Les enfants maudits d'Antioche - Florian HORRU - E-Book

Les enfants maudits d'Antioche E-Book

Florian HORRU

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Beschreibung

Au petit matin, à la pointe de Chassiron, un photographe amateur aperçoit une masse informe prise dans l’une des épaves échouées sur le rocher d’Antioche. À son arrivée sur le récif, la brigade maritime découvre, emmailloté dans un filet de pêche, le cadavre de Lilian Thomas, un écrivain en quête d’inspiration, nouvellement arrivé sur Oléron. Enfoncé dans sa bouche, un message énigmatique alerte les enquêteurs : « L’enfant sacrifié sera sauvé ».

Tout se bouscule quand les gendarmes apprennent que l’écrivain se vantait d’avoir mis la main sur un secret lié au naufrage du Port Caledonia – un quatre-mâts finlandais échoué sur Antioche un siècle plus tôt.

Quel secret Lilian Thomas était-il parvenu à exhumer ? Et que contenaient les cales de ce navire en provenance d’Amérique du Sud ? C’est tout l’enjeu de cette affaire aux nombreux rebondissements !


À PROPOS DE L'AUTEUR

Florian HORRU est le directeur d'un magasin Intermarché sur l'île d'Oléron. En 2019, il se décide à franchir le pas en produisant son premier roman : Oléron couleurs pourpres. L'idée, camper des gendarmes oléronais sur des enquêtes locales, ce qui permettra au lecteur de découvrir l'île d'Oléron sous bien des aspects. Les traditions, l'Histoire, bref l'identité d'Oléron à travers des enquêtes, qui sont autant de prétexte pour mieux faire connaître son île.

Viendront ensuite ; Peur Bleue sur Oléron, puis La Dame d'Oléron et enfin Les enfants maudits d'Antioche en 2022.
2022 où X9-M6 lui consacre une émission intitulée : La vie secrète des supermarchés.

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Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.

 

 

 

 

 

 

Les enfants maudits

D’antioche

 

 

 

 

 

Tous droits réservés

© Editions Terres de l’Ouesthttp ://www.terresdelouest-editions.frinfos@terresdelouest-editions.frISBN papier : 979-10-97150-98-3ISBN numérique : 978-2-494231-07-8

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photographiques couverture :

Réalisation couverture : Terres de l’Ouest Editions à partir d’une illustration de Ludo.

 

 

 

 

 

Florian Horru

 

 

 

 

 

 

Les enfants maudits

D’antioche

 

 

 

 

 

 

 

 

Roman

Le jeu des pièces de collection :

À l’occasion de la publication du roman de Florian Horru, Les enfants maudits d’Antioche, nous tenions à vous rappeler quelques règles encadrant le jeu proposé par l’auteur et la maison d’édition.

Au total, ce sont pas moins de quinze (15) pièces d’une monnaie frappée à titre exceptionnel pour le présent concours (40mm de diamètre pour 3mm d’épaisseur) à l’effigie de l’auteur sur le recto et d’un visuel inca sur le verso, ressemblant à ceci :

 

 

La personne qui découvrira une ou, qui sait, plusieurs pièces remportera la somme de 100€ par unité découverte. Il suffira, une fois l’exemplaire trouvé, d’entrer en contact avec M. Florian Horru par mail à l’adresse suivante : [email protected]. Un rendez-vous sera fixé avec le découvreur pour vérifier la validité de la pièce de collection et lui remettre son Prix.

 

Comment découvrir le ou les lieux dans lesquels sont dissimulées les pièces ?

Pour cela, rien de plus simple ! Tout au long du livre, vous allez relever des citations et indices en fin de chapitre, qui vous orienteront vers des lieux historiques ou des sites touristiques de Charente-Maritime.

Une fois l’endroit déterminé par vos soins, il suffira de chercher sur place la pièce de monnaie, placée dans son écrin.

Pour ce faire, il n’est ni nécessaire de creuser, ni encore moins de démonter des pierres... La pièce sera toujours cachée dans un périmètre de 15 à 20 mètres maximum autour du site décrit. Une fois sur place, vous n’aurez en aucun cas besoin d’outils.

Dans le but évident de ne pas importuner les personnes résidant à proximité des cachettes, il est précisé que ces pièces seront dissimulées sur le domaine public et jamais chez des particuliers. Merci de respecter la tranquillité des riverains.

 

 

Nuit du 1er décembre

Le nord de l’île s’avance dans l’océan comme la proue d’un navire courageux, affrontant les courants, les vagues et les noroîts1. Les vents ont raclé le promontoire jusqu’à l’os, ne laissant qu’une fine couche de terre saupoudrant les strates calcaires. Il y pousse une végétation éparse, quelques buissons de tamaris déformés, ébouriffés, tordus ; des cyprès aux troncs courbés et aux broussailles hirsutes, symboles de leur résistance face aux éléments contraires. Plier, ne pas rompre.

Sur cette pointe du « Bout-du-Monde », les tempêtes sont terribles, mais celles qui sévissent en hiver sont les plus cruelles. Elles ne pardonnent rien, ni la moindre défaillance matérielle ni la plus petite faute de navigation. Elles poussent le bateau fautif sur les bancs de sable ou contre les rochers et c’est le naufrage.

Des champs d’artichauts s’étendent à perte de vue sur le plateau entre Saint-Denis et Chassiron. Par endroit, des vignes alignent leurs ceps noueux. On raconte qu’autrefois, les vignerons creusaient des trous pour les y enterrer, afin que le vent ne puisse les déraciner et les emporter au loin. Cela donnait au vin blanc un goût âpre et minéral, qui laissait au consommateur en arrière-bouche celui de la pierre à fusil.

Un jour, Oléron basculera dans la mer. Les éboulis au pied de la falaise annoncent ce combat perdu d’avance. L’estran n’est que roche usée et limée, dont les poussières se mêlent au sable. La plupart des blockhaus ont depuis longtemps capitulé, pour ainsi dire désintégrés au fil des ans par la violence des éléments. Combien de temps reste-t-il au sémaphore et au phare avant qu’ils ne disparaissent à leur tour ?

*

1er décembre 2021, deux heures du matin, l’heure où la marée était la plus haute.

Depuis la falaise, un homme observait la mer. À gauche, l’océan et le début de la côte sauvage. À droite, le pertuis qui sépare Oléron de La Rochelle. Par temps clair, on distingue facilement l’île de Ré et le phare des Baleines qui en marque la pointe nord. Celui d’Oléron se signale par un éclat de lumière blanc émis toutes les dix secondes. Chacun dispose de sa signature, son code qui permet aux marins de les différencier. À l’époque des faits qui préoccupaient l’homme, il n’existait rien de tel et seuls deux feux brûlaient au sommet du phare de Chassiron.

Une grande marée était prévue pour la fin de la semaine, mais déjà, une forte houle agitait la surface de l’eau. Des vagues se dressaient en crêts élevés que les rouleaux d’écume chevauchaient avant de venir se fracasser au pied du rocher d’Antioche. Situé à plus d’un kilomètre en mer, tapi au ras des flots, ses pointes acérées invisibles à l’œil nu, le promontoire guette les proies qui naviguent, confiantes. Certains racontent que les brisants sont les vestiges d’une cité disparue, engloutie par les flots. Mais existe-t-il une côte qui ne revendique au moins une légende aux allures d’Atlantide ? Ce qui a été prouvé en revanche, c’est que le rocher d’Antioche bornait, plusieurs siècles auparavant, l’extrémité de l’île d’Oléron.

En cette heure obscure, l’homme devait faire appel à ses souvenirs pour visualiser la tour noire et jaune signalant aujourd’hui les récifs mortels. Quatre-vingt-dix-huit ans plus tôt, il n’y avait à la place qu’un échafaudage de bois fragile, juché sur un derrick métallique. Sans feux installés sur la balise, la nuit l’engloutissait et la dissimulait à la vue des navires. On y avait aménagé une échelle pour que les marins en détresse s’y agrippent ainsi qu’une plate-forme pour qu’ils s’y réfugient. Encore fallait-il qu’ils puissent l’atteindre…

Au cours de la seconde partie du dix-neuvième siècle, pas moins de soixante bateaux s’étaient échoués sur le rocher « mauvais », comme le nomment les gens d’ici. Tant de drames s’étaient déroulés sur cette pointe. Le plus effroyable étant sans conteste le naufrage du Port Caledonia.

L’individu secoua la tête avec tristesse.

C’est probablement par une nuit semblable à celle-ci que le quatre-mâts avait sombré. La mer était grosse et le temps bouché. Pourtant, malgré des conditions aussi défavorables et sans pilote pour le guider dans le pertuis, le Capitaine s’était engagé dans le passage…

L’homme pouvait presque entendre le cri de la vigie apercevant la tourelle d’Antioche et ceux des seconds hurlant leurs ordres désespérés pour tenter d’abattre et de passer au large, la barre sous le vent.

Trop tard. Les brisants avaient perforé la coque d’acier, l’éventrant sur toute la longueur dans un hurlement métallique et caverneux tonitruant, stoppant net le navire. L’observateur du moment imaginait la secousse, les marins projetés comme des fétus de paille, glissant, se cognant, chacun se raccrochant à ce qu’il pouvait : un cordage, un autre matelot… Éviter de tomber à la mer. Résister aux vagues s’abattant sur le géant immobilisé, livré aux fureurs de l’océan. Les haubans s’étaient effondrés sous l’assaut, mais les mâts se dressaient encore au-dessus des flots, entretenant l’espoir illusoire qu’on les repérât rapidement.

La visibilité était tellement mauvaise ce 2 décembre 1924 que le chef guetteur du sémaphore ne les avait remarqués qu’à 6h25. C’est à cette heure-là qu’il avait découvert la silhouette du navire, couchée sur tribord, l’étrave tournée vers le large, après avoir touché la tête de la roche sur bâbord. Les matelots étaient grimpés sur les mâts pour tenter d’échapper à la fureur des eaux et tenaient bon malgré le froid qui engourdissait les doigts et les déferlantes qui martelaient le vaisseau de leurs coups de boutoir. Surtout ne rien lâcher.

Dès qu’il eut donné l’alerte, des équipages de secours se formèrent. Ce n’étaient pas de vrais marins, mais des pêcheurs et des paysans entraînés par l’administrateur du quartier maritime, des volontaires courageux risquant leur propre vie pour braver l’océan déchaîné et lui arracher ses prises. On leur devait de nombreux sauvetages.

Ils sortirent des hangars les lourds canots de bois équipés de caissons étanches. Puis, ils attelèrent les chevaux qui les traînèrent jusqu’à la plage où ils installèrent des rails pour les mettre à l’eau. Il en vint de partout, d’abord du village de Saint-Denis, puis de Chaucre, de La Rochelle…

Voir les premières embarcations arriver enfin – il était environ treize heures –, avait dû redonner confiance aux matelots naufragés. Peut-être même avaient-ils cru qu’ils pourraient s’en sortir. Qu’avaient-ils ressenti à la vue de leurs sauveteurs luttant de longues heures et refluant sans cesse, empêchés de s’approcher ? À quel moment avaient-ils compris que les rouleaux ne faibliraient pas ? Que les mâts céderaient les uns après les autres, arrachés par les lames implacables s’acharnant sur eux ?

Depuis la falaise, à l’endroit même où se tenait l’homme, les habitants des villages de la Morelière et de Saint-Denis avaient assisté, impuissants, aux tentatives avortées, priant pour la sauvegarde de tous. Certains ont dit par la suite qu’ils avaient entendu hurler le chien de bord, signe que tout était perdu.

Le chef guetteur du sémaphore avait noté dans son rapport que le dernier matelot, perdant espoir d’être secouru, s’était jeté à la mer à seize heures trente, serrant entre ses dents la photo de sa fiancée.

Les jours suivant le naufrage, on retrouva sur les côtes oléronaises vingt-trois corps humains ainsi que celui du chien de bord et cinq photographies de fiancées, remises au Consul de Finlande lors des funérailles officielles.

Un vingt-quatrième fut découvert sur la plage de la Basse-Benaie, à côté de Sainte-Marie-de-Ré, horriblement mutilé. La mer garda pour elle le dernier homme figurant sur les registres. Dans l’incapacité d’identifier précisément les corps, en dehors de celui du Capitaine Karlssonn, Commandant du Port Caledonia, on grava les vingt-cinq noms sur la plaque recouvrant leur tombe.

Longtemps, des récits avaient couru sur les causes de ce drame incompréhensible. Un quatre-mâts à la coque d’acier qui avait déjà à son actif de nombreuses traversées, ayant sillonné des milliers de miles depuis Callao au Pérou, franchi le redoutable cap Horn, ses tempêtes, ses vagues qui pouvaient atteindre les trente mètres de haut et ses icebergs, pour venir s’échouer sur Antioche… Dire qu’il ne leur restait que dix miles à parcourir pour atteindre La Rochelle.

Certains avaient évoqué l’intervention du diable cornu – on est autant superstitieux que croyant chez les marins –, l’œuvre de naufrageurs ou un sabotage perpétré par le vingt-cinquième homme, celui dont le corps ne fut jamais retrouvé.

L’homme sur la falaise esquissa un large sourire. Il avait percé le mystère. Restait à déterminer la façon dont il allait révéler au monde ce secret enfoui depuis près de cent ans.

Au loin, dans la nuit, un chien se mit à hurler.

 

 

 

 

 

 

 

À bord de leurs chaloupes, c’est depuis mon ponton que les Oléronais sont partis secourir les matelots du Port Caledonia.

 

 

 

Les éperlans n’ont qu’à bien se tenir !

 

Chapitre 1

L’horizon s’éclaircissait lentement. Les rayons orangés du soleil se répandaient sur sa ligne, annonçant la venue d’un jour nouveau. Le Capitaine Pierre Bourguignon ne leur accorda pas un regard. Il marchait sur l’estran, la tête baissée, englué dans ses idées noires, imperméable aux frimas de ce début janvier.

Rien n’y faisait.

Il ne parvenait pas à sortir du marasme de tristesse qui l’engluait depuis la naissance de son fils, Marceau, 3,8 kilos, 51 centimètres. Aux dires de tous, c’était un bébé magnifique. Sa peau était rose et lisse, ses traits fins parfaitement dessinés, ses petites oreilles délicatement ourlées.

Sa femme Marine baignait dans une douce aura de félicité maternelle, même si elle lui lançait de plus en plus souvent des regards pensifs. Elle s’inquiétait. Pour l’instant, il réussissait à donner le change à tout le monde, prétextant les nuits entrecoupées par les pleurs du bébé pour expliquer sa mine fatiguée.

Comment avouer que l’arrivée de Marceau avait réveillé ses démons ? Qu’il n’arrivait pas à le prendre dans ses bras sans avoir envie de fracasser quelque chose. Sa propre violence lui faisait peur. Mais quel monstre était-il pour réagir ainsi devant ce petit être sans défense ?

C’était complètement incompréhensible. Il se souvenait du choc que l’annonce de la première grossesse de Marine avait provoqué en lui, ils avaient même failli se séparer. Puis, une vision de bonheur avait frayé son chemin. Il se souvenait encore, comment lui, l’anti-Monsieur-La-Bricole, avait passé de nombreuses heures à déchiffrer une notice nébuleuse et compter mille fois les vis pour monter la table à langer de leur fille.

La naissance de leur petite Rubis, presque trois ans plus tôt, l’avait empli d’une joie intense. Il ne s’était pas posé de questions et l’avait accueillie à part entière dans sa vie et son cœur. Dès qu’il l’avait serrée contre lui, il avait su qu’ils s’aimeraient. Tout comme il avait su que si elle venait à disparaître, il n’aurait pas le courage de surmonter à nouveau un tel drame.

C’était presque la situation inverse avec Marceau. Il s’était réjoui d’ouvrir leur foyer à un deuxième enfant. Il avait accompagné Marine dans l’épreuve de l’accouchement, inspirant et soufflant avec elle. Il avait coupé le cordon ombilical et déposé le bébé dans les bras de sa maman. Puis le personnel soignant lui avait proposé de pratiquer un câlin peau à peau, père-fils.

Comme il ôtait sa chemise, il avait eu soudain l’impression qu’un couperet s’abattait sur lui. Les souvenirs de l’incendie et du visage enfantin appelant à l’aide derrière la fenêtre avant de s’effondrer l’avaient envahi, s’interposant entre Marceau et lui. Il était resté tétanisé jusqu’à ce qu’on lui reprenne le bébé et depuis il luttait vainement pour l’aimer, lui, la chair de sa chair, au même titre que sa sœur ou ce demi-frère qu’il ne connaîtrait jamais. Mais son cœur restait fermé et ses sentiments se dégradaient de jour en jour. Rejet, colère, dégoût de lui-même… Il ne savait comment enrayer cette spirale infernale. L’océan était le seul à qui il osait se confier. Sans ses marches matinales sur l’estran, il n’aurait pas pu tenir.

Quand il arriva à la gendarmerie, son adjoint, le lieutenant Jean-Claude Tessier était déjà arrivé, pendu au téléphone avec sa Martine. Depuis quelque temps, il avait troqué ses petites lunettes contre des lentilles et teint ses cheveux grisonnants. Pierre se réjouissait pour son collègue, devenu un ami. Celui-ci avait failli sombrer quand sa femme l’avait quitté après vingt années de vie commune, mais sa rencontre avec Martine l’avait sauvé. Aujourd’hui, il vivait une relation apaisée avec son ex-femme et ses deux fils qui terminaient leurs études à La Rochelle.

Pour Bourguignon, la vision de ce bonheur roucoulant rendait son propre malaise insupportable. En passant, il fit un signe rapide de la main et gagna son bureau, situé sur la mezzanine. Il aimait cette position en surplomb d’où il pouvait observer ses hommes œuvrer pour la justice. Le seul inconvénient était que cet espace ouvert ne procurait pas la confidentialité dont il avait besoin parfois en tant que commandant d’un poste. En fin d’année dernière, il avait obtenu le déblocage inespéré de crédits et avait fait poser des parois en verre. Pour fêter l’événement, un percolateur dernier cri était venu remplacer la vieille machine à café du service. Ce qui n’était pas un luxe ! Du coup, ses collègues lui rendaient moins souvent visite qu’auparavant lorsqu’ils venaient pour lui soutirer un bon café de sa machine personnelle.

Le Capitaine remplit le réservoir d’eau et sélectionna la fonction expresso. L’odeur douce-amère se répandit dans la pièce. Soudain, il entendit des pas qui gravissaient l’escalier métallique avec précipitation. Jean-Claude apparut, essoufflé.

— On nous signale un corps du côté de Chassiron.

Ils partirent sans perdre de temps, remontant vers le nord de l’île.

— Des détails ?

— Une noyade, apparemment. C’est la brigade nautique qui nous a appelés, mais ils n’ont pas donné plus de précisions.

Bourguignon hocha la tête. Les collègues connaissaient leur affaire. S’ils les avaient appelés, c’est qu’ils avaient des doutes sur la nature accidentelle du décès.

Le phare de Chassiron apparut dans toute sa splendeur dès la sortie du village de La Morelière. Un gendarme les attendait sur le parking au pied du vieux bagnard ; il les accompagna jusqu’à la « fin des terres » surplombant une plage recouverte d’un épais monticule de galets blancs de toutes les tailles et qui semblaient devoir protéger la falaise des violents assauts hivernaux de l’océan. Ce rempart de calcaire n’était pas très impressionnant, à peine cinq mètres de haut, mais il ouvrait à 180 degrés la vue sur l’océan dont les bleus se confondaient avec ceux du ciel. La marée remontait, renouvelant naturellement l’eau à l’intérieur de petites casses, sorte de flaques dans lesquelles elle stagnait à marée basse et où les pêcheurs à pied, nombreux au moment des gros coefficients, retournaient chaque centimètre carré de sable et de cailloux en quête des palourdes, bigorneaux et autres praires. Des mouettes planaient dans les courants à la recherche de moines ou d’éperlans prisonniers des innombrables piscines naturelles.

Bourguignon et Tessier aperçurent en contrebas, jumelles rivées au visage, le Commandant Peyrade, responsable de la brigade nautique de La Rochelle. Ils longèrent la falaise sur une dizaine de mètres, passèrent sous un arbre au tronc courbé par les vents et descendirent au bas de la côte.

— Bonjour commandant. Alors, qu’est-ce qu’on a ? demanda le Capitaine sans perdre une minute.

— D’après mes hommes, dit-il en montrant l’émetteur radio qu’il tenait en main, il s’agit d’un corps emmailloté dans un filet de pêche. Probablement jeté au large et que les courants ont déposé sur Antioche. Les cordes se sont arrimées à l’un des vestiges de navires échoués. Mes hommes sont en train de le remonter à bord. Je surveille avec attention la manœuvre du zodiac, à cause des récifs. La frégate n’a pas un tirant d’eau suffisant pour se rendre au plus près de l’estran, expliqua-t-il tout en poursuivant son observation à travers les jumelles.

Soudain, les opérations paraissant terminées, il baissa ses deux gros hublots vert bouteille et interrogea le Capitaine :

— Comment procède-t-on ? Vous souhaitez voir le corps avant son transfert à la morgue ?

Songeur, Bourguignon tourna son regard au loin vers la tour jaune et noire surplombant les rochers, bâtie pour prévenir les marins du danger mortel que représentaient les brisants, invisibles quand l’eau les recouvrait. À ses pieds gisaient les décombres de nombreux voiliers, dundees ou navires à vapeur. Parmi eux, l’épave semi-immergée du Golgoï Imparra ayant sombré en 1975, des chaudières, des ancres et autres débris de tôle… Ce n’était pas sans raison que dans le pays, on l’appelait le « rocher mauvais ».

Tout en échangeant, les deux officiers avaient repris la direction d’un bout de falaise éboulé, qui permettait de se hisser sur le promontoire au pied du phare.

— Oui, j’aimerais bien. Vous me parlez de la morgue, mais j’imagine qu’il va passer avant entre les mains du légiste ?

— Figurez-vous que de manière tout à fait exceptionnelle, nous avons le nôtre à bord. Il souhaitait assister à l’une de nos interventions « pour de vrai ». Il se trouve actuellement sur le zodiac et doit avoir déjà débuté son travail. C’est un élément efficace et en plus il a le pied marin, ce qui ne gâche rien.

— Bon, très bien, dans ces conditions, le plus simple serait que votre équipe accoste à Saint-Denis avant de rentrer sur La Rochelle. C’est à deux pas d’ici ! Et concernant l’alerte, qui vous a signalé le corps ?

— Il s’agit d’un photographe amateur. L’homme réglait sa focale pour une prise de vue au large quand il a distingué une forme se dandiner au gré des ondulations sur les rochers juste au-dessous d’une chaudière rouillée. Dans le doute, il a préféré nous contacter…

— On dirait qu’il a bien fait, merci commandant. Vous êtes venu en voiture ?

— J’arrive d’un congrès à La Tremblade, comme j’étais pas loin et que ma réunion finissait, j’en ai profité pour faire un saut.

— Parfait, vous pouvez me conduire au port ?

—  Avec plaisir.

— Tessier ! cria soudain Bourguignon à l’attention de son collègue en surplomb, tu prends la déposition du témoin et tu n’oublies pas ses coordonnées et son téléphone, en cas de besoin. Ensuite, tu me rejoins au port à Saint-Denis. Le Commandant me fait la gentillesse de m’y conduire.

Après avoir regagné à pied le grand parking à l’entrée du site du phare, les deux officiers montèrent dans le véhicule du haut gradé, et prirent la direction de Saint-Denis. Dix minutes plus tard, après un tour complet du village en raison de travaux sur l’ensemble des voiries du centre, ils débouchèrent sur le magnifique lieu de plaisance par la bien nommée « rue du Port ». Le véhicule de gendarmerie passa devant la boutique « Juste en face de New York », puis bifurqua à droite, entre le mini-golf municipal et un alignement de constructions en bois aux couleurs chatoyantes accueillant les commerces en première ligne face aux multiples pontons. Quelques mètres plus loin, ils accédèrent à la zone réservée aux plaisanciers.

À cette époque, tous les magasins et échoppes étaient fermés. La saison touristique se déclinait de Pâques jusqu’à la Toussaint. Ensuite, le village, à l’image des bateaux du port, se mettait en hivernage. Une profonde léthargie de six mois qui contrastait avec l’intense activité du reste de l’année. Hors saison, seul le marché couvert de « l’hyper » centre demeurait ouvert, avec juste en face une petite alimentation et un bar contigu qui faisait l’angle de la rue.

Au moment où les deux officiers accédaient aux parties communes du Port, le zodiac s’amarrait au ponton de services.

Le médecin légiste, le docteur Uriart, était penché sur le corps qui gisait en position fœtale parmi les cordes coupées. Les pieds et les mains du pauvre homme étaient ligotés, sa tête enveloppée dans des bandelettes.

— Vos premières constatations, docteur ? demanda sans attendre Peyrade.

— Je dirais qu’il est mort.

Ce recours à l’humour noir agaçait Bourguignon, mais il comprenait. Chacun sa méthode pour évacuer les images terribles auxquelles ils étaient confrontés quotidiennement. Le gendarme tourna son regard vers le large. La marée montante avait recouvert l’estran à l’extérieur du port, et la surface de l’océan ondulait nonchalamment, arborant des teintes de couleur aigue-marine qui rappelaient que c’était encore le temps de la mare clausum2.

— Je suis désolé, soupira le docteur Uriart. Je ne vais rien pouvoir vous apprendre de concret : Le visage est cyanosé, la peau ansérine3 et le corps présente les signes d’une macération épidermique. Mais ces premières observations ne sont pas caractéristiques d’une mort par submersion vitale. Elles peuvent s’appliquer à d’autres causes de décès.

Bourguignon hocha la tête. Avant son arrivée sur l’île d’Oléron, il était affecté à Marseille où il avait été en situation de gérer plusieurs affaires de noyades, criminelles ou accidentelles. Il le savait, ce diagnostic était parmi les plus difficiles à établir.

Le médecin légiste requit son attention, rompant le fil de ses souvenirs.

— Regardez ici, Capitaine. Vous voyez sur le haut du crâne à côté de la tempe, la trace d’une contusion importante. Et ici, la plaie sous le menton ? Il semblerait que le pauvre homme ait été assommé, puis égorgé probablement au moyen d’une lame parfaitement aiguisée à en juger par la netteté de la blessure. Pourtant, si on considère les bandelettes qui entourent son cou et son visage, il semble qu’on ait tenté d’arrêter les saignements.

— Et donc ?

— Ces premiers éléments sont totalement contradictoires. Je ne peux pas me prononcer pour l’instant. Je vais devoir attendre de le transporter à l’IML4 pour un examen plus approfondi.

— Vous pouvez quand même dater l’heure de la mort ? Au moins approximativement ?

— Non, impossible, je suis désolé. Ah ! Mais que voilà ?

Uriart ouvrit la bouche de la victime, prit une pince et en retira un morceau de papier. Il le déplia délicatement et le glissa dans un sachet en plastique transparent.

— C’est illisible à l’œil nu, mais l’intégrité de la feuille a été préservée de l’eau de mer par la cavité buccale. Le laboratoire devrait pouvoir reconstituer le message à partir des sillons tracés par le stylo.

*

Pendant qu’Uriart, Bourguignon et Peyrade « faisaient connaissance » avec la victime retrouvée sur Antioche, Tessier, lui, était toujours sur le chemin des falaises avec son témoin. Ce dernier se balançait d’un pied sur l’autre et frottait ses mains pour se réchauffer, visiblement impatient de s’en aller.

— Je vous remercie d’avoir patienté. J’ai quelques questions à vous poser…

— Je n’ai pas grand-chose à vous dire, en vrai. Et je vais être en retard à mon travail. On ne pourrait pas faire ça plus tard ?

Ce mouvement de recul était fréquent. Le choc passé, les témoins mesuraient la somme de tracasseries susceptible de s’abattre sur eux, la peur du gendarme, le poids de la machine judiciaire…

— Nous allons faire au plus vite, le rassura Tessier. Que faisiez-vous sur les falaises aussi tôt ?

— Je viens souvent ici, prendre des photos. C’est le meilleur moment. Tout d’abord, considérant l’heure de la marée basse et le faible coefficient, il n’y a pas un seul pêcheur à pied pour venir me gâcher le paysage… Ensuite, c’est l’heure idéale pour capter les nuances de couleurs dans le ciel, surtout au lever du jour. C’est assez magique !

— À propos de gens, vous avez aperçu quelqu’un ce matin, sur la plage ou sur les falaises ?

— Non.

— Vous n’avez croisé personne en venant ?

— Non plus. Je vous l’ai dit : à cette heure-ci, le passant se fait rare. Je m’en serais souvenu si ça avait été le cas.

Tessier remercia le témoin et lui demanda de passer au poste dans la journée pour signer sa déposition. Un peu déçu par le peu d’informations recueillies, il marcha pour rejoindre son véhicule garé devant le bar-glacier-restaurant-hôtel Dauphin. Retraite de Monsieur Dauphin oblige, ce monument indétrônable des lieux allait changer de main après des décennies de monopole touristique à la pointe de l’île.

*

Dans ses premières constatations, le médecin légiste avait été catégorique. La victime avait séjourné dans l’eau plusieurs heures durant, mais probablement pas plus de deux jours.

En pleine discussion, Bourguignon et Peyrade tentaient d’imaginer le scénario qui s’était joué au milieu de ce détroit d’Antioche si dangereux pour la navigation, lorsque Tessier débarqua à son tour au port. À peine arrivé et sans que ce dernier ne capte grand-chose aux échanges en cours, il entendit Bourguignon proposer :

— Le gars n’a probablement pas été jeté à la mer depuis la falaise. Je pense plutôt que le corps a été balancé au large depuis un bateau, puis le courant l’aura conduit vers Antioche où il s’est pris dans les ferrailles des épaves. À cause du filet…

Devant l’air tracassé de Bourguignon, Tessier préféra changer de sujet :

— On n’a pas retrouvé son portefeuille ?

—  Non, confirma le commandant.

À l’attention de son Capitaine, Tessier proposa :

— Tu veux que je passe sa ganache dans le programme de reconnaissance faciale ?

— Tu peux tenter ta chance, mais vu l’état de sa tête, je doute que ça donne quelque chose. Le type est resté un bout de temps immergé sous l’eau, son visage est boursouflé et à moitié bouffé par les crabes. Enfin… j’aime pas beaucoup cette mise en scène, et ce bout de papier qu’on a retrouvé dans sa bouche ne me dit rien qui vaille…

— Un papier ?

— Oui, apparemment il pourrait contenir un message…

—  Et la position fœtale… Tu penses à quelque chose en particulier ?

— Non, pas vraiment, juste une vague sensation. On verra en fonction de l’autopsie et de la teneur du message. Espérons que le laboratoire sera en mesure de le déchiffrer.

Bourguignon jeta un dernier coup d’oeil sur l’équipe de la brigade nautique qui repartait. Hormis pour le légiste, leur boulot à eux s’arrêtait là. Maintenant, l’affaire était entre les mains des gendarmes de Saint-Pierre d’Oléron. Et les quelques éléments portés à la connaissance du Capitaine concernant ce mort n’étaient pas de nature à le rassurer. Le début sans doute d’une longue et éprouvante enquête pour son équipe.

 

 

 

 

 

 

Gloire au Port Caledonia !

 

 

 

 

Sur ton fond bleu comme l’est l’océan, tu portes mon nom. Continues de perpétuer la mémoire des marins disparus.

 

Chapitre 2

De retour à Saint-Pierre-d’Oléron, Tessier installa le mur d’enquête et y accrocha les photos du corps recroquevillé dans les cordages. Bientôt, on tracerait le nom de la victime et des flèches menant à des suspects, parmi lesquels le coupable… Mais pour l’heure, le tableau était encore vierge.

Depuis son bureau, Bourguignon regardait ses hommes vaquer aux activités habituellement dévolues à une brigade de gendarmerie de proximité. La plupart du temps, la vie sur Oléron était paisible. Quelques vols, quelques actes de vandalisme résultant d’ivresses incontrôlées ou de mesquineries entre voisins, mais rien de grave.

Parfois survenait un meurtre comme celui à l’origine de la découverte du tombeau d’Aliénor d’Aquitaine l’an passé. Une enquête semée d’embûches, avec l’implication de notables au bras long. Pour élucider cette affaire comme dans les précédentes5, Bourguignon avait dû contourner quelque peu les règles, ce qui lui avait valu un avertissement sévère du procureur et du préfet, mais justice avait été rendue. Seul le résultat comptait pour Bourguignon.

La visite du Président de la République en personne sur le site du tombeau de l’illustre souveraine avait été l’événement marquant de l’année écoulée pour nombre d’Oléronais dont ne faisait pas partie Bourguignon, occupé à pouponner à la maternité.

Mais cette parenthèse familiale avait été éphémère. Dès que l’existence du code énigmatique avait fuité dans la presse, des chasseurs de trésor venus de tous horizons avaient convergé vers l’île. Chaque jour, les gendarmes avaient dû apaiser les tensions entre eux et les propriétaires se plaignant de leurs intrusions sur leurs terres ou dans leurs jardins.

Heureusement, des membres de l’association Pose ta Prose, un club de lecteurs de Dolus d’Oléron, avaient réussi à percer l’énigme et découvert le lieu où les fidèles de la reine déchue avaient enfoui d’infinies richesses. Cela avait mis un terme aux rêves de fortune et la foule des chercheurs était repartie vers d’autres espérances.

L’île semblait enfin retrouver sa sérénité et voilà que l’océan leur livrait un nouveau mystère. Bourguignon n’avait pu s’empêcher de ressentir un malaise diffus à la vue de ce corps adulte emmailloté dans un filet de pêche en position fœtale. Version morbide d’une échographie de grossesse.

Tessier grimpait la passerelle métallique quatre à quatre.

— On a le nom de la victime, annonça-t-il. Lilian Thomas. 36 ans. Célibataire. Domicilié à Dijon. Probablement en vacances. C’est la tuile ! Le Proc’ ne va pas aimer qu’on se soit attaqué à un touriste. Il ne va pas nous lâcher.

— On sait où il logeait ?

— Nous sommes sur le coup. Je me charge de faire le tour des hôtels. Mourad est en train d’appeler les locations de vacances et Valentin s’occupe des fadettes6 et de ses cartes bleues.

— Bien, tiens-moi au courant dès que tu en sais plus.

— Par contre, le laboratoire a déchiffré le message sur la feuille.

Tessier lui tendit le mémo qu’il avait apporté. « L’enfant sacrifié sera sauvé ». Bourguignon sentit un froid glacial l’envahir. Voyant son chef devenir livide, son adjoint se pencha vers lui.

— Pierre, ça va, tu te sens bien ?

— Oui, merci. Un coup de fatigue. Tu comprends, mes nuits sont courtes avec le bébé. Mais revenons à l’enquête. Ce message ne me plaît pas du tout. Lance-moi une recherche sur ce Lilian Thomas. Je veux tout savoir sur lui, qui était son père, avait-il des enfants…

— D’accord, je m’en occupe.

Tessier le laissa, non sans lui lancer un dernier regard inquiet. Il n’était pas dupe. Il sentait bien que son ami était soucieux ces derniers temps. Et ces histoires d’insomnies à cause du bébé n’expliquaient pas tout.

Bourguignon avait toujours les yeux fixés sur la phrase qui s’étalait en lettres majuscules sur la feuille de papier. Son esprit fonctionnait à plein régime. « L’enfant sacrifié sera sauvé ». Le message faisait-il référence à Lilian Thomas en tant que fils ? Ou bien celui-ci était-il impliqué dans une histoire d’infanticide ? Des dizaines de questions le taraudaient et toutes renforçaient son trouble face à cette affaire.

Le bonheur, c’est simple comme un coup de fil, clamait un vieux slogan publicitaire. De nos jours, d’autres spots tournés pour la sécurité routière montraient des personnes s’effondrant, leur téléphone à la main. Quelle horrible façon d’apprendre qu’un drame était survenu...

Sous les yeux de Bourguignon et Tessier, le post-it sur lequel était inscrit le numéro de téléphone de la mère de leur victime. Dix chiffres qui, une fois composés sur le clavier du smartphone, fileront dans le réseau ; une voix répondra et le malheur s’abattra sur une famille, impitoyable et irréversible.

— Allô ?

Les deux syllabes résonnèrent, chantantes. Les gendarmes échangèrent un coup d’œil, se donnant mutuellement le courage d’affronter le chagrin d’une mère.

— Madame Marianne Thomas ?

— Oui.

— Capitaine Pierre Bourguignon, de la gendarmerie de Saint-Pierre d’Oléron.

— Saint Pierre d’O… Oh mon Dieu ! Il est arrivé quelque chose à Lilian ?

— J’ai le regret de vous annoncer que votre fils est décédé, Madame.

Le cri qui suivit l’annonce n’avait rien d’humain. Il vibrait comme le râle d’une bête blessée, celui d’une mère ayant perdu son petit. Bourguignon et Tessier gardaient les yeux fixés sur le smartphone posé entre eux. Aucun ne voulait lire sa propre impuissance dans celui de l’autre.

— Allô ! Allô ? Mais qu’est-ce qui se passe ? Qui êtes-vous ?

Une voix masculine se fit entendre au-dessus des sanglots. Pierre Bourguignon s’enquit de son identité – il s’agissait de Gilles Thomas, le mari de Marianne et père de Lilian –, puis répéta la terrible nouvelle.

— On a besoin de vous poser quelques questions.

— Ou… Oui, bien sûr, mais… Vous permettez, ma femme n’est pas bien. Je peux vous rappeler dans quelques minutes ?

— C’est tout naturel. Prenez votre temps et recontactez-moi à ce numéro dès que vous vous sentirez mieux.

La communication coupée, Bourguignon eut un geste d’agacement.

— Fait chier, bordel ! On devrait pouvoir envoyer quelqu’un dans ce genre de situations et ne pas se contenter d’un simple appel téléphonique.

— Tu sais qu’on manque d’effectifs. Il faut qu’on priorise.

— Parce qu’annoncer à des parents qu’ils ont perdu leur enfant, ce n’est pas une priorité pour toi ?

— Ne t’en prends pas à moi, Pierre. Tu crois vraiment que venir en personne changerait les choses ?

Non, rien ne peut atténuer le choc, gémit intérieurement Bourguignon. Ni apaiser la douleur, ni combler cette absence qui vous arrache l’âme, ni se défaire de cette culpabilité de ne pas avoir su protéger son petit…