Le management par l’incompétence - Renée Vergeron - E-Book

Le management par l’incompétence E-Book

Renée Vergeron

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Beschreibung

Aujourd’hui, dans le milieu professionnel, la compétence n’est pas toujours reconnue à sa juste valeur, tandis que l’incompétence semble parfois offrir une forme de gestion des collaborateurs qui sécurise le sommet de la chaîne hiérarchique, en remplaçant le savoir-faire par l’obéissance. Ce livre, axé sur les écoles de commerce françaises, examine ce nouveau paradigme du management. Les lecteurs pourront aisément le mettre en relation avec leur propre contexte professionnel.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Renée Vergeron, enseignante-chercheuse avec une expérience en France et à l’étranger, s’intéresse de manière approfondie au management et au leadership. Cet ouvrage s’appuie sur diverses sources, y compris des travaux académiques, des articles de presse et des rapports institutionnels en tant que références.




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Renée Vergeron

Le management par l’incompétence

Essai

© Lys Bleu Éditions –Renée Vergeron

ISBN :979-10-422-1376-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122 – 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122 – 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335 – 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

 

Dans un article1 intitulé « La valeur de l’incompétence : de la mafia tout court à la mafia universitaire »2, le sociologue Diego Gambetta, de l’université d’Oxford, fait le lien entre le fonctionnement de la mafia et celui du monde universitaire.

Il s’appuie en particulier sur ce qu’il appelle « la valeur de l’incompétence » et je le cite : « Afficher son incompétence est une manière de dire aux gens : “vous pouvez compter sur moi – même si je le voulais, je ne serais pas capable de vous entourlouper”. Il y a donc une régulation productrice de confiance par l’incompétence. »

 

Il analyse ainsi l’univers universitaire :

 

« (Dans le monde académique), les universitaires qui attribuent les postes ne sont pas simplement mauvais : ce sont généralement les pires. Ils forment une kakistocratie : le pouvoir des mauvais. Pourquoi ? Est-ce simplement du fait d’un arbitrage : les meilleurs en recherche n’ont pas le temps de se consacrer aux jeux de pouvoir, et ceux qui se consacrent aux jeux de pouvoir ne peuvent plus faire de recherche ? Il y a de cela, bien évidemment. Mais ce n’est pas la seule explication, ni même l’explication centrale. L’incompétence est un signal envoyé aux collègues : ils voient que sans le système, vous n’avez aucune chance de faire carrière, donc que vous serez loyal. Quand on récompense un bon, il estime que ce n’est qu’une reconnaissance naturelle de ses talents et il n’est pas autant enclin à la loyauté – Machiavel a théorisé cela. Pire est le candidat, plus haut le pouvoir de celui qui a réussi à le faire nommer. L’incompétence est une façon de se lier les mains dans certains domaines, de montrer que l’on devra tout au système, donc de l’assurer de sa loyauté future. Un de ses professeurs avait dit à Diego Gambetta : “quand vous êtes bon dans ce que vous faites, il faut toujours vous excuser”. »

 

Le management par l’incompétence est au cœur du système universitaire, mais on le retrouve de plus en plus dans d’autres organisations, y compris certaines entreprises.

 

Nous avons eu envie d’essayer d’approfondir l’analyse et d’investiguer les tenants et les aboutissants de ce mode de management et ses conséquences en nous appuyant sur un type d’organisation particulier, qui est de nature universitaire sans appartenir à l’université : les « grandes » écoles de commerce françaises. Elles appartiennent au monde universitaire, mais bénéficient d’une autonomie de gestion par leur statut de type associatif ou consulaire, voire même de société à mission ou privée.

L’intérêt porté à ces institutions universitaires est motivé par leur succès grandissant : + 10,2 % d’inscriptions en 2020-20213.

 

Les écoles de commerce françaises

 

Beaucoup d’écoles se prévalent de ce titre d’écoles de commerce, mais le ministère de l’Enseignement supérieur fait en fait la distinction entre 3 groupes d’écoles4 :

 

Les écoles reconnues par l’État et proposant au moins un diplôme visé par le ministère chargé de l’enseignement supérieur (groupe I). C’est le groupe d’écoles le plus important : en 2018-2019, elles forment plus des trois quarts des étudiants (76 %) de cette filière ;

Les écoles reconnues par l’État ne délivrant aucun diplôme visé par celui-ci (groupe II). En 2018-2019, 14 300 étudiants (7,5 %) sont inscrits dans les 53 écoles de ce groupe ;

Les écoles non reconnues par l’État (groupe III). Ces écoles sont, en moyenne, plus petites que celles du groupe II : trois fois plus nombreuses que celles du groupe II (175), elles accueillent deux fois plus d’étudiants que ces dernières (31 300), soit 16,5 %.

 

En 2020-2021, 218 000 étudiants étudiaient dans ces écoles.

 

C’est donc à travers le mode de fonctionnement de certaines de ces écoles de commerce, qui, de plus en plus, se qualifient de « management », et plus particulièrement celles du 1er groupe, que je me propose d’étudier ce management… par l’incompétence… En référence aux travaux de Diego Gambetta51.

Analyse

 

 

 

 

 

1

Quand l’incompétence devient une compétence…

 

 

 

Cet oxymore pose les bases du mode de gestion de certaines organisations, dont certaines écoles de commerce françaises.

Une compétence est définie par le dictionnaire Larousse comme une « capacité reconnue en telle ou telle matière en raison de connaissances possédées et qui donne le droit d’en juger ».

En management, la définition pourrait s’articuler comme suit, « capacités ou aptitudes reconnues pour gérer une organisation et des équipes en raison de connaissances possédées, mais aussi de formes d’intelligence, qui procurent les qualifications nécessaires ».

Pour être un bon manager, les aspects cognitifs sont importants (capacité à résoudre des problèmes complexes, savoir anticiper certaines situations, etc.), mais une autre forme d’intelligence me paraît également cruciale : l’intelligence émotionnelle.

Nous nous appuyons là sur les travaux de Daniel Goleman6 qui définit 4 composantes de l’intelligence émotionnelle :

La prise de conscience de ses propres émotions

La maîtrise des conséquences de ses émotions

L’empathie (la conscience des émotions des autres)

Notre capacité à nous connecter aux autres de façon positive et respectueuse

La 4e composante apparaît comme une synthèse des trois premières et est certainement celle qui est critique sur le plan humain pour gérer les équipes qui composent une organisation.

Cette intelligence émotionnelle est la forme d’intelligence qui semble également faire parfois défaut au niveau des responsables d’équipes au sein des organisations, particulièrement des écoles de commerce françaises.

Quand on regarde le profil des personnes promues à des fonctions managériales dans certaines écoles de commerce, même s’il existe des exceptions, ces personnes sont rarement intellectuellement brillantes et peuvent être dépourvues d’intelligence émotionnelle – d’où l’oxymore de mon en-tête de chapitre, l’incompétence devient une forme de « compétence » pour obtenir des promotions dans des postes à teneur managériale.

 

Pourquoi ce choix de l’incompétence ?

 

Au cœur des écoles de commerce de 1er rang se trouvent les enseignants-chercheurs. Ce sont le plus souvent eux qui trustent les principaux postes managériaux les plus valorisants (direction d’écoles ou de départements, directions académiques, directions de la recherche, etc.).

Les enseignants-chercheurs possèdent désormais un doctorat et ont ainsi suivi toutes les étapes d’un cursus purement universitaire, d’au moins 8 ans d’études.

Ce parcours est long, mais pas très sélectif… En effet, en France, contrairement à d’autres pays, les doctorants ne sont pratiquement jamais recalés lors de la soutenance de leur thèse, au pire leur directeur de thèse retarde leur soutenance, lorsque le contenu de la thèse est de médiocre qualité et lorsqu’il y avait encore des mentions, comme me l’a confirmé une universitaire renommée, la mention « honorable » (au lieu de « très honorable ») était un message pour les avertis, que la thèse était d’un niveau faible…

Avec un peu d’endurance et de persistance, il est donc possible d’obtenir un doctorat…

Dans notre système éducatif, les étudiants les plus brillants attirés par la gestion ne font guère d’études doctorales, mais choisissent, en général, de présenter le concours d’entrée d’une grande école, parmi les mieux classées, en passant par une classe préparatoire. Les étudiants en gestion qui choisissent de faire toutes leurs études à l’université sont souvent d’un niveau moindre que ceux qui ont choisi ce système plus sélectif. Bien sûr, il y a, là aussi, des exceptions, comme ceux qui s’autocensurent pour des raisons financières ou ceux qui, très tôt, ont une vocation pour l’enseignement, voire des étudiants de l’École Normale Supérieure, qui après des études très sélectives souhaitent poursuivre vers un doctorat.

Ensuite, parmi ces enseignants-chercheurs, là encore, les meilleurs, ou les plus organisés préfèrent souvent travailler en recherche, avec des systèmes de primes de publication élevées, qui peuvent leur permettre d’obtenir des revenus plus élevés que certains postes de managers.

Ce sont donc, dans le scénario le plus courant, les enseignants-chercheurs les plus ambitieux, mais aussi les moins à l’aise en recherche, voire ceux qui ont peu d’appétence pour l’enseignement, qui s’orientent vers des fonctions managériales… En résumé, ce sont, trop souvent (mais pas toujours !), ceux qui sont d’un niveau moyen intellectuellement et professionnellement qui font partie des équipes de direction des écoles de commerce.

Ce sont aussi parfois ceux qui possèdent le niveau d’éthique le plus faible, car ils compensent la faiblesse de leur niveau de professionnalisme en rendant « des services » à ceux qui favoriseront leur ascension, voire en se livrant à des comportements de courtisan(e)s, ou pour quelques femmes, à des promotions canapé, pour obtenir le poste convoité. Certains postes semblent aussi obtenus par l’appartenance à des réseaux ou des relations personnelles qui privilégient un « entre-soi » garant de fidélité et d’obéissance, comme le décrit Diego Gambetta, plutôt qu’une recherche de la compétence.

Quand le niveau d’éthique est faible, car le mérite est remplacé par la fidélité et l’obéissance, on comprend que l’intelligence émotionnelle ou relationnelle soit aussi absente puisque l’empathie et le respect de l’autre sont remplacés par des intérêts purement claniques.

Bien entendu, certaines exceptions viennent nuancer ce tableau peu glorieux du niveau de ceux qui accaparent la gestion de ces organisations.

 

 

 

 

 

2

De l’incompétence individuelle à l’incompétence « clanique »

 

 

 

Une fois qu’une personne moyennement compétente s’est hissée au niveau le plus haut d’une organisation, elle va prendre soin de s’entourer de collaborateurs du même niveau d’(in)compétence ou d’un niveau encore moindre afin de ne pas voir son pouvoir remis en question, mais au contraire, de mieux l’asseoir.

Les équipes se forment autour du niveau du « chef » et tous ceux qui apparaissent comme plus compétents sont perçus comme des menaces et rejetés. C’est ainsi que dans les équipes qui gèrent les écoles de commerce les enseignants-chercheurs au profil hybride, ceux qui ont préalablement acquis une expérience de management significative en entreprise avant de se reconvertir dans l’enseignement supérieur, et qui pourraient faire bénéficier leurs organisations de leurs compétences en management, sont le plus souvent exclus des organes de direction et volontairement maintenus dans leur fonction primaire d’enseignants-chercheurs.

Dans un article très médiatisé de septembre 2022, des journalistes de Mediacités7 rapportent cette phrase d’un collaborateur d’Audencia : « C’est un système vicieux et vicié dans lequel une dizaine de personnes, tous des hommes et des enseignants-chercheurs, tiennent tout ».

Pire, la direction de ces écoles est trustée par quelques acteurs qui tournent sur les différentes écoles, sans que l’on ne sache que rarement pourquoi ils ont dû quitter leur école et sur quels résultats et quel mérite, ils sont embauchés dans une autre école… Ce système est appelé « Mercato » par les cabinets de recrutement.

Un cabinet de recrutement a ainsi dressé la liste des mouvements sur plusieurs années8.

On s’aperçoit que des directeurs quittent des écoles de la 1re moitié du classement pour rejoindre la direction d’écoles de la seconde moitié de ce classement – ce qui peut conduire à émettre l’hypothèse d’un départ souhaité par le conseil d’administration de leur école initiale et d’un « retour à l’emploi » dans une école de moindre notoriété, mais officiellement rien ne filtre sur leur compétence, leur niveau d’éthique et leur réussite (ou échec !) sur le mandat qui n’a pas été renouvelé…

Les CVs qui figurent parfois lors des nominations ne font jamais allusion à une quelconque performance ou réussite, et encore moins des échecs, voire des comportements répréhensibles, seuls les postes précédemment occupés et les diplômes obtenus y figurent.

Suite à l’enquête approfondie de Mediacités sur le management d’Audencia en septembre 2022, le management brutal et toxique de son équipe de direction a été mis en lumière (« Audencia : révélations sur un management toxique et sexiste »9) et a obligé le président du conseil d’administration et le directeur général à se justifier au cours d’une assemblée générale en octobre 2022.

Voici un extrait de la déclaration du directeur général d’Audencia : « il y a une absolue nécessité de changer notre modèle managérial qui, sous certains aspects, peut apparaître archaïque » ; « il y a un management qui serait trop vertical, qui serait top-down, déconnecté des managers et des équipes », tel que rapporté dans l’un des articles de Mediacités10.

Ce management vertical qui repose sur un directeur général et une petite équipe qui lui obéit est un modèle récurrent dans les écoles de commerce.

Les conséquences parfois désastreuses d’un tel management vertical et autocratique se retrouvent aussi dans le rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) concernant l’EM Lyon11.

Dans ce rapport, on découvre que l’ancien directeur de l’EM Lyon avait créé sa propre structure de conseil qui a facturé 2 prestations de conseils à l’EM Lyon, pour un montant chacune de 60 000 euros, sauf que les magistrats de la CRC n’ont trouvé « aucun document attestant de la réalité de ces prestations ». Plus grave, ce même directeur avait noué en 2015 un partenariat avec IBM qui a coûté plus de 25 millions d’euros et qui s’est soldé par un échec total (selon les termes mêmes du document de synthèse de la CRC), puisque la nouvelle direction est en train de remettre complètement à plat le système d’information et la transformation digitale de l’école. Les magistrats de la CRC, eux, estiment que cette collaboration avec IBM ne correspondait pas à un partenariat.

« Pour nous, cela aurait dû relever d’un marché́ public, avec une procédure d’appel d’offres. »

Fait rarissime, le président de la CRC a procédé à un signalement au procureur de la République et selon le magazine Mediacités12, « Il appartient désormais au parquet de Lyon de qualifier pénalement les (nombreux) faits dévoilés par la Chambre régionale des comptes », tels que « prise illégale d’intérêts, concussion, corruption, trafic d’influence… ».

 

Ces exemples d’un management dévoyé ne sont possibles qu’en raison de la constitution d’un « clan » qui « soutient » les exactions du dirigeant parce qu’en contrepartie ils obtiennent, eux aussi, une part du gâteau… Là encore, le rapport de la CRC concernant l’EM Lyon met en lumière qu’un membre de la direction de l’école en charge de l’Asie (« Dean EMLyon Asia ») avait un salaire en phase avec le marché (80 000 euros fixes + 30 000 euros de part variable), mais qu’il percevait des commissions sur le chiffre d’affaires du groupe EM Lyon qui portait sa rémunération à 1 million d’euros et plus… Montants de rémunération qui ne correspondent pas au niveau de responsabilité…

 

Si Audencia est apparu sous le feu des projecteurs, c’est uniquement par le déclenchement d’une enquête journalistique poussée et probablement que le rapport de la CRC a pu s’appuyer sur une certaine transparence et volonté de la nouvelle équipe de direction de l’EM Lyon qui souhaitait prendre de la distance avec la gestion de la précédente équipe, mais combien d’autres écoles sont-elles engluées dans un management toxique, voire corrompu, sans que cela ne dépasse les murs de ces écoles ?

 

 

 

 

 

3

L’incompétence comme terreau d’un management toxique

 

 

 

Dans un article du MIT Sloan Management Review (MIT SMR) de septembre 202213 « How to fix a toxic culture », les auteurs définissent une culture de travail toxique selon plusieurs attributs :

 

- Des comportements irrespectueux, voire violents
- Un manque d’inclusivité
- Un niveau d’éthique faible
- Un manque de bienveillance

 

Ces attributs sont à relier au fait que la toxicité dans le management s’installe quand l’humain disparaît.

Les organisations s’inscrivent de plus en plus dans des « processus » qui effacent la réflexion et la part d’humanité dans le management.

Encore une fois, les écoles de commerce sont un bon exemple de cette déshumanisation d’une organisation.

La volonté des écoles d’obtenir des accréditations nationales (par exemple, grade Master) et internationales (AACSB et/ou Equis, etc.) implique la mise en place de processus pour répondre aux exigences normées des institutions qui auditent et attribuent ces accréditations.

Des processus qualité se mettent en place dans l’unique objectif d’obtenir l’accréditation visée tandis que la réflexion d’une qualité au service de l’étudiant s’estompe.

Ainsi dans le rapport d’évaluation du 22/01/2021 du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres)14 sur l’association Léonard de Vinci (école de commerce connue sous l’acronyme EMLV) pour le maintien du grade Master reconnu par l’état, les évaluateurs pointent « Une politique qualité essentiellement centrée sur les accréditations et non sur le fonctionnement de la structure porteuse. »

Ces processus qualité se complexifient au fur et à mesure que les accréditations se multiplient et les écoles sont de plus en plus gérées par des « modes d’emploi » mis à la disposition des personnels.

Dans ce contexte le choix d’un management intermédiaire choisi pour faire respecter ces processus plutôt que d’opérer un management plus individualisé et bienveillant se comprend.

Le choix de personnes faiblement compétentes est aussi compréhensible, puisqu’il s’agit de mettre en place des « managers » qui n’auront pour rôle que de veiller au respect de ces procédures et surtout pas des personnes qui auraient envie de les remettre en cause, de les individualiser, etc.

Par exemple, dans de plus en plus d’écoles, l’évaluation des enseignants se base majoritairement sur l’évaluation (anonyme !) des étudiants avec tous les biais que cela comporte…

Lorsque ces évaluations avaient lieu en classe en format papier, les évaluations étaient au moins représentatives de l’ensemble du groupe, mais avec la digitalisation, de nombreux étudiants n’ont plus envie de passer du temps à les remplir.

Que penser d’une évaluation basée sur 5 ou 6 étudiants, sur un groupe classe de 30 étudiants, dont la moitié a trouvé le cours « super », tandis que l’autre l’a trouvé « nul » ???

Sans compter les considérations logistiques, bien éloignées de la responsabilité du professeur (« le cours commence à 12 h et je n’ai pas le temps de déjeuner »).

Pourtant, ces évaluations génèrent parfois directement des points qui conditionnent, sans intervention managériale, l’octroi ou non d’une augmentation de salaire…

La qualité pédagogique du professeur est ainsi gérée par un processus non fiable et biaisé, mais qui permet, l’automatisation d’un point clef du management : l’évaluation du travail et d’une certaine performance (ici la qualité du travail pédagogique).

L’automatisation du management est déjà en place, mais avec des « managers » encore humains…

La toxicité du management, c’est aussi cela, la déshumanisation de la relation hiérarchique dans son volet relationnel et évaluatif.

Dans un cadre si borné, au sein duquel les « managers » ont été choisis pour leur incompétence à réfléchir et à remettre le système en cause, ces derniers peuvent se retrouver face à des équipes composées de personnes intellectuellement plus compétentes qu’eux et s’adonner à des comportements autoritaires et humiliants pour « marquer » leur position hiérarchique. La violence psychologique trouve souvent sa source dans le décalage d’intelligence et de compétence entre ceux qui sont censés « managés » et ceux qui refusent, même passivement, une autorité hiérarchique qui ne leur semble pas légitime.

Une illustration à la fois de ce management déshumanisé et toxique nous a été fournie par un représentant du personnel d’une école bien classée, qui est pourvue d’un guide de la faculté assez dense pour « automatiser » la gestion des enseignants-chercheurs. En particulier, ce guide présente une procédure détaillée et assez complexe pour choisir l’enseignant-chercheur qui sera responsable d’un département académique (c’est-à-dire responsable de l’ensemble des enseignants d’une discipline comme la finance, le marketing, etc.). Cette procédure définit la mise en place d’une commission composée du directeur académique et de ses adjoints ainsi que d’un représentant enseignant-chercheur du département concerné. Les candidats doivent venir présenter leur motivation et leur projet devant la commission qui met ensuite au vote le choix du futur responsable.

A priori, la procédure paraît « démocratique »… A priori seulement, car lors de la constitution d’une commission pour le choix d’un candidat, le nouveau directeur académique avait choisi lui-même le représentant enseignant-chercheur et celui-ci n’avait pas été choisi par l’ensemble des enseignants-chercheurs pour les représenter. Les représentants du personnel avaient fait casser la procédure. Un nouveau représentant avait été choisi par un vote de l’ensemble des enseignants-chercheurs. Une nouvelle commission constituée allait permettre un nouveau vote. La majorité se dégageant pour une candidate qui ne correspondait pas au choix du directeur académique, il avait demandé à ce que les candidats viennent à nouveau présenter leur projet – ce qui lui permettait de gagner 48 h pour influencer le vote de certains membres, qui effectivement changèrent leurs intentions de vote dans ces 48 h… Le directeur académique appela au téléphone la candidate qu’il avait fait écarter pour lui dire qu’il ne l’aurait jamais laissée être élue, car elle l’avait blessé, dans une réunion, en indiquant qu’elle attendait de juger sur les actes le projet de ce nouveau directeur académique après qu’il eut présenté un Powerpoint très théorique de révision de la gestion de la faculté.

Le plus cocasse, nous a indiqué ce représentant du personnel, fut sa clairvoyance, car 3 ans plus tard, ce directeur académique n’avait effectivement rien apporté de majeur dans la gestion des enseignants-chercheurs… En écartant une candidate qui était soutenue par une majorité de ses collègues, et en lui préférant une candidate beaucoup moins expérimentée, le directeur académique avait juste envoyé un signal sur son propre niveau de compétences…

En manipulant la procédure pour servir son propre choix, il a aussi décrédibilisé une procédure qui était censée permettre à la faculté d’élire l’un de leurs pairs, selon une tradition universitaire, qu’il a mise à mal. Sa position hiérarchique lui permettait de nommer directement un collaborateur de son choix –, ce faux semblant de respect d’une procédure longue et coûteuse a juste révélé une posture et une hypocrisie managériale dont personne ne fut dupe.

Dans l’article précité du MIT SMR, les auteurs écrivent : « Les dirigeants ne peuvent pas améliorer la culture d’entreprise s’ils ne sont pas prêts à se tenir eux-mêmes et à tenir leurs collègues responsables des comportements toxiques ».

Là est bien le fond du problème : des dirigeants qui favorisent, voire, qui sont l’instigateur de la toxicité du management de leur école, car ils s’appuient sur l’incompétence de leurs managers pour imposer des règles et des processus de fonctionnement, dont ils ne supportent pas la critique ou la remise en cause.

Dans la série d’articles de Mediacités en 2022 sur le management toxique d’Audencia, l’un de leurs répondants dit : « Comment celui qui est au centre du problème pourrait-il le résoudre ? »