Les yeux merveilleux de Julie - Michel Laot - E-Book

Les yeux merveilleux de Julie E-Book

Michel Laot

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Beschreibung

Auteur d’une quinzaine d’articles professionnels et membre du comité de lecture de deux revues françaises de kinésithérapie, son témoignage sur les situations de handicap « Les yeux merveilleux de Julie » est son premier ouvrage destiné au grand public et dont l’objectif, à travers un récit romancé, est de participer à modifier le regard que chacun peut porter sur les personnes en situation de handicap.
Lorsqu’il rencontre Julie, jeune paraplégique au regard extraordinairement bleu, Paul, son thérapeute est entraîné à voyager dans son passé d’adolescent, d’étudiant en santé puis de jeune professionnel de la réadaptation. D’homme aussi. La personnalité si particulière de cette patiente va lui rappeler ce lent cheminement qui lui permet d’être aujourd’hui l’acteur principal de la renaissance à la vie de cette personne si attachante. Le témoignage d’instants cruciaux de la réadaptation de cette personne profondément marquée dans sa chair et dans son âme, révèle une part de l’immense complexité du lent processus qui va s’imposer à cette patiente, comme à son thérapeute. Dans un corps à cœur avec cette femme dont l’accident a quasi-instantanément remanié la vision du monde, Paul partage alors plus qu’une simple relation de « soignant à soigné » et l’ambiguïté de leurs rapports ne se résoudra qu’au prix d’efforts partagés, permettant à l’un comme à l’autre d’évoluer enfin vers sa propre autonomie. Paul orientant sa carrière vers ce qui se révélera être sa vocation, l’enseignement ; Julie consacrant sa vie aux autres, au travers d’un don de soi aux vertus thérapeutiques, pour assumer enfin totalement son indépendance en se liant à un homme, différent, mais finalement si profondément humain.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Michel Laot est né à Kairouan, en Tunisie, en novembre 1954. Il entame ses études de kinésithérapie en 1972 et obtient le Diplôme d’État en 1975. Durant ses vacances scolaires il se consacre à l’encadrement d’adolescents difficiles et lors de l’année universitaire, parallèlement à ses études, assure des gardes de nuit d’enfants handicapés moteurs. La prise de conscience de l’importance de ces situations de handicap lui fait naturellement choisir ensuite un mode d’exercice professionnel centré sur la réadaptation des patients aux déficits les plus lourds et aux incapacités majeures, en France d’abord, puis au Sénégal où il contribue, pendant sept années, à la rééducation et à l’appareillage d’enfants porteurs de séquelles de la poliomyélite, complémentairement à la création de l’école de kinésithérapie de Dakar. De retour en France il prend des fonctions d’enseignant et de directeur à temps plein dans plusieurs établissements de formation, tout en continuant à animer bénévolement des missions humanitaires dont la dernière, au Kosovo, en 2005. Auteur d’une quinzaine d’articles professionnels et membre du comité de lecture de deux revues françaises de kinésithérapie, son témoignage sur les situations de handicap « Les yeux merveilleux de Julie » est son premier ouvrage destiné au grand public et dont l’objectif, à travers un récit romancé, est de participer à modifier le regard que chacun peut porter sur les personnes en situation de handicap.
Il rencontre Catherine en 1974, qui deviendra sa femme et partagera dès lors avec leurs quatre filles une vie familiale et professionnelle un peu nomade, tout en se consacrant à son autre passion : l’écriture.

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Les yeux

merveilleux

de Julie

Michel LAOT

Préface

Lors des cours que j’assure chaque année auprès des promotions successives d’étudiants en santé dont j’ai la charge, je ne suis jamais plus heureux que d’illustrer le concept de handicap, des multiples expériences qui structurèrent ma vie de rééducateur. Et si les visages de tous ces anciens patients s’estompent peu à peu jusqu’à croiser par hasard un regard qui me les rappelle, si les noms et prénoms oubliés resurgissent en écho à un patronyme approchant évoqué en d’autres circonstances, rien des formidables liens ne s’efface, qui se sont tissés avec ces personnes en situation de handicap majeur. Cette jeune paraplégique au regard magnifique, ce jeune homme de mon âge, polytraumatisé, dont la carrière sportive fut irrémédiablement brisée dans la carcasse d’une voiture accidentée, cette main arrachée à un corps désormais amputé par la lame sournoise d’une tondeuse de jardin, me sont des souvenirs toujours aussi présents. 

Tous ces enfants atteints de poliomyélite, comme les habitants de ce village de lépreux au fond du Sénégal ou cette jolie ballerine qui dansa de nouveau, me laissent cette satisfaction intense d’avoir aidé l’autre à mieux vivre l’adversité, à conjurer intelligemment le destin tragique, à dépasser le drame des capacités perdues ; et me marquent au fer rouge du douloureux regret de n’avoir pas offert à chacun tout ce qu’il aurait été possible d’imaginer de mieux encore.

Et si j’ai sans doute beaucoup donné de moi à tous ces patients, pourrai-je raisonnablement évaluer ce dont ils me comblèrent en retour, dans la construction de ma vie d’homme mûr et de thérapeute ?

Aussi ce témoignage constitue-t-il la trace de l’une de ces formidables rencontres dont les métiers de santé sont le théâtre. 

Il sera, du moins je l’espère, un catalyseur pour les jeunes lycéens en mal d’orientation, un exemple possible d’exercice professionnel pour les étudiants qui se sont destinés aux métiers de la réadaptation et de la santé, sans souvent bien les connaître, ou un doux souvenir pour ceux qui reconnaîtront ces mêmes émotions qu’ils vécurent.

Mais ces lignes constitueront surtout pour le citoyen ordinaire un formidable élan vers le partage avec tous ceux qui portent ce particularisme que constitue le déficit ou l’incapacité ; aidant à bannir peut-être enfin de nos représentations toute idée de stigmatisation et de rejet de celui qui nous est différent.

Introduction

Lorsque Paul entra dans l’une des chambres du centre de rééducation, comme il l’avait fait tant de fois jusqu’alors pour se présenter à un nouveau malade,il ne se doutait pas que sa vie allait s'en trouver bouleversée, vie de famille ou professionnelle, vie d'homme tout simplement. Là, sur un lit, se trouvait une patiente dont il allait faire la rencontre et qui le ferait voyager dans son passé.

Rien du corps mutilé de Julie, qu’il découvrit alors, ne l’impressionna. Il avait l’habitude. Mais jamais il n’avait vu de si jolis yeux qui lui criaient :

« aidez-moi ».

Chapitre 1

Il avait suivi une formation de kinésithérapeute à Nice et quand il les cherchait dans sa mémoire, aucun souvenir des motivations conscientes qui l’avaient poussé à suivre ces études ne lui revenait, ni pourquoi cette profession l’avait attiré. Excepté, peut-être, cette connivence avec Daniel au lendemain d’un match de rugby, l’année de leur baccalauréat, partageant l’idée que ce métier, surtout dans le domaine du sport, ne devait pas être si désagréable à exercer ; et c’est vers cet avenir que tous deux s’engagèrent.

Pour ses parents enseignants, il n’était pas envisageable que Paul emprunte un autre parcours que celui des études supérieures. En ce sens, les trois années de formation en kinésithérapie représentaient un bon compromis lui permettant d’accéder rapidement à une profession au statut social valorisant. Avant cette décision, il s’était senti plutôt attiré par les Beaux-Arts ou vers les filières technologiques mais qui étaient réservées aux élèves les moins bons ; et même s’il n’avait obtenu ces deux dernières années que de médiocres résultats scolaires, il avait, affirmait-on, les moyens de faire des études. « Et c’était un si gentil garçon », comme s’accordaient à le dire les voisins, amis ou enseignants successifs, augurant ainsi de cette qualité de gentillesse qu’on lui reconnaissait, qu’elle l’orienterait vers un métier d’aide et de contact : l’enseignement ou la santé.

S’il avait toujours été le premier ou l’un des deux ou trois meilleurs élèves de sa classe, du primaire à ses premières années de lycée, adolescent désormais en fin d’études secondaires, il avait perdu le goût pour le travail scolaire. Il n’en discernait plus le sens, sauf dans quelques matières comme la physique, en partie pour le côté pratique des travaux dirigés qui se rapprochaient de ses propres loisirs manuels ; ou les cours de français à travers l’étude de certains textes classiques que l’enseignant lui demandait de lire tout haut en classe, parce qu’il le faisait bien et en ressentait l’émouvante esthétique. De même, sa passion pour le sport avec la perspective de l’entraînement de rugby une fois par semaine, le match du dimanche matin dans l’équipe junior ou les deux heures de football scolaire, lui permettaient chaque jour de se fixer une prochaine étape motivante en lui donnant la force de laisser passer les longues heures de cours que ces activités sportives bornaient. Quant au travail personnel qu’il avait à faire à la maison, tout était désormais prétexte à y surseoir, à le bâcler. Le plaisir de bricoler des moteurs ou de dessiner, la rêverie, l’imagination, prenaient presque toute la place. Il n’était pas étonnant que ses bulletins trimestriels fussent devenus si tristes. Bien sûr, ses parents avaient fait tout ce qui leur semblait nécessaire pour qu’il renoue avec ses excellents résultats antérieurs, mais les quelques punitions n’influèrent finalement qu’assez peu sur son travail scolaire.

Surtout, les échanges familiaux au sujet de ses mauvaises notes, presque quotidiens, l’insupportaient. Autant que les fréquentes allusions au meilleur statut social que conféreraient des études, en regard des métiers manuels dont la caricature était celle d’un voisin garagiste, dernière extrémité d’une chaîne de métiers toujours présentés comme dévalorisants, mais qu’il admirait pourtant tellement, en secret. Dans ses rêves, il s’échappait de cette atmosphère familiale jugée si pesante, se voyait autonome, décidait de sa vie, essayait en pensées tout ce qu’il imaginait être d’authentiques aventures ou expériences de vie, seul, mais également avec d’autres. La conscience d’un avenir à préparer, d’un métier noble ou d’une place sociale à tenir n’existait pas. À une époque, l’envie de partir faire les vendanges avait occupé des jours et des nuits d’élaboration et d’espérance. Aussi s’était-il imaginé restaurer une motocyclette ancienne dénichée chez le grand-père d’un ami proche, passer ensemble les permis de conduire nécessaires, peut-être apprendre la mécanique. Il s’était tellement attaché à ces projets que le refus net et sans discussion le laissa, adolescent, désespéré. Il avait pleuré, voulu quitter la maison, mais n’avait pas osé.

Du temps passa. Admis en école de kinésithérapie, ce statut eut l’effet d’une véritable résurrection car vivre seul à Nice dans une minuscule chambre d’étudiant, en gérant le petit budget alloué par ses parents fut l’occasion de découvrir l’envie de travailler et la fierté de réussir pour soi. L’anatomie et la morphologie où il obtint la note maximale — lui valant même les félicitations de l’enseignant — la physiologie, l’intéressaient et sa première année fut excellente. Malgré une sélection sévère, il accéda au deuxième cycle des études sans difficulté, avec un classement parmi les meilleurs étudiants. Les deux ans de formation qui suivirent furent moins enthousiasmants, voyant renaître des déceptions assez proches de celles vécues au lycée, où des stages hospitaliers démotivants, trop souvent cantonnés à de l’observation passive de gestes stéréotypés, alternaient avec des cours magistraux qui ne consistaient, pour les étudiants, qu’en une suite de prises de notes plus proches d’une dictée que d’un éveil aux problématiques de santé. Le diplôme d’état fut obtenu sans briller mais avec le soulagement et la fierté, malgré tout, de pouvoir appeler ses parents d’une cabine téléphonique dès la publication des résultats, pour leur annoncer que leur fils était kinésithérapeute.

Il avait fait plaisir, rempli son devoir de gentil garçon. Il pourrait désormais quitter définitivement la maison et vivre pour lui, avec d’autres personnes qu’il aurait choisies.

Chapitre 2

Si les études de santé elles-mêmes ne lui permirent ainsi de percevoir que trop lentement le sens de son futur rôle social, Paul allait le découvrir comme une révélation lors de ses congés universitaires pendant lesquels il souhaitait plus que tout travailler et s’extraire du cercle familial. En ce sens, le projet d’animer une colonie de vacances avec d’autres jeunes étudiants, obtint l’adhésion de ses parents. Enseignants dans les Alpes-Maritimes, ils l’aidèrent à obtenir une place de moniteur dans un établissement de Savoie, géré par l’association locale des Pupilles de l’Enseignement Public. 

La grande preuve de confiance, à peine plus âgé qu’eux, de se voir confier l’encadrement d’adolescents fut une véritable découverte et une immense source de valorisation lorsque le directeur l’eut félicité de la façon dont cette première expérience s’était déroulée, sans qu’il n’ait pourtant suivi aucune formation pédagogique préalable. 

La plupart des enfants accueillis étaient issus de familles en très grande difficulté. En mal d’éducation, ils étaient placés toute l’année dans différentes institutions éducatives du sud-est de la France mais bénéficiaient d’un changement radical de vie dans cette colonie des Alpes pendant les mois de vacances d’été. Le malheur transpirait des personnalités de certains de ces garçons ; des poitrines gonflées de ceux qui cherchaient dans la violence le besoin vital d’affirmer une valeur déniée par ailleurs, aux épaules rentrées d’autres, résignés à subir, à tout subir, et même le pire, comme certains devaient le lui confier plus tard. Garçons tellement solides en apparence, mais d’aucuns se révélant si fragiles au travers des confidences faites dans la solitude du dortoir presque endormi ; ou d’autres, qu’un peu de gentillesse incitait si vite à l’expression de tant de souffrance étouffée.

Quelle découverte que cette misère, ces pleurs et cette fragilité, traduction d’un besoin de fraternité, de compréhension et de lien social, de la part de ces jeunes adolescents perdus ; et qui résonnait sans doute en Paul comme l’écho de ses propres ressentis exacerbés. Découverte aussi des témoignages de reconnaissance, exprimés par ces garçons difficiles à l’issue de ce qu’ils lui dirent avoir été de vraies vacances, toute honte oubliée de la part des plus durs d’entre eux, par ce cadeau dérisoire mais tellement signifiant qu’ils lui remirent au dernier arrêt d’autoroute sur le chemin du retour, résultat d’une collecte des dernières pièces de leur argent de poche ou plutôt, certainement, de quelques larcins nocturnes. Avant que chacun d’eux ne retrouve la grisaille du quotidien.

Ce geste de remerciement, Paul l’avait vécu douloureusement comme le possible dernier appel d’air de nageurs épuisés, prêts à s’enfoncer de nouveau. Mais il était également extrêmement troublé de se sentir presque aussi fragile qu’eux, néanmoins heureux de ne pas avoir dépassé la limite, cette frontière au-delà de laquelle le quotidien bascule et vous entraîne sur la mauvaise pente ; expression familière de ses parents, faisant allusion à une glissade inévitable vers le pire, que le désintérêt scolaire leur semblait générer à coup sûr et que Paul avait souvent entendue à la maison comme une incitation à se remettre sérieusement au travail. Cela ne l’avait pas empêché pour autant de faire des bêtises qui auraient pu l’entraîner à dériver encore plus dangereusement. Car lui aussi avait volé, des babioles, un disque dans un grand magasin ou de l’argent à ses parents ; avait menti ou était sorti en cachette avec la voiture autour de la maison, bien avant que le permis de conduire ne l’y autorise. Heureusement, le cours des choses lui avait été favorable et rien d’irrémédiable n’était arrivé à ce « si gentil garçon ».

Et puis, lorsque l’autobus, qui ramenait vers la Méditerranée tous ces adolescents et leur moniteur, eut repris sa route, lorsque son cœur se fut dégonflé de l’émotion qu’avait fait naître ce cadeau dérisoire et que ses larmes eurent séché, dans le silence de cette longue nuit de retour monotone de la fin août, Paul avait espéré que ces colonies de vacances seraient peut-être, pour ces garçons désorientés, un point d’ancrage, l’exemple d’un futur possible avec sa part de plaisir, un premier essai vers un éventuel bonheur, l’espoir d’une prochaine étape qui rythmerait aussi leurs vies ; comme le sport ou désormais cet emploi saisonnier et la merveilleuse monitrice qu’il y avait rencontrée, scanderaient également encore la sienne en l’aidant à accepter les contraintes inévitables de sa formation, du quotidien et de l’apprentissage d’une vie d’adulte.

Aussi le temps avait repris sa place : ses trimestres d’étudiant un peu trop ternes, ponctués de lumineux moments de vacances pour aider d’autres jeunes toujours en mal de vivre.

En croisant le regard extraordinaire de Julie, le kinésithérapeute qu’il était devenu se remémora l’image de Laurent, le petit chef aux yeux bleus de son premier groupe d’adolescents marginaux, lui remettant lui-même ce cadeau souvenir, au nom de tous ; et se rappela de ses yeux, plus brillants qu’à l’accoutumée, qui lui avaient crié silencieusement « merci de m’avoir aidé ». Lui serrant seulement la main, Paul avait senti, dans un élan vite réprimé, l’envie d’un contact plus fraternel de la part de ce garçon ; mais il y avait les « autres » et serrer un moniteur contre lui et son cœur, eut sans doute été, pour ce petit caïd en devenir, un impossible aveu de faiblesse.

Qu’étaient devenus tous ces garçons après qu’ils aient partagé avec lui ces quelques semaines de vacances recolorées d’un peu de bonheur ? Il ne le savait pas mais se sentait fier d’avoir construit avec eux un court moment de vie dont il pressentait la possible incidence. Peut-être y a-t-il des gens que l’on croise un instant mais dont on se rappelle éternellement ; ou que le temps efface de notre mémoire consciente mais qui contribuent secrètement à faire émerger en nous ce qu’il y a de meilleur ?

Bien qu’ayant obtenu son diplôme de kinésithérapeute, Paul continua quelque temps encore l’encadrement de ces jeunes pendant ses propres vacances et orienta parallèlement son exercice professionnel de rééducateur vers des personnes confrontées aux situations de handicap les plus lourdes ; aussi prégnantes que les charges psychologiques qui faisaient ployer ces adolescents et dont il espérait qu’il pourrait, de même, contribuer à les rendre plus légères.

Qu’allait devenir Julie ?

Chapitre 3

Paul s’était présenté des centaines de fois à de nouveaux malades. En général, ces derniers quittaient en début d’après-midi les cliniques ou les services hospitaliers de la région où ils avaient été opérés et traités, faisaient le trajet en ambulance jusqu’au centre de rééducation fonctionnelle et y arrivaient plutôt en fin d’après-midi. Les formalités d’entrée se faisaient assez vite avec les ambulanciers et le patient « entrant » découvrait alors sa nouvelle chambre ; simple ou double selon les souhaits particuliers de certains, mais surtout en fonction de la disponibilité des lits libérés par les « sortants ».

Pendant tout son transfert, couchée sur un brancard, Julie n’avait vu que des plafonds. Celui de l’ambulance, aussi proche que le couvercle d’un cercueil ou d’un corbillard, s’était-elle dit, cernée de vitres opaques ne laissant entrevoir qu’un mince filet de campagne défilant d’autant plus vite dans son champ de vision qui ne demandait au contraire que de boire l’espace dont elle était privée depuis si longtemps.

Un seul instant de ciel bleu à l’arrivée au centre de réadaptation. Aveuglant. Puis la voûte du grand hall d’entrée avec des spots encastrés qui lui faisaient mal aux yeux et le plafonnier de l’ascenseur dont la clarté du néon l’agressait vraiment ; celui de sa chambre, enfin, plus reposant grâce à l’éclairage indirect. Encore éblouie, elle pensa que les architectes ignoraient tout de ce qui, pourtant, apparaissait comme une évidence pour les personnes qui avaient désormais un angle de vision différent, un nouvel horizon, zénithal.