Les méthodes d'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne - Koen Lenaerts - E-Book

Les méthodes d'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne E-Book

Koen Lenaerts

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Beschreibung

L’Union européenne (l’ « UE ») est une union de droit dans laquelle tant les institutions de l’UE et les États membres que les particuliers doivent respecter « les règles du jeu », telles qu’elles découlent des traités UE et FUE, de la charte des droits fondamentaux de l’UE (la « Charte ») et du droit dérivé. Ceci veut dire, notamment, que le projet d’intégration européenne repose sur l’idée fondamentale, consacrée à l’article 19 TUE, selon laquelle la Cour de justice de l’UE (la « Cour ») assure l’interprétation uniforme des différentes règles faisant partie de l’ordre juridique de l’Union.

La Cour étant « l’interprète suprême » du droit de l’Union, comment dit-elle le droit ? De quelles méthodes d’interprétation se sert-elle ? Ces méthodes sont-elles différentes de celles employées par les juridictions nationales ? La réponse à ces questions ne s’avère pas facile, étant donné que les traités ne contiennent aucune disposition énumérant, et ordonnant hiérarchiquement, les méthodes d’interprétation que la Cour peut ou doit suivre. Cette réponse se trouve donc nécessairement dans la jurisprudence de la Cour, qui constitue l’objet d’étude du présent ouvrage.

Outre une brève introduction, cet ouvrage comporte trois parties. Il examine, tout d’abord, les méthodes dites « classiques » d’interprétation (Chapitre 1), à savoir l’interprétation littérale, contextuelle et téléologique, pour ensuite se consacrer à l’étude des méthodes qui visent à ce que le droit de l’Union soit interprété conformément tant au droit international qui lie l’UE qu’aux traditions constitutionnelles communes aux États membres (Chapitre 2). Par ailleurs, cet ouvrage aborde la Charte qui, à la différence des traités, contient une série de dispositions portant expressément sur l’interprétation des droits et des principes consacrés par celle-ci (Chapitre 3). Enfin, en guise de conclusion, l’ouvrage explore la relation qui existe entre les différentes méthodes d’interprétation, en mettant n lumière qu’aucune méthode ne prime sur les autres mais que toutes opèrent conjointement afin de renforcer le raisonnement juridique de la Cour.

Axé sur une étude approfondie et synthétique de la jurisprudence et de la doctrine pertinentes, le présent ouvrage offre non seulement aux étudiants qui s’intéressent au droit de l’Union un guide didactique leur permettant de faire une lecture correcte des arrêts de la Cour, mais présente également une utilité pratique pour tout juriste expert en droit de l’Union qui se voit confronté à des problèmes d’interprétation.

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© Lefebvre Sarrut Belgium s.a., 2020

Éditions Bruylant

Rue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays.

Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

ISBN : 9782802766827

Collection de droit de l’Union européenne

Série Monographies

Directeur de la collection : Fabrice Picod

Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet, directeur du Centre de droit européen et du master « Droit et contentieux de l’Union européenne »

La collection Droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.

Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels et monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité.

Parus précédemment dans la série « Monographies » de la collection de droit de l’Union européenne :

1. L’Espagne, les autonomies et l’Europe. Essai sur l’invention de nouveaux modes d’organisations territoriales et de gouvernance, sous la direction de Christine Delfour, 2009.

2. Émile Noël, premier secrétaire général de la Commission européenne, Gérard Bossuat, 2011.

3. Coopération entre juges nationaux et Cour de justice de l’UE. Le renvoi préjudiciel, Jacques Pertek, 2013.

4. Religion et ordre juridique de l’Union européenne, Ronan McCrea, 2013.

5. L’action normative de l’Union européenne, Laetitia Guillard-Colliat, 2014.

6. L’obligation de renvoi préjudiciel à la Cour de justice : une obligation sanctionnée ?, sous la direction de Laurent Coutron, 2014.

7. Le nouveau règlement Bruxelles I bis. Règlement n° 2015/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, sous la direction d’Emmanuel Guinchard, 2014.

8. Droit européen de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, 2e édition, Francis Haumont, 2014.

9. La simplification du droit des sociétés privées dans les États membres de l’Union européenne / Simplification of Private Company Law among the EU Member States, Yves De Cordt et Édouard-Jean Navez (eds.), 2015.

10. Les rapports entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme, Delphine Dero-Bugny, 2018.

11. Le rôle politique de la Cour de justice de l’Union européenne, sous la direction de Laure Clément-Wilz, 2019.

Préface

Les méthodes d’interprétation mises en œuvre par une juridiction ne peuvent être analysées de manière vraiment convaincante que par ceux qui ont œuvré au sein de celle-ci. Confrontés à des choix se rapportant au sens à donner à des dispositions de droit écrit, les juges prennent position en tenant compte de multiples considérations que l’observateur, même le plus attentif, n’est pas toujours en mesure d’identifier.

Chargée de dire le droit dans l’interprétation et l’application des traités constitutifs, la Cour de justice de l’Union européenne a toujours suscité une attention particulière de la part de la doctrine.

Alors que la jurisprudence de la Cour de justice a fait l’objet de multiples analyses en ce qui concerne ses fonctions, ses apports et ses orientations, les méthodes d’interprétation qui ont été mobilisées dans la perspective de son élaboration n’ont pas toujours fait l’objet de la même attention.

Les méthodes d’interprétation de la Cour de justice ont donné lieu à des études qui ont, pour la plupart (1), été menées au cours de la montée en puissance de sa jurisprudence correspondant à un phénomène qu’un ancien président de la Cour de justice a décrit en 1976 comme relevant de « l’Europe des juges » (2). La période récente, en proie à de multiples interrogations et marquée par des tensions et des crises en Europe, n’a pas suscité le même intérêt s’agissant des méthodes d’interprétation qui sont désormais mises en œuvre par la Cour de justice de l’Union européenne.

Le présent ouvrage que nous avons l’honneur de préfacer va nous permettre de comprendre comment la Cour de justice de l’Union européenne utilise les méthodes d’interprétation du droit qui sont à sa disposition en vue de faire ses choix jurisprudentiels.

On est souvent amenés à se demander comment la Cour de justice parvient à préserver les acquis de sa jurisprudence et parfois à les faire fructifier ou au contraire à les réduire au moyen des méthodes d’interprétation qu’elle utilise, tout en tenant compte d’un certain nombre de résistances parfois légitimes qui sont opposées à l’approfondissement voire au maintien de l’intégration européenne. Les auteurs nous éclairent notamment sur la question de savoir si les méthodes d’interprétation de la Cour de justice ont été maintenues comme telles ou, au contraire, ont connu des évolutions à l’aune des changements intervenus dans le droit de l’Union européenne et plus fondamentalement dans nos sociétés.

L’enrichissement des sources du droit de l’Union européenne conduit les auteurs de cet ouvrage à s’interroger avec force sur les méthodes d’interprétation qui sont appliquées aux dispositions nouvelles telles que celles qui figurent dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne auxquelles ils consacrent un chapitre entier décliné en différentes sections abordant des questions aussi délicates que celles de la notion de mise en œuvre du droit de l’Union, l’équivalence des protections au regard de la Convention européenne des droits de l’homme et des traditions constitutionnelles communes, l’application horizontale de la Charte (3).

L’interaction croissante du droit de l’Union européenne et du droit international conduit également les auteurs à mettre en lumière les différentes modalités d’interprétation suivant que le droit international s’intègre automatiquement au droit de l’Union ou qu’il sert de référence à une interprétation du droit de l’Union, étant observé que ce type d’opération peut se heurter à certaines limites tirées de l’autonomie constitutionnelle de l’Union européenne (4).

Auteur d’une thèse remarquable de doctorat (5) et de plusieurs ouvrages majeurs de droit de l’Union européenne (6), Koen Lenaerts, actuel Président de la Cour de justice de l’Union européenne, a entrepris de rédiger, avec José A. Gutiérrez-Fons, référendaire à la Cour, cet ouvrage portant précisément sur les méthodes d’interprétation de la Cour de justice.

En qualifiant les traités fondateurs de « charte constitutionnelle d’une communauté de droit » (7) puis de « charte constitutionnelle de base de l’Union » (8), la Cour de justice, appelée à déterminer l’interprétation officielle de ces traités, n’entendait pas les considérer comme des conventions internationales classiques. À plusieurs reprises, la Cour de justice a souligné la différence de ces traités avec « les traités internationaux ordinaires » (9). Compte tenu de tels constats, la Cour de justice ne pouvait pas se limiter à utiliser des méthodes d’interprétation classiques du droit international mais devait recourir à des méthodes permettant de conférer une pleine efficacité aux traités constitutifs des Communautés européennes puis de l’Union européenne.

Le recours à des méthodes traditionnelles d’interprétation n’est nullement négligé par la Cour de justice, comme le montrent pertinemment les auteurs de cet ouvrage qui citent plusieurs lignes de jurisprudence mettant en œuvre une interprétation littérale et une interprétation contextuelle particulièrement significatives dans diverses matières. À ce titre, les travaux préparatoires qui avaient paru exercer un rôle négligeable ont, comme le soulignent les auteurs de l’ouvrage (10), pris un nouveau relief en droit de l’Union européenne, compte tenu notamment de l’accès possible aux travaux préparatoires du traité établissant une Constitution pour l’Europe qui a préfiguré une partie des dispositions introduites par le traité de Lisbonne dans les traités constitutifs actuels. L’ossification de l’interprétation alors redoutée par une partie de la doctrine peut être évitée si la Cour de justice prend en considération les travaux préparatoires de manière dynamique, étant observé que le recours à une méthode d’interprétation n’est pas exclusif du recours à une autre méthode (11).

Par le choix des exemples jurisprudentiels précis et significatifs, le plus souvent tirés de la jurisprudence de ces dernières années, les auteurs parviennent, avec beaucoup de pédagogie, à dissiper de nombreux malentendus, en particulier celui qui porte sur le choix de ces différentes méthodes d’interprétation opéré non pas en fonction d’une idéologie, comme certains commentateurs de la jurisprudence se plaisent à l’affirmer péremptoirement, le choix étant opéré en réalité en fonction de multiples facteurs.

Comme les auteurs de l’ouvrage le soulignent justement, les traités constitutifs ne contiennent aucune disposition énumérant et, a fortiori, ordonnant les méthodes d’interprétation que la Cour de justice doit suivre. Par conséquent, elle est libre de choisir, parmi les différentes méthodes admises, « celles qui sont le plus en accord avec l’ordre juridique de l’Union » (12).

Jugée non prioritaire suivant une conception traditionnelle de l’interprétation des conventions internationales classiques (13), l’interprétation téléologique, qui consiste à s’appuyer sur l’objet et le but des traités constitutifs d’une organisation internationale, occupe une place essentielle dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, au point d’être désormais rangée par les auteurs de cet ouvrage parmi les méthodes dites « classiques ».

La Cour de justice rappelle, suivant une jurisprudence constante, que pour interpréter une disposition de droit de l’Union européenne, il y a lieu de « tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis » (14). Il apparaît dans certains cas que le contexte et les objectifs pourront l’emporter sur l’argument de texte (15).

À cet effet, le préambule des traités constitutifs revêt une grande importance dans la jurisprudence de la Cour de justice, au même titre que les dispositions liminaires des traités qui précisent les objectifs très généraux énoncés dans le préambule. Il en va de même des considérants des textes de droit dérivé adoptés par les institutions de l’Union européenne.

De même, une lecture systématique des traités permettra souvent d’éclairer le but et l’objectif poursuivi. Le recours à cette méthode témoigne d’un respect tout particulier à l’égard de la qualité globale des traités et des textes de droit dérivé à interpréter. La Cour de justice a indiqué que chaque disposition de droit de l’Union européenne« doit être replacée dans son contexte et interprétée à la lumière de l’ensemble des dispositions de ce droit » (16).

L’interprétation téléologique peut emporter de nombreuses conséquences qui sont précisément mises en lumière par les auteurs de cet ouvrage.

Il ressort, en premier lieu, d’une jurisprudence bien établie que l’interprétation téléologique des traités constitutifs a pu conduire à adopter une interprétation large voire extensive des droits et libertés consacrés et à retenir une interprétation stricte des limitations et restrictions prévues. La Cour a pu ainsi s’écarter à nouveau d’une conception traditionnelle du droit international public selon laquelle les clauses d’un traité qui limitent la souveraineté des États doivent s’interpréter restrictivement (17).

En prenant appui sur les objectifs des traités tels que précisés dans ses dispositions liminaires, la Cour de justice a souvent interprété largement les règles prohibant les entraves aux échanges ou consacrant des droits fondamentaux et a entendu strictement les raisons d’intérêt général qui permettent d’y déroger.

Les auteurs montrent avec beaucoup de rigueur et de conviction que la méthode d’interprétation téléologique ne conduit pas pour autant systématiquement à privilégier l’application des libertés de circulation ou des droits fondamentaux au détriment de celle des dispositions qui tendent à sauvegarder tel ou tel objectif invoqué par les États membres. L’interprétation téléologique mettant au jour les objectifs poursuivis par le législateur européen pourra conduire à préserver des systèmes nationaux de protection contre certains phénomènes tels que celui du tourisme social (18). Comme les auteurs l’observent avec force, « il n’existe pas de corrélation entre l’activisme judiciaire et une approche intégrationniste » (19) et « la méthode téléologique n’est pas synonyme d’approche intégrationniste » (20).

L’objet et le but des traités étant conçus comme des objectifs ambitieux à atteindre, le juge sera conduit, en second lieu, à interpréter les dispositions avec dynamisme et réalisme et ainsi à en privilégier l’effet utile.

Le juge de l’Union européenne est animé par un souci constant de donner effet utile aux règles de droit de l’Union. Après avoir affirmé les principes de l’effet direct et de la primauté du droit communautaire, la Cour de justice allait très tôt préciser l’office du juge national en lui imposant de sauvegarder les intérêts des justiciables par « une protection directe et immédiate de leurs intérêts » (21). L’exigence de protection effective des droits du justiciable qui irradie désormais le droit de l’Union invite le juge national à s’affranchir de certaines règles limitatives en matière d’octroi de mesures provisoires, de répétition de l’indu ou de responsabilité de l’État.

Une conception dynamique des finalités des traités constitutifs peut conduire à une interprétation évolutive de ses dispositions. Dans la mesure où ces derniers visent à la sauvegarde mais également au développement des droits, le juge sera amené à tirer les conséquences du processus dynamique résultant des traités.

La Cour de justice a observé que les dispositions du droit de l’Union européenne doivent être interprétées notamment à la lumière de l’état de son évolution « à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite » (22). Si un tel énoncé emporte généralement l’adhésion compte tenu de la nature et de la finalité des traités constitutifs, il peut susciter de légitimes interrogations en ce qui concerne l’amplitude de la liberté laissée à l’interprète à ce titre. Les exigences de sécurité juridique justement soulignées à plusieurs reprises par les auteurs de cet ouvrage peuvent constituer un frein légitime à une interprétation évolutive des textes.

À la différence du droit de la Convention européenne des droits de l’homme qui procède essentiellement d’un traité dont l’adaptation nécessite des protocoles d’amendement ou des protocoles additionnels, le droit de l’Union européenne repose non seulement sur des traités constitutifs qu’il est certes difficile de réviser mais également sur de très nombreux actes des institutions de l’Union européenne qui peuvent faire l’objet d’adaptations avec une plus grande souplesse. Dans ces conditions, la Cour de justice doit éprouver la nécessité de procéder à une interprétation évolutive dans une mesure moindre que la Cour européenne des droits de l’homme chargée d’interpréter des dispositions parfois anciennes d’une Convention affectée d’une certaine rigidité. Les auteurs du présent ouvrage nous fournissent des exemples significatifs de problèmes contemporains de société, relevant notamment de l’évolution des mœurs, auxquels a été confrontée la Cour de justice.

Le présent ouvrage permet de répondre à toutes les questions légitimes qu’un juriste avisé peut se poser dans le cadre d’un système juridique tel que celui de l’Union européenne à la fois évolutif, complexe et pluriel.

Par la rigueur et la précision de l’analyse, la richesse et la profondeur de la réflexion, l’ouvrage rédigé par Koen Lenaerts et José A. Gutiérrez-Fons procure au lecteur une précieuse source d’inspiration et offre une clé décisive de compréhension de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Un tel ouvrage devrait désormais être utilisé par tous les juristes qui aspirent à comprendre et à maîtriser la jurisprudence de la Cour de justice en vue de l’appliquer, de l’enseigner mais également de l’invoquer utilement avec toutes les nuances que requiert la mise en œuvre du droit de l’Union européenne.

Que les éminents auteurs de cet ouvrage si riche en soient très vivement et chaleureusement remerciés !

Fabrice Picod

Professeur à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas

Chaire Jean Monnet de droit et contentieux de l’Union européenne

(1) Voy. notamment P. Pescatore, « Les objectifs de la Communauté européenne comme principes d’interprétation dans la jurisprudence de la Cour de justice », in Miscellanea Ganshof van der Meersch, t. II, Bruxelles, Bruylant, 1972, pp. 325 et s. ; H. Kutscher, « Méthodes d’interprétation vues par un juge à la Cour », in Rencontre judiciaire et universitaire, Luxembourg, Cour de justice, 1976, pp. I-1 et s. ; F. Dumon, « La jurisprudence de la Cour de justice. Examen critique des méthodes d’interprétation », in Rencontre judiciaire et universitaire, Luxembourg, Cour de justice, 1976, pp. III-1 et s.

(2) R. Lecourt, L’Europe des juges, Bruxelles, Bruylant, 1976, réimpr. 2008.

(3) Pp. 107 à 163 de l’ouvrage.

(4) Pp. 77 à 93 de l’ouvrage.

(5) K. Lenaerts, Le juge et la constitution aux États-Unis d’Amérique et dans l’ordre juridique européen, Bruxelles, Bruylant, 1988.

(6) Voy. notamment K. Lenaerts et P. Van Nuffel, European Union Law, London, Sweet & Maxwell, 3e éd., 2011, et K. Lenaerts, I. Maselis et K. Gutman, EU Procedural Law, Oxford, Oxford University Press, 2014.

(7) CJUE, avis 1/91 du 14 décembre 1991, EU:C:1991:490, point 21.

(8) CJUE, 10 décembre 2018, Wightman et a., C-621/18, EU:C:2018:999, point 44.

(9) Voy., en premier lieu, CJUE, 15 juillet 1964, Costa c. ENEL, 6/64, EU:C:1964:66. Voy., en dernier lieu, CJUE, 10 décembre 2018, Wightman et a., C-621/18, EU:C:2018:999, point 44.

(10) Pp. 40 à 53 de l’ouvrage.

(11) Pp. 13 à 27 de l’ouvrage.

(12) P. 9 de l’ouvrage.

(13) Voy. notamment S. Bastid, Les traités dans la vie internationale. Conclusion et effets, Paris, Economica, 1985, pp. 129 à 136 ; P. Reuter, Introduction au droit des traités, Paris, PUF, 3e éd., 1995, p. 89. Voy. surtout l’approche nuancée de Ch. de Visscher, Problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public, Paris, Pédone, 1963, p. 63, et D. Simon, L’interprétation judiciaire des traités d’organisations internationales. Morphologie des conventions et fonction juridictionnelle, Paris, Pédone, 1981, pp. 393-394.

(14) Voy., par exemple, CJUE, 17 octobre 1995, Leifer et a., C-83/94, EU:C:1995:329, point 22 ; CJUE, 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, EU:C:2018:257, point 44 ; CJUE, 27 février 2020, Lituanie c. Commission, C-79/19 P, EU:C:2020:120, point 38.

(15) Voy., par exemple, CJUE, 9 août 1994, Lancry et a., C-363/93, C-407/93 à C-411/93, EU:C:1994:315, points 25 à 32, à propos des taxes d’effet équivalent entravant les échanges au sein même d’un État membre, non expressément prohibées par le traité mais finalement reconnues contraires au traité par la Cour.

(16) CJUE, 6 octobre 1982, CILFIT et a., 283/81,EU:C:1982:335, point 20 ; CJUE, 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement, C-379/15, EU:C:2016:603, point 49.

(17) Cette conception ne saurait être généralisée à l’ensemble du droit international public ainsi qu’on pourrait le croire à la lecture de certains écrits. Pour une approche rigoureuse et nuancée on se référera notamment à L. Cavaré et J.-P. Queneudec, Le droit international public positif, tome II, Paris, Pedone, 3e éd., 1969, pp. 140 à 157, spéc. p. 145.

(18) Voy. notamment p. 71 de l’ouvrage.

(19) P. 63 de l’ouvrage.

(20) P. 73 de l’ouvrage.

(21) CJUE, 19 décembre 1968, Salgoil, 13/68, EU:C:1968:54.

(22) CJUE, 6 octobre 1982, CILFIT et a., 283/81,EU:C:1982:335, point 20 ; CJUE, 17 octobre 1991, Commission c. Espagne, C-35/90, EU:C:1991:394, point 9 ; CJUE, 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement, C-379/15, EU:C:2016:603, point 49.

Sommaire

Introduction

Chapitre 1.Les méthodes « classiques » d’interprétation

I. – L’interprétation littérale

II. – L’interprétation contextuelle

III. – L’interprétation téléologique

Chapitre 2.L’interprétation du droit de l’Union, le droit international et les traditions constitutionnelles communes

I. – L’interprétation du droit de l’Union à l’aune du droit international

II. – L’interprétation du droit de l’Union à l’aune des traditions constitutionnelles communes aux États membres

Chapitre 3.L’interprétation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

I. – La notion de mise en œuvre du droit de l’Union

II. – Les limites à l’exercice de droits fondamentaux

III. – Le renvoi aux droits déjà garantis par les traités

IV. – La Charte et la CEDH

V. – La Charte et les traditions constitutionnelles communes aux États membres

VI. – L’application horizontale de la Charte

VII. – Les explications relatives à la Charte

Conclusions

Bibliographie

Table de jurisprudence

Table de législation

Table des matières

Introduction

1. Conformément à l’article 19 du traité sur l’Union européenne (ci-après « TUE »), la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la Cour ») « assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités » (1). Il découle de cette disposition que toute norme juridique de l’Union doit être interprétée de façon à assurer que « l’Union [soit] une Union de droit » (2).

2. Il incombe ainsi à la Cour d’interpréter le droit de l’Union de sorte à combler, dans la mesure du possible, toute éventuelle lacune dans le droit primaire ou dans le droit dérivé de l’Union, qui, en cas de persistance, aurait « un résultat contraire tant à l’esprit [des] traité[s] [...] qu’à [leur] système » (3). De même, il serait incompatible avec l’article 19 TUE, ainsi qu’avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union (ci-après « la Charte ») (4), lesquels visent à garantir une protection juridictionnelle effective, de refuser de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la disposition du droit de l’Union en question (5). Un tel refus entraînerait un déni de justice.

3. Toutefois, la Cour, en tant qu’institution de l’Union, doit respecter les principes d’équilibre institutionnel et de coopération loyale consacrés à l’article 13, paragraphe 2, TUE. C’est ainsi que, en vertu desdits principes, la Cour ne saurait empiéter sur les pouvoirs du législateur de l’Union tels qu’ils découlent des traités. Elle n’est donc pas légitimée à réviser les traités par voie interprétative, sous peine de verser dans un excès d’« activisme judiciaire ». Un exemple en est donné dans l’arrêt Unión de Pequeños Agricultores (ci-après « UPA ») (6). La Cour y a jugé que « [s]’il est vrai que [, s’agissant de l’ex-article 230 CE,] la condition [d’affectation individuelle (7)] doit être interprétée à la lumière du principe d’une protection juridictionnelle effective en tenant compte des diverses circonstances qui sont de nature à individualiser un requérant [...], une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter la condition en cause, qui est expressément prévue par le traité, sans excéder les compétences attribuées par celui-ci aux juridictions [de l’Union] » (8). Elle en a conclu qu’une modification de la condition d’affectation individuelle ne serait possible qu’en révisant le traité CE, ce qu’il appartenait aux États membres de faire, conformément à l’ex-article 48 TUE (9) (et, d’ailleurs, a été fait depuis lors par le traité de Lisbonne) (10).

4. Une lecture combinée des arrêts Les Verts et UPA, précités, suggère que, en interprétant le droit de l’Union, la Cour vise à maintenir la juste balance entre une protection juridictionnelle effective, d’une part, et le respect des principes d’équilibre institutionnel et de coopération loyale, d’autre part (11). Les différentes méthodes d’interprétation mises en œuvre par la Cour sont donc des outils qui permettent à celle-ci d’atteindre cet objectif (12).

5. De plus, ces méthodes d’interprétation forment une grille d’analyse qui permet à la Cour de combler une lacune normative ou d’éclairer le sens et la portée d’une disposition du droit de l’Union sans tomber dans l’arbitraire. En assurant que les arrêts de la Cour soient dotés d’un raisonnement clair, logique, transparent et convaincant, lesdites méthodes servent ainsi à limiter le pouvoir discrétionnaire du juge et, partant, à améliorer la qualité de la justice au bénéfice du justiciable (13).

6. À la différence de la Charte (14), les traités ne contiennent aucune disposition énumérant, et ordonnant hiérarchiquement, les méthodes d’interprétation que la Cour peut, ou doit, suivre (15). En l’absence d’une telle disposition, la Cour est donc, en principe, libre de choisir, parmi les différentes méthodes d’interprétation, celles qui sont les plus en accord avec l’ordre juridique de l’Union.

7. À cet égard, une partie importante de la doctrine est d’avis que les méthodes d’interprétation auxquelles la Cour a recours ne s’écartent pas des méthodes dites « classiques » d’interprétation, à savoir l’interprétation littérale, l’interprétation contextuelle et l’interprétation téléologique, que l’on retrouve tant dans les ordres juridiques nationaux (16) que dans l’ordre juridique international, comme en témoigne la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (ci-après « la convention de Vienne de 1969 ») (17).

8. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Merck (18), la Cour a synthétisé son approche interprétative qui demeure aujourd’hui une jurisprudence constante. Elle a ainsi jugé, à l’instar de l’article 31 de la convention de Vienne de 1969, qu’« il y a lieu pour l’interprétation d’une disposition de droit [de l’Union] de tenir compte non seulement des termes de celle-ci mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la règlementation dont elle fait partie » (19).

9. Toutefois, au vu des traits particuliers du droit de l’Union, même si une méthode d’interprétation existe aussi bien en droit national qu’en droit de l’Union, la Cour pourrait néanmoins attribuer à cette méthode un poids ou une importance spécifique, qui serait sans équivalent dans le droit international (20) ou dans les ordres juridiques des États membres (21). C’est ainsi que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt CILFIT (22), la Cour a dit pour droit qu’il fallait tenir compte « des caractéristiques du droit [de l’Union] et des difficultés particulières que présente son interprétation » (23). Elle a ensuite énoncé les problèmes d’interprétation du droit de l’Union que le juge national — en tant que juge de droit commun du droit de l’Union — rencontre régulièrement, ainsi que les méthodes pour les surmonter (24). En premier lieu, « les textes de droit [de l’Union] sont rédigés en plusieurs langues et [...] les diverses versions linguistiques font également foi ». En conséquence, « une interprétation d’une disposition [du droit de l’Union] implique [...] une comparaison des versions linguistiques » (25). En deuxième lieu, « il faut noter [...], même en cas de concordance exacte des versions linguistiques, que le droit [de l’Union] utilise une terminologie qui lui est propre ». Autrement dit, « les notions juridiques n’ont pas nécessairement le même contenu en droit [de l’Union] et dans les différents droits nationaux » (26). En troisième lieu, chaque disposition du droit de l’Union doit être interprétée dans son contexte, d’une manière systématique, à la lumière de ses finalités, et en prenant en compte l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite (27).

10. Dans cet arrêt, la Cour a donc posé les principes que le juge doit suivre lorsqu’il est appelé à interpréter une disposition du droit de l’Union. Le point de départ est l’interprétation littérale (28). Toutefois, celle-ci n’est pas toujours suffisante. Ainsi, lorsque la disposition en cause contient des notions autonomes du droit de l’Union, dont le contenu diffère, le cas échéant, de celui des notions similaires relevant des différents droits nationaux, il sera souvent nécessaire d’analyser en outre le contexte de la disposition en cause, les objectifs qu’elle poursuit, ainsi que l’état de son évolution au moment des faits du litige.

11. Par ailleurs, dans la mesure où l’ordre juridique de l’Union puise ses sources normatives, notamment les principes généraux du droit de l’Union, tant dans les « traditions constitutionnelles communes aux États membres » (29) que dans le droit international, la Cour s’efforce, dans la mesure du possible, d’interpréter le droit de l’Union en cohérence avec les ordres juridiques par rapport auxquels ce droit se situe. Cela étant, dans la célèbre affaire Van Gend en Loos, la Cour a jugé que « [l’Union] constitue un nouvel ordre juridique de droit international », (30) qualifiant l’ordre juridique nouvellement créé d’« ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres », et ce « à la différence des traités internationaux » (31). Il en découle que l’interprétation du droit de l’Union, à l’aune des traditions constitutionnelles communes aux États membres et du droit international, ne saurait faire perdre à l’ordre juridique de l’Union son autonomie et sa permanence, inhérentes au droit primaire de l’Union (appelées ci-après « l’autonomie constitutionnelle de l’ordre juridique de l’Union ») (32).

12. Dans cette étude, nous nous proposons, dans un premier temps, d’examiner chacune des méthodes d’interprétation préconisées par la Cour dans les arrêts Mercket CILFIT, précités. En particulier, nous essayerons d’examiner les limites applicables à chaque méthode d’interprétation. Feront également partie de notre analyse les interactions entre les différentes méthodes d’interprétation. Dans un deuxième temps, l’accent sera mis sur les rapports entre l’interprétation du droit de l’Union et les ordres juridiques que ce droit encadre, à savoir ceux des États membres, ou dans lequel ce droit s’insère, à savoir le droit international. La question qui se pose à cet égard est de savoir si la Cour peut réconcilier une interprétation du droit de l’Union à l’aune des traditions constitutionnelles communes aux États membres et du droit international avec l’autonomie constitutionnelle de l’ordre juridique de l’Union. Dans la troisième partie de cette étude, nous examinerons les méthodes d’interprétation prévues par la Charte. Finalement, en guise de conclusion, nous tenterons d’esquisser la théorie d’interprétation la mieux adaptée à l’ordre juridique de l’Union.

(1) Le terme « traités » fait référence au TUE et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »).

(2) CJUE, 29 juin 2010, E et F, C-550/09, EU:C:2010:382, point 44 ; CJUE, 3 septembre 2008, Commission e.a. c. Kadi (Kadi II), C-584/10 P, C-593/10 P et C-595/10 P, EU:C:2013:518, point 66 ; CJUE, 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a. c. Parlement et Conseil, C-583/11 P, EU:C:2013:625, point 91 ; CJUE, 19 décembre 2013, Telefónica c. Commission, C-274/12 P, EU:C:2013:852, point 56 ; CJUE, 6 octobre 2015, Schrems, C-362/14, EU:C:2015:650, point 60 ; CJUE, 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C-64/16, EU:C:2018:117, point 31, et CJUE, 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C-216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 49.

(3) CJUE, 23 avril 1986, Les Verts c. Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 25.

(4) JO, nº C 202, 7 juin 2016, p. 389.

(5) Voy. J. Mertens de Wilmars, « Réflexion sur les méthodes d’interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes », CDE, 1986, pp. 5 et s., spéc. p. 9 (l’auteur affirme que « le juge [de l’Union] ne peut pas prendre prétexte de l’obscurité ou du silence de la loi pour refuser de dire le droit »).

(6) CJUE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil, C-50/00 P, EU:C:2002:462. Voy. également CJUE, 1er avril 2004,Commission c. Jégo-Quéré, C-263/02 P, EU:C:2004:210.

(7) Voy. CJUE, 15 juillet 1963, Plaumann c. Commission, 25/62, EU:C:1963:17.

(8) Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil, C-50/00 P, précité (note 6), point 44. Voy. également CJUE, 28 mars 2017, Rosneft, C-72/15, EU:C:2017:236, point 74.

(9) Ibid., point 45.

(10) Voy. en ce sens l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qui exclut la condition d’affectation individuelle pour les recours en annulation introduits par toute personne physique ou morale « contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution ». Voy. à cet égard Inuit Tapiriit Kanatami e.a. c. Parlement et Conseil, C-583/11 P, et Telefónica c. Commission, C-274/12 P, précités (note 2), ainsi que CJUE, 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares c. Commission, C-456/13 P, EU:C:2015:284.

(11) A. Albors Llorens, « The European Court of Justice, more than a Teleological Court », CYELS, 1999, p. 357.

(12) Voy. à cet égard, R.-M. Chevallier, « Methods and Reasoning of the European Court in its interpretation of Community law », CML Rev., 1964, p. 21 ; V. D. Degan, « Procédés d’interprétation tirés de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes – Exposé comparatif avec la jurisprudence de la Cour internationale de Justice », RTDE, 1966, p. 189 ; R. Ormand, « L’utilisation particulière de la méthode d’interprétation des traités selon leur effet utile par la Cour de justice des Communautés européennes », RTDE, 1976, p. 624 ; H. Kutscher, « Methods of Interpretation as seen by a Judge at the Court of Justice », in Reports of a Judicial and Academic Conference held in Luxemburg on 27-28 September 1976, pp. 1-21 ; J. MertensdeWilmars, précité (note 5) ; N. Fennelly, « Legal Interpretation at the European Court of Justice », Fordham Int. L. J., 1996, p. 656 ; H. Gaudin, « Les principes d’interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes », RAE, 1998, p. 10 ; A. AlborsLlorens, précité (note 11), p. 357 ; T. Koopmans, « The Theory of Interpretation and the Court of Justice », in D. O’Keeffe et A. Bavasso (dir.), Judicial review in European Union Law– Liber Amicorum in Honour of Lord Slynn of Hadley, La Haye-Londres-Boston, Kluwer Law International, 2000, p. 45 ; J. Bengoetxea, N. MacCormick, et L. MoralSoriano, « Integration and integrity in the legal reasoning of the European Court of Justice », in G. deBúrca et J.H.H. Weiler (dir.), The European Court of Justice, Collected Courses of the Academy of European Law, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 43 ; A. Arnull, The European Union and its Court of Justice, Oxford, Oxford University Press, 2006, pp. 607 et s. ; M. PoiaresMaduro, « Interpreting European Law: Judicial Adjudication in the Context of Constitutional Pluralism », Eur. J. Legal Studies, 2007, p. 1 ; G. Itzcovich, « The Interpretation of Community Law by the European Court of Justice », GLJ, 2009, p. 537 ; G. Beck, The Legal Reasoning of the Court of Justice of the EU, Oxford, Hart Publishing, 2012 ; G. Conway, The Limits of Legal Reasoning and the European Court of Justice, Cambridge, Cambridge University Press, 2012 ; E. Paunio, Legal Certainty in Multilingual EU Law: Language, Discourse and Reasoning at the European Court of Justice, Surrey, Ashgate, 2013, et S. Sankari, European Court of Justice Legal Reasoning in Context, Groningue, Europa Law Publishing, 2013. Voy. également, K. Lenaerts et J.A. Gutiérrez-Fons, « To Say What the Law of the EU is: Methods of Interpretation and the European Court of Justice », Colum. J. Eur. L., 2014, p. 3.

(13) Voy. K. Lenaerts, « How the ECJ Thinks: a Study on Judicial Legitimacy », Fordham Int. L. J., 2013, p. 1302.

(14) Voy. notamment son article 52.

(15) G. Itzcovich, précité (note 12), p. 539.

(16) Voy., par exemple, H. Kutscher, précité (note 12), pp. 1-21, J. Bengoetxea, N. MacCormick, et L. MoralSoriano, précité (note 12), p. 48, et G. Itzcovich, précité (note 12), p. 538.

(17) Voy. la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (Recueil des traités des Nations unies, Vol. 1155, p. 354). L’article 31 de cette Convention énonce la règle générale d’interprétation des traités internationaux, selon laquelle « [u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité [l’interprétation littérale] dans leur contexte [l’interprétation systématique] et à la lumière de son objet et de son but [l’interprétation téléologique] ». S’agissant des moyens complémentaires d’interprétation, l’article 32 de la convention de Vienne de 1969 se réfère « aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu ».

(18) CJUE, 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335.

(19) Ibid., point 12. Voy., également, CJUE, 4 avril 2017, Fahimian, C-544/15, EU:C:2017:255, point 30.

(20) Voy. P. J. Kuijper, « The Court and the Tribunal of the EC and the Vienna Convention on the Law of Treaties 1969 », Legal Issues of European Integration, 1998, p. 3 ; A. Sennekamp et I. Van Damme, « A practical perspective on treaty interpretation: the Court of Justice of the European Union and the WTO dispute settlement system », CJIL, 2014, p. 489 ; J. Odermatt, « The Use of International Treaty Law by the Court of Justice of the European Union », CYELS, 2015, p. 1, et G. Beck, « The Court of Justice of the EU and the Vienna Convention on the Law of Treaties », YEL, 2016, p. 484. Voy. également Tribunal de l’UE, 25 octobre 2007, SP e.a. c. Commission, T-27/03, T-46/03, T-58/03, T-79/03, T-80/03, T-97/03 et T-98/03, EU:T:2007:317.

(21) Voy., par exemple, J. MertensdeWilmars, précité (note 5), pp. 9-10 (selon l’auteur, « [s]i l’éventail des méthodes d’interprétation est le même en droit communautaire et en droit national, il faut toutefois reconnaître que leur dosage ne l’est pas en ce sens que l’importance relative des différentes méthodes n’est pas la même dans l’un et l’autre des deux ordres juridiques »).

(22) CJUE, 6 octobre 1982, CILFIT e.a., 283/81, EU:C:1982:335. Voy. également CJUE, 4 juin 2002, Lyckeskog, C-99/00, EU:C:2002:329.

(23) CILFIT e.a., 283/81, précité (note 22), point 17. Voy. également, CJUE, 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement, C-379/15, EU:C:2016:603, points 49 et 50.

(24) A. Arnull, précité (note 12), pp. 607 et s.

(25) CILFIT e.a., 283/81, précité (note 22), point 18.

(26) Ibid., point 19.

(27) Ibid., point 20.

(28) Voy. A. AlborsLlorens, précité (note 11), p. 375.

(29) Voy., par exemple, CJUE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, 11/70, EU:C:1970:114.

(30) CJUE, 5 février 1963, Van Gend en Loos, 26/62, EU:C:1963:1.

(31) CJUE, 15 juillet 1964, Costa c. ENEL, 6/64, EU:C:1964:66.

(32) Voy. à cet égard CJUE, 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation c. Conseil et Commission (Kadi I), C-402/05 P et C-415/05 P, EU:C:2008:461, point 285, et CJUE, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454. Voy., en ce sens, D. Halberstam, « “It’s the Autonomy, Stupid!” A Modest Defense of Opinion 2/13 on EU Accession to the ECHR, and the Way Forward », German L. J., 2015, p. 105, et K. Lenaerts, « Les fondements constitutionnels de l’Union européenne dans leur rapport avec le droit international », in A. Tizzano, A. Rosas, R. Silvade Lapuerta, K. Lenaerts et J. Kokott (dir.), La Cour de justice de l’Union européenne sous la présidence de Vassilios Skouris (2003-2015), Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 367.

Chapitre 1. Les méthodes « classiques » d’interprétation

I. – L’interprétation littérale

A. – L’importance de la sécurité juridique

13. L’interprétation littérale peut être définie comme l’action de donner une signification à un texte normatif à la lumière du sens courant de ses termes. Il est constant que l’interprétation littérale d’une disposition claire et précise est la méthode d’interprétation la plus conforme au principe de sécurité juridique (1), entendu comme principe garantissant un haut degré de prévisibilité dans les décisions de la Cour. Un des exemples les plus célèbres où la Cour s’est servie de l’interprétation littérale pour fonder son appréciation est la jurisprudence concernant l’absence d’effet direct horizontal des directives (2). Dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Marshall I (3) et Faccini Dori (4), la Cour a jugé que, étant donné que le caractère contraignant des directives n’existe qu’à l’égard de « tout État membre destinataire » (5), reconnaître qu’un particulier puisse invoquer une directive à l’encontre d’un autre particulier « reviendrait à reconnaître à [l’Union] le pouvoir d’édicter avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers alors qu’elle ne détient cette compétence que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements » (6).

14. En outre, selon une jurisprudence bien établie, bien qu’une interprétation d’une disposition du droit de l’Union « à la lumière » du contexte juridique dans lequel elle s’insère ou de sa finalité soit en principe possible pour résoudre une ambiguïté de rédaction, une telle interprétation ne saurait avoir pour résultat de retirer tout effet utile au libellé clair et précis de cette disposition (7), sous peine d’être incompatible avec les exigences du principe de sécurité juridique, ainsi qu’avec le respect du principe d’équilibre institutionnel consacré à l’article 13, paragraphe 2, TUE. Il s’ensuit que la Cour ne saurait ignorer le libellé clair et précis d’une disposition (8). De même, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, si le préambule d’un acte de l’Union est susceptible de préciser le contenu de celui-ci, il ne saurait être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné (9).

15. Cela étant dit, rien ne s’oppose à ce que l’interprétation résultant du libellé d’une disposition soit corroborée par l’objectif et l’économie générale de l’acte de l’Union dans lequel cette disposition figure (10).

16. Le principe de sécurité juridique justifie également une interprétation axée sur les dispositions du droit de l’Union afin de garantir un haut degré de prévisibilité. La Cour essaie d’assurer une telle prévisibilité en restant, dans la mesure du possible, fidèle à la lettre des dispositions interprétées (11).

17. Dans le domaine du droit pénal, l’interprétation littérale revêt une importance particulière, qui est en étroite corrélation avec le principe de légalité, un des principes généraux du droit de l’Union dont la Cour assure le respect (12). À l’instar des droits nationaux, le droit de l’Union se rapportant au droit pénal s’oppose à des méthodes dites « créatives » d’interprétation qui seraient en opposition avec les impératifs découlant du principe de légalité. La Cour ne saurait ainsi s’écarter des termes d’une disposition afin d’aggraver la responsabilité pénale des individus. C’est ainsi que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union ne saurait contribuer à fonder une condamnation pénale, si cela implique que des dispositions nationales imposant des peines soient appliquées rétroactivement ou par analogie (13).

18. Selon l’adage « interpretatio cessat in claris », seul un texte obscur peut donner lieu à une interprétation qui s’écarte du sens courant des termes qu’il contient (14). La question est alors de savoir dans quelles circonstances le libellé d’une disposition du droit de l’Union peut être considéré comme étant clair et précis. En effet, « sens clair et sens littéral ne sont pas [toujours] synonymes, le sens littéral d’une disposition pouvant être empreint d’ambiguïté » (15). Par exemple, est-il suffisant pour une disposition d’être claire et précise dans une seule version linguistique ou, au contraire, l’absence d’ambiguïté doit-elle exister dans toutes les langues de l’Union ?

B. – Interprétation littérale et multilinguisme

19. Aux termes de l’article 55 TUE, chacune des 24 versions linguistiques des traités fait foi. S’agissant du régime linguistique de l’Union, l’article 342 TFUE prévoit qu’il incombe au Conseil, statuant à l’unanimité, de fixer les langues officielles et les langues de travail des institutions de l’Union, sans préjudice des dispositions prévues par le statut de la Cour (16). En adoptant le règlement n° 1/58 (17), le Conseil a décidé de consacrer le principe « d’égalité linguistique » qui met en œuvre un « multilinguisme intégral » (18). C’est ainsi que, en ce qui concerne les actes des institutions de l’Union ayant une portée générale, il existe une obligation de les publier, ainsi que de les traduire, dans l’ensemble des 24 langues officielles (19).

20. Ceci implique-t-il que le principe d’égalité linguistique a une nature constitutionnelle ou, au contraire, qu’il est le simple résultat de choix politiques ? Pour répondre à cette question, il faut, tout d’abord, relever que le règlement n° 1/58 ne s’applique qu’aux institutions de l’Union. Partant, les organes, offices ou agences de l’Union demeurent hors de son champ d’application, et ne sont pas tenus par le principe d’égalité linguistique (20). Il faut également distinguer entre les actes de l’Union ayant une portée individuelle et ceux ayant une portée générale. S’agissant des premiers, seule fera foi et sera utilisée pour leur interprétation la langue utilisée dans le cadre de la procédure concernée (21). En revanche, s’agissant des actes ayant une portée générale, D. Hanf et E. Muir font valoir que le principe d’égalité linguistique revêt une nature « quasi constitutionnelle » (22).

En premier lieu, la règle de l’unanimité rend très difficile, voire politiquement impossible, l’adoption d’un régime plus restreint, qui, quoique plus efficace, irait à l’encontre des intérêts des États membres concernés.

En deuxième lieu, plusieurs dispositions du droit primaire de l’Union plaident en faveur de la nature constitutionnelle dudit principe. Par exemple, l’article 24, troisième alinéa, TFUE dispose que « [t]out citoyen de l’Union peut écrire à toute institution ou organe visé au présent article ou à l’article 13 TUE dans l’une des langues visées à l’article 55, paragraphe 1, TUE et recevoir une réponse rédigée dans la même langue ». De même, l’article 21 de la Charte consacrant le principe d’égalité de traitement interdit expressément une discrimination fondée sur la langue. Les institutions de l’Union, y compris la Cour, violeraient donc le droit de l’Union si, par exemple, une des versions linguistiques d’un acte de l’Union ayant une portée générale était considérée comme la version authentique, au détriment des autres, à moins qu’une telle différence de traitement soit justifiée par un intérêt légitime, et cela d’une façon proportionnée. En effet, même dans des situations où le règlement n° 1/58 ne s’applique pas, la Cour a vérifié que les différences de traitement entre les langues officielles de l’Union, introduites par le législateur de l’Union, sont justifiées et proportionnées (23). Il ressort de ces dispositions du droit primaire que « [l]e principe d’égalité linguistique est le corollaire d’une logique égalitaire qui s’applique aux États membres,[ (24)] mais aussi aux citoyens de l’Union » (25).

En troisième lieu, la Cour semble admettre la nature constitutionnelle du principe d’égalité linguistique. Selon une jurisprudence constante, « la nécessité d’une interprétation uniforme des règlements [de l’Union] exclut que, en cas de doute, le texte d’une disposition soit considéré isolément, et exige au contraire qu’il soit interprété et appliqué à la lumière des versions établies dans les autres langues officielles [...]. [T]outes les versions linguistiques doivent, par principe, se voir reconnaître la même valeur, laquelle ne saurait varier en fonction de l’importance de la population des États membres qui pratique la langue en cause » (26). D’ailleurs, cette jurisprudence n’est pas limitée aux règlements mais est pertinente à l’égard de tout acte de l’Union ayant une portée générale, et cela indépendamment de sa nature contraignante. Ainsi, la Cour a appliqué ladite jurisprudence à l’égard d’une « véritable recommandation » faite par la Commission aux États membres (27).

21. C’est ainsi que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Skoma-Lux (28), la Cour s’est opposée à toute tentative de relativiser les obligations de parité linguistique découlant du règlement n° 1/58 (29). Elle a jugé qu’un règlement de l’Union qui impose des obligations aux particuliers, non publié dans la langue officielle d’un État membre, ne leur est pas opposable dans cet État, alors même que ces personnes auraient pu prendre connaissance de ce règlement par d’autres moyens (par exemple, en consultant un site Internet) (30). En effet, « il serait contraire au principe d’égalité de traitement de faire la même application des obligations imposées par une réglementation [de l’Union] dans les anciens États membres, où les particuliers ont la possibilité de prendre connaissance desdites obligations dans le Journal officiel de l’Union européenne, dans la langue de ces États, et dans les États membres adhérents, où cette prise de connaissance a été rendue impossible en raison d’une publication tardive » (31).

22. Il découle également du principe d’égalité linguistique que, en cas de divergences entre les différentes versions linguistiques d’un acte normatif de l’Union, la Cour ne saurait limiter son appréciation à une interprétation littérale d’une des versions linguistiques dudit acte. En effet, « selon une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Les dispositions du droit de l’Union doivent en effet être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union. En cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément » (32).

23. Par exemple, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Stauder (33), la question était de savoir si une décision de la Commission, adressée à tous les États membres, liait la vente de beurre à prix réduit aux bénéficiaires de certains régimes d’assistance sociale à la divulgation de leur nom au vendeur. Deux des versions linguistiques, dont la version allemande, disposaient que les bénéficiaires ne pouvaient acheter le beurre à prix réduit que sur présentation d’un « bon mentionnant leur nom », alors que les autres versions conditionnaient une telle vente à la présentation d’un « bon individualisé », permettant ainsi l’application de moyens de contrôle autres qu’une désignation nominative du bénéficiaire (34). Tout d’abord, la Cour a exclu la possibilité de considérer isolément une des versions linguistiques de la décision de la Commission en question, au motif qu’une telle interprétation mettrait en danger l’uniformité du droit de l’Union (35). Elle a donc décidé d’interpréter cette décision à la lumière de la volonté de son auteur et du but poursuivi par celle-ci. La Cour a estimé que, dans la mesure où l’interprétation moins contraignante suffisait à assurer l’objectif poursuivi par la Commission, à savoir éviter que le beurre vendu à un prix inférieur au prix normal ne soit détourné de sa destination, une telle interprétation devait être retenue (36). Par ailleurs, la Cour a également constaté que cette interprétation était confirmée par les travaux préparatoires (37). Elle a ainsi jugé que la décision de la Commission en question devait être interprétée comme n’imposant pas — sans toutefois l’interdire — l’identification nominative des bénéficiaires (38).

24. Cela étant, le principe d’égalité linguistique ne s’oppose pas à ce que la Cour puisse invoquer en priorité certaines versions linguistiques afin de corroborer son appréciation (39). Ceci ne veut pas dire que ces versions linguistiques en elles-mêmes prévalent sur les autres, mais tout simplement qu’elles servent d’appui pour l’interprétation contextuelle et/ou téléologique du texte normatif en cause. Autrement dit, elles servent comme argument auxiliaire. Dans ce cas, l’analyse de la Cour ne partira pas de l’interprétation littérale de certaines versions linguistiques du texte, mais de sa finalité et/ou de son économie générale. Ce n’est que dans un second temps et dans le seul but de confirmer son interprétation, que la Cour fera référence auxdites versions linguistiques du texte interprété.

25. À titre d’exemple, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Henke (40), la juridiction de renvoi demandait si l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187 (41) devait être interprété en ce sens que la notion de « transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’établissement » s’appliquait au transfert d’attributions administratives d’une commune à un groupement intercommunal, tel que celui en cause dans le litige au principal. La Cour a d’abord examiné la finalité de ladite directive à la lumière du premier considérant de son préambule. Elle en a déduit que la directive 77/187 (qui a été remplacée par la directive 2001/23) (42) visait à protéger les travailleurs contre les conséquences défavorables que pourraient avoir pour eux les modifications des structures des entreprises qui s’effectuent par des transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements (43). Ainsi, elle a jugé que la réorganisation de structures de l’administration publique ou le transfert d’attributions administratives entre des administrations publiques ne constituait pas un « transfert d’entreprise » au sens de la directive 77/187 (44). La Cour a ensuite mentionné que « [c]ette interprétation est d’ailleurs confirmée par les termes employés dans la plupart des versions linguistiques de la directive pour désigner l’objet du transfert [...] ou son bénéficiaire [...], et n’est contredite par aucune des autres versions linguistiques de ce texte » (45).

26. De même, le principe d’égalité linguistique ne s’oppose pas à ce que la Cour se serve d’une interprétation contextuelle ou téléologique pour écarter une version linguistique d’un texte qui s’éloigne du sens commun des autres versions linguistiques (46).

27. L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt HK Danmark illustre ce point (47). Cette affaire concernait l’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78 (48), une disposition qui introduit une exception au principe de non-discrimination fondée sur l’âge. Conformément à la version française de ladite disposition, les États membres peuvent, s’agissant des régimes professionnels de sécurité sociale qui octroient des prestations liées aux risques de vieillesse ou d’invalidité, introduire des différences de traitement portant sur la fixation d’âges d’adhésion auxdits régimes ou d’admissibilité auxdites prestations, y compris de critères d’âge dans les calculs actuariels. Toutefois, la version danoise de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78 omet le fait que cette exception ne s’applique qu’aux régimes qui couvrent des risques liés à la vieillesse ou l’invalidité. Ainsi, le juge danois demandait à la Cour si une telle exception avait vocation à s’appliquer à tout type de régime professionnel de sécurité sociale ou si, en revanche, elle ne s’appliquait qu’aux régimes couvrant ces deux types de risque. La Cour a retenu cette dernière interprétation. Ce faisant, elle a noté que la mention « aux prestations de retraite ou d’invalidité » figure, à l’instar de la version française, dans les versions allemande, espagnole, anglaise et polonaise (49).