Les Règles de la méthode sociologique - Émile Durkheim - E-Book

Les Règles de la méthode sociologique E-Book

Emile Durkheim

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Beschreibung

On est si peu habitué à traiter les faits sociaux scientifiquement que certaines des propositions contenues dans cet ouvrage risquent de surprendre le lecteur. Cependant, s’il existe une science des sociétés, il faut bien s’attendre à ce qu’elle ne consiste pas dans une simple paraphrase des préjugés traditionnels, mais nous fasse voir les choses autrement qu’elles n’apparaissent au vulgaire ; car l’objet de toute science est de faire des découvertes et toute découverte déconcerte plus ou moins les opinions reçues. À moins donc qu’on ne prête au sens commun, en sociologie, une autorité qu’il n’a plus depuis longtemps dans les autres sciences ― et on ne voit pas d’où elle pourrait lui venir ― il faut que le savant prenne résolument son parti de ne pas se laisser intimider par les résultats auxquels aboutissent ses recherches, si elles ont été méthodiquement conduites. Si chercher le paradoxe est d’un sophiste, le fuir, quand il est imposé par les faits, est d’un esprit sans courage ou sans foi dans la science.

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Les Règles de la méthode sociologique

Émile Durkheim

1919

© 2022 Librorium Editions

ISBN : 9782383833352

 

TABLE DES MATIÈRES

Préface de la première édition

v

Préface de la deuxième édition

ix

INTRODUCTION (p. 1 à 3).

État rudimentaire de la méthodologie dans les sciences sociales. Objet de l’ouvrage.

 

CHAPITRE I (p. 5 à 19).

Qu’est-ce qu’un fait social ?

Le fait social ne peut se définir par sa généralité à l’intérieur de la société. Caractères distinctifs du fait social : 1o son extériorité par rapport aux consciences individuelles ; 2o l’action coercitive qu’il exerce ou est susceptible d’exercer sur ces mêmes consciences. Application de cette définition aux pratiques constituées et aux courants sociaux. Vérification de cette définition.

Autre manière de caractériser le fait social : l’état d’indépendance où il se trouve par rapport à ses manifestations individuelles. Application de cette caractéristique aux pratiques constituées et aux courants sociaux. Le fait social se généralise parce qu’il est social, loin qu’il soit social parce qu’il est général. Comment cette seconde définition rentre dans la première.

Comment les faits de morphologie sociale rentrent dans cette même définition. Formule générale du fait social.

 

CHAPITRE II (p. 20 à 58).

Règles relatives à l’observation des faits sociaux

Règle fondamentale : Traiter les faits sociaux comme des choses.

— Phase idéologique que traversent toutes les sciences et au cours de laquelle elles élaborent des notions vulgaires etpratiques, au lieu de décrire et d’expliquer des choses. Pourquoi cette phase devait se prolonger en sociologie plus encore que dans les autres sciences. Faits empruntés à la sociologie de Comte, à celle de M. Spencer, à l’état actuel de la morale et de l’économie politique et montrant que ce stade n’a pas encore été dépassé.

Raisons de le dépasser : 1o Les faits sociaux doivent être traités comme des choses parce qu’ils sont les data immédiats de la science, tandis que les idées, dont ils sont censés être le développement, ne sont pas directement données. 2o Ils ont tous les caractères de la chose.

Analogies de cette réforme avec celle qui a récemment transformé la psychologie. Raisons d’espérer, dans l’avenir, un progrès rapide de la sociologie.

II. — Corollaires immédiats de la règle précédente :

1o Écarter de la science toutes les prénotions. Du point de vue mystique qui s’oppose à l’application de cette règle.

2o Manière de constituer l’objet positif de la recherche : grouper les faits d’après leurs caractères extérieurs communs. Rapports du concept ainsi formé avec le concept vulgaire. Exemples des erreurs auxquelles on s’expose en négligeant cette règle ou en l’appliquant mal : M. Spencer et sa théorie sur l’évolution du mariage ; M. Garofalo et sa définition du crime ; l’erreur commune qui refuse une morale aux sociétés inférieures. Que l’extériorité des caractères qui entrent dans ces définitions initiales ne constitue pas un obstacle aux explications scientifiques.

3o Ces caractères extérieurs doivent en outre être les plus objectifs qu’il est possible. Moyen pour y arriver : appréhender les faits sociaux par le côté ou ils se présentent isolés de leurs manifestations individuelles.

 

CHAPITRE III (p. 59 à 93).

règles relatives à la distinction du normal et du pathologique

Utilité théorique et pratique de cette distinction. Il faut qu’elle soit scientifiquement possible pour que la science puisse servir à la direction de la conduite.

I. — Examen des critères couramment employés : la douleur n’est pas le signe distinctif de la maladie, car elle fait partie de l’état de santé ; ni la diminution des chances de survie, car elle est produite parfois par des faits normaux (vieillesse, parturition, etc.), et elle ne résulte pas nécessairement de lamaladie ; de plus, ce critère est le plus souvent inapplicable, surtout en sociologie.

La maladie distinguée de l’état de santé comme l’anormal du normal. Le type moyen ou spécifique. Nécessité de tenir compte de Page pour déterminer si le fait est normal ou non.

Comment cette définition du pathologique coïncide en général avec le concept courant de la maladie : l’anormal est l’accidentel ; pourquoi l’anormal, en général, constitue l’être en état d’infériorité.

II. — Utilité qu’il y a à vérifier les résultats de la méthode précédente en cherchant les causes de la normalité du fait, c’est-à-dire de sa généralité. Nécessité qu’il y a de procéder à cette vérification quand il s’agit de faits se rapportant à des sociétés qui n’ont pas achevé leur histoire. Pourquoi ce second critère ne peut être employé qu’à titre complémentaire et en second lieu.

Énoncé des règles.

III. — Application de ces règles à quelques cas, notamment à la question du crime. Pourquoi l’existence d’une criminalité est un phénomène normal. Exemples des erreurs dans lesquelles on tombe quand on ne suit pas ces règles. La science même devient impossible.

 

CHAPITRE IV (p. 94 à 109).

règles relatives à la constitution des types sociaux

La distinction du normal et de l’anormal implique la constitution d’espèces sociales. Utilité de ce concept d’espèce, intermédiaire entre la notion du genus homo et celle de sociétés particulières.

I. — Le moyen de les constituer n’est pas de procéder par monographies. Impossibilité d’aboutir par cette voie. Inutilité de la classification qui serait ainsi construite. Principe de la méthode à appliquer : distinguer les sociétés d’après leur degré de composition.

II. — Définition de la société simple : la horde. Exemples de quelques-unes des manières dont la société simple se compose avec elle-même et ses composés entre eux.

À l’intérieur des espèces ainsi constituées, distinguer des variétés, suivant que les segments composants sont coalescents ou non.

Énoncé de la règle.

III. — Comment ce qui précède démontre qu’il y a des espèces sociales. Différences dans la nature de l’espèce en biologie et en sociologie.

CHAPITRE V (p. 110 à 152).

règles relatives à l’explication des faits sociaux

I — Caractère finaliste des explications en usage. L’utilité d’un fait n’en explique pas l’existence. Dualité des deux questions, établie par les faits de survivance, par l’indépendance de l’organe et de la fonction et la diversité de services que peut rendre successivement une même institution. Nécessité de la recherche des causes efficientes des faits sociaux. Importance prépondérante de ces causes en sociologie, démontrée par la généralité des pratiques sociales, même les plus minutieuses.

La cause efficiente doit donc être déterminée indépendamment de la fonction. Pourquoi la première recherche doit précéder la seconde. Utilité de cette dernière.

II. — Caractère psychologique de la méthode d’explication généralement suivie. Cette méthode méconnaît la nature du fait social qui est irréductible aux faits purement psychiques en vertu de sa définition. Les faits sociaux ne peuvent être expliqués que par des faits sociaux.

Comment il se fait qu’il en soit ainsi, quoique la société n’ait pour matière que des consciences individuelles. Importance du fait de l’association qui donne naissance à un être nouveau et à un ordre nouveau de réalités. Solution de continuité entre la sociologie et la psychologie analogue à celle qui sépare la biologie des sciences physico-chimiques.

Si cette proposition s’applique au fait de la formation de la société.

Rapport positif des faits psychiques et des faits sociaux. Les premiers sont la matière indéterminée que le facteur social transforme : exemples. Si les sociologues leur ont attribué un rôle plus direct dans la genèse de la vie sociale, c’est qu’ils ont pris pour des faits purement psychiques des états de conscience qui ne sont que des phénomènes sociaux transformés.

Autres preuves à l’appui de la même proposition : 1o Indépendance des faits sociaux par rapport au facteur ethnique, lequel est d’ordre organico-psychique ; 2o l’évolution sociale n’est pas explicable par des causes purement psychiques.

Énoncé des règles à ce sujet. C’est parce que ces règles sont méconnues que les explications sociologiques ont un caractère trop général qui les discrédite. Nécessité d’une culture proprement sociologique.

II. — Importance primaire des faits de morphologie socialedans les explications sociologiques : le milieu interne est l’origine de tout processus social de quelque importance. Rôle particulièrement prépondérant de l’élément humain de ce milieu. Le problème sociologique consiste donc surtout à trouver les propriétés de ce milieu qui ont le plus d’action sur les phénomènes sociaux. Deux sortes de caractères répondent en particulier à cette condition : le volume de la société et la densité dynamique mesurée par le degré de coalescence des segments. Les milieux internes secondaires ; leur rapport avec le milieu général et le détail de la vie collective.

Importance de cette notion du milieu social. Si on la rejette, la sociologie ne peut plus établir de rapports de causalité, mais seulement des rapports de succession, ne comportant pas la prévision scientifique : exemples empruntés à Comte, à M. Spencer. — Importance de cette même notion pour expliquer comment la valeur utile des pratiques sociales peut varier sans dépendre d’arrangements arbitraires. Rapport de cette question avec celle des types sociaux.

Que la vie sociale ainsi conçue dépend de causes internes.

III. — Caractère général de cette conception sociologique. Pour Hobbes, le lien entre le psychique et le social est synthétique et artificiel ; pour M. Spencer et les économistes, il est naturel, mais analytique ; pour nous, il est naturel et synthétique. Comment ces deux caractères sont conciliables. Conséquences générales qui en résultent.

 

CHAPITRE VI (p. 153 à 171).

règles relatives à l’administration de la preuve

I. — La méthode comparative ou expérimentation indirecte est la méthode de la preuve en sociologie. Inutilité de la méthode appelée historique par Comte. Réponse aux objections de Mill relativement à l’application de la méthode comparative à la sociologie. Importance du principe : à un même effet correspond toujours une même cause.

II. — Pourquoi, des divers procédés de la méthode comparative, c’est la méthode des variations concomitantes qui est l’instrument par excellence de la recherche en sociologie ; sa supériorité : 1o en tant qu’elle atteint le lien causal par le dedans ; 2o en tant qu’elle permet l’emploi de documents plus choisis et mieux critiqués. Que la sociologie, pour être réduite à un seul procédé, ne se trouve pas vis-à-vis des autres sciences dans un état d’infériorité à cause de larichesse des variations dont dispose le sociologue. Mais nécessité de ne comparer que des séries continues et étendues de variations, et non des variations isolées.

III. — Différentes manières de composer ces séries. Cas où les termes en peuvent être empruntés à une seule société. Cas où il faut les emprunter à des sociétés différentes, mais de même espèce. Cas où il faut comparer des espèces différentes. Pourquoi ce cas est le plus général. La sociologie comparée est la sociologie même.

Précautions à prendre pour éviter certaines erreurs au cours de ces comparaisons.

 

CONCLUSION (p. 172).

Caractères généraux de cette méthode :

1o Son indépendance vis-à-vis de toute philosophie (indépendance qui est utile à la philosophie elle-même) et vis-à-vis des doctrines pratiques. Rapports de la sociologie avec ces doctrines. Comment elle permet de dominer les partis.

2o Son objectivité. Les faits sociaux considérés comme des choses. Comment ce principe domine toute la méthode.

3o Son caractère sociologique : les faits sociaux expliqués tout en gardant leur spécificité ; la sociologie comme science autonome. Que la conquête de cette autonomie est le progrès le plus important qui reste à faire à la sociologie.

Autorité plus grande de la sociologie ainsi pratique.

PRÉFACE

On est si peu habitué à traiter les faits sociaux scientifiquement que certaines des propositions contenues dans cet ouvrage risquent de surprendre le lecteur. Cependant, s’il existe une science des sociétés, il faut bien s’attendre à ce qu’elle ne consiste pas dans une simple paraphrase des préjugés traditionnels, mais nous fasse voir les choses autrement qu’elles n’apparaissent au vulgaire ; car l’objet de toute science est de faire des découvertes et toute découverte déconcerte plus ou moins les opinions reçues. À moins donc qu’on ne prête au sens commun, en sociologie, une autorité qu’il n’a plus depuis longtemps dans les autres sciences ― et on ne voit pas d’où elle pourrait lui venir ― il faut que le savant prenne résolument son parti de ne pas se laisser intimider par les résultats auxquels aboutissent ses recherches, si elles ont été méthodiquement conduites. Si chercher le paradoxe est d’un sophiste, le fuir, quand il est imposé par les faits, est d’un esprit sans courage ou sans foi dans la science.

Malheureusement, il est plus aisé d’admettre cette règle en principe et théoriquement que de l’appliquer avec persévérance. Nous sommes encore trop accoutumés à trancher toutes ces questions d’après les suggestions du sens commun pour que nous puissions facilement le tenir à distance des discussions sociologiques. Alors que nous nous en croyons affranchis, il nous impose ses jugements sans que nous y prenions garde. Il n’y a qu’une longue et spéciale pratique qui puisse prévenir de pareilles défaillances. Voilà ce que nous demandons au lecteur de bien vouloir ne pas perdre de vue. Qu’il ait toujours présent à l’esprit que les manières de penser auxquelles il est le plus fait sont plutôt contraires que favorables à l’étude scientifique des phénomènes sociaux et, par conséquent, qu’il se mette en garde contre ses premières impressions. S’il s’y abandonne sans résistance, il risque de nous juger sans nous avoir compris. Ainsi, il pourrait arriver qu’on nous accusât d’avoir voulu absoudre le crime, sous prétexte que nous en faisons un phénomène de sociologie normale. L’objection pourtant serait puérile. Car s’il est normal que, dans toute société, il y ait des crimes, il n’est pas moins normal qu’ils soient punis. L’institution d’un système répressif n’est pas un fait moins universel que l’existence d’une criminalité, ni moins indispensable à la santé collective. Pour qu’il n’y eût pas de crimes, il faudrait un nivellement des consciences individuelles qui, pour des raisons qu’on trouvera plus loin, n’est ni possible ni désirable ; mais pour qu’il n’y eût pas de répression, il faudrait une absence d’homogénéité morale qui est inconciliable avec l’existence d’une société. Seulement, partant de ce fait que le crime est détesté et détestable, le sens commun en conclut à tort qu’il ne saurait disparaître trop complètement. Avec son simplisme ordinaire, il ne conçoit pas qu’une chose qui répugne puisse avoir quelque raison d’être utile, et cependant il n’y a à cela aucune contradiction. N’y a-t-il pas dans l’organisme des fonctions répugnantes dont le jeu régulier est nécessaire à la santé individuelle ? Est-ce que nous ne détestons pas la souffrance ? et cependant un être qui ne la connaîtrait pas serait un monstre. Le caractère normal d’une chose et les sentiments d’éloignement qu’elle inspire peuvent même être solidaires. Si la douleur est un fait normal, c’est à condition de n’être pas aimée ; si le crime est normal, c’est à condition d’être haï[1]. Notre méthode n’a donc rien de révolutionnaire. Elle est même, en un sens, essentiellement conservatrice, puisqu’elle considère les faits sociaux comme des choses dont la nature, si souple et si malléable qu’elle soit, n’est pourtant pas modifiable à volonté. Combien est plus dangereuse la doctrine qui n’y voit que le produit de combinaisons mentales, qu’un simple artifice dialectique peut, en un instant, bouleverser de fond en comble !

De même, parce qu’on est habitué à se représenter la vie sociale comme le développement logique de concepts idéaux, on jugera peut-être grossière une méthode qui fait dépendre l’évolution collective de conditions objectives, définies dans l’espace, et il n’est pas impossible qu’on nous traite de matérialiste. Cependant, nous pourrions plus justement revendiquer la qualification contraire. En effet l’essence du spiritualisme ne tient-elle pas dans cette idée que les phénomènes psychiques ne peuvent pas être immédiatement dérivés des phénomènes organiques ? Or notre méthode n’est en partie qu’une application de ce principe aux faits sociaux. Comme les spiritualistes séparent le règne psychologique du règne biologique, nous séparons le premier du règne social ; comme eux, nous nous refusons à expliquer le plus complexe par le plus simple. À la vérité, pourtant, ni l’une ni l’autre appellation ne nous conviennent exactement ; la seule que nous acceptions est celle de rationaliste. Notre principal objectif, en effet, est d’étendre à la condition humaine le rationalisme scientifique, en faisant voir que, considérée dans le passé, elle est réductible à des rapports de cause à effet qu’une opération non moins rationnelle peut transformer ensuite en règles d’action pour l’avenir. Ce qu’on a appelé notre positivisme n’est qu’une conséquence de ce rationalisme[2]. On ne peut être tenté de dépasser les faits, soit pour en rendre compte soit pour en diriger le cours, que dans la mesure où on les croit irrationnels. S’ils sont intelligibles tout entiers, ils suffisent à la science comme à la pratique : à la science, car il n’y a pas alors de motif pour chercher en dehors d’eux les raisons qu’ils ont d’être ; à la pratique, car leur valeur utile est une de ces raisons. Il nous semble donc que, surtout par ce temps de mysticisme renaissant, une pareille entreprise peut et doit être accueillie sans inquiétude et même avec sympathie par tous ceux qui, tout en se séparant de nous sur certains points, partagent notre foi dans l’avenir de la raison.

Mais, nous objecte-t-on, si la santé contient des éléments haïssables, comment la présenter, ainsi que nous faisons plus loin, comme l’objectif immédiat de la conduite ? ― Il n’y a à cela aucune contradiction. Il arrive sans cesse qu’une chose, tout en étant nuisible par certaines de ses conséquences, soit, par d’autres, utile ou même nécessaire à la vie ; or, si les mauvais effets qu’elle a sont régulièrement neutralisés par une influence contraire, il se trouve en fait qu’elle sert sans nuire, et cependant elle est toujours haïssable, car elle ne laisse pas de constituer par elle-même un danger éventuel qui n’est conjuré que par l’action d’une force antagoniste. C’est le cas du crime ; le tort qu’il fait à la société est annulé par la peine, si elle fonctionne régulièrement. Il reste donc que, sans produire le mal qu’il implique, il soutient avec les conditions fondamentales de la vie sociale les rapports positifs que nous verrons dans la suite. Seulement, comme c’est malgré lui, pour ainsi dire, qu’il est rendu inoffensif, les sentiments d’aversion dont il est l’objet ne laissent pas d’être fondés.

C’est dire qu’il ne doit pas être confondu avec la métaphysique positiviste de Comte et de M. Spencer.

 

 

 

PRÉFACE

DE LA SECONDE ÉDITION

Quand ce livre parut pour la première fois, il souleva d’assez vives controverses. Les idées courantes, comme déconcertées, résistèrent d’abord avec une telle énergie que, pendant un temps, il nous fut presque impossible de nous faire entendre. Sur les points mêmes où nous nous étions exprimé le plus explicitement, on nous prêta gratuitement des vues qui n’avaient rien de commun avec les nôtres, et l’on crut nous réfuter en les réfutant. Alors que nous avions déclaré à maintes reprises que la conscience, tant individuelle que sociale, n’était pour nous rien de substantiel, mais seulement un ensemble, plus ou moins systématisé, de phénomènes sui generis, on nous taxa de réalisme et d’ontologisme. Alors que nous avions dit expressément et répété de toutes les manières que la vie sociale était tout entière faite de représentations, on nous accusa d’éliminer l’élément mental de la sociologie. On alla même jusqu’à restaurer contre nous des procédés de discussion que l’on pouvait croire définitivement disparus. On nous imputa, en effet, certaines opinions que nous n’avions pas soutenues, sous prétexte qu’elles étaient « conformes à nos principes ». L’expérience avait pourtant prouvé tous les dangers de cette méthode qui, en permettant de construire arbitrairement les systèmes que l’on discute, permet aussi d’en triompher sans peine.

Nous ne croyons pas nous abuser en disant que, depuis, les résistances ont progressivement faibli. Sans doute, plus d’une proposition nous est encore contestée. Mais nous ne saurions ni nous étonner ni nous plaindre de ces contestations salutaires ; il est bien clair, en effet, que nos formules sont destinées à être réformées dans l’avenir. Résumé d’une pratique personnelle et forcément restreinte, elles devront nécessairement évoluer à mesure que l’on acquerra une expérience plus étendue et plus approfondie de la réalité sociale. En fait de méthode, d’ailleurs, on ne peut jamais faire que du provisoire ; car les méthodes changent à mesure que la science avance. Il n’en reste pas moins que, pendant ces dernières années, en dépit des oppositions, la cause de la sociologie objective, spécifique et méthodique a gagné du terrain sans interruption. La fondation de l’Année sociologique a certainement été pour beaucoup dans ce résultat. Parce qu’elle embrasse à la fois tout le domaine de la science, l’Année a pu, mieux qu’aucun ouvrage spécial, donner le sentiment de ce que la sociologie doit et peut devenir. On a pu voir ainsi qu’elle n’était pas condamnée à rester une branche de la philosophie générale, et que, d’autre part, elle pouvait entrer en contact avec le détail des faits sans dégénérer en pure érudition. Aussi ne saurions-nous trop rendre hommage à l’ardeur et au dévouement de nos collaborateurs ; c’est grâce à eux que cette démonstration par le fait a pu être tentée et qu’elle peut se poursuivre.

Cependant, quelque réels que soient ces progrès, il est incontestable que les méprises et les confusions passées ne sont pas encore tout entières dissipées. C’est pourquoi nous voudrions profiter de cette seconde édition pour ajouter quelques explications à toutes celles que nous avons déjà données, répondre à certaines critiques et apporter sur certains points des précisions nouvelles.

I

La proposition d’après laquelle les faits sociaux doivent être traités comme des choses — proposition qui est à la base même de notre méthode — est de celles qui ont provoqué le plus de contradictions. On a trouvé paradoxal et scandaleux que nous assimilions aux réalités du monde extérieur celles du monde social. C’était se méprendre singulièrement sur le sens et la portée de cette assimilation, dont l’objet n’est pas de ravaler les formes supérieures de l’être aux formes inférieures, mais, au contraire, de revendiquer pour les premières un degré de réalité au moins égal à celui que tout le monde reconnaît aux secondes. Nous ne disons pas, en effet, que les faits sociaux sont des choses matérielles, mais sont des choses au même titre que les choses matérielles, quoique d’une autre manière.

Qu’est-ce en effet qu’une chose ? La chose s’oppose à l’idée comme ce que l’on connaît du dehors à ce que l’on connaît du dedans. Est chose tout objet de connaissance qui n’est pas naturellement compénétrable à l’intelligence, tout ce dont nous ne pouvons nous faire une notion adéquate par un simple procédé d’analyse mentale, tout ce que l’esprit ne peut arriver à comprendre qu’à condition de sortir de lui-même, par voie d’observations et d’expérimentations, en passant progressivement des caractères les plus extérieurs et les plus immédiatement accessibles aux moins visibles et aux plus profonds. Traiter des faits d’un certain ordre comme des choses, ce n’est donc pas les classer dans telle ou telle catégorie du réel ; c’est observer vis-à-vis d’eux une certaine attitude mentale. C’est en aborder l’étude en prenant pour principe qu’on ignore absolument ce qu’ils sont, et que leurs propriétés caractéristiques, comme les causes inconnues dont elles dépendent, ne peuvent être découvertes par l’introspection même la plus attentive.

Les termes ainsi définis, notre proposition, loin d’être un paradoxe, pourrait presque passer pour un truisme si elle n’était encore trop souvent méconnue dans les sciences qui traitent de l’homme, et surtout en sociologie. En effet, on peut dire en ce sens que tout objet de science est une chose, sauf, peut-être, les objets mathématiques ; car, pour ce qui est de ces derniers, comme nous les construisons nous-mêmes depuis les plus simples jusqu’aux plus complexes, il suffit, pour savoir ce qu’ils sont, de regarder au dedans de nous et d’analyser intérieurement le processus mental d’où ils résultent. Mais dès qu’il s’agit de faits proprement dits, ils sont nécessairement pour nous, au moment où nous entreprenons d’en faire la science, des inconnus, des choses ignorées, car les représentations qu’on a pu s’en faire au cours de la vie, ayant été faites sans méthode et sans critique, sont dénuées de valeur scientifique et doivent être tenues à l’écart. Les faits de la psychologie individuelle eux-mêmes présentent ce caractère et doivent être considérés sous cet aspect. En effet, quoiqu’ils nous soient intérieurs par définition, la conscience que nous en avons ne nous en révèle ni la nature interne ni la genèse. Elle nous les fait bien connaître jusqu’à un certain point, mais seulement comme les sensations nous font connaître la chaleur ou la lumière, le son ou l’électricité ; elle nous en donne des impressions confuses, passagères, subjectives, mais non des notions claires et distinctes, des concepts explicatifs. Et c’est précisément pour cette raison qu’il s’est fondé au cours de ce siècle une psychologie objective dont la règle fondamentale est d’étudier les faits mentaux du dehors, c’est-à-dire comme des choses. À plus forte raison en doit-il être ainsi des faits sociaux ; car la conscience ne saurait être plus compétente pour en connaître que pour connaître de sa vie propre[1]. — On objectera que, comme ils sont notre œuvre, nous n’avons qu’à prendre conscience de nous-mêmes pour savoir ce que nous y avons mis et comment nous les avons formés. Mais, d’abord, la majeure partie des institutions sociales nous sont léguées toutes faites par les générations antérieures ; nous n’avons pris aucune part à leur formation et, par conséquent, ce n’est pas en nous interrogeant que nous pourrons découvrir les causes qui leur ont donné naissance. De plus, alors même que nous avons collaboré à leur genèse, c’est à peine si nous entrevoyons de la manière la plus confuse, et souvent même la plus inexacte, les véritables raisons qui nous ont déterminé à agir et la nature de notre action. Déjà, alors qu’il s’agit simplement de nos démarches privées, nous savons bien mal les mobiles relativement simples qui nous guident ; nous nous croyons désintéressés alors que nous agissons en égoïstes, nous croyons obéir à la haine alors que nous cédons à l’amour, à la raison alors que nous sommes les esclaves de préjugés irraisonnés, etc. Comment donc aurions-nous la faculté de discerner avec plus de clarté les causes, autrement complexes, dont procèdent les démarches de la collectivité ? Car, à tout le moins, chacun de nous n’y prend part que pour une infime partie ; nous avons une multitude de collaborateurs et ce qui se passe dans les autres consciences nous échappe.