Mémoire de mes souvenirs - Camille Franck - E-Book

Mémoire de mes souvenirs E-Book

Camille Franck

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Beschreibung

"Mémoire de mes souvenirs" offre une interprétation authentique et solide d’Alger, basée sur des faits documentés avec des dates précises et des témoignages crédibles. Cet ouvrage couvre des moments clés tels que l’implication de l’Algérie pendant la Seconde Guerre mondiale, les Évènements d’Algérie, la révolution hongroise de 1956, la bataille d’Alger, la décolonisation de l’Algérie et les attentats du FLN, entre autres. Quels autres secrets historiques cachent les rues d’Alger ?


À PROPOS DE L'AUTRICE

Descendant d’Alsaciens émigrés en Algérie, Camille Franck a vécu de près de nombreux événements historiques, dont la guerre d’Algérie. Cette expérience lui confère une connaissance approfondie du passé complexe et fascinant d’Alger, source d’inspiration pour ses œuvres littéraires.

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Camille Franck

Mémoire de mes souvenirs

© Lys Bleu Éditions – Camille Franck

ISBN : 979-10-422-1288-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Il est toujours difficile de reconstituer une ligne de sa mémoire lorsque l’on est au soir de sa vie et surtout lorsque l’on ne suit pas un plan qui, sans être en deux parties et deux sous-parties pour rappeler les principes inculqués (tout au moins à mon époque) dans les instituts d’études politiques, respecte tout au moins la chronologie.

Mais celle-ci s’appuie en général sur des éléments précis, des dates, des faits non discutables pouvant être corroborés par des témoins, des proches ou amis qui pourront le cas échéant aider à rectifier certains souvenirs que l’on considérait comme indiscutables…

Les premières images qui remontent dans mon esprit sont malheureusement celles de la Seconde Guerre mondiale. Mes parents habitaient à Alger dans une cité située rue Duc des Cars (général commandant la 3e division lors de la conquête en juin 1830…) et notre immeuble qui était transversal avait une sortie dont le numéro était le 36, et par sa construction en faisait un abri contre d’éventuels bombardements… Bravo pour les architectes et constructeurs de cet ensemble…

En novembre 1942 (j’étais donc âgé de 2 ans), les forces anglo-américaines ont réalisé l’opération « Torch » (c’est-à-dire le « Flambeau ») qui avait fait l’objet de discussions pour choisir l’Afrique du Nord plutôt que le continent européen, car le raid effectué sur Dieppe n’avait pas été concluant et l’on doit à cet égard rendre hommage à Winston Churchill qui a considéré que les forces allemandes étaient dans une situation de supériorité militaire et opérationnelle pour s’opposer à cette date à un éventuel débarquement sur les côtes de France…

Selon ce que j’ai pu apprendre ultérieurement par des amis qui ont conservé des liens forts avec les Américains, une telle opération qui mettait en ligne conjointement pour la première fois les forces militaires des deux pays faisant suite à la bataille victorieuse d’El Alamein pourrait permettre d’ouvrir un second front pour permettre à l’Union soviétique de pouvoir bloquer l’avancée allemande qui était aux portes de Stalingrad et derrière cette ville devenue célèbre, mais qui néanmoins changea de nom en 1961 pour s’appeler Volgograd, il y avait le Caucase et le pétrole… On peut ainsi constater que ce produit a beaucoup influencé l’Histoire…

Il y eut une rencontre clandestine à Cherchell sur la côte ouest à 85 km d’Alger et le général Clark adjoint du général Dwight Eisenhower se déplaça à bord d’un sous-marin pour y participer…

L’opération qui y fut décidée (on a évoqué les « Accords de Cherchell ») était d’envergure puisque répartie sur trois secteurs géographiques de l’Afrique du Nord :

— Les forces ouest avaient le Maroc comme objectif,
— Les forces du centre Oran,
— Et les forces est Alger.

84 000 GI’s et 23 000 soldats de Sa Gracieuse Majesté participaient aux opérations, appuyés par une flotte maritime conséquente comportant pas moins de 10 porte-avions, 6 cuirassés et des croiseurs…

Ce qui plaisait beaucoup à Churchill dans cette opération c’était le changement de la grande stratégie anglo-américaine au profit du plan britannique consistant pour reprendre les écritures de Carlo D’Este remarquable historien de ses mémoires « à resserrer le nœud coulant autour de l’Axe »… en passant par la Méditerranée.

Pour permettre à l’opération Torch de réussir, c’est-à-dire de faire basculer l’Afrique du Nord française et son armée aux côtés des Alliés contre les troupes germano-italiennes, un putsch (il est bien appelé ainsi par les historiens) réalisé par 400 résistants, des métropolitains, des pieds-noirs et surtout des juifs français d’Algérie qui entendaient lutter contre les mesures anti-juives permit grâce à l’occupation de points stratégiques de la ville d’Alger et à la mise en « garde à vue symbolique » du général Juin et de l’Amiral Darlan qui était de passage par un groupe de jeunes élèves des classes terminales commandés par l’adjudant de réserve Pauphilet de neutraliser les postes de commandement qui auraient pu vouloir s’opposer aux débarquements.

Il y eut bien sûr et malheureusement des combats, mais au bout de huit jours compte tenu de ce qui précède l’Armée d’Afrique se retourna vers les Alliés pour annoncer qu’elle allait combattre désormais avec eux. Un seul des navires fut perdu à la suite d’une attaque effectuée par un avion spécialisé de la Luftwaffe.

On peut comprendre que pendant ces 8 jours, les Algérois ont entendu des alertes retentir à plusieurs reprises et des combats aériens spectaculaires, mais susceptibles d’entraîner des dommages pour la population, se dérouler ainsi que des attaques et bombardements visant des navires de guerre français qui étaient hostiles à ladite opération ont été effectués dans le port d’Alger…

Plutôt que de se rendre dans les abris publics, ma mère et des voisins se plaçaient dans le coin séjour qui jouxtait la structure porteuse de l’immeuble, ce qui constituait une protection efficace. Si l’on vérifie dans les statistiques de cette époque, peu de civils en dehors de ceux se trouvant sur les quais furent victimes de cette opération…

Seconde image liée à celle qui précède : après l’arrivée des forces alliées à Alger, celle des « tommies » reçus dans les familles « pieds noirs », car si la population française n’aimait pas trop le général de Gaulle, elle détestait les Allemands ainsi que leurs alliés italiens, d’où cette antipathie à l’encontre des originaires de la grande botte que j’ai ressentie tout au long de ma jeunesse et que j’ai eu du mal à analyser, moi qui aimais beaucoup le latin et qui partais très fier le jour de la composition de version latine avec mon « Gaffiot » (dictionnaire latin-français) sous le bras…

Dans notre quartier (rues Duc des Cars et d’Estonie), il y avait deux écoles d’enseignement secondaire, l’une Duc-des-Cars pour les garçons et l’autre d’Estonie pour les filles. Comme il fallait héberger plusieurs milliers de soldats que les casernes algéroises ne pouvaient accueillir, ce furent des écoles qui devaient les recevoir, mais en finale c’est l’école des garçons qui devint une caserne annexe des troupes de Sa Gracieuse Majesté George VI pour reprendre le texte d’Edmond Brua, auteur de la « Parodie du Cid » et qui demeurait dans un immeuble de la rue d’Estonie…

Winston Churchill a apprécié notre ville puisque le 28 mai 1943, il revint à Alger où il fut accueilli à l’aéroport de Maison-Blanche par le général Eisenhower qui fut décoré le lendemain dans l’enceinte du Palais d’été par le général Giraud des insignes de grand-croix de la Légion d’honneur. Le Premier ministre anglais qui a entretenu de forts liens d’amitié avec lui venait pour finaliser la préparation de l’opération « Husky » qui concernait un débarquement en Sicile et la prise de têtes de pont permettant le contrôle de l’Île. Dans ses mémoires de seigneur de guerre, il est dit « Il (Winston bien sûr) apprécia tellement Alger qu’il y resta huit jours… ». C’était dans la villa de l’amiral anglais Cunningham située dans les hauteurs de la ville… « Il déclarera d’ailleurs plus tard ne pas avoir de souvenirs plus agréables de la guerre ». Impressionnant n’est-ce pas ?

Que devinrent les garçons élèves de l’école pendant ce temps ? Ils partagèrent leur temps d’études entre l’école de la rue Négrier et la classe dite « plein-air » des Tagarins, clairière aménagée au nord du quartier.

Troisième image, mais douloureuse, les conséquences du décès de ma petite sœur Suzanne qui, victime d’une coupure à un membre inférieur, ne put pas être sauvée et notamment traitée avec de la pénicilline qui commençait seulement à être diffusée en Afrique du Nord et était réservée aux soldats du front algéro-tunisien… Ma mère fut particulièrement éprouvée, ce qui se comprend et je me souviens d’elle allongée sur le lit dans sa chambre entourée de voisines qui essayaient de la réconforter…

Par la suite, mes parents, c’est du moins ce que j’ai ressenti, m’ont en quelque sorte et d’une certaine façon, « reproché » d’être toujours présent alors que Suzanne n’était plus là… Il convient que l’enfant survivant, c’est tout au moins ce que je pense, fasse en sorte de justifier l’amour parental en allant dans certaines circonstances au-delà de ce que l’on peut attendre de lui.

Je viens d’évoquer le front algéro-tunisien. Il convient de rappeler que l’opération « Torch » fut un succès pour les 3 secteurs de débarquement, mais la Tunisie qui était sous protectorat français fut livrée aux troupes allemandes sans aucune résistance par les représentants du gouvernement dit de Vichy…

Ma mère qui travaillait comme secrétaire dans une entreprise gérant l’alfa, espèce particulière de plante poussant dans le Sud-Oranais et qui sert notamment à fabriquer des papiers d’impression de qualité que les Britanniques ont toujours appréciés, ne pouvant s’occuper de moi en l’absence de mon père qui était mobilisé, me confia à ma grand-mère paternelle, Marie née Marie-Jeanne Arlandis, d’origine espagnole andalouse qui devint française à son mariage avec Félix mon grand-père dont on m’a beaucoup parlé.

Après le départ d’Alsace en 1871 des régions de Colmar et Guebwiller, les parents de Félix qui avaient refusé comme beaucoup d’autres Alsaciens-Lorrains de devenir des citoyens de l’Empire allemand conformément aux dispositions du traité de Francfort qui permettaient d’effectuer le choix de sa nationalité jusqu’en 1872, constituèrent le convoi Ziegler et prirent un bateau à Marseille avec beaucoup d’autres Alsaciens-Lorrains et débarquèrent à Philippeville.

Il faut rappeler que le Bas-Rhin, le Haut-Rhin à l’exception de ce qui deviendra le Territoire de Belfort en raison de la défense organisée par le colonel Denfert-Rochereau au siège de la ville entre le mois de novembre 1870 et la date de l’armistice du 15 février 1871 ainsi qu’une partie de la Lorraine vont constituer des taches noires sur la carte de France présentée aux élèves des classes des écoles primaires et secondaires après 1871…

Le lion symbole de la ville de Belfort a été très largement connu et représenté dans le monde. Ma mère Solange est née en janvier1916 à Danjoutin dans ledit Territoire de Belfort.

Les historiens considèrent que 70 000 Alsaciens-Lorrains s’installèrent en Algérie, que plus de 60 000 émigrèrent vers des régions industrielles de France, mais également, ce qui n’est pas toujours indiqué que beaucoup (comme les Irlandais), partirent vers l’Amérique… et un des derniers exemples connus est celui de Russel Schweickart, astronaute américain qui participa au vol d’Apollo 9 en mars 1969 et réalisa une sortie extravéhiculaire pour tester un scaphandre. Il est d’origine alsacienne par son père né à Lembach dans le Bas-Rhin et est devenu citoyen d’honneur de cette commune…

Mon grand-père paternel Félix naquit à Philippeville en 1875 et comme beaucoup de ses compatriotes d’origine s’orienta vers les professions de construction des bâtiments, ce qui était d’autant plus justifié avec le développement des constructions dans les départements qui commençaient à constituer l’Algérie.

Il devint Maître Charpentier et pour enseigner les techniques aux candidats adhéra à l’union du compagnonnage, association qui a traversé les siècles et continue d’exister. Il opta en tant que natif d’Algérie pour la branche dite « Compagnons du tour de France » avec comme surnom « l’Afrique » ce qui constitue tout un programme. Une des rares photos que j’ai pu récupérer de lui est assez révélatrice : il pose en étant accoudé à un tabouret auquel a été accrochée une épée de combat et est revêtu de l’uniforme noir et seyant du 116e régiment d’infanterie…

Mais ses qualités professionnelles ne l’avaient pas empêché d’apprécier l’absinthe parmi d’autres alcools qu’il consommait seul ou avec d’autres entrepreneurs et artisans dans les bars et tavernes près de Belcourt, de l’Arsenal et du Champ de Manœuvres quartiers algérois connus…

Il vécut dans les derniers moments de sa vie au 5e étage d’un immeuble situé au numéro 1 de la rue des Colons (cela ne s’invente pas même si la famille de Félix Franck ne fut propriétaire d’aucune terre pouvant justifier cette qualification).

Il décéda en 1926 à l’âge de 51 ans…

C’est dans cet appartement où vécurent également mon père Albert et mon oncle Félix que j’ai connu de 1946 à 1948 la scolarité dans l’école située dans la rue adjacente et qui portait le nom d’« École du 4 septembre ».

Mais auparavant c’est-à-dire entre 1944 et 1946, j’ai été pris en charge par la Famille Stucklé (encore des Alsaciens…) à Détrie dans le département d’Oran prés de Sidi Bel Abbés où se trouvait la caserne du 1er Régiment de la Légion étrangère… La petite ville fut considérée comme le berceau de cette magnifique unité de l’Armée française.

Mon oncle et parrain, Félix Franck, avait épousé Renée Stucklé, et comme beaucoup d’autres natifs d’Algérie, il avait été incorporé dans les unités destinées à combattre l’ennemi commun et à libérer le pays… ce qui est malheureusement oublié ou omis par beaucoup de journalistes rappelant le déroulement de faits s’étant produits dans cette période…

Il faisait partie du 7e RTA (Régiment de Tirailleurs Algériens) de la 3e DIA (Division d’Infanterie Algérienne). Il s’était engagé à l’âge de 18 ans, car il ne pouvait pas, compte tenu du décès de mon grand-père et de la nécessité pour Marie de trouver des emplois temporaires, poursuivre des études ou simplement telle ou telle formation professionnelle. Il a participé après le débarquement du Lavandou le 15 août 1944 à la libération de la région sud du pays et en finale de Notre-Dame de la Garde à Marseille après les combats qui se sont déroulés dans la Montée de l’Oratoire (voir l’épave du char portant le nom de « Jeanne d’Arc » qui s’y trouve toujours et dont l’un des officiers-commandants est mort dans les bras de Félix…).

Il est également nécessaire de rappeler, car ainsi que je le répète « l’Histoire c’est la mémoire » que parmi les prisonniers combattant dans « les unités de la Wehrmacht » défendant le sommet de la montée ainsi que la basilique figuraient des Ukrainiens de la région de Galicie située au nord de Lviv près de la frontière avec la Pologne qui a sur son territoire l’autre partie de ladite Galicie, ancienne entité de l’empire austro-hongrois…

Je n’entends pas vouloir salir les Ukrainiens en rappelant ce qui précède. La « terreur rouge qui a sévi en Russie entre 1918 et 1924 » (cf. l’ouvrage de Sergueï Melgounov) a laissé des traces puisque l’auteur journaliste russe expulsé d’URSS et qui l’a fait publier en 1923 à Berlin a décrit dans le chapitre concernant les exécutions pratiquées dans le sud de l’ancien empire russe et par conséquent l’Ukraine : « Ce n’était déjà plus de la guerre civile, mais l’extermination de l’ancien ennemi. C’était un acte destiné à semer l’épouvante pour l’avenir… ».

Dans le même temps mon père qui avait été blessé à la tête par un ensemble de grosses boîtes de conserves de nourritures lors de l’embarquement à destination de Salerne (baie de Naples) (ce qui provoqua toujours des plaisanteries dans son entourage sur la puissance de certaines conserves), assista dans l’unité de commandement du général de Lattre de Tassigny à la reprise sans combat d’Aix-en-Provence. Se trouvant devant la porte d’accès au Casino municipal qui n’était pas très éloigné de la place de la Rotonde qui est largement connue comme symbole de la cité du Roi René, il entendit l’un des « fidèles clients » du lieu dire « Je ne comprends pas pourquoi les soldats recherchent les militaires allemands se trouvant dans la ville, car on a toujours pu fréquenter cet établissement sans problème »…

Après avoir défilé en grand uniforme des tirailleurs (sur le Vieux-Port le 29 août 1944) mon oncle est parti en Alsace avec la division du général de Monsabert pour combattre dans le massif des Vosges et défendre Strasbourg qui avait été reprise selon les instructions du général de Gaulle alors que le général Eisenhower qui fut, je le rappelle, le commandant en chef des forces alliées en Europe, considérait qu’il fallait effectuer un mouvement de repli pour mieux combattre les dernières offensives allemandes. Félix a été fait prisonnier par les troupes allemandes début 1945.

Je me trouvais dans l’appartement de la rue des Colons lorsque ma tante Renée a ouvert le télégramme militaire signalant que le sergent Franck Félix était « porté disparu »… Ma grand-mère Marie était également présente et ce fut un gros choc…

Renée, ma tante partant à Détrie pour être près des siens m’emmena et c’est ainsi que je découvris ce qu’était une petite exploitation agricole de « colon français » à l’âge de 5 ans avec les tâches et travaux qui y sont exécutés au quotidien.

Comme un certain nombre d’Alsaciens-Lorrains originaires des départements transférés au Reich allemand en 1872, les parents d’Albert Stucklé avaient décidé de rester Français et étaient partis en Algérie où ils avaient acquis des lopins de terre pour développer une ferme de production et d’élevage à Sidi Lahcen, premier nom de Détrie qui fut reconnue comme commune en 1874. C’était le petit village traditionnel français dont la voie principale, l’avenue d’Oran débouchait sur la place principale où avait été édifiée l’Église Saint-Augustin qui était un bel édifice religieux.

En mai 1945, Albert, mon grand-père par alliance nous réunit dans la salle à manger, c’est-à-dire Louise, son épouse et leurs filles Lucienne, dite « Lulu », Renée, Nancy et Arlette la cadette.

Il avait sorti un fusil qu’il avait placé près de la cheminée ce qui n’avait pas manqué de nous surprendre et nous informa que des évènements très graves venaient de se dérouler à Sétif dans le Nord constantinois et à Guelma avec des morts et des blessés.

Sans le savoir, j’entendais évoquer les informations concernant ce qui allait devenir « le début des évènements d’Algérie »… et que mon grand-père me détailla par la suite.

Dans l’après-midi du 8 mai 1945, il devait se dérouler comme dans toutes les communes importantes d’Algérie une cérémonie pour fêter la fin de la guerre et la victoire des Alliés sur les forces de l’Axe. Et ce d’autant que les Français de souche européenne et algérienne avaient payé un lourd tribut à cette victoire… Les membres du PPA parti de Messali Hadj qui venait d’être déplacé au Congo après une tentative d’évasion manquée avaient sollicité des autorités une autorisation pour honorer les victimes de cette guerre. Un accord leur fut donné sous réserve de ne pas porter des drapeaux et bannières antifrançais.

Les scouts musulmans éloignés de la conception de Baden-Powell suivis de plusieurs milliers de participants et portant des banderoles réclamant la libération de Messali Hadj et un étendard demandant que l’Algérie devienne indépendante furent arrêtés quelques instants par un barrage de 4 policiers et le commissaire présent tenta d’arracher l’emblème indépendantiste que portait un scout musulman et c’est à ce moment-là qu’un coup de feu fut entendu. La petite Arlette Nakache âgée de 9 ans fut malheureusement la première victime de cette journée. Le scout musulman Bouzid Saâl blessé mourut à l’hôpital…

Mon grand-père m’a précisé que le maire de Sétif Edouard Delucca fut tué alors qu’il tentait d’éviter qu’une émeute se développe… Lorsque l’on se remémore que cette journée était consacrée aux victimes de la guerre et aux pertes éprouvées par les troupes originaires d’Afrique du Nord (qui amenèrent le général de Gaulle à promouvoir l’intégration des FFI pour le remplacement de certaines unités qui avaient subi des pertes importantes), on ne peut qu’être profondément choqué en apprenant ce qui précède…

D’autant que des affiches et banderoles installées dans les grandes villes et notamment à Alger proposaient aux Européens d’Algérie de prévoir :

« La valise ou le cercueil ».

Tous les natifs d’Algérie ainsi que ceux qui avaient choisi cette région pour s’y installer, travailler ou y vivre ont gardé dans la mémoire cette injonction et pourtant pour tous ceux qui ont participé au développement de l’Algérie dont la ville principale fut tout de même considérée comme la capitale de la France entre fin 1942 et fin août 1944 (et élue comme capitale la plus propre en 1935…) ce choix ne pouvait être accepté puisque l’Algérie, la Régence d’Alger, au même titre que la Tunisie et la Libye, était une province de l’Empire ottoman… avant la venue des troupes françaises en 1830.

Ferhat Abbas a écrit, dois-je le rappeler, que la France n’a pas colonisé l’Algérie, mais l’a créée…

La Seconde Guerre mondiale étant terminée (les 8 mai et 2 septembre 1945 selon la partie de la planète où l’on se trouvait), il fallait penser à revivre pour les adultes, c’est-à-dire reprendre des activités salariées ou chercher des emplois compte tenu de la nécessité d’assumer les besoins de sa famille.

En ce qui me concerne, j’étais presque âgé de 5 ans et continuais à vivre à Détrie, la ville des grands-parents, par alliance les Stucklé. Je partageais la carriole conduite par Albert et découvris l’attirance et les sentiments que l’on peut éprouver pour les équidés…

J’ai appris, mais ne le sus réellement postérieurement, que la caserne du 1er régiment étranger de Sidi Bel Abbes, autrement dit de la Légion étrangère, permit à cette époque de former un certain nombre de prisonniers de l’armée allemande qui avaient été « sélectionnés » pour être envoyés en Indochine où la situation s’était dégradée et où on manquait d’hommes notamment après ce qui est qualifié de « coup de force » des Japonais, survenu en mars 1945 qui incita des Indochinois à revendiquer l’indépendance du Viêt-nam, du Laos et du Cambodge…

L’élève officier SS qui avec sa section avait fait prisonnier Félix lors des combats de la poche de Colmar et des attaques contre Strasbourg entendait le faire fusiller en tant qu’Alsacien déserteur puisque les troupes du IIIe Reich avaient reçu les renforts des Alsaciens-Lorrains peuplant les départements qui de 1871 à 1919 furent sous la tutelle allemande. Les recrutés (d’office) ont servi d’abord sur le front russe où un certain nombre d’entre eux ont perdu la vie, ce qui explique que dans la plupart des communes de cette région il existe 2 monuments aux morts, un pour les Français morts au champ d’honneur et un autre pour les « malgré nous »…

Félix rappela qu’il était un sous-officier de l’armée française originaire d’Afrique du Nord et qu’il connaissait bien le capitaine Martinez de la Légion.

Un feldwebel (adjudant) qui se trouvait près de l’élève officier confirma ce que Félix venait de préciser ce qui lui évita l’exécution… (Une chance que ce sous-officier allemand ait approché les gens de la Légion antérieurement.)

Lorsque ma mère me fit connaître l’Alsace en 1956, je fus quelque peu surpris de voir une page par semaine des quotidiens locaux parmi les plus connus (Dernières nouvelles d’Alsace, l’Alsace…) consacrée sous le titre « Wir kennen sie… » (Nous les connaissons) et photos à l’appui, aux Français de cette région qui avaient été incorporés de force dans l’Armée allemande et qui avaient été portés disparus.

C’est un décret du IIIe Reich du 25 août 1942 qui prévoyait que les jeunes Alsaciens-Lorrains effectueraient leur service militaire dans la Wehrmacht, mais compte tenu de la formation militaire et psychologique nécessaire (menaces entre autres concernant la famille) l’incorporation de nos compatriotes s’effectua à partir du mois d’octobre 1942.

Pour éviter leur condamnation, les autorités nazies firent détruire en 1945 les archives y relatives…

C’est pourquoi on entendait pendant les combats sur le front russe quelquefois lorsque des soldats sous uniforme allemand se rendaient cette courte phrase « Ya franzous… ! » ce qui signifie « Je suis français », mais cela n’empêcha pas les exécutions sommaires d’être effectuées…

En 1944, compte tenu de l’avancement de la libération de notre pays et des relations avec l’Union soviétique avec les engagements des FTP, ce sont environ 1 500 « Malgré-Nous » qui sont rendus à la vie civile et apparaissent dans les Actualités Françaises diffusées dans les salles de cinéma des régions libérées. En réalité, cette libération était la contrepartie du retour en Russie de prisonniers soviétiques se trouvant en Occident (voir ce qui précède concernant les natifs de Galicie à Marseille par exemple…).

La prise du pouvoir par le Général de Gaulle ainsi que les reproches formulés aux communistes en leur rappelant qu’ils avaient attendu le mois de juin 1941 et l’invasion de la Russie par les troupes allemandes pour se positionner contre les Allemands ont réduit fortement sinon bloqué les retours.

Les historiens considèrent que sur les 130 000 incorporés de force 30 à 40 000 sont morts en ligne et 11 à 20 000 sont portés disparus dont 12 000 dans les camps soviétiques et principalement le camp 188 à Rada dit « camp de Tambov ».

En 1955 (!), le Strasbourgeois Jean-Jacques Remetter est le dernier « malgré nous » à être libéré. Ce retour a provoqué à nouveau les investigations concernant les « portés disparus » dans la presse locale d’Alsace-Lorraine… d’où les articles précités.

Après le front russe, les Alsaciens-Lorrains servirent sur la « ligne gothique » (en Italie) et en tant que formateur j’eus la surprise dans les années 70 alors que je présentais un stage de formation dans le domaine des assurances dans la salle des évêques du mont Sainte-Odile dans la commune d’Obernai près de Strasbourg d’entendre un des stagiaires m’indiquer qu’il avait servi sur la ligne gothique (il était intervenu lors du stage entre autres pour demander que l’on parle un peu plus lentement parce que l’un des futurs formateurs qui était Bordelais parlait, selon lui, trop vite, ce qui démontre que le français demeurait à cette période encore une seconde langue dans les départements concernés…)

Compte tenu de ce qui précède, on ne peut plus s’en étonner… mais comprendre et ne pas affubler les Alsaciens-Lorrains d’un qualificatif qu’ils ne méritent certainement pas.

Félix qui fut libéré par les troupes du général de Lattre et contrôlé sur le plan médical en raison des mauvais traitements physiques qu’il subit pendant son séjour au stalag (camp de soldats prisonniers) fut affecté à son retour à Alger aux services du Trésor public dont les bureaux étaient situés rue de Tanger et deux ans plus tard près de la place du gouvernement à proximité de la statue équestre du Duc d’Orléans et de la grande mosquée Djamaa El-Jadid plus ancienne mosquée d’Alger construite vers 1660. Ce lieu conserve toute sa grandeur plus de soixante ans après l’indépendance, de l’avis d’Algériens vivant en France, mais se rendant sur place au moment des vacances, le « retour au bled » comme ils disent.