Les Secrets d'Algoria - Tome 1 - Zélie Milleret - E-Book

Les Secrets d'Algoria - Tome 1 E-Book

Zélie Milleret

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Beschreibung

Lucy et Ashley, amies depuis toujours, mènent une vie des plus banales en banlieue new-yorkaise. Quand elles sont kidnappées, celle-ci bascule. Un monde fantastique aux créatures hors du commun s’ouvre à elles ainsi qu’une nouvelle destinée. Mais prises entre attaques, alliances et rivalités, les deux amies se lanceront dans une course effrénée afin de rétablir une paix dont leur passé est la clé.

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Zélie Milleret

Roman

ouvrage a été composé et imprimé en France par les

Éditions La Grande Vague

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Site : www.editions-lagrandevague.fr

ISBN numérique : 978-2-38460-085-4

Dépôt légal : Mars 2023

Les Éditions La Grande Vague, 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les évènements sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou utilisés fictivement. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, ou des évènements, serait pure coïncidence.

 

 

Myosotis

 

 

« Tout ce qui a un début a une fin, mais chaque fin est le début d’un nouveau départ. »

Serge Zeller

 

 

Lucy

— Ash ! Bouge-toi, on va être en retard !

Ce n’est pas possible ! Nous allons finir par être en retard le jour de la rentrée. Ce n’est pas que j’aime particulièrement le lycée, mais j’ai tellement hâte de retrouver nos amis. Plus de deux mois que nous ne les avons pas vus et Ash, ma meilleure amie, n’est décidément pas prête à se dépêcher.

— J’arrive !

Dix minutes que je poireaute dans son salon. Nous vivons dans des maisons côte à côte. Je viens la chercher chez elle tous les matins à huit heures, depuis le collège. Bon, j’avoue, j’ai moi-même dix minutes de retard tous les jours, mais Ash détient tout de même un record. Nous ne sommes pas amies pour rien. Avec Ash, nous allons dans la même école depuis la maternelle. Nous sommes nées en France, avons passé nos dix premières années là-bas puis nos parents ont dû déménager à New York City pour le travail, nos mères travaillent dans la même entreprise. Depuis le premier jour de collège, c’est-à-dire la première fois que nous avons fait le trajet jusqu’à l’école toutes seules, nous ne sommes jamais parties à l’heure. À ce niveau… c’est un don.

Nous arrivons au lycée, complètement essoufflées, et rejoignons directement nos amis, Michael, Blake, Liliana, Mary et Eligea. Je les adore. Notre groupe est génial. Nous les connaissons depuis le collège et nous ne nous sommes jamais quittés. Ils sont nos piliers dans cette école de snobinards. Nos parents ont fait le choix de nous inscrire dans une des meilleures écoles de New York. Résultat : nous ne nous retrouvons qu’avec des gamins friqués et pourris gâtés qui n’en manquent pas une pour nous rappeler que nous ne venons pas du même monde. Certes, nos parents sont loin d’être pauvres, mais ils ne sont pas non plus millionnaires.

Nous nous racontons nos vacances. Enfin leurs vacances, puisqu’ils ont tous passé l’été soit sur un yacht, soit en Europe, soit dans leur résidence secondaire des Hamptons. Nous, nous sommes allées dans le Vermont et avons fait du camping. Autant dire que nous avons moins d’anecdotes à échanger. À part des marshmallows carbonisés, des crottes d’animaux et une toile de tente déchirée… Nous n’avons pas tous croisé JLo, Meryl Streep et Mark Wahlberg. Je les verrais plutôt mal dans la forêt, effectivement. Remarquez, ça pourrait être très drôle.

La sonnerie qui annonce le début des cours retentit. Nous filons tous en classe. Le professeur de mathématiques entre dans la salle, se présente, et soudain une violente migraine me fend le crâne. Oh non ! Pas encore ! Ces maux de tête rythment mon quotidien depuis des années… depuis qu’ils sont apparus. Ash et moi avons promis de n’en parler à personne. Seulement, je n’en peux plus de me cacher. Je me suis toujours sentie différente, mais pendant longtemps je n’ai pas su pourquoi. Jusqu’à ce que ça arrive. Dans des circonstances différentes mais très rapprochées, nous avons découvert que nous avions des pouvoirs. Nous n’en discutons jamais, personne ne le sait. Ce secret est tellement pesant. Pourtant, ils sont là. Ashley les refuse, les normalise presque. Mais il faut bien admettre que tous les adolescents n’ont pas la capacité de devenir invisibles ou d’hypnotiser les gens. Je ne sais pas ce que vous en pensez, pour ma part, je ne qualifierais pas ça de détail. Même si je n’utilise pratiquement jamais mon invisibilité, ce pouvoir fait partie de moi. Il est grandissant et je sens que plus je le réprime, plus il demande à s’exprimer. En dissimulant cette partie de moi, j’ai l’impression d’être un imposteur. Je peux comprendre que Ash ne veuille pas aborder le sujet. Il est vrai que dans notre société, tout ce qui sort de la norme n’est pas vraiment bienvenu, mais quand même ! Pour ma part, je ne pourrai pas mentir de cette façon toute la vie. C’est pour cette raison que j’évite d’y penser. Alors, comme d’habitude, je chasse vite ces pensées et essaye de me concentrer sur le cours. Impossible, cette migraine est en train de me tordre la tête. Je n’écoute que d’une oreille et me fais mes points de compression à des endroits stratégiques. Petit à petit, la douleur se calme et bizarrement elle repart aussi vite qu’elle est arrivée. Étonnant. Habituellement, cela dure toute la journée ou au moins jusqu’à ce que je m’enferme dans le noir et que je dorme. Je ne saurais l’expliquer, mais j’ai un pressentiment étrange. Le reste de la matinée se déroule tranquillement, entre les cours avec des professeurs qui ont l’air déprimé par leur métier et des maux de tête qui vont et viennent. À midi, nous nous rejoignons tous à la cantine. Je prends Ash à part avant que nous nous mettions à table.

— Tu ne trouves pas que cette journée a une drôle d’odeur ?
— Toi et tes associations aux odeurs et aux couleurs, se moque-t-elle, écoute, Lucy, pour moi, les jours n’ont pas d’odeur particulière.
— Mais tu n’as pas une sensation bizarre ?
— Comme toutes les rentrées quoi.
— Tu as sûrement raison, je dois me faire des films.
— Allez ! Viens t’asseoir.

Elle m’adresse un grand sourire et se faufile jusqu’à la table. Malgré ce que m’a dit Ash, je ne parviens pas à faire partir la boule qui se loge dans mon ventre. Je vais finir parano si ça continue. Je m’installe avec les autres et prends part aux conversations. Eligea se met à côté de ma meilleure amie et la drague ouvertement. Ils me font rire tous les deux. Cela fait des années que je lui dis qu’il veut sortir avec elle et elle persiste à m’affirmer que je me trompe. Je ne suis peut-être pas douée en amour, mais je ne suis pas aveugle. Ash est celle de nous deux qui a le plus de succès auprès des autres. Elle est hyper sociable, très drôle, adore sortir et faire la fête, rencontrer des gens. Il est impossible de se fâcher avec elle. Elle est la gentillesse incarnée et cherche toujours à éviter le conflit. Pour ma part… j’ai un quota de socialisation très bas. Je suis très méfiante et mets du temps à m’ouvrir aux autres, ce qui explique mon impulsivité ; elle me protège, elle est mon bouclier. Contrairement à Ash qui a sans arrêt besoin d’être entourée de plein de gens, la solitude ne me dérange pas du tout. Nous sommes des exacts opposés : elle est grande et châtain foncé alors que je suis petite et blonde comme les blés, je me lève tôt le matin et Ash ne se lève pas avant midi, elle est hyper attachée à sa maison alors que je me fiche pas mal du matériel, elle adore se baigner alors que je déteste, elle pourrait passer des heures à bronzer au soleil alors qu’à partir de vingt degrés, j’ai l’impression de fondre comme une glace, elle déteste les cours alors que moi j’adore, elle est hyper expressive, moi je camoufle tout ce que je ressens. Franchement, je ne sais même pas comment nous pouvons être amies. Pourtant, Ash est comme ma sœur. Nous avons toujours vécu ensemble, elle est mon premier soutien. Quoi qu’elle fasse, je suis derrière elle et je sais qu’il en est de même pour elle. Je sors de mes pensées et reviens à l’instant présent.

Après notre pause repas, nous retournons en cours. Je vais devoir bosser dur cette année si je veux obtenir des résultats excellents et décrocher une bourse dans l’une des meilleures universités du pays. Je suis un peu perfectionniste, je dois bien l’avouer. À la fin des cours, comme à notre habitude, nous nous rendons tous dans le café Fifty Five à deux blocs de maisons et papotons de tout et de rien. Au bout d’une heure, Ash et moi fonçons dans le métro et rentrons à la maison. Ce soir, nos deux familles mangent ensemble et je dois aider mes parents à tout préparer.

— À tout à l’heure ! me lance Ash.

Nos parents sont meilleurs amis depuis l’enfance, alors quand ils ont déménagé à New York, ils ont décidé d’acheter des maisons proches l’une de l’autre. En l’occurrence, ils ne pouvaient pas faire plus près. J'avance vers chez moi. Le petit jardin de devant est tout entretenu, deux hamacs sont disposés sous notre porche et notre façade a été fraîchement repeinte en blanc. J’entre, ma mère doit déjà être derrière les fourneaux, alors je file à la cuisine. Elle est en train de découper des légumes sur l’îlot central.

— Coucou maman, je la salue en l’embrassant.
— Coucou ma Poppy. Comment s’est passée ta journée ?

Poppy est mon surnom depuis que je suis toute petite. Cela veut dire coquelicot, et comme je rougis très vite, le rapprochement est vite fait.

— Comme d’habitude. Des gens de partout, j’ai été obligée de parler toute la journée.
— Oh ma petite asociale.

Elle rigole et me fait un bisou. Ma mère est à peine plus grande que moi, nous avons les mêmes cheveux blonds et les mêmes yeux bleus. Tout le monde nous dit que nous sommes le portrait l’une de l’autre.

— Et toi, comment tu vas ?
— Je me suis éclatée. Nous travaillons sur la réhabilitation d’une vieille serre afin de la rendre le plus écologique possible. Elle sera magnifique.
— Je pourrai venir la voir ?
— Bien sûr ! Dès que les travaux auront avancé, je t’y emmènerai.

Je lui fais un câlin.

— Papa est dans le jardin ?
— Oui, il prépare la table et tond le gazon.

Je traverse la maison et fonce sur mon père qui m’attrape à la volée.

— Ma Poppy !
— Papou !

Il me serre dans ses bras et me fait tourner dans les airs. Mon père est tout pour moi. Je suis très proche de mes parents, nous avons toujours beaucoup communiqué. J’aperçois mon petit frère Nathael arriver en courant vers moi. Il se jette dans mes bras et me fait un gros câlin. Ma famille, c’est ma vie, je ne l’échangerai pour rien au monde. Je papote un petit peu avec mon père avant de monter me préparer. J’entends la sonnette quelques minutes plus tard et me précipite sur la porte d’entrée pour ouvrir à la famille d’Ash. Sa mère entre en premier suivie de mon amie et de sa petite sœur Millie. Nous nous installons tous dans le jardin, aidons mon père à mettre la table et ma mère à tout apporter.

La soirée défile sans que je la voie passer. Nous parlons, rigolons, débattons sur plein de sujets. J’adore ce genre de soirées. Passer du temps avec ma famille est vraiment ressourçant.

— Alors, Lucy, tu as envoyé tes dossiers pour l’Université ? demande Magalie, la mère d’Ash.
— Oui ! J’ai envoyé mon dossier à Stanford, Berkeley et à Georgia. Ils ont les meilleurs cursus en ingénierie environnementale. J’ignore si les réponses seront positives, mais j’ai bon espoir d’obtenir une bourse.
— Oh ma chérie, c’est fabuleux ! Vu tes résultats, ils ne pourront rien te refuser.

Je lui réponds par un grand sourire. Elle est adorable.

— Et toi ma petite Ashley ? lui demande mon père.
— Mon dossier a été transféré à Stanford, Duke et Columbia. Advienne que pourra. Mais ce serait tellement bien qu’on puisse être acceptées toutes les deux à Stanford.

Je lui souris et lui fais un bisou sur la joue. D’un côté, une partie de moi aimerait que nous soyons dans la même université l’année prochaine. Nous pourrions partager plein de moments géniaux, être dans le même dortoir. D’un autre côté, peut-être que si je me retrouvais seule, je pourrais essayer de me faire des amis sans elle, voir un peu comment je m’en sors. Non pas que je vive dans son ombre, je suis très indépendante dans la vie quotidienne. J’ai plein de projets d’avenir, je suis capable de vivre en totale autonomie, de gérer un budget et je m’accepte comme je suis avec ma différence, mes qualités et mes défauts. En ce qui concerne les relations sociales par contre, ce n’est pas du tout ma tasse de thé. Je ne comprends pas les gens de mon âge et leur parler me fiche des crises d’angoisse. Alors, peut-être que si je m’y confrontais sans l’aide de ma meilleure amie, je pourrais prendre vraiment mon envol. Je serais incapable de ne plus du tout la voir, mais prendre nos distances nous ferait probablement du bien. Je ne sais pas, nous verrons bien. Nous mangeons et rions à s’en faire mal au ventre. Lorsque la soirée se termine, ma mère nous demande d’aller jeter les poubelles. Le local se trouve au bout de la rue, alors nous mettons nos chaussures et filons dans la nuit.

— Ash, tu as ton téléphone pour nous faire de la lumière ?
— Je l’ai oublié à l’intérieur.
— Mince, moi aussi.

J’essaye de marcher sans me casser la figure, mais avec deux sacs-poubelle dans les mains et des crevasses sur la route, cela relève de l’exploit. Un lampadaire sur deux est cassé, je ne sais même pas comment nous arrivons au bout de la rue en un seul morceau. Bon, j’en fais peut-être des caisses. Je jette en vitesse les sacs dans le bac et le maintiens ouvert pour Ash. Soudain, j’entends des bruits bizarres dans les plantes sur notre gauche. J’ai presque l’impression que ce sont des voix, des chuchotements.

— Tu as entendu ?
— De quoi tu parles ?
— J’ai entendu un bruit qui venait des buissons.
— C’était sûrement un animal.

J’en doute, à ma connaissance, les animaux ne parlent pas dans l’État de New York. Non, j’ai dû me faire des films. Je regarde une dernière fois dans la direction des plantes avant de reprendre la route. À mi-chemin, un bruit retentit derrière nous. Nous nous retournons brusquement. Il n’y a personne.

— Ça, ce n’était pas un animal, je murmure.

Nous opérons un demi-tour pour courir jusqu’à la maison. Sauf que lorsque nous nous tournons, deux hommes baraqués en tenue de combat cintrée se tiennent devant nous. Nous restons pétrifiées sur place.

— Milira Fighder, milira Hollway, enchantés de vous rencontrer.

Je n’arrive pas vraiment à distinguer leur visage dans le noir, mais il ne me semble pas les avoir déjà vus. Eux, par contre, ont l’air de très bien nous connaître.

— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? je les questionne d’une voix fluette.
— S’il vous plaît, ne criez pas, ne nous compliquez pas la tâche. Vous allez venir avec nous.

Oh purée ! Des kidnappeurs ! Mais pourquoi nous ? Comment nous connaissent-ils ? Si nous courons, vu leur silhouette athlétique, ils nous rattraperont vite. Ash fait la chose de trop et se met à crier à l’aide. Les deux gros bras nous sautent dessus, nous bâillonnent, tandis qu’une sorte de cercle d’ondes lumineuses apparaît devant nous. Mais c’est quoi ce bordel ? Je me débats de toutes mes forces mais ce mec a une force de titan ! Les hommes nous forcent à avancer et avant que nous ayons le temps réagir, ils se jettent vers le cercle et pénètrent à l’intérieur. Seul problème, nous sommes encore dans leurs bras.

 

Magnolia

 

 

« Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. »

Francis Blanche

 

 

Lucy

Ce portail est une sorte de tunnel interminable. Des couleurs aveuglantes apparaissent aussi vite qu’elles disparaissent. Nous nous enfonçons dans ce tourbillon aussi irréel que déstabilisant. Je suis dans une incompréhension totale. Est-ce un cauchemar ? Ce moment me paraît pourtant tellement réel. Quelle autre explication pourrait être rationnelle ? J’ai le tournis, je n’ai plus aucun repère. Sommes-nous mortes ou en train de mourir ? Nous sortons brusquement de ce désordre et la réponse s’impose à moi. Nous sommes bien vivantes. Nous déboulons dans un endroit dont la luminosité est aveuglante. Mes yeux se rouvrent petit à petit. Ils tentent de s’habituer à la lumière qui se reflète dans une sorte de paroi de cristal en face de nous. La bâtisse est entièrement faite de pierres précieuses de couleurs changeantes selon la lumière reçue. Je suis à la fois terrifiée et impressionnée. Je n’ai pas le temps d’observer davantage ce qui m’entoure, car les hommes qui nous ont emmenées ici nous font entrer. Je ne sais ni où nous sommes, ni pourquoi nous sommes là. Je ne sais pas quoi penser, j’ai peur de ce qui nous attend et pourtant, cet endroit me rappelle une sensation familière. Je reconnais son odeur.

La salle dans laquelle nous pénétrons est de forme ronde et le plafond est d’une hauteur ahurissante. Des arbres et des chutes d’eau naturelles sont parsemés de part et d’autre de la pièce. Où avons-nous atterri ? Comment ce portail nous a-t-il conduites ici ? Pourquoi y avons-nous été emmenées et que va-t-il advenir de nous ? Sommes-nous en danger ? Les deux hommes qui sont venus nous chercher sont encore derrière nous, immobiles, attendant sans doute que nous nous remettions de nos émotions.

— Avez-vous fini votre inspection des lieux, miliras ? demande le grand blond.

Nous nous retournons vers lui. Il pourrait nous tuer en une seconde s’il le voulait. Des muscles ciselés, une mâchoire carrée, une silhouette athlétique. En voyant que je l’observe, il m’interroge du regard du haut de son mètre quatre-vingt-quinze. Pourtant, il ne dit rien, il attend puis s’avance.

— Je vous invite à nous suivre dans la bulle des Gouverneurs.

Les deux hommes passent devant nous et se dirigent vers une immense porte de cristal ogivale encadrée de deux arbres aux feuilles bleues et aux troncs verts. Chacun d’eux se positionne d’un côté de la porte après qu’elle s’est ouverte toute seule. Houlà ! Je commence à délirer je crois. Ash et moi entrons dans une salle constituée de nombreuses fenêtres laissant passer les rayons du soleil qui éclairent et réchauffent la pièce. Nous nous avançons jusqu’au centre de la « bulle des Gouverneurs ». Autour de nous se trouve une bande de cristal flottante, au-dessus de laquelle lévitent douze trônes en demi-cercle dont un légèrement plus grand que les autres. Depuis quand le cristal peut voler ? Ash et moi sommes côte à côte et ne bougeons plus. Sur ces trônes sont installés six femmes et six hommes habillés de capes faites de végétation. Ils possèdent de nombreux bijoux réalisés avec des branches d’arbre colorées. Je n’imaginais pas les « Gouverneurs » de cette manière, mais ma foi, au point où nous en sommes…

— Bonjour et bienvenue Lucy Fighder et Ashley Hollway, annonce l’un des Gouverneurs, celui sur le plus grand trône.

Ces Gouverneurs connaissent donc notre identité. Il n’y a que moi que ça inquiète ? Et ils nous souhaitent la bienvenue ? Mais la bienvenue où ? Je ne me prive pas de leur faire part de mon questionnement :

— Bonjour mesdames et messieurs, si je puis me permettre, je souhaiterais savoir où nous sommes et de quelle manière vous avez appris notre identité ?

Ils semblent tous surpris par mon initiative et se crispent légèrement.

— Je me ferai une joie de répondre à vos questions miliras. Tout d’abord je vous souhaite la bienvenue à Algoria, nous gouvernons ce monde magique depuis des millénaires et sommes fiers de vous y accueillir. Nous sommes les Gouverneurs. Nous connaissons votre identité en raison de vos origines algoriennes, vous êtes nées ici et faites partie des énergies de cette terre.

Je suis surprise que ma mâchoire ne se soit pas encore décrochée. Monde magique. Gouverneurs. Origines algoriennes. Nées ici. Trop d’informations envahissent mon esprit. Ils ne sont pas nets ceux-là. Sérieux, ils ont bu ou quoi ? C’est obligé qu’il s’agisse d’un rêve ou d’une blague, peu importe. Je ne vois aucune autre explication.

— Nous, Algoriens, vous observons depuis que vous avez quitté notre monde pour vous rendre sur Terre. Nous avons veillé sur vous en attendant que vous soyez prêtes à revenir à Algoria. En voyant votre évolution au fil des années, nous avons pensé que le moment était venu et que vous deviez renouer avec vos origines.

Mais j’hallucine ! Ces pignoufs habillés de feuilles sont en train de remettre toute notre vie en question. Je ne peux tout simplement pas me résoudre à abandonner tout ce que je connais pour une simple blague de monde parallèle magique. C’est bien une blague, hein ? Mais je ne peux pas imaginer tout ce que je vois tout de même. Peut-être suis-je devenue folle.

— Pourquoi nous ne souvenons-nous pas de notre vie antérieure à Algoria ? les interroge Ashley.

Cette question est pertinente, effectivement.

— Avant leur mort et avant de vous envoyer sur Terre, vos parents, de célèbres défenseurs, ont veillé à effacer votre mémoire. Vous avez ensuite été confiées à des Terrestres. Ils leur ont mis en tête que vous étiez leurs enfants. Vos parents souhaitaient vous protéger de la guerre survenue il y a presque vingt ans et vous accorder une enfance des plus normales, sans atrocités, conclut un autre Gouverneur.

Je ne vous raconte même pas à quel point il est compliqué d’apprendre, à dix-sept ans en plus, que vos parents ne sont pas vos parents, que votre planète n’est en fait pas la vôtre et que pour couronner le tout vous venez d’un monde magique. J’étais déjà perturbée par mon rêve éveillé, il ne manquait plus que des révélations de ce genre pour faire déborder le vase. Comment notre vie entière peut-elle être remise en question en si peu de temps ? Ce matin, Ash et moi sommes parties au lycée comme tous les matins et à présent nous nous retrouvons dans un autre monde et on nous annonce que nos parents biologiques sont morts. C’est le pompon. Chapeau à l’inventeur de cette supercherie. Vraiment bravo !

— Nous voulions simplement vous souhaiter la bienvenue à Algoria. Nous allons maintenant vous laisser entre les mains du biblien du palais. Vous pourrez lui demander tout ce que vous souhaitez. Au revoir miliras, nous salue le Gouverneur du grand trône.

Un biblien ? Qu’est-ce donc encore que cela ? Nous saluons les Gouverneurs, qui nous ont gracieusement consacré cinq minutes de leur temps, et nous nous dirigeons vers la porte, qui s’ouvre toute seule, bien sûr. Il va falloir s’y habituer. Les deux hommes de tout à l’heure nous attendent. Ils nous conduisent dans une grande salle dont les murs sont recouverts d’étagères en bois remplies d’un nombre incalculable de livres. Cette pièce m’apporte un léger réconfort. J’ai toujours adoré les livres. Un homme âgé avec une barbe et de longs cheveux blancs, vêtu d’une cape marron terre, vient nous accueillir. Et nous voilà maintenant face à Dumbledore. Il ne manque plus qu’Harry Potter et Voldemort et nous pourrons nous lancer dans le cinéma. Les deux jeunes hommes s’arrêtent au niveau de la porte tandis que Ash et moi suivons le vieil homme jusqu’à une table en forme de feuille de lilas à laquelle nous nous asseyons.

— Bonjour, milira Fighder. Bonjour, milira Hollway. Je suis le mage Gradow.

Nous le saluons en retour.

— Je suis là pour répondre à toutes vos questions. Je vous écoute.

C’est un euphémisme de dire que nous avons une centaine de questions. J’espère que ce mage a du temps à revendre, car il va devoir nous écouter pendant un long moment. Je me lance la première :

— Est-ce que toute cette mascarade est une blague ? Parce que si c’est le cas, ce n’est vraiment pas drôle.

Il esquisse un petit rire.

— Je peux vous assurer que tout ceci est bien réel.

Dans quel pétrin nous sommes-nous encore fourrées ?

— Qui sont les hommes qui nous ont emmenées à Algoria ?
— Ce sont des défenseurs. Ils assurent la sécurité de la Cité des Lumières.

Ash et moi nous nous regardons, « la Cité des Lumières » ? Remarquant notre incompréhension, le mage Gradow précise :

— Le monde d’Algoria est en réalité divisé en cinq parties : la Cité des Lumières, dans laquelle nous nous trouvons actuellement, Veltirio, Polaria, Aquanima et la Cité des Ténèbres. Ces cinq terres sont séparées par la Grande Forêt. Un bois impossible à traverser et bien trop dangereux pour de simples Magiques comme nous.
— J’imagine que la Cité des Lumières et la Cité des Ténèbres sont ennemies, je lance en rigolant.
— En effet.

Ben voyons. Ce sujet doit tout de même être sensible car le mage Gradow ne développe pas sa réponse, alors je décide de passer à autre chose.

— Les Gouverneurs nous ont expliqué qu’Algoria était un monde magique. Les Algoriens possèdent tous des pouvoirs ?

Nous avons toujours cru que nous étions les seules et que nous n’étions pas normales. Apprendre que, pour la première fois de notre vie, nous n’allons pas être obligées de nous cacher me soulage. Même si j’aurais préféré camoufler mon pouvoir et rester avec ma famille, savoir que je pourrai le laisser s’exprimer atténue un peu ma peine. Je dis bien un peu. Ce poids était tellement lourd.

— Oui c’est exact. De plus, j’ai cru comprendre que vous connaissiez déjà les vôtres.

Ash et moi hochons la tête. Bon, on repassera pour garder le secret. Ils ne mentaient pas en disant qu’ils nous avaient surveillées durant toutes ces années, ils connaissent tout de notre vie.

— Que va devenir notre famille, monsieur Gradow ? l’interroge Ash.

Cette question me trottait dans la tête, mais par peur de la réponse, je n’osais pas la poser. Le mage se frotte la barbe, gêné devant nos mines tristes. Cela signifie sûrement que la réponse ne sera pas facile à digérer. Il se redresse et déclare :

— Tout d’abord, les mots monsieur ou madame ne font pas partie de notre vocabulaire, nous utilisons les termes milir pour les hommes et milira pour les femmes. Vous pouvez donc m’appeler milir Gradow. Pour ce qui est de votre famille, des défenseurs ont veillé à vous effacer de leur mémoire pour éviter qu’ils ne vous recherchent ou qu’ils ne souffrent de votre disparition.

Un coup de poing dans l’estomac. Il n’y a pas d’autres mots pour expliquer ce que je ressens à ce moment-là. Il s’agit sans doute de la pire des révélations. Certes nous avons appris qu’elles ne sont pas nos familles biologiques, mais ils m’ont élevée, j’ai grandi avec mon frère. Quoi qu’ils en disent, ce sont mes parents. Savoir que les personnes que j’aime le plus ne se souviennent même pas de moi me déchire. Et imaginer que je ne les reverrai jamais… je n’ose même pas y penser. En une trentaine de minutes, notre vie a été complètement chamboulée. Il ne reste plus que Ash et moi. Nous, seules. À partir de maintenant, nous nous serrerons les coudes. Encore plus qu’avant. Nous serons notre seule famille aussi bien pour l’une que pour l’autre.

— Je suis désolé, mais je ne dispose plus de beaucoup de temps, j’ai une mission à honorer. Vous pouvez revenir quand bon vous semble, je resterai à votre disposition.
— Une dernière question, où allons-nous dormir à Algoria ? demande Ashley.
— Vous avez été inscrites dans la plus grande école pour Magiques de la Cité des Lumières. Cette dernière possède des chambres pour les élèves qui n’ont pas d’autre possibilité de logement. Vous vivrez là-bas. Les défenseurs se chargeront de vous y conduire.
— Merci beaucoup milir, nous lançons à l’unisson.
— Au revoir, miliras. N’oubliez pas qu’en cas de problème, je suis là.

Nous prenons congé et partons retrouver les défenseurs en charge de nous amener dans notre nouvelle « maison ». Les deux hommes se dirigent vers la sortie, Ash et moi sur les talons. Une fois hors du palais, mes yeux s’écarquillent. Quel paysage ! Je n’en avais vu que des bribes tout à l’heure, mais là, je n’ai pas de mots. Je me demande encore si je ne suis pas en train de rêver. Des arbres multicolores à perte de vue, de la végétation de partout, des plantes toutes aussi étranges les unes que les autres sortent du sol, des animaux aux couleurs déroutantes se baladent tranquillement au milieu des humains. Aucune route, aucune voiture, aucun immeuble, aucune maison en béton, pas de pollution, pas d’odeur de ville. Rien que de la verdure, des couleurs et des effluves délicieux. Les habitations ne sont pas faites de briques ou de pierres. Elles sont en bois et en forme de bulle. Leur charpente est réalisée à partir des racines des arbres et leur surface est parsemée de végétaux. J’ai l’impression d’être dans un Disney.

— C’est magnifique, n’est-ce pas ? affirme le collègue du défenseur blond.

Je me tourne vers lui.

Ash et moi ne parvenons même pas à répondre. C’est magnifique, d’accord, mais n’oublions pas que ces hommes nous ont un peu enlevées quand même. Et puis, ils n’ont pas l’air perturbés de l’avoir fait, comme si kidnapper des gens était normal.

— Je vais prendre ça pour un oui.

Oui, oui, fais ce que tu veux. Je retiens mon commentaire même s’il est vraiment à la limite de sortir.

— Il n’y a ni voiture ni bus, constate Ashley, Comment font les gens pour se déplacer ?

Je la regarde avec des yeux écarquillés. Elle est sérieuse ? C’est la seule chose qu’elle retient de ce qui nous arrive ?

— Ils se déplacent à pied ou en utilisant leurs pouvoirs. Il existe aussi des téléporteurs, mais seules les personnes les plus haut placées en possèdent, répond le blond. Maintenant suivez-nous, nous sommes chargés de vous conduire à Roxlight, votre école.

Roxlight, ce nom me paraît familier. C’est difficile de se dire que cet endroit va devenir notre nouvelle « maison ». Je n’arrive pas à y croire. Pincez-moi pour que je me réveille. Et puis nous fondrons-nous dans ce troupeau d’élèves ou serons-nous rejetées à cause de notre différence ? Après tout, leur éducation ainsi que leur mentalité ne sont peut-être pas les mêmes à Algoria. Vont-ils nous accepter ? Allons-nous arriver à nous adapter à leur mode de vie ? Vais-je accepterde ne plus retourner chez moi ? Je me retiens de penser à mes parents et à Nathael parce que je crois que je ne pourrais pas m’empêcher de pleurer.

Tout en continuant de cogiter, je suis les deux défenseurs jusqu’à Roxlight. L’école est un énorme bâtiment de verdure de plusieurs étages. Elle est d’une splendeur à couper le souffle. Devant elle se trouvent de beaux jardins dans lesquels bon nombre d’élèves se baladent, préparent leurs cours et discutent entre eux. L’ambiance paraît plutôt calme et conviviale. Tout a l’air si différent ici. Une page se tourne et une nouvelle vie s’impose à nous. Je refoule les pensées qui naviguent vers ma famille perdue, ma vie perdue. Je déteste regarder vers le passé, ressentir est trop douloureux pour moi, alors il faut que je regarde vers l’avant, vers mon futur à Algoria.

 

 

Fleur de mai

 

 

« L’intelligence, c’est la faculté d’adaptation. »

André Gide

 

 

Ashley

— Miss Fighder, Miss Hollway, commence le grand brun, il est temps pour nous de partir.

L’angoisse s’empare de moi. Il est peut-être un peu tôt pour nous jeter dans la gueule du loup. Non ? Comment allons-nous faire, seules dans un endroit dont nous ne connaissons rien ?

— Nous vous laissons entre les mains de deux élèves de Roxlight qui vous expliqueront le fonctionnement de l’école. Elles vous attendent dans les jardins. À bientôt, et si vous avez besoin de quelque chose, venez nous voir, nous travaillons au palais. Si vous ne nous trouvez pas, demandez les défenseurs Barrow et Kastell, reprend le blond.

Nous les saluons et partons à la recherche des deux élèves chargées de nous accueillir. Ils auraient pu nous amener jusqu’à elles quand même ! Lorsque nous pénétrons dans les jardins de Roxlight, deux adolescentes arrivent droit sur nous en se tenant la main. Je crois que ce sont elles qui nous ont trouvées. Ces deux filles sont très mignonnes, une grande blonde avec de petits yeux marron en amande et une plus petite avec une peau chocolat et de grands yeux verts.

— Salut, vous êtes bien Lucy et Ashley, n’est-ce pas ? demande la fille aux yeux verts en souriant.

Lucy et moi devons avoir de véritables têtes de touristes si elles nous distinguent aussi rapidement des autres. Nous acquiesçons pour simple réponse.

— Bienvenue à Algoria et bienvenue à Roxlight, je m’appelle Alison mais tout le monde m’appelle Ali et je vous présente Noa, ma copine, enchaîne la grande blonde.

J’affiche le plus beau sourire qu’il m’est possible de leur offrir vu la situation. Puis les codes de conversation ne sont peut-être pas les mêmes à Algoria et mieux vaut ne pas vexer ces deux filles dès notre premier jour.

— Vous êtes bavardes à ce qu’on voit ! se marre Noa.
— C’est juste qu’on ne sait pas vraiment si les codes du langage sont les mêmes ici que sur Terre, avoue Lucy.

Parfois, j’ai l’impression que Lucy et moi sommes connectées mentalement. Dans ce monde, ça ne m’étonnerait même pas. Alison et Noa pouffent de rire.

— Nous ne sommes pas des aliens ! À quelques mots près nous parlons la même langue, nous rassure Alison.

Ouf ! Il n’y aura donc pas de problème de ce côté, c’est déjà une chose de gagnée. Nous pourrons communiquer sans problème. J’essaye de voir le positif dans ce bordel infini.

— Venez, assez perdu de temps, nous allons vous faire visiter l’école. Suivez-nous ! lance Noa.

Nous les suivons pendant des heures et des heures. Ce bâtiment n’est pas seulement énorme, c’est un vrai labyrinthe. En plus, on ne peut pas dire que notre sens de l’orientation soit parfait. Ces années futures à Roxlight s’annoncent marrantes. Pendant notre visite, nous avons l’opportunité de voir les classes avec des chaises et des tables en bois et comme partout ici, de la verdure. Lucy et moi découvrons également le stade de… roldave. Oui, un sport algorien dans lequel deux équipes s’affrontent avec pour but d’amener une balle dans la tour adverse sans se la faire prendre et où l’utilisation des pouvoirs de chacun est autorisée avec tout de même quelques restrictions. En conclusion, c’est un sport violent. L’école est aussi équipée d’un grand gymnase et d’une gigantesque bibliothèque en bois. Alison et Noa nous conduisent ensuite à la cantine, en bois et en verdure comme d’habitude. Pour finir, nous montons encore deux étages et nous nous retrouvons à l’entrée d’un couloir comportant une dizaine de portes. Ce sont certainement les dortoirs.Je n’en peux plus. J’ai mal aux pieds et aux jambes tellement nous avons marché vite durant toute la visite. Ces filles sont à deux cents à l'heure.

— Voici votre nouvelle maison ! s’exclame Noa en ouvrant la deuxième porte sur la gauche.

Notre chambre n’est ni trop grande ni trop petite. C’est une pièce rustique : les meubles sont en bois, des branches ainsi que des racines la parcourent et des feuilles sortent de partout. Il y a des fleurs ainsi que des petites chutes d’eau dans tous les recoins. Deux petits lits sont positionnés à l’opposé l’un de l’autre et des petites tables de chevet se trouvent à côté d’eux. Il y a également, en face de chaque lit, un petit miroir en dessous duquel prend place un bureau avec une chaise rangée. Un endroit plutôt cosy, mais bien différent de ma chambre à la maison. Tout est tellement différent à Algoria.

— Votre chambre vous plaît ? nous questionne Alison.

Nous hochons la tête avec un sourire.

— Tant mieux, parce que vous allez passer pas mal de temps ici, ajoute Noa.
— Pour ce qui est du reste, les douches, les toilettes et les lavabos sont communs et se trouvent au bout du couloir. Ensuite, vous commencez les cours demain, vos emplois du temps sont sur votre bureau avec la clé de votre casier, et vos uniformes se trouvent dans votre armoire. Ah oui ! J’allais oublier ! Le dîner est à sept crochets et le petit déjeuner à huit aiguilles, explique Alison. Je crois qu’on vous a tout dit. À demain les filles !

Noa nous adresse un signe de la main auquel Lucy et moi répondons, puis elles quittent la chambre aussi vite qu’elles sont entrées. Pourquoi ont-elles parlé de crochets et d’aiguilles ? De toute façon, mon cerveau a reçu tellement d’informations que je n’ai même pas retenu la moitié de ce qu’elles nous ont expliqué.

— Elles parlent tellement vite que je n’ai capitalisé qu’un quart de ce qu’elles nous ont dit, lâche Lucy en s’effondrant sur le lit de droite.
— Quand je dis que nous sommes connectées.
— Ah merci, on est d’accord !

Je m’écroule à mon tour et pousse un soupir. S’ensuit un long silence dans lequel on peut lire toute notre confusion.

— Comment avons-nous pu en arriver là, Lucy ?
— Je n’en sais rien, Ash.

Je peux lire toute sa tristesse sur son visage.

— Comment allons-nous faire ici ? Sans notre famille ?

Elle se rembrunit mais se reprend instantanément. Elle est comme ça, elle déteste que les autres voient ses émotions, même moi.

— On ne va pas se laisser abattre Ash. Et puis, dis-toi qu’à présent nous pourrons utiliser notre pouvoir plus souvent. Nous ne serons plus obligées de nous cacher.

Je dois bien avouer que c’est un avantage non négligeable. Lucy et moi avons dû dissimuler cette partie de nous toute notre vie, ne jamais montrer notre don même en cas de nécessité. Les « terrestres » ont souvent peur de l’inconnu, moi la première, alors des pouvoirs magiques, je n’ose même pas imaginer. De ce que j’ai vu dans les jardins tout à l’heure, la mentalité a l’air très ouverte à Algoria. Les gens étaient très différents mais personne ne se regardait mal. Cette ambiance détendue et chaleureuse était presque réconfortante.

Lucy se lève, s’allonge près de moi et me prend dans ses bras. Je me love contre elle et m’apaise.

— Je ne dis pas que cela va être facile, mais nous n’avons pas le choix, Ash. À moins que tu aies une solution pour que l’on retourne sur Terre, nous allons être obligées de nous intégrer et de nous habituer. Mais ne t’inquiète pas, je suis là, je serai toujours là.

Je la serre plus fort. Leur initiative de nous effacer de la mémoire de nos familles est tellement injuste, mais avec du recul, s’ils ne l’avaient pas fait, nos proches seraient en train de s’inquiéter, de nous rechercher, de souffrir. Finalement, peut-être que nous oublier était la meilleure solution, la moins douloureuse en tout cas. Cela fait tout de même mal. Très mal. Je sèche les larmes qui se sont mises à couler au coin de mes yeux et me glisse dans le lit avant de tomber dans les bras de Morphée… et de Lucy.

 

 

Pissenlit

 

 

« Aujourd’hui est le premier jour du reste de ta vie. »

Caroline Faget

 

 

Lucy

Une douce mélodie nous tire du sommeil. Un chant d’oiseau. Je me sens légère un court instant, puis trop rapidement je me souviens. Nous avons quitté notre monde, notre famille, notre vie. Nous avons tout perdu. Je trouve le courage de me lever et me prépare. J’entends Ash se lever également. Notre uniforme est un short vert parsemé de feuilles cobalt accompagné d’une sorte de chemise asymétrique de même couleur. Nos chaussures affichent le même mélange de nuances et ressemblent assez à des Derbies. Elles sont plutôt jolies, c’est déjà ça. Nous descendons prendre le petit déjeuner mais trouvons les portes fermées. Et mince ! Pourtant nous n’avons pas mis énormément de temps à nous préparer. Qu’est-ce encore que cette histoire ? Avons-nous loupé l’heure du petit déjeuner ? Impossible de le dire. Les horloges ne sont absolument pas identiques aux horloges terrestres, elles possèdent une dizaine d’aiguilles, les nombres sont remplacés par des petits dessins. Ils ne peuvent pas faire les choses simplement ! Je toque à la porte mais personne ne me répond. Les portes restent closes. Une grande dame aux cheveux émeraude nous intercepte devant la cantine.

— Eh bien, que faites-vous encore là ? Vous devriez être en classe à cette heure-ci, miliras.

En classe ?! Je prends conscience que la sonnerie n’annonce pas le réveil, mais elle ordonne aux élèves de se rendre en cours. J’ai confondu la sonnerie avec notre réveil ! Il ne manquait plus que ça. En retard en cours le premier jour. Super ! J’espère que les professeurs se montreront indulgents. Nous courons jusqu’à la salle de bain commune, nous nous brossons les dents, attrapons notre emploi du temps, notre clé de casier puis dévalons les escaliers à toute vitesse. Nous trouvons la salle du cours de potions au bout de quinze minutes et toquons à la porte en bois. Elle s’ouvre toute seule et j’esquisse un sourire d’excuse au moment où tous les regards se tournent dans notre direction. Mission « se fondre dans la masse », ratée ! La journée commence bien.

— Allez vous asseoir, nous indique la professeure en montrant une table au dernier rang.

Nous nous faufilons jusqu’à notre place.

— Alors, pour réaliser de la liqueur de parotile, vous devez avoir comme ingrédients de la bave d’andérien, de l’écaille de gorgeate ainsi que du youl et de l’eau, commence la professeure, milira Folor.

Génial. De toute sa tirade, je n’ai compris qu’eau et liqueur. Alison et Noa auraient pu réfléchir à deux fois avant de nous affirmer que la langue à Algoria était similaire à la langue terrestre. Elle est tout sauf similaire. Et cette professeure ne pourrait pas faire un effort en sachant que nous sommes nouvelles ?!

— Bien, à présent prenez vos livres et je vous laisse l’aiguille pour réaliser cette liqueur. Les ingrédients sont à votre disposition dans la serre.

L’aiguille ? Encore cette histoire d’aiguille et de crochet. J’imagine qu’il doit s’agir de leur moyen de qualifier l’heure, mais ne me demandez pas à quoi ça correspond, je n’en sais strictement rien.

Tous les élèves se précipitent hors de la salle, munis d’un seau ainsi que d’un ustensile inconnu. Que devons-nous faire ? Nous ne connaissons aucun des ingrédients que la professeure demande et les élèves ne se sont pas vraiment bousculés pour nous venir en aide. Je pars donc à la rencontre de milira Folor et lui explique le problème. Celle-ci nous fournit un livre aux pages faites à partir de feuilles et accepte de nous aider à trouver les ingrédients. À notre retour de la serre, qui est tout simplement incroyable, Ash et moi nous nous plaçons devant notre marmite et commençons à exécuter notre recette.

— Bon, c’est ok pour les écailles, la bave et le youl aussi, il ne manque plus que l’eau. Tu t’en occupes Lucy, décide Ashley.
— Il faut mettre huit pliffs d’eau. Ça doit être l’équivalent de huit gouttes d’eau.

J’attrape la fiole d’eau ainsi que la pipette puis verse les gouttes dans le mélange violet. Tout a l’air de fonctionner, en tout cas la potion reste stable. Oh purée ! J’ai à peine formulé cette pensée que des bulles de plus en plus grosses se forment à la surface. Le mélange déborde de la marmite et se met à couler sur le sol. Ne sachant pas si tous ces mouvements sont normaux, Ash et moi nous nous éloignons et nous nous planquons derrière l’armoire. Quelques secondes après, tout explose et les murs de la salle sont repeints en violet. Nous sortons de notre planque pour trouver tous les élèves, ainsi que la professeure, aspergés de mixture violette. L’odeur n’est franchement pas très agréable. La professeure s’essuie le visage et nous ordonne de la suivre. Elle nous fait sortir de la classe, s’avance dans le couloir, s’arrête devant une porte un peu plus loin et tape du pied. La porte s’ouvre sur une grande pièce pleine de feuilles bleues et marron. Un homme brun assez jeune se tient assis derrière son bureau et lève les yeux en nous voyant entrer. Milira Folor nous fait asseoir et salue l’homme en face de nous :

— Mes salutations, directeur Pastall.

Milira Folor raconte ensuite l’incident au directeur, sans omettre le moindre détail. Je trouve quand même qu’elle est très dramatique pour une petite explosion de rien du tout.

— Bien, écoutez milira Folor, Lucy et Ashley viennent d’intégrer cette école ainsi que notre monde, je ne peux donc qu’être indulgent envers elles pour cette fois. Lucy, Ashley je vous demande de présenter vos excuses à votre professeure et de me promettre qu’à l’avenir ce genre d’incident ne se reproduira pas.

Milira Folor n’a vraiment pas l’air heureux de nous voir débarquer dans son école. Elle nous voit peut-être comme des envahisseurs. Nous lui demandons tout de même pardon et promettons au directeur que nous ferons plus attention à partir de maintenant. Puis nous quittons le bureau.

— On peut dire que la journée commence bien ! je pouffe.
— Je n’aurais pas dit mieux. Bon, prochaine mission, trouver nos casiers.
— Allons-y !

Nous nous faufilons dans les allées jusqu’à débouler dans un large couloir très fréquenté et dont les murs sont recouverts de petits arbres sur lesquels est inscrit le nom de chaque élève. Nous partons à la recherche du nôtre.

 

 

Glycine

 

 

« Les belles rencontres ouvrent les portes du bonheur. »

Simon Lafage

 

 

Ashley

Je trouve mon casier un peu éloigné de celui de Lucy, enfin si on peut appeler cela un casier. Il s’agit d’un arbre aux feuilles bleues sur lequel est marqué mon nom. Où suis-je censée poser mes affaires ? Je dépose mes livres par terre et n’en garde qu’un. Les Algoriens ne peuvent-ils pas réaliser des objets simples et pratiques ? Ils ont réellement besoin de se compliquer la vie. Je teste toutes les entrées possibles dans cet arbre, en vain. Je place enfin mon livre au-dessus des branches qui l’avalent sans prévenir en ouvrant l’arbre entièrement. Ce n’est peut-être pas si compliqué que je le croyais finalement. Je me retourne pour récupérer mes autres livres. En me redressant, mes yeux se posent sur un beau garçon brun avec des cheveux mi-longs. Cette couleur sombre fait ressortir de grands yeux verts. Sa simple chemise laisse apparaître les muscles saillants de ses bras, ses abdos sont visibles à travers le tissu serré. Ce garçon n’est pas seulement beau, il est magnifique et se dirige vers… moi ? Hein ?! Fausse alerte, il n’a pas l’air d’avoir l’intention de s’arrêter ! Lorsqu’il passe à côté de moi, je bave à moitié, jusqu’à ce que je sente son pied percuter le mien. Eh mince ! Beau Gosse embrasse le sol en moins de deux, ce qui fait se tourner tous les regards vers nous. Je m’approche rapidement de lui pour l’aider, mais à la place je fais malencontreusement tomber mes livres sur sa tête. Nickel ! Je pousse mes affaires sur le sol et l’aide à se relever. Une fois debout, il pouffe de rire en me regardant. Ouf ! Même s’il se fout de moi, au moins il le prend bien. En voyant le beau brun debout, les gens nous quittent du regard et les conversations reprennent. Il rit toujours.

— Je suis vraiment désolée. Je ne voulais pas te faire tomber.
— Tu es nouvelle, pas vrai ?

Cela se voit tant que ça ? Comment a-t-il deviné ? Je ne me prive pas de le lui demander :

— Comment tu le sais ?

Beau Gosse esquisse un sourire.

— Je ne t’ai jamais vue ici et puis ton accent te trahit.

Sa voix est douce et grave à la fois. Un régal pour les oreilles.

— Je m’appelle Jason.

Jason… plutôt mignon.

— Moi c’est Ashley, mais tout le monde m’appelle Ash.

Nous nous retournons en entendant un bruit derrière nous. Ce n’est pas vrai ! Lucy est étalée par terre au milieu de la foule qui ne lui accorde pas un seul regard ni aucun « ça va ? ». Apparemment, c’est la journée chute libre ! Elle se relève en vitesse et nous rejoint.

— Oh pétard ! Je me suis explosé le coude ! s’exclame-t-elle en tenant son bras.

Jason la regarde, amusé par le spectacle. Lucy… mais quel boulet ! Je suis très maladroite mais elle atteint quand même des sommets. Elle est très douée pour ça. Elle tourne la tête vers Jason, intriguée, mais ne paraît pas intimidée. Ce n’est pas son genre, et pourtant Jason avec son mètre quatre-vingt-dix est plutôt impressionnant. Pas pour elle à première vue. Elle lui tend la main.

— Salut, moi c’est Lucy.

Jason se présente et fixe la main de Lucy avec des sourcils interrogateurs.

— En général lorsque quelqu’un te tend la main tu la lui serres, explique Lucy en comprenant que ça ne doit pas être pareil à Algoria.

Il paraît étonné, mais s’exécute. Elle lui fait un sourire que Jason lui retourne.

Je le salue, gênée.

 

— On doit y aller, on a cours, donc à plus tard, Jason, je le salue, gênée.

J’attrape le bras de Lucy et l’entraîne avec moi. Elle lui fait un signe de la main en guise d’au revoir et me suit. Nous marchons dans les couloirs quelques minutes, avant que Lucy me dise :

— Il a l’air plutôt sympa ce Jason, dis-moi.

Je rougis à sa remarque et ne réponds pas. Si j’entre dans son jeu, elle ne lâchera pas l’affaire. Nous entrons dans la classe et changeons de sujet. Cette heure, enfin aiguille, est dédiée à l’histoire d’Algoria, les guerres, les évolutions et tout le bazar.

Nous qui ne connaissons rien à ce monde, nous allons être servies. Nous nous asseyons au deuxième rang et le cours commence. Malheureusement, prendre le programme en milieu d’année n’est pas simple. À Algoria, l’année scolaire a déjà débuté depuis un bon moment. Donc, autant dire que je ne comprends pas tout. L’histoire algorienne est plus complexe que je le pensais. La professeure nous parle de la fin de la guerre qui a ravagé Algoria il y a moins de vingt ans, mais nous n’avons ni les tenants ni les aboutissants. Mis à part le fait qu’elle a été très courte mais très destructrice, nous ne comprenons rien. Toute l’aiguille se déroule ainsi et Lucy a autant l’air dans l’incompréhension que moi. Nous sommes dans de beaux draps. À la fin du cours, milira Almadine vient à notre rencontre, sourire aux lèvres.

— Milira Hollway, milira Fighder, je peux tout à fait comprendre que prendre le programme en cours d’année ne soit pas évident. Je vous ai donc mis quelques livres de côté à la bibliothèque de Roxlight, ainsi vous pourrez apprendre tout ce que nous avons vu depuis le début de l’année. Vous avez juste à vous présenter à la bibliothèque qui ferme à la tombée de la nuit. Milira Shadill, la biblienne, se chargera de vous donner les ouvrages.

Très bien. Ces livres risquent en effet de nous être nécessaires. Revoir tous les cours depuis le début de l’année ne s’annonce pas vraiment agréable mais bon, nous n’avons pas vraiment le choix. Nous acquiesçons et sortons de la salle. Nous savons à présent à quoi nous allons consacrer nos soirées.

Le reste de la journée ne se déroule pas bien mieux. À midi, nous rejoignons Alison et Noa à la cantine. Nous faisons la rencontre de leurs amies. Heather et Maggie sont très sympas et accueillantes. Les autres un peu moins. Elles nous lancent des regards noirs pendant tout le déjeuner et ne nous adressent pas la parole. Après ce superbe repas, Lucy et moi enchaînons les cours, tous plus farfelus les uns que les autres : cours de combat, de guérisons, d’apprentissage des animaux. Ah oui, et pour finir nous assistons au cours de letmancie. Une fois le cours fini, nous n’avons toujours pas compris en quoi consiste la letmancie, mais peu importe, nous avons rendez-vous à la bibliothèque. En arrivant, je suis surprise de trouver autant de monde. Elle est magnifique. Elle est entièrement faite de bois foncé, de végétaux et de fleurs. J’apprécie tout de suite ce lieu convivial, tout comme Lucy qui arbore un sourire immense.

— C’est génial !

Vu la beauté de cet endroit, je ne peux que partager son enthousiasme. Nous partons nous présenter à l’accueil. Milira Shadill nous fournit quelques livres et nous indique un rayon où nous pouvons trouver des ouvrages similaires. Cette femme est accueillante, chaleureuse et a un sourire magnifique. Lorsqu’elle nous quitte, nous prenons place à une table vide et nous nous lançons dans nos révisions. Programme passionnant !

 

***

Lucy

J’ai gardé ma montre terrestre depuis notre arrivée, elle affiche dix-neuf heures. Même si je sais que l’heure ne correspond pas à celle d’ici, cela m’aide à avoir une idée du temps qui passe. Cela fait trois heures que nous travaillons, je n’en peux plus. D’habitude, réviser ne me pose pas de souci, mais apprendre un cours auquel on ne comprend qu’un mot sur trois s’avère bien plus compliqué. Je suis actuellement sur le chapitre du début de la Guerre survenue il y a moins de vingt ans, cependant l’ouvrage que je tiens entre les mains ne m’éclaire pas du tout.

— Je vais chercher un livre, Ash, je reviens.

Elle lève un regard fatigué sur moi et acquiesce. Je remarque alors qu’elle est aussi perdue que moi. C’est rassurant, au moins je ne suis pas toute seule. J’entreprends de me rendre dans l’allée que nous a montrée la biblienne. Je m’y glisse et cherche un livre sur le sujet qui m’intéresse. J’en trouve un plutôt bien et commence à le feuilleter tout en marchant en direction de notre table. Soudain, une personne me percute. Ou il se peut que ce soit moi qui l’aie percutée. Elle devait arriver vite car nous tombons toutes les deux au sol. Je sors la tête de mon livre et découvre un garçon métis aux cheveux de jais. Lorsqu’il redresse la tête, je croise son regard indigo et reste bouche bée. Ce mec est l’incarnation même de la beauté, il n’y a pas d’autres mots. Un petit courant électrique traverse mon corps. Nous nous relevons en même temps. Il me dépasse d’au moins une tête et demie, il doit à peu près faire la taille de Jason. Seulement, le garçon devant moi est plus musclé avec un corps plus sculpté. Je reprends mes esprits et m’excuse :

— Excuse-moi, je ne t’avais pas vu. Tu n’as rien ?

Un éclair traverse ses billes indigo et il gronde :

— Tu viens de me renverser et tu me demandes si ça va ?

Ce spécimen a tout de même l’air plus agressif que Jason. Je lui ai déjà demandé pardon, que veut-il de plus ? Il a l’air de croire que je peux remonter dans le temps. Eh bien non, désolée de te décevoir bel Apocon, mais je n’ai pas ce pouvoir !

— Je sais, je suis vraiment désolée. 
— Tu viens de me flinguer mon pantalon, idiote !

Je n’ai jamais eu beaucoup de patience et je travaille sur ce point ces derniers temps, mais là il dépasse les bornes. Nous sommes juste tombés et lui il m’insulte. Je ne vais pas me laisser faire quand même.

— Non mais ça va aussi ! Je me suis excusée ! Tu ne vas pas me saouler pour un vieux bout de chiffon.

Le garçon paraît surpris. On ne doit pas souvent lui crier dessus. Il reprend de plus belle :

— Ce bout de chiffon comme tu l’appelles est bien plus précieux que tout ce que tu as dans ton placard ! Remarque, vu tes vêtements, tu ne dois même pas savoir faire la différence.