-t-il, en appuyant sa main sur le bras du journaliste, si nous avouions tous les deux…

— Avouer… quoi ?

— Que dame Curiosité, qui perdit Ève, mais qui sauva le monde, vous a, comme moi, poussé ici…

— Eh bien, vous avez raison… Voyez-vous, je déteste l’ingratitude. Voilà un excellent personnage, M. Benedetto de Cavalcanti…

— Ajoutez de Villefort.

— Qui a donné à Paris – pendant toute une soirée – des émotions palpitantes, dont le nom a été sur toutes les bouches… on lui doit de la reconnaissance et ce serait de la part de ceux qu’il a si vivement intéressés, un acte de simple politesse de venir tout au moins s’enquérir de son sort…

— Et on le délaisse !… Ce que c’est que de nous !

— Pour moi, Château-Renaud, quand je lis un roman, je vais jusqu’à ce que le dernier feuillet soit coupé…

— Savez-vous bien que le mot est de mauvais augure pour le cou du pauvre Benedetto !…

Tout en causant, les deux amis étaient arrivés à la salle des assises.

Elle était presque vide. À peine un ou deux bancs garnis.

On jugeait un pauvre diable qui avait brisé une clôture pour voler des pommes de terre.

— L’affaire Benedetto, demanda Beauchamp à un rédacteur judiciaire qui l’avait reconnu…

— Benedetto ? Attendez donc ! Ah ! oui… assassinat chez le comte de… de…

— De Monte-Cristo…

— Est-ce qu’il n’y a pas eu une affaire bizarre ?… n’a-t-il pas déclaré que le procureur du roi était son père ?…

— Mon ami, dit gravement Beauchamp, vous avez une mémoire prodigieuse… vous êtes né pour être journaliste… Enfin, quand passe cette affaire ?…

— La troisième… nous avons après celui-ci un bigame…

— L’amour de la famille… Bon ! nous avons tout le temps d’aller déjeuner et nous reviendrons à temps pour l’affaire Benedetto.

— Elle vous intéresse donc ?

— Un peu…

— Alors dites-moi où je vous trouverai et j’irai vous avertir…

— Où allons-nous déjeuner, Château-Renaud ?…

— À la buvette du Palais… Je connais des avocats…

— Mais, dites donc ?… ils ne parlent pas pendant le déjeuner, comme joue un orchestre viennois pour vous divertir ?

Ils sortaient, quand Château-Renaud pressa vivement le bras de Beauchamp.

— Eh ! regardez donc, là-bas, à droite… mais sans en avoir l’air…

— Alors… le plus simple est de regarder à gauche et de vous interroger… que voyez-vous ?…

— Je vois que nous avions tort d’accuser tout le monde d’ingratitude et d’oubli… Debray est là.

— Tiens ! fit Beauchamp en riant, depuis que son ministre est tombé en entraînant son secrétaire, ce pauvre Debray n’a plus rien à faire…

— Vous oubliez qu’il est millionnaire…

— Puis Benedetto a bien failli être son gendre…

— Hein ?

— Oh ! de la main gauche… À propos, avez-vous entendu parler de madame Danglars ?…

— Disparue, à ce qu’on affirme…

— Et son honnête homme de mari ?…

— Évanoui dans les brumes de la Méditerranée.

Ils étaient arrivés au restaurant et s’étaient attablés.

— Savez-vous bien, reprit Beauchamp, que nous avons assisté à une bien singulière débâcle… la maison Danglars s’effondrant, le père et la mère en fuite. Debray sans maîtresse… et mademoiselle Danglars ? Celle-là était une bien jolie fille, et j’ai toujours cru que, avec toutes ses excentricités, elle était la meilleure de la famille ?

— Il faudrait demander cela à son inséparable madame d’Armilly.

— Mais enfin, en avez-vous entendu parler ?…

— Pas le moins du monde… mais je parie que nous la retrouverons cantatrice… ou courtisane… ce qui est quelquefois la même chose.

— C’est la dispersion après la ruine du temple… et Villefort ?

— Fou ; archifou… enfermé dans la maison de santé du docteur d’Avrigny…

— L’ancien médecin de la famille… Il se sera préparé ce client-là de longue date… voyons de ce côté encore, plus personne… Madame de Villefort, son fils, morts ! Valentine, oh ! la pauvre fille !… moi qui ne suis pas sensible, j’ai presque senti une larme sous mes paupières…

— Croyez-vous aux miracles ?…

— Parbleu !… puisque ce sont les journalistes qui les font.

— Eh bien, quelqu’un m’a affirmé… mais affirmé sur l’honneur, entendez-vous bien, qu’il avait rencontré à Marseille… qui ?… Mlle de Villefort !

— Après ou avant son enterrement ?

— Après… bien entendu…

— Alors j’ai le droit de m’étonner de la chose… et je m’étonne… mais je ne le nie pas. Il y avait dans ces aventures auxquelles le comte de Monte-Cristo était mêlé, une pointe de fantastique qui autorise toutes les fantaisies.

— Avez-vous cru avec les badauds que M. de Monte-Cristo fût un vampire ?

— Pourquoi non. Nodier prétend bien en avoir rencontré en Roumanie… Donc Mlle de Villefort serait ressuscitée…

— À moins d’une ressemblance extraordinaire.

— La ressemblance serait trop prosaïque… J’aime mieux la résurrection. Et le vieux Noirtier ?…

— Parti pour le Midi… On ne sait où ?…

— Encore un compte réglé… Restent les Morcerf… Le père suicidé… le fils en Afrique… et la mère…

— Disparue…

— Comme Mme Danglars…

— Avec cette différence que Mme de Morcerf et son fils ont abandonné aux pauvres toute la fortune du comte.

— Si bien que de toutes ces catastrophes il ne nous reste plus en chair et en os qu’un seul personnage, cet excellent Benedetto… Je suis curieux de savoir comment il se tiendra… Les fanfaronnades sont bien usées…

— Monsieur Beauchamp… on appelle l’affaire, dit une voix derrière le journaliste. Il y a une suspension.

— Ah ? c’est bien ! mille remerciements ! Venez-vous, Château-Renaud ? Ne manquons pas l’entrée de ce premier-dernier rôle.

Et les deux amis revinrent vers la cour d’assises.

Au moment où ils allaient y pénétrer, Château-Renaud se pencha vers Beauchamp :

— Parbleu ! si je ne craignais d’être appelé visionnaire…

— Encore une résurrection…

— Devant vous, cette femme voilée… cette tournure élégante, quoique dissimulée à dessein sans doute sous le manteau qui a l’air d’un sac…

— Eh bien !…

— Comment ! elle ne vous rappelle aucun souvenir…

— Ma foi !… attendez-donc… mais oui ! est-ce que ce serait là l’explication de la présence de Debray…

— Oh ! non… voyez… elle ne tourne même pas la tête de son côté, et, de plus, elle n’est pas seule…

— Déjà !…

— Vous êtes féroce. Et vous devez faire amende honorable… Mme Dan…

— Chut !… puisqu’elle ne veut pas être reconnue…

— Soit. La dame en question ne saurait être tombée jusqu’à cet être visqueux et laid qui l’accompagne…

— Le fait est que si j’avais à créer le type de Rodin, je ne saurais trouver mieux…

— Quelque jésuite de robe courte qui rôde autour des débris de la fortune perdue…

— C’est possible, d’autant qu’on m’a affirmé que madame… en question, était femme de précaution…

— La cour, messieurs !…

La femme que les deux amis avaient cru reconnaître était allée se placer dans un des coins les plus obscurs, et là s’étant assise, elle avait penché la tête sur ses mains. Il eût été impossible de distinguer un seul des traits de son visage.

Son compagnon, glabre, long, jaune, émacié, ayant un crâne pointu et chauve comme un melon d’Espagne, se tenait le buste droit, les mains jointes sur les genoux et les yeux fixés sur le Christ suspendu derrière le tribunal.

— Introduisez l’accusé, dit le président.

La femme eut un tressaillement, mais ne releva pas la tête.

|2| CE PAUVRE BENEDETTO

La salle s’était à peu près remplie. Après tout, il y avait grande probabilité d’une condamnation à mort, et il se trouve toujours des spectateurs pour ces sortes de tragédies judiciaires.

Il se fit un mouvement de curiosité.

Les gens du palais, les avocats, les journalistes – quelques-uns du moins – se rappelaient l’attitude arrogante du prévenu, son audacieuse impudence, alors qu’il avait prononcé les paroles fatales :

— Mon père est procureur du roi. Il se nomme de Villefort.

Et, par un mouvement instinctif, tous les yeux se tournaient vers le siège du ministère public, comme si on eût cru y voir encore la figue pâle et bouleversée de celui qui, jugeant les autres, avait plus que les accusés le droit d’être jugé lui-même.

Mais on n’y trouva que le profil banal et froid d’un substitut, juché sur la loi comme un perroquet sur son perchoir.

C’était une désillusion.

Benedetto entra.

Beauchamp et Château-Renaud eurent peine à réprimer un cri de surprise.

Une métamorphose étrange, complète, s’était opérée dans cet homme qu’ils avaient vu, la tête haute et le regard insolent, promener dans les plus brillants salons de Paris sa noblesse de corde, comme avait dit naguère Château-Renaud.

Certes, les traits étaient toujours réguliers, le type avait toujours le cachet d’italianisme qui fait du dernier transtévérin un modèle de camée antique.

Mais les cheveux noirs et bouclés étaient maintenant coupés ras et formaient sur le front haut et mat trois pointes sèches et nettement découpées.

Les yeux – jadis étincelants – paraissaient éteints, sous les paupières baissées. Les mains, fines et longues, étaient croisées sur la poitrine dans un geste de suprême humilité. Enfin il n’était pas jusqu’aux vêtements de l’ancien lion, qui, malgré leur coupe encore élégante, n’eussent pris un cachet inexplicable de simplicité et, pour ainsi dire, de modestie.

Un gendarme ayant indiqué à l’accusé, d’un geste brusque, la place où il devait se mettre, Benedetto s’inclina et ayant enjambé le banc, se tint debout, le front baissé.

L’avocat – très connu au barreau pour ses attaches avec la congrégation – se pencha vers lui et lui adressa à voix basse quelques paroles d’encouragement.

Benedetto eût un geste de résignation, ses lèvres s’agitèrent et on aperçut vaguement ces mots :

— La miséricorde de Dieu !

— Diable ! murmura Château-Renaud, on nous a changé notre Benedetto… en geôle.

Le président – un homme tout rond, de crâne, de menton et de ventre – béat et doux – donna d’une voix de bénisseur la parole au greffier pour la lecture de l’acte d’accusation.

Benedetto s’était assis, posément, et avait mis sa main sur ses yeux.

L’acte d’accusation était court, modéré dans la forme.

On y rappelait l’acte criminel qui avait motivé la première comparution de Benedetto aux assises, c’est à-dire l’assassinat de Caderousse à la suite d’une tentative de vol dans la maison du comte de Monte-Cristo, puis la foudroyante révélation qui avait interrompu les débats, les aveux de M. de Villefort suivis de son accès de folie, le suicide de sa femme qui prouvait mieux que toutes les déclarations la réalité du crime commis par le magistrat…

— Ah çà ! dit Beauchamp, c’est donc Villefort qu’on veut guillotiner.

De fait, l’acte d’accusation était rédigé de telle sorte que les crimes de Benedetto disparaissaient sous les forfaits de son père naturel.

— Accusé, levez-vous ! dit le président de sa voix qui avait des inflexions moelleuses. Votre nom ?

— Benedetto, répondit l’ancien bandit d’un accent timide, presque craintif.

— Vous reconnaissez-vous coupable de l’assassinat du nommé Caderousse ?

— Hélas ! monsieur le président, je n’ai été que trop coupable !…

Et, portant ses mains à ses lèvres, il parut étouffer un sanglot.

— Quelle comédie joue donc ce misérable ? gronda Beauchamp.

— Mais tout cela est fort intéressant, ajouta Chateau-Renaud. Ou je me trompe fort, ou il y a de la congrégation là-dessous…

Benedetto répondait à chaque question posément, sans hésitation, ne niant rien, ne se défendant que par son repentir :

— Je sais, ajouta-t-il en paraissant retrouver un peu d’énergie pour cet aveu public, je sais que je suis un grand criminel, et je m’incline devant la justice des hommes, comme je m’inclinerai devant la justice de Dieu !…

La tâche des jurés était grandement simplifiée.

L’assassinat était avoué ; les antécédents de l’accusé étaient déplorables : faussaire, récidiviste, meurtrier. Benedetto était et devait être jugé d’avance.

— Appelez les témoins, dit le président.

— M. le comte de Monte-Cristo, prononça la voix criarde du greffier.

Personne ne répondit.

— Il est étrange, dit le président, que M. Monte-Cristo (il supprima le de), premier intéressé dans cette affaire, ait dédaigné de se rendre à l’appel de la justice. Où l’assignation a-t-elle été lancée ?…

Le substitut chercha dans ses papiers :

— Ce monsieur, dit-il d’une lèvre légèrement dédaigneuse, a vendu ses propriétés de Paris et a disparu – ainsi le constate l’huissier du parquet – sans domicile connu. Il y a procès-verbal de carence.

— La Cour se réserve de le frapper d’une amende à la fin de l’audience, dit gravement le président. Appelez les autres témoins.

C’étaient les gens qui étaient accourus aux cris de Caderousse. Leurs dépositions étaient simples et précises. Elles confirmaient de façon positive, la dénonciation de Caderousse trouvée, comme on sait, dans son gilet troué d’un coup de poignard.

— Avez-vous quelque observation à adresser aux témoins ? demanda le président à Benedetto.

— Aucune, monsieur. Ces honnêtes gens disent malheureusement la vérité, rien que la vérité.

Un murmure approbatif courut dans la salle. Il y avait là les parents et les amis des témoins qui étaient heureux de ce témoignage rendu publiquement.

Le greffier cria :

— M. Noirtier de Villefort.

— Comment, fit Beauchamp bondissant sur son banc, ils ont eu la cruauté d’appeler ici ce malheureux…

— Messieurs les jurés, en vertu de notre pouvoir discrétionnaire, dit le président, comme s’il eût entendu la critique et se hâtât d’y répondre, nous avons jugé nécessaire et juste d’entendre M. de Villefort, quoique son état mental donne peu d’espoir d’en tirer quelque nouvel éclaircissement…

Cette explication eut pour résultat principal de surexciter l’attention de l’auditoire, qui n’avait pas perdu un seul mot de l’acte d’accusation, et qui portait d’instinct une haine furieuse à celui dont l’abandon avait conduit le pauvre Benedetto sur la pente du crime.

Il se fit un grand silence.

La porte de la chambre des témoins s’ouvrit :

M. de Villefort parut sur le seuil.

|3| LA PEINE DE MORT

M. de Villefort n’était pas seul. Auprès de lui, le docteur d’Avrigny le dominait de sa haute taille, de sa verte vieillesse, de la protection de ses blancs cheveux d’honnête homme.

Villefort était voûté, brisé, rapetissé en quelque sorte : ainsi durent être, dans les villes maudites dont parle l’Écriture, ceux sur qui était tombé le feu du ciel.

Son crâne jauni était devenu chauve, la bouche – tirée – avait le rictus des têtes de morts, et cette ressemblance s’accentuait encore par la saillie des pommettes et les profondes dépressions des orbites. À le regarder, on éprouvait une sensation d’écroulement.

C’était bien une ruine humaine.

Et l’impression produite sur les juges, les avocats, sur tous ceux qui avaient connu – il y a quelques mois à peine – le magistrat hautain, vigoureux dans sa haine du crime, implacable à quiconque avait failli, fut si âpre, si terrible, que tous se levèrent. Certains saluèrent, comme on fait sur le passage d’un mort.

Le président lui-même, dont la physionomie révélait tout autre chose qu’un homme sentimental, reprit d’une voix moins assurée, en se tournant vers le jury :

— Messieurs, le docteur d’Avrigny – qui soigne M. de Villefort avec une sollicitude admirable, – accompagne le malade. Nous l’avons consulté, avant d’autoriser la comparution de M. de Villefort, et il a déclaré lui-même que cette comparution était sans péril. Docteur, votre opinion ne s’est-elle pas modifiée ?

— Non, monsieur le président, dit le vieux médecin qui avait vu mourir dans ses bras, un à un, sous le poison, tous les membres de cette famille.

Sur un silence du magistrat, il toucha le bras de Villefort et, lui parlant bas à l’oreille, lui dit de s’avancer vers le tribunal.

Un huissier avait apporté un fauteuil, faisant face à la Cour.

Le silence le plus profond régnait dans l’auditoire.

La femme voilée s’était à demi dressée, et serrant sur son visage les plis épais de la dentelle qui le couvrait, elle regardait, de ses yeux noirs dont on percevait l’éclair à travers le tissu, cet homme qui avait été impitoyable à tous et qui était tombé si bas que tous aujourd’hui avaient pitié de lui.

Benedetto, qui paraissait en proie à une vive émotion, avait tendu les bras vers lui.

Puis il était retombé sur son banc et avait de nouveau caché sa tête dans ses mains.

— Monsieur de Villefort, dit le président…

Mais le fou avait levé la main comme pour réclamer le silence.

Maintenant – pareil à un homme qui sort d’un profond sommeil – il regardait autour de lui, curieusement, de ses yeux grands ouverts.

Évidemment un travail étrange s’opérait dans ce cerveau déséquilibré.

Où était-il ? Tout ce qui l’entourait ne lui était-il pas familier ? Là, en face de lui, ce Christ qu’il avait tant de fois adjuré de contraindre l’accusé à dire la vérité, puis ces juges qui avaient tant de fois laissé tomber de leurs lèvres l’arrêt qu’il avait requis, dont il avait dicté les termes au nom de la Société outragée, les jurés qu’il avait tenus haletants sous la pression dure de son argumentation implacable.

Et enfin, là, sur le banc d’infamie, cet accusé qu’il avait foudroyé de son éloquence vengeresse.

C’était comme un tableau oublié, qui reparaissait sous un voile lentement levé.

La taille de l’ancien procureur du roi s’était redressée.

Il posa ses deux mains sur les bras du fauteuil ; d’un mouvement brusque, il se leva et se tint debout, la main étendue, dans l’attitude qu’il avait naguère lorsqu’il lançait, à la fin d’un réquisitoire écrasant, le mot sinistre sous lequel toutes les têtes pliaient, sous lequel une tête tombait.

Il y avait dans cette pantomime sombre une solennité sinistre.

À l’extérieur, la neige tourbillonnait, heurtant les vitres de ses cristaux blancs. Un reflet blafard s’étendait sur la longue salle. Villefort semblait un spectre.

— Monsieur de Villefort, dit encore le président, qui cherchait en vain à dominer l’émotion qui le serrait à la gorge, m’entendez-vous, et êtes-vous prêt à répondre aux questions que je vais vous adresser ?

Villefort inclina la tête.

— Oui, dit-il, d’une voix gutturale et profonde.

— Benedetto, ajouta le président en se tournant vers l’accusé, levez-vous.

Benedetto obéit.

— Regardez M. de Villefort, et, consultant votre conscience, dites si vous confirmez la vérité des déclarations que vous avez faites, à la dernière session…

Ou Benedetto avait été touché par la grâce, comme disent les catholiques, ou c’était un bien habile comédien.

Car à cette adjuration du président, on vit ses traits se contracter, et des larmes – de vraies larmes – coulèrent sur ses joues.

En même temps, les mains tendues vers M. de Villefort, il murmurait d’une voix entrecoupée par des sanglots convulsifs :

— Pardon ! mon père ! oh ! pardon !

— Que dit cet homme ? demanda brusquement M. de Villefort, de sa voix qui avait repris subitement son accent dur et net d’autrefois.

— Il vous appelle son père, reprit le président. N’avez-vous pas reconnu vous-même ici, en pleine audience, que l’accusé était votre fils…

Villefort passa la main sur son front.

— Mon fils !… et il est vivant !… On tue les enfants, chez moi ! mon fils est mort !

— Avez-vous oublié la nuit du 27 au 28 septembre 1817 ?…

M. de Villefort n’eut pas un tressaillement.

— Non, je n’ai rien oublié… celui-là aussi, je l’ai tué…

— Mais il a échappé par miracle à la mort ! Ne vous en souvenez-vous pas ?…

— Par miracle, non. Par un assassinat. J’ai été frappé d’un coup de poignard… et l’assassin – croyant commettre un vol – a emporté le cercueil… Oh ! je n’ai rien oublié, vous dis-je !

— Vous reconnaissez encore une fois que cet homme a dit la vérité ?

Villefort eut un rire strident.

— Fils de Villefort… il a droit à ce nom… car il a été faussaire et assassin !… C’est juste… c’est mon fils… Oh ! je ne nie pas… la maison d’Auteuil… la chambre rouge… la serviette marquée d’un H et d’un N… je sais tout… je me souviens de tout… j’avoue tout !… Cela devait être… Il fallait que le sang de Villefort passât dans les veines d’un assassin…

Et regardant à son tour Benedetto, il dit en pointant vers lui son doigt maigre et long :

— Tu es mon fils… tu as tué… tu tueras encore !…

Benedetto releva la tête avec une sorte de fierté :

— Vous vous trompez, mon père, dit-il d’une voix claire et ferme. Oui, j’ai été un grand coupable. Mais Dieu lui-même permet le repentir et pardonne à qui s’incline sous sa main puissante. Je n’attends plus rien de la justice des hommes. Je sais le sort qui m’est réservé.

« Mais, devant cet arrêt de mort qui est suspendu sur ma tête, je le dis hautement… Monsieur de Villefort, je vous pardonne… et je demande à Dieu de vous faire grâce ! »

Cette tirade dramatique avait été débitée d’un accent solennel, convaincu, qui eût fait honneur au plus grand artiste.

— Je vous pardonne, continua Benedetto, comme je pardonne aussi à celle que je n’ai jamais connue, dont mes lèvres n’ont jamais balbutié le nom, à celle qui n’était point coupable de ma mort, qui n’était pas votre complice, mais qui, m’ayant connu sans doute depuis le jour où j’ai été traîné sur ce banc d’infamie, a eu honte de moi et n’a pas voulu me reconnaître…

Un long gémissement partit des rangs de l’auditoire : la femme voilée s’était pressée contre l’homme qui l’accompagnait. Celui-ci, lui saisissant les mains dans les siennes, lui dit à voix basse :

— Silence ! prenez garde !

Cet incident était passé inaperçu, tant l’attention était concentrée sur Benedetto, dont le visage s’éclairait d’une sorte de joie enthousiaste et extatique :

— Je pardonne à tous, ne réclamant pour moi-même que le pardon de Dieu ! Monsieur de Villefort, à votre tour, ne me pardonnerez-vous pas le mal que je vous ai fait ?…

L’ancien procureur du roi avait écouté, le front haut, les yeux fixés en plein sur l’accusé.

Ses lèvres étaient convulsées par un sourire ironique.

— Docteur, dit le président, l’épreuve que réclamait la justice est terminée. Il était nécessaire que la vérité se fit jour encore une fois… MM. les jurés apprécieront le degré de confiance que méritent et les déclarations de l’accusé et les aveux de M. de Villefort. Vous pouvez vous retirer avec votre malade.

Puis, s’adressant à l’ancien magistrat :

— Monsieur de Villefort, dit-il, si mes paroles pénètrent jusqu’à votre conscience, puissent-elles vous apporter un enseignement salutaire. Dieu vous a frappé dans votre famille, dans votre raison, prouvant une fois de plus que l’orgueil humain ne pèse rien en face de sa toute-puissance et que les crimes – si cachés qu’ils soient – trouvent tôt ou tard leur châtiment.

En ce temps-là, Henri Monnier créait son type immortel de Prudhomme. Peut-être avait-il vu et entendu M. le président des assises.

D’Avrigny toucha l’épaule de Villefort, lui disant :

— Venez.

Mais Villefort fit de la tête un geste de dénégation.

Puis, s’écartant du fauteuil, il fit quelques pas vers le siège du ministère public. Un instinct singulier s’éveillait en lui ; il lui semblait que cette place était encore sienne.

Le substitut eut même un mouvement d’effroi, comme s’il eût craint d’être dépossédé par ce revenant ; et, d’un geste brusque, il posa sa main large ouverte sur son portefeuille gonflé de paperasses.

Mais Villefort s’était arrêté au fond de la tribune et là, il se tourna vers le tribunal et vers les jurés.

Son masque avait repris la rigidité magistrale dont jadis il couvrait ses traits, alors qu’il occupait son siège.

— Messieurs les juges, messieurs les jurés, dit-il d’une voix claire, vous avez entendu cet homme. Vous avez entendu les paroles de repentir qui se sont échappées de sa poitrine ? Sachez-le, il a menti, il ment, il va mentir encore.

— Monsieur de Villefort ! s’écria le président.

— Laissez-moi parler… Ah ! je suis fou, dit-on. Je ne sais si cela est vrai… Peut-être… Il s’étend parfois comme un brouillard sur mon cerveau, et ce brouillard est couleur de sang… mais à travers ce nuage rouge j’entrevois la lumière, et en ce moment, pour moi, elle illumine jusqu’en ses profondeurs les plus intimes l’âme de l’homme qui est là, de cet homme qui est mon fils… et que j’ai voulu assassiner !…

La voix était si nette, les paroles étaient prononcées avec une expansion si juste que c’était à douter que cet homme ne jouit pas – en ce moment du moins – de toute sa raison.

— Je dis que cet homme a menti, continua-t-il haussant la voix, comme s’il voulait que ces mots tombassent de plus haut sur celui qu’il accusait. Non, il ne se repent pas ! non, il ne pardonne pas ! non il ne croit pas au Dieu miséricordieux ! Cet homme joue devant vous une comédie infâme… – je le sais… je le sens, moi qui lui ai donné la vie et qui ai voulu la lui reprendre…

« Cet homme n’a point de remords. Cet homme ne songe qu’à sauver sa tête. Et c’est pourquoi, devant vous comme un acteur, il débite un rôle appris d’avance, et dont quelqu’un peut-être lui a dicté les termes…

« Messieurs les jurés, prenez garde. Votre responsabilité est grande. Le sort de la société est entre vos mains. Quand un tigre est sorti de son repaire, il faut que le chasseur l’abatte à coups de fusil. Quiconque l’épargne est complice du mal qu’il fera plus tard, de l’égorgement des enfants, de la terreur au loin répandue.

« Vous avez aux mains le glaive de la loi. Levez-le et laissez-le retomber. Frappez. Moi, le père de cet homme, je requiers contre lui la peine de mort !… »

Il y eut un grand cri dans l’auditoire, mais il se perdit dans les exclamations de surprise et d’horreur poussées de toutes parts.

Ce père – fou – réclamant l’échafaud pour son fils – c’était une chose inattendue, atroce.

Et on oubliait la folie de Villefort. On ne voyait plus que le procureur du roi, pourvoyeur de la guillotine, et, pareil au Brutus antique, jetant son fils en pâture à la vindicte sociale.

Villefort avait prononcé les derniers mots – la peine de mort – d’une voix si sonore, si vibrante qui l’écho en resta pendant quelques secondes, suspendu dans la vaste nef.

Et Villefort, de son pas lent et solennel, alla vers d’Avrigny, et s’étant incliné devant le tribunal, sortit avec le docteur…

— Jamais Villefort n’a été moins fou, dit Beauchamp à l’oreille de Château-Renaud.

— Pourquoi donc Mme Danglars paraît-elle si fort intéressée à ce bandit, demanda le gentilhomme à son tour.

— Quoi ! c’était bien elle !…

— Elle a failli s’évanouir tout à l’heure, comme elle s’est évanouie à la dernière audience…

— Affaire de nerfs, sans doute…

— Ou bien affaire de cœur, repartit l’autre.

— Ce qui voudrait dire…

— Que le Cavalcanti était un fort beau garçon et que Mme Danglars n’a jamais passé pour un parangon de vertu…

— Debray pourrait nous renseigner là-dessus… En tous cas, une fantaisie bien compromise et qui ne paraît pas devoir durer longtemps…

« Eh ! croyez-moi… mais chut, voici le procureur du roi qui prend la parole. Je parie qu’il sera beaucoup moins raisonnable que le fou. »

|4| LA ROUTE DU BAGNE

L’amour des contrastes est dans la nature.

Le procureur du roi – ou plutôt le substitut qui en occupait la place – avait été naturellement fort blessé de l’intrusion subite de M. de Villefort aux débats.

N’eût été le respect qu’un homme de son âge devait au vénérable président, il eut protesté violemment contre l’incroyable mansuétude dont le tribunal avait fait preuve en ne retirant pas la parole à ce fou furieux.

Aussi pour faire pièce à Villefort – et peut-être encore pour donner une leçon aux magistrats trop complaisants – le substitut prit à tâche de se montrer aussi modéré que possible contre Benedetto et de tonner au contraire de toute la vigueur de ses poumons contre le père dénaturé dont le crime était le point de départ de cette existence criminelle.

C’eût été plus que jamais, pour Beauchamp, l’occasion de se demander si décidément ce n’était pas Villefort qu’on prétendait envoyer en place de Grève.

La véhémente apostrophe de l’aliéné avait opéré également sur l’auditoire un effet tout contraire à celui qu’en aurait sans doute attendu l’ex-procureur du roi, s’il eût été en état de raison.

Toutes les sympathies, toutes les pitiés s’étaient tournées vers Benedetto, vers cette victime d’un père infâme, dont la haine féroce venait le poursuivre jusqu’au pied du tribunal.

Il s’agissait bien en vérité de Caderousse. Celui-là était mort, un couteau en plein corps (c’était une médiocre perte pour la société), il n’y avait plus à s’en préoccuper.

Était-il bien sûr d’ailleurs que ce fût lui – et non Villefort – qui l’avait assassiné.

— Soyons sans pitié, conclut le substitut, pour ces hommes sans scrupules qui, souillant l’auguste ministère dont ils sont revêtus, sacrifient à leurs passions violentes l’honneur des familles et la vie des malheureux fruits de leur débauche…

Si bien que la tâche de l’avocat de Benedetto se trouva singulièrement facilitée.

Villefort – absent – fut de nouveau placé sur la sellette et maltraité d’importance. De Benedetto, c’était à peine si l’on parlait. Martyr, victime, toutes les épithètes sentimentales s’accolaient à son nom.

— Comme le disait si éloquemment l’organe du ministère public, ce représentant de la société vengeresse, plaidait l’avocat, les crimes doivent remonter à leur véritable auteur…

« Benedetto, jeté dans la vie sans secours, sans soutien, a-t-il jamais reçu les enseignements qui font les âmes vaillantes et les cœurs honnêtes !… Non, par la faute de cet homme qui s’est avoué son père, il a été plongé dans toutes les misères, livré à toutes les tentations… »

Puis, d’une voix larmoyante :

— Au contraire, messieurs les jurés, ajouta-t-il. Depuis que, dans la prison où il gémit depuis si longtemps, la parole sainte du ministre de Dieu est tombée dans son cœur, toute une moisson nouvelle y a germé… les sentiments les plus purs – j’oserais dire les plus élevés – ont tout à coup remplacé les suggestions du vice… et c’est au moment où cet homme se reprend, c’est au moment où il redevient digne de son nom d’homme, c’est alors que l’impitoyable loi viendrait le frapper ?… Dieu l’a entendu, Dieu l’a reconnu, et vous l’arracheriez à la vie de repentir que Dieu lui a conservée… Non, messieurs les jurés, non !…

Benedetto écoutait – sans doute la voix divine et celle de son avocat – dans une attitude d’une exquise componction.

Et lorsque, dans un mouvement superbe, le maître de la parole le montra réhabilité, reprenant dans la société, après l’expiation, la place à laquelle il avait droit, le Corse fondit en sanglots bruyants et tombant à genoux :

— Mon Dieu ! s’écria-t-il en se frappant la poitrine, serai-je jamais digne d’un pareil bonheur ?

Les jurés pleuraient.

Et quand, après les débats, ils se retirèrent dans la chambre du conseil, ils en sortirent après quelques minutes de délibération. Leur conviction était faite.

— Oui l’accusé était coupable, mais avec circonstances atténuantes.

L’auditoire applaudit.

Le président, après avoir rappelé que toutes marques d’approbation ou d’improbation étaient interdites, donna ordre que l’accusé fût introduit de nouveau.

Benedetto reparut, pâle, mais plein de dignité.

Quand il entendit la déclaration du jury, il éprouva une si violente émotion qu’il s’appuya sur un bon gendarme pour ne pas tomber.

— Avez-vous quelque observation à présenter sur l’application de la peine, lui demanda poliment le président.

— Non… messieurs les jurés… merci… ma reconnaissance…

— Le Tribunal condamne le nommé Benedetto, dit Andrea Cavalcanti, à la peine des travaux forcés à perpétuité.

L’arrêt était logique, fatal, et pourtant un murmure de surprise frissonna dans la salle. Peut-être s’était-on attendu à une déclaration d’innocence.

Benedetto, au contraire, souriant de son meilleur sourire, s’était penché sur la balustrade comme pour saluer une dernière fois le tribunal.

Mais ses yeux s’étaient tout à coup éclairés d’une lueur fauve.

Dans la foule encore compacte, il cherchait quelqu’un.

Alors, l’homme qui accompagnait Mme Danglars, et qui, avec des allures de reptile, s’était glissé à travers les groupes d’avocats, félicitant celui qui venait d’arracher Benedetto à l’échafaud, parvint jusqu’à la barre où se crispaient les mains du condamné, et, brusquement, se penchant vers lui, dit à voix basse :

— Nous avons tenu parole.

— Mais le bagne, le bagne !

— Patience !…

— Oh ! prenez garde ! grinça Benedetto, vous avez juré de me sauver.

— La tête, sans doute : que voulez-vous de plus ?

Benedetto fut à ce moment vivement attiré en arrière par les poignes des gendarmes qui surprenaient, sans l’entendre, ce singulier colloque.

Benedetto eut un sourd grondement, comme si l’esprit de révolte, longtemps contenu se fut tout à coup réveillé en lui.

Mais, – par un violent effort de volonté, – il parvint à rester calme.

— Je vous suis, messieurs, dit-il.

Et la porte qui avait accès du banc des accusés dans le Palais de Justice se referma sur lui.

Là, des gendarmes l’attendaient.

Les poucettes serrèrent ses mains et lui arrachèrent encore une sorte de rugissement aussitôt réprimé :

— Ça ne fait rien, dit un gardien à voix haute, celui-là peut se vanter de l’avoir échappée belle…

Benedetto haussa les épaules.

Maintenant, indolent, ne paraissant pas prêter attention à ce qui se passait autour de lui, Benedetto marchait entre ses gardiens.

— Où me conduit-on ? demanda-t-il.

— À la Force, mon brave, dit un soldat en riant, et demain matin, enlevé… pour Bicêtre.

Bicêtre ! c’était l’étape première du bagne.

Benedetto le savait. Instinctivement il regarda les murailles, comme s’il eut cherché quelque issue par laquelle il pût tout à coup bondir et disparaître.

Mais, une porte s’était ouverte devant lui.

Il se trouvait maintenant dans un escalier étroit, précédé par deux gendarmes, suivi de deux autres. Toute idée d’évasion eut été folle.

Soudain, une bouffée d’air frais le frappa en plein visage, en même temps que des flocons de neige s’abattaient sur lui.

Mais il n’eut pas le temps de raisonner cette impression toute physique.

Il fut poussé dans une voiture, se trouva dans un cabanon étroit comme un cercueil ; une porte se ferma avec un bruit de mâchoire qui mord un os.

Et la voiture se mit à rouler au trot allongé des chevaux, cabotant sur la neige avec un ronronnement sourd et sinistre.

Andrea Cavalcanti était dès lors retranché du nombre des vivants. Il était maintenant Benedetto le forçat.

Le trajet ne fut pas long.

Et pourtant que de pensées se heurtèrent pendant ce temps dans la tête du misérable.

Il était sauvé : il ne mourrait pas !

Une influence occulte, étrange, – qui depuis quelque temps s’étendait sur lui, l’avait protégé, l’avait arraché à l’échafaud. Pourquoi cela seulement ! pourquoi cette protection n’avait-elle pas été jusqu’au bout ?…

La tête sauve ? la belle affaire ! Quoi ! il fallait reprendre la vie atroce du bagne, sentir encore peser à sa cheville, à sa ceinture la lourde manicle, se retrouver dans cette hideuse promiscuité !

Et cela, – quand on s’était appelé prince Andrea Cavalcanti, lorsque, pendant des mois, on avait semé l’or à pleines mains, quand on avait été l’idole des plus jolies femmes de Paris, quand on avait failli devenir l’époux d’une fille dix, vingt fois millionnaire…

Il est vrai que l’avocat de Benedetto ne lui avait pas laissé ignorer la catastrophe dans laquelle s’était effondrée la fortune de la maison Danglars. Ne savait-il pas d’ailleurs qu’Eugénie Danglars s’était enfuie de la maison paternelle avec son amie et confidente Mlle d’Armilly, puisque, dans l’auberge de la Cloche et de la Bouteille, il lui avait jeté une suprême insulte…

Mais tout cela c’était la lutte, c’était la vie ! tandis que le bagne c’était la mort !

Oh ! avec quelle âpre rage Benedetto se retraçait le passé… alors que, sur une lettre de l’abbé Busoni, il était venu en poste jusqu’à Paris où le comte de Monte-Cristo l’avait accueilli comme le dernier des Cavalcanti – alors qu’il s’était trouvé en face de ce fantoche, Bartolomeo Cavalcanti, l’homme à la polonaise, qui l’avait serré dans ses bras en l’appelant son fils…

Puis Caderousse se jetant à la traverse, comme jadis le forçat qui fit arrêter le célèbre comte de Sainte-Hélène… puis le meurtre.

L’arrestation, la prison, et au moment où Benedetto se sentait perdu, Bertuccio, son père adoptif, apparaissant et venant livrer le secret de sa naissance, ce secret qui devait précipiter Villefort dans le désespoir, dans la folie !

Comme tout cela était loin !…

Et Benedetto furieux, se disait qu’en tout cela il avait été une dupe, l’instrument d’une volonté plus forte que la sienne, le pantin dont un autre tenait les fils…

Un autre… quel était cet autre ?

Un nom monta aux lèvres du condamné.

Oui, il y avait de par le monde un homme qui, tout en l’accueillant, tout en lui donnant de l’or, avait toujours gardé aux lèvres un sourire d’indicible mépris, un homme au visage impénétrable, qui ne lui avait jamais permis de lire sur son front la moindre de ses pensées… un homme contre lequel il avait armé le bras de Caderousse… un homme enfin qui était la cause première, directe de son arrestation… c’est-à-dire de l’écroulement de toutes ses espérances…

Et cet homme, Benedetto s’en souvenait à présent, avait acheté la maison dans laquelle lui – Benedetto – était né, dans laquelle M. de Villefort l’avait enterré vivant, dans laquelle enfin il avait réuni ses convives, certain soir où il avait parlé de ce meurtre, et de cet enfouissement sinistre…

Mais alors ! le machiniste monstrueux qui avait mis en mouvement tout cet engrenage – où Benedetto, – où Villefort – avaient été broyés ! c’était le comte de Monte-Cristo.

Prononçant ce nom entre ses dents serrées, le Corse y sentit comme un goût de sang.

Mais en même temps il frissonna.

Oui, une rage effroyable le serrait au cœur ! Oui, la pensée de la vengeance crispait son cerveau !

En même temps, il ressentait les affres d’une terreur insurmontable. Arrêtant sa pensée sur cet homme au masque pâle, au regard muet, à l’incalculable puissance, sur cet homme qui disposait de millions et passait à travers la vie comme l’ange du châtiment…

Benedetto avait peur.

Il se raidissait en vain contre cette impression écrasante…

Qu’était-il donc maintenant pour songer à engager le combat ? Un forçat, un maudit, un cadavre rejeté par la tombe !… De quelles ressources disposait-il ? Il ne possédait rien, rien, pas même un écu !

Et Benedetto se mordait les lèvres, si convulsivement que ses dents y laissaient des traces de sang…

De l’argent ! la liberté ! quels rêves !… mais si par hasard ils se réalisaient… Oh ! comme il se vengerait de la société qui l’avait châtié… et surtout, surtout de ce Monte-Cristo haï !

La voiture s’arrêta brusquement…

On était arrivé à la prison de la Force, étape de douze heures sur la route du bagne…

|5| LE BILLET DU FORÇAT

Quelle que fût la forfanterie de Benedetto, lorsque, sous les murailles toutes noires de la Force, tandis que la lourde grille grinçait derrière lui, il entendit son nom prononcé par la voix brutale d’un surveillant, il ne put réprimer un tressaillement de terreur.

Jusqu’ici il n’était encore qu’un accusé, un prévenu, – ainsi qu’on dit en langage judiciaire, – il était encore le prince Andrea Cavalcanti : aujourd’hui, l’arrêt avait frappé Benedetto – sans nom – qui allait devenir un numéro des chiourmes.

Les geôliers connaissent et observent ces nuances, mieux quelquefois que ces magistrats pour qui un prévenu est un condamné d’avance. Ils respectent relativement celui sur lequel la justice ne leur a pas encore donné droit absolu.

Mais, dès qu’il revient, la note change ; l’homme leur appartient.

Et encore si Benedetto eût été condamné à mort, s’il eût été désigné – non pour la place de Grève, comme avait dit Beauchamp par vieille habitude romantique, – mais pour la barrière Saint-Jacques où avaient lieu à cette époque les exécutions, du moins, il se serait attaché à lui ce respect que devait avoir le César romain lui-même pour ceux qui – allant mourir – le saluaient.

Mais, forçat, mais bagneux, comme on disait en ce temps-là !

C’était presque une décadence.

Un prince guillotiné c’est comme un ressouvenir du comte de Horn. Un prince sous le bonnet vert ! La belle affaire !

Et Benedetto – au premier moment, – dut, s’il était philosophe et observateur, constater cette nuance délicate.

Brutalement, on le poussa au greffe. Brutalement on procéda aux formalités d’écrou. Brutalement, on l’entraîna dans les corridors, et quoiqu’il réclamât la pistole avec insistance, autant du moins qu’il est permis d’insister en semblables conditions, on le jeta dans une sorte de salle basse, étroite et longue, où, vu l’heure avancée de la soirée, les prisonniers, les pires de tous – forçats attendant leur transfert à Bicêtre – avaient déjà accaparé les bottes de paille que leur accordait le règlement.

Une grosse lanterne assez semblable à celles qui de nos jours figurent à l’avant des locomotives jetait du mur un rayon aveuglant, renvoyé par un large réflecteur étamé.

Un surveillant, sorte de gnome trapu, carré, sur des jambes arquées, coiffé du bonnet de loutre légendaire, et portant à la main une énorme trique des plus persuasives, dit à Benedetto :

— Couche-toi.

À la lueur qui lui brûlait les yeux, Benedetto chercha :

— Mais où me coucher ?

— Où tu pourras ! où tu voudras ! faut-il pas te faire ta couverture ?…

— Peut-on rester debout ?

— Si ça te plaît ! mais tu sais… pas de bruit… ôte tes bottes… marche sur tes plantes… car si je t’entends, gare !

Il faisait le moulinet avec le gourdin en question.

Et il ajouta, avec un rire ironique, ces mots :

— Faut que ces messieurs dorment !

Ces messieurs, c’étaient les forçats, dont on apercevait çà et là les têtes livides, soulevés pour regarder le nouveau venu.

Tout à coup une voix s’éleva :

— Viens par ici, petit ! il y a une place !

— Hein ? qu’est-ce qui parle ! s’écria le surveillant levant son gourdin.

— Pardon, excuse ! murmura celui qui avait prononcé ces quelques mots, mais je disais qu’il y avait là un peu de paille libre…

— Allons c’est bien ! pas tant de manières ! et puisqu’il y a où se coucher, toi, le nouveau, affale-toi…, et plus vite que ça.

Ces paroles amères furent augmentées d’une vigoureuse poussée entre les épaules qui lança Benedetto vers la place désignée.

Grinçant des dents, reconnaissant son impuissance à résister, heureux peut-être de prendre un moment de repos, après les rudes secousses qu’il venait d’endurer, Benedetto se laissa tomber à terre, s’étendit, et là, ferma les yeux.

Le surveillant que l’invasion du nouveau venu avait tiré de son sommeil était retourné au fond de la salle et là, étendu sur une sorte de lit de camp, il s’était remis à dodeliner de la tête, avec cette facilité au sommeil de ceux qui à toute minute peuvent être réveillés.

Benedetto cherchait à ne pas voir, à ne pas penser. Il est des instants où on a le désir de l’anéantissement. Le misérable était écrasé. Il ne dormait pas, mais il semblait qu’un poids formidable s’était abattu sur son crâne : ce que le bœuf ressent après que le boucher lui a asséné en plein front le coup de maillet qui fait plier les jarrets, Benedetto l’éprouvait. Il avait devant les yeux comme un voile de sang qui s’épaississait en tournoyant, ivresse de la misère, du désespoir, de la mort !…

Tout à coup, il sentit qu’une main le touchait.

Par un mouvement instinctif de terreur, de dégoût, il chercha à se reculer et heurta quelqu’un qui grogna.

Il dut se rapprocher de celui qui, si obligeamment, lui avait fait place sur sa botte de paille.

Alors il entendit qu’on lui parlait, d’une voix singulière, sorte de ventriloquie particulière aux vieux criminels et qui leur permet de communiquer avec leurs codétenus sans que l’écho en parvienne à l’oreille du gardien.

Cette voix avait une douceur étrange, doublée par un accent traînant.

— Mon petit, disait le camarade inconnu, tu peux te frotter les mains. Tu as eu de la chance. À qui le dois-tu ? je n’en sais rien. Pas moins vrai que c’est moi – tu ne peux pas me reconnaître, il fait pas assez clair dans notre coin – qui t’ai fait passer le petit billet, il y a deux mois.

— Vous ! c’est vous…

— Chut, donc ! tu n’as pas le chic ! tu parles comme dans une trompette… et le bonhomme qui est là-bas n’entend pas qu’on cause… donc, tais-toi, et écoute-moi. Voilà l’histoire. J’étais allé au greffe, histoire de donner quelques renseignements sur mes antécédents… des ennuis, quoi !… et alors, une dame… oh ! très bien ! tu as de la chance… toi !

— Une dame !

— Tais-toi donc, encore une fois !… Cette dame qui venait avec une lettre de recommandation pour l’aumônier… ça fait toujours bien… a regardé autour d’elle… il paraît que ma figure lui a plu… Ça ne serait pas la première… Alors… Oh ! c’est une maligne, va… je peux te dire ça… elle a trouvé le moyen, tout en ronronnant sa petite affaire au greffier, de s’approcher de moi… et de me glisser un billet dans la main… avec un double louis… quarante francs, rien que ça !…

— Alors elle est riche !…

— Chut !… tonnerre !… faudra que je t’apprenne à te faire ta voix. Mais nous aurons le temps… là-bas…

— Où ça, là-bas ? demanda Benedetto tout frissonnant et s’efforçant d’assombrir sa voix.

— Pardié ! à Toulon !

— Quoi ! c’est là…

— C’est là que nous irons en villégiature, mon petit. Bon climat ! surtout pour les poitrinaires. Et j’ai la poitrine faible !

Celui que Benedetto ne pouvait voir et qui cependant semblait si bien le connaître, avait un rire sourd, contenu, presque sinistre.

— À Toulon, soit… après ? Vous disiez que cette dame…

— Oh ! elle te tient au cœur, petiot. Ça se comprend… un peu mûre pourtant… dans les quarante… moi, j’aime mieux les primeurs…

Et ce moi fut encore accentué de ce rire qui avait quelque chose de répulsif.

— Enfin… savez-vous quelque chose de plus…

— Allons ! pas d’impatience ! il ne faut pas faire le méchant… entre bagneux, ça ne prend pas… la dame m’a dit tout bas, et très vite : Pour Benedetto !… moi, je ne savais pas ce que c’était que Benedetto, mais je me disais qu’un double louis ouvre toujours l’intelligence. Et comme je suis honnête – car je n’ai jamais fait tort d’un sou à personne, moi !…

Le bagneux comme il s’appelait lui-même – prononça ces dernières paroles avec une certaine fierté.

— Pourquoi donc allez-vous au bagne alors ?… demanda Benedetto.

— Mon petit, des affaires… spéciales. J’étais prêtre, vois-tu… et le confessionnal, – c’est traître en diable…

Benedetto avait été élevé en Corse, et malgré toute son infamie, il avait conservé des scrupules instinctifs…

Il fit un soubresaut de dégoût.

L’autre parut ne pas s’apercevoir et continua :

— Donc, je répondis à la dame en question : Ça sera fait !… et il paraît que ma voix lui plut non moins que ma physionomie car elle ajouta un simple louis au double… numero Deus impare gaudet… Seulement…

— Seulement ?

— Je n’aime pas à me charger de commissions, sans savoir ce qu’elles valent… il y a dans l’histoire ancienne…

— Vous êtes savant ?

— Il faut bien faire un peu de tout. Il y a, dis-je, l’histoire d’un certain Bellérophon et d’une lettre qui lui fit grand tort, quand il l’eut remise… si bien que je décachetai la lettre…

— Vous l’avez lue ?

— Un peu. Et, pour te le prouver, je puis te répéter ce qu’elle contenait : Oh ! quelques lignes seulement.

« Quelqu’un qui s’intéresse beaucoup à l’accusé Benedetto l’avertit que s’il s’adresse à l’aumônier et s’il donne, pendant le temps de sa prévention, des signes certains de conversion et de piété, il est sûr de ne pas être condamné à mort. »

— Oui, c’est bien cela, murmura Benedetto.

— Au fond, cette histoire-là ne me regardait pas. Je ne tenais pas à ce que tu eusses le cou coupé ; je ne te connaissais pas… j’ai tenu à gagner mes soixante francs, et je t’ai fait parvenir le billet.

— Mais, je ne me souviens pas de vous avoir vu !

— Oh ! tu étais un accusé de la haute… mis à part… dans la cour Magdeleine… Moi, j’étais dans la fosse aux Lions… tu ne connais pas ça…

Benedetto aurait pu détromper son interlocuteur : mais, même dans l’état d’abjection où il se sentait rouler, la vanité subsistait. Un accusé de la haute ! Ce mot entendu était presque une puissance d’amour-propre.

Il se tut.

— J’ai trouvé un moyen, simple et ingénieux, et tu as reçu le petit papier… Depuis, j’ai eu des renseignements sur ton compte… il paraît que tu as suivi de point en point les conseils qui t’avaient été donnés, – c’est très bien !… et la preuve, c’est que tu es ici…

— On va de la Force à l’échafaud.

— Erreur ! mon petit. Il faut d’abord passer par Bicêtre… mais ce qui me prouve que tu n’iras pas faire la connaissance du grand rasoir – l’ancienne mannaia du treizième siècle… Car, tu crois peut-être que c’est Guillotin – autrement dit le docteur Louis qui a inventé cette machine-là… Erreur ! encore une chose que je t’apprendrai là-bas…

Benedetto ne put réprimer un mouvement d’impatience. Le ton doctoral de ce forçat – qui n’était pas de la haute – lui donnait des crispations nerveuses.

— Conclurez-vous enfin ?…

— Tu ne veux pas me tutoyer, tu as tort, reprit l’autre. Mais ça viendra… Maintenant, je comprends ton impatience ; tu te dis qu’après tout, tu connais cette histoire-là presque aussi bien que moi… et tout cela t’intéresse très médiocrement. Et, comme tu as un esprit logique, – tu manques de principe, mais je t’expliquerai Condillac, – tu te demandes quel intérêt j’ai à te faire ce petit récit…

— En effet, grommela Benedetto, qui bouillait d’impatience.

— Eh bien ! mon petit, c’est parce qu’un service en vaut un autre. Je me suis fait commissionnaire pour te faire plaisir… il faut que tu te fasses commissionnaire à ton tour… dans mon intérêt…

— Moi !

— Eh oui ! toi-même !… serais-tu ingrat… déjà ?

— Mais, je n’ai aucun moyen… Vous voyez bien que je ne suis pas traité mieux que les autres… mieux que vous…

— Mon petit, permets-moi de te dire que tu manques d’expérience… La lettre que je t’ai fait passer dit beaucoup de choses en un seul mot : piété. Je connais mon monde… je n’ai pas su le prendre, sinon je ne serais pas ici… Or toi, tu as été bien gentil, bien docile… et on ne te lâchera pas comme cela… tu es à la Force, tu iras demain à Bicêtre, et dans deux jours, tu seras rivé à la chaine… à côté de moi… nous sommes de la même fournée… eh bien ! ici, à la Force ou à la chaîne, tu entendras parler de quelqu’un ou de quelque chose. Les jésuites et les femmes sont tenaces. Or, il y a dans ton affaire des femmes et des jésuites.

Il sembla à Benedetto qu’un éclair subit passait devant les yeux.

Dans le trouble cérébral où l’avait jeté sa condamnation – qui était pourtant le salut presque inespéré – Benedetto avait oublié, du moins il n’avait plus raisonné.

Or, tout ce que lui expliquait l’inconnu était réel et lui revenait à l’esprit comme un souvenir oublié.

Oui, depuis le jour où il avait reçu le billet mystérieux – billet dont l’écriture était celle d’une femme – il avait joué auprès de l’aumônier la comédie du repentir, de la soumission, de la bigoterie exagérée.

Et soudain, son sort s’était amélioré. Il lui avait semblé qu’autour de lui les visages se faisaient bienveillants, les voix moins rudes.

Un homme – celui-là même qui lui avait adressé quelques paroles à la fin de l’audience – avait pu pénétrer jusqu’à lui, et, sans lui révéler qui il était, lui avait dit :

— N’oubliez pas les prescriptions qui vous ont été imposées, et je vous jure que vous serez sauvé.

Il avait obéi. Il avait si grande peur de la mort. Et alors que la récidive, que son impudence à la première audience semblaient rendre sa condamnation certaine, irrémissible, à moins d’un miracle, ce miracle s’était opéré…

Le président avait été presque partial ; la comparution de Villefort comme témoin avait servi la cause de l’accusé, le procureur du roi avait pour ainsi dire plaidé lui-même en faveur du principal coupable… l’avocat avait trouvé des accents d’une sensibilité exquise pour attendrir le jury…

Et, – il n’avait pas été condamné à mort.

En vérité, il n’avait pas songé à tout cela.

Et quand l’homme s’était approché de lui, pour prendre acte de ce fait que la parole donnée avait été tenue. Benedetto loin de trouver en lui quelque reconnaissance, s’était senti prêt à l’insulter…

Mais non. Il était bien évident maintenant qu’une puissance occulte veillait sur lui. Pourquoi l’aurait-on sauvé de l’échafaud ? Pour le plonger dans l’enfer du bagne ?… Ce n’était pas possible. Il y avait là quelque dessein caché.

Donc, il y avait encore un avenir pour lui.

Toutes ces réflexions jaillirent en lui avec une rapidité extraordinaire. Et, se penchant à son tour vers celui qui venait de lui faire cette révélation subite, cette révélation qui lui montrait au lointain la possibilité d’agir, d’être libre, de vivre :

— Continuez, continuez ! lui dit-il haletant.

— Consens-tu à me servir ?

— Oui…

— Et tu ne me trahiras pas ?

— Quel intérêt y aurais-je ?…

L’autre eut un ricanement.

— Très bien ! fit-il. Tu es franc… je puis te croire. Si tu avais intérêt à me trahir, tu le ferais. Ceci me plaît. Mais tu as raison, cela ne te servirait à rien… Au contraire, si tu fais ce que je vais te demander…

— Eh bien ?

— Eh bien, là-bas, à Toulon, je te dirai le reste…

— Enfin… de quoi s’agit-il ?…

— Écoute-moi. Ce soir, demain, on t’appellera… Ce soir, plutôt que demain, j’en ai la conviction… On te console ! on t’encouragera… qui sera-ce, peu importe. Il faut qu’à celui qui viendra, tu demandes comme un service suprême, de faire parvenir à son adresse, un billet que je vais te donner… Dame ! tu ne remettras au messager ni simple ni double louis. Il faut compter purement et simplement sur un service gratuit…

— Je trouverai le moyen de l’obtenir…

— J’y compte… Ah ! un mot ! Comme je t’ai raconté très loyalement que j’avais lu le billet qui t’était destiné, tu pourrais être tenté de me rendre la pareille…

— Oh ! je ne serais pas capable…

— Ouais !… l’homme est capable de tout, et tu es un homme. Seulement, mon petit, sache ceci. Le billet que voici…

Et Benedetto vit, dans l’ombre qui l’entourait, que la main qui s’avançait vers lui tenait un papier plié.

— Il est écrit avec des caractères indéchiffrables… pour tous, excepté pour moi et pour la personne à laquelle il est adressé… Tout ce que tu pourras savoir, – et il faut que tu le saches, – c’est le nom de cette personne… M. Magloire, 8, rue Contrescarpe… Je suis tranquille, tu n’iras pas la déranger… tu irais d’ailleurs que tu ne la trouverais pas… tout cela, ce sont mes petits secrets. Un dernier détail… le billet est indécachetable… ça te paraît drôle, mais c’est vrai… Donc je suis sûr de toi, parce que mes précautions sont bien prises… Tu vois que ma franchise vaut la tienne… Voilà le poulet… fais qu’il sorte de la prison, qu’il arrive à son adresse… et, foi de… camarade, tu ne t’en repentiras pas…

— Comptez sur moi…

— Oh ! je veux y compter plus encore… je vais te faire un aveu… Ce poulet-là, vois-tu… c’est l’évasion sûre, facile et prompte… Si tu me sers bien… l’évasion, c’est comme le repas du pauvre… quand il y en a pour un, il y en a pour deux…

— Donnez, donnez, je vous promets…

À ce moment, la porte de la salle s’ouvrit brusquement.

Un guichetier parut et, de sa voix claire, cria :

— Benedetto !… Benedetto !…