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Né à Alger, Jean-Marc Garcia Laurent assiste et participe aux événements survenus dans cette ville de 1960 à 1962. Refusant de rejoindre son lieu d’affectation dans un régiment de paras en Allemagne, il s’engage, par devoir et pour l’honneur, chez les harkis, près de Vialar dans la région de l’Ouarsenis. Parti définitivement d’Alger le 30 juin 1962, Jean-Marc s’établit en métropole, successivement hébergé en juillet dans le Centre d’accueil des rapatriés au lycée Masséna de Nice, puis en août dans celui de Cagnes-sur-Mer. Mémoires d’un patriote algéro-boufarikois représente le mémorial de son existence.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Marc Garcia Laurent fait ses premières lectures dans la bibliothèque de son père dès l’âge de sept ans. Il débute par les soixante-dix contes et légendes mythologiques, puis de manière éclectique, il continue cette activité pendant des décennies. Lorsqu’il rejoint les harkis en fin avril 1962, il rencontre Dany Gineste dont il devient l’ami. Ayant intégré la métropole le 30 juin 1962, Dany Champetier, la sœur de cœur de son ami, lui annonce l'assassinat de ce dernier. Souhaitant avoir des précisions sur leur aventure, celle-ci, à la réception de ses écrits, l’encourage à les publier.
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Seitenzahl: 519
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Jean-Marc Garcia Laurent
Mémoires
d’un patriote algéro-boufarikois
© Lys Bleu Éditions – Jean-Marc Garcia Laurent
ISBN : 979-10-377-8630-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Préface
« Je suis parti définitivement d’Alger le 30 juin1962, en enfouissant dans un coin de mon cerveau tout mon vécu sur cette terre française livrée aux tueurs du FLN par le plus grand parjure de l’histoire de France. En conséquence, je ne pensais pas du tout écrire quelque chose sur mon passé.
Au début de juillet 1962, je suis à Nice, “logé” dans le Centre d’Accueil des Rapatriés situé dans le dortoir du lycée Massena. À l’hôtel Prior près de la gare SNCF, où les pieds-noirs repliés font adresser leur courrier, près de la porte d’entrée, je fais brièvement la connaissance d’une jeune femme, Dany Champetier. Elle est venue dans cette ville au sujet de Dany Gineste qui a disparu en juillet 1962 en Algérie. Je lui réponds que je l’ai bien connu en mai 1962 chez les Harkis au GMS 87 (Groupe Mobile de Sécurité) près de Vialar et que j’ai des photos de lui non développées. En réponse à sa question, je lui précise que je ne sais pas ce qu’il est devenu. Je lui envoie, trois mois plus tard, à l’adresse qu’elle m’a donnée, deux photos de Dany en tenue militaire.
Le 29 octobre 1962, elle me répond en m’informant que son frère de cœur, avec qui elle a été élevée dans le petit village de Pascal, a été enlevé, en déménageant les meubles et affaires du capitaine Bonmaire.
Je suis très ému par la lecture de sa lettre. Plus tard, nous saurons qu’il était en tête avec un camion, qu’il est tombé dans une embuscade du FLN, qu’il a été tué et son corps démembré.
Le 12/11/2020, je retrouve par hasard cette lettre à laquelle je n’avais pas répondu, l’ayant égarée. Je contacte l’intéressée par téléphone au numéro inscrit sur sa lettre, sans beaucoup d’espoir, 58 ans s’étant écoulés depuis. Le miracle veut qu’elle ait conservé le même numéro et le même domicile. Elle n’a gardé aucun souvenir de notre rencontre et encore moins de sa lettre. Je lui adresse aussitôt une photocopie.
Elle me répond sur ma messagerie en me demandant des informations concernant Dany Gineste et sur mon recrutement. Je lui fais alors parvenir un fichier répondant à sa question, en précisant toutes nos actions. J’indique que j’ai été désengagé le 26 mai 1962 et que Dany est resté avec son capitaine Bonmaire et le Sergent Campos. Depuis ce jour, nous n’avons cessé de correspondre par courriels et par SMS, une amitié réelle étant née.
Ayant, dit-elle, apprécié ma “prose”, elle m’incite à poursuivre mes écrits et n’aura de cesse, à chaque réception d’un fichier sur mes souvenirs, de m’encourager à continuer d’écrire. C’est à elle que je dois d’avoir autant cherché dans ma mémoire. Au fil du temps, je suis étonné que tant d’anecdotes me soient revenues à l’esprit, d’un passé que je croyais à jamais oublié. Mais je dois à la vérité de dire que j’ai été aidé par l’abondante correspondance avec mon père d’octobre 1956 à juillet 1965.
Je n’ai aucune prétention littéraire, je n’écris que ma vérité, rien que ma vérité, mais pas toute ma vérité, par pudeur et par prudence. Je couche mes souvenirs dans un style concis, car c’est ainsi depuis le scolaire. Pour des thèmes techniques, j’essaye de faire mon possible pour être compris.
Mes souvenirs n’ont comme objectif que de laisser mon témoignage à toutes fins utiles. »
03/1943
Je suis né mardi 2 mars à 12 h 45 à la clinique Solal avenue orientale (future 9 rue Claude Debussy) à Alger. Je serai l’aîné de la fratrie qui suivra. Je pèse 2, 400 Kilogrammes. Pendant la guerre, le rationnement était de mise. Le marché noir permettait d’acheter des denrées introuvables dans les commerces alimentaires pour ceux qui avaient les moyens financiers. Mon père pour pouvoir nourrir correctement sa famille, à vélo faisait à l’aller 25 Kilomètres et autant pour le retour, le dimanche en dehors d’Alger, pour acheter des légumes, des œufs et laitages dans une ferme en ramenant parfois une volaille.
03/1946
J’ai 3 ans. À Alger, ma mère a placé le berceau dans lequel je dors près de la porte-fenêtre de notre appartement. Au bout d’un certain temps, le soleil traverse la vitre et tape sur ma tête. Mon père, rentrant du travail en fin d’après-midi, s’aperçoit que j’ai une insolation. Ma température dépasse 40,8°. En ce temps, nous n’avions pas de téléphone et le médecin n’était pas proche. Dans l’immeuble, le premier résident à qui mon père demande un peu de glace pour moi répond : je ne peux pas, mon mari (Saint-Yrieix, colonel gaulliste) va rentrer et a besoin de boire frais. Tous les autres résidents présents et ayant de la glace ont refusé. Mon père se précipite dans le magasin proche tenu par un mozabite. Celui-ci donne immédiatement à mon père la demi-barre de glace qui lui reste pour rafraîchir les boissons perdant ainsi des clients. Grâce à lui, la glace fait tomber la fièvre et je n’ai pas de séquelles. Il va sans dire que tout mozabite qui aurait un problème aura mon soutien.
07/1946
Au parc de Galland, ma mère m’y emmenait souvent. Elle m’appelait son petit prince. Je montais dans des automobiles à pédales, je faisais des tours et des tours dans les allées et j’aimais bien cela. Je faisais des tours de manège en essayant d’attraper le pompon. J’avais une tactique qui marchait. Quand le pompon descendait vers moi, je faisais semblant de l’ignorer et d’un coup je sautais, et de ma main droite l’attrapais.
Comme je n’obéissais pas assez vite quelques fois, ma mère est allée trouver le gardien assez replet. Il y avait une sorte de guérite dans laquelle se trouvait une chaise qu’il affectionnait. En face, une cage dans laquelle un magnifique perroquet vert « Coco » était sur son perchoir. Il faisait bon accueil aux visiteurs, les gratifiant de quelques mots. Mais il y avait aussi une pièce qui servait de « prison ». Ma mère, ayant dit au gardien que je n’étais pas sage, celui-ci, aussitôt, m’enferme à clé dans la prison après m’avoir passé les menottes. Cette prison avait une porte avec des barreaux en fer. Pour me faire peur, ma mère et le gardien s’éloignent un peu plus loin. Comme j’étais à cet âge plutôt mince, je me débarrasse des menottes trop grandes pour moi, et je n’ai aucune peine à me glisser entre les barreaux, réussissant ainsi ma première et dernière évasion.
03/1947
La maternelle du Parc de Galland est située à près de 900 mètres de chez nous et comporte à mi-chemin un croisement dangereux. La visibilité n’est pas excellente. La rue à traverser est en pente et les voitures arrivant à toute allure provoquent, en heurtant les piétons imprudents, des blessures graves et même la mort. Une anecdote que je n’ai pas oubliée, malgré mon jeune âge, j’allais avoir bientôt 4 ans. Vers midi à chaque sortie des classes, ma mère vient me chercher. Je l’attends sagement dans la cour d’école. Tous les écoliers étant partis, je me retrouve seul. Je prends la décision de quitter l’école et d’aller au-devant de ma mère. J’arrive au dangereux carrefour. Je fais très attention quand je traverse. Je continue mon chemin et dans l’immeuble, je monte l’escalier menant à notre appartement. La porte est légèrement entrouverte. J’entre et contemple ma mère qui se pomponne devant la glace. Sa surprise est grande, suivie d’une certaine culpabilité. Je ne dirai rien à mon père, ma mère ne me l’ayant d’ailleurs pas demandé. Dans le salon, mon père met la radio (TSF). J’arrive en courant et fais le tour du gros poste de radio en ne trouvant personne. Mon père enlève une grosse lampe et le silence se fait. Il m’explique comment cela fonctionne avec les ondes radio captées par le poste muni de plusieurs lampes et de circuits. J’écoute, mais je comprends seulement que si la lampe est grillée, la radio ne fonctionne plus.
03/1947
Ma mère est hospitalisée à la suite de la naissance des jumeaux le 16 mars. Très fatiguée, elle fait une névrose puerpérale.
Elle manque de fer, mais le médecin ne s’en apercevra que beaucoup plus tard. C’est sa mère, Marie de la Presentation Fernandez épouse Garcia, notre Grand-mère, qui s’occupera de nous. Elle a eu cinq enfants 3 filles et 2 garçons.
Ma mère, la dernière-née le 7 mai 1914, a été gâtée par sa fratrie. Ma grand-mère a 73 ans, les cheveux tout blancs, elle est assez fatiguée, mais elle est très gentille avec nous.
En raison de la naissance des jumeaux le 16 mars 1947, pour alléger la charge de travail de ma mère, qui devait s’occuper d’eux et de ma sœur cadette, âgée de 3 ans, je suis allé à 4 ans et demi en colonie de vacances, à Chréa, pendant les 3 mois de congés scolaires du 1er juillet au 30 septembre 1947. Dès mon arrivée, après installation dans la chambrée, je suis sorti et promené un peu partout. Quand je suis passé près des cuisines, un Algérien était en train de découper un agneau. Il me montre des rognons blancs et me dit que ce sont des claouis (testicules) et qu’il allait m’enlever les miennes pour les manger. Je n’ai pas eu peur, mais j’ai évité de retourner dans cet endroit. Le moment le plus attendu, c’est le dimanche, quand mon oncle maternel, Joseph Macia, vient me rendre visite. Il m’amène des bonbons, mais surtout deux paquets de petits LU dont je raffole. Je l’aime bien, car il s’occupe toujours de ma sœur et de moi, en nous promenant dans le parc de Galland, proche de notre domicile à Alger. Il nous gâte avec des friandises ou des petits cadeaux. Il est toujours élégamment vêtu.
C’est la seule visite que je reçois pendant mon séjour à Chréa. Il est le seul à avoir un véhicule et son travail c’est d’être taxi. Sa femme, ma tante Marie, n’a pas un caractère très agréable. Mon oncle, pour rapporter une rémunération susceptible de la satisfaire, ne cesse de travailler, de partir tôt et de rentrer tard. Le 23 décembre 1949, il est au volant de son taxi, nous sommes ma fratrie et moi à l’arrière. Il ralentit progressivement et son véhicule finit par s’arrêter à 20 centimètres d’un arbre. Il a eu un arrêt cardiaque, et n’avait que 49 ans à son décès. Dans la colonie de vacances, nous étions souvent libres d’aller dehors, l’air étant très sain et la nature superbe. Je ne me privais pas de courir un peu partout, avec ou sans copain. À un moment, je glisse sur une plaque d’ardoise et une autre m’entaille profondément le haut, de la cheville gauche. Je vois la blessure qui ne saigne pas. Je cours vers l’infirmerie. Ce n’est qu’à l’intérieur que le sang se met à couler. J’aurai 3 ou 4 points de suture et une cicatrice de 6 centimètres à vie.
10/1947
À trois ans, ma sœur Gisèle a l’âge d’être acceptée à la maternelle du parc de Galland. Je l’emmène en la tenant bien par la main. Mon père nous suit en prenant des photos. Nous étions très complices et nous nous adorions. Nous en avons fait des bêtises ensemble ou plutôt elle me suivait en faisant pareil. Ainsi sur notre balcon, nous montions sur le muret en simulant être en difficulté. En bas, les gens nous regardaient avec effroi en pensant que nous allions tomber. Un bus à l’arrêt en face de notre immeuble bloquait toute la circulation. Après cette belle pagaille, nous regagnions rapidement l’intérieur de l’appartement. Ces faits ayant été rapportés à mon père, celui-ci installe un grillage en hauteur pour notre sécurité. Une fois, notre père de retour du bureau, en regardant la façade de l’immeuble, arrive en toute hâte. Nous étions dans la chambre des parents en train de nous amuser, allongés sur le matelas posé sur le garde-corps de la jardinière. Le matelas était en train de glisser vers l’extérieur. Mon père arrive juste à temps pour nous retenir par les pieds alors que nous allions tomber du 1er étage.
12/1947
Ce matin 25 décembre, le sapin, éclairé par des guirlandes de petites lampes, repose sur une table ronde munie d’une grande nappe qui touche le sol. Elle est dans un coin du salon au bout de la pièce près de la porte-fenêtre. Le volet roulant est descendu et cache la lumière du jour. Les cadeaux, dans des paquets enveloppés dans du papier, se trouvent au pied du sapin. Mon père, pour nous surprendre, a installé dans l’arbre, bien caché, un micro relié à lui par un fil dissimulé. La fratrie est près de l’arbre attendant le signal pour ouvrir les cadeaux. À ce moment-là, la voix du père Noël se fait entendre. Il nous demande si nous avons été bien sages.
Je fonce sous la table, mais ne vois personne. En ressortant, j’aperçois mon père muni de quelque chose dans sa main et qui continue à parler sans se douter que je le vois. Ce qu’il dissimule dans le creux de sa main droite, c’est petit haut-parleur, comme je l’apprendrai. Plus tard, sans la présence de mon frère et de mes sœurs, je m’adresse à mon père en chuchotant. « C’est toi le père Noël, j’ai tout vu ». Mon père l’admet. Je suis déçu et en même temps content, car j’ai découvert un secret. Bien entendu, je le garderai pour moi. Mon frère et surtout ma sœur cadette le découvriront plus tard, mais assez tôt pour leur âge. Ma sœurette, la jumelle, très fleur bleue, ne croira plus officiellement au père Noël qu’à l’âge de 9 ans.
03/1948
J’ai 5 ans. Dans la chambre de mes parents, au-dessus du lit est accroché un beau crucifix en acajou, avec en métal doré le corps du Christ dont les mains et les pieds sont plantés de clous. Mon père me voyant une tenaille dans la main droite, me demande ce que je compte faire. Je lui dis, je vais enlever les clous pour qu’il ne souffre plus.
En face de la gare d’Alger se situe un centre médical des Chemins de fer d’Algérie (CFA). Pour immuniser les jumeaux contre la coqueluche qui sévit, ma mère s’est rendue avec eux dans ce centre réservé aux fonctionnaires travaillant aux CFA. Ma mère est installée sur une chaise avec de chaque côté un des jumeaux assis sur un siège tout près d’elle. Dans chacune de ses veines à droite et à gauche est implantée une aiguille qui pompe son sang, lequel est injecté dans les veines de mon petit frère et de ma petite sœur. Ayant 5 ans à l’époque, cette vision m’a perturbé pendant des décennies. La vue du sang ne me fait absolument rien, même pendant les événements d’Algérie où j’ai vu, plusieurs fois, des tués et de nombreuses flaques de sang importantes et toutes récentes, notamment les 26 novembre 1960 à Boufarik et le 26 mars 1962 à Alger. Ce n’est que la vue d’une aiguille plantée dans la veine de mon bras aspirant mon sang qui me pose problème.
En ouvrant la porte des WC non fermée de l’intérieur, je vois ma mère avec à ses pieds beaucoup de sang. Me voyant inquiet, elle me dit que c’est mon père qui lui a coupé le zizi. Ayant à son ton perçu qu’elle avait réfréné un rire, je n’ai pas cherché plus loin et ne me suis pas inquiété.
07/1948
Je retourne dans la colonie à Chréa pour la période du premier juillet au 30 septembre 1948. J’ai 5 ans et mes camarades me demandent de les suivre pour voir quelque chose. J’aperçois un bâtiment qui sert de douches aux filles. Le long de la paroi en bois sont agglutinés quelques garçons qui regardent par deux trous. Un en haut et l’autre en bas. On me demande d’observer à mon tour. Je ne peux pas faire autrement pour ne pas avoir des remarques désagréables et perdre leur camaraderie. J’examine à mon tour et constate qu’il n’y a rien d’exceptionnel. Je vois des jambes pour la vision du bas et des cheveux pour celle du haut.
Mon oncle Joseph ne manque pas de venir me voir et m’apporter les deux paquets de petits LU chaque dimanche.
07/1949
J’ai 6 ans, c’est-à-dire que je fais maintenant partie des grands dans la colonie de Chréa. Ma sœur m’accompagne, elle a presque 4 ans. Juste avant d’entrer, nous sommes avec nos parents. Nous avons grimpé dans de grands arbres et étions heureux comme tout.
Chaque année, lors de notre arrivée, dans une salle, tous les colons sont réunis et assis sur des bancs. Le directeur du centre projette sur un écran (un grand drap blanc) les mêmes films à caractère sanitaire (les mouches, les moustiques, la nécessité de bien se laver les mains, le corps, les dents). Je ne suis pas assis comme les autres sur un banc, mais avec quelques « grands » de mon âge, nous dominons nos camarades, en étant installés sur le dessus d’une table. Pendant la séance, nous ne cessons de nous balancer d’avant en arrière. Ce n’est pas prudent puisque nous basculons tous en avant. Mes camarades s’en sortent bien, mais moi, mon visage heurte l’arrête d’un banc. J’ai l’arcade sourcilière droite ouverte et je saigne abondamment. Conduit à l’infirmerie, j’en serai quitte, après les soins, pour porter un large sparadrap sur l’arcade, pendant quelques jours, et une autre cicatrice à vie, cette dernière plus visible.
08/1949
À Chréa, en colonie de vacances, tous les dimanches matin, une monitrice nous emmène assister à la messe. Nous sommes alignés en deux colonnes, filles et garçons bien sages et pénétrons dans l’église. Je m’arrange pour être toujours dans les derniers. La monitrice l’ayant remarqué me demande la raison. Je lui réponds « Les premiers seront les derniers ».
Cette réponse l’ayant marquée, elle en parle à mon père. Comme je lui en avais indiqué le motif, il lui répond qu’en étant au fond de l’église, mon fils en ressort plus rapidement pour jouer.
09/1949
Je dors sur le lit de mes parents qui sont absents. Ils sont allés avec ma fratrie faire un tour dans le Parc de Galland. Ils m’ont laissé dormir, car je devais être fatigué. Je me réveille à moitié et par curiosité, je plonge la main dans le tiroir de mon père. J’en retire son pistolet 6,35 tout noir. Cela me fait peur, la tête me tourne et je le remets aussitôt à sa place.
J’ai six ans quand ma mère me poursuit avec un balai pour me punir d’une faute commise. Elle l’a déjà fait et je n’avais pas apprécié les coups sur mes fesses et mes jambes. J’évite le balai et m’échappe. J’ouvre la porte d’entrée et m’enfuis en descendant à toute allure les escaliers de l’immeuble. Arrivé en bas, pour aller de l’autre côté de la rue très dangereuse, je la traverse en slalomant pour éviter les voitures qui arrivent à toute allure. Elles m’évitent de justesse. Ma mère qui, par la fenêtre, a assisté à la scène et eu la peur de sa vie, ne m’a plus jamais menacé, ni levé la main sur moi.
01/1950
Le 28, ma grand-mère maternelle décède. Le matin précédent la veillée mortuaire, mes parents nous emmènent au domicile de sa fille aînée Marie Macia née Garcia. Je vais embrasser le front de ma grand-mère qui repose sur un lit. Je suis un peu surpris, car son front est glacé. Ma sœur Gisèle et moi sommes l’objet d’une attention bienveillante des membres de la famille présents. La porte donnant accès au balcon s’ouvre et le Berger allemand, certainement jaloux, se précipite en sautant à la gorge de ma sœur Gisèle ou de moi. Un ordre fuse, le chien s’arrête immédiatement. Nous n’avons même pas eu le temps d’avoir peur, mais nos parents, nos oncles et nos tantes oui. Le chien est alors remis sur le balcon extérieur et nous ne le verrons plus, jusqu’à notre départ.
06/1950
Le 30, ayant terminé les classes de maternelle du Parc de Galland, c’est à l’école Volta, proche de mon domicile, que je fais ma rentrée en Cours Préparatoire (CP) avec M. Rongeat, un instituteur formidable. Je ne dis pas cela en raison des billets d’honneur reçus, mais parce qu’il enseigne d’une manière simple et efficace, tous les élèves au nombre de 40 suivent et progressent. À la récréation, je suis abordé par trois grands de la classe de CE 2 qui se mettent à me bousculer sérieusement, notamment le plus grand. Dans la cour, se trouvent plantés des arbres, entourés d’un rond en ciment servant de protection et haut de 50 centimètres. Je monte sur la terre entourant l’arbre de manière à être au même niveau que le plus grand. Il s’approche de moi. Il ne s’attend pas à ce que je lui balance avec force mon poing dans la figure. Il saigne des lèvres et surtout du nez. Conclusion : j’ai passé sans problème mes deux années dans cette école.
02/1950
Le 26, à l’approche de mes 7 ans, je suis baptisé à Alger avec ma sœur Gisèle 5 ans et demi et les jumeaux, Henri et Jacqueline 4 ans. Dans une salle de l’église, les religieuses ont accroché de petits cadeaux en quantité à un arbre de Noël. Étant le plus grand, j’en décroche plusieurs placés plus haut, laissant à ma fratrie le soin de récupérer ceux du centre et du bas. Le baptême de nous quatre s’est effectué en même temps pour limiter les dépenses. Un seul salaire, celui de mon père et la rente viagère à régler depuis fin 1945 à son oncle puis à sa tante pour la Villa de Boufarik.
03/1950
Lors de ses périodes obligatoires à l’Amirauté, mon père Officier Marinier, Chef de poste radio m’amène avec lui, lorsqu’un film est projeté. L’amiral et tous les officiers sont présents. Je suis petit en taille et me fais oublier dans un coin. Pendant presque 4 ans, une fois ou deux chaque année, je regarde avec attention les films qui portent notamment sur la guerre d’Indochine et ne perds pas une miette des commentaires des Officiers de Marine à ce sujet et sur d’autres. Les atrocités commises par les Vietnamiens rebelles m’endurcissent précocement. Les attentats commis ensuite à Alger ou Boufarik ne me traumatiseront pas, même quand des amis seront tués pratiquement sous mes yeux. Je suis même assez insensible à des drames de cette nature. Plus tard, je comprendrai que mon cerveau a agi ainsi pour me protéger.
07/1950
Je parsen colonie sanitaire à Saint-Honoré-les-Bains. Après les soins thermaux, je m’allonge dans l’herbe où les vaches vont et viennent brouter l’herbe. En bougeant mon bras brusquement, je suis piqué par un gros hérisson muni de longs pics. Je crois que c’est l’une ou l’autre de ces actions qui a été la cause de la dépigmentation sur mon visage. Je n’en ai jamais parlé, car cela m’est revenu en mémoire que beaucoup plus tard. En été, quand je suis très bronzé, les taches blanches sont très voyantes et cette dépigmentation m’agace un peu sans plus. Le spécialiste, le docteur Lucien Colonieu consulté le 08 septembre1958 à Alger a diagnostiqué le vitiligo. Comme remèdes, il en existe deux, le premier la Méladinine dont le traitement est compliqué et n’est pas sans danger.
Le 2e est plus dangereux si on ne respecte pas les conditions fixées. Il s’agit d’une plante indienne que l’on applique chaque jour sur la peau, centimètre carré par centimètre carré avec l’obligation d’appliquer un pansement pour éviter les rayons du soleil. Les remèdes ne sont pas retenus. Lors de mes 17 ans, connaissant le processus précédent, muni d’une lame de rasoir, je m’enlève la peau, centimètre carré par centimètre carré chaque jour, en mettant un morceau de sparadrap dessus les petites plaies pour échapper aux rayons du soleil. J’applique cette méthode sur tout mon front. Je ne sais pas si ce que j’ai fait est à l’origine du résultat, toujours est-il que mes taches blanches ont disparu. Les photos sont là pour en témoigner.
09/1950
Ma mère est de nouveau hospitalisée et en son absence c’est moi qui garde la fratrie, les jours fériés, pendant les vacances scolaires ainsi que lors du retour de l’école. Partout où je passais quand j’étais petit, mon père ne cessait de m’encenser. J’étais selon lui intelligent, responsable, plus mature que mon âge. Cela me gênait, car je considérais comme normal de m’occuper de mon frère et de mes sœurs. Mon père m’a recommandé de n’ouvrir la porte à personne.
12/1950
Nous sommes proches de Noël et la sonnette retentit. Au travers de la porte, car je ne suis pas assez grand pour regarder par l’œilleton, je demande « qui sait ? » Il m’est répondu « ouvre-moi, c’est le père Noël, j’ai des jouets pour vous ». Je lui précise que je viens à l’instant de faire tomber les clés par le balcon. J’entends une cavalcade et nous voyons un homme chercher par terre, en bas de notre immeuble, notre trousseau de clés. Entendant nos rires, il relève la tête et puis s’en va.
Une autre fois, cela a failli tourner au drame. En effet, mon père avait l’habitude, pour enlever l’humidité de la pièce du salon, de mettre dans une petite boîte de conserve remplie de sable aux deux tiers, de l’alcool à brûler et d’y mettre le feu. Le carburant ne se consumait que très lentement. Jouant une partie de football entre nous, la petite balle de tennis vient heurter la boîte qui se renverse et met le feu à un rideau. Heureusement, ma sœur et moi avons pu l’éteindre en tapant sur le rideau enflammé avec des serviettes de table.
04/1951
Ma mère m’emmène, en début d’après-midi, au cinéma voir un film sur le lac des Cygnes. Elle a failli me dégoûter de ce ballet magnifique et de la danse en général. En effet, comme le film était en continu et qu’elle adorait cette chorégraphie, elle m’a obligé à le voir deux fois de suite. J’ai dû rouspéter très fort pour qu’il n’y ait pas de 3e séance.
J’ai appris très jeune à lire des livres. Mon père s’était constitué, depuis son adolescence, une bibliothèque très fournie en livres divers, qu’il avait acheté au fur et à mesure. Le meuble renfermant sa collection était très joli, en bois de chêne avec deux portes munies d’une glace biseautée. J’ai commencé, bien sûr, par des bandes dessinées, que mon père a continué à m’acheter jusqu’à mon adolescence, tels que Spirou, Lucky Luke et d’autres « héros ». Jeune j’attendais avec impatience, la semaine suivante, pour suivre les feuilletons. En cachette, je lisais aussi le journal le Hérisson acheté par mon père.
J’ai commencé à lire aussi, les livres concernant les contes et légendes mythologiques, plus de 70, en aimant tout particulièrement ceux relatifs à la Grèce et à l’Empire Romain. Je me suis aperçu que des thèmes pour chaque pays étaient récurrents, mais traités des fois d’une manière un peu différente. J’ai poursuivi avec les livres des bibliothèques rouge, verte et blanche. Mon père m’ayant recommandé Henry de Monfreid, j’ai lu tous ses livres disponibles. Ainsi, quand un auteur me plaît, j’agis pareillement même actuellement. Puis, j’ai commencé à prendre des livres d’auteurs au hasard. Ainsi à l’âge de 12 ans, je suis tombé sur le livre le Zéro et l’infini d’Arthur Koestler. Ce livre a déclenché en moi une vague d’indignation, car j’ai horreur de l’injustice.
Ce que je retiens à la fin de ce livre, c’est qu’un communiste espagnol, ayant combattu les troupes de Franco et rejoint la patrie du communisme en URSS, est condamné injustement alors que ses convictions sont pures. Par suite de tortures, il est amené à avouer ce que ses bourreaux veulent. Quand il descend les marches d’une cave qui le mène à la mort, il sent avec un sentiment de délivrance le révolver sur sa tempe et le coup de feu qui va le libérer enfin des souffrances endurées. La lecture de ce livre à fait de moi à 12 ans un antistalinien et un anticommuniste, alors que mon père ne m’a jamais parlé de politique ni mon entourage.
06/1951
Le 29, lors de la cérémonie de la remise des prix pour la classe de CE1, mon nom est appelé. Je suis surpris, je ne m’attendais pas à avoir le 1er prix de la ville d’Alger. Un peu perturbé, car outre le Maire d’Alger Jacques Chevallier, il y a l’Inspecteur d’Académie et un responsable de la Préfecture. Mon père m’a appris, que lors d’un repas, d’une fête, à prendre le verre, l’assiette, devant moi. C’étaient « les bonnes manières » à respecter, disait-il. Après les félicitations, le maire me demande de faire mon choix parmi les livres. Un peu à ma droite trois volumes de l’encyclopédie, devant moi un petit livre que je « choisis ». C’est le dernier prix et à la question « tu ne préfères pas un autre livre ? », je m’entête et je repars avec.
07/1951
Je vais en colonie de vacances située en haut d’une montagne. Beaucoup de jeunes de mon âge. Le matin, lever tôt. Ouverture des fenêtres pour aérer le dortoir. Le lit est défait, la couverture et les draps sont pliés et bien rangés au bas du matelas. Dehors, le froid est présent. Torses et pieds nus, en short, nous allons nous laver la figure, le buste, les bras et les pieds avec de l’eau froide. Elle coule par de nombreux robinets, dans une sorte de large auge en zinc d’une quarantaine de centimètres de profondeur. Rhabillés, nous allons prendre un petit déjeuner copieux. Nous prendrons une douche chaude deux fois par semaine. Toute la journée, mis à part le repas du midi, nous sommes occupés dans des ateliers divers. J’ai choisi en premier l’atelier de confection de maquettes, de petits avions en bois de balsa. Au bout de deux ou trois jours, nous avons tous terminé notre « chef d’œuvre ». L’avion fabriqué est très léger. En fin de matinée, nous nous rendons au bord de la vallée très profonde. Chacun à notre tour nous lançons notre avion le plus loin et haut possible. L’air chaud à notre altitude maintient l’avion en hauteur, mais celui-ci fait de larges ronds qui petit à petit le fond descendre. C’est un concours auquel nous participons. L’enjeu, c’est l’avion qui restera le plus longtemps en altitude qui gagnera. Celui qui a terminé premier avait certainement fabriqué le meilleur avion. L’ambiance est formidable dans cette colonie de vacances. Nous avons diverses occupations, tir à l’arc, courses à pied, jeux de boules, jeux de cartes, etc.
Un camarade qui vient me rejoindre en courant me casse une incisive. Il portait dans sa main, un révolver en fer qui a heurté ma bouche. Plus tard, j’ai une petite frayeur quand je constate qu’au talon, j’ai une énorme ampoule comme un œuf de pigeon au moins. J’ai dû être piqué par un insecte. Je prends la décision de l’inciser légèrement. L’eau s’écoule puis s’arrête. Je suis obligé de m’y reprendre à trois ou quatre fois de suite, pour qu’il n’y ait plus de liquide.
07/1952
Mon père décide qu’il est temps que j’apprenne à nager, alors que je nage en brasse sous l’eau de mer. Au port, nous prenons une barque à moteur pour une traversée nous menant à la jetée nord où se trouve l’ASPA. Le voyage est agréable, l’air iodé nous fouette agréablement le visage et nous le respirons à pleins poumons avec gourmandise. L’ASPA est un club de natation réservé aux membres de l’Association Sportive des Policiers d’Alger. Comme il fait des périodes de réserve à l’Amirauté d’Alger en qualité d’Officier marinier, Chef de Poste radio, mon père a pu y être admis. Ce club possède contre la jetée, deux cabines pour se changer, une plateforme assez longue en bois pour bronzer ou se sécher, une échelle en bois pour rejoindre la piscine en pleine mer. Dans l’eau à 50 mètres, une petite plateforme en bois reposant sur deux gros tonneaux en fer permet de se délasser et de plonger pour le retour. Je suis, autour du corps, muni d’une sangle pourvue d’une corde qui est reliée à la main du maître-nageur. Il m’indique les gestes à accomplir. Au début, je bois la tasse, car il y a des petites vagues dont il faut tenir compte. L’avantage est qu’il y a sous l’eau de mer une profondeur de près de 8 mètres, ce qui permet de rester en surface sans effort.
Au bout de plusieurs heures, je sais pratiquement nager. En revenant la semaine suivante, muni d’un masque et de palmes, je descends en profondeur avec mon père à mes côtés. Je suis émerveillé par le spectacle qui s’offre à mes yeux. Je vois des algues, des poissons divers, des coquillages, des oursins, des araignées de mer, des bigorneaux, des arapèdes, des petits poulpes, des étoiles de mer. Plus tard en prenant confiance, j’atteindrai la plateforme en faisant les 50 m requis. Je recevrai alors mon diplôme de natation.
Quand je travaillerai à Alger pendant les périodes scolaires de 1959, 1960, 1961, durant la pause de midi à 14 h, nous irons mon père et moi, à l’ASPA du lundi au vendredi, profiter de ce bonheur.
Lorsque j’irai sur les plages magnifiques de Fort de l’eau et d’autres, je serai déçu. Je ne comprends pas le plaisir des personnes présentes dans l’eau, de rester debout à attendre le retour des vaguelettes. J’admets que le peu de profondeur pendant plus d’une centaine de mètres est une sécurité pour les enfants en bas âge ou pour tous ceux qui ne savent pas nager.
06/1953
À Alger vit un couple d’Italiens avec 2 enfants. Partisans de Mussolini, ils se sont fait oublier pendant la guerre. Leur pays, l’Italie, a lâchement participé au début à bombarder les routes de France où les civils fuyaient l’arrivée des Allemands. Pour une raison que j’ai oubliée, le jeune italien un peu plus âgé que moi, chaussé de souliers cloutés, m’insulte et me donne un violent coup de pied dans l’aine droite. Je me bats et il s’enfuit. À la maison, mon père s’aperçoit que j’ai une grosse enflure à l’aine et peine à marcher. Le docteur consulté est pour une opération avec environ 7 jours de repos. Mon père est contre et je suis hospitalisé trois semaines pendant lesquelles je recevrais plus de 50 piqûres de pénicilline. Arrivé à l’hôpital, je ne suis pas à l’étage avec les enfants de mon âge et les plus grands jusqu’à 14 ans, car je risque tout simplement d’être violé par les Arabes. Je suis à l’étage en dessous avec les nourrissons et les petits jusqu’à 4 ans. L’infirmière très sympathique m’explique son travail. Cela consiste à changer la couche des nourrissons après avoir nettoyé leurs fesses avec du coton. Pour l’aider, je fais comme elle. L’infirmière apprécie et me montre comment faire des piqûres sous-cutanées à des bébés qui en ont besoin. C’est très simple et rapide. Il suffit de pincer la peau avec deux doigts d’y enfoncer l’aiguille un petit peu et de vider la seringue de son produit lentement. Je suis heureux de pouvoir l’aider.
07/1953
J’ai dix ans et suis envoyé dans une colonie de vacances que je ne connais pas. Comme c’est la première fois, je n’ai aucun ami et ne suis pas accepté dans les groupes qui se sont formés précédemment. Je suis seul et nous marchons souvent pour de longues promenades. Nous faisons des haltes après avoir marché un certain temps. Pendant la durée du trajet, je regarde avec bonheur le paysage qui est magnifique. Au bout d’un long moment, la soif me tenaille. Je n’ai pas de gourde ayant oublié de l’emporter. Je demande à un groupe de bien vouloir me donner une gorgée d’eau. La réponse est unanime « tu pisses, tu bois, la fontaine est à toi ». Je n’apprécie pas, mais je ne dis rien, cela me servira de leçon. Lors d’une halte, j’étanche enfin ma soif auprès d’une fontaine. Puis je me promène aux alentours comme le font la majorité des colons. J’arrive près du « précipice ». En réalité, il n’est pas trop profond, mais très escarpé. Au fond de cette crevasse se trouve un piano laissant apparaître ses touches. Je ne sais pas pourquoi, cet instrument de musique m’attire comme un aimant. J’examine avec attention comment descendre sans me mettre en danger. J’arrive au fond au bout d’un moment. Je m’amuse à promener mes doigts sur les touches du piano. Il en reste une bonne partie, mais plusieurs n’émettent plus aucun son. Je remonte comme je peux. Je suis bien accueilli à mon retour. Sur un banc, nous sommes plusieurs assis et entamons des chansons de Georges Brassens telles que « Le gorille » et « Les amoureux sur les bancs publics ».
08/1954
Vers 13 h 20, mon père et moi revenons de la piscine en mer de l’ASPA (Association Sportive des Policiers d’Alger) où nous avons nagé et pris un bain très apprécié en raison de la chaleur. Après la traversée en bateau à moteur pour rejoindre le quai, nous attendons à une station un trolleybus pour nous rendre, mon père à son bureau et moi à l’appartement. Le bus arrive, les passagers montent. Nous sommes les derniers. Nous montons les marches et mon père attrape la barre centrale pour se hisser. J’essaye de faire pareil, mais je rate cette barre, car soudain, le conducteur a fermé la porte et démarré brusquement, sans se soucier de nous.
Je pars à la renverse, les pieds coincés par la porte, et ma tête en heurtant le sol m’aurait certainement tué ou gravement blessé, si mon père ne m’avait pas rattrapé de sa main libre, en soutenant mon dos. Les personnes présentes alertent par des cris, le chauffeur, mais il ne s’arrête pas immédiatement, mais un peu plus loin. Nous sommes en colère et mon père rudoie verbalement le conducteur algérien. A-t-il agi sans regarder son rétroviseur ou volontairement ?
07/1958
Mon père à Bédarieux m’avait précisé qu’il m’inscrirait lors de mon retour à Alger dans un club de culture rationnelle selon la méthode Desbonnet pour faire de moi un « athlète ». Peu de temps avant de commencer les séances, l’écho d’Alger avait parlé de ce club en mentionnant qu’un adhérent avait perdu 60 kilos. Il s’agissait de notre libraire M. Wazan qui est installé en bas de notre immeuble.
Quand j’allais acheter un livre ou un journal, je le trouvais toujours en train de manger dès le matin deux baguettes entières remplies de fromage ou de légumes. Il reniera sa fille qui avait contre sa volonté épousé un catholique au lieu d’un juif. Quelques mois après son exploit d’amaigrissement, il reprendra son poids précédent. La décision de sa fille a peut-être été à l’origine de sa reprise de poids, en abandonnant les efforts nécessaires.
Lors de ma première séance, je termine, assez fatigué, et tous mes muscles dans un état douloureux. La séance commence dans un réduit où en slip de bains, je dois me mettre au fond pour recevoir un jet d’eau puissant qui me frappe le ventre d’une manière peu appréciée. Au bout de nombreuses séances, j’aurai des abdominaux avec un peu des « tablettes de chocolat ». Je demanderai à mon frère de taper dedans de toutes ses forces sans que je ressente la moindre douleur. Ensuite, ce sont des mouvements d’assouplissement, des exercices avec des poids légers et de plus en plus lourds au fil des séances. La fin se terminait par une sorte de supplice. Allongés sur une table, presque nus, une personne nous frottait énergiquement tout le corps avec un gant d’écrin sur lequel était versée de l’eau de Cologne.
Quand de nombreuses années après, j’ai cherché un club avec la méthode Desbonnet. Je n’en ai trouvé qu’un, le seul en France dans la région parisienne à Asnières-sur-Seine. Je m’y suis rendu après avoir téléphoné pour connaître les jours et heures des séances. J’ai regardé les adhérents présents : que des personnes très âgées. Quand j’ai demandé le programme, la séance avec le gant d’écrin avait été interdite pour raison sanitaire. Je n’ai pas donné suite.
08/1958
Avec mon père, nous allons souvent à l’ASPA nous baigner dans sa plage privée en pleine mer dans le port d’Alger. Ce jour-là, une fête est organisée. Dans l’après-midi, une planche de 40 centimètres de large, de 7/8 mètres de long, épaisse de 20 centimètres, recouverte de savon noir, est posée entre la plateforme de l’ASPA et l’arrière d’un bateau proche. L’épreuve consiste à rejoindre le bateau. Je ne suis pas très chaud pour tenter l’aventure, car j’ai peur de heurter l’arrière du bateau en arrivant. Les concurrents se succèdent et le meilleur arrive à un peu moins de la moitié de la planche. Mon père m’incite à concourir. Je suis le dernier à m’élancer. En mettant mes pieds dans les traces précédentes, j’arrive à près de 3 mètres du but avant de perdre l’équilibre et de goûter au bain de mer. Les essais reprennent dans l’ordre du passage précédent. L’avant-dernier concurrent atteint presque l’arrivée, mais perd l’équilibre. Je m’élance à mon tour en prenant soin de mettre mes pieds dans les traces précédentes qui ont beaucoup moins de savon qu’au début. Près du but, il ne me reste qu’un peu moins de 50 centimètres de planche, avec beaucoup de savon noir. Je prends la décision de sauter, j’y mets toutes mes forces et atterri sur l’arrière du bateau. C’est une explosion de joie parmi la foule et mon père n’est pas le dernier à me féliciter. Je suis content, mais sans plus. En effet, si j’ai gagné, c’est grâce à tous ceux qui m’ont précédé en enlevant à chaque fois une partie du savon noir. La seule chose que j’ai effectuée en dernier, c’est de prendre le risque de sauter sur le bateau. Si j’avais continué d’avancer sur le reste de la planche remplie de savon noir, j’aurais certainement perdu l’équilibre.
04/1959
Je fais la connaissance de Bernard Pons, plus âgé que moi et nous sympathisons. Dans sa belle voiture décapotable, il m’emmène, plusieurs fois, faire une balade à travers les rues d’Alger en frimant un peu. Lors du début des barricades, le 24 février 1960, il viendra tout proche du réduit, regarder ceux présents à l’intérieur.
Il me reconnaît, me fait des gestes d’amitiés, mais ne franchira pas la barricade. En juillet 1962, l’ayant rencontré à Nice, il m’invite à son mariage qui a lieu à Saint-Laurent-du-Var. Pendant la cérémonie, je ne le trouve pas particulièrement joyeux. Je mets cela sur le compte de la fatigue. Au cours du repas, et comme je n’en rate jamais une, je lève mon verre à la santé des mariés en leur souhaitant d’avoir de beaux enfants. Un silence suit mes paroles. J’apprendrai le jour même que mon ami, ayant mis enceinte la fille qu’il fréquentait, les parents de celle-ci l’avaient forcé à l’épouser.
09/1959
Pendant la période des congés scolaires du 1er juillet au 30 septembre, je suis embauché en qualité d’auxiliaire de bureau à la Direction de la SNCFA dans le service Matériel et Tractions où travaille mon père. La dactylo étant en congé maternité, le responsable me demande si je peux essayer de taper des lettres à la machine à écrire. Un employé m’explique un peu le clavier. Après quelques essais, je réussis avec deux doigts à taper la lettre en prenant de plus en plus confiance en moi. Comme je suis par nature consciencieux et perfectionniste, je m’applique à rendre un travail satisfaisant.
Avec ma première paie pour 184 h, j’ai l’impression d’être riche et je vais dès la sortie du bureau m’acheter des habits, un pantalon à la mode, une paire de souliers et d’autres affaires.
Ayant été reçu à mon Brevet d’études du 1er cycle du second degré (BEPC), mon père me récompense en m’offrant de visiter avec lui, Paris par l’intermédiaire d’une agence de voyages. De retour à Alger, il m’offre ma première belle montre que je choisis dans une bijouterie située pas loin de la pêcherie. Après quelques dizaines de mètres, la trotteuse s’arrête. Un petit coup et elle repart. Mon père décide néanmoins d’aller en informer le bijoutier. Nous avons à peine franchi sa porte qu’une explosion retentit. C’est une bombe qui nous aurait tués si nous n’avions pas fait marche arrière. Elle avait été intégrée dans un lampadaire par une ouverture qui avait été dévissée puis revissée.
10/1959
Le deux de ce mois, , j’entre en seconde au lycée Gautier en plein centre d’Alger. Il est proche de notre domicile. Les élèves sont pour la plupart des fils à papa. Les professeurs se doivent de pratiquer une politique de fermeté. Celle-ci se fera à mon détriment dès la rentrée. Je ne connais pas ce lycée. J’ai bien noté l’emploi du temps affiché à l’entrée, mais n’ai pas remarqué la liste de livres requis que mon père doit m’acheter. Je suis attentivement les cours des professeurs qui se succèdent le 1er jour. Le lendemain, le professeur d’histoire, matière que j’aime, interroge un élève, il lui donne une note pour la tenue de son cahier et une autre pour sa prestation. Il m’interroge en second. Vous avez votre livre ? Non. Zéro. Je lève la main et précise que j’ai mon cahier et connais la leçon. Zéro. Je suis surpris et le lui fais savoir. J’entends pour la 3e fois la note Zéro. Le 2e cours en anglais se passe de la même façon, mais cette fois, je ne récolte que deux zéros. En sortant, un lycéen de ma classe tente de me redonner le moral et m’invite le lendemain samedi à une fête chez lui. Je m’y rends, dans un bel immeuble, le logement est luxueux avec des pièces spacieuses. En entrant, j’ai l’impression de rêver. Partout des guirlandes de fruits de toute nature, des entrées diverses, des boissons et des desserts variés. Toutes ces bonnes choses en très grande quantité. Beaucoup de jeunes garçons et filles de mon âge, bien habillés, font trop de manières à mon goût. Je m’aperçois que je suis dans un monde auquel je ne veux pas appartenir. Je ne suis pas du tout envieux. Je profite d’une occasion pour partir. Ne voulant plus aller au Lycée Gautier, mon père m’inscrit comme interne au Lycée de Ben Aknoun pour l’année 1959-1960.
10/1959
Le cinq, j’entre au lycée de Ben Aknoun en classe de seconde comme pensionnaire. Je me fais un ami, Jean-Pierre Giudicelli, demi-pensionnaire qui n’habite pas trop loin de chez moi à Alger. Dans le dortoir se trouvent deux rangées de lits superposés, l’une en face de l’autre. Il y a près de 80 pensionnaires, dont seulement 30 Européens. Lors de ma première nuit, je suis appelé dans la salle des sanitaires (douches, toilettes et lavabos). J’entre et constate un cercle formé de 20 élèves de terminale, tous Européens. Je me place dans le cercle et refuse d’être au milieu. En face de moi, le champion d’Algérie scolaire du 60 m et 100 m ainsi que du saut en hauteur. C’est la vedette du Lycée. Je le trouve très sympathique et il l’est. Toutefois, ce qu’il m’annonce n’est pas de nature à me rassurer. On va te passer la bite au cirage, c’est la coutume. Je lui dis que ce n’est pas une bonne idée et qu’en tant que sportif de haut niveau, je ne m’attendais pas à ce qu’il cautionne cette forme barbare de bizutage.
J’ajoute que malgré leur nombre, je ne me laisserai pas faire, que je me battrai comme si ma vie en dépendait et que je me vengerai. Le sportif Hernandez, éclate de rire et me dit, bienvenue dans notre groupe, tu as bien passé l’épreuve de sélection.
01/1960
Samedi, vingt-trois janvier à Alger, je descends la rue menant au tunnel des facultés pour prendre le train et rejoindre ma famille à Boufarik. À l’arrivée rue Michelet, je suis interpellé par un groupe de jeunes qui sont dans un camion avec des drapeaux français. Le camion dans lequel je monte à leur demande fait un grand circuit, en faisant beaucoup de bruit, pour revenir à son point de départ. Je rencontre en descendant du camion un camarade de classe qui me dit de le suivre. Nous allons sur la place du gouvernement général devant les grilles. Beaucoup de jeunes. Nous manifestons bruyamment.Nous sommes contre les grilles et je prends la lumière forte qui éclaire mon camarade Vallero et moi pour un projecteur fixe.
Le lendemain,j’apprends qu’en réalité cette lumière provenait des actualités françaises qui nous ont filmés de très près pendant plus d’une vingtaine de minutes.
Au lycée franco-musulman, les Européens sont en grande minorité, je faisais profil bas. Je vais être « grillé ». Ce dimanche 24 janvier, dans la matinée, je pars prendre mon train pour Boufarik. Passant par la rue Michelet, des manifestations ayant lieu, je reste à Alger. J’observe, main posée sur une voiture à l’arrêt rue Michelet, les manifestants. Le lendemain dans l’écho d’Alger je me reconnais à mon cops défendant sur la photo en première page. La manifestation se poursuit. Vers 17 heures, avec d’autres jeunes, je pénètre dans le tunnel des facultés. Devant moi, ils sont nombreux avec des drapeaux tricolores et avancent en chantant la Marseillaise. J’entends des tirs nourris. Les jeunes sans armes continuent d’avancer. J’admire leur courage et tiens à faire pareil. Une grenade offensive lancée par les gardes mobiles explose pas loin de moi. Dans le tunnel, le bruit est assourdissant, les fumées de gaz lacrymogène sont irrespirables. N’entendant plus, les yeux larmoyants, je retourne chez moi me coucher. Toute la nuit, j’ai le bruit assourdissant dans mes oreilles, au point de craindre de devenir sourd.
Le matin, je retourne rue Michelet. J’aperçois mon ami Jean-Pierre Giudicelli, lequel est dans la même classe de seconde que moi à Ben Aknoun. Il me dit d’entrer en escaladant la barricade. La nuit est particulièrement glacée. Nous avons du mal à nous réchauffer même dans une voiture que nous avons trouvée non fermée à clé. Dans la matinée, à son balcon d’un immeuble situé dans le réduit, j’entends Joseph Ortiz, concernant la fusillade et les morts parmi les gendarmes s’exclamer : « et les nôtres, ils sont morts d’apoplexie ! » Le lendemain, mon ami, en falsifiant sa carte d’identité, entre dans la faculté au P.C. de Pierre Lagaillarde. Après la reddition, il fera partie du commando Alcazar pendant trois semaines. Ce commando Alcazar a été créé, entre autres, pour que les patriotes se battent contre l’ennemi.
L’Armée obéissant aux ordres n’a pas permis cela. Je n’ai pu faire pareil que mon ami, car je ne fais pas l’âge requis de 21 ans. Je suis resté jusqu’à la reddition. Pendant la période des barricades, j’ai la satisfaction de voir mon père et son groupe de marins des Unités Territoriales (UT) venir en uniforme dans le « réduit ». Les gradés de la marine qui sont passés faire un tour le félicitent de représenter la « Royale », mais il ne sera suivi par aucune autre unité de l’Amirauté. Il repartira comme beaucoup d’autres peu de temps après. Ainsi, un commando de patriotes juifs fortement armés repartira le lendemain en constatant les inscriptions antisémites peintes sur le mur de la faculté. En rentrant à l’internat après les barricades auxquelles j’ai participé pendant toute leur durée, tout le monde est au courant et les noms Giudicelli, Laurent, Vallero, avec celui de quatre autres personnes, sont peints en lettres vertes sur un grand mur, avec la mention « à mort » pour nous faire peur, je suppose.
Étant connu pour mon patriotisme, je prends la tête des manifestations.À l’heure des cours, les Arabes se regroupent dans une cour pour manifester leurs sentiments d’appartenance aux indépendantistes du FLN. Immédiatement, me sachant grillé depuis les barricades, à chaque grève pro-FLN répond immédiatement dans une autre cour une grève des patriotes.
Auparavant, je circule dans les rangs des élèves européens pour leur expliquer qu’il faut réagir pour montrer que nous n’avons pas peur. La quasi-totalité des élèves suit ma demande. J’essaye dans ma classe de convaincre le seul qui ne veut pas venir. C’est Philippe Aziz que je prends à tort pour un Européen. Il est premier partout sauf en gymnastique. Il refuse poliment me disant qu’il ne fait pas de politique.
De retour de ses trois semaines dans le djebel avec le commando Alcazar, mon ami Jean-Pierre Giudicelli m’invite chez lui. Il n’aime pas son beau-père socialiste et son grand frère lieutenant dans les gardes mobiles. Il a caché des grenades dans la cheminée. Il les récupère sauf une défensive qui se bloque à l’intérieur. Il rigole à l’idée de son beau-père allumant un feu dans cette cheminée. Muni des huit grenades dissimulées au fond de mon cartable, recouvertes de papier journal, je retourne chez moi. Une patrouille militaire m’arrête. Je pense que je suis foutu. J’ouvre en grand mon cartable et leur dit : « vous croyez que je cache des grenades dedans, j’habite juste à côté ». Les militaires me laissent passer. Mon père les cachera dans le boîtier du moteur du volet roulant du salon. Il s’en débarrassera dans les poubelles un peu avant l’indépendance.
Employé à la Direction de la SNFA, étant fonctionnaire, il n’a pu rejoindre la métropole que le 4 septembre 1963. À Boufarik, il n’y est retourné qu’exceptionnellement. Avant l’indépendance, il a échappé à deux tentatives de meurtre. Mon père sortant son révolver, le terroriste s’était enfui à chaque fois. Depuis l’indépendance, des Arabes passent régulièrement devant notre villa, mais ils constatent son absence.
03/1960
Le samedi cinq mars, dans un bar situé au début de la rue d’Isly à Alger, je joue au flipper. J’y suis depuis un moment avec plusieurs jeunes quand une grenade lancée par un terroriste atteint le haut de mon flipper et tombe à mes pieds. Je la saisis immédiatement et la balance derrière le comptoir du bar. Elle explose, mais il n’y a qu’un seul blessé léger par des éclats, le patron du bar qui ayant vu le lancer de la grenade, s’était allongé.
09/1960
Je suis à nouveau pris pour la période scolaire à la SNCFA du premier juillet au 30 septembre, mais cette fois-ci dans le bureau voisin de celui de mon père. Le chef M. Versini est un Corse très ami avec lui. Celui-ci est responsable des carburants nécessaires aux trains et locomotives. Comme l’an passé, ce Chef de service m’a pris, car sa secrétaire est en congé maladie, suite à un accident de trajet la rendant indisponible pour l’instant. Les courriers que je vois passer sont très intéressants et enrichissants. Mon horaire de travail mensuel est toujours de 184 heures.
Je demeure à Alger presque, tout le temps, avec de rares visites les Week-ends à Boufarik. Au 5e étage d’un immeuble en face du mien situé au 2e se trouve une ado de 16-17 ans. Elle ne cesse de me regarder avec insistance quand, sur mon balcon, je suis assis sur une chaise. Elle est plutôt maigre en raison certainement d’une maladie chronique, peut-être l’anorexie. Dans le quartier, elle est surnommée le fantôme. Je suis indisposé par son attitude et je quitte le balcon.
10/1960
Les vacances scolaires (juillet à septembre 1960) terminées, j’entre à Ben Aknoun en 1re comme pensionnaire. Notre salle de cours est située en dehors du collège dans des préfabriqués, mais dans son enceinte. Pour une raison inconnue, je suis chargé d’assurer la surveillance des classes, de 4e où se trouve mon frère demi-pensionnaire, celles de 3e et même par deux fois de seconde uniquement constituée d’Algériens, car ils suivent un enseignement exclusivement en arabe. Pour les classes de 4e et 3e, mon âge et mon regard suffisent à obtenir le silence. Quand je dois surveiller la classe de 2e d’Algériens, je m’assois et leur dis : vous pouvez faire ce que vous voulez, dès l’instant que le silence règne. Cela veut dire qu’ils peuvent lire des revues non scolaires, ne rien faire ou s’amuser avec des jeux. J’ajoute que si quelqu’un n’est pas content, je suis à sa disposition au-dehors. Je m’aperçois qu’ils sont tous studieux, pas un seul murmure ni aucun bruit.
À Ben Aknoun, je m’inscris immédiatement pour effectuer ma PME (Préparation Militaire Élémentaire). Celle-ci s’effectue au camp de Beni Messous le jeudi, jour où nous n’avons pas cours. Nous recevons une tenue militaire de couleur kaki, sans signe distinctif. Nous apprenons, comme des recrues faisant le service militaire, à savoir : marcher au pas, se mettre en rang, la discipline, des consignes devant être apprises par cœur, qui peuvent se résumer ainsi : « les ordres donnés par un supérieur doivent être exécutés immédiatement sans discussion. L’autorité qui les donne en est seule responsable, la contestation n’est permise au subordonné qu’après avoir obéi ».
Nous apprenons à présenter les armes ainsi que leur maniement, à lancer des grenades à 25 m dans un cercle, à faire le parcours du combattant. Nous tirons aussi au fusil debout sur une cible à 25 m. Notre groupe comprend un certain nombre d’Arabes. Je me pose la question, sans la formuler verbalement : ils sont là pour rejoindre, plus tard, l’armée française ou l’armée ennemie. Toutefois, l’ambiance est formidable et nous formons un groupe soudé. Presque tous les membres de notre groupe sont acceptés pour suivre la formation d’élève gradé et tenter de réussir l’examen dénommé CTPM 1 (Cours Techniques de la Préparation Militaire 1re année). Les épreuves sont nombreuses et chronométrées : savoir s’orienter sans boussole et avec une boussole, les yeux bandés savoir démonter une arme, en l’occurrence un pistolet mitrailleur Mat 49, un pistolet Mac 50 et les remonter, savoir les rudiments du close-combat face à un instructeur, faire le parcours du combattant, et d’autres épreuves telles que savoir lire et interpréter une carte géographique, monter une corde lisse et comment neutraliser une sentinelle.
Je me débrouille très bien dans toutes les épreuves, excepté celle de la corde lisse. Pour le parcours du combattant, qui se fait sans arme, sans casque, en tenue civile, l’épreuve que je redoute, est celle de la fosse. En effet, n’étant pas grand, il m’est difficile de sauter assez haut pour attraper le rebord et me hisser à la force des poignets pour en sortir. Je dois donc m’y reprendre à plusieurs fois en y mettant toute mon énergie. Le parcours du combattant comportant plusieurs épreuves, la foule est nombreuse pour regarder et encourager les participants. Je commence la poutre en courant vite sans tomber. Ensuite, c’est l’épreuve de l’échelle fixe avec barreaux qui consiste à aller tout en haut et redescendre. Je grimpe à toute allure et saute du haut dans le tas de sable qui se trouve au bas. (Cela me fait gagner de précieuses secondes.) J’arrive à la fosse et pour la 1re fois, d’un seul saut, j’agrippe le rebord, me hisse en haut et jette mes pieds au-dessus du mur pour retomber rapidement derrière. L’épreuve de ramper sous les barbelés ne présente aucune difficulté, n’étant pas grand, mais surtout ne pesant qu’un poids raisonnable. Je termine les autres épreuves et arrive dans de bonnes conditions, sans être épuisé. Je ne sais pas ce qui se passe, car je suis le seul, où les trois juges munis d’un chronomètre discutent. Cela ne prend pas trop de temps, car les trois chronos mentionnent le même temps. Je viens de battre le record d’Algérie. Mes camarades sont sidérés et quelques-uns réclament la possibilité de recommencer le parcours. Ils sont autorisés et m’ayant observé, retiennent l’essentiel et deux d’entre eux battent de peu chacun à leur tour le record d’Algérie. Je ne suis donc que troisième à cette épreuve.
11/1960
Le soir du huit novembre, en me promenant dans le collège, je remarque un groupe d’Algériens regroupés dans une salle de classe en train d’écouter la radio. Soudain, c’est une explosion de joie. Le lendemain, je saurai pourquoi. Il s’agit de l’élection du démocrate J.F Kennedy.
02/1961
En raison des attentats du FLN et des ripostes de l’OAS, le service de ramassage des ordures n’est plus assuré dans un quartier européen où les camions ne passent plus, car sous le feu ennemi. Suzini ordonne que tous les étudiants, âgés de plus de 17 ans, assurent ce service indispensable pour des raisons sanitaires. Nous nous rendons le matin à 7 heures devant le dépôt du Bd Saint-Saëns menant au tunnel des facultés. Chaque camion est protégé par des blindages et comprend un chauffeur et deux jeunes bien armés dont je fais partie. Nous nous rendons dans le quartier assigné et durant le trajet, des balles ricochent sur le blindage. Sur place nous découvrons un véritable mur d’ordures : hauteur 5 m, largeur 6 m, longueur au moins 15 m. Nous sommes samedi et nous reviendrons dimanche. Nous effectueronsplusieurs tournées journellement.Nous nous relayons avec une grosse pelle pour remplir notre benne. Étant bon tireur, j’assure ensuite avec un fusil la sécurité. Parmi les ordures, nous trouvons un cadavre que nous laissons sur place. Une fois la benne chargée au maximum, nous nous rendons à la décharge située à Maison-Carrée. Nous n’avons pas besoin, heureusement, de sortir du camion. Les balles continuent de siffler et frappent notre blindage.