Madagascar - Désiré Charnay - E-Book

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Désiré Charnay

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Beschreibung

Récit de voyage d’un archéologue : vies, moeurs et paysages rencontrés.

Ce jour même, 2 août, nous descendîmes à terre et nous vîmes mademoiselle Juliette à laquelle on nous présenta. Juliette Fiche, princesse malgache et depuis peu princesse ova, est une femme de cinquante ans environ, grande et d’un embonpoint qui sied à sa taille ; sa figure est pleine, ses yeux sont vifs et spirituels, et son excellent sourire découvre des dents d’une blancheur éblouissante. Regardée comme la Providence des Français à Tamatave, son dévouement et sa charité lui ont valu de la part de l’empereur une médaille d’honneur.

Découvrez la collection Pérégrination de La Découvrance : de courts récits de voyageurs à travers le monde et le temps...

EXTRAIT

Le voyageur qui vient d’admirer en passant les beaux rivages de Maurice et de La Réunion, que dominent les roches basaltiques du Peter-Bott et les hautes cimes des Sallazes, est médiocrement ému de l’aspect de Madagascar à Tamatave.
Vue du large, la côte n’offre à l’œil qu’une plage basse de sable blanc tachetée çà et là par l’étrange végétation des vacoas. Poussée par les vents d’est, la mer se brise avec bruit sur la rive et l’on distingue à peine, à l’horizon, la ligne bleuâtre des montagnes de Tananarive.
De plus près cependant le panorama se développe avec détail ; on aperçoit les têtes des palmiers que balance la brise, les plus hautes maisons se dessinent, et bientôt apparaissent les nombreuses cases qui composent la ville de Tamatave.
Placée au sud-est du continent africain dont elle est séparée par le canal de Mozambique, Madagascar s’étend dans la direction nord-est entre le douzième et le vingt-sixième degré de latitude sud, le quarante et unième et le quarante-huitième de longitude est, embrassant un parcours de plus de trois cent cinquante lieues sur une largeur maxima de cent soixante-quinze ; sa superficie est au moins égale à celle de la France, c’est presque un continent ; sa population estimée à quatre millions d’habitants ne monterait pas suivant des appréciations nouvelles à plus de deux millions ; c’est donc presque un désert.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Claude-Joseph Désiré Charnay dit Désiré Charnay né en 1828 à Fleurieux-sur-l’Abresle (69), archéologue, explorateur et photographe, meurt en 1915 à Paris. Il devient célèbre en publiant son album de photographies de sites mexicains. Il n’a eu de cesse de photographier les sites anciens au cours de ses périples autour du monde.

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Madagascar

Désiré CHARNAY

MadagascarCarnet de voyage en 1862

CLAAE

2015

© CLAAE 2015

Tous droits réservés. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

eBook : 9782379110221

CLAAE

France

Claude-Joseph Désiré Charnay dit Désiré Charnay né en 1828 à Fleurieux-sur-l’Abresle (69), archéologue explorateur et photographe, meurt en 1915 à Paris. Il devient célèbre en publiant son album de photographies de sites mexicains. Il n’a eu de cesse de photographier les sites anciens au cours de ses périples autour du monde.

1

Le voyageur qui vient d’admirer en passant les beaux rivages de Maurice et de La Réunion, que dominent les roches basaltiques du Peter-Bott et les hautes cimes des Sallazes, est médiocrement ému de l’aspect de Madagascar à Tamatave.

Vue du large, la côte n’offre à l’œil qu’une plage basse de sable blanc tachetée çà et là par l’étrange végétation des vacoas. Poussée par les vents d’est, la mer se brise avec bruit sur la rive et l’on distingue à peine, à l’horizon, la ligne bleuâtre des montagnes de Tananarive.

De plus près cependant le panorama se développe avec détail ; on aperçoit les têtes des palmiers que balance la brise, les plus hautes maisons se dessinent, et bientôt apparaissent les nombreuses cases qui composent la ville de Tamatave.

Placée au sud-est du continent africain dont elle est séparée par le canal de Mozambique, Madagascar s’étend dans la direction nord-est entre le douzième et le vingt-sixième degré de latitude sud, le quarante et unième et le quarante-huitième de longitude est, embrassant un parcours de plus de trois cent cinquante lieues sur une largeur maxima de cent soixante-quinze ; sa superficie est au moins égale à celle de la France, c’est presque un continent ; sa population estimée à quatre millions d’habitants ne monterait pas suivant des appréciations nouvelles à plus de deux millions ; c’est donc presque un désert.

Disons quelques mots de son histoire.

Les Portugais découvrirent Madagascar en 1506 et l’abandonnèrent aussitôt ; les Français la visitèrent à leur tour et depuis les lettres patentes données par Louis XIII à la Compagnie d’Orient, la grande île africaine a vu bien des expéditions françaises. Tous nos rois, depuis cette lointaine époque, s’efforcèrent de la coloniser ; la république poursuivit le même but ; le premier empire s’en occupa ; la Restauration et Louis-Philippe y envoyèrent des administrateurs, des marins et des soldats. Ce fut, on peut le dire, une occupation continue qui ne laisse planer aucun doute sur nos titres de propriété. Madagascar cependant ne fut jamais entièrement nôtre.

Appelée d’abord île Saint-Laurent, île Dauphine, puis France orientale, on a rendu le nom de Madagascar à cette contrée presque mystérieuse vers laquelle nos regards se tournent aujourd’hui. En parcourant les relations des premiers voyageurs, on se croirait transporté dans une terre promise ; chaque village retentit des cris joyeux de ses habitants ; on ne voit partout que fêtes, jeux et danses, on n’entend que des chants d’amour. Le Malgache était libre alors ; il jouissait dans toute la plénitude de son être, de la vie facile que le Créateur lui avait faite.

Aujourd’hui, malgré quarante années d’effroyables persécutions, il s’efforce encore de sourire ; il chante, il danse encore (tant le plaisir a d’attrait pour cette âme légère) dans les moments de répit que lui donne son maître. Son maître, c’est l’Ova… On peut en quelques lignes mettre le lecteur au courant de cette conquête.

Madagascar possède deux races d’hommes bien tranchées, le Malgache et l’Ova. Le premier, Sakalave, Betzimisarack ou Antankare, est un noir plus ou moins modifié par le contact des Cafres, des Mozambiques ou des Arabes. Grand, fort, et sauvage dans le sud et la côte sud-ouest, il a su conserver son indépendance. À la côte est, le Betzimisarack plus doux, plus élégant de formes, plus léger, plus ami du plaisir, fut des premiers à perdre sa liberté. Dans le nord, l’Antankare, robuste, épais et rappelant davantage le Mozambique, lutte encore et cherche dans les lieux inaccessibles de l’intérieur ou sur les îles du littoral un refuge contre la tyrannie des Ovas.

Quant à ce dernier, l’Ova, d’origine malaise et jeté à une époque inconnue sur la côte est de Madagascar1, il fut refoulé dans l’intérieur de l’île par les populations primitives et finit par se grouper et s’établir sur le plateau central d’Émyrne.

Cette peuplade eut une étrange destinée ; considérée autrefois comme paria par les Malgaches, tout objet souillé par l’attouchement d’un de ses membres était déclaré impur ; la case où l’Ova avait reposé, était brûlée ; il était maudit par tous les habitants de l’île. Isolé dans son repaire, ce proscrit incendia les forêts qui pouvaient dérober un ennemi ; dévasta le magnifique plateau d’Émyrne ; fit un désert de son pays, et, pour éviter toute surprise, il planta ses villages sur les mamelons de la plaine. Plus tard, comme accord tacite d’une paix dont il avait un si grand besoin et comme tribut au Malgache qu’il reconnaissait alors pour maître, il déposait à la limite des bois, du riz, du maïs et divers objets de son industrie que ce dernier venait recueillir. Cette époque de son histoire a pesé sur le caractère de l’Ova ; il est devenu triste, défiant, souple, rampant, faux et cruel ; et lorsqu’à la fin du siècle dernier un homme de génie, Andrianampouine, vint le relever de la servitude, iln’eut plus, pour s’emparer de l’autorité, qu’à réunir des tribus éparses dont l’instinct de domination et la soif de vengeance firent des soldats.

Les Anglais devinant chez ce petit peuple un obstacle pour la France, lui envoyèrent le sergent Hastie, qui devenu conseiller de Radama Ier, disciplina son armée et guida ses conquêtes. Depuis trente ans, les Ovas se sont emparés d’une partie de Madagascar ; depuis trente ans ils déciment les malheureuses populations noires, et jamais droit de conquête ne fut exercé d’une façon plus impitoyable.

Tamatave est le siège le plus important de leur gouvernement sur la côte est ; ils y exercent une autorité sans contrôle, et les braves des braves (titre qu’ils se sont donné après notre malheureuse affaire de 1845) si injurieux et impitoyables avec leurs malheureux sujets, portent moins haut la tête auprès du Blanc (vasa) qu’ils rencontrent.

C’est ce qu’il nous fut donné de remarquer aussitôt après notre arrivée. En effet, une pirogue pagayée par des noirs et portant trois hommes ridiculement accoutrés, s’approchait des flancs du navire ; c’était une visite à notre adresse ; l’ambassade se composait de Ramar, chef de la police, flanqué de deux acolytes. Ce grotesque personnage portait un chapeau de général orné d’un plumet et bordé de duvet blanc, un vieil habit de pompier surmonté de deux énormes épaulettes anglaises, un pantalon de couleur sombre avec une large bande d’or. Aucun de ces divers objets d’occasion, achetés à quelque traitant de Tamatave, n’avait été taillé pour celui qui les portait ; aussi le pauvre Ramar avait-il l’air le plus malheureux du monde. Pour compléter ce costume, le chef ova tenait à la main droite un vieux sabre courbé ; de la gauche il étalait un mouchoir à carreau d’un ton sale, véritable objet de luxe pour son propriétaire. Les aides de camp ne se distinguaient que par des casquettes de capitaine de la marine anglaise et d’étranges épaulettes en or d’une longueur démesurée qui leur battaient les coudes.

La visite fut courte : laissé seul sur le pont du navire où chacun sourit de son étrange apparition, Ramar se rembarqua furieux, sans doute de l’effet qu’il avait produit et titubant comme un homme ivre ; il fallut pour ainsi dire le déposer dans la pirogue. Rasolo2, ancien honneur de Tanguin et aide de camp du gouverneur de Tamatave, nous fit aussi l’honneur de sa visite ; c’était le même costume extravagant, la même figure intimidée ; ce fut aussi la même déconvenue.

Ce jour même, 2 août 1863, nous descendîmes à terre et nous vîmes mademoiselle Juliette à laquelle on nous présenta. Juliette Fiche, princesse malgache et depuis peu princesse ova, est une femme de cinquante ans environ, grande et d’un embonpoint qui sied à sa taille ; sa figure est pleine, ses yeux sont vifs et spirituels, et son excellent sourire découvre des dents d’une blancheur éblouissante. Regardée comme la Providence des Français à Tamatave, son dévouement et sa charité lui ont valu de la part de l’empereur une médaille d’honneur. Elle accueille avec une grande bonhomie, et sa case, la première en atteignant le rivage, reçoit la visite de tous les nouveaux arrivés. Mais la conversation de Juliette surprend plus encore que sa personne, et l’on a lieu d’être étonné de trouver, si loin de tout centre littéraire, une Malgache causant littérature aussi bien que politique, et tout cela mêlé d’aperçus d’une grande finesse et dans un langage d’une remarquable pureté. Mme Ida Pfeiffer, aigrie par la souffrance, fut injuste à son égard, nous tenons à le constater.

L’aspect de Tamatave est celui d’un grand village ; c’est une forte agglomération de cases qui n’a jamais ambitionné le nom de ville ; tout est relatif cependant et l’on dit la ville de Tamatave.

La rue principale fut le but de notre première exploration. C’est une étroite et longue avenue bordée de minces piquets de bois servant d’enclos aux maisons éparses sur les deux côtés. Nous avançons, tantôt brûlés, par le soleil et tantôt abrités par les bananiers aux larges feuilles ou par des mûriers aux baies rouges ; à droite, se déploie le pavillon anglais : c’est le consulat d’Angleterre ; plus loin, du même côté, s’élève une haute bâtisse en bois : c’est la demeure du Rothschild malgache, Redington, courtier des Ovas pour la vente des bœufs. Quelques cases de traitants bordent encore la rue et nous pénétrons dans le quartier malgache. Les cases changent alors de structure et de dimension ; le ravenal (Urania speciosa), côtes et feuilles, en fait tous les frais, mais l’aspect en est propre, l’intérieur coquet, et de belles filles vous sourient montrant leurs dents blanches, tandis que les hommes vous crient « marmites, marmites », ce qui veut dire : Voilà des porteurs, voulez-vous des porteurs ? De temps à autre, des Ovas à la démarche hésitante, à l’œil oblique, au sourire méchant, vous accueillent d’un « Bonjour, monsieur ».

De modestes boutiques étalent sur les seuils leurs produits hétéroclites. Ce sont de vastes paniers pleins de sauterelles desséchées, des bouteilles vides, quelques cotonnades anglaises, de grossières rabanes, de microscopiques poissons, des perruches à tête bleue, des makis noirs et blancs, d’autres à queue annelée, de grands perroquets noirs, d’énormes paquets de feuilles servant de nappe ; quelques fruits, patates, ignames et bananes, des nattes, et l’éternelle barrique de betza-betza. La betza-betza est une liqueur de jus de canne fermenté, mélange de plantes amères ; c’est une boisson détestable à notre avis, mais dont les Malgaches font leurs délices.

Nous avançons encore ; la rue, de plus en plus animée, nous annonce le bazar ou marché. Un affreux Chinois nous adresse la parole dans un français tout barbare et nous force par d’irrésistibles agaceries de pénétrer dans sa boutique ; c’est un pandémonium où règne le plus étrange désordre et dont le maître représente l’article le plus curieux. Nous le laissons ébahi de notre visite improductive. Il nous a cependant changé quelques piastres contre de menus morceaux d’argent, seule monnaie du pays3. Nous atteignons le bazar.