Le regard des autres - Marie José Della - E-Book

Le regard des autres E-Book

Marie José Della

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Beschreibung

On a beau se dire que cela ne nous impacte pas, que Le regard des autres ne nous affecte pas, mais à un moment dans sa vie, on se rend compte qu'au final cela nous blesse plus que l'on voulait se l'avouer. Anna, une jeune femme de vingt-cinq ans, va voir sa vie chamboulée à la suite d'un simple dialogue sur Internet. Il aura suffi d'un mot, d'une phrase pour tout faire basculer.Sera-t-elle prête à tout à cause du regard des autres ou préférera-t-elle rester là à subir sa vie ?

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Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Épilogue

Chapitre 1

Anna ferma son journal intime et essuya furieusement une larme qui coulait sur sa joue. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas donné libre cours à ses sentiments ; mais parfois, il lui fallait laisser couler le tropplein d'émotions. Ça faisait du bien là où ça faisait mal. L’une des personnes qui comptait le plus au monde pour elle était partie il y a bien des années de cela mais le vide et le manque étaient toujours aussi vifs comme si c’était hier. La vie ne lui avait pas demandé son avis, ne l’avait pas préparé à l’idée que sa grand-mère allait partir. Mais est-on vraiment prêt à laisser partir un être qu’on aime ? Non, elle ne le pensait pas. On n’est jamais prêt, on vit juste avec et on a les souvenirs pour nous réchauffer le cœur quand on va trop mal.

Pleurer en public n’était pas son fort, aussi quand elle se laissait aller, il n’y avait que les quatre murs de son studio pour seuls témoins de sa tristesse. Pour elle, pleurer était un signe de faiblesse. Non, elle n’avait pas le droit de pleurer et surtout pas en public. Avec le temps, elle avait appris à protéger son cœur de ce genre de faiblesse.

Heureusement que l’on était dimanche. Pas besoin de se poser de questions, pas besoin de mettre un masque ou de faire semblant que tout allait bien comme elle le faisait parfois au travail. Dès qu’elle franchissait le pas de la porte, elle laissait ses problèmes à l’entrée même si parfois cela n’était pas facile de faire la part des choses, lorsque parfois elle avait des patients « relous » au téléphone qui s’autorisaient ce qu’ils ne s’autoriseraient pas si la secrétaire était face à eux… Comme quoi, au téléphone, tout était permis… Anna ne supportait pas l’impolitesse. Et dire qu’elle ne pouvait pas les remettre à leur place quand ils disaient des choses déplacées parce qu’il fallait rester professionnel. Et dans le monde professionnel, le client ou le patient est roi. Tout métier en rapport avec le téléphone n’était pas si évident que cela. Dire qu’elle ne faisait que de s’occuper du planning des médecins et des transferts d’appel en cas d’urgence. Elle n’osait pas imaginer les commerciaux qui passaient des appels sortants pour proposer des services, payants bien sûr, cela devait être bien pire ! Elle, au moins, elle ne s’occupait que des appels entrants. Mais un jour, elle changerait de voie. Elle se l’était promis. Elle trouverait un métier où il n’y aurait plus d’appels téléphoniques ou très peu.

À vingt-cinq ans, Anna vivait seule dans un studio et travaillait comme télé secrétaire médicale dans une société. En général, dans sa famille, les filles quittaient le nid familial uniquement pour vivre avec leurs conjoints une fois mariées. Et se marier pour Anna, pour le moment, il en était hors de question. Son physique l’empêchait d’avoir la vie normale d’une fille de son âge. Certes, elle avait bien eu des petits amis mais, depuis quelque temps, c’était le calme plat. La jeune fille était trop complexée par son physique et donc être avec quelqu’un n’était pas trop dans sa priorité…

Elle regarda sa montre : presque quatorze heures. En ce dimanche du mois de novembre, il fait moche dehors et le vent soufflait fort. Il n’y avait rien d’autre à faire que de se reposer. Le ménage était fait et il n’y avait rien d’intéressant à la télé. Toujours pareil ! Pourquoi le dimanche, jour où la plupart des gens sont chez eux, il n’y a rien jamais rien d'intéressant ? Et dire qu’elle payait une redevance télé pour avoir des programmes pourris ! Heureusement qu’on était au XXIe siècle et qu’internet existait. Elle n’osait pas imaginer comment l’ancienne génération avait pu se passer d’internet alors que maintenant le web avait pris une énorme place dans la vie de la plupart des gens au point que sans internet, ils se sentiraient perdus. Elle se rappela quand elle devait avoir six ou sept ans, elle jouait à la marelle avec ses amies de l’époque dans la cour de récré ou à "un, deux, trois soleils !", alors qu’aujourd’hui, les enfants étaient scotchés aux smartphones ou aux jeux vidéo…

N’ayant rien à faire, elle alluma son ordinateur portable et se connecta à sa boîte mail. Parmi les e-mails reçus, deux attirèrent son attention, du même destinataire. Son oncle chéri, adoré, préféré, avec qui elle avait grandi et qui, aujourd’hui, avait pris sa retraite au Liban. Son oncle Jean-Pierre. Il était pharmacien et avait sa propre officine. Quand l’heure de la retraite avait sonné, il avait tiré sa révérence pour s’occuper de sa santé et profiter de jours de repos bien mérités. Mais un accro au travail ne lève jamais vraiment le pied. Même à la retraite, il trouvait le moyen d’aider des personnes bénévolement deux fois par semaine et participait à des conférences en rapport avec la médecine ou aux soirées du Lion's Club. Il avait toujours son nez fourré dans le travail. Premier debout le matin, dernier couché le soir. La grasse matinée, il ne connaissait pas, même le dimanche, mais il s’autorisait parfois une sieste devant le journal télévisé du midi. Le pauvre journaliste, s’il savait qu’il jouait un rôle de somnifère au lieu d’éveiller sa curiosité…

Le premier était un mail qu’elle avait l’habitude de recevoir presque tous les jours : une blague qui lui arrachait un sourire aux lèvres avant de commencer sa journée ou le soir après une journée difficile où il est nécessaire de décompresser. Lorsqu’elle ouvrait le mail, une petite phrase apparaissait : « Ceci vous donnera peut-être envie de consulter un médecin… » Et juste en dessous, il y avait l’image de Dr House avec deux blagues. La première avait pour titre : « Ça ne va pas du tout. »

« Docteur, ça ne va pas du tout. Lorsque j’appuie sur mon cœur, ça me fait mal. Quand je tâte mon foie, la douleur est intense et quand je touche mon ventre, ça me fait très mal aussi. Vous avez une idée de ce que j’ai.

— Oui, Monsieur, vous avez le doigt cassé. »

Et la deuxième blague était :

« L’interne de garde aux urgences décroche le téléphone. Au bout du fil, un mari affolé :

— Docteur, elle a mal, elle a des contractions horribles, elle vient de perdre les eaux, elle a mal… très mal… et…

— Calmez-vous, Monsieur, vous…

— Oui, mais elle a vraiment très mal, qu’est-ce que je dois faire ?

— Vous gardez votre calme et vous venez…

— Oui… d’accord… Euh… j’amène ma femme ? »

Elle éclata de rire. Non, Le pauvre ! Qu’est-ce qu’on ne disait pas comme conneries en état de panique ! Cet e-mail lui fit du bien. Décidément, son oncle trouvait toujours des choses amusantes pour la mettre de bonne humeur. Elle ouvrit le deuxième e-mail qu’il lui avait envoyé. Il y avait des pièces jointes qu’elle s’empressa de télécharger. Des photos de lui. Comme elle le lui avait demandé. Le voir en photo, lui fit du bien. Un bien fou ! Elle se rendit compte à quel point il lui manquait. Anna n’était pas très démonstrative, ni très affective. Cela faisait cinq ans qu’elle habitait seule, elle avait certes des amis, une vie sociale, mais elle était assez solitaire et aimait son petit train-train.

La jeune femme resta longtemps à contempler les photos de son oncle chéri qu’elle considérait comme son propre père. D’un autre côté, c’était un peu normal, elle avait vécu avec lui et sa grand-mère depuis l'âge de trois ans et jusqu’à ses vingt ans. Dans la famille, on l’appelait papa Noël, non parce qu’ils croyaient au père Noël mais tout simplement parce qu’il lui ressemblait avec son ventre, sa barbe, ses lunettes et sa générosité. C’était un homme avec le cœur sur la main, toujours prêt à aider.

Anna se remémora le jour où, alors qu’elle devait avoir à peu près neuf ans, ils étaient partis pour la plage par un dimanche ensoleillé, l’oncle Jean-Pierre aux commandes de la voiture, sa mère côté passager, sa femme Alicia et Anna à l’arrière. Il devait être presque midi, il y avait un embouteillage, mais il ne restait plus qu’à faire quelques kilomètres pour en sortir et ensuite, à eux l’odeur de la mer qui se faisait déjà sentir pour leur rappeler que leur destination n’était plus très loin pour passer un agréable dimanche, à profiter du beau temps, du bruit des vagues. Mais ce programme si sympathique s'envola quand son oncle se rendit compte de la cause de l’embouteillage : Un accident à quelques mètres devant eux. Une moto avec ses deux passagers, un couple, avait été renversée par un chauffard qui avait pris la fuite. Les gens, au lieu d’appeler les secours, s’étaient groupés autour à regarder les deux passagers à terre, comme tétanisés.

Jean-Pierre était sorti de la voiture et était accouru près des malheureux. Le conducteur était moins touché que la passagère qui, malgré son casque, saignait énormément. Il ordonna à l’homme le plus proche d’eux et qui les regardait bêtement, de se dépêcher d’appeler les secours car il savait que la vie de la passagère était en jeu… En attendant le SAMU, Jean-Pierre avait déchiré une partie du pantalon abîmé de la passagère et l’avait attaché en guise de garrot à l’endroit où l’hémorragie était abondante en priant pour que les secours arrivent au plus vite… La passagère était immobile, inconsciente, le sang continuait de couler alors même qu’il essayait avec les moyens du bord d’arrêter cette satanée hémorragie. Le pharmacien tâta son pouls, il battait faiblement mais il battait encore. Dieu merci, les secours arrivèrent enfin et prirent les accidentés en charge. Le conducteur avait plus de peur que de mal. Il devait, certes, avoir une fracture au pied mais rien de bien méchant par rapport à sa compagne. Jean-Pierre suivit les secours qui amenaient les malheureux, toutes sirènes hurlantes, à l’hôpital le plus proche.

La journée plage avait été donc annulée bien évidemment mais c’était pour une bonne cause. Ils avaient passé tout l’après-midi à l’hôpital. En début de soirée, n’ayant toujours aucune nouvelle des blessés, Jean-Pierre avait laissé sa carte professionnelle à l’infirmière pour qu’elle puisse l’appeler juste pour lui donner des nouvelles. Ce fut à ce moment-là que le médecin sortit. Sachant que c’était cet inconnu qui leur avait sauvé la vie, il lui fit part de l’état de santé des blessés. Le conducteur avait le pied dans le plâtre, quant à la passagère, ses jours n’étaient plus en danger et elle serait vite sur pied, et tout ça, grâce à son intervention. Jean-Pierre fut soulagé de les savoir hors de danger et remercia le médecin de lui avoir donné des nouvelles. Toutefois, n’étant pas de la famille, il n’avait pas le droit de les voir. Il comprenait. C’était tout à fait normal.

Quelle ne fut pas sa surprise quand il vit débarquer ce couple dans sa pharmacie quelques semaines plus tard ! Le conducteur marchant avec deux béquilles et la passagère boitant légèrement mais avec un bandage à la tête et un présent à la main. Ils étaient venus le remercier du plus profond de leurs cœurs de leur avoir sauvé la vie. Jean-Pierre leur avait simplement dit que c’était tout à fait normal, qu’il n’avait fait que son devoir et le fait d’avoir des connaissances médicales était un plus.

Anna n’oublierait jamais ce jour-là. Son oncle était pour elle le meilleur exemple qu’elle pouvait avoir dans la vie. Il lui avait appris à travailler dur pour gagner sa vie, que la priorité une fois le salaire en poche, c’était d’abord de payer les charges fixes et avec ce qu’il restait, s’il en restait, se faire plaisir. Elle lut le petit message qui accompagnait les photos :

« Ma nièce chérie,

Cela fait un petit moment que je n’ai pas de tes nouvelles, j’espère que tu vas bien et que tout se passe bien pour toi. Moi ça va, j’essaie de me reposer un peu plus car je me suis fait engueuler par mon généraliste de trop travailler mais c’est plus fort que moi. Mais cette fois-ci, promis, je me repose. Je t’envoie les photos de moi que tu m’as demandées dans ton précédent mail. Quand tu auras un moment, fais-moi signe pour que l’on se fasse un Skype. Bisous, Jipé. »

Elle avait presque l’impression d’entendre sa voix en lisant son mail. Elle remarquait combien il lui manquait mais ça, elle ne lui avait pas souvent dit, toujours à cause de cette satanée pudeur… Cinq ans étaient passés sans qu’elle n’ait eu la possibilité d’aller le visiter. Avec cet e-mail qui lui mit du baume au cœur, en regardant ses photos, l’envie d’aller le voir se fit pressante.

Chapitre 2

Anna resta encore quelques minutes à contempler les photos de son oncle. Elle se dit que plus il prenait de l’âge et plus il embellissait. Il ressemblait de plus en plus au père Noël. Elle se souvint même qu’un jour, à l’approche de Noël alors qu’ils faisaient les courses pour les fêtes, une petite fille en le voyant avait dit à sa mère : « Maman, regarde le père Noël, il se balade sans sa tenue ! »

Jean-Pierre avait rigolé et s’était approché de la petite fille qui devait avoir cinq ans, pour lui dire que ce n’était pas lui, mais elle avait pris peur et s’était cachée derrière sa mère. Il n’avait pas insisté et avait continué son chemin alors qu’elle continuait à le regarder jusqu’à ce qu’il disparaisse de sa vue…

Ah ! L’enfance, l’insouciance ! Qu’il était loin, ce temps-là ! Les seuls problèmes qu’on avait, c’était de faire ses devoirs, apprendre ses leçons et penser aux vacances… Et dire qu’elle avait été pressée de devenir adulte… Alors que maintenant c’était une tout autre histoire… Le problème qu’elle avait maintenant en tant qu’adulte était de se lever le matin, d’être coincée dans les transports en commun comme dans une boîte de sardines le matin pour aller travailler. À croire que toute l’Ile-de-France travaillait à la même heure tant le RER était bondé ! On avait l’impression qu’il y a de moins en moins de trains aux heures de pointe, comme par hasard, alors que la RATP demandait de valider les titres de transport justement pour voir l’affluence afin de mettre plus de trains : tu parles, que du blabla, bien sûr ! Ensuite une fois arrivée, il lui fallait répondre aux besoins des patients par téléphone pour donner des rendez-vous plus ou moins urgents ; ils étaient parfois désagréables quand elle disait qu’il n’y avait plus de place, même pas une toute petite. Cela arrivait surtout les vendredis et les lundis ou à la veille d’un pont. Et comme par magie, c’était le calme total pendant les vacances scolaires, à croire que les gens ne sont pas malades durant cette période ! Hum, il faudrait qu’elle se renseigne un jour auprès d’un médecin pour connaître les raisons d’une telle différence entre ces périodes.

Anna devait faire des heures supplémentaires pour pouvoir joindre les deux bouts car son SMIC à lui seul ne suffisait pas à payer ses frais fixes. N’ayant pas eu la chance d’avoir un logement social, elle louait un studio de 25 m2 meublé pour un loyer de 650 € par mois et elle ne comprenait pas pourquoi plus l’immeuble était vieillissant, plus le loyer augmentait chaque année ! Comble de l’histoire, étant célibataire sans enfant, elle devait payer une taxe d’habitation et des impôts sur le revenu. Voilà, rien que ça, des problèmes d’adulte… !

Elle répondit au mail de son oncle rapidement, lui disant qu’elle allait bien, qu’elle ne lui avait pas beaucoup donné de ses nouvelles dernièrement parce qu’elle avait fait pas mal d’heures supplémentaires et lui demanda de prendre bien soin de lui et de se reposer au maximum, lui rappelant que la retraite était faite justement pour ça ! Elle lui précisa également qu’elle avait été heureuse de le voir en photo et espérait le voir bientôt en vrai. Pour finir, elle l’embrassait et promettait de lui donner plus souvent des nouvelles.

En fermant sa boîte mail, la jeune femme se rendit compte qu’elle avait un coup de blues, sa famille lui manquait, son oncle surtout lui manquait. Autant elle avait été contente de le voir en photo, autant elle était à présent frustrée de ne pas le voir en vrai.

Cela devait être bien quand même d’avoir sa famille à côté et de pouvoir les voir facilement, se dit-elle. C’est toujours plus simple de prendre un week-end pour les voir quand ils sont dans le même pays qu’à des heures d’avion où il faut planifier des congés, faire tout un programme, etc. Pour se changer les idées, elle alla sur un site pour dialoguer. Parler à des inconnus lui ferait oublier son chagrin de tout à l’heure. Parler de tout et de rien. De la pluie et du beau temps, même si dehors, en regardant par la fenêtre, c’était plus la pluie que le temps proposait.

Comme pseudo que le site lui demandait, elle indiqua "Été94" et pour tout commentaire : "un dialogue n’engage à rien, il sert juste à passer le temps." Anna valida son profil et, très vite, commença à recevoir plusieurs messages en attente. Elle fit le tri. Exit les hommes mariés qui dans leur annonce étaient extrêmement clairs : demande de rencontre extraconjugale. Non, très peu pour elle !

D'ailleurs, pour le moment, elle ne recherchait de rencontre. Elle voulait juste papoter pour oublier sa tristesse. 1 m 60 pour 120 kg, elle ne s’assumait pas du tout. Le regard des autres lui fait comprendre qu’elle n’était pas normale. Qu’elle était différente. Tout se lit dans les yeux. Pas besoin de parler, parfois la parole est inutile, le regard à lui seul est un langage qui sait se faire comprendre. Un jour sur un forum elle avait lu un commentaire sur un groupe de personnes en surpoids et mal dans leur peau : « Les gens préfèrent avoir une maladie qui ne se voit pas que d’être en surpoids. Car être gros, ça se voit et comme ça se voit, ça ne passe pas. » Cette même personne disait : « Un jour d’été où il faisait très chaud et la chaleur était insupportable, je me suis offert une glace. Je la dégustais tranquillement en flânant quand j’ai entendu un passant dire : “il n’a même pas honte de manger une glace alors qu’il est gros !"

Quand elle avait lu cette phrase, la jeune femme avait senti la colère monter en elle. C’était de la méchanceté gratuite pure et simple. Si Anna avait été cette personne, certainement qu’elle lui aurait répondu vertement. Non pas qu’elle soit bagarreuse mais il ne fallait pas la chercher non plus. Elle n’avait pas su s’il lui avait foutu une raclée ou l’avait remis à sa place, rien n’a été dit là-dessus.

Pour Anna, son poids ne l’empêchait pas de faire du sport comme la marche rapide ou le tennis, bien au contraire. Elle s’éclatait sur un court de tennis à faire des échanges, des smashs. Son point fort était le coup droit. Elle avait un bon revers qu’elle faisait d’une main ; quand elle s’y préparait bien, elle pouvait placer la balle en fond de terrain à un millimètre de la ligne. Plus jeune, elle jouait avec son professeur de tennis, Maurice, au moins trois fois par semaine et faisait des stages pendant les vacances où il y avait des compétitions interclubs. Le bon vieux temps…

Elle avait arrêté le tennis depuis un moment maintenant par manque de temps et surtout par manque de moyens financiers. Car le tennis était un sport assez cher. Quand elle le pouvait, elle regardait le tournoi de Roland Garros à la télé. Elle aurait tant aimé assister à un match un jour. Anna avait grandi en regardant les sœurs Williams, Marie Pierce ou encore Martina Hingis, mais aujourd’hui adulte, avec ses obligations, pas évident de regarder les matchs comme avant…

Souvent elle jetait un œil sur le forum des personnes en surpoids, c’est ainsi qu’elle avait eu connaissance de l’opération appelée « anneau gastrique ». Elle s’y intéressa de près sans vraiment franchir le pas et prendre rendez-vous avec un spécialiste. Mais cette idée commençait à faire son chemin dans sa tête tout doucement.

Pour l'heure, un pseudo sur le site attira son attention.

Vivelesud : Mon petit doigt me dit que tu attends l’été avec impatience !

Été94 : Mais c’est tout à fait ça !

Elle appuya sur la touche « envoyer » et attendit avec impatience la réponse qui ne tarda pas à arriver.

Vivelesud : Ah ! J’avais raison. Sourire. Je m’appelle

Florent de Nice mais tu peux m’appeler Flo.

Été94 : Enchantée, moi c’est Anna de Saint-Maur.

Vivelesud : Ah ! Je comprends mieux ton manque de soleil, il ne doit pas faire très beau en ce moment…

Été94 : C’est tout à fait ça. Pour être franche, il pleut à verse en ce moment, donc pas trop envie de sortir.

Vivelesud : Tu m’étonnes ! Le temps est plus clément ici.

Été94 : La chance, profite bien ! Profite bien pour nous qui sommes au nord…

Vivelesud : Que fais-tu par ici ? Sur le site, je veux dire. Tu dois être inondée de messages…

Été94 : Oui mais bon, je fais le tri entre les rigolos et les neuneus LOL. Et toi ?

Vivelesud : Je papote tout simplement, je passe le temps.

Été94 : Pareil pour moi.

Vivelesud : Oui, j’ai lu ta description. Et comme tu le dis si bien, papoter n’engage à rien, qu’à passer le temps ! Sinon tu fais quoi dans la vie ?

Été94 : Je m’occupe des plannings de médecins toutes spécialités confondues à distance, par téléphone.

Vivelesud : Ça va, pas trop galère, les gens au téléphone ? Je sais que parfois ils sont casse-tête pour parler poliment.

Été94 : Oh ! Si, parfois ils le sont comme tu dis ! Surtout, j’aime bien quand ils disent avec une petite voix à vous donner des remords : vous n’avez même pas une toute petite place pour moi ?

Vivelesud : Ah ! Oui je vois le genre, alors que tu ne fais qu’appliquer les consignes.

Été94 : Exact. Et toi, que fais-tu dans la vie ?

Vivelesud : Je m’occupe de la maintenance des machines dans une imprimerie, ça va, moins galère que le tien, LOL.

Été94: Tu m’étonnes ! Et cela fait longtemps que tu fais ce métier ?

Vivelesud : Quinze ans et toi ?

Été94 : Ah ! Quand même !

Vivelesud : Je ne sais pas si tu as fait attention à ma description, j’ai 40 ans. »

Quarante ans ! Non, elle n’avait pas fait attention à sa description. Elle alla y jeter un œil. Il jouait franc jeu dès le départ. Elle reçut un autre message de lui sans même lui avoir laissé le temps de répondre au précédent.

Vivelesud : Plus de message ?

Elle se rendit compte que cela faisait un petit moment qu’elle ne lui avait pas écrit et qu’il devait se demander si son âge avait mis un frein à leur échange. Pourquoi devrait-elle arrêter de lui parler juste parce qu’il a quinze ans de plus qu’elle ? C’est comme si lui arrêtait de lui parler juste parce qu’elle est en surpoids. Non, ce ne serait pas sympa. Elle n’aimait pas qu’on la discrimine à cause de son physique, il n’y avait pas de raison qu’elle fasse à autrui ce qu’elle ne voulait pas que l’on lui fasse, même si cela n’était pas pour les mêmes raisons.

Été94 : Désolée du retard de ma réponse, je lisais ta description. Moi j’ai 25 ans, cela ne te pose pas de problème ?

Vivelesud : LOL, c’est plus à moi de te poser cette question !

Été94 : Moi non, pas du tout, sinon je te le dirais.

Vivelesud : Idem pour moi. Cela te dit de s’échanger nos MSN pour mieux papoter. Le site de dialogue n’est pas terrible et puis je ne vais pas tarder à me déconnecter. Je dois sortir voir des amis. Si cela ne te dérange pas, on pourra se parler ce soir.

Été94 : Oui avec plaisir. Mon MSN : Annanna et mon mail :[email protected] toi ?

Vivelesud : C’est noté. Mon MSN : FLO et mon mail :[email protected]

Été94 : C’est noté pour moi aussi, je viens de t’envoyer une invitation. Tu me fais signe quand tu seras dispo. Passe un bon après-midi.

Vivelesud : Merci, toi aussi.

Anna se déconnecta presque en même temps que ce Florent avec qui elle venait de tchatcher. Il a l’air sympa et semblait aimer l'humour. Finalement, il n’y a pas que des cons sur le site… même si elle ne recherchait pas une rencontre à proprement parler.

Chapitre 3

Anna resta quelques minutes à fixer l’écran de son ordinateur, le regard dans le vide, la tête ailleurs. Elle repensait à la conversation qu’elle avait eue quelques minutes plutôt. Simple et pourtant sympathique. Et cela lui avait fait du bien de se changer un peu les idées. Elle en avait bien besoin après le coup de blues qu’elle a eu plus tôt dans la journée et dont, bien sûr, elle n’avait pas parlé à son oncle. De toute façon, à quoi bon lui dire que sa grand-mère lui manquait ? Il avait assez de ses propres problèmes de santé, pas la peine de lui rajouter ses soucis par-dessus le marché !

Elle regarda l’heure et fut surprise de voir que c’était déjà le milieu de l’après-midi. Elle n’avait vraiment pas vu le temps passer… Un sourire apparut sur ses lèvres. Allez ! Encore quelques minutes sur internet. Mais cette fois pour faire des recherches un peu plus approfondies. Dans le moteur de recherche de Google, elle tapa : anneau gastrique. Elle avait pris rendez-vous avec une diététicienne, il y avait deux semaines de cela pour un rendez-vous prévu le lendemain. Elle voulait se donner une dernière chance de perdre du poids en faisant un régime approprié avant de se lancer dans l’aventure de l’opération. Mais cela ne l’empêchait pas de consulter par curiosité et d’approfondir ses connaissances sur cette fameuse opération au cas où… Elle cliqua sur "images" et vit des dessins de l’estomac entier séparé en trois parties : la première partie appelée petite poche dont le volume est d’environ 15 cm3 ; en deuxième partie, l’anneau gastrique avec le boîtier souscutané ; et en dernière partie, l’estomac. Elle cliqua sur l’une les images pour les agrandir et fut redirigée vers le site internet pour plus d’informations. Elle put y lire :

« L’anneau gastrique consiste à mettre un anneau en silicone, dont le calibre est modifiable facilement, autour de la partie supérieure de l’estomac. L’estomac est une poche située entre l’œsophage et l’intestin grêle d’environ 1 litre. La gastroplastie va séparer votre estomac en deux poches (voir schéma) : une poche supérieure de 15 à 25 cm3 (3 à 4 cuillères à soupe) et une poche inférieure. Votre estomac est transformé en un véritable sablier, les aliments vont passer lentement à travers l’anneau gastrique. Lorsque vous avalez une petite quantité de nourriture, bien mâchée, celle-ci va descendre dans la poche supérieure, située au-dessus de l’anneau gastrique. Cette poche va un peu se dilater, ce qui va stimuler le centre de la satiété situé au niveau du cerveau. Après avoir ingéré lentement une faible quantité, vous n’aurez plus faim. L’anneau gastrique peut être resserré ou desserré grâce à un petit boîtier situé sous la peau (en général au niveau de l’abdomen, quelques centimètres sous les côtes de gauche). Ce boîtier est relié à l’anneau gastrique par un petit tuyau.

Après une anesthésie locale de la peau par patch, quelques centimètres cubes de liquide peuvent être injectés dans le boîtier, ce qui va gonfler l’anneau gastrique et diminuer son calibre, les aliments passeront alors plus lentement. Cela diminue le volume de l’estomac et ralentit le passage des aliments, cela n’entraîne aucune modification de la digestion des aliments. »

Curieuse, elle regarda encore quelques minutes le schéma de l’estomac qui se trouve en haut à droite des explications données. Les explications avaient l’air bien détaillées, simples et précises pour le commun des mortels sans connaissances médicales approfondies… Les mots « avantages » et « inconvénients » attirèrent son attention. « La gastroplastie est une intervention relativement simple, avec une hospitalisation de 1 ou 2 jours en moyenne. Elle peut être réalisée en hospitalisation de jour. La gastroplastie entraîne une perte de poids de 2 à 4 kg par mois. Le maximum de perte de poids est obtenu les deux premières années. Elle est plutôt conseillée pour des indices de masse corporelle inférieurs à 45. D’après les données scientifiques, la gastroplastie fait perdre – en moyenne – 10 à 20 % de l’excès de poids en deux ans.

La dénutrition et les carences vitaminiques sont très rares. Aucune supplémentation orale n’est nécessaire. Un bilan biologique après une perte de poids de 25 à 30 kg est réalisé. Il montre quelquefois des petits déficits vitaminiques qui sont facilement compensés par voie orale. Cette méthode est totalement réversible. L’anneau peut être facilement desserré, il peut être retiré au prix d’une nouvelle cœlioscopie. Les grignotages et l’ingestion de sodas ou de glaces représentent le principal facteur d’échec de la méthode. Ils doivent être totalement proscrits, sinon, vous maigrirez peu ou pas. Le confort alimentaire est diminué. Si vous mangez trop, trop vite, de trop gros morceaux, vous vomirez. Les habitudes alimentaires doivent être totalement modifiées : 3 repas et éventuellement 2 collations. Un suivi régulier par une équipe multidisciplinaire est obligatoire. Le calibre de l’anneau doit être modifié, habituellement deux fois la première année. Un contrôle par radiologie du bon fonctionnement de l’anneau est nécessaire – au moins – une fois par an. »

Plus elle lisait les informations sur cette opération et plus cela lui donnait envie de franchir le pas. Mais elle avait peur. Peur de la façon dont cela allait se passer en réalité, peur que cela ne marche pas, peur d’avoir un refus de la Sécurité sociale, ou même peur de ne jamais se réveiller… Et puis, elle avait lu qu’il y avait deux à trois semaines d’arrêt maladie et elle ne pouvait pas se le permettre. Déjà que son salaire à temps plein suffisait à peine à payer ses factures, perdre encore 30 % était inimaginable. Elle n’avait pas vraiment d’économies pour piocher dedans en cas de coup dur et demander à son oncle était hors de question.

La jeune femme lut les commentaires des gens qui avaient franchi le pas, regarda leurs photos d’avant et d’après. Oui, il existait bien une opération miracle pour perdre tous ces kilos qui lui bouffaient la vie et l’empêchaient d’être heureuse. Si elle n’avait pas lu autant d’articles sur le sujet, elle aurait dit que les photos avaient été truquées sur Photoshop. Mais non, c’est bien réel. Cette opération donnait la chance aux personnes comme elle d’avoir une vie normale, d’être monsieur ou madame toutle-monde, tout simplement. En même temps, qui avait dit qu’avoir des rondeurs ou être en surpoids voulait dire que l’on n’était pas normal ? Et puis, c’est quoi « normal » ? Qui avait déterminé la norme dans ce bas monde ? Qui avait dit qu’il faut être ainsi ou ne pas être comme ça pour être dans le moule ? Les publicités à la télé, pour la plupart, parlent de régime, de sport, de calories, de fruits et légumes. À croire que les gens focalisent sur le poids, qu’il suffit d’être mince pour être heureux. Et que toute personne en surpoids était systématiquement malheureuse.

Anna pensait au regard des autres, au fait de ne pas pouvoir s’habiller comme elle le souhaitait, d'exercer un métier au téléphone afin de cacher son physique derrière sa voix. Mais, à y penser, qui avait déjà vu une personne avec des rondeurs travailler au-devant de la scène, c’est-à-dire comme serveur, caissier, vendeur ? Elle n’en avait pas vu souvent… Cela lui donnait envie de faire cette opération miracle…

Bien sûr, ceux qui ne la connaissaient pas, penseraient que c’était la solution pour les fainéants, qu’il suffisait de faire un régime strict et plusieurs heures de sport pour perdre ces kilos en trop… Oh ! Comme les gens aimaient critiquer la vie des autres sans même les connaître !

Chapitre 4

Anna mit son ordinateur en veille le temps qu’il termine de charger et se leva, les yeux commençant à fatiguer à force d’être devant l’écran. Déjà vingt heures passées. Allez ! Un bon repos bien mérité avant d’attaquer le travail demain matin à huit heures. Mais bon, heureusement que le lendemain elle terminera plus tôt, une demande exceptionnelle acceptée par son employeur.

Elle espérait de tout cœur que ses rendez-vous avec la diététicienne puissent aboutir enfin à un résultat positif et ainsi lui éviter l’opération miracle. Cela ne coûtait pas très cher, enfin si soixante euros quand même, mais ce sacrifice financier en valait la peine même si elle savait que la perte de poids serait plus longue par le biais du régime, et que financièrement, elle allait devoir augmenter le budget alimentaire afin de manger plus équilibré…

La jeune femme alluma la télé en passant à table : des pâtes au jambon pour changer du steak haché. Le journal était déjà terminé et avait cédé sa place à un documentaire sur les cadeaux de Noël à offrir, les jouets qui cartonnaient cette année, fin novembre c'était normal. Ils allaient tout faire pour pousser à la consommation encore et toujours. C’était malheureux de voir que le sens de Noël avait perdu sa valeur et qu’il devenait de plus en plus commercial. Aujourd’hui, Noël c’était manger du saumon, du foie gras, acheter des cadeaux pour offrir et faire plaisir à son entourage, sa famille, ses parents, ses enfants… Si l’on demandait à un enfant ce que représentait Noël pour lui, ce serait l’homme barbu habillé en rouge et blanc qui descend par la cheminée pour lui déposer les cadeaux qu’il avait commandés au pied du sapin… Quel gâchis ! Noël ne se résumait pas qu’à cela, pensait Anna… Enfin, cette fête avait l'avantage d’illuminer les rues tristounettes de Paris le soir. Toutes ces décorations, ces lumières avaient toujours pour effet de mettre de la magie dans les yeux des gens.

Un léger bip venant de son ordinateur la fit sortir de ses réflexions sur Noël. Elle se leva et alla s’asseoir sur le siège qu’elle avait quitté quelques minutes plus tôt se demandant qui pouvait bien lui envoyer un message à cette heure-ci, sachant qu’elle avait déjà parlé avec sa tante, son oncle et avait vu ses cousines la veille. C’était un message sur MSN. Elle prit conscience qu’elle avait oublié de se déconnecter. À sa surprise, un message de Florent. Elle l’avait presque oublié ; pour elle, cela avait été juste une conversation.

— Coucou Anna, tu es là ?

— Salut Florent.

— Ça va, je ne te dérange pas ?

— Non, du tout, je regardais la télé. Et toi ?

— Je viens de rentrer.

— Ah ! Cool ! Cela s’est bien passé ?

— Oui, je n’ai pas vu le temps passer.

— Tant mieux alors !

— Prête pour le boulot demain ?

— Pas trop mais bon, quand il faut bosser, il faut bosser, Lol...

— C’est sûr, parfois, quand je ne suis pas motivé, je me dis qu’il faudrait qu’on travaille deux jours par semaine et cinq jours pour récupérer !

— MDR ! Ce n’est pas interdit de rêver… Tu commences à quelle heure ?

— 8 heures, et toi ?

— Je suis d'après-midi : 13 heures-21 heures.

— Ah ! Oui quand même !

— Dans l’imprimerie, les machines ne connaissent pas les horaires de bureau.

— Effectivement…

— On travaille en horaires décalés.

— Tes horaires changent tous les jours ?

— Non, parfois je suis du matin une semaine sur deux.

Sinon parle-moi de toi.

— Que veux-tu savoir ?

— Ce que tu veux bien me dire.

— Eh bien… J’aime la musique, la lecture, le cinéma. Et toi ?

— Pareil mais à cela je rajoute la randonnée, me balader, le basket et courir. J’aime bien courir tôt le matin, surtout au printemps ou en automne, c’est agréable. »

En lisant cela, Anna se figea. Oh ! Là là, l’homme accro au sport qui doit être du style taille mannequin et exiger que sa compagne soit aussi mince que lui ! « Allez ! Anna, ressaisis-toi, vous ne faites que papoter, ce n’est pas un entretien d’embauche comme hôtesse de l’air où il te demanderait tes mensurations. » La jeune femme respira un bon coup et continua la conversation l’air de rien.

— Oui, ça doit être cool le matin, il n’y a pas encore trop de circulation.

— C’est sûr. Et toi, tu n’aimes pas le sport ? »

« Ça y est, on y arrive, dans pas longtemps, il va certainement me demander de me décrire… »

— Si, moi j’aime le tennis, la marche rapide et la natation.

— Ah ! Cool ! J’en faisais avant, du tennis, mais je n’ai pas trop accroché. Et pourtant j’ai même essayé de regarder les matchs. Laisse tomber ! À la fin, tu as mal au cou à force d’avoir tourné la tête de gauche à droite pour suivre la direction de la balle.

— MDR ! J’avoue mais c’est le kif, dit-elle en souriant.

— Et quel est ton genre de films ?

— J'aime les films américains, et plus les comédies et les thrillers. Et toi ?

— Pareil mais rajoute la science-fiction.

— Tu as regardé quel film dernièrement ?

— Dernièrement, j’ai vu "A History of Violence".

— Ah ! Je ne l’ai pas vu mais, à vrai dire, ces derniers temps je n’ai pas eu l’occasion d’aller au cinéma. Il est bien ?

— Oui, j’ai bien aimé. Tu devrais le voir si tu as le temps. Il

est sorti début novembre, je pense qu’il doit être encore à l’affiche.

— On est le 27… Je vais voir sur le site plus tard, en tout cas, merci du conseil.

— Pas de souci. Tu me diras.

— Ça marche…

— Non pas que je m’ennuie avec toi mais il est presque vingt-trois heures, je vais te laisser te reposer pour que tu puisses te réveiller à l’heure demain. Il ne faut pas, qu’à cause de moi, tu sois en retard !

— LOL, t’inquiète. Passe une bonne fin de soirée et je te dis bon courage pour demain.

— Merci, à toi aussi. S’il n’est pas trop tard demain soir je t’enverrai un message via MSN.

— Ça marche. Bonne nuit.

— Bonne nuit. »

Elle déconnecta son ordinateur portable de MSN, le débrancha avant de l’éteindre et vaqua à ses occupations. Elle commence à apprécier Florent. Il est sympa et avait de la conversation. C’est un bon début… Mais bon, ce qui la chiffonnait un peu, c’est sa passion pour le sport. Non pas qu’elle n’aimait pas le sport, mais à l’entendre parler, il avait l’air d’être quand même accro, ce qui voulait dire qu’il devait certainement faire attention à ce qu’il mangeait, contrôler son alimentation, se focaliser sur son physique et certainement aussi sur celui de sa copine s’il en a une. En tout cas, cela ne devait pas être le style d’homme à sortir avec une femme comme elle… Il fallait bien se rendre à l’évidence pour éviter les dégâts. Car une fois que les dégâts sinon la blessure ne serait que plus douloureuse… « Arrête de trop cogiter Anna et profite de l’instant présent tout simplement. » se dit-elle.

Oui, là, il fallait parfois vivre tout simplement… Elle se détendit et pensa à demain : cela allait être long… Avant même que la journée du lendemain ne commence, elle aurait voulu qu'elle se termine. Elle appréhendait le rendez-vous chez la diététicienne à un peu avant dix-sept heures et était pressée de savoir ce qu’elle allait lui dire et le programme qu’elle allait lui donner pour essayer de changer son alimentation et, qui sait, peut-être que cette fois-ci le régime marcherait ? Elle espérait beaucoup de ce rendez-vous… Elle zappa un peu encore sur les chaînes avant de se résigner à éteindre la télé et se plonger dans les bras de Morphée.

Chapitre 5

— Bonjour Anna, entendit-elle à peine arrivée à son poste.

— Oh ! Salut Nathalie, tu es arrivée tôt dis donc ! dit-elle en consultant sa montre.

Il est à peine huit heures et Nathalie était déjà là alors qu’elle s'occupait de la gestion des relations humaines plutôt que la gestion de l’organisation du centre d’appels.

— Oui, j’ai du travail en retard à rattraper.

— Je comprends. Sinon, ça a été le week-end ?

— Oui tranquillement, j’ai profité du samedi avec ma fille et dimanche repos pour une fois, pour être au taquet !

— Mais tu es toujours au taquet quand il s’agit de travailler !

— Et toi, ça a été ?

— Oui nickel, un peu comme toi, samedi famille, dimanche repos. Au fait, tu sais qu’aujourd’hui je pars un peu plus tôt ?

— Oui, oui, à seize heures, c’est ça ?

— Oui.

— Pas de souci, t’inquiète. Bon, je te laisse. Bonne journée.

— Merci ! Bonne journée à toi aussi.

— Et bon courage, le lundi, ce n’est jamais facile…

— Oui merci, dit Anna en souriant.

Effectivement le lundi, cela n’est jamais facile. Elle se connecta à huit heures pile après avoir mis son casque de travail. À peine était-elle connectée au serveur que le téléphone sonna. Les gens étaient vraiment au taquet, à croire qu’ils ne dormaient pas la nuit du dimanche juste pour être parmi les premiers dans la file d’attente ! Anna détestait quand les gens appellent pile à l’heure. Jamais elle n’appelait un service client dès la première minute car elle savait qu’il fallait laisser le temps à la personne de se connecter. D’ici que l’informatique décide de faire des siennes, d’autant plus après un week-end !

— Secrétariat du Dr Renaud, bonjour.

— Oui bonjour madame, je voudrais un rendez-vous, s’il vous plaît.

— Très bien, vous souhaitez plutôt le matin ou l’aprèsmidi ?

— Ça m’est égal, le plus rapidement possible, s’il vous plaît.

Quand ça commence comme ça, ce n’est pas bon signe… se dit-elle. En langage patient, cela voulait dire aujourd’hui, maintenant, à la minute qui suit. Et quand elle ne leur proposait pas ce qu'ils souhaitaient, elle se faisait rabrouer du style « ne me prends pas pour un imbécile, je sais qu’il y a de la place… »

— Un instant s’il vous plaît, je consulte le planning, lança Anna.

Elle fit attendre la patiente au bout du fil avec la musique d’attente pendant quelques secondes avant de la reprendre.

— Merci d’avoir patienté, le premier rendez-vous de disponible madame sera demain à onze heures.

— Pas plus tôt ?

— Non Madame, je n’ai pas plus tôt.

Elle l’entendit souffler au bout de la ligne comme si le fait de montrer son exaspération changera quelque chose à la situation… Anna regarda le compteur en attendant que la patiente se décide et fit les yeux ronds. Déjà vingt appels en attente et ils n'étaient que trois pour le moment à répondre. Cela promettait le non-stop jusqu'au moins l’heure du déjeuner vu comment c’était parti !

« Allez, décide-toi ! » souhaita Anna intérieurement.

— Sinon le prochain après celui-là, c’est quand ? demande la patiente.

« Non mais elle est sérieuse, là ! Elle demande le plus tôt et maintenant elle veut un rendez-vous plus loin, elle se fiche de moi ou quoi ? » Anna regarde de nouveau le planning avant de répondre :

— Le prochain après celui-ci, c’est le vendredi 2 décembre à 15 heures.

— Ah ! Oui, quand même !

— Oui, le planning du pédiatre est chargé cette semaine.

— Bon, ce n’est pas grave, j’attendrai demain pour qu’il lui

fasse son contrôle, lâche-t-elle finalement.

— Très bien, Madame, le rendez-vous est à quel nom, s’il

vous plaît.

Après avoir raccroché, Anna mit une petite note d’information dans le dossier pour le transmettre au pédiatre avant la consultation. Non mais, quand même, bloquer la ligne dès la première heure un lundi matin pour un rendezvous qui n’était même pas urgent, un contrôle de routine, et chipoter quand on lui proposait le lendemain alors que ce n’est pas évident d’avoir un créneau pédiatrique de dernière minute, sauf bien sûr en cas d’extrême urgence, il fallait le faire ! Anna ne comprenait pas pourquoi les gens faisaient tout au dernier moment. C’était comme juste avant la rentrée scolaire en septembre, la plupart appelait la veille pour demander un rendez-vous en urgence le lendemain et, en plus, après les heures d’école, c’est-à-dire entre 16 h 45 et 18 heures pour avoir un certificat médical pour le sport. Et là, bonjour la galère pour trouver des places disponibles !

Elle jeta à un nouveau coup d’œil au compteur, toujours vingt appels en attente mais la durée du temps d’attente avait augmenté. Elle avait hâte qu’il soit neuf heures pour que les autres collègues prennent leur service. À plusieurs, c'était quand même plus gérable.

Anna n’avait pas vu la matinée passer, le téléphone n’ayant pas arrêté de sonner à tel point que prendre sa pause de quinze minutes du matin, à laquelle elle a droit comme tout salarié, avait été un peu plus compliqué que d’habitude. Pourtant on n’était pas à la veille des vacances scolaires, encore moins à la veille d’un pont… Mais bon, en regardant le bon côté, cela l’avait empêché de trop penser à son rendez-vous qui approchait à grands pas au fur et à mesure que les heures passaient.

— Ah ! Là là, quelle matinée ! s’exclama Emma qui venait d’entrer dans la salle de pause.

— Carrément, ils étaient déchaînés ce matin ! lança Anna en souriant.

— Enfin, je suis bien contente d’être à la moitié de la journée, l’après-midi va vite passer… Enfin, je l’espère.

— Je l’espère aussi, la semaine commence sur les chapeaux de roues !

— Ça va être pire les deux dernières semaines de décembre, surtout les 24 et 31.

— Oui mais heureusement on finira plus tôt ces jours-là. Je crois que c’est 17 heures au lieu de 20 heures, c’est ça ?

— Oui, confirma Emma en mettant son plat à réchauffer au micro-ondes.

— Et sinon, comment va le petit ?

— Oh ! Lui ? Il pète la forme. Samedi, il m’a donné une liste longue de deux pages recto verso pour les cadeaux que le père Noël doit lui offrir !

Anna rigola à cette idée. Deux pages recto verso quand même !

— Bah, tu sais ce qu’il te reste à faire, dit Anna.

— Hein ! Quoi ! Je lui ai dit que ce n’est pas possible que le père Noël ne pouvait pas lui apporter tout cela car il n’aura plus de place sur son traîneau pour les autres enfants et qu’il devra faire le tri et n’en choisir que quatre au total !

— Pas bête, l’explication ! Il a accepté ?

— Il a grogné un peu mais il a fini par capituler. De toute façon, je lui ai dit que c’était ça ou pas de cadeau du tout car à bien réfléchir il n’a pas été très sage cette année…

— Le pauvre, ce n’est pas cool, dit Anna en imaginant le petit faire la moue.

— Attends, je pense à mon porte-monnaie aussi !

— Oui, les cadeaux ne sont pas donnés de nos jours et avec le salaire qu’on gagne…