Les Heures bleues - Cécile Boffy - E-Book

Les Heures bleues E-Book

Cécile Boffy

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Beschreibung

"Les Heures bleues". Une chronique hivernale contée par une voix de femme s'élevant depuis le muret de pierre d'une plage secrète du lac d'Annecy. Elle nous entraîne dans une expérience immersive sur la nage en eau froide et ce qu'elle vient mettre à jour des tréfonds de notre intériorité. Une écriture poétique et abrupte qui offre une introspection des plus intimes sur la nature et ce qu'elle façonne en nous. Un regard sur le monde, sur nos certitudes, nos doutes, nos élans de coeur ... Une mélodie envoûtante qui nous rappelle combien nos failles sont nos plus belles forces. Une ode à l'amour de soi.

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Seitenzahl: 356

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sommaire

Préface

5 novembre

6 novembre

7 novembre

9 novembre

10 novembre

11 novembre

12 novembre

13 novembre

14 novembre

15 novembre

16 novembre

17 novembre

18 novembre

19 novembre

20 novembre

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29 novembre

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19 mars

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23 mars

24 mars

26 mars

27 mars

31 mars

Remerciements

Préface

Avez-vous déjà observé combien le chaos de la nuit noire aime à se blottir dans les heures bleues de l’aube naissante ? Ces heures calmes et pacifiées où même les animaux les plus sauvages abdiquent pour se pelotonner dans un sommeil réparateur. Moi aussi je me suis lovée dans la sécurité de ce qui échappe à la nuit et qui n’est pas encore le jour. Y déposant ce qu’il y a de plus brut, de plus animal, de plus pitoyable en moi.

Avez-vous déjà traversé une nuit si sombre et si longue qu’elle dure le temps d’une roue complète des saisons ? Une année d’une opacité si profonde et si dense que l’on finit par oublier la douceur de la lumière du petit matin. Je regarde en arrière, observant abasourdie la noirceur des ténèbres que j’ai laissée à l’orée de la ville. Réalisant pas à pas que ce sont les mystères des ombres qui se sont délités, non moi.

Le chemin qui s’ouvre alors devant moi est si vaste qu’il me donne le tournis.

Un de ces matins à la lumière bleue, j’ai échoué sur les rives lacustres. La vie est bien faite. Elle venait de m’épargner l’éblouissement du bout du tunnel, me déposant dans les bras de ces instants solitaires et silencieux que sont ces heures matinales. Arasée, déconstruite, mais vivante. Et alors, depuis, chaque jour je reviens sur les rives du lac, plongeant au cœur de l’expérience des ablutions. Je vais me déposer sur le muret de la berge de cet hiver bleu. L’immersion de mon être dans les eaux glacées de cette étendue fera de moi une baptisée païenne à la foi vibrante. Expérimentant dans mon corps, dans mon cœur, ce qui arrive quand on ne lutte plus. Quand on lâche. Quand on dépasse la douleur que provoque le contact du froid intense à la surface de la peau. Que l’on transcende le sentiment déchirant d’avoir perdu l’aimant à son âme. Sans agressivité ni noirceur, avec la simplicité et la joie que la vie insuffle dans le mouvement, dans ce que l’on ne peut toucher du bout de nos doigts, mais qui s’expanse dans la poitrine.

Notre appartenance à la matière nous égare parfois. Alors, adoucir le cœur prend autant de temps que de cicatriser une blessure de la chair. Mais le temps existe-il vraiment ?

Me baigner dans le lac durant les mois d’hiver aurait pu être la résultante d’un caractère plutôt défiant, ou d’une volonté d’atteindre un état, des objectifs... Pour une fois, il n’en est rien. C’est un jeu auquel j’ai pris goût et qui, de fait, perdure. Je n’ai aucune connaissance sur le sujet de la nage en eau froide, aucune attente, aucune envie de théoriser, aucun groupe à rejoindre, aucune envie d’un équipement quelconque. Je me suis juste mise à écouter ma curiosité s’aiguiser au fur et à mesure des semaines qui passent et où j’examine mon corps s’adapter à cette immersion quasi quotidienne en milieu hostile. J’observe aussi ce que cela vient dire de moi et de mes émois.

Consigner mes ressentis physique, psychique, émotionnel, immatériel devenait un clin d’œil pour moi-même. Une façon de me confronter avec humour et bienveillance à l’indifférence générale. À la vie qui va beaucoup trop vite pour qu’un public se concentre à lire les aventures hivernales, froides et humides d’une maigrelette d’eau douce.

Je n’ai jamais été à l’aise avec l’idée de devoir faire de la publicité pour ce que j’écris, de devoir alimenter les réseaux sociaux. Poster une publication me fait grincer de l’intérieur, me fait me sentir étriquée, pas à ma place, exposée... Comme si je me vendais pour quelques vues, et alors mes aventures intérieures perdent, même pour moi-même de leur intérêt. Je veux rester solitaire et discrète. Et cultiver les secrets qui se méritent, les trésors cachés, les pépites dénichées.

Notre société nous pousse à vêtir des masques pour camoufler notre vraie nature, de sorte à ne laisser aucune fragilité surgir, aucune aspérité offerte à l'autre. Être parfaitement lisse, pour un objectif perdu de vue depuis bien longtemps. Malgré l’inconfort ressenti, j’ai toujours été une élève brillante au regard des diktats qu’elle impose, des règles de bienséance. Pour ce qui est d’être honnête face à la vie, en revanche j’avais quelques carences ! Jusqu’au jour où je n’ai plus eu le choix. Elle a décidé pour moi qu’il était temps que je grandisse. Elle m’a prise par surprise et d’un souffle m’a mise à terre. Je crois qu’elle attend de moi que j’assume d’afficher de mon essence sans artifice ni publicité aux yeux et au vu de tous. Il me faudra alors aimer le jeu des poupées russes et faire preuve de curiosité pour aller plus en profondeur.

Ce changement de cap favorise le tri dans les relations. Certains prendront leurs jambes à leur cou, outrés, et partiront dans un fracas mélodramatique. D’autres passeront la tête par la porte et arriveront intrigués, sur la pointe des pieds. Je crois que cela me plaît et me réconcilie en partie avec le fait de me mettre à nu. Et puis je retrouve le plaisir espiègle du partage et la singularité d'une écriture hétéroclite digne d'un cabinet de curiosités qui se joue de la critique, et ça me séduit à dire vrai !

5 novembre

Plage secrète

14°C dans l’eau, 15°C dans l’air

17 min de nage, un tour de bouée jaune

Nager en cette période de l'année, c'est avant tout se réapproprier une bienheureuse solitude.

Laisser partir, en agitant une main malhonnête, les derniers badauds d'une saison estivale qui s'éternise. C'est une petite revanche que de pouvoir profiter entre nous de la plus chatoyante des saisons. Explorer ce sentiment grisant d'appartenance à un environnement sauvage et hostile. Un peu chauvine cette attitude, mais assez bien assumée...

Échanger sur le sujet avec mes congénères, c'est tomber d’accord : il ne nous reste que très peu de temps pour prendre un bol d'air avant que la vague des monchus venant skier en jeans n'arrive. Alors, le lac en hiver devient un refuge, un pare-feu infranchissable pour les non-avertis.

Ils le regarderont de loin, comme ils percevront les sommets abrupts et intangibles le surplombant, ils observeront ses eaux sombres et profondes, turquoises et translucides, selon l'inclinaison que la lumière du jour offrira, selon que le vent faseyera sa surface, mais ils resteront sur la berge.

Cette année, je me suis jetée à l'eau, pour de vrai, pas juste une fois de temps en temps. Pas pour du semblant. Pas non plus pour des bienfaits lus dans un bouquin ou écrit par un mentor comme il en pleut par ici. Je ne veux rien savoir, rien entendre de tout cela, juste vivre cette expérience.

Je veux juste continuer de ressentir la peur quand l'aube se lève et que je nage dans une eau sombre et glacée, d'être émue aux larmes par les gouttes de pluie qui perlent sur mon visage quand l'averse s'abat, d'éprouver la solitude des lieux comme une amie fidèle. Garder tout cela jalousement, ne le partager que dans un chuchotement comme un secret d'alcôve.

Pourquoi... ? La réponse est si vaste... Et puis nous ne sommes qu'à l'aube de cet hiver, de cette expérience. Attendons, prenons le temps de faire connaissance.

6 novembre

Plage secrète

14°C dans l’eau, 5°C dans l’air du petit matin

Sortie de garde nocturne, 10 min de nage sur le bord de rive avant quelques heures de sommeil

Je découvre au milieu de ma nuit de garde le message déposé en commentaire par un ami :

- Ça, c’est un exercice anti-fragile !

Le coach ! Un de ces explorateurs de l'existence qui jamais ne se lasse d’observer la vie avec des yeux d’enfants.

Anti-fragile...

Ce néologisme résonne comme une musique joyeuse qui danse dans mon esprit. La chanson de Marie Poppins :

- Oh ! Supercalifragilisticexpialidocious !

C’est vrai que ce mot trop long est parfaitement atroce. Mais faut le dire et vous serez à la page et plus précoce.

Il fait souvent le tour du monde et dans ce va-et-vient. Il use d’un mot et on se dit : "C’est un grand magicien."

Il y a autant d’ironie dans cette chanson que dans ce mot ; "anti-fragile".

J’aime les mots. Alors celui-ci, je le tourne dans tous les sens afin de percer à jour ses secrets. Il ne s’agit pas juste de faire preuve de force. Nan pas du tout, il parle de gommer nos fragilités pour gagner en résistance. Devenir imperméable aux chocs ! J’ai longtemps cru que c’était possible. D’ailleurs, je me gargarisais d’être de ces personnes que rien ne faisait vaciller, que rien ne touchait, ne transperçait. Ou si peu... J’éprouvais du dédain à l’encontre de qui trébuchait, s’encoublait dans ses propres pas. Pauvres, faibles gens... La vie se marre, je crois, devant tant d’arrogance. Elle m’a mis quelques pichenettes pour me rappeler à l’ordre. Je les ai balayées d’un revers de main, un sourire narquois au bord des lèvres, la mâchoire serrée !

J’ai joué à ce jeu jusqu’au point de rupture.

Un jour d’été, sur la route des vacances. Plus je mangeais des kilomètres pour rejoindre l’océan, plus je me délitais. Cela faisait déjà quelques semaines qu’un grain de sable était venu gripper mes rouages. Un truc sans intérêt, sans importance, sans lendemain, était venu se déposer comme un papillon délicat sur ma vie. Habituée à éliminer ce qui dérange ma quiétude, j’avais entamé un bras de fer contre cet être. Ou contre moi-même, allez savoir ?! Mais il était déjà trop tard... J’avais été touchée !

Je me revois ce jour de juillet, dévorée de l’intérieur, amaigrie, pâle, tremblante. Nous avions pris la route des vacances entre amies, avec nos enfants. J’avais conscience que prendre le volant mettait mes passagers en danger tant j’étais fragilisée, tant ma vision était brouillée par les larmes. Ce fut même un miracle que nous n’ayons pas d’accident ce jour-là. Mais personne n’avait osé m’arrêter, ralentir ma chute. Même au risque d’y être entraîné.

L’enfant était mon copilote. Il me connaît par cœur, je suis sa mère ! Lui a osé ! Il a demandé à s’arrêter sur une aire d’autoroute, je n’ai eu d’autre choix que de lui donner les clefs...

Je me revois alors, à quelques dizaines de mètres de la voiture, m’effondrer dans un champ d’herbes sèches. Guère plus épaisse qu’une de ces brindilles je me fondais si bien dans le décor.

À cet instant, une vague d’émotions encore plus forte que les précédentes me submergea.

Une lame de fond qui ne me laissera aucun répit pendant des semaines. La sensation que la vie m’échappait, que j’allais mourir tant la douleur était forte. Rien à voir avec une volonté de mourir. Non, rien à voir...

Une souffrance physique inconnue venait de se loger en moi. Un sentiment d’avoir subi une chirurgie cardiaque sans anesthésie. Je ne voulais pas mourir, je voulais juste que la douleur cesse. Je voulais reprendre le cours de mon existence, ma vie d’avant. Avant le marin.

Il me faudra de longs mois pour comprendre que cette noyade allait me sauver la vie.

Aujourd’hui, les jours se sont égrainés, emportant avec eux à chaque vague la noirceur de mon âme. Il reste des traces, le chemin n’en est qu’à son balbutiement, intuitivement je le sais.

Alors je me demande si cet exercice immersif n’a pas pour vocation de donner toute la place à mes fragilités, mes faiblesses ? Apprendre à nager seule ?

Et si, pour une fois je m’autorisais à baisser les armes ? Si je cessais de faire croire à qui veut l’entendre que je suis invisible, et que les chocs ne m’affectent pas ?

L’heure est peut-être venue de laisser derrière moi une existence passée à serrer les dents, à nier la douleur, à ravaler mes désirs, mes tristesses. Si j’acceptais de plonger dans la vie à corps perdu ? Je me demande si ce n’est pas cela, être anti-fragile ?

Alors ce matin, sortie de garde ; heures de sommeil sur les dernières 48h... Peu.

Je souris en pensant au message de mon ami. Il est 08h00, il fait 5°C et l'eau est à 14°C. Je ne gâcherai pas cette occasion de plonger au cœur de mon expérience. J'observe ma vie à contrecourant du flot et me jette à l'eau avec la certitude d'être si chanceuse ! J'arrive encore à nager jusqu'à la bouée. Même si je sens très clairement la transition, ce passage en dessous de la barre des 15°C, modifie les réactions de mon corps. Les battements de mon cœur s'accélèrent d'un coup, sans transition. Le faisant chavirer, au large...

Je deviens alors une naïade des eaux lacustres, couronnée des feuilles roussies, des brindilles d’herbes sèches d’une saison flamboyante qui s’étire, refusant de quitter le royaume ! Des souvenirs d’un été indien qui s’achève et que j’entraîne dans la profondeur des abysses. Rien ne disparaît vraiment.

L’indicible de la vie n’aura de cesse de transmuter, d’alchimiser.

7 novembre

Plage secrète encore et toujours

Partage d'expérience avec un ami ce matin.

09h00

14°C dans l’eau, 6°C à l’extérieur

17 minutes de brasse

- Pour le moment, des cure-dents dans la peau, dans 2 mois, place aux aiguilles

Coach @Cécile Pérégrinations féminines.

#annecylake #annecy #savoiemontblanc #latournette

#bainfroid #onestbiendedans #onestmieuxapres

#mouaisbof #onaime.

Ce sera la publication qui me fera quitter les réseaux sociaux.

Mon ami n’y est pour rien.

La douleur des mois passés instille encore dans mes veines son poison. Elle garde en dormance quelques doses acides pour les jours où je vacille. Je n’ai aucun répit.

Cette histoire est étrange. Je l’observe et je me dis qu’elle ne ressemble à rien de ce que j’ai connu jusqu’alors. Cette rencontre fut un éveilleur, n’épargnant de son œil acéré aucun de mes agissements masqués. Je ne peux plus me mentir, même un tout petit peu. Même pour du semblant ! Je ne peux plus me fuir non plus. J’avais beau feindre le détachement, jouer de mutisme. J’avais été contaminé par une substance étrange venue fragiliser ma carapace, me forçant à sonder le fond des choses. Les choses... Je me retrouvais acculée par des émotions de dissemblances que je connaissais assez bien et qui jamais ne m’avais fait souffrir de la sorte, bien au contraire. J’avais l’habitude de ressentir mes différences, j’en jouais. Elles me protégeaient de l’attachement aux autres. J’étais devenu avec les années une traqueuse de dissonances. Utilisant cette perception de la dualité comme d’un levier pour ne pas m’attacher, pour rompre assez vite les liens relationnels sans jamais souffrir tant la distance entre moi et le reste du monde était grande.

Là, la séparation d’avec cet autre était d’une telle violence que j’avais un genou à terre. Mes talents de traque n’avait eu aucun pouvoir. Il y avait pire que de ne pas trouver de différences, de divergences entre soi et l’autre. Il y avait d’en trouver à foison et qu’elles vous aimantent à l’étranger un peu plus à chaque pas. Il s’était dégagé au contact du marin une sensation d’être parfaitement à la bonne place, et dans le même temps une sensation de terreur indéfinissable. La certitude que pour une fois je ne maîtriserai absolument rien. L’impuissance entraine la rage, la rage fait plonger dans les abysses sombres d’un désespoir incompréhensible. Et la toile nourrit ces illusions d’égo malade. Employant à son service mon acuité d’observation chaotique et perfide. Elle avait fait de moi un pantin touché par des gestes quasiment imperceptibles. Percevant l’attitude qui présente une infime animosité, un minuscule soubresaut présageant un détournement, une fuite.

Ce jour-là, j’ai su, au travers d’un mouvement d’humeur par écrans interposés, qu’il était temps pour moi de me retirer. Je pensais à tort pouvoir jouer dans le grand jeu de la surface, dans cette jungle immatérielle de la toile.

J’avais tort. Je ne faisais que nourrir le poison dans mes veines.

Il m’en faudra du courage pour rompre le dernier fil matériel qui nous lie, le marin et moi.

Bien plus que de m’immerger dans les eaux bleues et froides de cette étendue lacustre. Mais c’est décidé ! C’est de silence et d’isolement dont j’ai besoin... Du repli et de la distance qui contient en elle les secrets d’un trésor. Un truc devant lequel tout le monde passe quotidiennement sans le voir. Et que nous cherchons pourtant sans relâche.

9 novembre

Air 4°C (pluie) ; eau 13°C

17 min, un aller-retour à la bouée jaune au-delà de la ligne de nage

Ce matin je suis comme le temps... Morose et humide.

Il paraît que Wimhoff a commencé la nage en eau froide pour sortir de sa tristesse lors du décès de sa femme. Je ne connais pas cet homme, je ne connais pas sa technique, ses méthodes. Mais on a peut-être un truc en commun finalement ; lui non plus n’avait a priori pas entamé cette démarche pour améliorer des performances quelconques mais juste pour ramener sa conscience dans l’instant présent. Personne n’est mort pourtant autour de moi. Est-il nécessaire que les gens meurent pour éprouver le manque, pour visiter la tristesse de les avoir perdus ? Je ne crois pas... Alors les jours s’égrènent et le sentiment de carence se dissipe, se transforme. Les rayons du soleil passent au travers. Mon élan du cœur attendri perdure, il s'affine, mais les attentes tombent, l’ego s’effrite ; je respire. Et puis parfois alors que la vie semble vous offrir tous ce dont vous avez besoin pour avancer, alors qu’elle vous entraine dans une danse radieuse. Le déroulement de la journée converge et vous ramène dans cette sensation-là, cette pointe dans le cœur, sans raison aucune. Un ultime contrôle de votre avancée, une vérification... ? Un retour à la case départ.

Hier en grimpant un bloc j’ai glissé contre la paroi. Pas le saut contrôlé du chat qui retombe sur ces pattes, mais un glissement inopiné de deux mètres. Ma peau s’est arrachée contre la surface rêche du mur. C'est à cette instant que mon intériorité a dévissé de quelques mètres elle aussi. Ma blessure à l’âme s’est écorchée, de nouveau. Je le sais, il ne s’agit que de quelques mètres et j’ai gravi tant de cap, tant de voies, tant de dénivelé cette année que l'apaisement reviendra bien vite. Mais la chute fragilise, réveille l’anxiété, rend fébrile.

Alors aujourd’hui, je grelotte dans le fond de mon lit et refuse d'aller à l'eau. Je pressens de la trouver sombre et inhospitalière. Je renonce ! Ma nièce a choisi ce jour-là pour vouloir elle aussi se jeter à l'eau. Mon p'tit clin d'œil. Facilitatrice d'immersion... je souris.

Elle semble si enjouée et heureuse de ce moment qu'elle n'a pas à sentir que je chancèle ce matin, juste je lui souhaite de profiter de cet instant, de baptême en eau froide.

Nous regardons la température de l'eau en arrivant 13°C. Premiers rires, un peu nerveux.

Ma nièce, à son habitude, plaisante de la situation. Elle feint une plage bondée et me demande où nous allons pouvoir poser notre serviette. La pluie s'abat, la vue est incroyable.

Je sens instantanément en entrant dans l'eau que mon corps n'est plus surpris, il ne lutte pas, juste il s'est adapté. Je me sens d'ailleurs mieux dans mon enveloppe, comme si elle était plus sensitive, plus robuste. Ma nièce nage quelques dizaines de mètres avec moi, elle sent elle aussi son corps qui s'habitue, s'étonne de n'avoir pas plus froid, l'expérience semble la ravir.

Cependant j'irai seule à la bouée. Un parcours quotidien dont j'ignore toujours la distance, mais qui est le répit parfait. Je réalise en cet instant qu'au fur et à mesure que les températures baissent, je tiens de plus en plus longtemps dans l'eau. Je suis passée d’une sensation peu agréable, à la plénitude.

Alors sans doute que certains jours seront encore inconfortables pour mon corps comme ils le sont pour mon âme, mais je sais que je n'ai plus à avoir peur car il n'y aura pas de retour en arrière possible, la lumière est bien trop douce devant moi.

10 novembre

6°C d’une météo mitigée

Une petite trouée timide du soleil, 17 min de nage raccourcie par une fugue

Celle de ma chienne Kiki... La baignade n'aura alors pas la même saveur que les jours précédents. Elle n'était pas très loin, juste partie en bonne compagnie se promener au port. Elle n’avait pas fugué pour m’embêter, ou pour générer en moi la peur de la perdre. Juste sa relation à la vie et à l’attachement est linéaire. Le temps n’a que si peu d’importance pour elle. Elle est dépourvue de la conscience de début, de fin. Tout semble simple et infini dans son attitude animale. Je crois qu’il n’y a pas que chez les bêtes que l’on retrouve ce fonctionnent, certains humains vivent leurs relations au monde de la même façon. Possédant un système affectif à l’organisation linéaire. J’ai découvert ça récemment. Je crois d’ailleurs que je n’avais jamais réalisé qu’il était possible qu’il en soit ainsi. Éprouver de l’intérêt, être captivé par une rencontre, un lien n’est pas suffisant pour donner lieu à une forme d’attachement. Pour peu que le lien nécessite de prendre le temps d’être visité et d’ajuster les ressentis à la matière... Trop impliquant sans doute, ou à l’inverse pas suffisamment intéressant, ni assez ludique ? Je n’en sais rien et puis ce n’est pas à moi de répondre à cela. J’ai déjà tellement à faire avec mes propres fonctionnements.

Alors je m’octroie d’explorer les montagnes russes du système piédestal avec lequel j’organise mes liens affectifs. Si certains éprouve le vertige des sommets et qu’il leur est inconfortable de grimper si haut et de s’y installer en duo, moi je prends ce risque.

Souvent le monde me chahute, me bouscule, agace mes sens. Découvrir une musicalité qui entre en résonnance avec la mienne est un fait rare. Et emmener l’autre si haut me rassure je crois, m’apaise. C’est un peu comme si je m’isolais des interférences et que je profitais de laisser courir la symphonie. J’aime tellement explorer le monde de l’harmonie intérieure.

Mais pour ce qui est d’aujourd’hui, je dois me rendre à l’évidence, j’ai aussi la capacité vicieuse de déployer un talent pour la fuite. La fuite aussi peut prendre bien des formes. Ne possédant aucun talent de déconnexion avec moi-même, je possède en revanche celui de me draper dans ma solitude et ma gravité. J’ai toujours été douée pour cela. La bassesse est de lui attribuer un tas d’excuses louables et méritantes. Alors je m’isole pour échapper aux tourbillons frénétiques, aux réseaux désaccordés. Pour me recentrer, souffler. Et il y a de ça dans ma fuite, mais il y a aussi de la peur. Une volonté farouche de ne pas vouloir affronter une réalité que je boude.

Alors un peu de silence va me faire beaucoup de bien. Passer du temps dans la nature à réaccorder mes sens. Peut-être que j’apprendrais même à trouver de la joie dans la linéarité. Que je me détacherai de cette fichue notion du temps qui passe.

Pour ce qui est de Kiki, elle finit toujours par revenir. Par attachement un peu sans doute, mais surtout pour les croquettes et le panier au chaud sous l’escalier. Dommage, avec les humains ce sera un peu plus compliqué, je n’ai jamais eu aucun talent culinaire. Et puis je fais partie des gens qui claquent la porte, laissant derrière moi parfois qui ne sait pas l’ouvrir. Insoluble, ce poids de la fierté.

11 novembre

7°C, un soleil radieux, et 19 min d’une nage qui s’éternise dans une eau à 14°C

S’enfoncer à l’intérieur de soi, en même temps que le corps entre dans l’eau. Calmer son souffle en conscience. À chaque brasse, installer et conserver une respiration nasale et circulaire. Se laisser porter par cette danse fluide. Sentir pour un instant fugace son corps s’expandre, se dilater autour de soi et accueillir le sentiment de se confondre avec la nature. Saisir ce bref instant où les contours du monde se distordent. Observer le point focal où converge l’espace-temps. Pénétrer un mirage.

À cet instant précis, je suis sortie de ma torpeur par le vol en rase-motte de mon ami.

Il est là à chacune de mes baignades matinales. Je m’étonnais de ne l’avoir pas vu en arrivant ce matin. L’enfant se moque de moi quand je lui raconte mon ami en rentrant à la maison.

- Cécile je sais quelle fut ton enfance à courir dans la nature. Je te connais, je sais que tu aimes te fondre avec les éléments, enlacer les arbres, parler aux animaux. Mais des cygnes, il y en a plein le lac... Ce n’est pas le même tous les jours.

Moi, je sais que c'est lui ! Je le vois dans sa façon de s'empresser autour de mes affaires, de vouloir attirer mon attention. Je le vois dans son regard !

Le sentiment d’oppression qui était venu érafler l’intérieur de ma poitrine quelques jours auparavant vit ses derniers instants. Ce bain matinal dissout de mon buste ce corset imaginaire. Il poursuit son œuvre les heures qui suivent mon immersion. Du fond de ma couette, je sens l'étau me quitter en même temps que le soleil me réchauffe. Au même instant une déflagration retentit. Un bruit cristallin de verre brisé. La porte de douche vient d’exploser en des milliers de fragments translucides. Sans raison aucune. Je regarde, stupéfaite, le spectacle de ce rempart transparent qui vient de voler en éclat. Je souris...

12 novembre

09h30

6° dans l'air, 14° dans l'eau

Ce matin, je me demande un peu ce que je fous ici ...

Je soupire, mes épaules s’affaissent. Dans ces moments-là je sais qu’il me faut poser mon cerveau, mon manque de sommeil, ainsi que ma frilosité sur le muret à coté de mes pompes pour pouvoir rejoindre l'eau verdâtre. Je fais une boule avec mes pensées et mes fringues, les jetant sous l’arbre. Je ne fais attention à rien. Je regarde mes pieds, ils sont déjà blanchis par le froid, mes ongles sont coupés court comme ceux de mes mains. J’ai pour maillot de bain un justaucorps de danse que je me traîne depuis des décennies. Un collector vintage de la danse classique. Il n’y a définitivement rien d’apprêté dans mon apparence. Je ne porte pas de maquillage ni de rose aux ongles des pieds, et mes cheveux n’ont jamais vu de coiffeur. Un détachement d’avec la matérialité qui s’accentue ces dernières années. Un élagage de ce que je considère comme superflu, comme n’étant pas mes priorités. Le tout avait commencé comme un jeu, entre amis, l’air de rien. La règle était simple, il s’agissait de nous départir de tout ce que nous n’utilisions jamais, de tout ce qui nous encombrait. Faire le tri, offrir, donner, échanger devenait un jeu. Aussi, nous avions pris l’habitude d’observer avant d’effectuer un achat si ce dernier possédait en lui une part compulsive.

Plonger dans le "moins posséder" a des vertus qui libèrent. J’ai donné des piles de livres dans les boîtes à lire, des tas de vêtements dans les boîtes à vêtements. Je me suis délestée de tas de meubles inutiles, de vaisselle en double, de babioles absurdes. Et je me suis sentie allégée. Comme si posséder moins m’avait ôté une charge mentale.

Souvent, je me demande si je n’ai pas été piquée par un virus ? Celui de l’austérité. Car assurément, l’énergie de la décroissance peut aussi sembler monacale de l’extérieur. Même de l’intérieur, d’ailleurs. C’est probablement toujours ainsi avec les prises de consciences, nous oscillons entre les deux extrêmes avant de toucher au point d’équilibre qui nous permettra d’agir en conscience.

Agir en conscience devient alors ce formidable accès à la liberté. Il s’acquiert pas à pas. Au départ, il est un peu une contrainte. C’est à ce moment qu’il peut paraître restrictif et austère, dans les instants où nos vieux schémas sensibles aux discours publicitaires s’activent. Ce virage a connu bien des retours en arrière pour ma part, des ratés, des pauses. Il est souvent devenu un combat dans ces instants-là. J’avais la fâcheuse tendance de retomber dans les pièges tendus par la société. Je crois que la situation s’est stabilisée en moi dès lors que j’ai pris conscience combien ma façon de consommer réfléchissait ma façon d’investir mon quotidien. Alors, plus rien n’est une contrainte, car tout retourne dans la proximité, l’artisanat et l’humain. Et alors tout est juste ! Même quand on est végétarienne et que l’on s’offre de manger une pièce de viande quand l’envie se présente, ou de craquer sur un vêtement, une friandise, une bière, un vin, un livre, des rollers, une planche de surf... L’essentiel étant de prendre de la hauteur avec la compulsion de la consommation et de goûter aux plaisirs de la vie, des moments que l’on partage.

C’est un peu comme ce matin, je ne passe à côté de rien, mes affaires sont aussi élimées que ma bonne humeur, et c’est parfait ainsi. Je vais plonger par-dessus avec un sourire insolent, et m’accorder une pensée qui me vient en regardant un peu par-dessus mon épaule.

D'ailleurs je crois que je vais rester sur cette pensée aujourd'hui.

Celle d’être fière du chemin parcouru !

13 novembre

5°C, winter is coming, 13°C dans une eau qui n’aura de cesse de perdre toute trace de chaleur pour les mois à venir.

Une voix muette et souveraine s’est élevée depuis les contreforts qui tapissent les montagnes autour du lac pour annoncer la venue de l’hiver.

L’anthocyane a alors révélé ses pleins pouvoirs et les couleurs rougeoyantes des caducs sont apparues. À l’été succède l’hiver comme au jour succède la nuit.

Le Tao révèle dans toute chose la coexistence de son opposé. Au principe émetteur, un récepteur, à l’énergie d’action : la passivité. Le flux de la vie sans cesse en quête d’un équilibre se meut dans une danse élastique de ce principe vieux comme le monde.

Baigner dans un milieu favorise notre imprégnation. Un peu comme des cornichons dans du vinaigre. Il appartient à chacun de décider de sortir de son bocal, de sortir d’une imprégnation fermée, limitée. Je ne suis pas sûre d’avoir fait ce choix, ou peut-être qu’il était en filigrane de mon chemin de vie. Mais a fortiori j’ai pris une route qui m’invite à quitter ma programmation hermétique. Qui m’invite à déchirer une toile, lever le voile, sortir de l’illusion. C’est étrange et déstabilisant. Pourquoi je vous parle de ça ? Car cette expérience me plonge encore un peu plus dans ce constat, un peu plus profondément en moi. Elle me confronte aux changements qui s’opèrent, comme à ce qui a du mal à bouger.

En d’autres temps, je serais restée au chaud, je ne me serais jamais levée aux aurores pour aller m’immerger dans de l’eau à 13°C avant d’aller travailler.

Je n’aurais pas non plus exploré à la loupe les raisons des actions que je pose dans la matière.

Non, je me serais trouvé des excuses, j’aurais prétexté que mon corps n’était pas assez résistant pour le froid, que mes actions étaient louables et dénuées de manipulation.

14 novembre

05h05. 5°C dans l'air, 13°C dans l'eau

04h45 ; le réveil a sonné, je me suis vraiment demandé si je n’avais pas un peu pris la foudre de me lever si tôt pour aller barboter avant 12h de boulot !

J'avais préparé mon plus beau maillot de bain, celui de la p'tite sirène, pour démarrer cette journée. Cette rare touche féminine et futile, je le savais, stimulerait ma motivation.

Les premières minutes furent semblables à celles des autres jours. Mes phalanges me brûlèrent, elles me rappelaient une enfance où j'avais appris à sourire même et surtout quand mes pieds vivaient un cauchemar, saucissonnés dans des pantoufles de plâtre et de satin rose.

La manipulation et le vice de l'apprentissage offert aux petits rats allait jusqu'à persuader notre naïveté d'enfant que notre capacité à donner le change au monde extérieur était la clef de voûte de notre réussite, de notre accessibilité à la voie lactée. Ainsi, je deviendrais une étoile. Je suis devenue une étoile filante, ma gloire fut bien éphémère. En revanche, les stigmates de mes fractures, elles, sont bien réelles et permanentes. Aussi, j'avais parfaitement appris à sourire en toute occasion. Au point de perdre de vue que je pouvais être aimée même si parfois j'avais mal, même si parfois je pleurais. L'eau a cette vertu si particulière de nous bercer, de rendre flottant ce qui paraît si lourd sur la terre ferme. L'occasion de s’abandonner, et de déposer dans cette nature toutes les choses dépassées.

15 novembre

05h00. Eau 13°C, air je ne sais pas trop...

10 min de nage

Le même exercice que la veille, une baignade des plus matinales, accompagnée d'une petite pluie humide et fine, et d'un fond d'air frais. La bouée est perdue dans la nuit noire, je ne la rejoindrai pas ce matin, même si je suis très attirée par l'idée de parcourir cette distance dans l'obscurité. Mais je me contenterai de barboter sur la longueur de la plage en poussant de petits cris aigus. Comme pour jouer avec l’espace. La nuit possède en elle cette particularité de l’expansion. La distance disparaît, les lignes se fondent, nos propres contours deviennent flous. Alors, le cri poussé dans le silence et l’obscurité est comme un éclair, un coup de projecteur. Il redonne, l’espace d’un instant, une trajectoire à la matière.

Je crois que j’ai un peu peur de cette obscurité depuis quelques temps. Peur de retomber dans le silence et la nuit au point de perdre toute trace de lumière. Finir par me noyer dans l’indifférence générale. Alors je crie. Pour de rire, pour du semblant, pour l’illusion d’être séparée de tout, pour l’illusion de percevoir le bout du tunnel.

16 novembre

Eau :13°C, air : soleil soleil !

La montagne est magnifique, je me laisse bercer.

Aujourd'hui, le froid fait tressaillir mon cœur. Je sens qu'il rate quelques battements, qu'il s'affole par moment. Je suis sereine, je le laisse m'emplir de cette sensation, m'inonder de ce flux. C'est un peu la même émotion que d'ouvrir la cage d'un animal sauvage. Il se sent un peu perdu dans cette immensité, mais d'instinct il apprendra vite. Ma gorge se dénoue. Le vide et le plein, tout se mélange. J'aime l'entendre vibrer, lui qui était si discret jusqu'alors.

17 novembre

Eau 13°C, air tempétueux

15 min de nage

Aujourd’hui j’ai migré de quelques kilomètres pour nager. J’avais un rendez-vous dans le coin, alors je me suis dit "Et si j’allais sur cette esplanade ?"

Il y avait un peu de challenge en moi d’aller là-bas. Un peu de ces souvenirs récents, crispés, qui me soufflent un mot trop souvent répété : "Dingue !"

C’est vrai ça, il a raison, cette histoire rend dingue ! J’ai d’ailleurs si souvent eu le sentiment de devenir folle ces derniers temps. À l’image de ma présence ici, aujourd’hui. De ce pied de nez un peu lâche. Vous savez, comme quand les enfants reproduisent ce qui leur fait si peur, mais en s’assurant que l’objet de leur peur n’apparaîtra pas. Un défi insolent ! Car il n’apparaîtra pas, cet être illuminé. Non, pas en dehors de l’été. Je m’amuse alors à passer entre les poutres du ponton des bateaux. Si près mais si loin.

Le temps, le vent, la lumière, tout est magique aujourd’hui en ce lieu. Je bois la tasse en nageant jusqu’à la bouée. L’endroit me chahute un peu, je dois nager de biais pour rejoindre la berge, le courant m’entraîne en sens inverse. Quelques badauds passent, eux non plus ne me voient pas. Ni lui ni personne. Je réfléchis… Je crois sincèrement avoir le talent des gens de l’ombre.

En d’autres temps, j’aurais éprouvé de la peine, une colère. Je me serais raconté des tas d’histoires de mérite, de punition. Aujourd'hui, j’éprouve de la distance avec ces sensations. J’apprends à apprécier ma bulle, mon invisibilité. Faire une pause avec les réseaux sociaux va alors dans ce sens. Arrêter de me débattre sur un terrain qui n’est pas le mien, que je ne maîtrise pas et dont les jeux dissimulés m’affectent. Jeux d'ailleurs pour lesquels j'ai toujours un train de retard et aucun talent. Transférer mon énergie là où j’excelle, l’ombre.

J’aime écrire chaque jour, passer un temps infini à peaufiner les détails, à creuser chaque parcelle sombre et élaguer ce qui m’éloigne de l’authenticité. Je me délecte de cette publication journalière éclipsée par tellement de bruit. Qui aurait l’idée de venir se poser quotidiennement sur les berges du lac avec moi ?

18 novembre

Eau 13°C, air 6°C

16 min de nage

De retour dans mon jardin secret.

Un matin flat… Tout est paisible, la vue est une carte postale. J’essaye tous les jours de retranscrire au plus juste ce que je vois, ce que je vis. Mais je me rends compte que le résultat est limité. Il n’y aura jamais assez de mots pour vous décrire le spectacle, les ressentis. Pour vous faire sentir la jouissance de ces instants qui viennent se frotter aux inconforts.

Et puis je me dis que ce n’est pas plus mal, que c’est très prétentieux de penser pouvoir le faire.

Alors je repense à une conversation enflammée d’hier soir…

Une amie partage sur notre groupe un lien à mon intention sur un club de nage en eau froide qui existe à quelques centaines de mètres de là où je nage quotidiennement.

Devenir membre d’un club et payer pour aller tremper mon cul dans l’eau froide du lac…

À quel moment cela devrait-il me faire rêver ?

Cette perspective m'interroge... Jusqu'où ira le pouvoir de certains à utiliser la crédulité pour vendre un truc gratuit ? Le pouvoir mercantile semble sans fin.

Mon amie a tenté de temporiser, le reste de notre groupe a observé, hilare, notre discussion passionnée.

Là où elle n’a pas tort dans ses propos, c’est que ce club permet à certaines personnes qui n’auraient pas eu le courage, ou juste qui n’oseraient pas s’immerger seules, de passer le cap. Alors il leur faut une main tendue.

Mais là où je m’insurge, c’est de prétendre vendre une méthode… De prétendre ouvrir la première école de respiration en France et d’expérimenter la respiration lors de l’immersion hivernale. Avec bien sûr, et encore une fois de plus, le nom de Wimhoff qui apparaît. J'ai du coup pas du tout envie de savoir qui il est.

Bah oui … Avant, personne ne savait respirer, ni ne maîtrisait aucune des techniques de respiration, c’est bien évident, nous étions tous en apnée et dans l’attente d’une telle révélation !

Ce talent, cette arrogance que possède notre société pour s’octroyer les expériences des autres, les faire leur et les imposer avec des titres accrocheurs, puis les vendre.

Je crois que ce qui me dérange beaucoup dans tout cela, c'est de donner à penser aux gens que le pouvoir vient de l'extérieur d'eux-mêmes. Qu'il vient d'une méthode, du froid, de la respiration... Et si le pouvoir venait de l'observation, de l'attention que l'on porte à l'intérieur de soi ? Cesser d'être dans l'agir, mais être juste là, pour soi.

Et pourtant, mon amie me fait remarquer à juste titre que je fais la même chose avec le Breathwork. Alors pourquoi ?… Pourquoi je réagis si brutalement, avec tellement de révulsion face à ce club, et surtout aux personnes qui sont derrière ?

J’ai passé ma soirée à réfléchir à cela. J’ai longtemps été une addict de la méthode, une boulimique du savoir en tout genre, surtout dans tout ce qui avait trait au développement personnel. J’ai bouffé un tas de formations. De la PNL, de la médecine chinoise, en passant par la constellation familiale, l’hypnose, la sophrologie, le chamanisme et j’en passe.

Rien à faire, l’instant présent semblait être un mirage, un truc instable, mouvant, sans cesse parasité. Il m’a fallu rencontrer un miroir pour me voir dysfonctionner. Une personne en tout point mon égal autant que mon opposé. Il était probablement la seule personne ici-bas capable de me mettre devant mes failles sans que je puisse l’entourlouper comme j’avais coutume de le faire. Alors j’ai chu… Long et fastidieux cheminement qui m’a amenée pour la première fois de ma vie à vivre l’instant présent. J’ai tenté en vain d’utiliser toutes ces méthodes apprises consciencieusement, avec l'espoir que l'une d'entre elles me permettrait de sortir la tête de l’eau. C’était une lutte entre mon mental et mon instinct. Le mental a enfin appris à se calmer et mon instinct m’a emmenée là… Dans ce voyage solitaire.