Le marronnier - Bernard Tournois - E-Book

Le marronnier E-Book

Bernard Tournois

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Beschreibung

Mylène, en retournant dans le village de son enfance, ne pouvait s'imaginer ce qui allait lui arriver !

1970. Après huit années d’absence, Mylène revient dans sa ville après avoir découvert un bout de papier brûlé dans la cheminée : son père qu’elle croyait disparu serait enterré sous Le marronnier du jardin. Elle rencontre Marc, un ami d’enfance et une idylle se noue, mais des événements tragiques vont déchirer les jeunes gens. Après des tergiversations, elle se résout à en informer la police. On creuse et on découvre le corps. Mais cette découverte est liée à des événements survenus sous la barbarie allemande durant l’occupation, d’un crime commis dans les Aurès en Algérie et d’un drame survenu dans une maternité. A la recherche du meurtrier, le commissaire Vaglio va suspecter trois personnes dont un est pourtant insoupçonnable. Des événements qui se confondent, se mêlent et rendent cette histoire haletante pleine de surprises et de suspense. Une histoire qui nous entraîne dans un face à face entre passé et présent, ombres et lumière. Au fil de l’enquête et des découvertes, les pièces s’assemblent et les rouages d’une sombre machination se mettent en place.

Plongez dans ce polar haletant, entre présent et passé, à la recherche de secrets enfouis depuis bien longtemps.

EXTRAIT

Le portail était grand ouvert. La Renault 16 s’engagea dans l’allée et s’immobilisa devant l’entrée. Le commissaire Vaglio avait téléphoné dans la matinée, le chef d’entreprise serait là avant de se rendre à son bureau. Il sonna. Un court moment plus tard, madame Grandin ouvrit la porte, il se présenta et elle l’invita à rentrer. Il fut soufflé par le luxe de la maison, un vaste salon aux confortables fauteuils de cuir, un large bar en chêne massif comme dans les films hollywoodiens. Sur une table basse, une magnifique céramique, certainement un vase de Sèvres. Un bouquet d’anémones dans un vase. Aux murs étaient accrochés des tableaux qui lui semblaient de valeur. Madame lui proposa un café en attendant le maître des lieux mais il la remercia. Elle se retira. En attendant, il regarda les tableaux, une esquisse au fusain signé Grandin, il dessinait pas mal, pensa-t-il. Une peinture à l’huile attira son attention, il aimait les toiles sans être vraiment connaisseur. C’était un paysage avec en arrière-plan un château dominant le méandre d’une petite rivière aux tons turquoise dans lesquels se reflétaient des couleurs automnales. Ce tableau dégageait une impression de paix et de tranquillité. Il entendit un bruit feutré, il se retourna, Arnaud Grandin se tenait devant lui. Le commissaire, habitué à juger les hommes en un instant, pensa que ses employés devaient filer doux avec lui et qu’il ne devait pas aimer la contradiction.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Tournois en 1970 commence l’écriture d’un roman qui reste inachevé : Le marronnier. En 2016, il retrouve au fond d’une armoire le manuscrit en partie écrit et dactylographié. Il ne comporte que le premier chapitre, l’idée générale de l’histoire et le nom des personnages. Bernard Tournois relit ces pages et se pique au jeu. Il reprend totalement l’écriture qu’il achève en 2017. Bernard Tournois vit en banlieue toulousaine. Il a réalisé de nombreux courts métrages dont certains ont été récompensés dans les concours et festivals. Passionné d’écriture, il a écrit tous les scénarios de ses films. Le marronnier est son premier roman.

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Le marronnier

 

 

 

Bernard Tournois

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le marronnier

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions–Bernard Tournois

ISBN : 978-2-37877-312-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Nathalie, à Céline.

 

 

 

 

Prologue

 

 

Noémie était là depuis la veille. À son arrivée, elle avait trouvé la maison dans un état déplorable. La poussière s’était déposée partout durant ces huit dernières années. Chaque meuble en était couvert, jusque dans les moindres rainures. Sous cette couche épaisse le patiné des meubles avait disparu, il faudrait encore la journée de demain pour effacer la moindre trace de ce dépôt grisâtre à l’odeur de renfermé. Les araignées avaient tissé leurs toiles, étroitement enchevêtrées dans les moindres endroits cachés, les obscurs coins de murs, entre les barreaux de chaise et les branches de lustres. Les poutres de chêne du plafond parcourues de longues veines disparaissaient aussi par endroits sous les voiles légers qui frémissaient dans le courant d’air. Heureusement les fauteuils, la literie étaient restés protégés par des housses et des bâches. Les fenêtres étaient ouvertes, l’odeur qui avait imprégné les murs et les tapis commençait à se diluer dans l’espace.

Le grand lavage du carrelage était terminé, il restait les rideaux aux motifs floraux à laver, la cuisine et ses éléments en chêne à nettoyer à fond, préparer les deux chambres, encore plein d’autres tâches harassantes. Elle en avait bien encore pour deux jours pour rendre la maison de nouveau agréable et lui rendre son lustre passé.

Tiens, la cheminée n’avait pas été encore nettoyée, autant le faire de suite. Lors de leur départ, le nettoyage avait été sommaire, le plus gros des cendres grises seulement avait été enlevé. Elle prit les lourds chenets en fer forgé et les déposa sur le sol. Aidée de son petit balai et de sa pelle elle enleva l’épaisseur de suie qui couvrait le fond de l’âtre et la plaque de fonte révéla une scène d’auberge où des personnages trinquaient joyeusement un pichet à la main. Elle rendit la couleur orangée aux pierres réfractaires. Après un examen attentif elle se releva satisfaite. Toutefois, dans un coin, quelque chose de blanchâtre attira son attention. Elle tendit la main, c’était un bout de papier brûlé où l’on devinait une suite de mots. Elle allait le chiffonner pour le jeter quand un mot attira son attention.

«  Marronnier  »

Un mot banal bien sûr, mais qui sonnait bien pour elle et qui évoquait l’automne et les multitudes de tons ocres, sa saison préférée. Émilie était de nature curieuse, alors pourquoi ne pas en lire l’intégralité ? Le papier était un peu jauni mais lisible, c’était une écriture allongée, un peu nerveuse. Elle s’approcha de la lueur de la porte-fenêtre qui donnait sur le jardin, les yeux plongés sur le bout de papier, elle lut à voix basse. Elle sentit un frisson parcourir son corps et cherchant à l’assimiler, elle le relut plusieurs fois. Elle s’assit à la table agitant sa tête sans comprendre, le papier au bout des doigts.

La ligne de téléphone était rétablie. Alors elle composa un numéro.

 

 

Revenant de son travail elle entra dans son appartement de Bond Street, juste le temps de poser son sac sur un fauteuil et le combiné noir fit entendre sa sonnerie stridente. Elle décrocha.

— Oh Hello, c’est toi Noémie. Bien arrivée ? Comment as-tu trouvé la maison ? … C’était sale ? Ça, je m’en doute… Demain tu fais les vitres, oui bien sûr elles sont sales aussi… Mais pourquoi tu m’appelles ? … Trouvé quoi dans la cheminée ? … Un bout de papier… Avec quoi d’écrit ? … Mais qu’est-ce que ça signifie ?

Tu es sûre ?

Sa physionomie changea, ses traits se figèrent.

— Oh non, ce serait horrible, tu as prévenu quelqu’un ? … Après toutes ces années… ce serait une catastrophe… … Oui, je serai là dans trois jours… Je t’embrasse…

 

Elle raccrocha. Elle sentit ses yeux larmoyants, taraudée par de mauvais souvenirs.

 

 

 

 

Chapitre 1

 

 

Le car roulait en direction de Blainville sous un soleil qui en cette fin d’avril 1970 se montrait inhabituellement chaud. L’hiver avait été froid et on avait redouté que le thermomètre maintienne sa température fraîche au cours de ce début de printemps. Mais les prévisions météorologiques avaient été déjouées ainsi que tous les bons vieux dictons traditionnels. En avril, ne te découvre pas d’un fil… Depuis quelques jours les fleurs montraient le bout de leur nez. Les arbres se recouvraient peu à peu de leur habit vert, les oiseaux retrouvant à nouveau refuge, un havre de paix. Au milieu des gazouillis, à l’orée des bois, des tapis de jonquilles couvraient le sol et faisaient çà et là de belles auréoles d’or. Toute la nature renaissait. Les jours s’allongeaient et déjà ce printemps précoce attirait d’innombrables voitures sur la route nationale en ce début de week-end. Dans ce mélange d’odeurs et de couleurs retrouvées, dans le vacarme de la circulation, une estafette de gendarmerie, à la sirène aiguë, se faufilait pour aller porter secours, probablement, à des accidentés de la route.

Tout cela, Mylène l’avait embrassé d’un seul regard. En ce moment, elle sentait une joie et une émotion qui la soulevaient tout entières. Dès que le car avait dépassé Fonvieille, elle avait reconnu ce paysage si cher à son cœur qui l’avait poursuivi durant ces huit longues années. De la route elle avait reconnu le vieux bois de la Rosière, où elle jouait enfant avec les gosses de son âge. Le moindre virage, la moindre bosse, les petites maisons aux façades blanches et aux toits de tuiles rouges apportaient une petite touche espagnole. Le débit paisible du petit cours d’eau bordé de joncs que l’autobus longeait lui rappelait de merveilleux souvenirs. Avec en prime ce beau soleil qui éclaboussait le paysage, la renvoyait au mois d’août lorsqu’elle partait en vacances. Elle retrouvait les képis des agents de la circulation qui contrastaient avec les casques des bobbies londoniens qu’elle voyait habituellement. Présents aux carrefours, symboles de l’ordre, mais sans empathie particulière de la part des paisibles citoyens, pensa-t-elle en souriant.

Le car quitta la route nationale et prit sur sa gauche une route secondaire, sinueuse, serpentant paresseusement entre les bosquets et les champs bordés de haies. On commençait à apercevoir derrière les hautes futaies, une ville moyenne au fond d’un vallon naturel où coule la Gimone. Sur cette portion de route où les maisons maintenant se pressaient, Mylène sentit grandir son émotion et quand le car entra dans Blainville, son cœur battit plus fort dès les premières rues. De la fenêtre elle crut reconnaître Louis le cordonnier devant son échoppe, puis ce fut l’étroite rue des Carmes. L’autobus croisa un groupe de jeunes de son âge, cependant avec la vitesse, leurs visages fusèrent et ne lui rappelèrent rien. Mais elle reconnut parfaitement sa chère ville. Le clocher de l’église Saint Jean qui se dressait au-dessus des toits, les maisons à l’aspect toujours aussi vieillot et pittoresque, mais tellement accueillant.

Elle reconnut aussi la mercerie de madame Perrot, l’auberge du Bon Accueil, l’hôtel des Régents, la place de la République avec en son centre la petite fontaine à colonnes de marbre surmontées de grenouilles vomissant l’eau. Elle redécouvrait son Blainville au fil des rues. Non, rien n’avait changé à part quelques immeubles ou magasins modernes qui contrastaient avec les vieux quartiers de la ville. Mais malgré ces innovations plantées çà et là, Blainville avait gardé son cachet de ville touristique, comme si elle avait refusé le modernisme du XXème siècle. Le car entra sur la Grand-Place dominée par la cathédrale Sainte Geneviève et ses deux tours clochers. L’édifice religieux du XIIIème siècle était épaulé de part et d’autre de l’Hôtel de Ville et de l’ancien évêché converti depuis quelques années en musée. Voilà, elle était chez elle. Du regard, elle fit le tour de la place. Là, certaines choses avaient changé, de vieux magasins avaient une devanture plus moderne. Le vieux café des Arcades était toujours là. Les couverts anciens qui tournaient autour de la place offraient l’image carte postale de la ville.

Une dizaine de personnes sortirent de l’autobus qui repartit aussitôt. Alors tout d’un coup Mylène Dugey se sentit perdue dans cette ville qu’elle connaissait pourtant si bien. Elle se sentit affreusement seule au milieu de cette place qui pourtant à cette heure-là était pleine de vie. Et sa joie qui était si grande s’estompa subitement et une lueur d’inquiétude brilla dans ses yeux.

 

 

Le café des Arcades n’était pas encore bondé bien que les onze heures aient sonné au clocher de la cathédrale. Aussi fallait-il encore attendre un peu afin que la terrasse se remplisse en ce samedi matin. Cela Max le savait. Depuis toujours c’était ainsi et cela le serait tant que Blainville resterait une ville touristique. Les clients arrivaient toujours entre onze heures et douze heures trente. Et en ce tout début de période estivale, les touristes se mêlaient déjà aux gens du pays, jeunes et vieux. Il y aurait beaucoup de monde, aussi il attendait de pied ferme le grand rush. Il ne se préoccupait pas du fait qu’il serait seul à servir, c’était ainsi depuis des années depuis le départ de son père, mais secondé par Rosine sa mère qui s’occupait de la caisse. Il lui aurait fallu certainement une femme pour l’aider dans le service de cette affaire des plus florissantes. Grâce à son dynamisme et à son esprit jeune, il savait s’accommoder de tout le monde, il le fallait bien avec les clients. D’une franche jovialité, il avait su s’attirer la sympathie de tous les gens du pays. Copain de tous, ami de quelques-uns, confident de certains. Ainsi de ses qualités réunies et de son sens inné du commerce, son bar était de loin le plus fréquenté de la ville. Âgé de tout juste quarante ans, petit, trapu, rouquin, avec toujours un grand et franc sourire, Max attirait incontestablement la sympathie. Et ce qu’il adorait le plus c’était la jeunesse. Tous les jeunes le lui rendaient bien, et c’est pourquoi filles et garçons avaient pour point de ralliement les Arcades.

Max venait de servir trois clients sur la terrasse, quand une 2 CV décapotée et quelque peu déglinguée déboucha sur la place et freina dans un crissement de pneus. Son visage se fendit d’un large sourire. Quatre jeunes garçons en descendirent. Habillés de jean velours et pulls ras du cou, cheveux mi-longs couvrant partiellement le col de chemise. Marc, Tony, Jean-Jacques et Pierre se retrouvaient bien souvent chez Max. Mais ces quatre lurons n’étaient pas les seuls à fréquenter le bar des Arcades, bien souvent la bande atteignait la quinzaine particulièrement le samedi et dimanche matin. Max aimait bien tout ce petit monde particulièrement Marc et ses trois camarades. C’était quatre inséparables et quand ils étaient là, c’était la joie et la bonne humeur assurées. Marc était considéré un peu comme le chef de bande. Grand, sportif, plutôt beau gosse, issu d’une famille aisée, il avait été le premier à posséder une voiture dans la bande. C’était le fils d’Arnaud Grandin, qui possédait la plus grande fabrique de meubles de la région. Les copains pouvaient compter sur lui en toutes occasions. Marc et ses amis étaient des pacifiques dans l’âme.

Max accueillit les jeunes gens de sa manière habituelle.

— Salut Max, dit l’un d’eux en souriant. Ce sera comme d’habitude.

Et ils gagnèrent leur place habituelle tout au fond du bar, près du baby-foot et du flipper, sauf Marc qui resta non loin du comptoir.

De la large baie qui donnait sur la place, Marc venait de voir arriver le car de onze heures. De l’autobus descendirent des gens qu’il connaissait pour la plupart. Ceux qui venaient de Chaumont ou de Montaubert pour venir faire de gros achats à Blainville, il y avait aussi quelques touristes. C’était toujours avec un plaisir sans cesse renouvelé qu’il voyait arriver ceux qui venaient à l’assaut de sa ville, armés d’appareils photo et habillés de la façon la plus décontractée. Ils jetaient toujours des regards curieux sur les monuments qui entouraient la place, puis peu à peu se dispersaient pour aller à la conquête de la ville. Ou bien se dirigeaient chez Max pour se désaltérer.

L’autobus venait de partir et la place s’était vidée. Alors Marc reporta son attention sur une jeune fille seule sur la place noyée de soleil. Elle paraissait avoir dans les vingt-deux, vingt-trois ans. N’étant éloigné d’elle que d’une trentaine de mètres, Marc put apprécier sa silhouette. D’une taille légèrement au-dessus de la moyenne, elle portait une jupe plissée couleur fauve, un chemisier bleu à col ouvert et une veste trois quarts, légère. Un sac à main au bras et une petite valise. Ses cheveux longs et ondoyants étaient d’un joli châtain clair et entouraient un visage qu’il trouva charmant. Elle n’était pas excessivement belle mais il la trouvait tout simplement fort jolie. Il en connaissait des filles, mais sans pouvoir l’expliquer il se sentit attiré par celle-ci. À cet instant il voulut tout savoir d’elle. Il la voyait marcher maintenant de profil et il pouvait apprécier sa démarche gracieuse et naturelle. Elle ne semblait pas être du pays il en était sûr, il connaissait presque tout le monde. Cependant elle ne semblait pas être une touriste. Elle se dirigea vers le café des Arcades, puis s’arrêta un court instant, parut hésiter et finalement se dirigea résolument vers la rue des Astres.

Au moment où l’inconnue eut disparu dans la rue, il décida qu’il allait la suivre, savoir où elle allait, où elle logeait.

Il se tourna vers ses camarades.

— Bon, il se fait tard, je rentre. À cet après-midi.

— Comment ? Déjà ? D’habitude, il faut te traîner pour que tu partes ! dit Jean-Jacques.

— Pas le temps je me souviens à l’instant que j’ai pas mal de choses à faire à la maison. Je rentre à pied. Tony, tu ramènes la Deuch chez moi ? OK ?

Et devant les autres médusés, Marc sortit du bar d’un pas tranquille et traversa la place.

Alors Tony s’écria.

— Mais qu’est-ce qu’il lui arrive ?

Max aussi avait vu la jeune fille au milieu de la place, il s’était arrêté un instant, une main sur la tireuse à bière. Qui était-elle ? Puis il sourit en jetant un regard vers la table du fond, amusé par le débat ouvert par les jeunes gens.

— Mais reprit Pierre, ce n’est pas dans son habitude de partir comme ça.

— On aurait dit qu’il avait le feu aux fesses, comme s’il avait vu une apparition ! enchaîna Jean-Jacques.

— C’est vrai, il était depuis quelques instants près de la vitre. Il a fui après avoir peut-être vu Denise sa voisine grassouillette ! dit Pierre en rigolant.

Et Tony en riant à son tour.

— Il en a une trouille bleue depuis qu’elle lui a fait des avances, avec ses lunettes rondes à montures d’écailles !

Ainsi, la discussion allait bon train. Ils cherchaient tous trois le moyen dont avait usé Marc pour se cacher aux yeux de sa ravissante voisine, et ils y mettaient tout leur cœur à imaginer les circonstances les plus cocasses. Ils riaient aux éclats et ne pensaient plus à la sortie inhabituelle de Marc tous à leurs joyeuses hypothèses. Au fond de la salle, quelques clients ne partageaient pas l’euphorie des jeunes gens. Max, à son comptoir, riait sans retenue aux allusions paillardes des trois autres.

— Et si ce n’était pas Denise ? reprit Tony, soudain sérieux.

— S’il avait vu une super nana ?

— Une très jolie fille qui est descendue de l’autobus, ajouta Max mystérieux en s’approchant de leur table avec les consommations.

Ils le regardèrent, étonnés.

Il posa le tout sur la table.

— Bon je vous laisse maintenant, j’ai du travail.

Il fallait servir les nombreux clients qui maintenant occupaient les tables de l’intérieur et de la terrasse. Et tout en servant ses premiers clients, il pouvait voir Tony et ses deux amis se plaisant à rêver de la jeune fille de l’autobus. Et en y repensant lui-même, il était bien sûr de l’avoir déjà vue peut-être plus jeune. Son visage ne lui semblait pas inconnu.

Et si c’était elle la fille de … ?

Il jeta un regard vers sa mère à la caisse, elle ne s’était aperçue de rien.

Puis chassant ses pensées de son esprit, il se mit résolument au travail.

Tony se leva, mit une pièce dans le juke-box et sélectionna le groupe révélation de l’année précédente, I’m a man de Chicago Transit Autority. La chanson s’ajouta à l’ambiance de la salle, et portés par le rythme certains se mirent à taper du pied.

 

 

Dans la rue des Astres, Mylène sentit grandir son inquiétude. Sa première idée avait été de se désaltérer au café des Arcades, elle y aurait retrouvé Max. Si elle ne fréquentait pas les bars autrefois, elle se souvenait très bien de lui. Elle aurait retrouvé peut-être quelques amis d’enfance qu’elle aurait peut-être reconnus. Huit années avaient passé et durant tout ce temps elle avait changé, elle était devenue femme, il aurait fallu qu’elle se présente et elle n’était pas prête pour cela. Certains lui auraient parlé de la raison de son départ précipité et les souvenirs déchirants auraient rejailli. Elle décida finalement de refaire la découverte des rues et des monuments de Blainville. Elle avait bien le temps de rentrer à la vieille maison familiale. Là, les mauvais souvenirs se feraient plus vifs, plus vivants. Émilie ne s’inquiéterait pas, les principaux bagages étaient arrivés, elle ne l’attendait que dans l’après-midi.

Mylène se sentit transportée quelques années en arrière, ces années d’adolescence où avec ses copines elle flânait le long de ces rues, insouciante, faisant du lèche-vitrine, rêvant déjà devant des robes ou des chaussures de prix. Le nom des commerces lui revenait progressivement en mémoire avec ces enseignes de métal en forme d’écusson ou de silhouette humaine accrochées aux poutres de chêne qui ornaient les façades. Cette rue des Astres était toujours la plus commerçante. Boutiques, magasins souvenirs parfaitement insérés dans ces maisons à colombages, certaines classées aux monuments historiques. Là c’était l’ancien hôtel d’un riche négociant du XVIème siècle qui avait fait fortune dans le pastel, reconnaissable à la petite tour de briques rose trouée de fenêtres à linteaux. Plus loin un bel édifice flanqué d’une échauguette d’un ancien haut magistrat de la ville que l’on pouvait aujourd’hui visiter. Les commerces se suivaient les uns aux autres dans un mélange réussi de passé et de modernité. La rue s’incurvait légèrement et maintenant s’ouvrait devant elle une placette plantée de quatre arbres entre lesquels se trouvait un banc de pierre. Elle ne se souvenait plus de cet espace coincé entre ces hauts murs. La petite place était maintenant arborée, une rénovation récente certainement, mais réussie. Un récent feuillage couvrait les arbres encore frêles et fragiles, soulevé par un vent léger. Et en un seul instant à la vue de ces arbres, elle sentit sur ses épaules peser son lourd fardeau et elle ralentit immédiatement le pas. Comme un carrousel les feuilles se mirent à tourbillonner, une onde de chaleur la parcourut mêlée à une implacable réalité. Dans sa tête une dépression s’annonçait. Elle était maintenant les pieds scotchés aux pavés gris, avec dans les yeux la ronde verte des feuillages qui comme un manège tournait à une vitesse folle. Ses yeux hallucinés fixaient les ondes vertes. Un cri étouffé, sortit de sa gorge, une main portée à son visage, elle tituba, son sac et sa valise tombèrent à terre. Ses jambes devinrent molles attirées par le sol comme sur un sable mouvant.

 

Marc suivait la jeune fille d’une vingtaine de mètres. Puis il la vit ralentir le pas à l’approche de la petite place. Elle se trouvait maintenant toute proche de lui. Alors qu’il voyait sa démarche incertaine, elle s’arrêta et la vit tituber. Il était là pour la recueillir dans ses bras. Il maintint son frêle corps, ses mains sous les bras et la déposa sur le banc tout proche. Marc la maintenait assise sur le banc sans dossier, un peu gauche, il ne savait que faire et quelle attitude adopter. La jeune fille était comme dans un délire, les yeux grands ouverts. De sa bouche sortaient des mots inintelligibles.

— … ma.. onnié... Pa… Pa…

Marc ne comprenait pas, et devant ces mots balbutiés commençait à s’alarmer, dépourvu d’initiative. Un couple s’était approché, attiré par la position de la jeune fille. Marc sentit revenir la confiance alors que la jeune fille reprenait lentement ses esprits.

— Ça va mieux, comment vous sentez vous ?

— Oui… ça va.

— Une pharmacie est toute proche, vous voulez quelque chose ? Vous êtes toute pâle, dit l’une des deux personnes.

— Non merci, ça va aller.

— Vraiment ?

— Merci beaucoup ça va aller, redit-elle.

— Je vais rester un moment, dit Marc qui ne voulait pas l’abandonner. Les deux personnes s’en allèrent.

Mylène sortait lentement de sa vision cauchemardesque, et pour la première fois observa le jeune homme dont le visage lui rappela vaguement quelqu’un. Elle tenta un timide sourire.

— Merci de m’avoir aidée, sans vous je crois que je serai tombée.

Il lui sourit.

— Maintenant que vous vous sentez mieux, je connais quelqu’un, c’est en face. Il vous donnera un remontant.

Elle ne se sentait pas encore suffisamment gaillarde pour poursuivre son chemin, mais déclina.

— Non, je vais continuer.

— Allons soyez raisonnable, vous êtes si pâle. C’est Augustin, un vieil ami, vous verrez, il est très affable et toujours prêt à rendre service.

Marc s’accrochait fermement à cette proposition, c’était l’occasion de prolonger cette rencontre et de faire plus ample connaissance.

Une dernière hésitation et elle acquiesça.

— D’accord, j’espère ne pas déranger.

— Pas de soucis avec Augustin.

Mylène se leva, son sac de nouveau dans ses mains. Marc prit son bras pour la soutenir et de l’autre la petite valise. Le pas de la jeune fille était incertain.

Elle sentait ses jambes un peu plus solides et elle voulut dégager son bras, mais Marc le maintenait fermement alors qu’ils étaient devant la porte.

Marc entra sans frapper et ils se retrouvèrent dans un vestibule sombre et vieillot. Marc connaissait bien la maison et ils se dirigèrent vers la deuxième porte à droite qui était entr’ouverte. C’était une pièce assez grande et sombre avec de beaux meubles anciens, mi-salon, mi-salle à manger. Ils se retrouvèrent au milieu de la pièce, un peu désorientés dans la faible lueur de l’unique fenêtre. C’est alors que Mylène vit un vieil homme paisiblement assis dans un profond fauteuil près d’un secrétaire.

Le père Augustin devait avoir dans les 80 ans. Il était coiffé d’un béret dont il ne devait jamais se séparer. Un veston sans manche à l’ancienne sur une chemise grise rayée. Il se dégageait de son visage à la courte barbe blanche, une extraordinaire personnalité. Ses yeux bleus vifs brillaient comme mille feux derrière ses lunettes rondes. Il semblait en parfaite harmonie avec les meubles et les tapis usagés du sol. Une haute bibliothèque centrée sur le mur lui faisait face. Les livres aux différents formats s’entassaient sur les étagères, littérature, sciences, histoire, semblant représenter le monde de connaissances du vieil homme.

— Je savais que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas toujours polis, mais de là à rentrer sans frapper ! dit Augustin Rivot d’une voix claire mais d’où ne perçait aucun mécontentement.

— Excusez-moi Augustin, mais cette jeune fille s’est sentie mal et nous sommes rentrés. Vous aurez bien un petit remontant ?

— Je vous dérange, je vais partir dit Mylène en quittant le bras de Marc.

— Alors, tu as bien fait d’amener cette petite, dit Augustin en ignorant la réaction de la jeune fille. Fais un peu de lumière, et asseyez-vous tous les deux.

La pièce s’éclaira par le grand lustre à cinq branches suspendu au-dessus de la table. Augustin se leva d’un bond encore alerte, ouvrit les portes d’un buffet. Il en sortit une bouteille et trois petits verres.

Il s’adressa à la jeune fille.

— Un bon vin de pêche après une émotion, rien de tel pour vous requinquer. C’est très peu alcoolisé vous verrez, mais si vous souhaitez autre chose.

— Non, c’est très bien et très gentil à vous.

— C’est avec plaisir. Vous avez eu peut-être un coup de chaleur. Je reste tranquillement chez moi, mais je sais que le soleil tape dur ce matin, dit Augustin.

Mylène resta silencieuse.

Augustin sentait que la jeune fille ne souhaitait pas parler de l’incident, quant à Marc il l’observait, goûtant cet instant tout à la joie de la voir reprendre des couleurs. Augustin qui observait les jeunes gens comprit les pensées qui animaient Marc. Mais cet instant se prolongeait, aussi il rompit le silence s’adressant à Marc.

— Comment vont tes parents ?

— Mais très bien. Papa toujours absorbé par l’entreprise.

— Comment vous sentez vous ? Ça va mieux ? dit Augustin.

— Oui, vraiment beaucoup mieux, dit la jeune fille après quelques gorgées.

Les deux autres la regardaient. Elle sentait qu’il fallait donner quand même une explication.

— Je me suis sentie soudain très lasse, je ne sais pas pourquoi, mentit-elle.

— Vous êtes peut-être en vacances à Blainville ? dit Augustin.

Elle hésita, mais à quoi bon taire son identité.

— Euh, non… je suis originaire d’ici. Je suis de retour après quelques années. Je m’appelle Mylène Dugey.

Comme un flash, Marc se souvint d’une petite fille, puis d’une adolescente à la queue de cheval qui se mêlait aux bandes de la ville, aux jeux dans les rues et de cabanes dans les bois. Puis quelques images fugitives d’elle peuvent être de 5ème ou de 3ème.

— Ça alors ! Mylène ? Oui je me souviens de toi, on était en classe ensemble.

— Et toi alors ? Ton visage ne m’est pas inconnu.

— Marc Grandin.

— Oui, dit-elle en souriant, bien sûr, la détresse un instant oubliée. Et qu’est-ce que tu fais ?

— Je suis en fac, je termine cette année. Et toi ?

— Je viens d’Angleterre. J’étais tout d’abord au pair, maintenant je suis secrétaire bilingue à Londres. De retour pour quelques semaines ou plus… je… je ne sais pas encore.

— Tu es donc la fille de Cyrille Dugey, hélas disparu, dit le père Augustin employant lui aussi le tutoiement.

— Vous le connaissiez ? appréhendant un voile dans les yeux qu’elle sentait venir.

— Et comment ! Je me souviens de lui quand il était tout enfant. À mon âge j’ai vu défiler plusieurs générations, et le Bon Dieu m’a laissé toute ma tête !

Mylène qui se sentait bien maintenant souhaitait s’en aller.

— Je vais rentrer maintenant en vous remerciant de votre chaleureux accueil.

— C’était avec plaisir, tu reviens quand tu veux, dit Augustin.

Marc ne souhaitait pas la voir partir seule.

— Je te raccompagne, au revoir, Augustin.

Ils remercièrent le vieil homme.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

 

Ils étaient sur la petite place, prêts à se quitter et se dire au revoir. Marc espérait que la rencontre se prolonge. Mylène, qui ne savait trop pourquoi, pensait aussi poursuivre ce moment. Ces retrouvailles lui avaient fait chaud au cœur et oublier un peu sa faiblesse de tout à l’heure. Ils étaient silencieux l’un en face de l’autre.

— Je peux faire un bout de chemin avec toi ? dit Marc.

— Oui, pourquoi pas.

— Je crois me souvenir, tu habitais vers le quartier Lamartine.

— Oui, tu as de la mémoire, toujours dans notre maison familiale.

Il la regarda alors qu’ils commençaient à marcher côte à côte.

— Finalement tu n’as pas tellement changé.

— Dis, tu ne m’avais pas reconnue ! dit-elle en souriant.

— C’est vrai et toi non plus !

Ils éclatèrent de rire.

— Tu as toujours les mêmes copains ?

— Oui, Tony, Jean-Jacques et Pierre, nous sommes inséparables. Toujours à faire les fous. Tu te souviens d’eux ?

— Oui je crois me souvenir. C’était il y a longtemps, je venais d’avoir 15 ans.

— Comment c’est l’Angleterre ? Je rêve depuis toujours d’aller au pays des Beatles et des Stones.

— C’est différent d’ici. Les gens, le climat, surtout le brouillard qui ne nous quitte pas l’hiver à Londres, son sourire aux lèvres.

— Alors, tu es là pour quelque temps ?

— Je ne sais pas encore.

Ils avaient passé les premières maisons du quartier Lamartine.

— Voilà, c’est ici, dit Mylène en retrouvant sa maison avec émotion.

C’était une maison à un étage, à la façade simple faite de briques roses. On voyait quelques signes d’abandon comme les fenêtres aux menuiseries blanches couvertes de mousse et de lichens, de toutes petites lézardes courant sur le mur, mais l’ensemble était en bon état.

— Et bien au revoir dit Mylène, et peut-être à un autre jour.

— On peut se revoir si tu veux. Ça te dirait, ce soir on sort avec les copains, et comme ça tu reverrais tout le monde. On ira à la fête de Villemode, c’est la première de la saison.

Elle hésita un peu avant de répondre.

— Bon et bien d’accord.

— On sera là à 9 heures.

Elle acquiesça.

— À ce soir.

 

 

En ouvrant la porte, Mylène sentit une oppression lui contracter l’estomac. Après huit ans d’absence et d’exil, elle retrouvait l’étroit couloir qui s’ouvrait devant elle et lui revint en mémoire ses courses en vélo d’enfant sur les tomettes rougeâtres et vieillottes du sol. Ses oreilles s’emplirent de l’appel de sa mère qui de la cuisine criait impatiente « à table !  » Les tableaux étaient toujours là, comme cette reproduction des Semeuses de Millet, le portemanteau se dressait encore au fond dans un coin. Ces souvenirs s’imposèrent en un éclair en embrassant du regard ce couloir qui menait directement à la salle de séjour.

Dès l’entrée, Noémie était dans ses bras. Elles s’embrassèrent affectueusement.

— Tu arrives un peu plus tôt.

— Après l’aéroport, j’ai trouvé un train qui partait plus tôt, puis l’autobus et me voilà.

— Viens t’asseoir, tu veux prendre quelque chose avant de manger ?

— Un grand verre de ce que tu veux, mais frais, il fait une de ces chaleurs.

Mylène se débarrassa de sa veste et s’écroula dans un fauteuil les jambes allongées. Elle parcourut des yeux les murs de la pièce. Là aussi rien n’avait changé, chaque meuble était à sa place comme avant, le buffet qui venait de la famille de sa mère ainsi que le vaisselier. La table ancienne et massive en chêne qui verrait s’attabler encore bien d’autres générations, les photos familiales symboles de jours heureux.

Noémie revint avec un petit plateau sur lesquels étaient posés verres et boissons fraîches. Noémie avait dans la cinquantaine, petite, un peu ronde, des lunettes, elle portait son tablier de cuisine. Amie de la mère de Mylène, elle était un peu sa deuxième maman. Elle avait toujours été considérée comme de la famille.

— Tu as eu du mal pour le ménage ? dit Mylène en se versant un large verre.

— Tu ne peux pas savoir comment c’était sale, j’ai transpiré à grosses gouttes. Mais ouf ! c’est fini, ici comme à l’étage.

Mylène ne souhaitait pas lui parler de son malaise, aussi elle lui parla de sa rencontre.

— Tu sais qui j’ai vu à la sortie du car ?

— Non… une vieille connaissance peut-être ?

— Oui, Marc Grandin, on était ensemble en classe.

— Ça me dit quelque chose… Grandin, le fils de la fabrique de meubles ?

— Oui… son père était patron, je crois.

Tout en terminant les boissons, la conversation s’orienta sur le récent déménagement, sur les habitudes qu’elles allaient devoir reprendre. Le regard de Mylène vint se poser sur la cheminée, et son regard se voila. Cet endroit était au cœur d’un sujet épineux, mais il fallait bien l’aborder à un moment ou à un autre.

— Tu me montres ce que tu as trouvé ?

Noémie se leva et ouvrit un tiroir du buffet et revint avec un tout petit bout de papier jauni qu’elle tendit à la jeune fille. Mylène plongea ses yeux dans ceux de Noémie en tendant la main avec un regard lourd d’interrogation. Elle connaissait le contenu de la bande de papier, elle se sentait tendue.

La main qu’elle voulait ferme prit le papier. Elle lut.

—  «  enterre sou e marronnier le orps de C »

— Noémie qu’est-ce que cela signifie ? J’ai mal dormi ces dernières nuits à en faire des cauchemars, ce serait une affreuse vérité, dit Mylène dans un sanglot.

Malgré la couleur de papier brûlé, on lisait sans trop de peine la phrase, quelques lettres n’étaient pas lisibles car léchés par les flammes.

— Moi aussi je suis effondrée.

— Car tu lis bien comme moi ?

— Oui, j’ai déchiffré si je ne me trompe pas : « enterré sous le marronnier le corps de C ». C comme Cyrille.

— Papa ! laissa échapper Mylène.

C’était une chose impensable.

Des larmes vinrent aux yeux de Mylène. Noémie, le visage sombre s’approcha et lui prit les mains.

— Ma pauvre petite fille.

—  Tu avais bien nettoyé quand nous sommes parties il y a huit ans ? dit Mylène essayant de maîtriser ses sanglots.

— J’en suis sûre. C’était partout impeccable. Mais je n’ai pas dû le voir ce bout de papier.

— Tu penses que quelqu’un aurait pu … durant notre absence ?

— Mais non. Et pourquoi ? Tout était fermé à clé. Je ne comprends pas.

Mylène cherchait désespérément une explication.

— Et quand nous sommes revenues … ce jour-là ?

— Il y avait des cendres dans la cheminée, quoi de plus normal … sauf l’absence de ton père.

— Que faut-il faire ?

— Je ne sais pas.

Et Noémie se répétait, « c’est impensable, c’est impensable... sous le marronnier du jardin … pourquoi là ?  »

Elles restèrent silencieuses, atterrées.

— Allons manger dit Noémie.

— Je n’ai pas faim.

— Allons, il faut prendre des forces, nous en aurons besoin.

 

 

Marc rentrait chez lui. Il devait traverser la ville pour atteindre le quartier sud qui s’appelait le petit hameau où s’élevaient de très belles villas aux grands jardins fleuris entre de petits bosquets de bouleaux et de chênes, intercalées d’allées blanches gravillonnées. On disait en ville que c’étaient les nantis qui résidaient là.

Il marchait d’un pas léger et alerte, ses pensées allant vers la rencontre de tout à l’heure. Il s’interrogeait sur le malaise de la jeune fille. Visiblement quelque chose la tracassait et avait entraîné son délire. Peut-être en rapport avec son passé, car il songeait à l’instant au père de la jeune fille, d’une affaire dont tout le monde avait parlé, et des articles parus dans la presse régionale.

Tout à ses pensées il se rendit compte qu’il était arrivé devant chez lui. C’était une grande et belle maison bourgeoise toute en pierres de taille. Les hautes fenêtres aux volets gris surmontaient des balconnières de géraniums qui commençaient à montrer leurs pétales bigarrées de rose et rouge. À l’étage, un grand balcon imposant accroché à la façade dominait l’entrée.

Le bruissement de ses pas sur l’allée de petits cailloux blancs fit sortir sa mère sur le perron aux trois marches.

— Mais qu’est-ce que tu fais, il est bientôt une heure. Pourquoi ton copain a ramené ta voiture ?

— J’ai rencontré quelqu’un en ville, on discutait et je n’ai pas vu le temps passer, et Tony voulait faire une course.

— Allez rentre, on allait commencer à manger.

Ils rentrèrent. Passé le hall d’entrée, on entrait dans une vaste salle à manger aux meubles luxueux. Des tableaux aux murs entre des livings modernes. Le coin salon était équipé de grands canapés et de fauteuils confortables.

Son père était devant une porte-fenêtre, un verre de scotch à la main. Il était grand et massif, les cheveux poivre et sel, approchant la soixantaine. On sentait l’homme dominant, rompu au milieu d’affaires. Ses yeux bleus perçants devaient être intransigeants dans la gestion de son entreprise.

— Marc, je ne veux plus que tu prêtes ta voiture.

— Oui, Papa.

Les rapports étaient souvent tendus entre le fils et le père. L’esprit de liberté d’après 68 du jeune homme s’opposait à l’autoritarisme paternel.

Henriette la mère posa le premier plat sur la table. Elle était grande aussi, mince et souriante, des cheveux longs châtains, habillée de façon bourgeoise. Ils prirent place à table et entamèrent le repas.

— Tu viendras cet après-midi au bureau, il faut que tu commences à t’initier aux rouages de l’entreprise, c’est samedi, nous serons tranquilles, dit le père.

— Papa, je t’ai déjà dit que je souhaitais m’engager dans une autre voie.

La conversation tournait encore sur l’avenir du garçon et ils étaient encore en opposition.

— Quoi ? Ah oui, l’enseignement.

— Je termine la fac et je me présente au concours de l’École Normale.

— Comment ? Tu as fait ce parcours pour rien ! Tu devais te diriger vers HEC. Tu connais les salaires chez les enseignants ?

— Oui, je sais mais je sens que c’est ma vocation.

— Tu es têtu. Tu songes à ton niveau de vie en reprenant l’entreprise ?

— Mais Arnaud, laisse lui choisir son métier, si c’est cette vie qu’il désire, s’interposa sa mère.

— Bien sûr, tu prends sa défense.

Pour détendre l’atmosphère, sa mère s’adressa à Marc.

— Mais qui as-tu rencontré tout à l’heure ?

— Mylène Dugey. Nous avons joué ensemble étant gosses et nous étions dans la même classe au collège.

— Dugey ? … La petite dont le père a disparu il y a quelques années ?

Le père releva la tête, mais resta silencieux, encore irrité par les divergences avec son fils.

— Une fugue, non ? dit Marc.

— On a dit aussi qu’il avait pu se noyer.

— C’est moche de se noyer.

— Arnaud, tu te souviens de l’affaire ? Tu ne dis rien... Tu es encore préoccupé par l’entreprise ?

— Oui ce contrat, avec l’Espagne me tracasse.

— Parlons d’autre chose alors, cet après-midi je vais en ville pour changer ces rideaux, ils sont affreux.

Et la discussion s’orienta sur la décoration de la maison, car elle voulait refaire tapisseries et peintures.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3

 

 

Il était quatorze heures, le café des Arcades faisait la pause de l’après-midi. Max Caron mit en ordre les chaises et les tables de la terrasse, puis il verrouilla la double porte d’entrée. Il passa un dernier coup d’éponge sur le plateau du bar, et monta à l’appartement voir sa mère qui avait terminé.

Elle était installée dans un confortable fauteuil devant sa grande télé couleur Pathé Marconi. Elle tourna la tête vers son fils. C’était une belle femme qui portait bien ses soixante ans.

— La fille de Cyrille Dugey est arrivée en ville.

Sa mère marqua un étonnement de la tête.

— Je suis presque sûr que c’est elle, je crois avoir reconnu son visage, reprit Max.

Elle restait pensive puis ajouta quelques mots.

— Et Noémie Duplat qui est là depuis quelques jours. Pourquoi reviennent-elles ?

— Je ne sais pas maman ! tendu. Peut-être pour quelques jours de vacances.

 

Le temps était gris. Le ciel blafard au plus bas assommait le chemin, les cyprès pointus qui le bordaient essayaient de percer la couche opaque du plafond, alors qu’une voiture grise s’avançait sur cette étroite allée menant à la maison. De la fenêtre dont il avait poussé discrètement le rideau il la voyait s’approcher. Que voulaient-ils ? Depuis qu’ils étaient là, il savait que des gens avaient été emmenés et le déroulement des arrestations avait été musclé et dramatique.

Pourquoi venaient-ils ? Il avait une vie paisible, loin des compromissions, loin de tout engagement, ses papiers étaient en règle, il ne cachait personne. Seule sa peinture l’intéressait et à soixante ans maintenant c’était son havre de paix, cette passion qui guidait sa vie. La voiture grise s’approchait. En ces temps noirs, les contrôles d’identité étaient fréquents, la peur de rejoindre les grilles d’un cachot était dans l’esprit de tout le monde. Irréprochable il l’était, mais l’inquiétude était là, sous-jacente.

La voiture allait à vive allure malgré l’étroitesse du chemin et sous la violence des freins, s’arrêta rapidement dans la petite cour, les roues mordant la poussière. Des uniformes noirs en sortirent bruyamment en claquant les portières, l’un resta au volant alors que les trois autres, étuis noirs à la ceinture s’avançaient vers l’entrée.

Des bruits sourds ébranlèrent la porte. Il hésita.

Ouvrir ?

Ne pas ouvrir ?

Se cacher ?

Il lui revint qu’il n’avait commis aucun délit, alors après une dernière hésitation il s’avança vers la porte et fit tourner la clé. Il appuya sur la poignée.

Au déclic de la clé, la porte fut poussée avec violence, ils entrèrent en le bousculant au passage.

Puis tout alla très vite.

Malgré ses cris, ses protestations, on l’attrapa par les pans de sa veste et on le poussa contre le mur. Il était maintenu debout par l’un d’eux comme accroché à un portemanteau. L’homme en uniforme les bras tendus avait le gauche entouré d’un brassard rouge alors que les deux autres s’employaient à fouiller la maison.

L’accent guttural de ses agresseurs fusait, transperçait ses tympans et le paralysait de peur. Celui qui le tenait contre le mur entreprit de le questionner. Le ton guttural faisait penser à des aboiements, les paroles étaient incompréhensibles. Il était glacé de peur, l’effroi dans le regard. Terrorisé, il sentit qu’il pissait dans sa culotte. La trouille s’amplifia quand il vit un poing surgir et lui éclater le nez qui fit jaillir aussitôt un jet de sang qui laissa une traînée sur le mur. Il se mit à hurler de douleur, et aussitôt il prit un coup de poing dans l’estomac qui lui coupa le souffle et défonça ses entrailles. Comme un chien enragé, l’homme en noir lui balança encore un coup de poing sur le visage.

En peu de temps la maison fut sens dessus dessous, tiroirs et buffets vidés, fauteuils et matelas éventrés, portes fractionnées, vaisselle cassée. Tous ses tableaux suspendus aux murs éventrés et jetés au sol, son chevalet brisé. Son tortionnaire continuait de lui aboyer dessus. Entre ses sanglots, il eut beau dire qu’il ne savait pas ce qu’ils cherchaient, ce qu’ils voulaient, qu’il était innocent, qu’il ne comprenait pas ce qu’ils disaient, qu’ils n’avaient qu’à parler français ces salopards, et qu’ils foutent le camp de chez lui.

Puis la fouille méthodique s’arrêta. Ils échangèrent quelques phrases rauques et le saisirent violemment puis le tirèrent dans la cour. Le visage en sang, il trébucha voulant se délivrer et il prit un coup sur la nuque. L’un d’eux hurla un commandement et il fut poussé dans la voiture qui démarra aussitôt, laissant la porte de la maison ouverte.

Il eut une pensée sur son coffre, ils ne l’avaient pas trouvé.

 

Georges Bonal n’avait pas de doute sur la destination. Le voyage fut court.

La Horch 901 passa la porte de la Gestapo.

 

 

Chez Mylène le repas avait été silencieux. Le dessert terminé, elle se leva et s’assit dans la salle à manger. Elle sentit une profonde lassitude avec cet étau qui lui cernait la tête. Elle aurait voulu plonger dans un profond sommeil et s’évader dans un monde de rêves. Mais tout lui rappelait l’affreuse réalité du papier brûlé, comme le jardin et le marronnier qu’elle voyait de son fauteuil. Le motif de ses pensées se dressait au milieu des hautes herbes qui avaient envahi le jardin.

Sans cesse son regard allait au-delà de la porte-fenêtre. Les bruits de vaisselle cessèrent et Noémie la rejoignit.

— Je n’arrive pas à détacher mes yeux de cet arbre.

Elle changea de place afin de se sentir plus apaisée. Elle reprit tournant le dos à la porte-fenêtre.

— Tu te rappelles, nous étions parties pour quelques jours. Avant notre départ, comment était Papa ?

— Il n’était pas comme d’habitude, je m’en souviens très bien. Je l’avais senti un peu nerveux.

— D’habitude il était enjoué, il plaisantait tout le temps.

— Oui débonnaire, il était heureux et surtout tu étais son rayon de soleil.

— Donc, tu penses qu’il n’a pas voulu quitter la maison pour une raison que l’on ignore.

— Non, ici c’était son chez lui, et nous étions sa famille.

— Et mettre un terme à sa vie ?

— Non, ça n’a pas de sens. Cyrille n’avait rien d’un déprimé.

Mylène se leva et marcha dans la pièce.

— Et quand nous sommes rentrées de ces quelques jours ? La maison comment elle était ? Je ne me souviens pas de tout, j’étais si jeune.

— Rien d’anormal, sauf qu’il n’était pas là.

— Et dans la maison ?

Mylène retourna à son fauteuil.

— Rien vraiment d’anormal, je l’avais dit à la police lors de l’enquête. Mais j’ai toujours trouvé ça bizarre, encore plus maintenant avec ce bout de papier, répondit Noémie.

— Justement Noémie, il faut prendre une décision.

Noémie se trémoussa sur son fauteuil avec une idée en tête. Et après une hésitation.

— … Écoute, lundi je vais faucher.

— Quoi ? Ce n’est pas pour… ? Tu es folle !

— Hum… on verra bien comment est le sol.

— Mais ça va nous avancer à quoi ?

— Je ne sais pas… peut-être trouvé quelque chose comme un indice.

— La police n’avait rien trouvé, dit Mylène désorientée.

— Je ne suis pas sûre qu’elle ait cherché par-là, c’était le potager.

— Après nous irons remettre le papier à la police. Il faut savoir. C’est une torture épouvantable.

— En tout cas si c’est une plaisanterie, elle est de très mauvais goût dit Noémie qui se leva et lui caressa la joue.

— Va te reposer pour être en forme ce soir.

Mylène monta dans sa chambre.

Elle s’allongea et sa pensée l’amena vers toutes ces années passées. Le rejet de cette maison sans son père disparu et l’opportunité d’une place au pair à Londres. Plus rien ne l’avait retenue ici. Noémie l’avait rejointe en louant un petit meublé. Elle était restée deux ans chez les Maxwell, puis ses marques étant prises, elle avait suivi des études commerciales dans un établissement anglais, obtenu un diplôme et elle était rentrée dans la vie active. Malgré sa vie d’expatriée, sa pensée n’avait jamais quitté la maison familiale et tout ce qui s’y rattachait. Mais la nostalgie ces derniers mois avait été si forte qu’elles avaient décidé de revenir quelques jours.

Puis Noémie avait trouvé cette horrible chose dans la cheminée.

Elle tourna et retourna dans son lit, puis finalement réussit à s’endormir.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 4

 

Lerepas du soir se terminait.

Noémie regarda l’heure.

 — Mylène, tu vas être en retard, monte te préparer.

— Je ne sais pas si je vais y aller.

— Allons, il faut être plus enjouée. Tu vas revoir tous tes anciens amis, ça te changera les idées. Lève-toi, je t’en prie.

Mylène obtempéra et monta l’escalier sans enthousiasme. Sa chambre n’était pas très grande, un lit en 90, une armoire à glace à deux portes-imitation style rococo, un petit bureau surmonté d’une lampe avec encore un calendrier des P et T de 1962, l’année de son départ pour l’Angleterre. Une tapisserie à motifs floraux d’un bleu très clair où s’entremêlait de la vigne vierge. Une petite table avec un tourne-disque, des 33 et 45 tours. Une valise encore ouverte avec des vêtements à ranger. Au mur une petite affiche de West Side Story.

Elle ouvrit l’armoire et hésita à prendre une mini-jupe et un collant de couleur. Elle préféra un jean vert à pattes d’éléphant très à la mode à Londres. Enfin une tunique chasuble. Elle se regarda dans la glace, satisfaite. Ses yeux légèrement cernés disparurent sous le ricil.

Un coup de klaxon retentit dans la rue, suivi de claquements de portières. La nuit était tombée. La bande de jeunes était là et se manifestait bruyamment. Noémie ouvrit la porte, Marc était sur le seuil.

— Bonsoir, Mylène est là ?

— Tu es Marc ?

— Oui, c’est moi.

— Mylène, on t’attend, cria Noémie dans le couloir.

Mylène descendit. Ils s’embrassèrent amicalement.

— A demain Noémie.

— Bonne soirée et ne faites pas les fous.

Trois voitures attendaient dans la rue. On fit les présentations, une douzaine de jeunes gens. Elle ne reconnut pas tout le monde. Quant aux autres, ils savaient tous qui elle était, mais certains eurent du mal à la remettre sous la lumière des réverbères,

Marc prit le volant de sa 2CV et le convoi démarra. Tony était devant. Mylène était à côté d’Annie Minnier qu’elle avait reconnue tout à l’heure. Elles étaient ensemble à l’école, puis au collège et Mylène se souvenait qu’Annie était super douée en math. La conversation fut orientée sur les études, puis sur les souvenirs de jeunesse, et leurs situations d’aujourd’hui. À l’avant les deux garçons parlaient des derniers résultats de foot de première division. Puis la conversation fut commune aux quatre jeunes, dans de joyeuses réparties.

Le village de Villemode n’était pas très loin et fut atteint en une vingtaine de minutes. La fête foraine battait déjà son plein. Manèges, chenilles, autos-tamponneuses, stands de tir, avaient attiré du monde ce soir avec des familles prêtes à dépenser et à s’amuser. Devant chaque attraction, les haut-parleurs crachaient les décibels. Sur la petite place, les ampoules multicolores suspendues au-dessus du bal comme une ligne au ventre mou en pointillé éclairaient les couples de danseurs. Dans la cacophonie ambiante, on entendait l’accordéon de l’orchestre.

La petite bande s’éclata vers le bal ou vers les différentes attractions.

— On va aux autos-tampons ? demanda Marc.

Tony prit la main d’Annie alors que Marc et Mylène suivaient côte à côte. Mylène comprit que les deux autres étaient ensemble, et elle eut une pensée pour John, son flirt de Londres qui l’avait vu partir un peu dépité. Mylène et Marc montèrent dans la même voiture. Ils partirent à la poursuite de Tony et Annie, les chocs s’enchaînaient les uns aux autres au milieu des cris, des rires et des tubes anglais. La perche de chaque voiture en contact avec le grillage en plafond faisait des gerbes d’étincelles.

Ils changèrent d’attraction avec la chenille où ils décollèrent littéralement, collés au large siège par la force centrifuge. Leurs cheveux s’envolaient découvrant leurs fronts et leurs bouches s’ouvraient dans des rires et des hurlements. Ce fut un plaisir partagé dans la vitesse enivrante mêlée à la clameur, la musique et les jeux de lumière sophistiqués.

Les garçons voulurent tirer le carton au stand de tir. Tony gagna une petite poupée en tutu qu’il offrit à Annie. Mylène eut aussi la sienne, Marc perforant avec adresse les pipes et les cibles en carton.

Après ces amusements ils trouvèrent une table encore libre en bordure du bal. Mylène se sentait bien et joyeuse au milieu de cette équipe. Les garçons avaient beaucoup d’humour, surtout Tony, les plaisanteries fusaient, les garçons se chambraient devant les deux filles hilares.

Quand l’orchestre entama la série de rock’n’roll, ils se mêlèrent aux danseurs. Si Tony et Annie se connaissaient bien rompus à des heures de danse, l’autre couple était à sa première collaboration. Mylène se laissa mener par son partenaire qui n’était pas aussi virevoltant que Tony, mais qui parvint à la faire évoluer en souplesse. Mylène n’était pas elle non plus très pratiquante, mais ils parvinrent à trouver du plaisir à danser ensemble.

Plus tard, Mylène pensait aux heures passées dans les discothèques londoniennes, où l’on passait de bons moments confortablement assis en groupe un whisky à la main en écoutant de la pop. Mais ce soir elle était ravie de cette ambiance de balloche qu’elle ne connaissait pas. Elle s’était aussi retrempée dans la fête foraine avec délectation, comme lorsqu’elle était toute jeune.

Maintenant le reste de la bande avait rejoint les quatre jeunes gens et ils avaient rapproché les tables voisines. Pierre, Jean-Jacques et leurs copines faisaient maintenant corps à leurs deux amis, le club  était de nouveau réuni. On pouvait commander une nouvelle tournée, regarder les danseurs s’époumoner sur un paso doble, se délecter d’une situation cocasse, rire aux blagues qui fusaient.

La soirée était maintenant avancée, et les derniers accords de l’orchestre se turent. Ils étaient peu nombreux maintenant sur la petite place. Les forains avaient fermé pour la plupart, et bientôt les lampions allaient s’éteindre.

Alors comme à regret ils rentrèrent.

 

La Deuch s’arrêta devant la maison.

Marc s’avança avec Mylène devant la porte. Ils échangèrent quelques mots, pendant que Tony et Annie se bécotaient à l’arrière de la voiture.

— Tu as passé une bonne soirée ?

— Excellente, je te remercie encore de me l’avoir proposée. Tes amis sont vraiment super sympas.