Ludothèque n°13 : The Last Story - Julien Goyon - E-Book

Ludothèque n°13 : The Last Story E-Book

Julien Goyon

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Beschreibung

Le treizième opus d'une série unique sur les plus novateurs des jeux vidéos !

Aussi imparfait soit-il, The Last Story est un titre important. Important pour le jeu de rôle japonais, en premier lieu, puisqu’il sort dans une période où le genre peine à se renouveler. Et important, ensuite, pour son réalisateur, Hironobu Sakaguchi, car ce projet est un symbole fort de sa remise en question en tant que figure emblématique du J-RPG.

Julien Goyon retrace l’histoire du jeu The Last Story dans ce recueil unique, qui décrypte les inspirations, le contexte et le contenu de ce jeu à travers des réflexions et des analyses originales.

Découvrez un ouvrage d'analyse complet sur le jeu d'action-RPG The Last Story dans lequel Zael et ses compagnons mercenaires font face à de terribles menaces !

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Couverture

Page de titre

Avant-propos

Au moment de la fondation de Mistwalker, le studio d’Hironobu Sakaguchi cristallise un large faisceau d’attentes au sein des joueurs de jeux de rôle japonais. Ses premiers titres sont annoncés en fanfare, et ce retour à la création du père de Final Fantasy est synonyme d’enthousiasme général, d’autant plus que les autres grands noms impliqués dans ces projets trahissent l’ambition débordante de la jeune société. Peu après l’annonce de ces premiers jeux, j’ai la chance d’intégrer l’équipe de Mistwalker-Fr, un site dédié à l’actualité du studio. Cette activité occupera onze années de ma vie durant lesquelles se mêleront espoir, impatience, déception et enthousiasme.

Blue Dragon et Lost Odyssey rencontrent à leur sortie des critiques mitigées qui leur reprochent de s’appuyer sur des bases bien trop classiques. Pourtant, il serait injuste de ne pas reconnaître dans leur écriture le talent de Sakaguchi pour les intrigues simples mais riches en émotions. Lorsque mon camarade Pives, également rédacteur sur Mistwalker-Fr, a l’occasion d’échanger en 2007 avec le créateur japonais lors d’une entrevue, une erreur de traduction pousse Sakaguchi à évoquer pudiquement des souvenirs douloureux d’une période de sa vie. Une forme de sincérité et de simplicité dont sont imprégnées les histoires qu’il conte depuis plusieurs décennies.

Aussi imparfait soit-il, The Last Story est un titre important. Important pour le jeu de rôle japonais, en premier lieu, puisqu’il sort dans une période où le genre peine à se renouveler. Important, ensuite, pour son réalisateur, Hironobu Sakaguchi, car ce projet est un symbole fort de sa remise en question en tant que figure emblématique du J-RPG. Enfin, bien plus modestement, il s’agit d’un jeu important pour moi car il me permet de concrétiser l’ouvrage que vous tenez aujourd’hui entre vos mains. Ce livre constitue ainsi l’aboutissement de mes années de travail rédactionnel sur Mistwalker et sur son fondateur. J’espère que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’en ai pris à l’écrire, et qu’il saura vous rappeler les meilleurs moments passés à Lazulis.

Je dédie ce livre à mes premiers camarades de plume : Sébastien Sosa, Pierre-Yves « Pives » Stoian et surtout Fayçâl Abbes, qui fut le premier à me donner l’occasion d’écrire sur le jeu vidéo.

L’auteur : Julien Goyon

Bibliothécaire de profession et musicien en éternel apprentissage, Julien Goyon découvre le jeu vidéo avec la Master System à la fin des années 1980. Il se passionne rapidement pour ce média et sa capacité à entraîner le joueur dans des imaginaires merveilleux, notamment par le biais des jeux d’aventure et des jeux de rôle japonais. Julien sera rédacteur pendant dix ans sur Mistwalker-Fr, site dédié à l’actualité du studio Mistwalker, fondé par Hironobu Sakaguchi (Final Fantasy). En 2011, avec plusieurs de ses camarades, il fonde le site Musica Ludi, consacré à la musique de jeu vidéo. Il évolue désormais dans le milieu de la musique en tant que compositeur et sound designer. Il a écrit l’ouvrage Ludothèque 10 : Panzer Dragoon pour Third Éditions.

THE LAST

STORY

LUDOTHEQUE 13

Chapitre premier - Création

Une envie de renouveau

> Un peu de contexte

Hironobu Sakaguchi, créateur de la série Final Fantasy, fonde Mistwalker en 2004. Ce dernier se présente comme un studio de game design chargé de créer l’univers, le scénario, les mécaniques et les illustrations conceptuelles de jeux vidéo. En d’autres termes, Mistwalker intervient principalement lors de la phase de préproduction d’un jeu afin d’en concevoir l’identité artistique et ludique. La production technique des titres est quant à elle prise en charge par des studios de développement extérieurs.

Mistwalker se fait d’abord connaître grâce à un partenariat avec Microsoft, duquel naissent Blue Dragon1 en 2006 et Lost Odyssey2 en 2007, tous deux sortis sur Xbox 360. La société de Sakaguchi connaît par la suite une période difficile avec l’annulation de Cry On, un action-RPG développé par Cavia3 (studio à l’origine de la série Drakengard et du premier épisode de NieR), également prévu sur Xbox 360. Parallèlement, Mistwalker s’investit dans le développement de plusieurs jeux sur Nintendo DS : ASH : Archaic Sealed Heat4 en 2007, Blue Dragon Plus et Away : Shuffle Dungeon en 2008, et enfin Blue Dragon : Awakened Shadow en 2009. Deux ans plus tard, le studio fait son retour sur console de salon avec le titre qui nous intéresse ici : The Last Story.

Bien sûr, la carrière de Sakaguchi ne démarre pas avec Mistwalker. Le père de Final Fantasy s’est fait un nom dans l’industrie dès la fin des années 1980 grâce à sa série phare et de nombreux autres projets chez Square – société qu’il quitte en 2002 après l’échec commercial retentissant de son film Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit. Porte-étendard du jeu de rôle japonais dans l’esprit de nombreux joueurs, le nom de Sakaguchi est ainsi rattaché à une certaine forme de classicisme : celle des combats au tour par tour, des trames narratives très présentes et dirigistes (story driven pour utiliser le terme anglais) et des lieux communs propres à ce style de jeu (une troupe de rebelles en lutte contre un empire/un ennemi diabolique, de grands méchants en quête d’un pouvoir toujours plus grand, la difficulté des personnages à avouer leurs sentiments, etc.). D’ailleurs, Blue Dragon et Lost Odyssey ne viennent pas chambouler cette recette bien établie et maîtrisée, puisque ces deux titres marchent dans les pas des précédentes productions de Sakaguchi au sein de Square, tant dans leur structure que dans leurs thématiques et leurs mécaniques de combat.

Cependant, il serait faux de penser que Sakaguchi lui-même n’est pas conscient de ces récurrences, qui sont parfois perçues comme un manque d’inspiration. C’est en tout cas la conclusion amère à laquelle sont arrivés le créateur japonais et son collègue Takuya Matsumoto5, concepteur du système de jeu de The Last Story et réalisateur de Blue Dragon. Tous deux imputent les ventes décevantes de Blue Dragon sur les marchés européen et américain au manque de surprises proposées par le jeu. Conscients de ce désintérêt pour leur dernière production commune, ils réfléchissent aux différences fondamentales qui séparent les jeux japonais des jeux occidentaux, et cet échange – même s’ils ne s’en rendent pas compte à ce moment-là – devient le point de départ de The Last Story. Le hasard faisant bien les choses, il se trouve que Sakaguchi travaille à cette époque sur les bases d’un nouveau projet qui ne demande qu’à se concrétiser. Le développement du jeu est alors confié à AQ Interactive. À cette occasion, Sakaguchi décide d’endosser le rôle de réalisateur, poste qu’il n’avait pas occupé depuis Final Fantasy V en 1992.

> Nouvelle approche

Traditionnellement, le scénario et les grands thèmes de l’histoire constituent la première pierre posée par Sakaguchi lors de la conception d’un jeu. Désireux de sortir de sa zone de confort et de tirer les enseignements du manque de prises de risques sur Blue Dragon, il décide de bouleverser cette méthode et se lance corps et âme, avec Matsumoto et plusieurs programmeurs, dans la conception d’un prototype de jeu6. Durant cette période, c’est le système de combat qui fait l’objet de toute l’attention des créateurs. Ces derniers conçoivent un donjon de test aux graphismes sommaires, qui devient le théâtre de nombreux essais d’idées de gameplay. Les humains y sont modélisés sous la forme de blocs mobiles appelés « Tofu-kun » en raison de la tête carrée – qui ressemble à un cube de tofu – posée sur leur corps humanoïde. Le héros et ses alliés sont représentés en bleu tandis que les ennemis sont reconnaissables à leur couleur rouge. Le boss de la zone est même doté de lunettes rouges pour se différencier. Selon Matsumoto, cette idée de distinguer le chef de ses semblables permet au joueur de choisir sur qui concentrer les attaques du protagoniste et celles de ses troupes – un aspect conservé dans la version finale du système de combat.

Très tôt, il est également décidé que les interactions avec les autres personnages et le décor sont primordiales pour donner au joueur un sentiment de dynamisme. Concevoir une détection pointue de la collision devient dès lors une préoccupation centrale des développeurs, qui élaborent en outre des environnements dans lesquels les personnages peuvent se cacher en se plaquant contre un mur, tendre des embuscades ou même fuir de manière fluide et instinctive. La notion de level design entre alors en jeu. Selon Matsumoto, celui-ci doit permettre de raconter l’histoire écrite par Sakaguchi tout en restant cohérent avec les différents lieux visités. Par exemple, lorsqu’un donjon place un personnage spécifique au centre de son intrigue, l’agencement du lieu doit permettre au joueur de comprendre les relations qu’entretient ce personnage avec les autres, et ce grâce à diverses situations de jeu et aux dialogues qui en découlent.

Il devient donc prioritaire pour Sakaguchi de trouver les moments où intégrer les passages qui constituent l’intrigue générale. Pour ce faire, plutôt que de rédiger une histoire en flux continu dont découlent des situations de jeu, le scénario est compartimenté en plusieurs épisodes auxquels correspond à chaque fois un seul et même lieu – raison pour laquelle le titre présente clairement son découpage en chapitres (quarante-cinq en comptant l’épilogue), contrairement à la majorité des jeux écrits par Sakaguchi. Il s’avère alors nécessaire de lier toutes ces petites histoires encapsulées et rattachées à un environnement précis afin qu’elles forment un tout cohérent une fois mises bout à bout. En bon conteur qu’il est, Sakaguchi accorde également une grande importance aux anticipations de son public. Distiller la bonne dose d’informations au bon moment pour que le joueur comprenne de quoi il va être question dans les heures à venir est une règle essentielle de la narration. Rompu à l’exercice, et avec l’aide précieuse de son équipe chargée de l’intégration de l’histoire, Sakaguchi est parfois contraint de changer l’ordre des différents chapitres, voire la finalité de ceux-ci afin que l’intrigue générale se déroule d’une façon logique tout en récompensant les attentes du joueur.

La conception de ce prototype arrive enfin à son terme au bout d’un an et demi de travail. Sakaguchi estime alors que l’équivalent de deux jeux a été jeté. Et les éléments supprimés ne concernent pas uniquement la dimension ludique du jeu mais aussi son histoire…

Trouver sa voie

> Last World

Au début du développement, The Last Story s’appelle Last World7 et prend place dans un univers de science-fiction. Les apparences de plusieurs personnages principaux (Zael, Calista et Dagran) sont déjà similaires à celles du jeu final, mais l’aventure doit originellement se dérouler dans un cadre enneigé, et le joueur incarne un personnage masculin censé protéger une jeune femme aveugle pleurant des larmes de sang8.

Finalement, ce scénario est jugé trop sombre par Shinji Hatano9, producteur senior de The Last Story, qui demande à Sakaguchi d’adopter un ton plus humain et chaleureux pour coller davantage à l’image de Nintendo10. Hatano suggère également d’insuffler une approche romantique au jeu, ce qui tombe à pic pour Sakaguchi qui, dès sa première ébauche, prévoyait de conter l’histoire d’un lien tout particulier entre un homme et une femme.

Lors de la réécriture du scénario, l’environnement polaire et la science-fiction disparaissent pour être remplacés par une ville maritime dans un univers de type heroic fantasy. Un cadre qui n’est pas sans rappeler un certain Final Fantasy IX, dernier épisode de la série dans lequel Sakaguchi s’est réellement impliqué11. La filiation entre ces deux jeux va d’ailleurs plus loin, car sur une ancienne version du site de Mistwalker, Sakaguchi admet volontiers : « The Last Story est né de la volonté de proposer des mécaniques de jeux nouvelles, mais je pense qu’il ressemble beaucoup à Final Fantasy IX dans sa manière d’exposer le point de vue des personnages et leurs personnalités. » Finalement, à mesure que le projet avance, l’amitié que se portent les mercenaires qui accompagnent Zael et Calista devient plus importante que la romance que vivent les deux protagonistes susnommés, reléguant le romantisme au second plan. Nous y reviendrons plus en détail dans la partie Univers.

> L’inspiration occidentale

Très tôt dans sa carrière, Hironobu Sakaguchi puise dans des imaginaires extra-japonais pour composer l’univers de ses propres jeux. À ce titre, la fantasy médiévale a toujours occupé une place particulière chez le créateur, comme le prouvent les cinq premiers épisodes ainsi que le neuvième volet de la série Final Fantasy12. Visuellement, The Last Story se retrouve lui aussi imprégné de cette atmosphère moyenâgeuse, avec ses rues peuplées de chevaliers, ses maisons à colombages, l’architecture d’inspiration romane et l’ambiance vivante et décontractée des quartiers marchands. Grand amoureux de Paris et régulièrement en visite dans cette ville vers la fin des années 2000, Sakaguchi a certainement puisé dans les souvenirs de ses séjours dans la capitale française pour construire le cadre de l’île de Lazulis, qui n’est pas non plus sans rappeler le célèbre mont Saint-Michel, lieu très prisé des touristes japonais. De la même façon, le canal qui traverse la ville de Lazulis ainsi que le pont des Arganan renvoient à Venise et son célèbre pont du Rialto.