Les véritables héroïnes de la Seine - Patrick Huet - E-Book

Les véritables héroïnes de la Seine E-Book

Patrick Huet

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Beschreibung

Patrick Huet a longé toute la Seine à pied. Il aurait pu vous raconter son voyage de sa propre voix, mais il a préféré laisser la parole à ses chaussures. Ce qui lui a permis d'établir une nouvelle prouesse en matière d'écriture et de création. A travers ce livre, vous découvrirez toute la Seine bien sûr, mais racontée selon le point de vue des chaussures du Fleuve-trotteur. Car ce sont elles qui frôlèrent les doux chemins de halage ou qui amortirent le choc des voies bitumées. Elles qui écrasèrent les ronces et les orties, qui pataugèrent dans la boue les jours de pluie ou qui rugirent sous le soleil. Ce carnet de voyage vous apportera aussi une abondance de détails sur les lieux traversés, les paysages, les édifices, les rencontres avec les autres personnes, les passages difficiles et les chemins tranquilles. Une vue plongeante sur toute la Seine de la source à la mer, et une narration à la fois inédite et pleine d'humour.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Sommaire

Préambule. Un carnet de voyage original

Le carnet de voyage au jour le jour

Qui est Séquana ?

Pourquoi parle-t-on de la Nymphe de la Seine ?

Qu'est-ce qu'un fleuve ?

Index des lieux cités

Un carnet de voyage original – une écriture inédite.

Le carnet de voyage de Patrick Huet Raconté selon le point de vue des chaussures du marcheur.

Patrick Huet a longé toute la Seine à pied, de la source à la mer.

Il aurait pu vous relater son périple de façon traditionnelle selon son propre point de vue et ses propres sensations, comme il l’avait déjà fait auparavant dans d’autres ouvrages.

Mais pour ce livre, il a trouvé plus intéressant de donner la parole à ses chaussures.

Cela entraîna pour lui un renouveau dans son style d’écriture et la création de nouvelles façons de s’exprimer… tout en respectant à la lettre ce qui s’était réellement déroulé au cours de ce voyage.

Une vision panoramique de toute la Seine.

Vous découvrirez donc dans ce livre, tout ce qu’a vécu le Fleuve-trotteur au jour le jour, aussi bien les heures glacées de la nuit que les ardeurs du soleil de midi. Mais également un panorama saisissant de l'ensemble de la Seine, du ruisselet de la source jusqu’à l’immense estuaire de son entrée dans la mer : les chemins, qu’ils soient broussailleux, épineux ou magnifiquement sablés, la description des lieux, des édifices, les châteaux, les forêts et les champs, sans oublier les personnes rencontrées.

Car, bien que racontée selon le point de vue des chaussures, c’est évidemment la perception du Fleuve-trotteur qui s’inscrit dans les lignes de cet ouvrage.

Les chaussures, les véritables héroïnes de la Seine.

Tout a commencé par un joli matin d'été, comme dans les plus beaux contes de fées.

Elles étaient dans le magasin, éblouies par les lumières qui rayonnaient sur les étagères, ne pensant à rien de précis, quand soudain il apparut.

Elles avaient remarqué ce garçon brun dont les lunettes réfléchissaient l'éclairage qui tombait des néons.

Elles l'avaient repéré à sa façon de se pencher sur les étagères et d'examiner les chaussures qui y étaient disposées. A sa manière aussi de se déplacer qui dénotait l'allure souple du marcheur de longue haleine.

Et déjà, avant même qu'il ne tourne la tête en leur direction, elles espéraient du fond de leurs fibres qu'il tomberait sous le charme de leur belle robe. Mais il ne les avait même pas vues, focalisé qu'il était par la superbe apparence de leurs consoeurs.

Et puis soudain, l'impensable se produisit.

Il s'approcha d'elles, caressa leur robe, les pressa dessous, dedans, les plia et... les plaça sur ses pieds.

Pour la première fois, elles sentirent leurs lacets rouler dans leurs oeillets, tirés par les doigts robustes du garçon. Comme elles étaient fières de se parer de ce premier noeud qu'elles attendaient depuis si longtemps, et d'enrober si fermement les pieds auxquels elles s'ajustaient !

Un premier pas, un deuxième, un troisième... Jamais elles n'oublieraient cette première sensation de voler sur le carrelage du magasin, transportées par la grâce qui émanait des pieds qu'elles accompagnaient. C'était si merveilleux qu'elles se sentaient prêtes à parcourir les trajets les plus insensés à travers le monde.

Elles ne savaient pas que leurs voeux seraient bientôt réalisés.

Aujourd'hui, rangées de leur long parcours, elles se souviennent avec émotion de cet instant où elles avancèrent dans l'herbe tendre du parc des sources de la Seine.

Elles étaient jeunes alors, rutilantes de netteté. Leurs neuves semelles crissaient sur le sable déposé au bas du bassin de la source par ceux qui avaient conçu ce parc, appelé jadis Parc Haussmann.

Elles épousaient fièrement les pieds du Fleuve-trotteur, enthousiasmées à l'idée de le porter jusqu'à la mer, 776 kilomètres plus loin.

Dès le premier jour, c'était la pluie, une fine ondée aux allures de rosée qui ne les mouilla que superficiellement. Elles s'enorgueillaient de protéger leur propriétaire qui aurait été contrarié d'avoir les pieds trempés alors qu'il entamait son périple.

Qu'il était délicieux de se glisser entre les troncs de ce petit bois qui ne quittait pas les abords du ruisseau ! Son cours paisible s'accordait à leur rythme de déplacement.

A la fin de l'étape, quand le Fleuve-trotteur les disposa un moment à l'air libre, elles s'évertuèrent à sécher rapidement la transpiration que les pieds avaient exsudée sous l'effort de la marche et à en évacuer les odeurs. Plus tard, quand l'obscurité descendit sur les prairies et les bois, elles remercièrent Patrick Huet de les rentrer à l'abri de la minuscule tente pour éviter qu'elles ne s'alourdissent durant la nuit de l'intense rosée qui recouvrirait les alentours. Elles étaient fières de se reposer à côté de ses pieds et de le voir glisser dans un sommeil qu'elles espéraient réparateur.

En ces lieux où la jeune Seine naissait au grand monde, pas d'installations de camping, évidemment. Cette première nuit d'aventure, nos deux héroïnes la passèrent à proximité d'un cimetière.

Elles ne s'en effrayèrent pas. Le site était particulièrement tranquille. Et d'ailleurs, pourquoi auraient-elles craint l'apparition d'un spectre puisque leur propriétaire ne les appréhendait pas ?

Tandis que la campagne voguait au pays des songes, elles, qui ne dormaient jamais et ignoraient ce qu'il en était de ces temps de silence, se remémorèrent le fil de cette journée. Maintenant que l'obscurité éteignait les sonorités, elles disposaient d'une libre attention pour se rappeler la cadence des événements depuis tôt le matin.

Ajustées aux pieds du marcheur, elles avaient résonné sur le carrelage d'un large espace fréquenté par une multitude de collègues chaussures. Elles n'en avaient jamais vues autant à la fois et d'une telle diversité, et toutes pressées vers quelques lieux mystérieux.

De temps à autre, une voix tonnait sous le grand hall : « le train en provenance de… et à destination de... est annoncé voie... » ou encore « Vous êtes arrivé à Lyon, terminus de ce train ». A un moment, les pieds de leur propriétaire leur firent monter des escaliers roulants, grimper deux marches métalliques fixées au bas d'une longue machine soutenue par des roues, métalliques elles aussi.

Peu après, alors qu'elles reposaient sagement, la machine ronfla, gronda sous leurs semelles et prit de la vitesse. Deux heures plus tard, une voix tonitrua : « Mesdames, Messieurs, notre train arrive en gare de Dijon, son terminus. Tout le monde descend de voiture ».

C'était le premier juillet 2004.

Que de nouveautés en cette matinée !

Depuis plusieurs jours, elles avaient bien deviné que le Fleuve-trotteur préparait quelque chose d'exceptionnel à la fébrilité qui animait ses jambes, mais elles n'imaginaient pas un tel foisonnement de chaussures qui zigzaguaient dans tous les sens, d'abord dans une première salle géante puis dans cette seconde annoncée comme Dijon dans les haut-parleurs.

Quelque temps d'attente à l'extérieur, puis d'autres chaussures s'approchèrent d'elles. Leur comportement différait de celles qui slalomaient dans le grand hall. Elles accompagnaient le mouvement de personnes qui semblaient connaître leur propriétaire. L'une d'elles se présenta comme l'adjointe à la mairie de Dijon, plusieurs autres comme des membres de la confrérie des Avalants Navieurs des chemins d'eau, et son président Jean-Noël Blanquart.

L'adjointe... oh ! Elles comprenaient à présent. Leur porteur avait organisé une petite rencontre avant son voyage. Car au vu de l'énorme paquetage qui juchait sur ses épaules, ainsi que de la toile de tente et du tapis de sol accrochés au sac à dos, il était indéniable qu'il s'en allait pour l'aventure... Elles en auraient crié de joie si elles avaient été dotées de la parole. Et quand le propriétaire d'une des paires de chaussures qui vaquaient aux alentours, journaliste de Radio Nostalgie, se proposa de réaliser une interview, elles s'efforcèrent à briller de leur plus belle robe. Qui sait si ce lustre ne franchirait pas le champ des ondes acoustiques pour parvenir au regard des auditeurs ?

Echanges amicaux, conversations... Puis, lorsque l'adjointe souhaita un bon voyage à l'aventurier des fleuves, elles se frottèrent les lacets de joie et s'apprêtèrent à bondir sur la route. Mais elles durent encore patienter avant d'aborder leur périple. D'après ce qu'elles retinrent des discussions et de ce qu'elles apprirent de leurs consoeurs chaussures, Jean-Noël Blanquart conduirait le Fleuve-trotteur en voiture à la source de la Seine, lieu de son véritable départ, accompagné de quelques autres confrères des Avalants Navilleurs.

Tout ce petit monde d'hommes et de chaussures se retrouva 40 kilomètres plus tard dans un grand parc à la verte pelouse.

Deux autres chaussures les accueillirent. Elles portaient, disaient-elles, les pas d'une dame journaliste, correspondante du journal Le Bien Public, qui souhaitait transmettre à ses lecteurs l'extraordinaire événement de cet été, à savoir : la descente de la Seine à pied.

La Seine ? Drôle de nom. Qu'était-ce donc que cette chose qui ne signifiait encore rien pour elles, jeunes demoiselles-chaussures qui venaient à peine de quitter les rayonnages du magasin de sport ? Leurs consoeurs s'empressèrent de les renseigner, et elles en furent époustouflées.

Alors, c'étaient elles qui seraient chargées de conduire cet audacieux à bon port ! De lui faire franchir les ronces et les rochers, de l'aider à grimper les pentes abruptes, de protéger ses pieds des rudesses du sol et d'en apaiser les heurts.

Quel incroyable destin les attendait, et quelle responsabilité pesait sur le souple de leurs semelles !

Au-dessus de leur col, le Fleuve-trotteur écoutait la journaliste. Comme il avait déclaré à la dame n'avoir voulu prendre aucune information au sujet de la source ni visionner la moindre photo pour se réserver le charme entier de la découverte du site sans être influencé par des images ou des opinions, elle entreprit de lui en faire visiter l'essentiel.

Elle invita le petit groupe à la suivre jusqu'à la grotte de Séquana, l'endroit précis où la Seine sourd de la terre. Un bassin avait été construit autour de cette source, berçant ses premières eaux et cajolant une sculpture nommée « nymphe de la Seine » avant que le léger ruisseau ne glisse à travers le parc en direction de la mer.

Des fouilles avaient mis au jour les vestiges d'un temple dédié à Séquana, ajouta la journaliste, soulignant que les lieux de ces fouilles, maintenant clôturés et abandonnés à la végétation envahissante, étaient inaccessibles. Elle conta bien d'autres faits, mais les humaines conversations cessèrent d'intéresser les jeunes chaussures, si pressées étaient-elles de se lancer vers les sentiers qu'elles devinaient très proches, au-delà du parc.

Un mot magique « photo » fit subitement dresser leurs semelles de toute la souplesse de leurs rainures. Elles sourirent de leur plus belle blancheur devant le flash de la journaliste. Ensuite leurs consoeurs chaussures des Avalants navieurs les accompagnèrent à la sortie du parc et sur le début du voyage. Elles leur dirent au revoir peu après et chacune se sépara.

Enfin le grand départ !

Le vrai. Celui où elles bondissaient sur le chemin de terre qui filait d'un trait rectiligne à travers la forêt. La Seine en ruisseau lançait par moments des éclairs entre les massifs touffus et les troncs quelquefois abattus au-dessus de son cours.

Temps humide. Pluie fine dont elles perçurent à peine le baiser.

Le plus souvent, elles ne voyaient rien du ruisseau tant la végétation était dense et que seul le chemin captait leur attention.

Puis l'horizon se dégagea, s'élargit de tout côté. Disparus les arbres aux branches emmêlées. A la place, une grande étendue herbeuse qui finissait par un immense lac.

S'agissait-il de la Seine qui, par la magie des accidents du terrain, venait de passer en quelques secondes de l'état de ruisseau ondoyant à la vastitude d'un fleuve ? La présence d'un mur de pierre et de béton en aval démontra vite que cette soudaine amplitude n'avait rien de naturel, mais résultait d'un travail humain. Au fil des jours, les eaux s'étaient accumulées en amont du barrage, formant ainsi un lac de retenue, ce qu'on appelait par ici, un étang.

A hauteur de cet étang, une route de campagne, large pour leurs semelles, les accueillit dans une invitation vibrante à continuer. Elles portèrent leur attention aux maisons du petit village qu'un panneau nommait Saint-Germain-Source-Seine.

A partir de cet instant, l'horizon leur offrit un ciel immense, sans fin, une toile qui variait entre gris clair et gris foncé, chargée de tant de gouttelettes en suspension qu'il en émanait une clarté reposante. Sous cette luminescence opale moutonnaient des prairies à l'herbe fraîchement coupée. Ce fut un ravissement pour elles que de les longer, de croiser non loin de la route quelques vaches indolentes, de voir la Seine gagner en profondeur, et de s'aventurer sur les ponts aux pierres séculaires qui se succédaient.

Elles traversèrent de nouveau une petite forêt avant de retrouver plus loin la toiture infinie du ciel. Un hameau après l'autre, elles découvrirent le paysage verdoyant de la campagne et des fermes.

A l'entrée d'Orret, elles sentirent que leur propriétaire projetait d'y faire étape. Ses pas filaient moins rapidement comme s'il cherchait quelque chose.

Il s'arrêta juste à la sortie du minuscule village pour grignoter parmi ses provisions. Cette promenade de mise en forme du premier jour lui avait ouvert l'appétit. Quant à elles qui ne ressentaient aucune sensation de cette sorte, elles attendirent patiemment qu'il eût fini de manger.

Songeait-il à dormir ici ? Apparemment pas puisqu'il revint vers le petit cimetière sur lequel il avait jeté son premier dévolu tout à l'heure avant d'abandonner les lieux tant les deux arbres qui lui servaient de parapluies géants bourdonnaient de guêpes.

Cela dit, maintenant qu'il se reposait dans la tente, il ne craignait plus d'être importuné par des piqûres.

La nuit fut agitée.

Elles avaient pensé que, enjoué par cette promenade de quelques heures et bercé par le calme environnant, il dormirait à lacets fermés... ou à poings fermés puisque les humains ne possèdent pas de lacets. Ce fut l'inverse.

Dans l'obscurité secouée d'averses, il se réveillait par intermittence, se frottait les bras, se tournait et se retournait. Un froid humide le glaçait... elles le sentaient par leur proximité avec ses pieds, bien que pour elles toute température se valait et ne leur importait en rien.

Entre deux averses, des pépiements innombrables cascadaient sur la tente. Les oiseaux ne dormaient-ils jamais ? Un étrange aboiement se manifesta avant de s'estomper aussitôt.

Quelque temps avant l'aube, elles entendirent le Fleuve-trotteur se réveiller complètement, mais rester allongé. Puis, profitant d'une accalmie, il se leva, les enfila et replia rapidement la toile de tente.

Plus de guêpes dans les branches, à cause des averses certainement, ou peut-être que durant la nuit, elles se blottissent dans leur nid. Les oiseaux les avaient remplacées. Une lumière pâle blanchissait le firmament.

Ravies de ce départ matinal, les chaussures s'enfoncèrent gaiement dans les hautes herbes d'un champ qu'une pancarte avait annoncé comme étant le GR2, le chemin de Grande Randonnée conduisant directement à Paris. Un champ ? Plutôt une mer de tiges souples mouillées de pluie qui trempèrent le pantalon au-dessus de leur col.

Malgré tout leur effort, l'eau pénétrait peu à peu l'intérieur de leur robe et finit par atteindre les chaussettes.

Au bout d'un moment, elles sortirent du champ pour se retrouver bientôt à un croisement où s'épanouissait... une absence totale de panneau indicateur. Elles perçurent la brève hésitation du marcheur. Fallait-il prendre la droite ou la gauche ? La première voie les mena à un autre champ. La seconde, plus riche de potentialités le fut encore plus de surprises quand elles se contemplèrent deux heures après à l'endroit précis où elles se tenaient la veille lorsque leur propriétaire avait décidé de se rendre à Orret pour son étape du soir.

Elles sentirent nettement sa furieuse déception. Attaquer les chemins des heures durant pour arriver, 16 km plus tard, au même endroit qu'auparavant, voilà de quoi agacer plus d'un. Elles perçurent également sa détermination de ne plus jamais se fier à des panneaux de GR, de suivre au contraire ce que son regard lui montrait.

Avec satisfaction, elles le virent quitter le sentier balisé et longer le ruisseau par une voie certes plus mouvementée, mais aussi plus proche de l'eau qu'elles distinguaient en permanence. Et puis, quel plaisir de bondir par-dessus les racines qui sortaient du sol çà et là et de mordre un terrain accidenté de creux et de bosses ! Par un étrange effet, la végétation herbeuse poussait au ras de la terre, trop courte cependant pour les gêner réellement.

La brume matinale s'effilochait et retombait sur leur robe en minuscules gouttes. Facile de leur opposer un rempart. Toutefois, les pieds déjà trempés par leur navigation dans les champs ne craignaient plus grand-chose de ces bruines fugaces.

Des parcelles de forêts assombrissaient par moments la route qu'elles empruntaient.

Soudain, un éclair de couleur, des façades pulsantes de lumières qu'un rayon de soleil fit étinceler. Elles en restèrent ébahies. « Le château de Quémigny » s'était exclamé leur propriétaire qui en perpétua l'image par une de ces photos dont il avait le secret. C'était juste après Baigneux-les-Juifs où il s'était arrêté pour admirer les anciennes demeures.

Au fil des chemins, ici et là au croisement d'un cimetière, il jouait du biceps pour actionner les vieilles pompes afin de remplir sa gourde.

Vint un moment où, comme la veille, elles sentirent une vibration différente dans ses jambes alors qu'il lisait un panneau mentionnant le village de « Saint-Marc ». Elles chantèrent un petit bonsoir à la Seine aux eaux peu profondes, à fleur de galets quelquefois, puis le conduisirent vers un lieu propice à son bivouac. Il se détermina pour l'orée d'une forêt dont l'une des allées convenait parfaitement à ses souhaits de discrétion.

Un quart d'heure plus tard, placées devant la toile de tente, elles le virent se laver à l'eau de deux bouteilles tout juste achetées à l'épicerie locale.

Elles ne purent s'empêcher de songer que s'il avait patienté, il aurait profité des douches naturelles qu'en ce jour d'averses le ciel ne manquerait pas de lui procurer. Ce qui fut le cas par la suite, mais il s'occupait alors de rester à l'abri dans la tente.

Lorsque leur robe fut suffisamment sèche et aérée, selon son point de vue, il les rentra et les maintint à proximité de ses pieds.

Comme la veille, la nuit fut agitée, plus encore si cela était possible. Une turbulence de remous, de réveils en sursaut et de grelottements de froid. Au loin, des hiboux tintaient les ténèbres de hululements veloutés.

« Cinq heures trente ! » s'exclama le Fleuve-trotteur en examinant sa montre.

Elles notèrent que l'une des vertus des nuits froides était d'écourter ses sommeils. Pour elles qui ne connaissaient pas ces étourdissements nocturnes, se lever tôt ou tard n'avait pas d'importance. Mais pour lui qui s'imprégnait d'humidité et de buée glaciale, il était impératif de sortir et de se réchauffer à la faveur de sa marche.

Elles s'efforcèrent de serrer au mieux ses pieds afin de lui préserver le maximum de chaleur que leur protection permettait. Puis elles l'accompagnèrent dans son retour vers la Seine. Ce fut une merveille d'en suivre le ruisseau élargi et les méandres qui jalonnaient son cours.

Leurs semelles humaient les parfums qui montaient des champs environnants, lesquels dessinaient un paysage plus vallonné encore que la veille, recouvrant la campagne de la magnifique blondeur des blés presque mûrs.

Elles frôlèrent aussi des prairies aux herbes extraordinairement vertes.

Par moments, des nuées de papillons jaillissaient autour d'elles et s'envolaient dans la fraîcheur matinale.

Elles parvinrent ainsi, pimpantes et joyeuses, aux premières maisons qu'elles devinèrent être les prémices d'une ville.

La voix au-dessus d'elles tinta : « Châtillon-sur-Seine, la première ville de la Seine ».

Une particularité les étonna, la Seine s'y séparait en deux bras formant une île à l'intérieur même de la ville. Le premier, elles auraient pu le traverser à gué au regard de son faible niveau. Pour le second en revanche, c'est en sous-marin qu'elles auraient dû s'y engager, la profondeur y était importante. Toutefois, le sujet demeurerait une éternelle question, car leur propriétaire préféra la voie aérienne à celle des fonds aquatiques.

Tiens ! Quelle épine ou quelles orties piquèrent-elles ce dernier pour qu'il s'attarde autant dans la ville ?

Elles, si disposées à bondir sur les chemins de l'aventure, elles qui ne rêvaient que de voltiger à travers les herbes... les voilà obligées de patienter, immobiles, sous les pieds de leur porteur, tandis que celui-ci s'attablait dans la salle d'un café (« le bar du cadran », paraît-il) à griffonner quelques notes sur son carnet et à dévisager son téléphone qu'il venait de brancher à une prise électrique.

Sans doute s'était-il assis dans le but de recharger son appareil à parler, car il ne leur semblait pas que ses jambes fussent lasses. Au contraire, elles vibraient d'énergie. Alors pourquoi cette station inhabituelle ?

A moins que... Mais bien sûr ! Elles avaient oublié qu'il avait rendez-vous en fin de matinée avec un journaliste. Ce dernier arriva peu après, Eric Chazeron du journal le Bien Public, et s'avéra captivé par l'expédition qu'elles entreprenaient depuis trois jours déjà. Et, summum de la rencontre, il immortalisa leur image par une photo de leur robe et de leurs beaux lacets si joliment noués.

Si après l'entretien, les chaussures avaient pensé reprendre leur périple immédiatement, elles en furent pour leurs frais.

Auparavant, leur propriétaire les emmena effectuer quelques emplettes du côté d'un supermarché. Des achats plus longs que d'ordinaire. D'habitude, il s'arrêtait juste le temps de se ravitailler, surtout de l'eau en abondance, et puis s'empressait sur la route, avide comme elles de retrouver les grandes voies de liberté à ciel ouvert.