Le Standard, c'est nous ! - Jean Marc Ghéraille - E-Book

Le Standard, c'est nous ! E-Book

Jean Marc Ghéraille

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Beschreibung

Le Standard appartient à ses supporters. L’histoire du Standard de Liège est marquée par une caractéristique majeure : c’est un club populaire. Sans aucun doute le club de football le plus populaire de Belgique. Depuis l’arrivée de Roland Duchâtelet à la tête du club, la fierté d’appartenance et le sentiment du « Le Standard c’est nous ! » se sont encore exacerbés. L’homme a pourtant démontré qu’il aime le football. Ses activités d’entrepreneur sont florissantes et il dispose également d’une fortune qui lui apporte la crédibilité en tant qu’investisseur dans un secteur où l’argent, désormais, est Roi et fait Loi. Certains supporters estiment que le club est géré selon ses ambitions personnelles au détriment de l’identité sportive du club et de l’adhésion populaire. Qu’est-ce que le mythe Standard et quelles sont les raisons de sa survivance aussi frénétique ? Dans une perspective de mondialisation où les clubs ressemblent de plus en plus à des entreprises gérées comme des multinationales, quel est l’avenir d’un club aussi passionnément lié à son creuset, à l’histoire de sa région et à sa communauté de fidèles ? Enquête sportive et sociologique auprès des supporters et des acteurs, premiers rôles et figurants de cette pièce à l’intrigue jamais définitivement écrite.

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Le standard, c’est nous !

Jean-Marc Ghéraille

Marc Van Staen

Le Standard, c’est nous !

Renaissance du Livre

Avenue du Château Jaco, 1 – 1410 Waterloo

www.renaissancedulivre.be

couverture: aplanos

photo de couverture : © reporters

maquette : cw design

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.

Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est strictement interdite.

JEAN-MARC GHERAILLE

MARC VAN STAEN

Le Standard, c’est nous !

Un club mythique qui appartient à ses supporters

Pour ma femme Christiane et mes enfants Virginie, Bénédicte et Delphine. Pour mon père Albert parti sans que l’on se dise au revoir.

Jean-Marc Ghéraille

« […] et que rien, désormais, de ce qui allait entourer la vie

Préface

Jean-Marc et Marc ont eu vraiment une idée bizarre lorsqu’ils m’ont demandé de me soumettre, moi l’Anderlechtois, à l’exercice de la préface pour cet ouvrage consacré au Standard.

Le club du Standard a été un de mes plus réguliers et coriaces adversaires tout au long de ma carrière. La rivalité entre Anderlecht et le club de Sclessin représente un des points forts du championnat belge. Une rencontre entre ces deux clubs est toujours un passage culminant de la saison. Les relations entre les directions des Mauves et Rouges varient en fonction des rapports de force, des coups d’éclat, des déclarations parfois tapageuses des uns et des autres. De même, les affrontements entre supporters sont une source permanente et étonnante d’ingéniosité, d’inventivité dans la manière de vouloir diminuer, ridiculiser le camp d’en face. Certes, il arrive que le cocktail de la passion et de la bière entraîne certains débordements, désormais trop fréquents sur les terrains de football. Les joueurs eux-mêmes sont parfois emportés par la furie de ces rencontres à haute tension. Et probablement aussi qu’un Standard-RSCA est plus propice aux échanges de noms d’oiseaux et à la castagne occasionnelle qu’un Waasland-Beveren-Ostende. Mais, finalement, dans la perspective de l’histoire, nous en retenons que c’est toujours le respect de l’autre qui l’emporte. Une cordialité entre grands qui s’impose dans un paysage footballistique belge où les clubs émergents (Genk, Zulte Waregem…) s’inspirent largement des exemples historiques du triumvirat classique (Anderlecht, Standard, Bruges).

Pour ma part, mes souvenirs personnels liés au club de Sclessin sont tellement nombreux qu’une préface n’y suffit pas. Je préfère à ma manière apporter ma participation à la compréhension du mythe Standard, à ce qui fait sa spécificité, son charme.

À vrai dire, j’ai connu sur le terrain du Standard un des plus beaux moments de ma carrière. Un moment que je ne suis pas près d’oublier, tant il m’a marqué sportivement, mais surtout humainement.

À la suite de ce que la presse avait appelé « Le complot de Katowice », un vent mauvais soufflait sur la manière dont mes prestations nationales étaient appréciées, et je m’étais mis en retrait de l’équipe nationale, écœuré par les critiques nauséabondes. Mais très rapidement, à la suite d’un entretien avec Raymond Goethals organisé en douce par l’hebdomadaire Le Sportif 70, je retrouvai les Diables pour un Belgique-Écosse périlleux. De plus, mon match de rentrée se jouait sur le terrain du… Standard.

Le 3 février 1971, c’est en capitaine que je montais sur la pelouse du Standard où j’ignorais tout de l’accueil que me réserverait le public liégeois. Il y avait grande foule. C’était un match de qualification important pour l’Euro alors que les dernières prestations des Diables avaient été mitigées. L’attente était donc grande et, après avoir été critiqué, mon retour se faisait ainsi dans des conditions délicates. Mais, dès le début, je fus rassuré. Sur les gradins où trente-six mille cinq cents spectateurs s’étaient rassemblés, l’ambiance était survoltée et, très rapidement, je commençai à entendre des « Vas-y, Paul » et des « Allez, Popol ». Je n’y croyais pas. Les supporters de l’équipe nationale, ce soir-là, à très forte densité locale et, donc, a priori sympathisants du Standard, m’envoyaient des bravos, des encouragements à chacun de mes dribbles, à chacune de mes actions. Je n’en revenais pas. En seconde mi-temps, c’est carrément le stade entier qui scandait mon nom. Personne ne pourra jamais m’enlever ce souvenir incroyable. Être acclamé comme je l’ai été ce jour-là par « le camp d’en face »…

Je remerciai le public à ma manière en inscrivant les trois buts du match (3-0).

Comme je l’ai déjà dit souvent, le public de Sclessin ne saura jamais ce qu’il a fait pour moi le 3 février 1971.

Qu’il en soit remercié et que ce livre lui rende l’hommage qu’il mérite.

PaulVan Himst

Introduction

C’est l’histoire classique de l’envahisseur ou du nouveau pouvoir en place et de celui qui se sent envahi et/ou s’indigne des nouvelles stratégies gestionnaires. L’histoire d’un changement de propriétaire. Le nouveau jette au bac un règlement intérieur que les locataires souhaitent conserver et surtout ignorent tout de la teneur de la nouvelle stratégie, connue de l’acquisiteur seul. Dans le cas d’une prise de pouvoir pacifique, le résultat dépend grandement de la propension de l’arrivant à s’acclimater aux us locaux et à la faculté d’assimilation de la population indigène pour accepter les tournants plus ou moins secs qu’administrera le nouvel élu à son projet.

Que se passe-t-il au Standard ?

C’est une pièce de théâtre dont l’intrigue, par son caractère local lié à son creuset, touche bizarrement aux aspects déjà observés lors des manifestations contre la globalisation, la mondialisation ou, encore, la malbouffe. C’est un rejet de l’affairisme, du capitalisme débridé, des excès du marché, de la marchandisation, du dédain de la tradition ouvrière. C’est la défense du chacun-chez-soi, l’explosion du phénomène Nimby – Not in my backyard (pas dans mon jardin à moi !), le retour à la terre, à l’autonomie locale, aux valeurs ancestrales. C’est la redécouverte d’un certain corporatisme du cru.

Mais, direz-vous, voilà de bien complexes circonvolutions pour évoquer la nouvelle présidence d’un club de football, fût-il professionnel.

Rien n’est jamais vraiment simple au Standard de Liège, ne l’a jamais été et ne le sera probablement jamais. Au départ, le mariage entre un entrepreneur à succès et le club le plus populaire de Belgique semblait gagnant pour tout le monde. Le club se voyait désormais dirigé par un homme d’affaires compétent et à la tête d’une jolie fortune. De quoi ravir les supporters impressionnés par les billets de banque qui devaient agir comme autant d’aimants pour attirer les joueurs mercenaires étrangers. L’investisseur lui-même voyait dans cet achat une promotion certaine par rapport à son statut de propriétaire du club de Saint-Trond ainsi que la création d’une nouvelle étoile dans la galaxie footballistique que l’homme développe peu à peu. Duwin-win !

Ce projet commun semble pourtant grippé, Roland Duchâtelet souhaitant désormais revendre le Standard, même s’il est aujourd’hui toujours le seul maître à bord d’un paquebot qui n’a jamais été aisé de diriger tant il a affronté les mers déchaînées et les orages dantesques.

Déjà en 1970, le célèbre journaliste Raymond Arets, grand connaisseur du club, disait : « Rien, désormais, de ce qui allait entourer la vie du club de Sclessin ne serait banal. » Mais, même si les procédures de cession du club engagées risquent d’être longues et que certains entrevoient la possibilité d’un rapport amour/haine de longue haleine de type Richard Burton/Liz Taylor, pour certains sympathisants du Standard, la cause semble entendue : Duchâtelet vendra le Standard.

Pourtant, grâce à des résultats sportifs probants, les choses pourraient peu ou prou s’arranger, un happy end comme dans les meilleures comédies américaines n’étant pas à exclure. Les paroles et les actes ont certes dépassé la moue circonspecte et le froncement des sourcils et ne risquent pas d’être effacés subitement par les prestations des joueurs sur le terrain. Et pourtant…

Le président et les supporters

Le Clochemerle du football. Il y a du Peppone et Don Camillo dans cet affrontement. Certes, la bonhommie des personnages a disparu. Et ne nous y trompons pas : les choses sont sérieuses. Nous assistons à la matérialisation d’un phénomène assis bien solidement sur un sentiment d’appartenance régionale.

C’est une histoire magistrale d’humanité. De celle qui conduit les hommes à s’affronter qui pour revendiquer la propriété et y conduire sa politique, qui pour défendre son habitat naturel.

La politique s’en mêle, envoyant ses entremetteurs missionnés afin de calmer les ardeurs des différents camps. La presse quotidienne se délecte des manifestations plus ou moins agressives des supporters vis-à-vis de la direction. Il s’agit finalement d’un sujet d’analyse où la psychologie le dispute à la sociologie. Où l’objectif se voit souvent emporté par le subjectif, le rationnel par l’émotionnel. L’aspect financier serait digne d’une étude économique spécifique, tandis que le côté sportif ne peut être délaissé tant les humeurs des uns et des autres peuvent varier en fonction d’un tir s’écrasant sur la barre transversale, d’un coup de tête providentiel ou d’un changement tactique peu heureux. Les choses peuvent aller vite en football et, au Standard, plus vite qu’ailleurs.

Mais « l’affaire » Duchâtelet en dit plus sur nous-mêmes que sur les mœurs spécifiquement footballistiques. Elle représente l’exemple parfait du choc frontal entre le monde de l’entreprise et la vie locale.

Loin de nous l’idée de diaboliser, de juger, de prendre position. Aussi éloignée l’ambition d’être exhaustif. L’idée de consacrer un ouvrage au Standard et ses supporters découle de notre étonnement renouvelé devant l’enthousiasme, la passion, la foi des supporters des Rouches. Une foi qui les amène à défendre avec ardeur, avec (dé)raison la maison rouge. Leur maison.

Les auteurs de cet ouvrage sont bruxellois. Personne n’est parfait. Notre neutralité dans le débat est donc de mise. Pour Jean-Marc, il s’agit de pousser plus loin son exploration sportive, son travail quotidien sur le terrain.

Pour Marc, sa soif de découvrir est celle de l’explorateur, du géographe travaillant sur une carte où les plans sont tous encore à dessiner.

Notre capacité à prendre la position de l’hurluberlu qui sort de l’œuf s’est trouvée renforcée au fil des rencontres formidables avec des personnages que cette enquête a mis malicieusement sur notre voie. Sans préjugé, la connaissance et l’expérience journalistiques de l’un, ainsi que le travail de proximité de l’autre, sont forcément devenus nos meilleurs amis. La proximité, justement, représente la dimension souvent oubliée par les décideurs de notre époque. Une proximité qui, au Standard, frise la promiscuité, tant le club fait partie intégrante de la vie même de ses supporters.

Le Standard, c’est nous !

Ces joueurs qui ont écrit la légende du Standard

Jean-Marc Ghéraille

« Nous étions des stars à Liège »

LÉON SEMMELING

Le « P’tit Léon », c’est le sobriquet sympa qui a été attribué à Léon Semmeling. Il a même traversé les décennies pour intégrer totalement le langage populaire. Rien à voir avec une célèbre enseigne bruxelloise spécialisée dans les moules-frites et qui s’est exportée partout dans le monde. Chez Léon Semmeling, c’est à Liège. Cela a toujours été à Liège et cela restera à jamais dans la Cité ardente et ses environs.

Rendons néanmoins à l’auteur la paternité de sa trouvaille : Luc Varenne, le pape du commentaire sportif radiophonique qui, à l’époque, pouvait enjoliver la moindre action d’un match de foot ou la plus petite accélération d’Eddy Merckx. Un jour, dans un des excès de langage qui faisaient sa marque de fabrique, il a rebaptisé Semmeling « Le P’tit Léon » et, aujourd’hui encore, cinquante ans plus tard, ce surnom lui colle à la peau.

« Il n’avait pas tort », avoue le retraité de 74 ans qui loupe rarement un match du Standard à domicile. « Je n’étais effectivement pas très grand et… je n’ai pas vraiment grandi depuis lors. Je n’ai évidemment jamais pris ombrage de cette dénomination d’autant qu’elle est sympathique. Luc Varenne faisait la pluie et le beau temps sur les antennes de la RTB radio à une époque où la télévision ne possédait pas encore le pouvoir d’aujourd’hui. Ses commentaires étaient écoutés de manière quasi religieuse. Durant toute ma carrière, ce surnom m’a poursuivi. Je n’ai pas eu à m’en plaindre, cela a même aidé à ma popularité. »

De Visé à Sclessin

Avec Léon Semmeling, nous plongeons dans les entrailles de la naissance du « grand » Standard. Celui qui, durant les années 1960, est monté en puissance, a titillé l’ogre Anderlecht, a réalisé ses premiers exploits européens et a fini par prendre le pouvoir sur le football belge avec le fameux triplé des titres de champion de Belgique en 1969, 1970 et 1971. C’est le début d’un palmarès de haut vol.

Car, même s’il a entamé sa carrière chez les jeunes au CS Visé où il a intégré l’équipe première à 16 ans à peine, il n’a connu qu’un seul amour footballistique : le rouge et le blanc du Standard. Il y débarque en 1959 à l’âge de 19 ans. Le Standard de Liège vient de fêter son tout premier titre de champion de Belgique avec les Jean Mathonet, Paul Bonga Bonga, Denis Houf et André « Popeye » Piters. C’est le club du moment, celui dont on sent déjà qu’il va compter dans la décennie suivante. Durant quinze longues et belles années, puisqu’il ne quitte le Standard qu’en 1974, Léon Semmeling a tout connu. Surtout la gloire, les succès, les titres et les exploits, notamment sur la scène européenne. Après une escapade en fin de carrière à La Louvière et à Namur où il s’est frotté au coaching, il est revenu comme un aimant vers Sclessin pour devenir, au début des années 1980, l’adjoint de Raymond Goethals.

« J’ai dit non au Real pour rester au Standard »

D’un style papillonnant et virevoltant proche de Dries Mertens ou de Mehdi Carcela, le P’tit Léon était un ouvre-boîte. Un dribbleur dont les mouvements rapides désarçonnaient ses adversaires. Les poussant parfois (souvent ?) à la faute. Parmi la panoplie de Semmeling figurait aussi – et cela fait partie de sa légende – sa capacité à se laisser tomber… dans le rectangle.

« J’étais léger, j’allais vite et les défenseurs étaient parfois maladroits », sourit-il. « Aujourd’hui, parce qu’il y a prescription, j’avoue que j’en ai parfois profité. »

International à trente-cinq reprises, il n’a paradoxalement jamais inscrit le moindre but sous le maillot des Diables Rouges, il a pris part à la Coupe du monde 1970 au Mexique qui ne restera pas dans les annales du foot belge, mais il fut aussi demi-finaliste de l’Euro 1972. À maintes reprises, il fut approché pour quitter le Standard. Par les clubs les plus renommés de la planète foot dont… le grand Real Madrid. Avec un joli contrat à la clé, mais…

« J’étais et je reste ancré au Standard. Je m’y sentais tellement bien que je ne me voyais pas forcément le quitter, tenter l’aventure, changer de pays et de championnat. Aujourd’hui, tout est différent. L’encre du contrat d’un joueur n’est pas encore sèche qu’il annonce déjà qu’il ambitionne de partir dans un club plus huppé. Une question de génération sans doute. Je ne critique pas, je constate simplement. En 1962, nous avons joué contre le grand Real Madrid en demi-finale de ce qui s’appelait encore la Coupe des clubs champions (4-0 et 2-0). L’omnipotent président rouche Roger Petit m’interpelle en aparté : “J’ai en poche une proposition du Real Madrid pour te transférer”, me dit-il. “Tu as quinze jours pour te décider !” Je ne l’ai appris que bien plus tard, mais le prix offert à l’époque était conséquent : 8 millions de francs belges, soit 200 000 euros. Cela peut paraître dérisoire tant les montants actuels sont exorbitants mais, en 1962, c’était beaucoup d’argent. Je ne devrais sans doute pas l’avouer, mais je n’ai pas tellement hésité… pour rejeter le challenge. Comme je l’ai dit, je n’avais pas l’âme d’un aventurier, je me sentais bien au Standard, nous avions une bonne équipe et mon père venait de décéder. Autant de paramètres qui ont nourri ma réflexion. Je n’avais pas la tête à m’exiler. Ou alors je n’ai peut-être pas bien réalisé ce qui se passait, c’est possible (sic). Je n’ai jamais eu le moindre regret. J’ai vécu des moments extraordinaires. Rien ni personne ne peut m’affirmer que cela aurait été mieux ailleurs. C’est la raison pour laquelle, par exemple, j’ai parfaitement compris qu’un garçon talentueux comme Jan Ceulemans ait délibérément choisi de jouer durant toute sa carrière pour le FC Bruges. Lui, encore plus que moi, aurait pu facilement défendre les couleurs d’un club étranger. Mais je reconnais que cet attachement est un peu suranné. En 2014, si tu as une proposition du Real Madrid et que tu dis “non”, non seulement on te prend pour un con mais ton président t’ordonne d’y aller… »

« Quelle ambiance ce premier match européen ! »

Dans les années 1960, le Standard était une véritable machine à gagner. Son palmarès renseigne cinq titres (1961, 1963, 1969, 1970 et 1971), dont la fameuse trilogie sous la férule de l’entraîneur français René Hauss. Une équipe qui a marqué l’histoire du club et dont les noms résonnent encore dans les cœurs des supporters rouches : Jean Nicolay, Jean Thissen, Erwin Kostedde, Wilfried Van Moer et… Léon Semmeling. Avec le président Roger Petit, le Standard devenait (enfin…) un vrai rival d’Anderlecht, alors largement le club numéro un en Belgique. Mieux, il le devançait et lui faisait même de l’ombre. Pour déboucher sur une vraie opposition de style dont l’imaginaire a encore aujourd’hui pignon sur rue : le foot populaire et « ouvrier » du Standard (le terrain de Sclessin n’avait rien d’un billard à cette époque) et le style, la classe d’Anderlecht. Les temps ont évidemment beaucoup changé…

Cinq titres, trois fois vice-champion, une carrière internationale et deux Coupes de Belgique (1966 et 1967), le palmarès de Léon Semmeling est l’un des mieux fournis du pays, mais l’homme n’a jamais été une grande gueule. Pas le genre à crier sur tous les toits qu’il est le meilleur ni à distiller la dernière blague pour faire rire tout le monde. Une discrétion qui lui a peut-être coûté le gain d’un (au moins) Soulier d’Or. Durant ses quinze années de service à Sclessin, trois de ses équipiers lui sont passés devant pour la récompense individuelle la plus convoitée : Jean Nicolay en 1963, Wilfried Van Moer en 1969 et 1970 et Christian Piot en 1972. Sans regret.

Sur le terrain, Semmeling était un ailier de débordement. Il faisait marquer davantage qu’il ne marquait. C’était un altruiste. Un vrai homme de collectif même si, lui, disposait de l’ouvre-boîte pour déstabiliser une défense. Une aventure rouche qui a débuté le jour de la Toussaint, le 1er novembre 1959.

« Mon club d’origine, c’est le CS Visé qui évoluait à l’époque en Provinciale 1. À l’âge de 16 ans et demi, j’ai été intégré à l’équipe première. Les espions du Standard m’ont repéré et j’ai rejoint le club en… Juniors. J’ai débarqué dans un Standard qui venait de fêter son premier titre de champion de Belgique en 1958. Je me faisais tout petit dans le vestiaire et à l’entraînement. Avant de faire partie du club, je n’avais jamais mis les pieds dans le chaudron de Sclessin en tant que supporter. Mais mon père, qui y venait, m’avait raconté quelques rencontres épiques. Ma première expérience en live fut fabuleuse. C’était le 3 septembre 1959 à l’occasion du tout premier match européen du club [NDA : En Coupe des clubs champions] face aux Écossais de Heart of Midlothian. Le stade, qui n’avait pas la configuration actuelle, était plein comme un œuf. Tout le monde était serré comme des sardines, mais quelle ambiance ! C’est ce jour-là que j’ai découvert ce qu’était le public du Standard, le peuple rouche. Au-delà de la victoire (5-1), forcément historique [NDA : Pour une première expérience, le Standard allait encore éliminer le Sporting Lisbonne avant de tomber sur le Bayern Munich de l’époque, le Stade de Reims], j’ai senti l’amour du public et l’attachement à ses couleurs. Je n’avais qu’une seule envie : être sur la pelouse. D’autant que l’ancien Sclessin était encore plus impressionnant que le stade en version moderne. Tous les spectateurs étaient débout. La Tribune 2 ne formait qu’une seule masse compacte dont aucune tête n’émergeait. »

En 1959, le gamin Semmeling intègre donc le Standard qui gagne. Il y fait sa place et devient rapidement incontournable et très populaire.

« Dans mon village de Berloz, tout le monde était supporter du Standard. Tous ne venaient pas au stade pour soutenir l’équipe, mais tous étaient des sympathisants. Ils étaient surtout fiers que des gamins du village évoluent dans le grand club de la région. Ils ne le disaient pas par pudeur, mais je le ressentais. Il faut dire que trois joueurs cadres du Standard habitaient dans un rayon de trois kilomètres : Lucien Spronck, l’inimitable Roger Claessen et moi. C’est un phénomène suffisamment rare pour être souligné et cela faisait la fierté des habitants. »

« Le FC Liégeois a poussé le Standardà être meilleur »

Pourtant, dans la région et surtout dans la Cité ardente, la rivalité faisait rage. Dans la principauté et ses environs, vous étiez soit Rouche du Standard, soit Sang et Marine du FC Liégeois. Il n’y avait pas d’alternative. Et ce n’était pas pour rigoler…

« Dans les murs de la ville, le FC Liégeois était largement plus populaire que le Standard. Par contre, dans la province de Liège, le Standard parvenait à équilibrer, mais le FC Liégeois possédait une excellente équipe. Les derbys n’étaient pas une sinécure pour le Standard. Toute la ville en parlait avant, pendant et après le match. Au-delà d’être champion de Belgique, il fallait surtout et d’abord être le premier club de la ville. Les titres de 1960, 1961 et 1963 ont, à mes yeux, fait basculer quasi définitivement la situation en faveur du Standard. Les Liégeois, qui étaient partagés et ne parvenaient pas à trancher entre les deux entités, ont opté pour le club qui était dans l’ascenseur : le Standard. Il peut d’ailleurs remercier le FC Liégeois de l’avoir poussé à devenir meilleur. Cette émulation a permis au Standard de grandir et de s’envoler. »

« Roger Claessen avait l’art de communier avec le public »

De nos jours, les joueurs sont encore davantage starifiés, parfois trop et trop rapidement, mais le contact direct avec les supporters est devenu quasi inexistant. Il s’est en tout cas effiloché. Dans les années 1960, les joueurs du Standard vivaient dans la ville, avec la ville et ne se cachaient pas pour sortir et guindailler.

« Je n’étais personnellement pas un grand sorteur mais le contact a toujours été très chaleureux. Idem avec les journalistes qui débarquaient dans le minuscule vestiaire pour nous interviewer et avec qui on allait parfois boire un verre, manger un bout. À l’époque, tout le monde nous croisait en ville, mais cela ne faisait pas la une des journaux. Aujourd’hui, les joueurs ne sont pas forcément plus sages que nous, mais ils se cachent. Par peur d’être repérés, photographiés, filmés et balancés sur Internet.

Ce n’est pas un hasard si l’effigie de Roger Claessen trône devant la tribune principale du stade du Standard. Il a été élu Standardman du siècle parce qu’il représentait parfaitement ce qu’était l’âme du Standard. Un pur Liégeois, un excellent joueur de foot, il avait l’art de communier avec le public, il aimait la fête, les sorties et s’amuser, mais, sur le terrain, il se donnait. Le public de Sclessin a toujours été exigeant, mais il ne réclamait pas des ronds de jambe et des dribbles brésiliens. Il a toujours voulu et, cela n’a pas fondamentalement changé, de l’engagement. Si tu te donnes à fond, même si tu rates ton match, il ne te fera pas de reproches. Par contre, certains joueurs qui ont rejoint le Standard possédaient des qualités techniques supérieures à la moyenne, mais ils étaient trop nonchalants pour plaire au public. Cela ne cadrait pas avec ce qu’il attend d’un joueur du Standard. »

« Ils aiment le foot hourra »

Les clichés ont la vie dure. En football comme ailleurs. Le Standard a toujours charrié la réputation d’une équipe physique, qui allait au combat et qui ne lâchait rien. A contrario, Anderlecht s’inscrivait comme le chantre du football champagne, du geste léché et de la technique. Au fil des décennies, ces stéréotypes ont évidemment volé en éclats. Le Standard qui a décroché le titre de champion de Belgique en 2008, après vingt-cinq ans de disette, n’était pas qu’un ensemble de bûcherons et de marathoniens : Marouane Fellaini, Steven Defour, Axel Witsel… Il y avait de la classe dans le groupe emmené par Michel Preud’homme, autre symbole et légende du Standard. « Cette image, qu’il faut évidemment nuancer aujourd’hui, remonte aux années 1960. Anderlecht dominait le football belge et misait effectivement sur un jeu de qualité, tout en passes et en dribbles. Le public de Sclessin était essentiellement composé d’ouvriers. Des gens qui trimaient dur durant la semaine et venaient se défouler au stade le week-end. Leur première exigence était claire envers les joueurs : il faut y aller à fond ! Le foot hourra leur plaisait et, même si des techniciens ont fait leur trou à Sclessin, cela reste peu le cas. Les supporters rouches n’aiment pas les chipoteurs. Lors de la grande suprématie d’Anderlecht sous l’ère Sinibaldi avec trois titres consécutifs de 1964 à 1966, nous tentions de nous accrocher tant bien que mal. Si nous parvenions à garder un 0-0 à la maison contre le “grand” Anderlecht en ayant sorti nos tripes, le public était aux anges. Ce jeu que l’on pourrait qualifier de jeu “à l’anglaise”, un entraîneur a voulu le modifier. Et le public ne l’a, dans un premier temps, pas bien accepté. »