Le renvoi préjudiciel - Jacques Pertek - E-Book

Le renvoi préjudiciel E-Book

Jacques Pertek

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Beschreibung

Les grands arrêts de la Cour de justice sont, dans leur grande majorité, des arrêts rendus sur renvoi préjudiciel d’une juridiction d’un État membre de l’Union européenne. Chaque année désormais, la Cour de justice rend environ 400 décisions préjudicielles. Le mécanisme du renvoi préjudiciel est l’instrument d’une coopération entre les juridictions des vingt-sept États membres et la Cour de justice. Cette coopération repose sur un dialogue entre les juges généralistes du droit de l’Union, que sont tous les juges nationaux, et la Cour, qui est le juge spécialiste de ce droit.
C’est aux parties et à leurs avocats qu’il revient d’appeler l’attention de la juridiction nationale sur :
- la présence d’éléments de droit de l’Union conditionnant la solution du litige pendant devant elle ;
- les difficultés que peut soulever soit l’interprétation des traités régissant l’Union européenne ou des actes des institutions, soit l’appréciation de la validité de ces actes ;
- et sur la possibilité ou la nécessité de présenter une demande de décision préjudicielle pour établir l’interprétation authentique de ce droit commun ou pour statuer sur la validité des actes de droit dérivé.
La maîtrise du fonctionnement du mécanisme préjudiciel nécessite une bonne connaissance des rôles des différents acteurs qui doivent ou peuvent prendre part à la coopération juridictionnelle qu’il permet et de la procédure qui le régit, ainsi que des arrêts de la Cour ayant précisé les règles qui lui sont applicables.
La seconde édition de cet ouvrage sous le titre initial de « Coopération entre juges nationaux et Cour de justice de l’UE. Le renvoi préjudiciel » s’efforce d’identifier les interrogations que peut rencontrer l’avocat ou le juge national relativement à l’usage du renvoi préjudiciel, en s’essayant à systématiser et à expliciter l’état du droit en la matière.
Ceci guide les choix sur lesquels il repose :
- au-delà des éléments de base, sont présentées successivement les deux branches du mécanisme, le renvoi en interprétation et le renvoi en appréciation de validité ;
- un chapitre substantiel est dévolu à l’action que peuvent mener les avocats dans le déclenchement et le déroulement de la procédure préjudicielle, et aux choix qu’ils ont à opérer à différents moments ;
- le juge national auquel a été présentée une suggestion de renvoi ou qui l’opère de son propre mouvement peut y trouver des indications précises quant aux initiatives qu’il peut ou qu’il doit prendre ;
- sont reproduites en annexe les dispositions intégrales ou essentielles de l’encadrement normatif du renvoi préjudiciel et les règles pratiques qui l’organisent ; y figurent notamment les éléments pertinents du règlement de procédure de la Cour de justice et la version la plus récente des recommandations à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction des procédures préjudicielles.

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COLLECTION DE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNESÉRIE MONOGRAPHIES

Directeur de la collection : Fabrice Picod

Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean

Monnet, directeur du Centre de droit européen et du master « Droit et contentieux de l’Union européenne »

La collection Droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.

Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels, traités et monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité.

Parus précédemment dans la série « Monographies » de la collection de droit de l’Union européenne :

1. L’Espagne, les autonomies et l’Europe. Essai sur l’invention de nouveaux modes d’organisations territoriales et de gouvernance, sous la direction de Christine Delfour, 2009.

2. Émile Noël, premier secrétaire général de la Commission européenne, Gérard Bossuat, 2011.

3. Le renvoi préjudiciel. Droit, liberté ou obligation de coopération des juridictions nationales avec la CJUE, Jacques Pertek, 2021.

4. Religion et ordre juridique de l’Union européenne, Ronan McCrea, 2013.

5. L’action normative de l’Union européenne, Laetitia Guillard-Colliat, 2014.

6. L’obligation de renvoi préjudiciel à la Cour de justice : une obligation sanctionnée ?, sous la direction de Laurent Coutron, 2014.

7. Le nouveau règlement Bruxelles I bis. Règlement no 2015/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, sous la direction d’Emmanuel Guinchard, 2014.

8. Droit européen de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, 2e édition, Francis Haumont, 2014.

9. La simplification du droit des sociétés privées dans les États membres de l’Union européenne / Simplification of Private Company Law among the EU Member States, Yves De Cordt et Édouard-Jean Navez (éds), 2015.

10. Les rapports entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme, Delphine Dero-Bugny, 2018.

11. Le rôle politique de la Cour de justice de l’Union européenne, sous la direction de Laure Clément-Wilz, 2019.

12. Les méthodes d’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne, Koen Lenaerts et José A. Gutierrez-Fons, 2020.

Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larcier.com.

© Lefebvre Sarrut Belgium SA, 2021Éditions BruylantRue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

EAN : 978-2-8027-6949-1

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour ELS Belgium. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

À N. et à P. Pertek Jourdain

AVANT-PROPOS

1. Lors de l’élaboration du traité de Paris instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), il a semblé nécessaire de permettre que soit discutée la validité des actes pris par les deux institutions décisionnelles créées par le traité, la Haute Autorité et le Conseil, lorsque cette validité était mise en cause dans un litige porté devant un tribunal d’un État membre. Et il a paru assez naturel de permettre que cet examen de validité soit confié à la Cour de justice « à titre préjudiciel ». L’article 41 CECA a donc attribué expressément à la Cour la compétence exclusive de procéder à cet examen, en étant saisie de manière obligatoire par un « tribunal national », indépendamment de son rang.

2. Dans le traité CEE a pris place un mécanisme inspiré de celui qui avait été créé dans le cadre de la première communauté. Cependant, l’article 177 CEE a modifié très sensiblement le mécanisme préjudiciel, en lui donnant un deuxième objet : l’interprétation du droit commun, et en prévoyant alors qu’un renvoi pouvait avoir pour matière aussi bien l’interprétation du droit primaire que celle des actes de droit dérivé. À la suite du traité CECA, il a été prévu que ce mécanisme permettrait l’examen de la validité des actes pris par les institutions de la CEE. Et, dans l’une ou l’autre branche du mécanisme, l’article 177 CEE a disposé que serait habilitée à saisir la Cour de justice toute juridiction d’un État membre et que serait tenue de le faire une juridiction statuant en dernière instance.

En pratique, la branche interprétation du mécanisme préjudiciel a très vite assuré sa prédominance par rapport à sa branche appréciation de validité.

3. La disposition présente à l’article 177 CEE (et dans les mêmes termes à l’article 150 du traité EURATOM) est l’une de celles qui, depuis l’origine, ont très peu évolué. L’article 267 TFUE demeure très proche dans sa rédaction de l’article 177 CEE (qui était devenu ensuite l’article 234 CE en vertu de la révision d’Amsterdam). Cette disposition a cependant été affectée par d’autres modifications, en particulier celle qui, résultant de la révision opérée par le traité de Lisbonne, a conféré le statut d’institution au Conseil européen.

4.Le mécanisme préjudiciel est ainsi régi et organisé par l’article 267 TFUE. Il s’agit d’ailleurs de la seule disposition de droit primaire applicable : alors même que la révision de Lisbonne a placé la Communauté européenne de l’énergie atomique (EURATOM) en dehors de l’Union, l’article 106bis du traité EURATOM rend applicable à ce traité l’article 267 TFUE.

5. Toute juridiction nationale a ainsi été habilitée à procéder à un renvoi préjudiciel à la Cour de justice. Pour la plus grande partie des juridictions, et s’agissant en tout cas de l’interprétation du droit de l’Union, l’usage de cette habilitation est libre. Si la décision que sera amenée à prendre une telle juridiction est susceptible d’un recours juridictionnel de droit interne, elle « peut » demander à la Cour de justice de statuer sur la « question » qu’elle a identifiée ; elle a ainsi le choix entre deux options : interpréter par elle-même le droit de l’Union pour résoudre cette question, ou en solliciter l’interprétation authentique par la Cour de justice.

Lorsque le litige est parvenu à son dernier stade, d’emblée ou par le jeu des voies de recours nationales, la juridiction qui statue en dernière instance est « tenue de saisir la Cour » : elle est soumise à une obligation de coopération avec la juridiction qui apparaît comme la spécialiste du droit de l’Union.

6.  Le succès de cet instrument de coopération entre juridictions nationales et Cour de justice est illustré par les quelque 11 358 renvois préjudiciels qui ont été introduits devant la Cour (à la fin 2019). Depuis une dizaine d’années, ce sont 400 à 500 nouveaux renvois qui sont opérés chaque année.

La Cour rend désormais plus de 350 décisions juridictionnelles en matière préjudicielle par an. C’est ainsi qu’en 2019, elle a rendu 375 arrêts et 70 ordonnances à caractère juridictionnel dans des affaires préjudicielles.

7. On peut aisément constater d’ailleurs que les « grands arrêts » de la Cour sont, pour une très grande majorité, des arrêts rendus sur renvoi préjudiciel, dans des affaires intéressant le droit institutionnel ou le droit matériel. Il suffit de mentionner, dans l’un et l’autre domaine, les arrêts Van Gend en Loos (1963), Costa c/ Enel (1964), Simmenthal (1978), Les Verts (1986) ou les arrêts Nold (1974), Reyners (1974), Defrenne (1978), Rewe-Zentral (Cassis de Dijon, 1979), Gravier (1985), Gebhard (1995) ou Grzelczyk (2001).

Les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont la révision de Lisbonne a fait le troisième traité régissant l’Union, donneront matière à des renvois qui feront naître de nouveaux grands arrêts de la Cour1.

8. Les apports du mécanisme préjudiciel sont ainsi multiples et divers, en ce qu’ils concernent les relations entre droits nationaux et droit commun, la protection des droits fondamentaux, les rapports entre les institutions ou entre les États membres et les institutions, le régime des grandes libertés de circulation, le régime de la concurrence, le contenu et les implications de la citoyenneté de l’Union…

9. Par l’effet d’un jeu de miroirs, ce sont aussi des renvois préjudiciels qui ont, pour l’essentiel, défini les contours, le fonctionnement et l’office même de la coopération préjudicielle2. Appelée à interpréter la disposition centrale du mécanisme portée par le droit primaire, la Cour de justice a été amenée à dire ce qu’il faut entendre par juridiction nationale, à spécifier le rôle des acteurs de la procédure (parties, institutions, États) aux côtés des juridictions nationales et de la juridiction de l’Union qui en sont les protagonistes, à délimiter sa propre compétence, à préciser la matière du renvoi dans l’une et l’autre de ses branches, à définir la portée de l’obligation de renvoi (ou plutôt des deux obligations de renvoi) ou à déterminer les effets de ses décisions préjudicielles.

10. Interpréter les règles du mécanisme préjudiciel en même temps que le fond du droit, c’est l’un des aspects de la mission générale conférée à la Cour.

Plus modestement, pour un universitaire ou pour un praticien du droit, interpréter, c’est s’efforcer d’expliciter les règles et la jurisprudence relatives à cette voie de droit singulière. C’est ce que tend à faire cet ouvrage. Il ne prétend pas être un traité exhaustif, mais il tente de systématiser l’état du droit en la matière. Il ne se présente pas comme un guide pratique complet, mais il essaie d’identifier les difficultés ou les incertitudes que peut rencontrer l’avocat ou le juge national, et de mettre à leur disposition les conseils les plus importants.

Cet ouvrage ne vise pas à faire œuvre prescriptive ou prédictive, mais il se permet de souligner deux sujets de réflexion.

Le premier se rapporte à l’utilité qu’il pourrait y avoir à créer une voie de droit nouvelle ouverte à une partie dans un litige national dont n’a pas été suivie d’effet une demande que soit opéré un renvoi préjudiciel par une juridiction qui est soumise à une obligation de coopération (ce qui concerne principalement les juridictions suprêmes) : il s’agirait de permettre dans ce cas un accès direct à la Cour de justice pour qu’elle statue sur l’interprétation ou sur la validité du droit de l’Union pouvant conditionner la solution du litige.

Le deuxième concerne le besoin que l’on peut ressentir d’une mise en évidence des règles pertinentes concernant la coopération préjudicielle au sein de chacun des systèmes nationaux, dans les codes de procédure applicables aux diverses juridictions.

11. Cela contribue à expliquer les choix de méthode suivants :

1) au-delà des éléments généraux ou communs sont présentées successivement les deux branches du mécanisme préjudiciel, le renvoi en interprétation et le renvoi en appréciation de validité ;

2) sont réduites au minimum les références à une rubrique précédente ou subséquente, ce qui vaut aussi pour les citations de jurisprudence ;

3) un chapitre est dévolu à la place et au rôle des avocats dans le déclenchement et le déroulement des diverses étapes de la procédure préjudicielle (chapitre 3 du titre II) ;

4) figurent en annexe les dispositions intégrales ou essentielles des instruments définissant le cadre normatif du renvoi préjudiciel – en particulier celles du règlement de procédure de la Cour de justice, dans sa nouvelle version publiée le 29 septembre 2012 et ensuite modifiée.

1. CJUE, 26 février 2013, Melloni, aff. C-399/11.

2. CJCE, 6 octobre 1982, CILFIT, aff. C-283/81.

LISTE DES ABRÉVIATIONS

Abréviations utilisées pour citer les périodiques, répertoires, recueils de jurisprudence et autres sources documentaires :

AELE

Association européenne de libre-échange

AJDA

Actualité juridique droit administratif

An. dr. eur.

Annuaire de droit européen

Cah. dr. eur.

Cahiers de droit européen

CJCE

Cour de justice des communautés européennes

CJ

Cour de justice

CJUE

Cour de Justice de l’Union européenne

JCl.

JurisClasseur Europe

JOCE

Journal officiel des Communautés européennes

JORF

Journal officiel de la République française

JOUE

Journal officiel de l’Union européenne

RAE

Revue des affaires européennes

RDUE

Revue du droit de l’Union européenne

Rép. com. Dalloz

Répertoire communautaire Dalloz

RTD eur.

Revue trimestrielle de droit européen

Abréviations utilisées

pour les références de jurisprudence :

CJCE

Cour de justice des Communautés européennes

CJ

Cour de justice (à compter du 1er décembre 2009)

Rec. CJCE

Recueil des arrêts de la Cour de justice et du Tribunal

TPI ou T

Tribunal de première instance, devenu tribunal

aff.

affaire

aff. jtes

affaires jointes

Autres abréviations :

Art.

article

BCE

Banque centrale européenne

CE

Communauté européenne (à partir de 1993)

CECA

Communauté européenne du charbon et de l’acier

éd. ou éds.

éditeur(s) d’un ouvrage collectif

EEE

Espace économique européen

TFUE ou Traité FUE

Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

TUE

Traité sur l’Union européenne

SOMMAIRE

AVANT-PROPOS

LISTE DES ABRÉVIATIONS

TITRE 1 : VOIE DE DROIT NON CONTENTIEUSE

CHAPITRE 1. – GÉNÉRALITÉS

CHAPITRE 2. – RAISONS D’ÊTRE ET NATURE D’UNE VOIE DE DROIT ORIGINALE

CHAPITRE 3. – DIVERSITÉ DE L’OFFICE DU RENVOI PRÉJUDICIEL

TITRE 2 : COOPÉRATION ENTRE GÉNÉRALISTES ET SPÉCIALISTE DU DROIT DE L’UNION

CHAPITRE 1. – DIALOGUE ENTRE JUGES

CHAPITRE 2. – AUTRES ACTEURS

CHAPITRE 3. – PLACE ET RÔLE DE L’AVOCAT

CHAPITRE 4. – NOTION DE JURIDICTION

TITRE 3 : RÈGLES DE PROCÉDURE SPÉCIFIQUES À L’AFFAIRE

CHAPITRE 1. – SAISINE DE LA COUR

CHAPITRE 2. – LANGUES, TRADUCTION ET INTERPRÉTATION

CHAPITRE 3. – REPRÉSENTATION, DÉPENS ET AIDE JURIDICTIONNELLE

CHAPITRE 4. – RÔLE DE LA JURIDICTION NATIONALE

CHAPITRE 5. – EXAMEN PAR LA COUR DE JUSTICE

TITRE 4 : RENVOI PRÉJUDICIEL EN INTERPRÉTATION

CHAPITRE 1. – OBJET ET MATIÈRE DU RENVOI

CHAPITRE 2. – DIAGNOSTIC ET LATITUDE D’UNE JURIDICTION ORDINAIRE

CHAPITRE 3. – DIAGNOSTIC ET OBLIGATION DE RENVOI D’UNE JURIDICTION DE DERNIÈRE INSTANCE

CHAPITRE 4. – EFFETS DES ARRÊTS ET DES ORDONNANCES

TITRE 5 : RENVOI PRÉJUDICIEL EN APPRÉCIATION DE VALIDITÉ

CHAPITRE 1. – OBJET ET MATIÈRE DU RENVOI

CHAPITRE 2. – DIAGNOSTIC ET LATITUDE D’UNE JURIDICTION ORDINAIRE

CHAPITRE 3. – DIAGNOSTIC ET OBLIGATION DE RENVOI D’UNE JURIDICTION DE DERNIÈRE INSTANCE

CHAPITRE 4. – PROCÉDURES SOMMAIRES ET URGENTES

CHAPITRE 5. – EFFETS DES ARRÊTS ET ORDONNANCES

TITRE 1

VOIE DE DROIT NON CONTENTIEUSE

Chapitre 1

GÉNÉRALITÉS

SOMMAIRE

SECTION 1. – ÉVOLUTION

SECTION 2. – EFFETS DE LA RÉVISION DE LISBONNE

12. Dans un processus de construction européenne qui se veut reposer sur le droit et se développer par le droit, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à jouer un rôle de premier plan. Ceci est tout spécialement vrai pour la « Cour de justice », devenue juridiction supérieure de l’institution « Cour de justice de l’Union européenne »1 après avoir longtemps été juridiction unique.

L’action de l’institution se déploie désormais dans tout le champ de l’action de l’Union, à la seule exception du domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, sauf encore à l’égard des recours en annulation formés contre des décisions du Conseil prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales2.

13. Seule est compétente pour connaître des demandes de décision préjudicielle la Cour de justice, juridiction supérieure, bien que l’article 19 TUE, paragraphe 3, mentionne à cet égard une compétence de l’institution (la CJUE). En effet, la prévision par l’article 256 TFUE, paragraphe 3, d’une attribution de compétence au « Tribunal » pour connaître de certaines affaires préjudicielles « dans des matières spécifiques » à déterminer (sous réserve d’un possible réexamen par la Cour) n’est qu’une déclaration d’intention.

14. La Cour de justice (juridiction supérieure) rend désormais environ 400 arrêts par an, dont la majorité sur renvoi préjudiciel opéré par une juridiction nationale.

En 2019, elle a rendu 491 arrêts et 32 ordonnances à caractère juridictionnel (en 2018, 462 arrêts et 101 ordonnances à caractère juridictionnel). Dans cet ensemble, en 2019, 375 arrêts et 70 ordonnances ont été rendus dans des affaires préjudicielles (en 2018, 354 arrêts et 35 ordonnances). La même année ont été introduites devant elle 966 affaires nouvelles : elle a ainsi été saisie de 641 renvois préjudiciels (en 2018, 568).

Au total, depuis 1961 et jusqu’en 2019 (année comprise), ce sont 11 358 renvois préjudiciels qui ont été introduits devant la Cour de justice, 1 052 l’ayant été par des juridictions françaises, 919 par des juridictions belges, 1 583 par des juridictions italiennes et 2 641 par des juridictions de la RFA.

15.En une soixantaine d’années d’activité, la Cour a pu établir une jurisprudence aussi riche que diversifiée. La part majeure de cette œuvre jurisprudentielle est constituée d’arrêts rendus au titre de la compétence préjudicielle attribuée à la Cour de justice par l’article 177 CE, devenu article 234 CE, et désormais par l’article 267 TFUE. Le premier arrêt préjudiciel a été rendu en 19623.

Parmi les grands arrêts de la Cour de justice figurent au premier rang des arrêts rendus sur renvoi préjudiciel, et principalement des arrêts relevant de la branche interprétation du mécanisme préjudiciel, dans le cadre de laquelle la juridiction de Luxembourg a la capacité de déterminer avec la force de l’authenticité le sens et la portée des dispositions du droit primaire et des actes pris par les institutions.

SECTION 1. – ÉVOLUTION

16. Jusqu’à la révision de Lisbonne, une seule modification avait été apportée à la rédaction originale de la disposition organisant le mécanisme préjudiciel telle qu’issue du traité CEE du 25 mars 1957, entré en vigueur le 1er janvier 1958. Elle consistait en l’ajout d’une référence à la Banque centrale européenne (BCE) pour identifier les actes pouvant donner matière à un renvoi préjudiciel en vue de leur interprétation ou de l’appréciation de leur validité, aux côtés des actes des institutions. Cet ajout résultait de la révision de Maastricht (entrée en vigueur le 1er novembre 1993), qui avait emporté création de la BCE, sans lui donner la qualité d’institution, alors qu’elle pouvait adopter des actes (à l’exclusion des directives) ayant les mêmes caractéristiques et étant soumis au même régime que les actes de droit dérivé adoptés par les institutions.

En vertu de la révision de Lisbonne, la BCE a acquis la qualité d’institution4 et les actes qu’elle peut adopter5 sont des « actes pris par les institutions » au sens de l’article 267 TFUE.

17. Le champ d’application du mécanisme préjudiciel avait été étendu par la révision opérée par le traité d’Amsterdam, à compter du 1er mai 1999, dans le domaine du titre IV de la troisième partie du traité CE (« Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes »), ainsi que cela résultait de l’article 68 CE. Cette extension avait été réalisée au prix d’un aménagement complexe, le droit au renvoi n’étant ouvert dans ce cadre qu’aux juridictions statuant en dernière instance6. La Cour avait été amenée à se déclarer incompétente à l’égard de renvois opérés par d’autres juridictions7. Cette restriction a été supprimée par la révision de Lisbonne.

18. Selon un processus sensiblement différent, la révision d’Amsterdam avait par ailleurs étendu la compétence préjudicielle de la Cour de justice à la partie non communautarisée du volet « Coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures » de l’Union européenne. Cette extension au domaine de la Coopération policière et judiciaire en matière pénale8 résultait de l’article 35 UE, et la compétence de la Cour se trouvait régie par les dispositions des paragraphes 1 à 3 de cet article.

L’article 35 UE, paragraphe 1, prévoyait :

« La Cour de justice des Communautés européennes est compétente, sous réserve des conditions définies au présent article, pour statuer à titre préjudiciel sur la validité et l’interprétation des décisions-cadres et des décisions, sur l’interprétation des conventions établies en vertu du présent titre, ainsi que sur la validité et l’interprétation de leurs mesures d’application ».

Le mode opératoire du renvoi préjudiciel demeurait celui de la disposition centrale de l’article 234 CE. Cependant, l’extension de la compétence de la Cour de justice était tributaire d’un aménagement concernant la délimitation des juridictions habilitées à procéder à un renvoi dans chacun des États membres.

Ce régime particulier a subsisté pendant une période transitoire de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la révision de Lisbonne, soit jusqu’au 1er décembre 2014.

19. Selon les prévisions de l’article 35 UE, dans ce cadre particulier, la compétence préjudicielle dépendait, quant à son existence et son étendue, d’une déclaration d’acceptation librement adoptée par chaque État membre (§ 2). Il pouvait en résulter que le droit de faire usage du mécanisme préjudiciel soit accordé seulement aux juridictions d’un État membre dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ou que ce droit soit attribué à toutes ses juridictions (§ 3). Chaque État membre disposait encore de la possibilité d’assortir ou non le droit de faire usage du mécanisme d’une obligation de renvoi mise à la charge de ses juridictions qui statuent en dernière instance (en vertu d’une déclaration relative à l’article 35 UE annexée à l’acte final d’Amsterdam).

C’est ainsi que la Cour a rendu son premier arrêt sur cette base en 2005, sur renvoi d’une juridiction italienne9. En 2007, sur renvoi de la Cour constitutionnelle de Belgique, la Cour s’est prononcée sur la validité de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen10.

20. Dans le cadre du traité CEEA (EURATOM), l’article 150 avait organisé un mécanisme préjudiciel identique à celui de l’article 177 CEE, devenu article 234CE, et désormais article 267 TFUE.

Rares sont les renvois dont la Cour a été saisie sur cette base11. Il faut y ajouter un renvoi opéré sur la base du traité CE auquel la Cour a répondu en se fondant sur le traité CEEA12.

Désormais, l’article 267 TFUE s’applique à un renvoi préjudiciel opéré dans le cadre de ce traité, alors même que la révision de Lisbonne a placé la CEEA en dehors et aux côtés de l’Union.

SECTION 2. – EFFETS DE LA RÉVISION DE LISBONNE

21. La révision de Lisbonne a apporté plusieurs modifications au mécanisme préjudiciel, désormais régi par l’article 267 TFUE. Certaines sont directement perceptibles, tandis que d’autres résultent de modifications apportées à des dispositions différentes ou de l’évolution de l’ensemble du cadre institutionnel.

22. Selon l’article 19 TUE, paragraphe 1, « la Cour de justice de l’Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés ». L’usage de ces dénominations met fin à la situation dans laquelle se trouvaient désignées de la même façon l’institution (« Cour de justice » selon l’article 5 UE dans son ancienne rédaction), formée de plusieurs juridictions, et l’une de ses composantes, la juridiction supérieure.

L’ambiguïté subsiste pour le passé, s’agissant de la jurisprudence antérieure ou relativement aux affaires introduites avant la prise d’effet de ces nouvelles dénominations.

Cependant, dans la mesure où la compétence pour connaître des renvois préjudiciels est à ce jour attribuée à la seule Cour de justice, juridiction supérieure, il n’en résulte aucune incertitude à cet égard : les décisions préjudicielles sont et demeurent des décisions de la Cour de justice.

23. Les principales voies de droit ouvertes devant la Cour de justice de l’Union européenne sont mentionnées à l’article 19 TUE, paragraphe 3, qui dispose qu’elle statue, notamment, sur les recours formés par un État membre, une institution ou des personnes physiques ou morales (pt a/) et « à titre préjudiciel, à la demande des juridictions nationales, sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’actes adoptés par les institutions » (pt b/).

Mérite d’être soulignée cette référence au « droit de l’Union » pour déterminer la matière des renvois préjudiciels, qui permet d’y inclure, outre les traités et les actes de droit dérivé, les principes généraux du droit, que la Cour accepte d’interpréter en tant que tels13, ou les actes appartenant à cette catégorie particulière que l’on propose de caractériser comme le droit primaire additionnel (ainsi, l’Acte du 20 septembre 1976 portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct).

24. L’article 267 TFUE prévoit que la Cour est compétente pour statuer sur « l’interprétation des traités » (pt a/), sans autre précision. On doit considérer que sont concernés les deux traités sur lesquels « l’Union est fondée », le traité UE et le traité FUE14, mais aussi la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (dans sa version proclamée le 12 décembre 2007), qui a « la même valeur juridique que les traités »15.

Par ailleurs sont concernés les protocoles annexés aux traités, et les annexes des traités, qui en font « partie intégrante »16, ou les actes d’adhésion de nouveaux États membres.

25. La révision issue du traité de Lisbonne a attribué la qualité et le statut d’institution au Conseil européen et à la Banque centrale européenne17. Il en résulte que, désormais, les actes du Conseil européen peuvent faire donner matière à un renvoi préjudiciel en interprétation ou à un renvoi en appréciation de validité18. S’agissant de la BCE, sa nouvelle qualité d’institution a permis d’omettre la référence particulière aux actes qu’elle adopte : dès lors qu’ils constituent des « actes pris par les institutions » de l’Union, ils peuvent donner matière à un renvoi19.

26. On doit relever que la Cour de justice accepte d’interpréter à titre préjudiciel ses propres arrêts, notamment, mais pas seulement ses arrêts préjudiciels. Cette solution trouve une application particulièrement nette dans un arrêt dont le dispositif lui-même fournit l’interprétation d’un arrêt antérieur20. La Cour peut à cet égard trouver un appui supplémentaire dans l’article 19, paragraphe 3, TUE qui lui donne compétence pour interpréter le « droit de l’Union ».

27. Quant aux types d’actes sur la validité ou l’interprétation desquels la Cour peut statuer, l’article 267 TFUE a ajouté aux actes des institutions les actes des « organes ou organismes de l’Union ». Cette mention nouvelle se réfère à un ensemble mal déterminé, qui est à la fois large et composite. On peut, semble-t-il, y ranger les actes du médiateur, les avis du Comité économique et social ou du Comité des régions, les actes de la Banque européenne d’investissement (BEI) et, surtout, les actes des nombreuses agences, créées sous cette dénomination ou une autre, telles que l’Agence européenne des médicaments ou l’Autorité européenne de sécurité des aliments.

28. Par une disposition finale qui est nouvelle, l’article 267 TFUE prévoit que si une question relative à l’interprétation ou à la validité est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale « concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais ». Cette disposition fait écho à la procédure préjudicielle d’urgence (dite PPU) dont la création a été rendue possible par l’article 23bis du statut de la Cour de justice21, et qui est régie par les articles 107 à 114 du règlement de procédure de la Cour de justice22. Cette procédure particulière peut trouver à s’appliquer dans une telle hypothèse23, mais son champ d’application potentiel est beaucoup plus large et s’étend à tout le domaine couvert par le titre V de la troisième partie du Traité FUE, comme il s’étendait déjà au domaine de l’espace de liberté, de sécurité et de justice24.

29. En vertu du protocole sur les dispositions transitoires annexé aux traités25, pour ce qui concerne les actes adoptés dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale qui ont été adoptés avant le 1er décembre 2009, la compétence préjudicielle de la Cour devait demeurer telle qu’elle était fixée par l’ancien article 35 UE, ceci jusqu’à la date d’expiration d’une période de transition de cinq ans.

Jusqu’au 1er décembre 2014, cette compétence est ainsi demeurée tributaire de la déclaration d’acceptation de chacun des États membres. C’est seulement depuis cette date que toutes les juridictions nationales de l’ensemble des États membres bénéficient de plein droit de la capacité de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle concernant l’un de ces actes. La modification d’un tel acte dans la période transitoire a toutefois eu pour effet d’entraîner l’application de la compétence de la Cour en ce qui concerne cet acte et à l’égard des États membres auxquels cet acte s’applique.

30. La révision issue du traité de Lisbonne a eu pour effet de placer en dehors de l’Union la Communauté européenne de l’énergie atomique (EURATOM), régie par un traité séparé. Elle a cependant rendu applicable à ce traité certaines dispositions des traités sur lesquels est fondée l’Union, dont celles qui sont relatives à la Cour de justice de l’Union européenne, notamment l’article 267 TFUE26 ; le renvoi préjudiciel étant désormais régi, dans ce cadre aussi, par l’article 267 TFUE, l’article 150 CEEA a été abrogé.

31.En vertu de la révision issue du traité de Lisbonne, le Statut de la Cour de justice (qui était devenu le statut unique par l’effet de la révision de Nice) est devenu le « Statut de la Cour de justice de l’Union européenne ». Le protocole qui fixe ce Statut est annexé aux divers traités27, comme le précise son nouveau préambule. Les dispositions spécifiques au renvoi préjudiciel trouvent place aux articles 23 et 23bis du Statut, auxquels ont été apportées les adaptations rendues nécessaires par les modifications des traités.

L’article 281 TFUE prévoit que le Statut peut être modifié par le Parlement européen et le Conseil statuant conformément à la procédure législative ordinaire, sur demande de la Cour de justice ou sur proposition de la Commission28. Le Statut a ainsi été modifié, sur demande de la Cour de justice, par un règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 août 201229 ; il en résulte, notamment, une modification des règles relatives à certaines des formations de jugement de la Cour de justice, s’agissant de la composition de la grande chambre30, et aux exigences de quorum applicables à la grande chambre ou à l’assemblée plénière31.

32. Ainsi qu’en dispose l’article 253, alinéa 6, TFUE, « la Cour de justice établit son règlement de procédure », qui « est soumis à l’approbation du Conseil ». Le Règlement de procédure de la Cour de justice, juridiction supérieure, est ainsi l’œuvre d’une codécision particulière, entre la Cour et le Conseil (qui statue à la majorité qualifiée).

Le Règlement de procédure avait été modifié une nouvelle fois le 23 mars 201032, pour y apporter les adaptations rendues nécessaires par les modifications des traités et du Statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Les règles spécifiques au renvoi préjudiciel y trouvaient place dans ses articles 103, 104, 104bis et 104ter (Chapitre neuvième). Une version consolidée du Règlement de procédure avait été publiée suite à cette modification33.

Un nouveau Règlement de procédure de la Cour de justice a été adopté le 25 septembre 201234. Conformément à son article 210, il est entré en vigueur le 1er novembre 2012. Il innove en consacrant un titre particulier aux renvois préjudiciels (Titre troisième), qui comprend les articles 93 à 118. Plusieurs dispositions nouvelles y trouvent place ; elles concernent, notamment, le « contenu de la demande de décision préjudicielle »35, la « participation à la procédure préjudicielle »36 et l’« interprétation des décisions préjudicielles »37 ; d’autres dispositions connaissent des modifications plus ou moins substantielles, notamment celles qui concernent la procédure dite simplifiée38, la procédure préjudicielle accélérée39 et la procédure préjudicielle d’urgence40. Ce Règlement a été modifié notamment, et en dernier lieu, le 26 novembre 201941.

33. La Cour a publié sur cette base de nouvelles « Instructions pratiques aux parties »42. Ce document a lui-même été remplacé par les « Instructions pratiques aux parties relatives aux affaires portées devant la Cour »43. Ces instructions concernent entre autres les affaires préjudicielles.

34. Suite à l’entrée en vigueur de la révision de Lisbonne, la Cour de justice avait publié en 2009 une nouvelle version de sa « Note informative sur l’introduction de procédures préjudicielles par les juridictions nationales »44, qui venait se substituer à sa Note de même objet, adoptée en 2005, et au complément qui lui avait été apporté en 2008. Le 28 mai 2011, elle avait publié une autre version de la Note informative45.

La Cour de justice a publié en 2012 des « Recommandations à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles »46, qui sont venues remplacer sa « Note informative », en prenant en compte les modifications résultant de l’adoption du nouveau Règlement de procédure publié le 29 septembre 2012. Une nouvelle version de ces Recommandations a été publiée en 201647 et une autre encore a été publiée en 201848.

Sont désormais applicables les « Recommandations à l’intention des juridictions nationales relatives à l’introduction de procédures préjudicielles » publiées en novembre 201949. Le texte comporte une annexe qui présente « Les éléments essentiels d’une demande de décision préjudicielle ».

Dans une décision du 30 juin 2016, la Cour paraît mettre sur le même plan le Règlement de procédure (qui est élaboré par la Cour et soumis à l’approbation du Conseil) et les Recommandations (élaborées et publiées sous sa seule responsabilité), ce qui témoigne de l’importance qu’elle accorde au document qu’elle a régulièrement fait évoluer50.

1. Art. 19, § 1, TUE.

2. Art. 275, al. 1 et 2, TFUE.

3. CJCE, 6 avril 1962, Bosch, aff. C-13/61.

4. Art. 13, § 1, TUE.

5. Toujours mentionnés de manière particulière à l’article 132, paragraphe 1, TFUE.

6. CJCE, 8 novembre 2005, Leffler, aff. C-443/03.

7. CJCE, ord., 31 mars 2004, Georgescu, aff. C-51/03 ; CJCE, ord., 20 novembre 2009, Martinez, aff. C-278/09.

8. Titre VI U.E.

9. CJCE, 16 juin 2005, Pupino, aff. C-105/03.

10. CJCE, 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld, aff. C-303/05.

11. Voy. CJCE, 22 septembre 1988, Land de Sarre, aff. C-187/87 ; CJCE, 12 septembre 2006, Industrias Nucleares do Brasil et Siemens, aff. C-123/04.

12. CJCE, 27 octobre 2009, ČEZ, aff. C-115/08.

13. CJ, 19 novembre 2019, AK, aff. C-585/18.

14. Ainsi qu’en dispose l’article 1er TUE.

15. Art. 6, § 1, TUE.

16. Art. 51 TUE.

17. Art. 13, § 1, TUE.

18. CJ, 27 novembre 2012, Pringle, aff. C-370/12.

19. CJ, 11 décembre 2018, Weiss, aff. C-493/17.

20. CJCE, 8 septembre 2009, Budejovicky Budvar, aff. C-478/07.

21. Introduit par une décision du Conseil 2008/79/CE, EURATOM du 20 décembre 2007, JOUE, L 24, du 29 janvier 2008.

22. Succédant à l’article 104ter.

23. CJCE, 1er décembre 2008, Leymann et Pustovarovaff, aff. C-388/08 PPU.

24. CJCE, 11 juillet 2008, Rinau, aff. C-195/08 PPU.

25. Art. 10, § 1.

26. Art. 106bis CEEA.

27. Art. 281 TFUE et, par renvoi, art. 106bis CEEA.

28. À l’exception de son Titre I et de son art. 64.

29. Règl. no 741/2012, JOUE, L 228, 23 août 2012.

30. Art. 16, al. 2.

31. Art. 17, al. 3 et 4.

32. JOUE, L 92, 13 avril 2010.

33. JOUE, C 177, 2 juillet 2010.

34. JOUE, L 265, 29 septembre 2012.

35. Art. 94.

36. Art. 96.

37. Art. 104.

38. Art. 99.

39. Art. 105 et 106.

40. Art. 107 à 114.

41. JOUE, L 316, 6 décembre 2019.

42. JOUE, L 31, 31 janvier 2014.

43. JOUE, L 421, 14 février 2020.

44. JOUE, C 297, 5 décembre 2009.

45. 2011/C 160/01, JOUE, C 160, 28 mai 2011.

46. JOUE, C 338, 6 novembre 2012.

47. JOUE, C 439, 25 novembre 2016.

48. JOUE, C 257, 20 juillet 2018.

49. 2019/C 380/01, JOUE, C 380, 8 novembre 2019.

50. CJ, ord., 30 juin 2016, ERDF, aff. C-669/15.

Chapitre 2

RAISONS D’ÊTRE ET NATURE D’UNE VOIE DE DROIT ORIGINALE

SOMMAIRE

SECTION 1. – JUGE NATIONAL, JUGE ORDINAIRE DES LITIGES METTANT EN JEU LE DROIT DE L’UNION

SECTION 2. – ABSENCE DE HIÉRARCHIE ORGANIQUE

SECTION 3. – COOPÉRATION LIBREMENT CONSENTIE

SECTION 4. – GÉNÉRALISTES ET SPÉCIALISTE DU DROIT DE L’UNION

35. La mission générale qui est confiée à la Cour de justice de l’Union européenne est d’assurer « le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités », selon les termes de l’article 19, paragraphe 1, TUE.

En se référant au « respect du droit », cette disposition fondamentale attribue aux juridictions de l’Union un rôle essentiel pour garantir l’État de droit, qui est l’une des « valeurs » de l’Union énoncées à l’article 2 TUE. La Cour a affirmé peu après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, que « l’Union est une Union de droit »1.

36. Dans l’exercice de sa compétence préjudicielle, la Cour de justice, juridiction supérieure, statue sur des points de pur droit : spécialiste du droit de l’Union, elle ne s’intéresse qu’à la recherche de l’état du droit, avec le souci de l’exigence d’uniformité qui rend compte des différentes qualités du droit de l’Union.

On doit relever à cet égard que le dispositif de ses arrêts préjudiciels est introduit par la formule « la Cour dit pour droit », ce en quoi ils se différencient des arrêts rendus sur recours direct.

37. Le mécanisme préjudiciel, dans sa conception et dans son fonctionnement, comporte lui-même des caractéristiques très particulières qui distinguent l’exercice de cette compétence singulière par rapport aux compétences attribuées à la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre des autres voies de droit concourant à l’accomplissement de la mission générale qui est confiée à l’institution.

38. Ceci tient à la place accordée au juge national et à l’absence de hiérarchie organique, qui se traduit par l’existence d’une relation qui peut s’analyser comme un rapport entre généralistes et spécialiste du droit de l’Union.

SECTION 1. – JUGE NATIONAL, JUGE ORDINAIRE DES LITIGES METTANT EN JEU LE DROIT DE L’UNION

39. Dans le système de l’Union européenne, il n’existe pas de tribunaux mis en place pour juger les actions qu’ont intérêt à engager les particuliers ou les agents économiques en cas de mauvaise application des règles de l’Union. Ce sont donc les juridictions nationales des États membres qui connaissent de ces actions.

On sait de plus que le prétoire de la Cour de justice de l’Union européenne n’est que difficilement accessible aux particuliers qui entendent contester la légalité d’un acte de droit dérivé au moyen d’un recours direct. Les juridictions nationales sont ici encore au premier rang pour connaître de telles contestations.

40. L’application du droit de l’Union peut se trouver à l’origine même du litige porté devant une juridiction nationale. Tel est le cas dans un litige entre deux sociétés, dont l’issue dépend de l’interprétation de la notion de signe identique à la marque, telle que cette notion est utilisée dans une directive2. Il en va de même dans un litige opposant un national d’un État membre à l’ordre professionnel des médecins, qui porte sur la prise en compte du lieu de formation pour l’application d’une directive de reconnaissance des qualifications3. Tel est le cas aussi dans un litige concernant l’autorisation du juge national relative à l’assistance des autorités nationales en vue d’une vérification décidée par la Commission pour l’application des règles de concurrence applicables aux entreprises4.

41. Dans d’autres cas, l’application du droit de l’Union apparaît comme l’un des ingrédients du litige. Il en est ainsi dans un litige opposant une organisation professionnelle à l’administration relativement à la prévention de l’ESB, dans lequel est discutée la validité de décisions de la Commission5. Il en est de même lorsque des travailleurs de sexe masculin demandent à leur employeur le bénéfice d’une allocation de naissance dont le versement est prévu par un accord collectif au bénéfice du seul personnel féminin en invoquant des dispositions du droit primaire et d’une directive6.

42. Ainsi que le montrent ces affaires portées devant la Cour de justice sur renvoi d’une juridiction française, tantôt le droit de l’Union (ou, dans les circonstances de ces affaires, le droit communautaire) est invoqué au soutien des prétentions d’une partie, tantôt un acte de droit dérivé est contesté pour justifier certaines prétentions ou pour s’y opposer. Ceci rend compte de la dualité d’objet du renvoi préjudiciel, qui comporte, en dépit des apparences, deux facettes foncièrement différentes, selon qu’il s’agit d’interpréter le droit de l’Union ou d’apprécier la validité d’un acte de droit dérivé.

SECTION 2. – ABSENCE DE HIÉRARCHIE ORGANIQUE

43. Le mécanisme du renvoi préjudiciel est le seul mode d’organisation des relations entre la Cour de justice de l’Union européenne et les tribunaux nationaux que prévoient les traités. Pour le reste, les juridictions de l’Union et les juridictions nationales agissent de manière séparée dans leurs ordres juridiques respectifs.

44. D’une manière générale, les juridictions nationales ne se trouvent pas placées dans une situation de subordination hiérarchique par rapport aux juridictions de l’Union. Si elles doivent tirer les conséquences d’un arrêt annulant un acte de droit dérivé ou d’un arrêt en constatation de manquement d’État, c’est au même titre que les autres autorités nationales de l’État membre dont elles relèvent.

L’absence de rapport hiérarchique caractérise aussi la coopération dont le renvoi préjudiciel est l’instrument7.

45. La relation qui peut s’instaurer dans le cadre du renvoi préjudiciel est conçue sur le mode de la coopération.

La décision de la Cour de justice qui intervient sur la demande d’une juridiction nationale étant rendue (comme le veut le caractère préjudiciel de la saisine) avant le jugement de la juridiction nationale, elle ne peut en aucune manière s’apparenter à une contestation ou à une réformation de ce jugement.

Il n’y a pas même place pour la manifestation d’un désaccord entre le juge national auteur du renvoi et la Cour, dès lors en tout cas que le premier met en œuvre la solution retenue par celle-ci sur le point de droit qui lui est soumis, ainsi qu’il lui appartient de le faire. Un tel désaccord ne peut être mis en évidence que dans une autre instance, à l’occasion d’un nouveau renvoi préjudiciel ou d’un recours direct formé dans une autre affaire.

La situation est donc, à cet égard, très différente de celle qui existe dans le système organisé par la Convention européenne des droits de l’homme.

46. Le renvoi préjudiciel intervient précisément pour aider la juridiction nationale à donner au litige dont elle demeure saisie sa solution au fond, après que la Cour a pu clarifier le point de droit dont elle a été saisie par celle-ci.

47. De surcroît, le renvoi préjudiciel n’est aucunement placé dans les mains des parties. Il est exclusivement à la disposition de la juridiction nationale ayant à juger le litige dans lequel s’opposent soit des parties privées, soit une partie et l’administration. Certes, le rôle des parties dans le déclenchement éventuel d’un renvoi est loin d’être négligeable, mais il s’exerce dans des conditions déterminées par le système judiciaire national, et leur influence à cet égard repose tout entière sur leur force de conviction, avec une efficacité qui devient seulement plus forte lorsque le litige est porté devant une juridiction de dernière instance, ce qui peut dépendre de l’usage qu’elles font des voies de recours existantes.

48. Ceci devrait conduire à proscrire l’emploi de l’expression de « recours préjudiciel » pour qualifier la voie de droit innommée de l’article 267 TFUE ; il est vrai que cette expression a été utilisée par la Cour de justice pendant un temps et qu’elle en fait encore parfois usage, mais cette dénomination trompeuse demeure employée surtout par une partie des praticiens ou de la doctrine (parfois dans l’expression curieuse de recours indirect).

Non seulement il ne s’agit pas d’une voie de recours permettant d’entreprendre une décision qui serait contestée, mais les affaires préjudicielles n’ont pas un caractère contentieux et les règles qui permettent à la Cour de statuer ne sont pas celles d’une procédure contentieuse.

49. La coopération que permet d’établir le mécanisme préjudiciel entre une juridiction nationale et la Cour de justice est envisagée et organisée comme une relation entre juges participant à une œuvre commune.

Selon la Cour, le mécanisme préjudiciel est « un instrument de coopération entre la Cour et les juges nationaux, grâce auquel la première fournit aux seconds les éléments d’appréciation qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’ils sont amenés à trancher »8, et une présentation voisine pourrait être faite de la branche appréciation de validité du mécanisme.

50. La relation entre juridiction nationale et Cour de justice se noue sur la base de la distinction entre interprétation et application du droit de l’Union. C’est une distinction qui est commode dans son principe, mais qui n’est pas toujours aisée à opérer. Sa mise en œuvre ne va pas sans créer quelques incertitudes et difficultés, et elle s’accompagne de certains aménagements, notamment quant à la capacité que se reconnaît la Cour de reformuler certaines questions posées par un juge national dans sa demande de décision préjudicielle.

51. Il est une délimitation préalable qui est plus nettement établie : l’interprétation du droit national n’est jamais concernée dans le cadre de cette voie de droit, et elle n’intervient pas dans la répartition des tâches entre Cour de justice et juridiction nationale9. Seul le juge national est qualifié pour interpréter le droit national qui est en cause dans le litige auquel il doit donner sa solution. Et cela est vrai après qu’a été rendue une décision préjudicielle de la Cour, s’il l’a saisie, comme avant son éventuelle saisine, lorsqu’il s’agit pour le juge national de décider s’il procède ou non à un renvoi sur la base du diagnostic qu’il établit.

Cette délimitation est différente dans le cas du recours en constatation de manquement d’État, qui conduit la Cour de justice à interpréter aussi bien le droit national que le droit de l’Union pour mettre en évidence leur éventuelle contradiction.

52. La distinction entre interprétation et application du droit de l’Union intervient principalement pour déterminer la place de la Cour de justice dans cette voie de droit particulière. Elle ne fournit pas une réponse univoque pour ce qui concerne celle des juridictions nationales.

En effet, la Cour de justice ne bénéficie pas d’une compétence exclusive pour l’interprétation du droit de l’Union ; les fréquentes affirmations inexactes à cet égard sont d’autant plus étonnantes que la logique qui anime le mécanisme préjudiciel repose sur le partage qui est opéré entre la plupart des juridictions, qui ont la faculté de faire usage du droit au renvoi qui leur est attribué, et la catégorie des juridictions statuant en dernière instance, qui sont soumises à une obligation de principe de faire usage de ce droit.

53. Normalement, dans la très grande majorité des cas, le juge national dispose de la possibilité de procéder lui-même à l’interprétation du droit de l’Union qui est nécessaire à la solution du litige pendant devant lui. À première lecture au moins, il dispose d’ailleurs de la même capacité pour apprécier la validité d’actes de droit dérivé pour les besoins du litige ; cependant, en réalité, par l’effet d’une révision prétorienne, cette possibilité est unidimensionnelle, puisque la marge d’appréciation qui lui est laissée lui permet seulement de confirmer la présomption de validité dont bénéficient ces actes et non pas de constater leur éventuelle invalidité.

54. L’obligation de renvoi de nature systémique, prévue par l’article 267 TFUE, n’apparaît que devant une juridiction dont la décision donnant sa solution au litige ne sera plus susceptible d’un recours juridictionnel de droit interne.

55. Quelle que soit la juridiction concernée, c’est toujours de sa propre autorité, et éventuellement de son propre mouvement, que le juge national évalue la nécessité de l’interprétation, ou de l’appréciation de validité, pour les besoins du litige. Cette évaluation comporte nécessairement une première opération d’interprétation, fut-elle hypothétique, que le juge fait de lui-même ou en utilisant la jurisprudence qui peut être disponible.

C’est aussi le juge national qui décide seul d’opérer, le cas échéant, un renvoi devant la Cour de justice, éventuellement de son propre mouvement, et alors soit en faisant librement usage du droit qui lui est reconnu, soit en vue de l’exécution de l’obligation de renvoi à laquelle il peut être soumis en raison du régime procédural de la décision qu’il sera amené à prendre pour donner sa solution au litige.

56. La Cour de justice bénéficie bien d’un monopole : c’est le monopole de l’interprétation authentique du droit de l’Union, dans tous les cas où elle est compétente.

On pourrait analyser dans le même sens la compétence dont elle dispose sur le fondement de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, qui lui permet de rendre un « avis » sur la compatibilité avec les traités d’un accord international envisagé.

57.De l’article 267, alinéa 3, TFUE, il résulte que l’intensité et l’efficacité de l’exclusivité accordée à la Cour – consistant à donner l’interprétation authentique du droit commun – s’accroissent dès lors que le besoin d’interprétation est mis en évidence devant une juridiction dont la décision destinée à donner sa solution au litige n’est plus susceptible d’un recours de droit interne : ce monopole devient alors un monopole renforcé, l’obligation de solliciter la Cour de justice venant conforter l’exclusivité toujours acquise.

58. Au titre de la deuxième branche du mécanisme, la Cour bénéficie d’un monopole de la déclaration d’invalidité d’un acte de droit dérivé, qui résulte pour partie de la lettre des traités et pour partie de sa propre jurisprudence.

En vertu de l’article 267, alinéa 3, TFUE, lui est attribué un monopole renforcé en raison de l’obligation qui est faite à une juridiction qui statuera en dernière instance de saisir la Cour de son doute éventuel quant à la validité d’un acte de droit dérivé. Il s’agit, dans ce cadre, d’un monopole de l’examen de validité.

Par ailleurs, par une lecture hardie de l’alinéa 2 de cet article du traité, la Cour s’est attribué une exclusivité générale de la déclaration d’invalidité en privant les juridictions ordinaires (celles qui ne statuent pas en dernière instance) du pouvoir de conclure un examen de validité dans le sens de l’invalidité de l’acte10.

59. Si cette relation entre la Cour de justice et les juges nationaux qu’organise le mécanisme préjudiciel est fondée sur la complémentarité et la coopération, la compétence sur laquelle elle repose n’est en rien une compétence de caractère consultatif. La Cour rend des « arrêts »11, qui ont « force obligatoire », ainsi que l’indique l’article 91 de son Règlement de procédure, ou des ordonnances dotées de la même force obligatoire12.

La Cour a veillé à affirmer l’effet contraignant de ses arrêts en matière de renvoi préjudiciel13. Pour le garantir, elle avait déclaré incompatible avec le traité CE le système de contrôle juridictionnel initialement envisagé par l’accord portant création de l’Espace économique européen, qui aurait permis de donner un effet purement consultatif à ses réponses sur renvoi d’un État de l’AELE14.

Le texte même de l’article 267 TFUE va dans ce sens en indiquant que la juridiction de renvoi demande à la Cour de « statuer » sur la question soulevée15.

60. D’ailleurs la Cour n’exerce d’aucune manière une compétence purement consultative, les « avis » assez mal nommés qu’elle rend sur le fondement de l’article 218, paragraphe 11, TFUE16 se distinguant de ses autres décisions par la circonstance qu’ils interviennent dans le cadre d’un contrôle préventif. Leur effet contraignant ressort de la disposition selon laquelle un avis négatif a pour conséquence que l’accord envisagé ne peut entrer en vigueur que suite à une éventuelle révision des traités.

SECTION 3. – COOPÉRATION LIBREMENT CONSENTIE

61. Selon une présentation courante, l’obligation de renvoi pesant sur certaines juridictions est opposée à la faculté de renvoi offerte ordinairement aux autres. Cette présentation ne rend qu’imparfaitement compte de la réalité, ceci pour différentes raisons.

62. La donnée de base est l’existence pour toute juridiction du « droit de saisir la Cour » d’un renvoi préjudiciel17. En ce sens, le premier arrêt préjudiciel rendu par la Cour indiquait déjà que « le juge national est, selon les cas, habilité ou tenu à demander une décision préjudicielle »18.

63. La coopération dont le mécanisme préjudiciel est l’instrument est, pour l’essentiel, purement volontaire. Elle l’est, en effet, pour la très grande majorité des juridictions, celles qui statuent en première instance ou en appel, dès lors qu’une voie de recours reste ouverte contre leurs décisions.

Il faut seulement tenir compte des particularités de chacun des systèmes juridictionnels nationaux. D’un côté, il peut en résulter que la décision d’une telle juridiction ne serait pas, en l’espèce, susceptible de recours. De l’autre, le système national peut comporter un mécanisme de filtrage pour saisir la juridiction pouvant connaître d’un tel recours : lorsque ce filtrage est opéré par la juridiction même qui va rendre la décision dans l’instance, on est fondé à considérer que l’obligation de renvoi est transférée pour être mise à la charge de cette juridiction.

64. Selon ce que prévoit l’article 267 TFUE, le droit à la saisine de la Cour se trouve assorti d’une obligation d’y procéder lorsque la décision à venir dans le litige pendant devant la juridiction concernée ne sera pas susceptible d’un recours juridictionnel de droit interne, et donc, pour l’essentiel, lorsqu’il s’agit d’une juridiction suprême.

Une telle juridiction est soumise à l’obligation de renvoi de nature systémique prévue par l’article 267, alinéa 3, TFUE. Elle se trouve ainsi placée en position de coopération imposée.

65. Il demeure que la juridiction sur laquelle pèse en principe cette obligation conserve la capacité d’établir par elle-même le diagnostic du besoin d’interprétation ou du besoin d’appréciation de validité pour la solution du litige. C’est lorsque ce besoin est avéré par le diagnostic qu’elle a posé que l’obligation de renvoi se constitue : cette juridiction est alors en situation de coopération imposée (ce qui résulte de la rencontre entre son diagnostic et la position de coopération imposée qui est la sienne), et elle doit en principe exécuter l’obligation de renvoi pesant sur elle.

66. Encore faut-il observer qu’une telle obligation de renvoi, quand elle doit être exécutée, est dépourvue de contrainte organisée à l’égard de la juridiction concernée. La coopération n’est mise en œuvre qu’à l’initiative de cette juridiction, sans que les parties au litige, notamment, disposent d’aucun moyen pour l’y forcer ou pour s’opposer à un refus de sa part. On peut d’ailleurs considérer que ceci constitue une faiblesse du mécanisme, qui pourrait avoir pour remède une possibilité exceptionnelle offerte dans ce cas à une partie concernée de saisir la Cour.

Un élément de contrainte résulte, de façon indirecte, de la possibilité énoncée par la Cour d’une mise en cause de la responsabilité de l’État, dans son propre système national, du fait de la violation du droit de l’Union liée à l’inexécution d’une obligation de renvoi constituée19.

Un autre moyen de pression se trouve placé entre les mains des institutions, qui consiste à engager l’action tendant à faire constater un manquement à ses obligations de la part de l’État dont relève la juridiction concernée. Considérée avec prudence, cette action a connu une première concrétisation dans un cas où la Commission avait saisi la Cour d’un recours en constatation de manquement contre la France en raison de l’absence de renvoi de la part du Conseil d’État dans une affaire où il aurait été tenu d’y procéder. La Cour a alors constaté le manquement d’État20.

67. S’il n’existe aucune automaticité dans le déclenchement du mécanisme préjudiciel pour une juridiction placée en position de coopération imposée (et notamment pour une juridiction supérieure), elle est encore moins de mise pour les juridictions dont le droit au renvoi n’est assorti d’aucune obligation textuelle. La marge d’appréciation de ces juridictions, qui forment le plus grand nombre, concerne à la fois l’existence d’un besoin objectif de clarification et l’utilité d’une demande de décision préjudicielle pour le satisfaire.

68. La deuxième branche du mécanisme préjudiciel, relative à l’appréciation de validité, connaît d’importantes particularités qui n’apparaissent pas à la lecture des dispositions déterminant la compétence préjudicielle de la Cour. Dans cette branche, le rapport entre la Cour de justice et les juridictions nationales ne trouve place que dans le cadre d’une alternative validité/application ou invalidité/inapplication du droit dérivé pour la solution du litige.

L’appréciation de validité relève du contrôle de légalité, qui est organisé pour l’essentiel au moyen d’autres voies de droit ouvertes devant la Cour de justice ou le Tribunal, spécialement le recours en annulation de l’article 263 TFUE.

69. Ceci explique qu’il existe dans cette branche du renvoi, à côté et indépendamment de l’obligation de renvoi d’origine textuelle et de nature systémique, une deuxième obligation, qui est différemment entendue et qui joue d’une autre manière. La première obligation s’impose, comme en matière d’interprétation, aux juridictions qui statuent en dernière instance, et donc d’abord et au moins aux juridictions supérieures, en vertu de l’article 267, alinéa 3, TFUE ; elle se rapporte au monopole de l’examen de validité des actes de droit dérivé attribué dans ce cadre à la Cour.

Mais, en raison d’une révision prétorienne, toute autre juridiction, dont la décision demeurera attaquable par une voie de recours nationale, est soumise à une obligation de renvoi circonstancielle et finalisée. Cette obligation est la conséquence de l’interdiction qui est faite à une telle juridiction par la Cour de constater elle-même l’invalidité d’un acte de droit dérivé. Telle est la solution qui résulte, depuis 1987, de l’arrêt Foto-Frost21.

Cette obligation se rapporte au monopole de la déclaration d’invalidité que se reconnaît la Cour dans un litige porté devant une juridiction ne statuant pas en dernière instance. Une telle juridiction, si elle nourrit un soupçon quant à la validité d’un acte, ou si elle est convaincue de son invalidité, doit ainsi nécessairement saisir la Cour de justice.

70. L’idée de coopération n’est pas absente dans ce cas, puisqu’il s’agit toujours d’une relation de juge à juge, dans une procédure dépourvue de caractère contentieux. Mais il apparaît que cette coopération s’organise de manière sensiblement différente dans l’une ou l’autre branche du mécanisme préjudiciel.

71. Que le juge national ait saisi la Cour de justice en raison de l’obligation textuelle qui le concerne en tant que juridiction de dernière instance ou pour respecter la jurisprudence Foto-Frost, il est amené à tirer les conséquences de l’arrêt rendu suite à son renvoi en laissant inappliqué, le cas échéant, l’acte dont l’invalidité, totale ou partielle, a été constatée par la Cour.

72. Bien que le régime procédural qui est prévu par les dispositions pertinentes soit unique, il n’existe donc pas de parallélisme entre les deux branches du mécanisme préjudiciel. Une autre différence sensible tient, bien sûr, à l’étendue de la compétence de la Cour en raison de la matière du renvoi dans l’une ou l’autre branche, puisque le renvoi en appréciation de validité concerne seulement les actes des institutions, organes et organismes de l’Union, et non le droit primaire.

SECTION 4. – GÉNÉRALISTES ET SPÉCIALISTE DU DROIT DE L’UNION

73. Le mécanisme préjudiciel établit une collaboration directe entre juges : il constitue, comme le souligne la Cour, « un instrument de coopération judiciaire »22.

74. L’existence même de ce mécanisme préjudiciel contribue à mettre en évidence le rôle qui est implicitement réservé au juge national par les traités, celui « de juge communautaire de droit commun », selon la formule utilisée par le Tribunal23.

Par son économie générale et par son fonctionnement, ce mécanisme conforte la place qui est réservée au juge national, la Cour de justice n’étant en mesure d’exercer sa compétence, pour trancher les points de droit qui peuvent ou doivent lui être soumis, que lorsque le juge national est saisi d’un litige, et si une demande lui est présentée directement par ce juge, sur la base d’un diagnostic qu’il a lui-même établi et dans le cadre qu’il a lui-même défini.

Dans une résolution du 9 juillet 2008 sur le rôle du juge national dans le système juridique européen, le Parlement européen a ainsi pu relever que les juges nationaux sont « la clé de voûte du système juridictionnel de l’Union européenne »24.

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