Littérature et cinémas arabes - Ahmed Bedjaoui - E-Book

Littérature et cinémas arabes E-Book

Ahmed Bedjaoui

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Beschreibung

L’objectif des co-directeurs de cet ouvrage est de contribuer à combler un manque en demandant à des critiques et spécialistes d’apporter les compléments d’information nécessaires à une meilleure connaissance des relations entre la Littérature et les cinémas arabes.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Cet ouvrage a été rédigé sous la direction de Ahmed Bedjaoui. Diplomé de l’IDHEC (Institut de cinéma de Paris) et titulaire d’un doctorat en littérature et cinéma américains, Ahmed Bedjaoui est connu pour avoir produit et animé la fameuse émission Télé cinéclub. Producteur et critique de cinéma, il continue à enseigner le cinéma et à participer à son développement.

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LITTÉRATURE ET CINÉMAS ARABES

Ahmed BEDJAOUI

Michel SERCEAU

LITTÉRATURE ET CINÉMAS ARABES

Ouvrage collectif

sous la direction d’Ahmed Bedjaoui

et de Michel Serceau

Avec la participation de :

Salma Mobarak

Abdelkrim Gabous

Moulay Driss Jaïdi

Walid El Khachab

CHIHAB éDITIONS

Cet ouvrage a été publié avec le concours de l'Office National des Droits d'auteur et Droits Voisins.

© Éditions Chihab, 2016.

ISBN : 978-9947-39-216-4

Dépôt légal :1er semestre 2016

Les auteurs de cet ouvrage remercient :

Le ministre de la Culture, M. Azzedine Mihoubi

Le Directeur Général de l'ONDA, M. Sami Bencheikh El Hocine

Préface

M. Azzedine Mihoubi, écrivain, scénariste et ministre algérien de la culture

La caméra est l’âme de l’idée

A peine le mot « fin » est-il apparu sur l’écran, qu’un autre film a déjà commencé, avec ses commentaires et ses analyses. Certains diront qu’ils ont perdu leur temps avec un navet qui ne méritait pas le déplacement ; d’autres affirmeront que le réalisateur aurait plutôt dû faire ceci ou cela ; certains en revanche avoueront avoir apprécié cette œuvre artistique remarquable et qui mérite d’être saluée avec enthousiasme. Le cinéma est d’abord une forme de création qui conduit au plaisir du spectacle en donnant toute sa charge à l’image ; elle est aussi l’Histoire sur laquelle se brisent les obstacles du temps, le passé s’entremêlant avec le présent et le futur, tandis que la langue se déploie dans des dialogues enrichis par l’image, la lumière et le son. Ainsi l’espace devient le témoin de la naissance de films qui rencontrent l’éternité…

Depuis que les frères Lumière ont créé cet art magique il y a plus d’un siècle, le monde produit chaque jour des centaines de films, et le cinéma arabe n’est pas resté à la traîne de cette grande aventure. Bien au contraire, il a été un affluent marquant du 7° art, séduisant le spectateur avec ses belles histoires, racontant l’amour, la guerre, l’espoir et la douleur, l’angoisse, le silence, l’égarement avec la mort semée par la folie des hommes. Le cinéma arabe a su ainsi dévoiler les dures réalités de la vie, faites parfois de trahisons et de mensonges

Le cinéma, c’est l’ombre de l’histoire, mais aussi le miroir dans lequel se reflète l’image de l’homme, où qu’il se trouve.

Les arabes ne sont pas restés en marge du champ de l’objectif de la caméra, avec ses lumières et ses couleurs. Ils ont rapidement intégré le jeu de l’image et offert au reste du monde, des chefs-d’œuvre authentiques produits grâce à cette fascinante intelligence qui leur est propre. Les exemples ne manquent pas : on peut citer au hasard des films aussi prestigieux que Chroniquedesannéesdebraise, LaMomie, OmarElMokhtar, LaTerre, Bessyabahr, LeParadisaujourd’hui, Elmakhdou’oun, Halfaouin, LePainnu, L’ImmeubleYacoubian, OmarGatlatou, et bien d’autres que l’Histoire n’est pas prête d’effacer de ses tablettes.

Les Arabes ont apporté leur part de bonheur aux spectateurs du septième art, avec des films qui ne sont pas le produit du néant. Les chefs d’œuvre du cinéma arabe qui ont marqué les esprits ont été enfantés par des chefs d’œuvre de la littérature arabe, tels les romans de Naguib Mahfoud, Ihsan Abdelkadous, Ghassan Kanafani, Abdelhamid Ben Hadouga, Mouloud Mammeri, Mohamed Choukri, Alaa El Aswani, et bien d’auteurs écrivains de renom. Tout comme ce fut le cas pour des œuvres littéraires universelles aussi prestigieuses que Lesmisérables, Autantenemportelevent, Guerreetpaix, CodedaVinci et que le cinéma a immortalisées.

Les cinéastes fournissent d’immenses efforts pour “traduire” sous forme de scénarios, des idées afin d’en faire des films réussis, mais ce qui importe avant tout, c’est l’harmonie de l’image avec les mots, du papier écrit avec l’écran. Lorsque l’écrivain et le metteur en scène partagent la même vision, alors l’idée abstraite pourra prendre la forme du réel qui transite par l’image, la lumière et le jeu des comédiens, créant ainsi des instants de plaisir infini.

Le cinéma arabe fait face aujourd’hui à de grands défis, en particulier la nécessité de participer a défendre une nation menacée dans son histoire et dans son identité, mais également secouée par l’extrémisme et l’exclusion religieuse ; autant de dangers qui peuvent conduire certains de ses enfants à l’apologie de la violence et du terrorisme.

La caméra doit impérativement s’orienter vers les problèmes de l’homme et de son destin, en filmant la réalité sous des angles de prises de vues capables d’envoyer des signaux en direction de l’autre, afin de démanteler les mensonges qui se sont accumulés dans la culture des médias occidentaux, et diffuser dans le monde une image réelle des Arabes à travers l’histoire. Ce travail de restauration de notre image par le cinéma peut prendre des années et des années d’efforts politiques, pour détruire les mensonges et les malentendus et que l’Occident comprenne enfin la réalité de nos valeurs essentielles.

Le changement de perception par l’image est important. Les Américains ont su insuffler à leurs films une charge émotionnelle et humaine afin d’édulcorer les défaites qu’ils ont subies au Vietnam et dans d’autres lieux. L’Amérique a su utiliser son cinéma pour ne pas être perçue comme un pays vaincu, ou manquant d’humanité. Si de notre côté, nous ne désirons pas travestir la réalité, notre devoir est de défendre la Palestine opprimée par la machine de mort sioniste, ou encore les peuples de Syrie et d’Irak, dont les griffes de Daech tentent de détruire la civilisation ainsi que toute la dimension humaine et historique.

Notre responsabilité historique est immense. C’est pour cela que le cinéma arabe doit être plus grand que la douloureuse réalité afin que ses représentations filmiques soient capables de changer l’image entretenue dans plusieurs capitales du monde. Pour cela, il est urgent que la caméra s’oriente vers des horizons plus ciblés. Le monde attend, mais le temps presse.

Azzedine Mihoubi

Ministre de la Culture

INTRODUCTION

Ahmed Bedjaoui

Michel Serceau

Le cinéma égyptien classique est un cinéma de genre à vocation populaire. Les cinémas du Maghreb, nés après les indépendances ou, dans le cas de l’Algérie, durant la guerre de libération, ont été des cinémas de combat. Les films arabes d’aujourd’hui sont des reflets des printemps arabes ou des aspirations des peuples à l’éclosion d’un printemps... Autant d’idées qui circulent en Europe où les cinémas arabes sont les moins connus, moins que les cinémas asiatiques, même et peut-être surtout des cinéphiles. Ces idées ne sont sans doute pas infondées, elles correspondent en partie à des réalités. Mais elles restent des idées reçues. Elles occultent d’autres aspects des cinématographies des pays arabes.

L’objectif de cet ouvrage est donc de contribuer à combler un manque en demandant à des critiques et spécialistes d’apporter les compléments d’information nécessaires. Nous aurions pu faire une série de monographies sur les grands cinéastes arabes (Chahine n’est pas le seul ?), dont le propre est de transcender l’actualité. Mais à cette approche encore trop cinéphilique nous en avons préféré une autre qui témoigne autant, sinon plus, de la relation qu’entretiennent les cinémas arabes - comme d’autres - avec la culture. Il s’agit d’évaluer la place qu’y occupe la littérature, la part des sources littéraires dans la production des films, qu’ils soient d’auteur ou pas.

Les relations difficiles qu’ont eues longtemps les deux formes d’expression ont engendré des préjugés : l’adaptation ne peut être que trahison, le cinéma ne peut rivaliser avec la littérature que s’il se hausse au-dessus du récit..., on n’attend pas cette entrée. Elle est pourtant essentielle, pour ne pas dire cruciale : comment ont pu se concilier, voire se marier, l’écrit et l’image dans des sociétés où l’oralité l’a depuis longtemps emporté sur le récit littéraire ?

La question s’est posée très tôt en égypte, le seul pays arabe où il y ait eu, dès les années 30, des studios étant nés, une production significative de films. Il n’y a eu ailleurs, avant les indépendances que des pionniers isolés, pas d’industrie. Or il y a une corrélation : le cinéma égyptien n’est pas seulement le plus ancien et de très loin le plus important du monde arabe, c’est sans conteste celui qui a produit le plus grand nombre d’adaptations d’œuvres littéraires. Surtout dans les années 40, 50 et 60. Les œuvres de la littérature occidentale ont certes précédé celles de la littérature arabe. C’est un reflet de la culture des cinéastes et des scénaristes. Mais destinées au public presque exclusivement populaire du cinéma égyptien, et de tous les pays où il s’exportait, ces adaptations ont toutes été des transpositions dans la géographie et la culture du pays. Un tel phénomène, dont on n’a pas l’équivalent, mérite examen. Au moment où beaucoup de pays ne disposaient pas encore d’un cinéma national, le cinéma égyptien était perçu par les publics de ces régions comme tout simplement le cinéma arabe. De Kamel Salim à Salah Abou Seif, cette industrie du film amenait jusqu’aux lointaines contrées arabophones un message culturel identitaire fort, dans lequel les sources littéraires offraient une dimension supplémentaire.

L’adaptation, très libre parfois - peu importe - a représenté la meilleure manière de rendre la littérature accessible aux masses arabes. Mais il ne s’est pas seulement agi de vulgarisation. La littérature nationale a très vite en outre pris le relais. De Tawfik Al Hakim à Youssef Idriss tous les grands écrivains égyptiens ont été adaptés. Les cinéastes égyptiens n’ont pas attendu que Naguib Mahfouz se voie décerner le prix Nobel de littérature (il est, à ce jour, le seul écrivain arabe à l’avoir obtenu) pour adapter ses romans. La relation a été subtile et complexe : l’auteur de L’impassedesdeuxpalais (1957) est aussi celui des écrivains égyptiens qui a le plus collaboré avec les cinéastes. On peut même dire qu’il est pour quelque chose dans la marche du cinéma égyptien vers le réalisme.

Au Liban, en Syrie, en Irak ou en Palestine, l’adaptation a aussi représenté la meilleure manière de rendre la littérature accessible aux publics arabes. Mais il y a eu aussi conjonction entre adaptation d’œuvres d’écrivains contemporains et réflexion sur l’histoire présente. Que l’on songe aux Dupes (AlMakhdououn, Tewfik Saleh, Égypte/Syrie, 1969, d’après Deshommessouslesoleil, RijalfiShams, de Ghassan Kanafani, Palestine, 1963). Le patrimoine n’a pas été oublié pour autant. Pour ne prendre que cet exemple, un cinéaste palestinien, Youssef Susan, a réalisé en 2011 Habibi, basé sur l’antique parabole soufie du 7è siècle, MajnounLayla.

Au Maghreb, c’est en Algérie que l’on trouve le plus grand nombre d’œuvres littéraires portées à l’écran, mais aussi d’auteurs attirés par l’écriture de scénarios. On y compte près de 90 films ayant une relation avec la littérature, que ce soit à travers des adaptations ou des participations d’écrivains à l’élaboration de scripts, parfois même, comme ce fut le cas d’Assia Djebar, par le passage à la réalisation. Les relations ont peut-être été plus ténues en Tunisie et au Maroc. Mais pas moins riches. C’est le cas de LaNoce, (collectif, Tunisie, 1978, d’après Lanocechezlespetitsbourgeois de Bertold Brecht créée en 1926), de Nocesdesang (Souheil Ben Barka, Maroc, 1978, d’après la pièce éponyme de Federico Garcia Lorca, 1932) dont la matière a été transférée en pays berbère, dans l’Atlas : une véritable appropriation.

On trouvera dans cet ouvrage des textes de synthèse sur les adaptations produites dans ces différents pays. Il y est fait la part des différentes littératures ; on y distingue les adaptations de la littérature arabe classique, de la littérature arabe moderne, de la littérature occidentale, des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, mais aussi de contes et légendes, y compris pour le Maroc et l’Algérie celles issues de langues locales comme le Berbère. La question frise parfois la traduction. Ainsi pour La Colline oubliée écrit en langue française, filmé par Abderrahmane Bouguermouh en pays berbère avec des dialogues entièrement en berbère. Cet exemple n’est pas isolé au Maghreb.

L’ouvrage ne peut être, vu l’abondance de la matière, qu’exploratoire. Le sujet appelle d’autres études et analyses sur le rapport privilégié de certains cinéastes avec la littérature, les relations entre les genres littéraires et les genres cinématographiques : drame, mélodrame, comédie…

Nous aimerions remercier ici, outre nos éditeurs, tous les collègues qui nous ont apporté à partir des pays arabes dont les productions sont abordées dans cet ouvrage collectif, leur éclairage, leur savoir et leur vécu exceptionnel.

De l’écrit à l’écran, d’un pays à l’autre

Algérie

Les adaptations d’œuvres littéraires dans le cinéma algérien : une histoire si riche, mais pourtant inachevée...

Ahmed Bedjaoui

Au cours de la période coloniale, et jusqu’en 1962, le cinéma français a produit près d’une centaine de films sur l’Algérie. En analysant cette production, on se rend vite compte qu’il s’agit surtout de films initiés en France et réalisés par des cinéastes de la métropole, comme il était convenu d’appeler alors la France. En comparaison, les Européens natifs d’Algérie sont quasiment absents de la production cinématographique de l’ère coloniale. Comme si l’Algérie n’était qu’un territoire de chasse pour le cinéma français. La plupart des films étaient d’ailleurs majoritairement tournés en France, dans des décors reconstitués, complétées par quelques scènes de raccord en Algérie. Ainsi la Casbah de PépéleMoko, réalisé par Julien Duvivier en 1937, a été recréée dans les studios de Pathé Cinéma.

Le cinéma français a rarement fait appel à la littérature pour écrire des adaptations filmiques sur l’Algérie. Outre le fameux PépéleMoko d’après le roman éponyme d’Henri La Barthe (alias Ashelbé) qu’on vient d’évoquer, on peut citer L’Atlantide de Pierre Benoit, réalisé par Jacques Feyder en 1921, deux adaptations (1914 et 1949) pour LeRomand’unSpahi de Pierre Loti, ou encore L’Escadronblanc, film français réalisé par René Chanas, sorti en 1949, adapté du roman éponyme de Joseph Peyré. Il est vrai que la riche production littéraire due à des auteurs nés en Algérie tels Emmanuel Roblès, Jean Roy, Jean Sénac ou Jean Pélégri était plutôt hostile au système colonial tel qu’il fonctionnait, même si l’œuvre de leur contemporain, Albert Camus reste controversée à cet égard. Nous verrons plus loin qu’il a fallu attendre l’indépendance de l’Algérie pour que les œuvres de ces auteurs soient portées à l’écran. Sauf pour Jean Pélégri qui fut le seul à être adapté avant 1962. En effet, lorsque dans la veine des négociations d’évian, Georges Derocles de la société algérienne de production Studio Africa, décida de transposer à l’écran LesOliviersdelajustice de Jean Pelégri paru en 1959, il ne trouva aucun « pied-noir » pour réaliser le projet. Selon Derocles (cité par Sébastien Denis), c’est Charles de Gaulle lui-même qui aurait demandé la réalisation du film et favorisé sa production par le biais du ministère de la Culture. Le producteur fera alors appel à un américain, James Blue qui avait vécu un temps à Alger pour filmer ce récit émouvant d’un pied-noir revenant à Alger en 1961 voir son père mourant. Dans le scénario qu’il a co-écrit, Jean Pélégri – il s’est toujours affirmé comme un « Algérien de cœur » - livre un poignant plaidoyer pour une coexistence des communautés européenne et indigène (regroupant Musulmans et Juifs) dans une Algérie indépendante. Le film a été présenté en 1962 au festival de Cannes, au moment où la France rapatriait la grande majorité des ressortissants d’origine européenne et que l’Algérie entrait déjà dans des crises de pouvoir. Les locaux de la société de production ont même été plastiqués par l’OAS. Venu un peu tard, cet appel pour une Algérie multicommunautaire et multiconfessionnelle a été mal accueilli de part et d’autre de la Méditerranée. Considéré en Algérie comme de la guimauve, le film a longtemps été oublié en France.

Dès 1957, l’Algérie combattante avait entrepris la réalisation de films pour soutenir sa lutte pour l’autonomie, faisant souvent appel à des cinéastes, non seulement sympathisants de sa cause, mais aussi engagés à ses côtés.

On pourrait établir la première relation entre la littérature et le cinéma à travers le film de Yann et Olga le Masson J’aihuitans, réalisé avec l’aide de Jacques Charby sur les dessins des enfants que traitait Frantz Fanon. Il faut rappeler ici que la production des films de combat relevait d’une cellule cinéma au sein de laquelle les scénarios et les commentaires étaient écrits par des auteurs, journalistes ou intellectuels comme Serge Michel, Mahieddine Moussaoui, ou Pierre Chaulet. C’est souvent cette cellule qui coordonnait les travaux de montage, réglant au plus près, les détails des commentaires. On peut donc dire que les films étaient le fruit d’une écriture collective.

En réaction aux premiers films produits par le FLN à Tunis, la télévision française ouvrait le 24 décembre 1956 une station à Alger sous le nom de France V. Et ce sont surtout des réalisateurs musulmans qui allaient transposer à l’antenne des œuvres du répertoire classique français. Parmi eux, Sid Ali Djenaoui – qui connut par la suite une tragique destinée - adapta en 1958 des pièces de théâtre, L’Affairedespoisons de Victorien Sardou ou encoreFeuMonsieurdeMarcy, d’après une comédie en 2 actes de Max Régnier et Raymond Vincy. Il réalisera aussi un Polyeucte de Corneille.

De son côté, Mustapha Badie adaptait en arabe dialectal pour la Télévision française, un conte des Milleetunenuits, L’amourd’unefée. C’est d’ailleurs ce dernier qui, historiquement, réalisa en 1963 la première adaptation d’une œuvre littéraire algérienne avec NosMères, tirée de la pièceLesEnfantsdelaCasbah, écrite pendant la guerre par Abdelhalim (connu aussi comme Boualem) Raïs pour la troupe du FLN à Tunis. Vingt ans plus tard, Hadj Rahim réalisera un remake de cette pièce en reprenant son titre original LesEnfantsdelaCasbah (1984).

Trois ans à peine après l’indépendance de l’Algérie, Mark Robson produit et réalise un film franco-américain adapté du roman de Jean Lartéguy, LesCenturions. Le film est ouvertement à la gloire du colonel Marcel Bigeard et des officiers français qui, humiliés à Diên Biên Phu, ont voulu redorer leur blason en Algérie. À la tête d’un régiment de parachutistes coloniaux, le lieutenant-colonel Pierre Raspeguy incarne à travers Anthony Quinn, le colonel Bigeard. Ce dernier est chargé de retrouver un chef de la résistance algérienne, un ancien officier qui a servi sous ses ordres durant la bataille de Diên Biên Phu. Réalisé selon des standards américains, LesCenturions s’appuie sur un récit et une idéologie française impériale décrite par Jean Lartéguy dans son ouvrage, mais également dans le scénario que l’auteur a cosigné avec Nelson Gidding. Le film a bénéficié d’une distribution exceptionnelle avec notamment Alain Delon, Georges Segal (dans le rôle de Larbi Ben M’hidi), Claudia Cardinale (dans le rôle d’une poseuse de bombe), Maurice Ronet (dans le rôle d’Aussaresses), Michèle Morgan etc. Mais pas un seul acteur algérien ou arabe ! Anthony Quinn est allé même, jusqu’à dédicacer une photo du film à Bigeard en inscrivant ces mots : « Vous l’avez vécu, je l’ai simplement joué » !

Malgré la glorification évidente de l’action coloniale qui traverse ce film, il va longtemps rester le seul à montrer des images de la vraie guerre d’Algérie.

En Europe, la fin des années soixante a été fortement marquée par le cinéma d’auteur, souvent synonyme d’écriture exclusive des scénarios et des dialogues par le réalisateur. Cela n’a pas empêché le jeune cinéma algérien émergeant de se tourner vers des œuvres ou des auteurs pour élaborer des traitements filmiques. En 1965, l’Algérie s’apprêtait à recevoir le sommet des pays afro-asiatiques. Pour commémorer cet événement, le centre du cinéma algérien, dirigé par Mahieddine Moussaoui, avait commandé au jeune cinéaste Ahmed Rachedi, un long métrage documentaire destiné à raconter en archives les luttes des peuples d’Afrique et d’Asie pour leur émancipation politique. Le titre du projet (L’Aubedesdamnés) fait ouvertement référence à Frantz Fanon et à son ouvrage LesDamnésdelaterre. Placé dans l’esprit de Fanon, le scénario avait été initialement écrit par René Vautier. Il devait marier des scènes tournées dans l’Algérie nouvellement indépendante et des éléments d’archives filmées. Ahmed Rachedi explique dans une interview qu’il a fallu visionner près de 200 000 mètres d’archives. Le tournage traîna en longueur, d’autant qu’à la veille de la tenue du sommet afro-asiatique prévu, un coup d’état militaire renversait le président élu Ahmed Ben Bella. Ce dernier disposait d’une aura particulière dans le mouvement des non-alignés et il a donc fallu remanier le scénario pour l’éloigner de tout culte de la personnalité. Mouloud Mammeri, écrivain et anthropologue reconnu, fut chargé de l’écriture du commentaire. Le résultat fut un texte magnifique, appuyant une marche inexorable vers la liberté et les rêves de justice pour le futur.

Un autre jeune cinéaste, connu pour être l’ami des écrivains, avait fait appel à Malek Haddad pour l’écriture de deux courts métrages de fiction. Réalisé en 1965, CommeuneÂme, est un moyen-métrage tourné en berbère. Il est immédiatement rejeté par le Ministère de l’information qui exige une copie en arabe. Abderrahmane Bouguermouh sera exclu du Centre du cinéma (CNC) et ne sera réintégré qu’en 1967 lors de la création de l’Office du cinéma (ONCIC) après la dissolution du CNC. Il assistera le directeur de l’ONCIC, Ahmed Rachedi pour la préparation et la réalisation de L’Opiumetlebâton, adapté de l’œuvre de Mouloud Mammeri dont Bouguermouh était très proche. En 1968, il réalise le premier film jamais produit sur les événements de mai 1945 qu’il a vécus aux côtés de son autre ami Kateb Yacine. Commeuneâme et Mai45ont mystérieusement disparu depuis.

En 1968, Abderrahmane Bouguermouh s’appuie à nouveau sur un texte de Malek Haddad pour réaliser un des plus beaux volets du film collectif L’Enferàdixans, intitulé LaGrive. Ce moyen métrage reprend la légende grecque de Marathon pour apporter un témoignage. Cet enfant est chargé de livrer un message aux maquisards du FLN dans les montagnes de Kabylie.

Trente ans après, en 1997, Abderrahmane Bouguermouh signera le premier long-métrage entièrement parlé en langue berbère avec LaCollineoubliée de Mouloud Mammeri. Écrit en 1968 en langue berbère, le scénario est rejeté par la commission de lecture de l’époque. Ce n’est qu’au début des années 1990 qu’on peut voir aboutir le projet. Le film bénéficiera d’une aide publique algérienne. Le film raconte l’histoire de Tasga, un village isolé, niché sur les contreforts du Djurdjura, au temps de la seconde guerre mondiale. Chronique de la jeunesse kabyle à une époque où chacun tente de poursuivre ses rêves, ses amours, son avenir, de faire face à la misère ou à la mort trop présente.

Au cours des années soixante, le cinéma algérien s’est beaucoup ouvert à la coproduction, pour deux raisons majeures : porter aussi loin que possible dans le monde l’image de la révolution algérienne et former des techniciens au contact d’équipes européennes chevronnées. La plupart de ces coproductions ont utilisé des sources littéraires pour les adapter à l’écran. C’est le cas de LaBatailled’Alger de Gillo Pontecorvo, dont on oublie souvent qu’il est transposé du livre éponyme de Yacef Saadi, l’un des protagonistes importants de cet épisode de la guérilla urbaine qui s’est manifestée dans plusieurs villes d’Algérie.

Selon l’ancien président du GPRA, Benyoucef Benkhedda, « l’expression ‘Bataille d’Alger’ est une invention des chefs ‘paras’ qui se sont vantés de l’avoir remportée haut la main ». Et pour confirmer l’ironie du sourire de Ben M’hidi, le 11 décembre 1960, le peuple d’Alger (et le lendemain dans la plupart des grandes villes du pays) sortait massivement dans les rues pour exprimer son soutien au FLN et pour dire non à toute solution autre que l’indépendance totale.

Pour les dirigeants de la Révolution, l’objectif prioritaire était d’aboutir à l’internationalisation du conflit. Benkhedda évoque cet impératif dans l’un de ses ouvrages. « Il fallait internationaliser l’affaire algérienne de manière à amener les autres nations à s’y immiscer et à forcer la France à faire droit aux revendications du FLN ». La phrase de Benkhedda montre à fortiori, qu’en dépit de la concession faite à travers le titre par les producteurs et auteurs à des motifs commerciaux, le film achevé répond parfaitement à cet objectif, puisqu’il est celui qui a le plus contribué à propager une image exemplaire de la lutte armée pour l’indépendance de l’Algérie. En ce sens, LaBatailled’Alger se présente comme un hommage à la lutte du peuple algérien, mais aussi comme une émouvante évocation du rôle des femmes dans cette épopée. Œuvre remarquable d’où surgissent avec éclat les femmes troquant leur voile blanc contre la liberté. La personnalité de son auteur et coproducteur, Yacef Saadi, a sans doute joué un rôle important, puisqu’il a été le responsable politique de ces femmes. Le scénario a été écrit par l’un des meilleurs scénaristes de sa génération, Franco Solinas. Ce dernier avait signé des films pour les plus grands noms du cinéma italien, mais aussi pour Nicholas Ray, Joseph Losey ou Costa Gavras. Solinas a sans doute eu parfois à arbitrer entre Pontecorvo et Yacef Saadi qui ont tous deux essayé d’imprimer leur empreinte personnelle sur le film. Pour pouvoir accéder à des lieux presque exclusivement fréquentés par des pieds-noirs, il fallait recruter des jeunes militantes ayant le type européen. Yacef Saadi avait ainsi choisi les Djamila, Hassiba, Zohra, Baya etc. Pourtant, Pontecorvo a retenu dans son casting des actrices de type méditerranéen pour bien donner au film une identité italienne et l’insérer dans la vague terminale du néoréalisme.

Une autre explication pourrait être avancée. Le scénario crée un lien de cause à effet entre l’attentat de la rue de Thèbes - perpétré par des réseaux extrémistes de pieds-noirs - et la décision d’envoyer des femmes poser des bombes en quartier européen. Après l’attentat, on voit des femmes voilées pleurant leurs morts. Puis Pontecorvo insère un plan dans lequel Ali la Pointe manifeste sa colère au milieu d’un groupe d’hommes et de femmes voilées dénonçant les assassins. Cet appel à la vengeance se traduit par l’arrivée de Hassiba qui enlève son haïk et commence à s’habiller en européenne (elle est en réalité vêtue comme une femme moderne émancipée). Un travelling arrière montre que c’est le miroir qui reflète la vraie image de la nouvelle Hassiba qui est prête pour accomplir son devoir de patriote. En choisissant des actrices plus typées méditerranéennes que les réelles protagonistes, Pontecorvo a sans doute voulu signifier qu’il parlait de toutes les femmes d’Algérie. La présence des femmes dans cette scène charnière traduit un discours des auteurs du film suggérant que la révolution s’intensifait grâce à l’engagement des femmes et des enfants dans la lutte.

La scène de Hassiba se préparant face au miroir, rappelle la réflexion de Frantz Fanon dans L’Algériesedévoile : « C’est le Blanc qui crée le nègre. Mais c’est le nègre qui crée la négritude. A l’offensive colonialiste autour du voile, le colonisé oppose le culte du voile.» De son côté, Assia Djebar aborde cette question de la femme combattante dévoilée dans son livre Femmesd’Algerdansleurappartement. « Le corps dévoilé semble s’échapper, se dissoudre. Elle a l’impression d’être mal habillée, d’être nue ».

Après avoir remporté le Lion d’or au festival de Venise, LaBatailled’Alger a été victime pendant de longues années d’une censure larvée, avant de connaître enfin une sortie en 1974.

Peu de temps après LaBatailled’Alger, pour laquelle elle avait été créée, la société algérienne Casbah films contacte un autre monstre sacré italien pour réaliser une adaptation du fameux roman d’Albert Camus, L’Étranger. A l’époque, la personnalité et l’engagement connu de Visconti avaient permis l’adoption du projet en attendant le résultat final. On le savait, l’ouvrage avait suscité des critiques acerbes de la part d’anciens compagnons de route de Camus. Kateb Yacine, qui a collaboré comme lui au journal communiste Alger Républicain, a été le premier à dénoncer l’exclusion de l’être algérien dans le roman de Camus. Dans DéjàleSangdemaiensemençaitnovembre René Vautier se livre à une critique comparée de Camus et de Faulkner et de la place qu’occupent les arabes et les « nègres » dans leurs œuvres respectives. Évoquant dans un court-métrage la vision de l’Algérie par Camus, Jean Pélégri explique de son côté que celui-ci n’a «connu que l’endroit» et non l’envers de Tipasa et de l’Algérie. Et il conclut ainsi : «ce n’est qu’une littérature du littoral». Cette dernière expression de Pélégri n’est pas anodine car les auteurs algériens de diverses communautés reprochaient à Camus d’avoir préconisé une solution de deux pays, avec le littoral comme patrie des pieds-noirs. Truffaut pour sa part, trouve L’Étranger«inférieur à n’importe lequel des 200 romans que Simenon a écrits».

Pressentant sans doute la difficulté artistique, mais surtout politique de la transposition de son roman à l’écran, Albert Camus s’y était fermement opposé de son vivant. L’écriture du scénario avait commencé peu après sa mort. Elle a été laborieuse en raison des exigences de la veuve de l’auteur, Francine Camus, qui avait exigé une fidélité absolue au roman. Mécontente du traitement initial fait par Georges Conchon, elle fit appel à Emmanuel Roblès pour superviser le travail d’adaptation. Dans une interview accordée à Laurence Schifano (Unevieexposée, Gallimard, 2009), Visconti déclare : « Mon adaptation était très différente du film finalement réalisé, et du roman de Camus. Il y avait là les échos de L’Étranger, des échos qui arrivaient jusqu’à l’OAS, jusqu’à la guerre d’Algérie. C’était vraiment ce que signifie le roman de Camus, qui prévoyait ce qui est arrivé ». Et devant l’opposition de la veuve de Camus, il conclut en ces termes : « Je n’ai pris aucune liberté avec l’œuvre de Camus sauf quelques coupures nécessaires dans la transposition de l’écriture à l’image et du style indirect au style direct ».

De son côté, Yacef Saadi avait demandé à Serge Michel et à Jean Sénac d’assister l’équipe de rédaction du script, mais leur nom n’est pas mentionné au générique final du film. C’est également le cas de Moussa Haddad qui fut l’un des assistants du réalisateur. Finalement, le scénario a été signé conjointement par Luchino Visconti, Georges Conchon, Suso Cecchi D’Amico et Emmanuel Roblès. C’est Marcello Mastroianni qui interprète le rôle de Meursault aux côtés d’Anna Karina, Bernard Blier, Georges Wilson et Bruno Crémer.

Le film suit de près le roman. Dans la distribution, les Européens ont des patronymes, les Algériens – filmés en prison quelques années à peine après l’indépendance de leur pays, sont dénommés « Un Arabe », niant ainsi leur droit à l’Algérianité. On retrouve plus tard dans UnThéauSaharade Bernardo Bertolucci (tiré du roman de Paul Bowles), la même vision aliénée du passé colonial européen auquel ces auteurs s’identifient malgré eux. Échec à la fois commercial et artistique confirmé par une tentative de reprise en 2010 du film restauré. Beaucoup d’admirateurs de Visconti pensent que L’Étrangerdemeure le plus mauvais film du maître italien.

Ce n’est qu’en 2012 que l’œuvre et la personnalité d’Albert Camus reviennent au devant de l’écran avec une adaptation, par le cinéaste italien Gianni Amelio, de son dernier roman inachevé LePremierHomme. Camus avait pensé ce livre comme la première partie d’une trilogie qu’il avait en tête lorsqu’il fut victime d’un accident de la route en 1960. A la recherche de son père, il met en parallèle l’écrivain (Jacques Cormery dans le livre) adulte et l’enfant Camus, fils d’une famille pied-noir pauvre. Adulte, il est rejeté par sa communauté qui le considère comme un traître et par les nationalistes algériens pour qui il n’est pas allé assez loin. Découvert tardivement, ce livre n’a été édité qu’en 1994 et donne des éléments intéressants sur une période de la fin de la vie de l’auteur, au plus fort de la guerre d’Algérie. Il contribue en tout cas à nuancer l’image de son auteur. Gianni Amelio en a fait le film le plus sensible et le plus vrai de tous ceux qui ont été consacrés à Albert Camus et à l’Algérie.

Deux ans plus tard, cette image plus nuancée de Camus revient à l’écran grâce à Loindeshommes, le très beau film que David Oelhoffen a tiré d’une nouvelle écrite par le prix Nobel de littérature sous le titre L’Hôte. Cette nouvelle faisait partie du recueil L’ExiletleRoyaume, paru en 1957. Nous sommes en 1954. La situation est explosive et la guerre de libération vient d’éclater dans le pays. Au cœur d’un hiver particulièrement rude, deux hommes sont en fuite à travers les crêtes de l’Atlas algérien. Détesté par les colons, Daru est un instituteur d’origine espagnole qui parle l’Arabe et enseigne le Français à des enfants algériens dans un village isolé. Un gendarme l’oblige à escorter Mohamed, un villageois dissident qui doit être jugé pour une accusation de meurtre. Ils se révoltent ensemble contre l’absurdité de la violence d’où qu’elle vienne.

En 1967, Mohammed Lakhdar-Hamina (qui avait reçu le prix de la première œuvre à Cannes pour LeVentdesAurès) adapte pour son deuxième long-métrage HassenTerro, une pièce à succès d’Ahmed Ayad (plus connu sous le nom de Rouiched), qui assume scénario et rôle principal. La pièce et le film racontent les pérégrinations d’un héros malgré lui qui est pris, sans le savoir ni le vouloir, par les militaires français pour un terroriste (d’où le surnom de Terro). Gros succès public pour cette fidèle, mais habile adaptation qui casse un tabou sur l’action héroïque et sur la peur, présentée comme un trait propre à tout être humain. Rouiched a construit son personnage de Hassen Terro autour d'un artiste de la télévision pendant la guerre de libération et plus précisément au début de 1957 pendant la grève des huit jours, à partir de l’histoire vraie d’Ahmed Bouzrina, un héros de la ‘Bataille’ d’Alger. Un militant du FLN demande à Hassan d’héberger une personne qu’il connaît comme étant un fidaï important. Notre homme est plutôt peureux. Un jour, le terroriste est poursuivi jusque chez lui. Ce qui provoque l'arrestation suivie de l'interrogatoire d'Hassen par les moyens « habituels ». Il sait qu’il doit tenir vingt-quatre heures. Il lance les policiers sur une fausse piste, leur fait fouiller toute la ville et à l’issue des 24 heures, on découvre Hassan mort dans sa cellule, à la suite des tortures qu’il avait subies. Hassan est devenu le symbole de l’antihéros, du citoyen algérien lambda qui comprend que « lui aussi aurait pu le faire ».

Le film et la pièce originale connaissent un tel succès que le personnage Hassen est revenu dans plusieurs autres remakes au cinéma avec HassenTerros’évade, de Mustapha Badie (1970), HassenNya de Ghaouti Bendeddouche (1982), HassenTaxi de Mohamed Slim Riad (1982) et à la télévision avec HassenTerroaumaquis, de Moussa Haddad (1978).

En 1968, Costa Gavras, soutenu par Jacques Perrin, ne trouve pas de lieu ni d’appui pour adapter Z, un roman que Vassili Vassilikos a écrit à la suite de l’assassinat de Grigóris Lambrákis, pour dénoncer la prise de pouvoir par les colonels grecs à Athènes. L’Office national du cinéma algérien entre en coproduction active dans le projet et c’est même au nom de l’Algérie que le film recevra en 1970, l’Oscar du meilleur film en langue étrangère et le Golden Globe du meilleur film étranger.

L’écrivain espagnol Jorge Semprun a signé l’adaptation du roman. Tourné dans la ferveur des luttes estudiantines de mai 1968, Z demeure à ce jour un symbole de la capacité qu’a une bonne adaptation filmique de dénoncer les atteintes à la démocratie.

Coproducteur de Z et directeur à l’époque de l’Office algérien du cinéma, Ahmed Rachedi adapte pour son premier long-métrage de fiction le roman éponyme de Mouloud Mammeri L’Opiumetlebâton -tourné à partir de 1969 et sorti en 1971- en conservant dans sa transposition, la trame générale de cette œuvre majeure dans la littérature algérienne.

Film de guerre à grand spectacle, L’Opiumetlebâton relate le destin du docteur Bachir Lazrak, qui est à la fois l’auteur et le témoin de l’histoire tragique de Tala, le village où il a grandi. Il décide de quitter Alger pour rejoindre la wilaya III afin d’en renforcer les services sanitaires. A Tala, les choses ont bien changé. La famille est divisée entre son jeune frère Ali qui s’est engagé dans les rangs de l’ALN et l’aîné Bélaïd qui est un collaborateur des Français. Ces derniers essaient de retourner la population contre le FLN. Mais les habitants de Tala et de ses alentours rallient en masse les insurgés. Réunis sur la place du village, ils assistent au martyr de leur héros Ali puis à la destruction de leurs maisons et de leurs champs.

Le film a connu le plus gros succès commercial depuis l’indépendance avec près de deux millions d’entrées en Algérie, ce qui laisse pensif aujourd’hui, face au démantèlement des circuits des salles de cinéma. L’Opiumetlebâton reste un exemple du style spectaculaire et de la manière de représenter à l’écran la guerre de libération. Aux côtés des plus grandes stars algériennes de l’époque, on trouve Jean-Louis Trintignant en prisonnier français très convaincant, Jean-Claude Bercq et Marie-José Nat.

Interrogé sur la question de la transposition de son livre à l’écran, l’écrivain Mouloud Mammeri a déclaré : « En conclusion, je peux dire qu’après avoir visionné le film, j’ai eu une remarque amicale pour Rachedi : ‘tu as fait un western’».

Après L’Opiumetlebâton, le cinéma algérien se tourne vers une nouvelle série de coproductions. C’est le roman de Claire Etcherelli Éliseoulavraievie qui sera le premier porté à l’écran, en ce début des années 70, par Michel Drach qui a aussi co-écrit le scénario avec Claude Lanzmann. Les deux rôles principaux sont confiés à Marie-José Nat (déjà présente dans L’Opiumetlebâton) et à Mohamed Chouikh qui s’était illustré dans LeVentdesAurès de Mohammed Lakhdar-Hamina.

Éliseoulavraievie est l’un des rares films français qui décrit explicitement, moins de dix ans après la fin de la guerre, les combats de la fédération de France du FLN. En pleine guerre d’Algérie, Élise, une jeune femme bordelaise arrive à Paris pour travailler en usine. Elle découvre l’âpreté du travail à la chaîne et se lie d’amitié avec des immigrés algériens. Elle tombe amoureuse de l’un d’entre eux, Arezki, militant du FLN et entre dans la lutte clandestine. Son compagnon est arrêté lors d’une rafle.

Le film a pu être réalisé grâce à l’Office national du cinéma algérien qui a accepté de coproduire le film, soutenant ainsi Michel Drach et son épouse Marie-José. Les distributeurs français, tiédis par l’approche anticoloniale du film, avaient refusé de s’y associer. Voici ce que Guillemette Odicino écrivait dans Télérama lors de la reprise du film en salles en mai 2010 :« On comprend pourquoi le film de Michel Drach fit scandale à sa sortie, il y a quarante ans, alors que la guerre d’Algérie restait un sujet tabou en France. Le courage de son engagement, sa mise en scène simple et directe ont, encore aujourd’hui, la force d’un uppercut... Ratonnades, rafles, perquisitions humiliantes (comme dans la scène si forte où la police force Arezki à se déshabiller devant Élise), autant d’exactions de sinistre mémoire que Drach condamne d’autant mieux à travers le regard de plus en plus horrifié de la jeune femme. Le racisme est partout, au comptoir des bistrots comme à l’usine, et les mots « bicots » et « ratons » forment un bruit de fond aussi détestable que le bruit des machines de montage. En madone ouvrière confrontée à l’inadmissible, Marie-José Nat est bouleversante. Ce drame d’amour politique fait encore mal aujourd’hui. »

La même année, le directeur des Actualités algériennes, Mohammed Lakhdar-Hamina décide de produire LesRempartsd’argile d’après le livre Chebika de Jean Duvignaud, basé sur une étude anthropologique d’un village tunisien. C’est Jean-Louis Bertucelli qui réalisera ce curieux film de fiction.

LesRempartsd’argile raconte l’histoire de Rima, jeune fille orpheline, pleine de curiosité, dont la famille adoptive vit dans un village isolé aux confins du désert. Les hommes travaillent comme casseurs de pierres et lorsque le contremaître refuse de les payer correctement, ils se mettent en grève. L’armée est alors appelée à intervenir…

Le film a bénéficié de moyens considérables avec Andreas Winding à l’image, Jean-Louis Trintignant et Leila Chenna dans les rôles principaux. Le film a remporté le prix Jean Vigo en 1971, avant de tomber dans l’oubli.

Toujours en 1970, l’Office du cinéma algérien entre en coproduction avec Christine Gouze-Rénal pour LesAveuxlesplusdoux réalisé par Edouard Molinaro à partir d’un roman de Georges Arnaud. Rendu célèbre par Lesalairedelapeur, Georges Arnaud avait milité au sein de la résistance algérienne et avait même été le conseiller du directeur de la télévision algérienne. Est-ce la seule raison qui a poussé les responsables algériens du cinéma à investir dans ce « polar » dans lequel on voit l’inspecteur Borelli (Roger Hanin) et l’inspecteur principal Muller (Philippe Noiret) utiliser des pressions un peu musclées pour faire avouer un cambrioleur ?

Cette année-là l’ONCIC coproduit également L’Âned’or de Sergio Spina d’après l’œuvre d’Apulée de Madaure. Apulée écrit ce premier roman en prose de langue latine au IIème siècle. Il était romain – comme l’indique son nom Lucius Apuleius - mais d’origine berbère, natif de la région de Numidie qui est aujourd’hui l’Algérie. Apulée (Afulay en berbère) est né vers 123 de notre ère à Madaure, actuelle M’daourouch au nord-est de l’Algérie.

Il a sans doute écrit le premier roman moderne de l’histoire littéraire avec OnzelivresdeMétamorphoses (qui rappelle à juste titre Ovide), plus connu sous le titre accrocheur de L’Âned’or (Asinusaureus). Sergio Spina fut pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie un militant de la cause algérienne. C’est ainsi qu’il facilita les contacts avec le cinéma et les laboratoires italiens pour la post-production des films du GPRA. Basé sur le mythe de Psyché et Éros, le roman d’Apulée raconte comment Lucius a été transformé par accident en âne par sa maîtresse Photis. L’œuvre fortement influencée par Platon a donné lieu à diverses interprétations depuis sa parution. La légende y a vu surtout l’aspect érotique alors qu’il semble qu’Apulée ait voulu décrire un voyage spirituel au sein de la magie qu’il dénonce à sa manière. Dans son interprétation, Sergio Spina a sacrifié aux deux visions en essayant tant bien que mal de les concilier.

L’Âned’or a en quelque sorte clôturé cette longue liste de films coproduits par l’Algérie, à partir d’œuvres littéraires. Malgré tous les efforts déployés pour s’ouvrir des marchés ou des partenariats, les producteurs européens ne sont jamais venus soutenir des projets algériens, du moins jusqu’à la fin des années 80. Décembre de Mohammed Lakhdar-Hamina - dont le scénario fut écrit par le romancier Georges Arnaud, n’a pas trouvé de producteur français, malgré un sujet plutôt franco-français, une équipe majoritairement étrangère et une pléiade d’acteurs français.

Rappelons ici l’apport d’un poète et penseur algérien, le fameux Himoud Brahimi (dit Momo) à une œuvre devenue mythique dans l’histoire du cinéma algérien : TahyayaDidou (1971) de Mohamed Zinet.

La même année, Mohamed Ifticène réalise Gorine pour la Radio-télévision algérienne (RTA), sur un scénario du dramaturge Abdelkader Alloula. Ce dernier récidivera en1980 en écrivant le script de Djalti, pour le même metteur en scène et produit aussi par la RTA.

Alloula signera par ailleurs le commentaire d’un film de Belkacem Hadjadj BouzianeelKala’i, basé sur un conte populaire. Un autre film sera adapté d’une pièce de ce dramaturge : ElGhoula. Il reste le seul film réalisé en Algérie par Mustapha Kateb, par ailleurs homme de théâtre prestigieux.

L’année suivante, Mohamed-Slim Riad adapte le livre d’Ania Francos, LesPalestiniens, sous le titre Sanaoud.

En 1972, Mustapha Badie l’auteur de LaNuitapeurdusoleil, se lançait dans l’adaptation d’un des monuments de la littérature algérienne, L’IncendieouElHarik. Ce roman fait partie de la fameuse trilogie de Mohamed Dib publiée aux éditions du Seuil l’année même du déclenchement de l’insurrection armée contre l’ordre colonial. Au départ, Badie escomptait tirer du roman un film de long-métrage. Très vite, il s’est trouvé devant un dilemme. Comment en effet procéder pour raconter cette longue période qui commence la veille de la guerre mondiale jusqu’au début de la lutte pour l’indépendance ? Il a fini par opter pour une solution que seule la télévision pouvait permettre : le feuilleton au long cours, seul capable de respecter l’œuvre, sinon dans la lettre, du moins dans son esprit. Très vite, il a fallu également recourir à des éléments empruntés aux deux autres volets de la trilogie, LaGrandemaison (1952) et LeMétieràtisser (1957).

En effet, le feuilleton s’ouvre, comme dans LaGrandemaison, en 1939 dans une ville algérienne (Tlemcen). La série comporte onze épisodes d’une heure en moyenne. Elle conte la saga d’une famille vivant en milieu urbain et évoque la prise de conscience progressive et l’engagement qui ont mené à la lutte armée contre l’injustice coloniale. Autre difficulté rencontrée lors de l’écriture du scénario : la traduction du dialogue en arabe dialectal à partir du français, langue d’écriture de l’auteur. L’écrivain arabophone Abdelhamid Benhedouga (auteur en particulier deLe VentduSud) très proche des idées politiques de Mohamed Dib, travaillait à l’époque à la commission des textes de la RTA. Sans être présent dans le générique de la série, il a beaucoup apporté par ses conseils sur le type d’adaptation à faire et sur le langage à utiliser pour respecter l’esprit de Dib. Benhedouga et Badie ont très vite compris qu’il ne s’agissait pas simplement d’adapter l’œuvre de Dib, mais de la transposer et de la traduire en un arabe dialectal qui serait commun à tous les comédiens. Comment arriver à traduire celui que Jean Déjeux présente ainsi : « C’est l’écrivain de la précision dans les termes, de la retenue et de la réflexion. L’air qu’il fait entendre sur son clavecin est une musique intérieure qui parle au cœur. » Dib écrivait en effet, en français mais en pensant à des échanges dialogués en arabe tlemcénien. La truculence de la mise en scène a su transférer les murmures des mots de Dib en une langue cohérente que tout le public algérien pouvait aisément suivre. ElHarik est une série largement consacrée à l’espace intérieur, celui des femmes. C’est pourquoi le feuilleton a été tourné essentiellement en studio. Badie a immortalisé le personnage de La Aïni, en propulsant son interprète, la comédienne Chafia Boudraa, vers la notoriété internationale. Le succès du feuilleton est également dû à la gouaille de Fatma, le personnage que la jeune Biyouna campe avec un naturel alors encore inédit sur les écrans algériens. La réalisation pour la télévision du feuilleton ElHariq vaut à Badie et à la RTA un exceptionnel succès populaire. Succès d’audience et succès d’estime, sans doute le plus gros de toute l’histoire de l’audiovisuel algérien.

En 1973, l’Office du cinéma s’engage dans une coproduction avec Youssef Chahine avec LeMoineau, film écrit par l’écrivain égyptien Lotfi El Khouli.