Le Journal d'un chat - Article 2 - Alice Besson - E-Book

Le Journal d'un chat - Article 2 E-Book

Alice Besson

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Beschreibung

Nous voilà de retour chez nos heureux retraités, Colette et Jacques, et le nouveau membre de leur famille : leur petite chatte. Indiscrète et facétieuse, elle poursuit dans son journal le récit de sa vie à la campagne et des événements dont elle est témoin. Son regard perçant de félin capte, parfois mieux que l’œil humain, l’air du temps.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Alice Besson aime lire, et écrire ! Elle en a même fait ses métiers, journaliste d'abord, libraire ensuite, mais l'envie de devenir écrivaine fut la plus forte. Elle a publié un premier roman, épistolaire, en 2021, "Lettres à une inconnue", tout en délicatesse, qui a séduit les amoureux de belles lettres. Elle récidive avec une nouvelle atypique, "Le Journal d'un chat".

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Alice Besson

 

Le journal d’un chat

Article II

 

 

Nouvelle

 

 

De la même auteure :

 

Le journal d’un chat, article I

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les

Éditions La Grande Vague

Site : www.editions-lagrandevague.fr

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

ISBN numérique : 978-2-38460-073-1

Dépôt légal : Novembre 2022

Les Éditions La Grande Vague, 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toute ressemblance avec des personnages fictifs, des personnes ou événements existants ou ayant existé est purement fortuite.

Note de l’auteur

 

Je dois vous faire un aveu, ce n’est pas exactement moi qui ai rédigé ce journal, c’est ma jeune maîtresse, Amélie. Elle a su traduire, mieux que je ne l’aurais fait, mes pensées, mes indignations, mes interrogations, mes découvertes. Comment aurais-je pu ? Je ne suis qu’une chatte, je miaule, je griffe, je mords comme je vous l’avais dit au début de ce texte. Je ne tape pas sur le clavier de l’ordinateur, je me couche dessus quand je veux faire un petit somme. La sacoche me sert de coussin en quelque sorte comme Koko sur son Frigidaire.

Elle, par contre, s'y connaît en écriture. Elle adore les mots, aime lire. Elle a longtemps fait carrière dans la presse, écrite bien sûr. Elle est entrée par la petite porte d’un journal local en Normandie pour y décrire la vie le long du littoral. Ça lui plaisait beaucoup et elle serait volontiers restée au bord de la mer, mais pour des raisons indépendantes de sa volonté, cela n’a pas été possible. Alors, elle est partie dans une autre région, en Champagne, où elle a rendu compte des activités physiques des « deux-pattes », sur un vélo, à cheval, raquette en main, ballon au pied. À force de courir, sauter, s’étirer, transpirer, elle a eu besoin de reprendre son souffle et a exercé ses talents ailleurs en corrigeant les articles des autres et en les mettant en page pour qu’ils soient bien attractifs.

Mais les humains, comme vous avez pu le constater, sont parfois irritables et difficiles à satisfaire. Nous, les félins, n’avons pas de problèmes d’égo, juste quelques accrochages pour un territoire ou pour les faveurs d’une demoiselle. Aussi, les circonstances ont guidé ma jeune maîtresse vers ce qu’elle aime vraiment : les livres. Elle a ouvert une librairie avec l’idée de faire découvrir aux lecteurs toutes les littératures du monde, en rangeant petits et grands formats suivant l’origine des auteurs, c’est-à-dire par continents et par pays. Elle aurait, par exemple, placé un ouvrage sur le Maine Coon près du drapeau américain et sur le persan près de l’Iran. Mais, là encore, les innovations ne sont pas toujours bien acceptées par les bipèdes et ma maîtresse a dû fermer sa porte à regret.

Remarquez, je les comprends ; nous, les chats, sommes routiniers. Nous tenons à nos habitudes.

Qu’à cela ne tienne, une reconversion en bibliothèque l’a définitivement convaincue de prendre la plume ou le stylo. Mettre en valeur les écrits des autres, c’est bien, devenir soi-même auteur, c’est mieux.

Quand je suis arrivée dans mon nouveau foyer, cela lui a semblé tout naturel de raconter ma vie, d’être mon interprète. Spontanément, elle a voulu garder en mémoire mes faits et gestes. C’était sûrement pour rendre aussi hommage aux chats qui m’ont précédée dans sa vie. En particulier César et Julie pour le réconfort qu’ils lui ont apporté dans les moments pénibles de son existence. Deux chats de gouttière au pelage magnifique, gris et blanc pour l’un, noir et blanc pour l’autre.

Deux chats fort différents, César par son espièglerie, Julie par sa présence discrète, deux chats qu’elle n’oubliera jamais. Tel peut être ce merveilleux lien qui nous unit à vous, les humains, l’amour des bêtes d’un côté, un attachement profond à nos maîtres de l’autre.

3 ans déjà

Les koalas aux abois

 

Vendredi 11 janvier 2019

L’année commence mieux que la précédente, hormis, bien sûr, les dégradations hebdomadaires conséquentes aux « hommes en jaune ». Vous savez que ma maîtresse, surtout, est une inconditionnelle du jeu emblématique de « la trois », Questions pour un champion. Et, ce soir, il était question de nous… les chats. Luc, un candidat de Laval, a remporté la cagnotte de 12 700 euros. Pour décrocher son troisième « quatre à la suite », il a choisi un questionnaire sur… les races de chats ! Vous pensez bien que j’ai écouté. Je ne me souviens plus très bien de l’ordre des questions, mais il fallait trouver le chartreux, l’abyssin des hauts plateaux d’Éthiopie, l’angora, le Maine Coon. Rien sur l’européen, c’est-à-dire moi, évidemment. À croire que les chats de gouttière, cela fait vulgaire.

Je découvre, car je n’y fais guère attention, que, comme vous, les humains qui êtes blancs, noirs, métis, cuivrés aux yeux bridés, blonds aux yeux bleus, petits ou grands, nous sommes d’aspect fort différent. Vous dénombrez, semble-t-il, plus de soixante races de minous. Dans vos foyers, je suis du type le plus courant. Mais certains maîtres recherchent des individus au pedigree bien particulier. Le mien s’en est bien rendu compte devant le rayon de l’animalerie où il va acheter mes sacro-saintes croquettes. Il y a des aliments spécifiques à certaines races. On pourrait presque dire que chaque continent a son emblématique félin. Pour en revenir au jeu, le chartreux a une belle fourrure bleue-grise. Ma jeune maîtresse, qui ne peut se passer de l’Internet, a trouvé un site dédié justement à toutes nos composantes et en a fait part à ses parents. 1

Paraît que ce dernier est issu de l’une des plus anciennes races de chats et aurait été importé en Europe d’Orient par les Templiers vers 1110. L’abyssin aussi existe depuis fort longtemps. Contrairement à ce que son nom indique, il serait plutôt originaire d’Asie du Sud-Est. D’ailleurs, il ressemble à un puma tout petit. Mais il aurait été ramené d’Afrique par des Anglais, ce qui expliquerait son nom. C’est drôle, il a de grandes oreilles, un peu écartées.

L’angora, lui, vient de Turquie et se caractérise par un poil mi-long. Il aurait fait son apparition en France au XVIIème siècle grâce à Nicolas de Peiresc. La beauté de ce félin aurait changé votre regard sur nous. Grâce à l’angora, nous ne serions plus simplement un animal utile pour chasser les souris, mais un agréable compagnon. Dans une correspondance, l’empereur romain Auguste a écrit : « ma chatte blanche aux poils longs et aux yeux d’or (…) comme est délicate et raffinée sa beauté, et noble et indépendant son esprit. »La reine Marie-Antoinette en possédait six et les a envoyés en Amérique pour les protéger lorsque la Révolution a éclaté. Pour répondre à la question que je me posais lors de la marche sur Versailles en décembre, de nombreux nobles ont emmené avec eux leur chat angora quand ils ont fui en Angleterre. Ouf, sauvés les matous !

Une hypothèse avance qu’arrivés sur le sol américain, ces réfugiésse seraient croisés avec ceux vivant dans les forêts du Maine pour donner le Maine Coon, le chat le plus grand du monde. Certains individus peuvent peser trois fois mon poids. De quoi impressionner le gros rouquin ! En tout cas, le Maine Coon est très répandu dans sa région. Il est plus vraisemblable que des colons ont emmené leurs chats et que, de ces rencontres avec ceux du coin, se soit développée cette race, tout simplement. Toujours est-il qu’en 1985, le Maine Coon est même devenu la mascotte de cet État du nord-est des États-Unis.

Je m’arrêterai à ces « cousins d’Amérique » car si je devais écrire un mot sur toutes les sortes de chats, ce ne serait plus un journal, mais le catalogue de la Redoute. Chacun son origine, son histoire, son caractère, ses caractéristiques.

Dimanche 27 janvier 2019

Comme la nuit tombait, je suis sortie. Et qu’est-ce que j’ai vu ? Deux chevreuils dans l’ombre des arbres fruitiers au bout du champ potager, à moins de 50 mètres de ma maison ! C’est la première fois que j’en vois d’aussi près. Je suis restée la patte levée à les observer. Fallait-il que le silence et le calme de la campagne soient profonds pour que ces jolis cervidés s’approchent autant.

Il m’arrive aussi d’entendre deux perdreaux, pas des humains, voyons, de jeunes perdrix, pauvres bêtes à plumes rescapées de la chasse. Elles étaient trois au début, mais l’une d’elle a disparu. On a du mal à les distinguer tant leur plumage se confond avec la terre. Depuis le début de l’année, elles nichent alentour et cherchent leur nourriture dans les parcelles en friche le long de la propriété.

 

Mercredi 20 février 2019

Ma maîtresse était couturière lorsqu’elle était jeune. Elle avait même confectionné la robe de mariée de l’une de ses amies. Puis elle a épaulé mon maître dans son travail et n’a ouvert sa boîte à couture qu’en cas de nécessité, pour une retouche, un ourlet de pantalon, un bouton à recoudre.

Colette connaît bien les tissus. Pour elle, un vêtement doit tomber juste. Mais elle s’intéresse peu à la mode et encore moins à la haute couture. Un monde qui lui semble cruel sous les paillettes. Dans les défilés, les mannequins sont d’une maigreur à faire peur et, en définitive, disgracieuses. Très peu pour elle.

Aussi, le décès de Karl Lagerfeld, hier, serait passé inaperçu sans un petit détail qui rendit l’homme aux lunettes noires plus attachant, et recueilli, comme de coutume, dans l’édition du jour. En voici un extrait : « sa bibliothèque de livres d’art est aussi excentrique que lui. Choupette, sa chatte, et seule héritière supposée, ne devrait quand même pas s’y faire les griffes. À propos de ce tigré de Birmanie, il avait dit : « la principale qualité de Choupette est qu’elle ne parle pas ».

En 2018, il s’était confié au magazine « Numéro » sur ses funérailles. J’ai demandé que l’on m’incinère et que l’on disperse mes cendres avec celles de ma mère… et celles de Choupette, si elle meurt avant moi. Il est mort avant elle. On jurerait que cela ne le ferait pas rire. Il a pris toutes ses dispositions pour qu’un chat, mystérieux par essence, continue de se prélasser parmi ses livres. Sur les photos, la seule fois où on le voit faire un bisou, c’est à elle. »

N'est-ce pas un nouveau et touchant témoignage de l’affection que vous nous portez.

 

 

Vendredi 1er mars 2019

Je dors d’un œil près de ma maîtresse confortablement installée sur son canapé à lire les nouvelles après le déjeuner. Il fait gris, il vente depuis hier et je n’aime pas ça. Je suis aussi bien près d’elle, au chaud, à l’abri.

Il faut dire que le contraste est saisissant avec le temps de ces deux dernières semaines. C’était l’été, le soleil brillait, le ciel était bleu, sans nuages.

Hormis la température avoisinant zéro degré au petit matin, on se serait cru en période estivale. D’ailleurs, de-ci, de-là, des records de chaleur ont été battus.

J’avais donc repris mes escapades nocturnes tandis que les humains retrouvaient les joies des promenades diurnes sur les chemins de terre.

Le printemps s’est bel et bien manifesté plus tôt que prévu. En atteste la migration des grues. D’habitude, elles survolent notre maison début mars. Mais, là, en une semaine, en plein février, ma maîtresse a compté huit passages, trois dans une même journée ! Un vrai spectacle. On aurait dit que les oiseaux se parlaient, s’encourageaient et s’organisaient pour prendre les relais. Ils tournoyaient parfois quelques instants au-dessus des champs avant de former un V parfait en direction de l’est.

Avec ce temps, même les souris ont pointé le bout de leur queue. Pour mon plus grand bonheur, j’en ai même attrapé une que j’ai consciencieusement dévorée vers les 4 h 20 du matin, hier à l’étage où j’ai pris mes quartiers cet hiver.

J’espère qu’au Salon International de l’Agriculture, la plus grande ferme de France chaque année à cette époque à Paris, les animaux ne souffrent pas de la chaleur et ne sont pas incommodés par ces hordes d’humains qui les observent du matin au soir.

La vedette de cette édition est une bien belle vache, une Bleue du Nord, qui se prénomme Imminence, un nom qui sonne comme Éminence et la place au-dessus du commun des bovins. C’est même une top model ! Sur le site Internet du salon, ma jeune maîtresse en a eu une description élogieuse : « imminence a toutes les caractéristiques physiques pour représenter la Bleue du Nord : un mufle large, un cou svelte, une robe blanche tachetée d’un beau gris bleu… Le reste de son habit se caractérise par un museau, des sabots et des trayons de couleur noire… Son éleveur dit d’elle qu’elle est curieuse, affectueuse et rustique. »

Vous voyez, nous les bêtes, ne sommes pas doués de parole, mais nous avons du caractère et nous sommes sensibles.

Comme il a été question de ces ruminants dans l’actualité, mes maîtres ont été attristés d’apprendre que ces pauvres bêtes, qui nous donnent du si bon lait, peuvent mourir rien qu’en broutant leur pré. Eh oui. Les imbéciles qui jettent leur cannette de bière par la portière de leur auto ne se rendent pas compte que les vaches peuvent ingérer les morceaux de métal. Et, encore, s’il n’y avait que cela, mais non.

Elles mangent aussi des clous, des fils de fer barbelés, des résidus de pneus, vous savez ces vieux pneus qui servent à couvrir les bâches d’ensilage.

Ce n’est pas appétissant et elles ne sont pas obligées de confondre ces détritus avec l’herbe. Elles ne sont pas comme nous, les chats, qui sommes si méfiants devant toute nourriture. Tous ces déchets mortels s’accumulent dans leur panse et peuvent provoquer des maladies et des infections létales. Pour remédier à ce phénomène, certains éleveurs font manger un aimant à leurs animaux pour que ces « corps étrangers » demeurent dans cet estomac principal et ne se « baladent » pas ailleurs.

Ce n’est pas une solution ; mieux vaut nettoyer les prés de tous ces déchets. Bien sûr, ce n’est pas drôle et que de temps perdu à ramasser les ordures des autres.

Mais quel soulagement aussi de savoir la nature moins souillée.

Ma jeune maîtresse en a fait l’expérience le week-end dernier. En arpentant les chemins qui lui sont si chers sous le chaud soleil, elle a ramassé treize cannettes de bière, et des cinquante centilitres en plus, qu’elle a rageusement jetées dans la poubelle réservée au tri.

Dans un autre registre, il n’y a pas que les vaches à souffrir du comportement des hommes, il y a aussi les dauphins, ces magnifiques créatures marines. Mes maîtres ont été révulsés de voir à la télévision les dégâts causés par la pêche industrielle. Flipper et les siens se prennent dans les filets dérivants en voulant attraper leur nourriture et ils meurent asphyxiés. Les pêcheurs remontent des cadavres et d’autres victimes échouent sur des plages. Des centaines de dauphins sont ainsi retrouvés sans vie. Moi, je me passerais bien de poisson ─ mes croquettes et les souris me suffisent ─ et mes protecteurs aussi je crois, mais combien d’humains feraient un scandale si les étals des poissonniers étaient vides. Il suffirait pourtant d’un petit geste pour éviter tant de gâchis et sauver des vies. Dieu merci, tout n’est pas perdu. Certains bipèdes ont eu l’idée de disposer un boîtier sur ces maudits filets dont l’objet est de dissuader les dauphins d’approcher. C’est déjà un début.

 

Samedi 23 mars 2019

Ma maîtresse a laissé son journal ouvert sur la table basse. Cela lui arrive souvent lorsqu’elle doit surveiller la cuisson des aliments. J’en profite pour jeter un œil sur les nouvelles et qu’est-ce que je lis : « Stop à l’hécatombe record de dauphins ! »

Le ministre de l’Écologie, François de Rugy a assisté, hier, à La Rochelle, à l’autopsie d‘un individu à la nageoire caudale coupée. « La signature d’une prise dans un filet de pêche », constate avec tristesse le président de l’association Ré Nature Environnement, Dominique Chevillon, présent sur place. Cet ami des créatures de l’eau se désole de voir d’aussi beaux animaux marins amputés et sacrifiés pour satisfaire l’économie de la mer. Depuis le début de l’année, le nombre d’échouages a dépassé le millier, un record absolu depuis quarante ans, s’alarme Dominique Chevillon.*2« Aujourd’hui, la principale mesure pour lutter contre l’hécatombe, ce sont les pingers, ces répulsifs sonores qui effarouchent les dauphins, a souligné le ministre. Certains navires français en sont équipés, mais tous n’ont pas investi dans ce dispositif électronique. »

L’État va donc mettre plus de moyens, notamment 100 000 euros pour ce centre de recherches sur les mammifères et oiseaux marins, pour ne plus voir cette espèce protégée mutilée sur les plages. C’est pas trop tôt.

 

Si vous avez bien lu ce que j’ai écrit plus haut, vous avez appris que je sais lire, c’est bien naturel avec une lectrice comme ma maîtresse ou, plutôt, comme mes maîtresses.

Amélie, aussi, adore lire. Elle a même reçu en cadeau les aventures de Jim, Koko et Yom Yom 3. Je lis… dans vos pensées. Non, ce n’est pas de la bande dessinée, mais une série policière comme les aime la fille de mes maîtres, que l’on doit à l’Américaine Lilian Jackson Braun. Cet écrivain a eu la géniale idée de créer un duo de détectives humain-félin. Le « Deux-Pattes », c’est Jim Qwilleran, un ancien chroniqueur à la moustache digne de nos vibrisses, qui reprend du service. Dans sa première enquête, Le chat qui lisait à l’envers, il fait la connaissance de Kao K’O Kung, un siamois dont le maître est le critique d’art du journal qui vient de l’engager. Drôle de nom pour un chat, mais pas étonnant quand on découvre le propriétaire : « Il porte le nom d’un artiste du XIIIème siècle et il possède lui-même la grâce et la dignité d’un objet d’art chinois. »

Moi aussi, je suis gracieuse, dans mon genre ! Et maintenant, je sais lire comme lui, mais à l’endroit, pas à l’envers !

 

Bref, en rédigeant un reportage des plus banals sur le monde de l’art, notre journaliste d’origine écossaise va devoir confondre un meurtrier avec l’aide de Kao K’O Kung, qu’il va adopter et surnommer Koko. Ah, heureusement que Koko est là pour le mettre sur la voie. À sa manière, le chat lui donne des indices qui vont enfin éclairer sa lanterne. À croire que nous sommes plus intelligents que vous !

Koko ne va pas rester seul bien longtemps. Dans la seconde enquête, Jim prend pitié d’une jolie orpheline qu’il prénomme Yom Yom, encore un nom bizarre pour une petite siamoise que l’on devrait à « la comédie musicale de Gilbert et Sullivan où Koko épouse Yom Yom. »

Dans ce cas précis, Koko va surtout faire une place à Yom Yom sur le beau coussin bleu, posé en haut du Frigidaire, où il dort.

Ce second opus a pour titre Le chat qui mangeait de la laine et fait directement référence à ma petite manie, ce qui explique ce présent fait à ma jeune maîtresse.

Déjà l’hiver dernier, quand je rongeais mon frein de ne pas pouvoir sortir à cause du froid, du vent, de la pluie ou de l’absence de souris, je passais mes nerfs sur les lainages. Ces derniers mois, j’ai recommencé de plus belle avec une prédilection pour les manches de pulls et de gilets. Je les digère bien, mais ma maîtresse me fait de gros yeux quand elle découvre l’étendue du trou.

Elle prend maintenant bien soin de refermer les portes des chambres et de la pièce où sèche le linge. Des fois que la fringale me reprenne.

Je ne suis pas experte, comme Koko, en criminologie. Parmi mes alter ego de papier dont parle quelquefois Amélie, je me sentirais plus proche de Mouchette.

C’est la chatte de Nicolas Le Floch, le fin limier du Paris des Lumières. Autre temps, autre lieu, autres mœurs, mais des manières de félin qui me plaisent bien. Mouchette apparaît dès le quatrième tome, dans l’affaire Nicolas Le Floch4, et va prêter patte forte au commissaire lors d’une de ses planques. La coquine a trouvé son maître et saura se faire adopter par toute la maisonnée Noblecourt, où réside le policier, y compris le chien du vieux magistrat qui possède cette demeure rue Montmartre. Ma foi, c’est bien raconté. « Mercredi 18 mai 1774 ─ La présentation de la chatte se déroula sans que Nicolas eût à intervenir. Cyrus, venu retrouver son vieil ami au petit matin, tomba sur Mouchette qui s’éveillait. Nicolas admira la science séductrice de la finaude.

Nullement effrayée, elle sut déployer les grâces serpentines et fit, avec de doux miaulements, patte de velours sur la truffe de Cyrus intrigué. Finalement, le vieux chien, conscient de ses responsabilités à l’égard de cette jeunesse, la prit délicatement par le cou ; elle se laissa faire, pantelante et ronronnante. » Elle n’a pas froid aux yeux, Mouchette, moi, la gente canine, moins je la vois, mieux je me porte.

La référence littéraire du gros rouquin, qui traîne toujours dans les parages, serait plutôt le greffier de Laviolette. C’est le commissaire de police imaginé par Pierre Magnan, natif de Manosque comme Jean Giono. Modeste Laviolette vit à Digne-les-Bains dans une drôle de villa, entouré de chats. D’ailleurs, sur la couverture des Courriers de la mort5, on voit un gros rouquin — comme celui qui s’immisce sur mon territoire — dans les bras de Victor Lanoux, qui incarnait le célèbre policier à l’écran.

C’est son portrait craché ! « Le seul nom de Rodilard mettait la vieille Chabassut [qui lui faisait sa cuisine et son ménage] en transes. C’était un chat qui pesait près de sept kilos, qui menait Laviolette le bâton haut comme aurait pu le faire une maîtresse qui ne l’eût pas aimé ; qui ne lui prodiguait ses caresses que s’il avait faim ; un chat capable, après dix jours d’absence, de gratter à la porte et de passer sur les pieds de son maître sans un regard, fonçant droit vers la cuisine en réclamant aigrement tous ses repas manqués et pissant, la queue frétillante, si par hasard on lui faisait faute d’un seul. Laviolette, bien entendu, était féru de ce gras maquereau armé de burnes grosses comme des noix et fourré comme un chanoine. » Quelle description !

Rien qu’avec ces trois exemples, Koko et Yom Yom, les siamois, Mouchette à la robe noire et blanche et l’horrible Rodilard, on voit bien la place, ô combien justifiée, que vous nous accordez dans votre littérature.

Ne suis-je pas moi aussi un personnage de roman ?

 

Je suis bavarde aujourd’hui. J’allais oublier que c’est le grand jour, je veux dire l’ouverture de l’exposition Toutânkhamon à la Grande halle de La Villette à Paris.

Un événement exceptionnel car, une fois cette expo terminée, le 15 septembre, les trésors présentés regagneront leur destination première, l’Égypte. Vous vous demandez pourquoi je vous parle de ce pharaon oublié pendant des siècles et dont la découverte du tombeau, en 1922, serait entachée d’une malédiction.

Eh bien, parce que ma jeune maîtresse a une amie férue d’égyptologie. Elle lui a raconté les malheurs de ce jeune roi, fils d’Akhenaton, décédé alors qu’il n’avait pas 19 ans, probablement victime de sa consanguinité. Elles iraient bien voir son sarcophage et autres objets de son règne, mais il paraît qu’il s’est déjà vendu 150 000 billets !

Cette personne a aussi expliqué à Amélie, vous vous en doutez, l’importance des chats dans l’Égypte ancienne. Elle avait déjà admiré un de mes semblables en bronze de la vallée du Nil à la Basse Époque, c’est-à-dire vers 600 avant Jésus-Christ.

Le chat était l’animal sacré de la déesse à tête de félin Bastet. Sous sa forme de chatte, Bastet était une déesse protectrice du foyer, des femmes enceintes et des enfants. Son centre religieux se situait dans la partie orientale du delta du Nil. Là-bas, dans un lieu qu’on appelle aujourd’hui Tell Basta, les fouilles ont permis la découverte d’un cimetière contenant un nombre incroyable de chats inhumés. Ce cimetière se trouvait autrefois dans « Bubastis », nom donné par les Grecs à la ville-temple où était vénérée Bastet. Les croyants y auraient déposé, il y a plus de 2500 ans, un nombre analogue de statuettes de chats en bronze, sûrement en offrande à la déesse. Tous ces humains, si curieux de découvrir la vie de ce pharaon, en verront, peut-être, des représentations de chats. J’en suis flattée. Bastet pouvait, hélas, aussi se mettre en colère et prendre, dans ce cas, les traits d’une lionne. Mais elle demeure un symbole de joie et de bienveillance. N’est-ce pas ce que j’apporte à mon foyer, en toute modestie.

 

Mardi 9 avril 2019

Il s’est enfin mis à pleuvoir. Un peu. Cen’estpas trop tôt. Depuis plusieurs jours, les nuages n’osent pas déverser leurs multiples gouttelettes. Et, pourtant, les agriculteurs, croyant bien faire, ont déversé, eux, une bonne dose de glyphosate sur leurs parcelles. Ça sent mauvais et ça gâche le goût du printemps. Dommage, car les cerisiers et les pommiers fleurissent tandis que les forsythias demeurent jaunes en attendant que le colza prenne le relais.

 

Pour le moment, je suis à l’abri dans la chambre de mes maîtres et je me rappelle qu’hier soir, à Questions Pour Un Champion, le premier thème du « quatre à la suite » portait sur les peurs et phobies de toutes sortes. C’est ainsi que j’ai découvert que les humains pouvaient avoir peur de… nous ! Mince alors. Je suis une chatte sociable. C’est vous, parfois, qui me feriez peur. Dans l’énoncé du questionnaire, deux grands chefs de guerre étaient mal à l’aise avec les chats : Jules César et Alexandre le Grand. C’est à ne pas croire. Cette phobie porte un nom : l’ailurophobie, littéralement peur des chats en grec. On peut aussi l’appeler félinophobie.

Cette crainte englobe tout ce qui nous touche : nos ronronnements, nos poils, nos griffes, nos yeux, nos croquettes, tout. Ceux qui en souffrent ─ hommes, femmes, enfants ─ sont pris de démangeaisons rien qu’à l’idée de nous voir ou d’entendre parler de nous. Cette peur irraisonnée pourrait s’expliquer par le fait que ces humains ne pourraient pas nous dompter, tant nous sommes indépendants, ou ne se sentiraient pas en sécurité en notre présence. Il n’y a qu’une solution : consulter le docteur pour la tête.

Dieu merci, mes maîtres ne sont pas ailurophobes.

 

Mardi 16 avril 2019

La pluie tant attendue humidifie enfin la terre et végétation ─ soumise au gel ces derniers jours ─ mais, hélas, avec parcimonie. Du coup, comme la semaine dernière, je reste bien sagement dans mon foyer où je peux vous raconter l’événement extraordinaire de la nuit derniè