Manuel de droit belge de la concurrence - Norman Neyrinck - E-Book

Manuel de droit belge de la concurrence E-Book

Norman Neyrinck

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Beschreibung

Le Manuel de droit belge de la concurrence présente le droit belge des pratiques restrictives de concurrence :
• le Chapitre I porte sur le droit des ententes entre entreprises : cartels, accords de coopération horizontale et accords verticaux ;
• le Chapitre II a pour objet l’abus de position dominante et l’abus de dépendance économique ;
• le Chapitre III présente les règles de procédure applicables devant l’Autorité belge de la concurrence et les juridictions judiciaires belges.

Les principes d’analyse sont rappelés de manière claire ; de nombreuses illustrations sont fournies. L’ouvrage présente aussi bien la jurisprudence de l’Autorité belge de la concurrence que celle rendue par les cours et tribunaux judiciaires, injustement méconnue.

La primauté du droit européen, d’une part, puis le mimétisme imposé par le législateur belge, d’autre part, limitent les aspects véritablement originaux du droit national. Le droit « belge » de la concurrence se révèle principalement dans les applications belges des principes européens.

Il convient cependant de ne pas sous-estimer la portion des règles purement nationales. De nombreuses normes sont propres au territoire belge. À titre d’illustration, on citera, pêle-mêle : la cause d’exemption propre aux PME prévue à l’article IV.1, § 3, CDE ; l’abus de dépendance économique ; les règles de nullité des contrats ; les sanctions mises à charge des personnes physiques qui décident de la conclusion de certains cartels ; les règles d’indemnisation des infractions au droit de la concurrence… À cela s’ajoute encore l’ensemble des règles de procédure dont dépend l’issue d’un très grand nombre d’affaires. Quoique exceptionnelles, les règles véritablement originales du droit belge de la concurrence ont une influence déterminante sur l’issue des litiges.

Ce Manuel s’adresse aux juristes et avocats intéressés par le droit de l’entreprise au sens large ainsi qu’aux étudiants en droit. Les praticiens spécialisés en droit de la concurrence y trouveront un relevé complet de la jurisprudence rendue en Belgique dans leur discipline.

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COMPETITION LAW/DROIT DE LA CONCURRENCE

La collection « Droit de la concurrence » rassemble des ouvrages consacrés à cette matière particulièrement évolutive et concrète, à la croisée de plusieurs disciplines, qu’est le droit de la concurrence, en langue française et anglaise.

Cette collection a pour vocation d’accueillir différents types d’ouvrages : des collectifs issus des meilleurs « Actes de colloque » dans la matière, des travaux de recherche impactant la pratique, tels que des « Thèses », des « Monographies » sur des thèmes précis à finalité professionnelle, des « Manuels » spécialisés, des « Essais » issus de la vie du droit et des recueils de « Grands arrêts, textes et documents commentés ».

Collection dirigée par Ludovic Bernardeau • Coordinatrice de rédaction : Manon Oiknine

The « Competition Law » collection gathers publications, in French and in English, dedicated to the particularly dynamic and concrete area of studying that is competition law, deeply intertwined with several fields.

This collection aims at assembling different types of publications : collective works from the best “Conference proceedings” in the area, research works influencing the legal practice – such as “Thesis” –, “Monographs” on targeted topics for professional purposes, specialized “Textbooks”, “Essays” relating to ongoing debates and compilations of “Major cases, texts, and documents commented”.

Collection directed by Ludovic Bernardeau • Writing coordinator : Manon Oiknine

Précédemment parus dans la collection – Previously published in the collection :

New frontiers of antitrust 2011, edited by Frédéric Jenny, Laurence Idot and Nicolas Charbit, 2012.

Abus de position dominante et secteur public. L’application par les autorités de concurrence du droit des abus de position dominante aux opérateurs publics, Claire Mongouachon, 2012.

Reviewing vertical restraints in Europe. Reform, key issues and national enforcement, edited by Jean-François Bellis and José Maria Beneyto, 2012.

Droit de la concurrence et droits de propriété intellectuelle. Les nouveaux monopoles de la société de l’information, Jérôme Gstalter, 2012.

L’action collective en droit des pratiques anticoncurrentielles. Perspectives nationale, européenne et internationale, Silvia Pietrini, 2012.

New frontiers of antitrust 2012, edited by Joaquin Almunia, Eric Barbier de La Serre, Olivier Bethell, François Brunet, Guy Canivet, Henk Don, Nicholas Forwood, Laurence Idot, Bruno Lasserre, Christophe Lemaire, Cecilio Madero Villarejo, Andreas Mundt, Siun O’Keeffe, Mark Powell, Martim Valente and Richard Wish, 2013.

New frontiers of antitrust 2010, edited by Joaquìn Almunia, Mark Armstrong, Nadia Calvino, John M. Connor, Henry Ergas, Allan Fels, John Fingleton, Ian Forrester, Peter Freeman, Laurence Idot, Frédéric Jenny, Bruno Lasserre, Douglas Miller, Jorge Padilla, Nicolas Petit, Christine Varney, Bo Vesterdorf, Wouter Wils and Antoine Winckler, 2013.

New frontiers of antitrust 2013, sous la coordination de Nicolas Charbit, 2013.

Le contentieux privé des pratiques anticoncurrentielles, Rafaël Amaro, 2014.

Day-to-Day Competition Law. A practical Guide for Businesses, edited by Patrick Hubert, Marie Leppard and Olivier Lécroart, 2014.

Pratiques anticoncurrentielles et brevets. Étude en faveur de la promotion européenne de l’innovation, Lauren Leblond, 2014.

New frontiers of antitrust 2014, edited by Joaquín Almunia, Chris Fonteijn, Peter Freeman, Douglas Ginsburg, Thomas Graf, Benoît Hamon, Nathalie Homobono, Laurence Idot, Alexander Italianer, Frédéric Jenny, William Kovacic, Bruno Lasserre, George Milton, Andreas Mundt, Anne Perrot, Matthew Readings, Howard A. Shelanski, Mélanie Thill-Tayara, Wouter Wils and Joshua Wright, 2014.

The Fight against Hard Core Cartels in Europe. Trends, Challenges and Best International Practices, Eric Van Ginderachter, José Maria Beneyto, Jerónimo Maillo, 2016.

Droit européen de la concurrence, Jean-François Bellis, 2e édition, 2017.

La récidive en droits de la concurrence, Ludovic Bernardeau, 2017.

Droit européen des concentrations, Georges Vallindas, 2017.

Droit européen des aides d’État, Michaël Karpenschif, 3e édition, 2019.

L’innovation prédatrice en droit de la concurrence, Thibault Schrepel, 2018.

Droit matériel européen des abus de position dominante, Luc Desaunettes-Barbero et Étienne Thomas, 2019.

Droit matériel des aides d’État, Olivier Peiffert et Sébastien Thomas, 2019.

Droit procédural des aides d’État, Juan Ignacio Signes de Mesa et Aymeric de Moncuit, 2019.

Droit procédural européen des concentrations, Simon Genevaz et Manon Oiknine, 2019.

Droit matériel européen des ententes, Luc Desaunettes-Barbero et Étienne Thomas, 2019.

EU Competition Law applicable to liner shipping and seaports, Philippe Corruble, 2021.

Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larcier.com.

© Lefebvre Sarrut Belgium SA, 2021Éditions BruylantRue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

EAN : 978-2-8027-7007-7

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour ELS Belgium. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

À mes parents,

Remerciements

Mes premiers et plus vifs remerciements sont adressés au Professeur Nicolas Petit. Je lui dois non seulement d’avoir pu rédiger le présent Manuel alors que je travaillais à son service à la Faculté de droit de l’Université de Liège, mais aussi la plupart de mes connaissances en droit de la concurrence. Le Professeur Petit n’a pas seulement été mon enseignant, il m’a également donné à voir quotidiennement le meilleur exemple d’audace et de rigueur intellectuelle dans la recherche. Je lui en serai pour toujours reconnaissant.

Mes remerciements vont également à Maître Jean-François Henrotte pour m’avoir donné du temps à consacrer à la présente étude – ressource la plus précieuse qui soit. Merci Jean-François ; merci Lexing.

À l’heure d’écrire ces lignes, je pense aux amis de l’Institut d’études juridiques européennes (IEJE) et du Liege Competition and Innovation Institute (LCII), aux côtés desquels apprendre, étudier et enseigner a été si joyeux pendant dix ans : Madame Caroline Langevin, Madame Charlotte Lousberg, Madame Élise Provost, Monsieur Simon Vander Putten, Monsieur Dirk Auer, Monsieur Jorge Marcos Ramos, Monsieur Daniel Muheme, Madame Joëlle Pilorge-Vrancken, Monsieur Dietger Glorieux, Monsieur Simon Troch, Mademoiselle Sofia Vandenbosch, Mademoiselle Sandrine Mathieu et Monsieur Jérôme De Cooman. Je dois également des remerciements à Mademoiselle Iris Demoulin, Madame Evi Mattioli, et Madame Audrey Zians pour les recherches qu’elles ont réalisées au début de ce travail.

La rédaction de cet ouvrage a bénéficié des précieux conseils orthographiques et d’écriture de Monsieur Julien Wagner, toujours fidèle. Je lui adresse toute ma gratitude.

Enfin, mes remerciements les plus tendres vont à mes parents, à qui ce livre est dédié, et qui ont toujours veillé sur leur fils. Sans eux, cet ouvrage n’aurait pas vu le jour. Leur soutien, leur exemple, me donnent plus de courage.

Sommaire

INTRODUCTION

TITRE I – ÉMERGENCE D’UN DROIT ET D’UNE AUTORITÉ BELGES DE LA CONCURRENCE

TITRE II – RELATIONS ENTRE LE DROIT BELGE ET LE DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE

Section I. Primauté du droit européen

Section II. Application autonome du droit belge

CHAPITRE I – DROIT DES ENTENTES ENTRE ENTREPRISES

TITRE I – PRINCIPES GÉNÉRAUX

Section I. Article IV.1, § 1 CDE – Le principe d’interdiction

Section II. Article IV.1, § 2 CDE – La sanction

Section III. Article IV.1, § 3 CDE – Le dispositif d’exemption de l’interdiction

TITRE II – LES CARTELS

Section I. Généralités

Section II. La sanction des cartels

Section III. Le système de clémence

Section IV. La transaction

TITRE III – LES ACCORDS DE COOPÉRATION HORIZONTALE

Section I. Généralités et renvoi

Section II. Les accords de normalisation

TITRE IV – LES RESTRICTIONS VERTICALES

Section I. Principes généraux et méthode d’analyse

Section II. Cartographie des différentes restrictions verticales

CHAPITRE II – DROIT DES PRATIQUES UNILATÉRALES

TITRE I – ARTICLE IV.2 CDE – L’INTERDICTION DES ABUS DE POSITION DOMINANTE

Section I. La position dominante

Section II. L’abus

TITRE II – ARTICLE IV.2/1 CDE – L’INTERDICTION DES ABUS DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE

Section I. Genèse

Section II. L’abus de dépendance économique en Allemagne et en France

Section III. L’infraction pour abus de dépendance économique

Section IV. Conclusion

CHAPITRE III – PROCÉDURE ET MISE EN ŒUVRE DU DROIT BELGE DE LA CONCURRENCE

TITRE I – LA PROCÉDURE DEVANT L’AUTORITÉ BELGE DE LA CONCURRENCE ET LA PROCÉDURE DE RECOURS DEVANT LA COUR DES MARCHÉS

Section I. Présentation de l’Autorité belge de la concurrence

Section II. La procédure devant l’ABC

Section III. Le recours devant la Cour des marchés contre les décisions de l’ABC

Section IV. Relations de l’ABC avec les autres autorités de concurrence et les régulateurs sectoriels

TITRE II – LA PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS JUDICIAIRES DE DROIT COMMUN

Section I. Relations entre les autorités de concurrence et les juridictions judiciaires

Section II. Éléments de compétence

Section III. Pouvoirs des juridictions judiciaires

Section IV. Le contentieux des dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence

INDEX

Introduction

Titre I — Émergence d’un droit et d’une autorité belges de la concurrence

1. Genèse – Longtemps, l’Autorité de la concurrence de Belgique a été un monstre de papier ; un gardien sans griffes ni crocs. L’historique législatif en atteste. Trois fois au moins en moins de trente ans, la loi belge sur la concurrence a été significativement refondée1-2. À chaque fois un constat : les résultats sont insuffisants ; à chaque fois de nouvelles promesses : cela ira mieux demain.

En 2006, le législateur évoque « des expériences assez négatives avec la structure actuelle […]. Tant sur le plan institutionnel que sur celui de la procédure, la législation actuelle est moins appropriée à la lutte contre les pratiques restrictives de concurrence dans notre pays »3. En 2013, le constat est inchangé ; il « subsiste un problème » avec l’Autorité de la concurrence. « La durée totale pour une décision définitive devient très longue » en sorte que le Parlement envisageait d’adopter « une procédure plus efficace » destinée à supprimer les « goulots d’étranglement »4. En 2019 encore, le législateur belge identifie la Belgique comme « le maillon faible de la politique de poursuites dans l’Union européenne »5 au motif que les sanctions prises en cas d’infraction étaient insuffisantes. En cause, tantôt des problèmes institutionnels de gouvernance6, tantôt des failles légistiques7, tantôt un manque de moyens et de personnel pour réaliser des investigations8.

Pendant une grande partie de ces trente dernières années, le justiciable confronté à des restrictions de concurrence doit souvent se tourner vers le juge judiciaire pour obtenir une oreille attentive. La jurisprudence exposée dans le présent ouvrage en est le reflet ; en Belgique, dans un nombre significatif de cas, le droit de la concurrence est mis en œuvre par les cours et tribunaux. Les motifs en faveur de la mise en place d’une autorité de concurrence efficace ne manquent pourtant pas. Le contentieux judiciaire concerne le plus souvent des litiges contractuels ou d’abus de position dominante ne requérant qu’une analyse économique limitée. Seule une autorité administrative de concurrence est à même de lutter contre les cartels et de mener des enquêtes économiques complexes.

En 2013, les choses commencent à évoluer. Après une nouvelle réforme, le Conseil de la concurrence est transformé en Autorité belge de la concurrence (ABC). Des nouvelles promesses de personnel sont également faites. Le président de l’Autorité fixe alors un objectif : « De ambitie is : beslissingen, beslissingen, beslissingen »9. À partir de cette date, et malgré quelques faiblesses persistantes, l’Autorité de la concurrence s’affranchit progressivement des difficultés chroniques qui la caractérisaient. Notamment, les recrutements d’enquêteurs promis à de si nombreuses reprises interviennent enfin, au moins pour partie.

2. Maladies infantiles – Historiquement, la jurisprudence du Conseil de la concurrence, quoique ténue, est marquée par un intérêt tout particulier à l’égard des professions réglementées et autres groupements professionnels. Un nombre important de professions de services est passé sous les fourches caudines de l’autorité nationale de concurrence. Il en a notamment été ainsi de la quasi-totalité des professions libérales réglementées classiques. Des décisions de sanction ont été prises à l’égard de l’Ordre de pharmaciens10, de l’Ordre des vétérinaires11, de la Fédération des architectes de Belgique12, de l’Association des architectes d’intérieur13, ou de l’Institut professionnel des agents immobiliers14. L’Ordre des notaires15 et l’Ordre des avocats16 ont quant à eux échappé à des investigations approfondies de l’ABC en raison de moyens d’enquête limités et/ou de la prescription des faits lorsque l’ABC devait enfin exhumer le dossier.

Lorsque des infractions au droit de la concurrence ont pu être constatées à cette époque, les entités coupables n’ont généralement pas connu d’autre sanction qu’une simple décision d’interdiction17. Longtemps, l’autorité de la concurrence a fait preuve de modération lorsqu’il s’agissait de fixer des amendes à l’égard des associations professionnelles18. Des considérations inhérentes à la sanction des associations d’entreprises ont également pu conduire le Conseil de la concurrence à limiter le montant de ses amendes. Par exemple, dans l’affaire Auto-écoles de Belgique, l’Autorité de la concurrence a limité le montant de l’amende parce que la composition des membres de l’association professionnelle avait évolué entre la période de l’infraction et la date du jugement. Considérant qu’il aurait été injuste d’imposer une amende trop lourde aux entreprises qui étaient nouvellement devenues des membres de l’association, le Conseil de la concurrence a limité l’amende à son montant de base19, quand bien même l’infraction portait sur une coordination des prix et était considérée comme sérieuse.

Dans plusieurs affaires20, le Conseil de la concurrence a jugé qu’il serait plus approprié de condamner les associations professionnelles à la publication de sa décision sur leur site web et d’informer leurs membres de l’état de la loi plutôt que d’imposer une amende21. Depuis la réforme du Conseil de la concurrence en Autorité belge de la concurrence, cette époque semble révolue.

3. Maturité – L’affaire MediCare-Market c. Ordre des pharmaciens22 illustre sans doute possible l’évolution de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence. L’ABC y affirme son autorité et inflige une amende d’un million d’euros à l’une des organisations professionnelles les plus anciennes, les plus respectées et les mieux organisées du pays. En cause, la stratégie déployée par l’Ordre des pharmaciens pour faire obstacle à l’entrée sur le marché belge de MediCare-Medimarket, entreprise présentée comme un « supermarché du médicament et des produits de santé ». De quoi s’agit-il ? L’entreprise MediCare-Market est une entreprise lancée en Belgique en 2014. Son modèle de fonctionnement consiste, d’une part, à ouvrir de larges surfaces de vente destinées à proposer un grand nombre de références de parapharmacie et, d’autre part, à fournir des prix attractifs pour les produits de parapharmacie et les médicaments non remboursés. Les prix proposés peuvent être jusqu’à 30 % moins chers que ceux proposés en pharmacie, grâce aux volumes vendus, à l’organisation, à la localisation des points de vente (souvent situés en dehors des centres-villes), et surtout à la négociation des prix d’achat. Le plus souvent, ce concept implique l’installation contiguë d’une pharmacie et d’une parapharmacie.

Alarmés par la concurrence en prix exercée par MediCare-Market sur les produits de parapharmacie, plusieurs pharmaciens portent plainte auprès de l’Ordre de pharmaciens. L’Ordre déploiera un activisme rare contre le développement de MediCare-Market. Il évoquera d’abord un risque de « confusion » entre les activités de pharmacie et de parapharmacie. Ce risque sera largement résolu par la conciliation23. Sans doute surpris par les accommodements de MediCare-Market, l’Ordre rompt la conciliation et déploie une stratégie globale d’éviction du nouvel entrant. Cette stratégie prend la forme d’une accumulation de démarches d’exclusion, dont la saisine des conseils disciplinaires, l’introduction d’une action judiciaire en cessation, la diffusion publique d’informations dénigrantes et des tentatives d’enrôlement des pouvoirs publics – soit une stratégie organisée, délibérée, intentionnelle, destinée à préserver les marges des pharmaciens sur les produits de parapharmacie. L’auditorat fustige en particulier « l’incohérence » des critiques véhiculées par l’Ordre dans ses diverses démarches. L’Ordre persiste à alléguer l’existence d’un risque de « confusion » entre les activités de pharmacie et de parapharmacie alors même qu’au sein des établissements MediCare-Market, ces espaces sont séparés par une porte et une vitre et que les caisses sont distinctes, alors que dans les pharmacies traditionnelles, il n’existe aucune séparation. « S’il devait y avoir risque de confusion entre pharmacie et parapharmacie, ce serait donc plutôt au sein des pharmacies traditionnelles »24-25.

La décision du Collège fait suite à un rapport de l’auditorat proprement documenté. Elle tranche sans faillir plusieurs points de droit importants, tenant tout à la fois à la définition de l’infraction, à l’absence de justification, et à sa sanction. Quant à la définition de l’infraction, le Collège identifie la stratégie d’exclusion comme étant une infraction ayant « pour objet » de restreindre la concurrence dès lors que « le “critère juridique essentiel” d’une infraction par objet, à savoir son aptitude à dégager un “degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence” », était établi. « Les caractéristiques des actions engagées par l’Ordre, ses objectifs et le contexte économique et juridique » démontrent sa nocivité26.

Malgré les difficultés de l’exercice, le Collège n’hésite pas non plus à faire un tri entre les allégations tenant à l’existence d’objectifs légitimes qui justifieraient la stratégie d’éviction – soit la santé publique, la crédibilité de la profession de pharmacien, et la lutte contre la surconsommation des médicaments. Chacun de ces objectifs est discuté tour à tour. Quant aux allégations tenant à la protection de la santé publique, le Collège considère que celles-ci ne pourraient porter que sur des éléments précis et non sur le concept MediCare-Market, de sorte que pour y remédier, il ne serait pas proportionné de s’en prendre au modèle dans son entièreté. Le Collège estime également que ce concept renforce la crédibilité de la profession dans la mesure où le pharmacien peut précisément se concentrer sur le métier pour lequel il a reçu un monopole légal et éviter ainsi de se disperser dans d’autres activités. Enfin, les objectifs de prévention de la surconsommation des médicaments et de promotion de la santé publique doivent être mis en balance : des prix plus bas pour les médicaments permettent aux personnes ayant des moyens limités d’acheter des médicaments qu’elles ne se seraient pas procurés si les prix étaient plus élevés27.

Ayant constaté l’existence d’une infraction – et d’une infraction grave – au droit de la concurrence28, le Collège doit enfin se prononcer sur la sanction adéquate. Une nouvelle fois, sa décision est juste parce qu’elle évite la timidité. Le Collège de la concurrence fixe l’amende à 1 million d’euros29. D’autre part, le Collège anticipe que le poids de l’amende nécessitera une augmentation des cotisations des membres de l’Ordre. Le Collège prend soin de mettre en contexte le poids de la sanction. Celle-ci « correspond au chiffre d’affaires moyen annuel réalisé par une seule pharmacie sur un total de quelque 5 000 pharmacies »30.

Sur recours, la décision de l’ABC sera confirmée dans sa majeure partie. Seul le calcul du montant de l’amende sera rabattu en raison d’un défaut de base légale pour la prise en compte du chiffre d’affaires des membres de l’Ordre des pharmaciens – carence qui avait d’ailleurs été corrigée dans l’intervalle par le législateur31.

4. Perspectives – Le traitement réservé à l’affaire MediCare-Market c. Ordre des pharmaciens par l’auditorat puis le Collège de la concurrence – une instruction complète et une décision de sanction, en moins de trois ans, malgré des questions juridiques et des enjeux médiatiques et politiques importants – laisse présager que la relative léthargie qui caractérisait l’Autorité de la concurrence est désormais derrière elle.

Prédire des jours meilleurs est un piège fréquent de tout commentateur amoureux de son sujet. Ainsi, après la réforme du Conseil de la concurrence opérée en 2006, le Professeur Naert voulait-il croire qu’« [u]n nouvel espoir est permis »32. Pas moins de deux réformes majeures prendront encore place ensuite pour tenter de mettre l’Autorité belge de la concurrence sur de meilleurs rails. Sommes-nous pareillement en train de nous illusionner à partir de quelques décisions satisfaisantes ? Les chiffres nous confortent quelque peu. L’augmentation du personnel de l’ABC de près de 30 % au cours de l’exercice 2017 constitue un indicateur objectif de l’évolution en cours33. Il semble que l’Autorité belge de la concurrence émerge progressivement des ténèbres dans lesquelles elle se tenait depuis des années. Le renforcement des moyens de l’ABC demeure cependant un enjeu crucial34. Un soutien politique fidèle reste indispensable au bon développement des activités de l’ABC pour que le citoyen belge puisse tirer pleinement parti de la protection et des bénéfices d’une véritable politique de concurrence.

Titre II — Relations entre le droit belge et le droit européen de la concurrence

5. Entre complémentarité et autonomie – Le droit « antitrust » européen – le droit des pratiques restrictives de concurrence – trouve son siège dans les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Ces dispositions régissent respectivement les ententes entre entreprises et l’abus de position de dominante. Ces règles reçoivent écho en droit belge dans des dispositions aujourd’hui insérées sous les articles IV.1 et IV.2 du Code de droit économique (CDE)35. Le droit belge des pratiques restrictives de concurrence est présenté de manière systématique dans les différents chapitres du présent Manuel.

L’application du droit belge de la concurrence est influencée – voire déterminée – par les règles européennes. Ceci découle d’abord du principe de primauté du droit européen (section I). L’autorité morale qui est reconnue au droit européen exerce également une grande influence sur le développement du droit national belge. Celle-ci n’empêche cependant pas entièrement le développement de certaines règles véritablement originales (section II).

SECTION I

PRIMAUTÉDUDROITEUROPÉEN

6. Règlement 1/2003 et « effet réflexe » – Les principes d’effectivité et de primauté confèrent au droit européen de la concurrence une prévalence incontestable sur le droit national de la concurrence. Dans la lignée de ces principes fondateurs, la loi européenne a précisé les règles spécifiques, propres au droit antitrust, qui régissent l’articulation du droit européen et du droit national de la concurrence (sous-section 1). En parallèle, la jurisprudence belge parachevait l’œuvre et adoptait la doctrine de l’effet « réflexe » du droit de la concurrence pour circonscrire l’application des dispositions de droit interne qui poursuivent principalement le même objectif que celui visé par les articles 101 et 102 TFUE (sous-section 2).

Sous-section I

Rapports entre les articles 101 et 102 TFUE et le droit national de la concurrence

7. By-pass juridique – L’articulation du droit national et du droit européen de la concurrence est régie par l’article 3 du Règlement 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence36 (ci-après : « le Règlement 1/2003 »). Cette disposition37 exige une mise en œuvre cumulée du droit national et du droit européen toutes les fois où le commerce entre États membres est affecté. Dans cette hypothèse, les autorités nationales ont l’obligation d’appliquer le droit européen.

Plus précisément, lorsque le commerce entre États membres est affecté par la pratique restrictive de concurrence en cause38, et que les conditions d’application du droit belge de la concurrence sont également rencontrées en sorte qu’il doit y avoir application cumulée du droit national et du droit européen, l’article 3 commande :

lors de l’application du droit national des accords : des résultats identiques à ceux qui résultent de l’application du droit européen39 ; et,

lors de l’application du droit national des abus : des résultats au moins aussi stricts que ceux qui résultent de l’application du droit européen.

En d’autres mots, en termes d’accords entre entreprises, lorsqu’il y a un cumul d’application du droit européen et du droit national de la concurrence, le droit national ne peut pas conduire à ce que soient prohibés les accords qui ne sont pas interdits en vertu du droit européen. Ainsi, à titre d’exemple lorsqu’il y a affectation du commerce entre États membres, un refus de vente ne pourrait pas être interdit en vertu du droit national si l’entreprise n’est pas également en position dominante, parce que le refus de vente n’est pas sanctionné sur pied de l’article 101 TFUE40-41. L’entreprise poursuivie échappera alors à toute sanction.

En revanche, en ce qui concerne le droit de l’abus, l’article 3 du Règlement 1/2003 n’empêche pas d’appliquer d’un standard plus strict, quand bien même il y aurait affectation du commerce entre États membres et que l’article 102 TFUE serait applicable. Cela a permis au législateur belge d’adopter une loi sur les abus de dépendance économique et permet, le cas échéant, à la jurisprudence belge d’appliquer des juridiques de preuve plus sévères.

De manière imagée, l’article 3 peut être vu comme un système de by-pass régulant les flux contentieux : dès lors qu’une affaire est de dimension communautaire, le droit des accords ne peut déborder au-delà de ses limites européennes ; en revanche, le droit national peut accueillir les actions dirigées à l’encontre des comportements unilatéraux, même si celles-ci sont excessives par rapport aux limites du droit européen. En revanche, lorsque la pratique en cause n’affecte pas le commerce entre États membres, le droit belge suit son cours de manière indépendante et aucune contrainte n’est exercée par le droit européen sur l’application du droit belge de la concurrence.

En pratique, l’article 3 du Règlement 1/2003 requiert de déterminer si le commerce entre États membres est affecté à chaque fois que l’application des règles de concurrence est envisagée.

8. Ratio legis– La règle prévue à l’article 3 du Règlement 1/2003 s’explique par le souci de veiller à l’application uniforme des règles européennes de concurrence dans les différents États membres et la mise en place au sein du marché intérieur de conditions de concurrence homogènes pour les accords entre entreprises42. Quant à elle, l’asymétrie de traitement entre les articles 101 et 102 TFUE s’explique sans doute, d’une part, par le constat qu’un contrat est en principe source d’efficacités qu’il convient de préserver, d’autre part, par la défaveur donnée aux situations dans lesquelles le marché est structurellement affecté par la présence d’une entreprise dominante.

9. Affectation sensible du commerce entre États membres – L’affaire Gilde van Vlaamse Antiquairs est une source intéressante de réflexion sur l’articulation du droit national avec le droit européen. En l’espèce, le président du Conseil de la concurrence avait constaté que la Gilde avait commis une infraction prima facie à l’article IV.1 CDE en ce qu’elle avait interdit à ses membres de participer à certaines foires d’antiquaires. Saisie sur recours, la cour d’appel de Bruxelles constata, d’une part, que le commerce entre les États membres était affecté par la pratique en cause dès lors que sur le marché belge ou sur le marché flamand, des antiquaires étrangers étaient également actifs et participaient aux bourses et foires d’antiquaires – en sorte que le droit européen était bien applicable – mais, d’autre part, que l’affectation du commerce n’était pas sensible parce que les participants étrangers étaient peu nombreux – en sorte qu’il n’y aurait pas infraction à l’article 101 TFUE. Face à ce double constat, la cour d’appel réforme la décision prise en premier degré : dans la mesure où l’article 3 du Règlement 1/2003 empêche le droit national de la concurrence d’interdire une pratique qui tombe dans le champ de l’article 101 TFUE mais qui n’y est pas contraire, la cour d’appel conclut que la décision du président doit être réformée. La cour lève pour l’avenir les mesures provisoires imposées par le président du Conseil de la concurrence43.

À raison, la doctrine a vertement critiqué cet arrêt, qui mélange les étapes44. Il convient de procéder en deux étapes bien distinctes : l’analyse du caractère sensible de l’affectation du commerce entre États membres, d’une part, et l’analyse du caractère sensible de la restriction de concurrence, d’autre part. Si l’affectation du commerce transfrontalier existe, mais n’est pas sensible, les conditions d’application de l’article 101 TFUE ne sont pas remplies et l’article 3 du Règlement 1/2003 ne trouve pas à s’appliquer. Dans cette hypothèse, le juge doit retomber sur une application exclusive du droit belge45.

10. Autorité de chose jugée – La primauté du droit européen et le caractère mouvant des circonstances de marché interrogent la compatibilité de l’autorité de chose jugée avec le droit européen de la concurrence. Ainsi, certains observateurs s’interrogent sur l’obligation des juridictions nationales d’écarter, voire de réformer, un jugement national rendu sur une question de concurrence, coulé en force de chose jugée, mais devenu obsolète depuis lors, parce que le contexte économique ou le droit européen ont été modifiés dans l’intervalle46. Le sujet est peu exploré47. Il est vrai que de telles circonstances sont rares. Ceci demanderait qu’une question préjudicielle soit adressée à la Cour de justice. Celle-ci pourrait arrêter que les décisions rendues sur pied du droit européen de la concurrence seraient par nature rendues rebus sic stantibus, en sorte qu’une décision ultérieure pourrait toujours réévaluer la décision précédente. Une telle question requerrait que la cour mette en balance, d’une part, le respect des règles de concurrence européennes et, d’autre part, l’atteinte à la croyance légitime causée par une limitation de l’autorité de chose jugée.

Sous-section II

Effet « réflexe » du droit de la concurrence

11. Sort des dispositions visant un « objectif différent » – L’article 3 du Règlement 1/2003 autorise l’application de dispositions de droit national « qui visent à titre principal un objectif différent de celui visé par les articles [101] et [102] du traité ». Ce faisant, le législateur européen vise clairement le droit de la concurrence déloyale, apparenté au droit de la propriété intellectuelle48. Dans de nombreuses circonstances, le droit de la concurrence déloyale peut en effet mener à l’interdiction de pratiques commerciales qui dégagent des gains d’efficacité et sont autorisées par le droit de la concurrence. Ainsi, l’interdiction de la vente à perte ou l’interdiction des offres conjointes aux consommateurs restreignent la concurrence sur les prix ou les méthodes de vente49.

Toutefois, si le Règlement 1/2003autorise les États membres à appliquer les règles de concurrence déloyale à des pratiques licites au regard du droit de la concurrence, il ne leur interdit pas d’écarter la norme de loyauté. Sur ce terreau se développe la doctrine belge de l’effet « réflexe » du droit de la concurrence selon laquelle la jurisprudence limiterait aujourd’hui les possibilités d’invoquer le droit des pratiques de commerce pour pallier les angles morts du droit de la concurrence.

12. Effet « réflexe » – La Cour de cassation circonscrit le champ dans lequel, lorsque le comportement critiqué ne constitue pas une infraction au droit de la concurrence belge ou européen, ce même comportement peut être sanctionné en raison de la violation de la norme générale des pratiques honnêtes du marché. Il s’agit ici de l’effet « réflexe » (reflexwerking, ou encore l’effet « limitatif ») du droit (européen) de concurrence sur les pratiques honnêtes du marché.

À l’occasion d’une affaire concernant un refus de fournir opposé à un (ex-)distributeur, la Cour de cassation a arrêté :

« La pratique d’une entreprise qui restreint la concurrence mais est admise tant par le droit européen concernant la concurrence que par la loi belge relative à la concurrence ne peut être interdite en vertu de l’obligation de respecter les usages honnêtes en matière commerciale, lorsque la violation des usages honnêtes, telle qu’elle est invoquée, consiste pour l’essentiel uniquement en une restriction de la concurrence entre les distributeurs »50.

À lire cet arrêt, une pratique commerciale restrictive de concurrence qui n’est pas illicite – parce que, par exemple, la restriction de concurrence n’est pas « sensible » mais est couverte par la doctrine de minimis, parce qu’elle est objectivement justifiée ou parce que des gains d’efficacité la contrebalancent – ne pourra pas être critiquée sur pied du droit des pratiques de commerce lorsque la violation des usages honnêtes « telle qu’elle est invoquée » consiste « pour l’essentiel uniquement » en une restriction de la concurrence51.

Les contours de la doctrine de l’effet réflexe restent toutefois difficiles à appréhender. L’affaire Iverlek, soumise à la Cour de cassation un an plus tard, en fournit l’exemple. Celle-ci portait sur la mise sur le marché d’une offre d’abonnement au câble à prix déficitaire par une entreprise dont la position dominante n’était pas établie. La loi sur les pratiques de commerce ne prévoyait expressément que la sanction des ventes à pertes de produits, mais était muette sur la vente à perte de services. Malgré ce vide apparent, la cour d’appel de Bruxelles arrêta que l’offre commerciale d’un câblopérateur qui propose aux consommateurs un abonnement moyennant neuf mois gratuits est contraire aux usages honnêtes en matière commerciale : « [L]orsqu’il apparaît que l’entreprise ne peut continuer à compenser les conséquences de ces ventes déficitaires par des moyens mis à disposition aux conditions du marché et que le niveau déficitaire des prix demandés ne peut pas être constamment maintenu à l’égard du consommateur »52. La décision de la cour d’appel de Bruxelles fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation. Celle-ci admet que le droit de la concurrence déloyale puisse interdire la vente à perte de services même dans le chef d’une entreprise ne disposant pas d’une position dominante53.

La doctrine a beaucoup débattu sur la portée à reconnaître ces deux arrêts successifs, apparemment contradictoires54. Certains auteurs y ont vu une exclusion pure et simple de l’application de la norme générale de loyauté lorsque la pratique en cause entre dans la sphère d’application du droit de la concurrence et n’est pas prohibée par celle-ci. D’autres optent pour une application cumulée du droit de la concurrence et de la loi sur les pratiques de commerce. D’autres encore tentent une approche conciliante et affirment que l’application de la norme de loyauté ne serait exclue qu’à l’égard des pratiques consistant « uniquement et par essence » en une restriction de la concurrence « entre distributeurs ». D’autres enfin considèrent que l’application de l’effet réflexe dépendrait exclusivement de la façon dont sont rédigées les prétentions du demandeur55.

13. Postérité – Quoique la portée à donner aux deux arrêts précités de la Cour de cassation reste sujet à débats, la lecture qui en a été proposée par le Professeur Stuyck semble s’être imposée dans la jurisprudence ultérieure rendue en matière de refus de vente opposé à un revendeur par son fournisseur56. Selon cette lecture57, l’effet réflexe du droit de la concurrence s’oppose à la fourniture du distributeur sur pied des pratiques de commerce lorsqu’il n’y a pas d’infraction au droit de la concurrence ; tout au plus, l’effet limitatif du droit de la concurrence pourrait-il être tempéré par une troisième norme – répondant à un objectif encore différent – soit l’abus de droit, tel que défini par la Cour de cassation, et correspondant à la rupture manifeste de l’équilibre entre les intérêts en cause. Ceci, étant entendu que « [q]uoi qu’il en soit, l’abus de droit ne sera qu’exceptionnellement admis, puisque la liberté du commerce inclut, sauf application d’une disposition légale contraire (tels par exemple l’article [102 TFUE] et l’article [IV.2 CDE]), le droit fondamental pour tout opérateur économique de refuser de nouer des liens contractuels avec ceux qui en font la demande »58.

Cette interprétation n’est pas anodine ; elle emporte de grandes conséquences dans le secteur de la distribution (agence, franchise, concession…). Le juge qui constate, d’une part, que la violation des usages honnêtes alléguée consiste en un refus de vente non contraire au droit de la concurrence et, d’autre part, que ce refus n’équivaut pas non plus à un abus de droit peut légitimement rejeter la demande de fourniture qui lui est adressée59. En pratique, les plaideurs qui échouent à réintégrer un réseau de distribution sur pied du droit de la concurrence perdent définitivement leur source d’approvisionnement60.

14. Précision – Il convient de ne pas se tromper. Sans doute, l’effet réflexe du droit de la concurrence fait-il obstacle à ce que la norme générale de loyauté en matière commerciale ne soit, en raison de sa polymorphie, invoquée pour « rattraper » une affaire où l’infraction au droit de la concurrence n’a pas pu être établie. Le droit spécial de la concurrence – dirait-on même le droit « précis » de la concurrence, en raison de la rigueur parfois chiffrée des seuils qu’il porte – éclipse la norme générale de loyauté commerciale lorsqu’il s’agit de s’attaquer à la même pratique commerciale à l’aide d’un standard moral général. L’effet réflexe peut alors être vu comme une application de l’adage Lex specialis derogat generali. Ce constat mène à une autre conclusion : quoi qu’on pense de la doctrine de l’effet réflexe, le droit des pratiques de commerce et l’action en cessation qui le sanctionne continuent à être d’application – même en l’absence d’infraction au droit de la concurrence – lorsque la déloyauté alléguée consiste à avoir violé une disposition légale ou réglementaire précise, quelle qu’elle soit61. Ainsi, la violation d’une obligation de fournir qui serait prévue réglementairement pourrait donner lieu à une action en cessation quand bien même elle n’impliquerait aucune restriction de concurrence. Dans ce cas, la norme générale de loyauté retrouve un aspect spécial par association avec une disposition légale précise, ce qui justifie qu’elle puisse à nouveau être invoquée à côté du droit de la concurrence.

SECTION II

APPLICATIONAUTONOMEDUDROITBELGE

15. Mimétisme et originalités – Lorsqu’une pratique ne présente pas une importance suffisante pour affecter le commerce entre États membres, l’article 3 du Règlement 1/2003 cesse de s’appliquer et le droit belge n’est plus contraint par les limitations qu’impose le droit européen62. En pratique toutefois, le modèle – et la ratio – du droit européen ont une telle autorité que les règles du droit antitrust belge ne se voient pas accorder de contenu distinct (sous-section 1). Le droit belge de la concurrence se révèle dans les applications belges des principes européens, ou au travers des poches d’autonomie qui lui sont laissées (sous-section 2).

Sous-section I

Volonté du législateur belge

16. Renvoi au droit européen – Même au sein de son espace d’application autonome, le droit national belge subit l’influence du droit européen. La référence au droit européen de la concurrence fait tellement peu débats que de nombreuses décisions la tienne pour acquise sans s’en justifier63. Sur ce point, la Cour de cassation n’est pas en reste. Dans une formule péremptoire, celle-ci a pu affirmer que « cette disposition [l’article IV.2 CDE], directement inspirée de [l’article 102 TFUE], doit être appliquée à la lumière du droit communautaire »64.

Il existe cependant une meilleure explication : il s’agit là de la volonté du législateur belge. Comme cela a pu être souligné par le Professeur Gérard, les travaux préparatoires de la loi sur la protection de la concurrence économique de 2006 révèlent que les principales dispositions de droit belge de la concurrence « sont inspirées directement par les règles européennes de concurrence ». L’article IV.1 CDE serait « la copie conforme » de l’article 101 TFUE, de même que l’article IV.2 CDE serait « la copie conforme » de l’article 102 TFUE. « L’usage de tels termes suggère donc que les articles [IV.1 et IV.2 CDE] ne constituent ni plus ni moins que des emprunts au droit européen, ce qui est en soi particulièrement éloquent quant à l’intention du législateur d’aligner également l’interprétation du droit belge des pratiques restrictives sur le droit antitrust européen ». L’intention est confirmée par le souhait du législateur que les entreprises « puissent mutatis mutandis se référer à la jurisprudence déjà établie par les instances […] européennes »65.

En conséquence, c’est par « référence aux instruments législatifs européens et autres Lignes directrices, ainsi qu’à la jurisprudence de la Commission et de la Cour de justice »66 qu’il y a lieu d’appliquer les dispositions de droit belge. Ainsi, même lorsque le droit belge de la concurrence est le seul droit applicable, encore faut-il le mettre en œuvre conformément aux principes d’analyse définis en droit européen dont, notamment, les Règlements d’exemption67 et les Lignes directrices de la Commission européenne68.

17. Objectifs poursuivis par le droit de la concurrence – Le législateur belge renvoie donc au droit européen de la concurrence. Ce renvoi intervient, bien sûr, quant à la substance même de la règle : les dispositions de droit européen ont été reproduites presque mot-pour-mot en droit interne. En l’absence d’autre précision, ce renvoi doit également être considéré intervenu en ce qui concerne les objectifs poursuivis par l’application du droit de la concurrence.

Or, les objectifs poursuivis par le droit européen sont multiples. Parmi ceux-ci, la Commission européenne met en avant depuis plusieurs années la promotion du bien-être du consommateur. Toutefois, divers autres objectifs sont également assignés à la mise en œuvre des règles de concurrence. Ainsi, selon la Cour de justice : « [Les règles de concurrence] ont pour objectif d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs, contribuant ainsi au bien-être dans l’Union »69.

Rétrospectivement, il faut constater que la politique de concurrence ne constitue pas un bloc homogène. Au fil du temps, des objectifs variés ont été attribués aux règles de concurrence. La politique de concurrence est l’expression des valeurs et des ambitions de notre société. Dès lors, elle est susceptible de varier avec l’évolution de la pensée politique70. Inévitablement, cette évolution est également source de tensions dans l’application du droit71. Dans ces circonstances, les objectifs donnés au droit de la concurrence semblent être mieux décrits par le biais d’une liste d’objectifs.

Le « bien-être du consommateur » constitue sans nul doute l’objectif le plus souvent assigné au droit de la concurrence moderne. La Commission européenne en a fait son étendard72. Dans ce cadre, la protection de la concurrence n’est pas un but en soi mais un moyen d’assurer une allocation efficace des ressources et d’améliorer le bien-être des consommateurs.

La concurrence a alors pour objectif de prévenir l’exploitation d’un pouvoir de monopole ou pouvoir de marché73, en ce que ces situations sont susceptibles de mener à :

□ une inefficience allocative (i.e. : les prix augmentent et certains consommateurs ne peuvent plus s’approvisionner) ;

□ une inefficience distributive (i.e. : pour ceux des consommateurs qui peuvent suivre la hausse des prix, s’approvisionner coûte plus cher) ;

□ une inefficience dynamique ou productive (i.e. : l’entreprise qui dispose d’un pouvoir de marché significatif n’est plus incitée à innover et ne développe plus de nouveaux produits ou services, ni ne cherche à améliorer ses procédés de production)74.

Concrètement, la légalité d’une pratique à l’aune du droit de la concurrence s’apprécie alors au terme d’un « bilan concurrentiel » (ou « bilan économique », ou « bilan global »). Il s’agit ici de faire appel aux outils de l’analyse économique pour apprécier les effets escomptés d’une pratique sur le marché. Une mise en balance des effets a ensuite lieu75. Si les effets négatifs de la restriction de concurrence sont dépassés par les effets positifs de la pratique considérée et que le résultat net est favorable aux consommateurs, la pratique sera considérée comme légale76.

Le droit de la concurrence se voit aussi assigner la mission de réaliser et consolider le marché intérieur de l’Union européenne – objectif « le plus fondamental », selon la Cour de Justice77. Il vise notamment à permettre aux consommateurs de tirer les entiers bénéfices qu’un vaste marché est susceptible de mettre à leur disposition.

En pratique, cet objectif a permis de sanctionner les accords entre concurrents (ou entre producteur et distributeur) qui visent à reconstituer des cloisonnements au niveau des frontières nationales en vue d’empêcher le commerce entre États membres et de se répartir les marchés78. La poursuite de cet objectif justifie également de punir les pratiques commerciales qui visent à limiter le « commerce parallèle » (soit, le commerce de produits importés d’un autre État par le biais de canaux de distribution parallèles au réseau officiel de distribution) dans la mesure où le commerce parallèle est considéré comme généralement favorable aux consommateurs.

Selon les époques – selon les chapelles – le droit de la concurrence a également pu se voir assigner pour objectif de préserver les opportunités d’action sur le marché. L’école ordo-libérale plaide pour une dispersion du pouvoir économique privé entre plusieurs mains. Selon cette approche, le droit de la concurrence devrait garantir la liberté individuelle de chacun d’entrer sur le marché et favoriser les PME contre les entreprises de plus grande taille79. Dans une certaine mesure, elle mène à une protection des concurrents, plutôt que de la concurrence et est de ce fait sévèrement critiquée par les partisans d’une politique de concurrence orientée vers la promotion du bien-être des consommateurs80.

D’autres objectifs, plus ou moins distincts, plus ou moins bien formés, transparaissent de la mise en œuvre du droit de la concurrence. Parmi ceux-ci, citons : la protection de la liberté de choix des consommateurs81 ; la transparence et l’équité (en particulier, sur internet, depuis quelques années)82 ; la protection des intérêts nationaux ou européens83.

18. Notion de restriction de concurrence (Avertissement) – Le présent Manuel fournit une relation extensive de l’état de la jurisprudence rendue en Belgique à l’égard des pratiques restrictives de concurrence. Il convient cependant de ne pas se méprendre : l’application du droit de la concurrence ne se limite pas aux cas identifiés par la jurisprudence à ce jour, qu’il s’agisse d’ailleurs de la jurisprudence belge ou européenne. L’imagination des entreprises pour développer de nouvelles pratiques commerciales et l’imagination des plaideurs pour développer de nouvelles théories d’atteinte à la concurrence sont les seules limites à l’application du droit de la concurrence. Les dispositions qui encadrent les ententes entre entreprises ou les pratiques unilatérales (abus de position dominante ou abus de dépendance économique) sont articulées selon une formulation largement ouverte à interprétation.

Une première typologie de scénarios d’atteinte à la concurrence peut être dressée ici à grands traits, en guise d’aperçu.

En matière d’ententes entre entreprises, le droit de la concurrence interdit :

les pratiques de collusion – soit, le fait pour des entreprises rivales de suspendre la concurrence entre elles pour accroître leurs revenus sans efforts ;

les pratiques d’exclusion (ou « forclusion ») – soit, le fait pour une entreprise de priver ses concurrents de l’accès aux consommateurs (on parle de « forclusion des débouchés ») ou de les priver d’accès aux sources d’approvisionnement (on parle de « forclusion des intrants »)84.

En matière de pratiques unilatérales, le droit de la concurrence sanctionne :

les abus d’exploitation – soit, les pratiques par lesquelles une entreprise exploite son pouvoir de marché au détriment de ses clients ou de ses fournisseurs en leur imposant des conditions de transaction inéquitables ;

les abus d’exclusion – soit les pratiques par lesquelles une entreprise instrumentalise son pouvoir de marché afin d’infliger un désavantage à ses concurrents et les contraindre à sortir du marché85.

De manière très générale, le droit de la concurrence est susceptible de s’appliquer à toute pratique commerciale par laquelle une entreprise gagne ou maintien des parts de marché par des moyens étrangers à une concurrence « par les mérites », et pour autant que ceci ne soit pas contrebalancé par des « gains d’efficacité » qui bénéficieraient aux consommateurs86.

19. Primauté du droit européen et restrictions publiques de concurrence. Le fait que le droit belge soit largement la reproduction du droit européen de la concurrence a pu mener certaines juridictions à la conclusion que l’examen de l’affectation du commerce entre États membres ne revêtait, au final, que des conséquences théoriques. Ainsi, après avoir constaté que « Les articles 101 et 102 TFUE ne sont pas applicables en tant que tels à l’accord en cause », la cour d’appel de Liège a pu arrêter que : « Cette conséquence est toutefois assez théorique dès lors que le droit matériel belge de la concurrence, qui trouve dès lors seul à s’appliquer, constitue un emprunt au droit européen »87. Cette analyse ressort également parfois de la jurisprudence de l’Autorité belge de la concurrence88.

C’est cependant aller trop vite en besogne que de considérer que l’examen de l’affectation du commerce entre États membres serait dépourvu de conséquences. Notamment, la primauté du droit européen permet la mise à l’écart des restrictions publiques de concurrence inscrites en droit interne. En l’absence d’affectation du commerce intracommunautaire, le seul droit belge de la concurrence risque de s’avérer être une base normative insuffisante pour agir. Lorsque la restriction publique est de portée réglementaire, il est envisageable qu’elle soit écartée pour contrariété avec la loi belge sur la concurrence ; en revanche, il est peu probable qu’entre deux normes à valeur légale, le juge ordinaire interprète le conflit en faveur de l’application des articles IV.1 ou IV.2 CDE – et ce, a fortiori, si on constate que le droit de la concurrence constitue la lex generalis et la restriction publique (sectorielle), la lex specialis. L’application du droit européen de la concurrence, n’est pas une question purement théorique ; elle permet de tirer parti de la primauté attachée au droit européen pour contester les restrictions publiques de concurrence inscrites dans la loi belge89.

Sous-section II

Autonomie du droit belge de la concurrence

20. Champ – L’inféodation du droit interne au droit européen imposée par le Règlement 1/2003, d’une part, puis le mimétisme imposé au droit belge par le législateur belge, d’autre part, limitent les aspects véritablement originaux du droit belge90. Le droit « belge » de la concurrence se révèle principalement dans les applications belges des principes européens, qu’il s’agisse de décisions de jurisprudence traitant des questions non (encore) résolues au niveau européen ou de cas d’application inédits, propres à des marchés non encore abordés.

Il convient cependant de ne pas sous-estimer la portion des règles purement nationales. De nombreuses règles sont véritablement originales et propres au terroir belge. À titre d’illustration, on citera, pêle-mêle : la cause d’exemption propre aux PME prévue à l’article IV.1, § 3 CDE ; la notion d’abus de dépendance économique ; les infractions et sanctions mises à charge des personnes physiques qui négocient ou décident de la conclusion de certains cartels ; la transposition des règles d’indemnisation des infractions au droit de la concurrence ; les règles de nullité des contrats… À cela s’ajoute encore l’ensemble des règles de procédure dont dépend l’issue d’un nombre tellement grand d’affaires : pouvoir d’instruction de l’ABC ; prescription de l’infraction, de l’action publique et de la sanction ; clémence, immunité, transaction ; règles de recours devant la Cour des marchés ; contentieux des mesures provisoires ; etc. Quoique exceptionnelles, les règles véritablement originales du droit belge de la concurrence présentent une importance significative.

21. Délimitation de notre étude – Le présent Manuel a pour objet l’étude du droit belge des pratiques restrictives de concurrence, et l’application du droit antitrust européen par les juridictions et autorités belges91. Il est constitué de trois chapitres. Le chapitre I porte sur le droit des ententes et accords entre entreprises. Le chapitre II a pour objet le droit de l’abus de position dominante et l’abus de dépendance économique. Le chapitre III étudie la procédure devant l’ABC et les juridictions judiciaires belges.

1. Il est possible de recenser les principales réformes suivantes, à l’exclusion les textes de réparation ou les amendements moins fondamentaux :

– loi du 5 août 1991, sur la protection de la concurrence économique, M.B., 11 octobre 1991 (coordonnée par AR, 1er juillet 1999, M.B., 1er septembre 1999, p. 32315, après L., 22 mars 1993, M.B., 19 avril 1993, L., 26 avril 1999, M.B., 27 avril 1999, et avant L., 15 mars 2000, M.B., 5 mai 2000) ;

– loi du 15 septembre 2006, sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006, M.B., 29 septembre 2006, p. 50613 ; loi du 10 juin 2006, instituant un Conseil de la concurrence, M.B., 29 juin 2006, p. 3274 ;

– loi du 3 avril 2013 portant insertion du livre IV « Protection de la concurrence » et du livre V « La concurrence et les évolutions de prix » dans le Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au livre IV et au livre V et des dispositions d’application de la loi propres au livre IV et au livre V, dans le livre Ier du Code de droit économique, M.B., 26 avril 2013, p. 25216 ; loi du 3 avril 2013 portant insertion des dispositions réglant des matières visées à l’article 77 de la Constitution, dans le livre IV « Protection de la concurrence » et le livre V « La concurrence et les évolutions de prix » du Code de droit économique, M.B., 26 avril 2013, p. 25248 ;

– loi du 2 mai 2019 portant modifications du livre Ier « Définitions », du livre XV « Application de la loi » et remplacement du livre IV « Protection de la concurrence » du Code de droit économique, M.B., 24 mai 2019, p. 50073. Cette dernière réforme est concomitante avec l’adoption de la loi du 4 avril 2019 modifiant le Code de droit économique en ce qui concerne les abus de dépendance économique, les clauses abusives et les pratiques du marché déloyales entre entreprises, M.B., 24 mai 2019, p. 50066.

2. La loi belge sur la protection de la concurrence économique de 1991 trouve ses racines dans le contrôle des prix qui a caractérisé l’économie belge de l’après-guerre (arrêté-loi, 22 janvier 1945, concernant la répression des infractions à la réglementation relative à l’approvisionnement du pays, ultérieurement intégré dans la loi du 30 juillet 1971 sur la réglementation économique et les prix, M.B., 24 janvier 1945, p. 345) et la loi du 27 mai 1960 sur la protection contre l’abus de puissance économique (M.B., 22 juin 1960, p. 4674). Pour un descriptif plus complet de l’évolution de la loi belge sur la concurrence depuis la seconde mondiale, voy. : D. GRISAY (dir.), Introduction au droit belge de la concurrence, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 78 et s. ; F. NAERT, « Une évaluation politico-économique de la politique belge de la concurrence », Reflets et perspectives, XLVII, 2008/1, p. 73.

3. Projet de loi instituant un Conseil de la concurrence, rapport de M. STEVERLYNCK fait au nom de la Commission, Doc. parl., Sénat, sess. ord. 2005-2006, no 3-1665, 26 avril 2006.

4. Projet de loi portant insertion du livre IV « Protection de la concurrence » et du livre V « La concurrence et les évolutions de prix » dans le Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au livre IV et au livre V et des dispositions d’application de la loi propres au livre IV et au livre V, dans les livres I et XV du Code de droit économique, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2012-2013, nos 53-2591/001 et 53-2592/001, 27 décembre 2012, p. 5.

5. Proposition de loi portant modifications au livre Ier « Définitions », au livre XV « Application de la loi » ainsi que le remplacement du livre IV « Protection de la concurrence » dans le Code de droit économique, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2018-2019, no 54-3621/001, 27 février 2019, p. 43.

6. La principale réforme de 2006 porte diverses mesures destinées à transformer l’Autorité de la concurrence – alors Conseil de la concurrence – en autorité vraiment indépendante du pouvoir politique.

7. En 2013, les travaux portent sur la mise en place d’un mécanisme de « transaction » (ou « plaider coupable ») et autres mécanismes destinés à faciliter et accélérer le traitement des affaires. En 2019, le législateur revoit le plafond du montant des amendes – trop peu élevé – qui avait limité à plusieurs reprises le montant des sanctions.

8. En 2005, l’OCDE souligne « Staffing levels are very low by international comparison » (Economic Survey Belgium, mars 2005, p. 160). En 2011, l’Accord de gouvernement fait valoir le besoin « [d]e renforcer l’efficacité de l’Autorité de la concurrence ». À cette fin « [e]lle sera dotée de moyens suffisants et d’un cadre de sanctions dissuasif » (Accord de gouvernement, 1er décembre 2011, p. 114, disponible à l’adresse : www.lachambre.be/kvvcr/pdf_sections/searchlist/Accord_de_Gouvernement_1er_decembre_2011.pdf). Même rengaine en 2014, où l’Accord de gouvernement fait valoir que : « L’Autorité de la concurrence sera également renforcée pour assurer pleinement son rôle de gendarme de la concurrence » (Accord de gouvernement, 9 octobre 2014, p. 130, disponible à l’adresse : www.premier.be/sites/default/files/articles/Accord_de_Gouvernement_-_Regeerakkoord.pdf).

9. K. MARCHAND, B. VAN DE WALLE DE GHELCKE et P. WYTINCK, « De ambitie is : beslissingen, beslissingen, beslissingen. Interview met Jacques Steenbergen. Voorzitter Belgische Mededingingsautoriteit », T.B.M., 2014, 9(1), p. 5.

10. Cons. conc., Conseil, déc. no 2007-I/O-27 du 26 octobre 2007, aff. CONC-I/O-98/0004 : E.S. c. Ordre des pharmaciens, CONC-I/O-98/0024 : L.P.D. c. Ordre des pharmaciens, CONC-I/O-98/0032 : Groupe Multipharma c. Ordre des pharmaciens.

11. Cons. conc., Conseil, déc. no 2007-I/O-19 du 21 août 2007, aff. MEDE-I/O-00/0027 : Orde der Dierenartsen.

12. Cons. conc., Prés., déc. no 95-VMP-03 du 31 octobre 1995, Architect Roland Clarysse tegen de Orde van Architecten.

13. Cons. conc., Conseil, déc. no 2008-P/K-45 du 25 juillet 2008, aff. MEDE-P/K-06/0006 : Review BVBA c. Associatie van Interieurarchitecten van België vzw.

14. Cons. conc., Conseil, déc. no 2010-I/O-30 du 26 août 2010, aff. CONC-I/O-01/0042 : Beroepsinstituut van Vastgoedmakelaars.

15. Cons. conc., Auditorat, déc. no 2010-P/K-03-AUD du 22 février 2010, aff. I/O-99/0021 : L. et consorts c. Chambre des notaires de l’arrondissement de Mons ; Cons. conc., Auditorat, déc. no 2011-P/K-50-AUD du 19 décembre 2011, aff. CONC-P/K-06/0014 : M. […] et Mme […] c. notaires de la province du Hainaut.

16. Cons. conc., Conseil, déc. no 2008-V/M-31 du 13 juin 2008, aff. CONC-I/O-96/0019 : N’Diaye c. Ordre national des avocats de Belgique – Ordre des avocats du barreau de Liège ; Cons. conc., Conseil, déc. no 2012-P/K-25 du 2 octobre 2012, aff. CONC-P/K-12/0001 : […] c. OBFG, Ordre des avocats du barreau de Liège et les membres des conseils de l’Ordre des avocats du barreau de Liège ; Cons. conc., Conseil, déc. no 2002-V/M-01 du 8 janvier 2002, aff. CONC-VMP-96/0001 : Tambue c. Ordre des avocats ; Cons. conc., Auditorat, déc. no 2008-P/K-68-AUD du 15 décembre 2008, aff. MEDE-PK-02/0011 : Meesters Bogaert en Vandemeulebroeke en cvba Bogaert & Vandemeulebroeke c. Nationale Orde van Advocaten.

17. Cons. conc., Conseil, déc. no 2008-P/K-43 du 7 juillet 2008, aff. CONC-I/O-98/0031 : ISC c. FAB et ses membres ; CONC-P/K-05/0023 : Test-Achats c. auto-écoles de Belgique ; Cons. conc., Conseil, déc. no 2008-I/O-04-04 du 25 janvier 2008, aff. MEDE-I/O-04/0045 : Vlaamse federatie van verenigingen van Brood- en Banketbakkers, Ijsbereiders en Chocoladebewerkers (VEBIC) ; Cons. conc., Conseil, déc. no 2007-I_O-05 du 29 janvier 2007, aff. MEDE-I/O-04/0072 : Fedoba.

18. Il est vrai que la LPCE 1995 ne prévoyait pas de sanction pour les associations d’entreprises. Par exception, une mesure d’astreinte – mais pas d’amende – a pu être prise pour appuyer l’ordre de cessation (Cons. conc., Pres., dec. no 95-VMP-03, Architect Roland Clarysse tegen e Orde van Architecten).

19. « De plus, lorsqu’une amende est infligée à une association, les membres peuvent être tenus responsables du paiement de l’amende par l’association. Pourtant, dans le cas présent, le nombre actuel de membres n’est qu’une infime proportion du nombre de membres au début de l’instruction. Il ne semble pas justifié que les membres actuels subissent des conséquences disproportionnées ». Cons. conc., Conseil, déc. no 2008-P/K-43 du 7 juillet 2008, aff. CONC-I/O-98/0031 : ISC c. FAB et ses membres et CONC-P/K-05/0023 : Test-Achats c. Auto-écoles de Belgique, § 81.

20. Cons. conc., Conseil, déc. no 2011-P/K-47 du 8 décembre 2011, aff. CONC-P/K-08/0016 : […] & consorts c. Chambre nationale des huissiers, §§ 85 et s. ; Cons. conc., Conseil, déc. no 2010-I/O-30 du 26 août 2010, aff. CONC-I/O-01/0042 : Beroepsinstituut van Vastgoedmakelaars ; Cons. conc., Conseil, déc. no 2008-P/K-45 du 25 juillet 2008, aff. MEDE-P/K-06/0006 : Review BVBA c. Associatie van Interieurarchitecten van België vzw, §§ 61 et s.

21. Formellement, les décisions de l’ABC excluent d’abord l’imposition d’une amende en raison de la durée déraisonnable des enquêtes, puis décident séparément d’imposer des devoirs de publication.

22. ABC, Collège de la concurrence, déc. no ABC-2019-I/O-14 du 28 mai 2019, aff. CONC-I/O-16/0011 : MediCare-Market c. Ordre des pharmaciens.

23. Ibid., p. 38, § 149. Un site web, un logo et une enseigne spécifiques sont adoptés pour la pharmacie, désormais dénommée PharmaClic. Un système de caisses spécifiques à chaque entité, l’installation de portes vitrées coulissantes entre la pharmacie et la parapharmacie, des vêtements de couleurs différentes, des fonds musicaux différents…, sont également adoptés.

24. Le Collège de la concurrence emploie des mots au moins aussi forts et considère que l’argument de la confusion est « une construction artificielle dont l’objet est, dans le cas d’espèce, de fournir une justification à ce qui est en réalité une stratégie d’éviction vis-à-vis d’un business model concurrent » (ibid., p. 226, § 27).

25. Pour être complet, l’argument de l’Ordre des pharmaciens consiste en fait à soutenir que la commercialisation d’articles de parapharmacie en pharmacie ne serait pas critiquable au motif que la présence d’un pharmacien au comptoir garantit le bon usage cumulé de ces deux types d’articles. « Parce que si vous prenez une statine, par exemple, un médicament anticholestérol sur prescription, et que vous achetez ensuite de l’extrait de riz rouge, un anticholestérol vendu comme supplément alimentaire, vous serez deux fois traité pour le même problème, avec des risques inhérents. Un pharmacien sait faire le tri, pas un simple vendeur d’une parapharmacie » (ibid., p. 140, § 181). L’argument ne convainc guère. Dans la mesure où la vente de produits de parapharmacie est libre et peut avoir lieu successivement dans deux établissements différents, le pharmacien ne saurait proscrire l’accident avec un quelconque degré de certitude – au demeurant, les conseils de prise des médicaments doivent être systématiques, et non pas limités aux cas où le patient se présente avec deux boîtes au comptoir. Par contre, l’exclusion de MediCare-Market du marché a certainement pour effet de priver les consommateurs d’un canal de distribution offrant des produits de parapharmacie à bas coût.

26. Ibid., p. 228, §§ 37 et s. En outre, les pratiques d’éviction du marché, d’entrave au développement commercial ou de restriction de la concurrence potentielle constituent des restrictions de concurrence par objet.

27. Ibid., p. 236, §§ 61 et s. Le Collège souligne également que le risque de surconsommation lié à une baisse du prix des médicaments paraît devoir être relativisé. La consommation de médicaments est déjà élevée en Belgique. L’élasticité-prix de ce type de produits serait faible, indiquant qu’une baisse des prix se traduit par une augmentation moins que proportionnelle des quantités.

28. Ibid., p. 238, § 69. « [L’Ordre des pharmaciens] a agi dans un but économique et a pris des décisions ayant pour objet l’éviction d’un modèle de distribution innovant. Les décisions du Conseil national de l’OP sont à ce point nocives au bien-être du consommateur, et notamment à la concurrence tarifaire (sur le prix de vente des médicaments) et non tarifaire (sur l’innovation), qu’elles constituent des infractions graves au droit de la concurrence. Elles violent, du reste, des jurisprudences et la pratique décisionnelle établies aux niveaux européen et belge. Enfin, ces décisions ne visent pas à atteindre un objectif légitime ».

29. Pour ce faire, le Collège retient le chiffre d’affaires des pharmacies – et non celui des pharmaciens, pourtant seuls formellement membres de l’Ordre des pharmaciens. Une solution différente nuirait à l’effectivité du droit de la concurrence dans la mesure où il serait aisé pour les associations d’entreprises de réduire leur responsabilité en suggérant à leurs membres de s’organiser pour limiter la base de calcul de l’amende.

30. ABC, Collège de la concurrence, déc. no ABC-2019-I/O-14 du 28 mai 2019, aff. CONC-I/O-16/0011 : MediCare-Market c. Ordre des pharmaciens, p. 244, §§ 100-123. Soit, approximativement, une hausse unique de cotisation de 200 euros par pharmacie. Si le montant de l’amende est remarquable, son poids n’est donc pas insupportable, loin s’en faut.

31. Bruxelles, 8 janvier 2020, Ordre des pharmaciens c. ABC, 2019/MR/3, pp. 39 et s. (disponible sur le site de l’ABC).

32. F. NAERT, « Une évaluation politico-économique de la politique belge de la concurrence », Reflets et perspectives, XLVII, 2008/1, p. 73.

33. Entre 2016 et 2017, le personnel de l’ABC est passé de 37 à 48 membres, et le personnel disponible pour les instructions de 26 à 35 membres. ABC, Rapport annuel 2017, p. 7. Les effectifs sont stables ensuite.

34. En 2019, le Conseil central de l’économie souligne que les moyens mis à la disposition de l’Autorité sont encore insuffisants pour remplir correctement ses missions. Conseil central de l’économie, Rapport emploi-compétitivité (REC) 2018-2019. Les défis de l’économie belge