Le Paradoxe du poisson rouge - Hesna Cailliau - E-Book

Le Paradoxe du poisson rouge E-Book

Hesna Cailliau

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Beschreibung

Réveillez le Chinois qui sommeille en vous !

Notre monde contemporain ressemble à une mer très agitée. Avec ses courants complexes, ses vents changeants, ses vagues porteuses ou cassantes. Tel un poisson dans l’eau, un pays semble pourtant s’y mouvoir avec agilité et succès : la Chine. Depuis la nuit des temps, le poisson rouge y est célébré. Pas celui de notre enfance qui tourne en rond dans son bocal mais la carpe koï, grande et majestueuse, reine des bassins et rivières des jardins publics. Sa ressemblance avec un petit dragon, figure mythique du pays, tout comme sa robe rouge, symbole de la joie de vivre et de la force créatrice, lui valent d’être sacrée. Un culte qui ne doit rien au hasard. La culture populaire prête à l’animal huit vertus, toutes inspirées de la sagesse chinoise : ne se fixer à aucun port, ne viser aucun but, vivre dans l’instant présent, ignorer la ligne droite, se mouvoir avec aisance dans l’incertitude, vivre en réseau, rester calme et serein, remonter à la source. Autant d’aptitudes qui offrent à la carpe une totale symbiose avec son environnement, toujours aux aguets pour saisir l’opportunité qui se présente.

Dans un monde désormais multipolaire et interdépendant, l’heure est venue d’échanger non seulement nos marchandises mais aussi nos sagesses.

Il y a chez les Chinois des idées et des façons de faire dont nous gagnerions à nous inspirer tant pour notre développement personnel que notre pratique en affaires.

EXTRAIT

La sagesse en Chine se transmet non pas des traités de philosophie ou de théologie mais à travers des anecdotes ou des maximes paradoxales qui interpellent le lecteur et brisent sa logique rationnelle. Elle consiste à éclairer, creuser toujours davantage l’évidence pour mieux savourer la vie. Elle relève de l’art de vivre et n’a donc plus rien à voir avec cette science abstraite qu’est devenue la philosophie occidentale. Pourtant selon son étymologie latine, la sagesse signifie « avoir du flair » ( sagire) et « savourer » ( sapere). Elle fait appel donc à l’intuition, non à la raison.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Dense et très complet malgré sa petite taille, l’ouvrage est aussi un véritable dictionnaire de citations, généralement de sages chinois. On aime bien celle-ci de Confucius, très présent tout au long du livre :  L’intelligence fait vivre content, la bienfaisance fait vivre longtemps. Ne pas rater, en mot de la fin, la liste des 40 différences entre la Chine et l’Occident. -  Henri Gibier, Les Échos

Chefs d’Etats et d’entreprises veulent tout comprendre du Tao et du Yi King. Que dire de l’évasif ? de l’oblique ? Comment sortir d’un management trop directif et planificateur ? Le marché du développement personnel se saisit de ses concepts avec la publication d’un petit livre très alerte de Hesna Cailliau, intitulé Le Paradoxe du poisson rouge (Editions Saint-Simon). -  Charles Jaigu, Le Figaro

S’il y a bien un animal qui ne me revient pas, limite me dégoûte, c’est le poisson qui envahit les restaurants chinois et les pièces d’eau des temps asiatiques : la carpe koï. Ça c’était avant que je lise un petit ouvrage d’Hesna Cailliau Le Paradoxe du poisson rouge. Elle y raconte avec une infinie clarté les vertus de ce poisson en comparant notre comportement occidental et celui des Chinois. Elle ouvre plus largement sur la symbiose indispensable des cultures et des religions différentes quelles que soient leurs imperfections. (…) Un essai salutaire. -  Constance Poniatowski, Version Femina

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Ce que la presse en dit

« Dense et très complet malgré sa petite taille, l’ouvrage est aussi un véritable dictionnaire de citations, généralement de sages chinois. (…) Ne pas rater, en mot de la fin, la liste des 40 différences entre la Chine et l’Occident. »

Les Échos, Henri Gibier

« Dans notre monde en pleine tempête, la Chine ne cesse de s’affirmer, de se développer au milieu des vents et courants contraires. Pour en comprendre les raisons, il faut lire cet essai. Il dévoile les huit vertus de la pensée chinoise qui nourrissent des préceptes pertinents dans notre vie, mais heurtent notre bonne et vieille pensée rationnelle. Ils permettent d’être en société comme un poisson dans l’eau. »

Le Parisien, Magazine du vendredi 6 mars 2015

Quitter son beau rivage

S’ouvrir au souffle du grand large

Une voie pour devenir plus sage

H.C.

Introduction

Dans un monde de plus en plus complexe, incertain et mouvant, nous remarquons avec étonnement que les Chinois évoluent comme des poissons dans l’eau avec souplesse et succès. De cette constatation est né le titre de ce livre : Le Paradoxe du poisson rouge, qui nous permet de mieux comprendre l’âme chinoise.

La sagesse en Chine se transmet non pas des traités de philosophie ou de théologie mais à travers des anecdotes ou des maximes paradoxales qui interpellent le lecteur et brisent sa logique rationnelle. Elle consiste à éclairer, creuser toujours davantage l’évidence pour mieux savourer la vie. Elle relève de l’art de vivre et n’a donc plus rien à voir avec cette science abstraite qu’est devenue la philosophie occidentale. Pourtant selon son étymologie latine, la sagesse signifie « avoir du flair » (sagire) et « savourer » (sapere). Elle fait appel donc à l’intuition, non à la raison.

Le poisson rouge est célébré en Chine depuis la nuit des temps mais ce n’est pas celui de notre enfance qui tourne en rond dans son bocal, il s’agit de la carpe koï, grande et majestueuse qui, par centaines, agrémente les bassins et les rivières des jardins publics. Elle est sacrée parce qu’elle ressemble à un petit dragon, ancêtre mythique de ce peuple : tous se disent descendants du dragon.

Le rouge est leur couleur de prédilection car il a la propriété de faire fuir les mauvais esprits. Il symbolise la joie de vivre et la force créatrice : rouge la robe traditionnelle de la mariée, rouge le drapeau chinois, de même les papiers cadeaux ou encore les enveloppes de billets neufs offerts par les invités lors des cérémonies de mariage. « La Cité interdite », qui est son nom courant hors de Chine, est appelée dans le pays « la Cité pourpre ».

Le poisson rouge permet de pénétrer ce monde étrange et déroutant qu’est pour nous ce peuple. Il inspire leurs attitudes et leurs comportements, leur vision du monde comme leurs processus de décision. Pour des esprits rationnels, c’est surprenant sinon farfelu. Comment cet « animal vertébré inférieur », pour reprendre la définition de nos dictionnaires, peut-il être une source d’enseignement ?

Pour répondre à cette question, il faut connaître leurs traditions car il existe un lien évident entre religion, culture, mode de pensée et comportement. Croyants ou athées, nous sommes modelés, façonnés par nos traditions religieuses et culturelles, beaucoup plus que nous ne le pensons.

Alors que nous sommes les héritiers des traditions gréco-bibliques, les Chinois sont les héritiers de 3 traditions millénaires : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. Celles-ci ont développé une forme de pensée différente de la nôtre, non pas linéaire et rationnelle mais circulaire et en réseau. Elle se fonde sur la constatation que dans la réalité, les choses sont tissées ensemble comme les trames d’un tapis. Elles ne cessent d’interagir et de rétroagir les unes avec les autres. Un événement à un point du globe a des répercussions sur l’ensemble (c’est la célèbre métaphore de l’effet papillon *). Les Chinois ont inventé la boussole il y a plus de 2 000 ans car familiers de l’idée de résonance, de l’effet réel sans cause visible. Leur médecine repose sur le même fondement : ainsi, les maux de tête sont soignés en massant les parties du pied qui sont en résonance avec la tête.

Edgar Morin appelle cette forme d’intelligence la pensée complexe du mot latin cumplectere, qui veut dire tisser, nouer ensemble. Contrairement à la pensée rationnelle qui sépare et oppose pour mieux élaborer des lois et des théories, la pensée complexe recherche les liens subtils que l’apparence oppose. Elle est plus soucieuse d’élucider des cohérences que de donner des explications.

L’une des idées fondamentales de la pensée complexe est que l’homme fait partie intégrante de l’univers. Les peuples sinisés n’ont pas opéré comme nous de séparation entre l’homme et la nature. Celle-ci leur tend un miroir fraternel permettant de se connaître et de progresser. Bouddha a proclamé « l’égalité entre tous les êtres, animés comme inanimés, tous détiennent le germe de la bouddhéité » : minéraux, végétaux, animaux et humains.

La Bible, à l’inverse, a sacralisé l’histoire mais désacralisé la nature. Considérée comme un lieu hostile, violent et déterministe, elle appelle l’homme à « la dominer et à la soumettre ». Cette attitude s’est accentuée à la Renaissance. Descartes prive les animaux de toute âme pour ne voir en eux que des machines. Au contraire ceux-ci sont, pour les religions chinoises, doués de sentiments et de conscience et donc comme tels sources d’enseignements inépuisables. La théorie de la métempsychose crée un lien entre tous les êtres vivants puisqu’une conscience humaine peut renaître dans un corps animal et inversement.

Le calendrier chinois est une illustration de l’importance donnée à la gent animale. Selon la légende, Bouddha avant de mourir convoqua tous ses amis les animaux, les 12 premiers arrivés constituèrent les signes du zodiaque. Le plus rapide fut le rat : il correspond au premier signe. Bouddha lui-même était rat dans une vie précédente et reçut lors de sa naissance le nom de « Gautama », qui signifie « le meilleur des bovins » (le bœuf, deuxième signe du zodiaque).

Les arts martiaux offrent un autre exemple : ils seraient selon la légende nés de l’observation par Bodhidharma, moine bouddhiste originaire de l’Inde du Sud, du mouvement des animaux pour détendre son corps après la méditation.

Citons encore le célèbre diagramme taoïste du yin yang, qui représente deux poissons stylisés tête bêche, lovés l’un contre l’autre, l’œil de chacun ayant la couleur du corps de l’autre. Belle illustration de la coopération des contraires, en croissance et décroissance alternée : le yin féminin symbolisé par la terre, le yang masculin symbolisé par le ciel.

Le poisson, chin-yu en chinois, se compose des notions d’or (chin) et de prospérité (yu). Évoquant l’or en abondance, la présence d’un aquarium dans les restaurants, les entreprises ou chez soi est de bon augure. Le plus bénéfique des poissons étant la carpe, beaucoup de Chinois les élèvent dans des étangs car elles ne peuvent vivre que dans de vastes étendues d’eau. Ils en consomment régulièrement pour s’imprégner de ses vertus ; elle est toujours présentée entière sur les tables tournantes des restaurants, condition nécessaire pour préserver ses qualités. Son effigie est partout reproduite sur les vases, les coupes, les sols en mosaïques de pierre, les estampes, les paravents, les ombrelles… Elle est aussi portée en pendentif ou tatouée sur le corps.

La carpe montre à travers ses 8 vertus la Voie de la réussite. Le mot vertu doit être compris non pas au sens moral mais au sens latin de force, de potentiel, comme on parle des vertus médicinales d’une plante. Le chiffre 8 est pour les traditions chinoises porteur de chance car la prononciation de ce mot produit le même son que celui qui désigne le bien-être, la félicité. Ainsi les 8 trigrammes et les 64 hexagrammes (8 fois 8) du Livre des Mutations, les 8 Immortels taoïstes, « l’Octuple Sentier » du Bouddha pour sortir de la souffrance, « les 8 Joyaux » du bouddhisme (dont un couple de poissons), les 8 pétales de la fleur de lotus… Ce chiffre étant un gage de succès, les Jeux olympiques de Pékin furent ouverts le 8-8-2008 à 8 heures 08. Beaucoup de gens choisissent de se marier ou de démarrer une affaire le 8 du mois. Les numéros de téléphone ou les plaques d’immatriculation avec ce chiffre sont très recherchés. Les appartements situés au 8e étage valent plus chers que les autres…

Les vertus de la carpe koï sont d’égale importance et indissociables : elles sont reliées les unes aux autres comme les vagues dans l’océan. La Chine ignore les classements hiérarchisés propres à la pensée rationnelle.

En montrant les aspects positifs d’une autre culture, loin de moi l’idée de discréditer la nôtre, consciente de tout ce que l’humanité lui doit. Mais dans un monde devenu multi-polaire, nous ne pouvons plus ignorer tout un pan de l’humanité. La Chine nous est encore trop peu connue. Les médias tendent à ne montrer que ses aspects négatifs, suscitant ainsi méfiance sinon rejet. Or il y a en elle des idées, des façons d’être et des savoir-faire dont nous pourrions nous inspirer. De plus si nous travaillons avec des Chinois, nous augmentons nos chances de réussite en sachant comment ils fonctionnent. La recommandation de Claude Lévi-Strauss se révèle plus pertinente que jamais : « Plutôt que d’ouvrir les autres à la raison, il importe de s’ouvrir à la raison des autres car l’autre a des raisons que ma raison ignore. »

La découverte d’un monde à l’envers du nôtre est bénéfique à plus d’un titre : elle permet de mieux percevoir l’originalité de notre propre culture et en même temps d’y retrouver, enfouis sous la poussière du temps, des trésors de sagesse. Elle ouvre de surcroît des chemins oubliés de notre pensée, peut-être même aussi des affinités avec une partie ignorée de nous-mêmes. En tout cas voilà l’occasion de retrouver l’étonnement philosophique que nos sociétés figées dans leurs certitudes de supériorité ont perdu. On parle beaucoup en France de la nécessité de changement mais sans enthousiasme. C’est oublier que l’étonnement est le principal déclencheur du changement car il libère la force créatrice et inventive. Les grandes découvertes ont toujours commencé par un éblouissement.

Alors laissons-nous surprendre par cette culture et cessons de croire que les Chinois finiront par devenir comme nous. Ce n’est pas parce qu’ils adoptent nos modes de vie qu’ils adopteront au final nos modes de pensée et nos valeurs. Il ne saurait y avoir de culture universelle ne serait-ce qu’en raison de la diversité des langues. Et la langue chinoise, qui est la plus parlée dans le monde, structure et modèle autrement la pensée que les langues indo-européennes. Certains mots n’ont pas d’équivalent dans les nôtres et inversement. Souvent aussi, ils ne recouvrent pas la même réalité. Le langage courant est truffé de dictons et de proverbes. Aussi ai-je jugé utile d’en citer un certain nombre en les opposant aux nôtres pour mieux mettre en évidence nos différences.

Au-delà des clichés, le paradoxe du poisson rouge nous fait découvrir l’étonnante modernité de cette civilisation, vieille de 5 000 ans : des concepts, inédits pour nous, comme interdépendance, impermanence, alternance, résonance, incertitude, relativité, vacuité… sont remis à l’honneur aujourd’hui par la physique moderne.

Dans un univers désormais multipolaire et interdépendant, l’heure est venue d’échanger avec les Chinois non seulement nos marchandises mais aussi nos sagesses et nos valeurs (valore en latin désigne la force de vie). Il ne s’agit pas de devenir comme eux mais de réveiller le Chinois qui sommeille en nous.

* Le battement d’ailes d’un papillon peut-il provoquer une tornade à l’autre bout du monde ? Tel est l’effet papillon : un acte aussi minime soit-il peut de fil en aiguille avoir des conséquences inimaginables. [n.d.e.]

1. Ne se fixer à aucun port

Être sans idée pour rester ouvert à tous les possibles.

(Confucius)

Sans port d’attache, la carpe koï montre qu’il ne faut s’attacher à aucun modèle ou schéma préétabli.

« Être sans idée pour rester ouvert à tous les possibles », dit Confucius.

Kong Fu-tseu, Maître Kong de son vrai nom, évoque à lui seul l’ouverture, la disponibilité. Kong en chinois désigne en effet un cœur vacant, un cœur ouvert, dénué de partis pris. Dans ce mot pointent l’aventure, le risque, la libération de toute attache. Être sans idée ne veut pas dire ne pas en avoir mais n’en privilégier aucune, n’être prisonnier d’aucune pour mieux s’adapter aux situations toujours changeantes. Ce que le Maître rejette avec force, ce sont les idées préconçues, les affirmations catégoriques et l’obstination. Tout son enseignement vise non pas à se faire une idée sur les choses mais à mettre de la fluidité dans les choses et entre les choses.

Pourquoi s’attacher à des idées puisque la réalité est en transformation continue ? Le Yi King, le plus ancien des livres sacrés chinois, dont les commentaires sont attribués à Confucius, se nomme le Livre des Mutations : yi comme substantif veut dire « mutation », comme adjectif, « facile ». La combinaison des deux sens donne l’idée que rien n’est plus facile que le changement, puisqu’il est inscrit dans l’ordre des choses. Les 99 écailles recouvrant le corps de la carpe symbolisent la mutation inhérente à la vie.

Cette évidence est soulignée aussi par Bouddha :

« La seule loi qui ne change pas est celle qui énonce que tout change.

Refuser cette loi ontologique, c’est être borné. »

L’être humain, de ce fait, est appelé à se renouveler sans cesse et non à se répéter comme une horloge. La souffrance survient chaque fois qu’il résiste au flux de la vie et essaie de s’accrocher à des formes fixes.

Le corps du poisson qui ondule dans tous les sens rappelle l’importance pour la pensée de ne se raidir dans aucune position. Le mal pour la pensée chinoise n’est pas la tentation et la transgression mais la fixation : le pire défaut est de vouloir avoir raison car alors on s’enferme dans son raisonnement et on devient sourd et aveugle.

« L’imbécile croit toujours avoir raison, le sage écoute et accepte avec simplicité les conseils », dit Lao-tseu.

La carpe koï avec ses grands yeux et sa grande bouche symbolise l’ouverture d’esprit : observer pour mieux absorber, car il y a tant de choses à prendre et à apprendre de l’extérieur. Et la Chine ne s’en est pas privée tout au long de son histoire mais elle a toujours sinisé ses emprunts, même en matière de religion. Le meilleur exemple est le bouddhisme : originaire de l’Inde, il s’est mêlé au taoïsme pour donner naissance au bouddhisme chan, plus connu en Occident sous son nom japonais de zen. Le pays a su aussi absorber ses conquérants : les Mongols et les Mandchous ont adopté leurs us et coutumes. Aujourd’hui les universitaires chinois ont recours à l’outillage occidental des sciences humaines comme de la science fondamentale. Le génie de la Chine, c’est l’absorption mais elle a toujours su garder sa singularité. Leur exemple devrait rassurer tous ceux qui, en France, craignent de perdre leur identité et leurs valeurs en s’ouvrant aux autres cultures.

L’importance donnée par les Chinois à l’observation de la nature explique leur précocité technologique. Ce peuple a tout inventé bien avant nous : le papier, le pinceau, la brouette, les lunettes, la soie, la porcelaine, l’encre, le gouvernail d’Étambot, les ponts suspendus, le forage des puits de gaz naturel… mais il n’a jamais construit de modèles, de théories considérant qu’ils figent la vie. Toute abstraction lui paraît une aberration : « un château de sable ». Il faut dire que la langue chinoise, très concrète, fondée sur l’image et non comme la nôtre sur le concept, ne s’y prête guère. Pour ce peuple pragmatique, une idée n’est valable que si elle est vivable. Étudier ne consiste pas à accumuler un savoir livresque mais à aiguiser son esprit de manière à avoir à tout moment la juste réponse face à une situation donnée. C’est dans cet esprit que Confucius prône l’étude. Il ramène sans cesse son enseignement sur le terrain du concret. « Savoir n’est rien, savoir vivre est tout. »

De même Bouddha en prenant à témoin la Terre vise à montrer que son enseignement ne consiste pas en des spéculations intellectuelles coupées de la réalité. Tel est le sens d’une de ses positions célèbres, assis en lotus, une de ses mains touchant la terre.

Les sages chinois sont particulièrement virulents à l’égard de la pensée rationnelle. Ils la jugent rigide, superficielle, artificielle et conflictuelle. Ils lui adressent deux critiques majeures : en séparant et en opposant, elle perd de vue les interdépendances et les interconnexions mais aussi le dynamisme de la vie puisque les abstractions figent la réalité.

« La grande intelligence englobe, la petite intelligence discrimine », clame Tchouang-tseu, le grand disciple de Lao-tseu. Par cette phrase lapidaire, il distingue la pensée holistique de la pensée analytique et son choix est sans appel : seule la première est grande. Le cosmos est un tout organique, vivant et cohérent. Séparer, c’est toujours comparer et éliminer. La vraie intelligence, c’est celle qui relie, met du lien entre les êtres et les choses. C’est bien son étymologie : interligare, lier entre.

Selon Lao-tseu : « Celui qui ne sait pas, voit toujours des forces opposées et contraires. Celui qui sait, voit dans les aspects contradictoires des complémentarités nécessaires. »

Depuis Aristote, la pensée occidentale est fondée sur l’exclusion : « ou l’un ou l’autre » ; depuis l’aube des temps, celle de la Chine sur l’inclusion : « et l’un et l’autre ». Dans la réalité, observe-t-elle, rien ne s’oppose, tout se superpose ; rien ne s’exclut ni ne s’annule, tout s’ajoute et s’additionne. Cette primauté donnée au « et » sur le « ou » permet de comprendre pourquoi les Chinois ne voient aucune contradiction à être à la fois taoïstes, confucéens et bouddhistes.

« Les 3 enseignements ne font qu’un », dit l’adage.

Il est courant de trouver dans un temple bouddhiste une représentation de Confucius à côté d’un autel dédié aux Immortels taoïstes. Un autre exemple de cette symbiose est Guanyin, le Boddhisattva de la compassion, qui a été intégré au groupe des Immortels. Lao-tseu et Confucius, que les Occidentaux ont l’habitude d’opposer, sont pour les Chinois « les deux versants de la même montagne ». Ils appartiennent à la même tradition, se réfèrent tous deux au Livre des Mutations, le premier privilégiant les vertus du yin, le second celles du yang.

Leur unité dans la différence est illustrée également par les deux grands fleuves de Chine : l’un le fleuve Jaune, fort et viril, berceau du confucianisme ; l’autre le fleuve Bleu, luxuriant et féminin, berceau du taoïsme, mais tous les deux ont la même source et coulent dans le même sens d’est en ouest.

Aucune opposition non plus entre les religions taoïste et bouddhiste * : la première a intégré nombre des conceptions de la seconde, notamment la notion de karma, les représentations de l’enfer et du paradis, certaines techniques de respiration ou de méditation… De même, les influences de la pensée taoïste sont perceptibles dans la quasi-totalité des textes du chan. Cette symbiose est rendue possible par l’absence de dogme, de définition dans ces religions car définir, c’est réduire et figer la réalité. La première ligne du Tao te King le constate : « Le Tao que l’on peut nommer n’est pas le Tao éternel. »

Dès qu’on le nomme, il devient exclusif et très vite tyrannique.

Contrairement aux religions monothéistes, il n’y a jamais eu en Chine de guerre sainte ou de croisade, ni de querelles d’interprétation des textes comme celles aboutissant aux schismes de la chrétienté. Si l’on disait aux Chinois qu’une des raisons de la rupture entre Rome et Byzance en 1054 tient au problème du Filioque, ils seraient ahuris. (L’objet des débats qui dura deux siècles portait, rappelons-le, sur la question de l’Esprit Saint : procède-t-il du Père seul ou bien à la fois du Père et du Fils ? Pour l’Église grecque la deuxième réponse équivalait à mettre Dieu et Jésus sur un pied d’égalité, ce qu’elle récuse toujours).

Les écrits des maîtres taoïstes et chan sont remplis de passages reflétant leur mépris à l’égard du raisonnement et de l’argumentation : Leurs célèbres énigmes, gongan en chinois, koân en japonais, visent précisément à ébranler la logique discursive pour laisser le champ libre à l’intuition :

« Quel bruit fait le claquement d’une seule main ? » (réponse chapitre VI).

« Quel visage aviez-vous avant que vos parents ne soient nés ? » (réponse Chapitre VIII).

Le Yi King cherche également à activer le pouvoir d’intuition de l’homme.