Mes cailloux blancs - Jean-Yves Boulic - E-Book

Mes cailloux blancs E-Book

Jean-Yves Boulic

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Beschreibung

L’heure de transmettre étant venue, Jean-Yves Boulic décide de le faire sous forme d’un abécédaire. Ces mots, choisis en toute subjectivité, évoquent des souvenirs et des évènements liés à son parcours de vie, personnel et professionnel. Ils expriment surtout des réflexions et témoignent de convictions, notamment spirituelles. Il s’agit là, au fond, d’un « Ce que je crois », clair et sincère, à la fois littéraire, philosophique et poétique.

À PROPOS DE L'AUTEUR


Jean-Yves Boulic a commencé par enseigner la philosophie et le français en Tunisie. Plus tard, il a également été professeur de droit et d’éthique de l’information à l’Institut catholique de Paris. Journaliste politique, il a exercé ce métier pendant une quarantaine d’années. Il a publié des livres d’interviews d’hommes et de femmes politiques sur leurs rapports avec la religion et la spiritualité, ainsi que des ouvrages d’histoire et de philosophie morale.

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Jean-Yves Boulic

Mes cailloux blancs

Les mots d’une vie

Essai

© Lys Bleu Éditions – Jean-Yves Boulic

ISBN : 979-10-377-8601-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes enfants

et petits-enfants

Du même auteur

- Questions sur l’essentiel, 2 tomes, Éditions du Cerf, 1979 ;
- Le pays des Abers, Éditions Ouest-France, 1981 ;
- Le bonheur, la vie, la mort, Dieu, Éditions du Cerf, 1981 ;
- Charlemagne, empereur d’Europe, Éditions Médialogues, 1991 ;
- Henri de Kerillis, l’absolu patriote (en collaboration avec Annik Lavaure), Presses universitaires de Rennes, 1997 ;
- Ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas, Éditions Grasset, 2002 ;
- Éloge des vertus, Éditions Saint-Simon, 2018.

« Fais le testament de ta pensée et de ton cœur, c’est ce que tu peux faire de plus utile. »

Henri-Frédéric Amiel, philosophe suisse (1821-1881)

Introduction

Longtemps j’ai eu le sentiment de n’être qu’un passant, voyageur sans bagage. Et puis, non sans étonnement, je me suis vu devenir un passeur… Je n’ai pas eu de « plan de vie » ni de véritable ambition de « carrière ». Le mot lui-même – évoquant une voie professionnelle toute tracée – me dérangeait, au point que je ne l’ai jamais employé qu’au passé : « Un tel a fait une belle carrière » ! Y ai-je tout de même songé à un moment de mon itinéraire journalistique ? Peut-être, en choisissant la voie éditoriale plutôt que celle de la rédaction en chef.

Journaliste, j’ai été transmetteur de faits et gestes des autres (surtout des politiques), de leurs idées, de leurs opinions, de leurs interrogations, et même de leurs confidences. J’ai pris de l’intérêt, parfois du plaisir, à les faire accoucher de leur « part de vérité ». Le temps est venu de livrer la mienne. La tâche n’est pas si simple. Spontanément, je ne suis guère porté à parler de moi, non pas par modestie, mais parce que je sais combien il faut se méfier du discours sur soi. Quelle vérité est-on capable d’extraire de soi sur soi ? La sincérité n’y suffit pas.

J’appelle mes « Cailloux blancs » des mots que j’ai choisi de semer tout au long de ces pages. Je ne le fais pas par crainte de me perdre comme le Petit Poucet, mais parce qu’ils font résonner en moi des souvenirs, des émotions et des sentiments : la joie, l’admiration, la curiosité, parfois aussi la détestation et la colère ; parce qu’ils suscitent chez moi réflexions et analyses ; parce qu’ils sollicitent mon imagination et m’embarquent sur les vagues du rêve ; bref, parce qu’ils sont les traces, proches ou lointaines, de ma pérégrination singulière.

J’ai été un jeune chrétien fervent, presque mystique, et je reste imprégné des valeurs évangéliques. Mais, mon évolution à travers les rencontres, les lectures, les épreuves de la vie, m’a amené à sortir du « cercle » religieux, son culte et ses dogmes, pour mieux plonger dans le grand bain de la spiritualité. La spiritualité est une expérience de notre conscience la plus intime dans son rapport au monde, au mystère de notre destinée, au plus grand que soi… Avec plus ou moins d’acuité, chaque être humain a conscience d’être incarné dans la matière, l’espace et le temps ; mais certains (dont je suis) ne peuvent s’empêcher, comme un prisonnier dans son pénitencier, d’en chercher les issues, les échappées vers l’Esprit et l’Éternité.

Au-delà des événements, heureux et malheureux, qui ont jalonné mon existence, je crois pouvoir dire que la cohérence de ma vie, sa trame de fond (ou son chemin de crête ?), aura été une quête spirituelle. De mes 17-18 ans à mes 30 ans, j’ai tenu, comme d’autres, une sorte de journal intime qui peut en témoigner. Au soir de ma vie, cette aspiration/inspiration m’est revenue, comme une montée de sève, comme une renaissance. J’ai ouvert grands mes yeux et mes oreilles, capté tant de signes d’espérance que j’ai acquis une poignée de certitudes : la vie ne s’arrête pas à la mort ; il existe un Amour inconditionnel qui triomphera du mal, tandis que d’ores et déjà, « l’inaccompli bourdonne d’essentiel » (René Char).

A

Abandon

D’où vient ce mot que je n’aime pas ? (On croirait presque entendre : « À bas-le-don ! ») On peut laisser tomber un rendez-vous, un projet, une fonction, une action en général, même un engagement, mais peut-on abandonner des êtres que l’on aime ? Ai-je « abandonné » ma famille en quittant la maison de Louveciennes au printemps 1989 ? Non. Je n’ai pas abandonné mes enfants. C’était un départ, pas un abandon. Certes, j’ai quitté leur mère et leur demeure, mais j’ai absolument voulu garder le lien avec eux (et de même pour Gabriel plus tard). De fait pourtant, une distance s’est créée, une intimité s’est perdue, des histoires de vie se sont construites et déroulées en dehors de moi. Je n’ai pas eu à donner mon avis sur tel choix d’études, tel projet professionnel ; je n’ai pas vu naître – juste deviné, parfois – leurs sentiments amoureux.

Moi-même je ne sais pas trop m’abandonner. Le « lâcher prise » et autres techniques de perte de contrôle plus ou moins volontaire ne me séduisent guère. Je résiste et reste sur mes gardes. Mais je ne m’exclamerai pas non plus, comme Montherlant : « Vive qui m’abandonne, il me rend à moi-même ! ». J’ai rarement éprouvé, pour moi-même, un sentiment d’abandon, au contraire, j’ai souvent eu (et même de plus en plus) le sentiment d’être aimé et protégé. Par qui ? Je ne sais. Ce mystère qui nous accompagne, moi et tant d’autres comme moi, je n’ai cessé de l’interroger.

En juillet 2014, j’ai participé, pendant une semaine, à une sorte de séminaire autour des idées de Marcel Légaut (1900-1990). D’abord enseignant en maths à l’université de Rennes puis de Lyon, il devient paysan et berger dans le Haut Diois. Il attire à lui de jeunes adultes qui s’interrogent sur leur foi chrétienne et son avenir dans la modernité. À 70 ans, Marcel Légaut se met à écrire et publie plusieurs ouvrages (« L’homme à la recherche de son humanité » notamment) qui rencontrent un succès immédiat. Jusqu’à sa mort, il ne cessera d’écrire et de donner des conférences, en France et au-delà. C’est dans la grande maison de la Magnanerie, qu’il avait achetée à Mirmande (Drôme), en 1967, qu’ont lieu ces rencontres bisannuelles.

À la fin de la session à laquelle j’ai donc participé, chacun a été invité à dire quel passage des évangiles l’a le plus touché et pourquoi. J’ai choisi le texte de Matthieu sur la mort de Jésus (ch. 27, v. 45-46) : « À partir de midi, il y eut des ténèbres sur tout le pays, jusqu’à 3 h. Vers 3 h, Jésus s’écria (d’une voix qui ne devait pas être bien forte !) : “Eloï ! Eloï ! Lama sabaqthani”, c’est-à-dire : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” ».

Jésus savait que les grands-prêtres voulaient sa mort. Il s’y était préparé et avait prévenu ses disciples. Malgré tout, l’angoisse est là : un fulgurant sentiment d’abandon et de désarroi. Des heures d’agonie. Il ne peut plus parler, alors il lâche ce cri étouffé. Et derrière ce cri, il y a quelqu’un, qui n’est ni un ange ni un pur esprit, mais un être de chair, de sang et de peur, qui se sent perdu. Une détresse qui prouve oh combien ! sa pleine humanité, et qui fait de lui notre frère d’angoisse et de fragilité. Ce cri de douleur, cette interpellation si humaine (« Pourquoi m’as-tu abandonné ? »), ce sont ceux du pourquoi existentiel confronté à l’absurde, à un abandon inimaginable. Jésus ne doute pas de Dieu puisqu’il s’adresse à Lui, mais il doute comme un homme désarçonné par les desseins de son Dieu, tellement impénétrables souvent, comme le disent certains psaumes. Ou alors, il se demande si sa mission, tout ce qu’il a pu dire et faire durant sa courte vie, n’est pas en train de s’achever par un lamentable échec…

Les cris d’abandon, d’incompréhension et de peur, des hommes vers un Dieu muet, résonnent toujours aujourd’hui, à travers l’espace et le temps. D’où vient donc l’espérance des croyants ? Des chrétiens en particulier ? Eh bien, de ce fait, mystérieux certes, que l’homme Jésus, le crucifié, n’est pas mort pour rien. Il a été « relevé d’entre les morts » et, si ce n’est pas un rêve éveillé, tous les hommes à leur tour peuvent espérer que leur chemin de vie, c’est-à-dire de souffrance et d’amour, de solitude et d’amitié, de délire et de compassion, de joie et de créativité, ne s’arrêtera pas au tombeau. Le chemin continuera, non pas comme un supplément de vie, mais comme une ouverture sur une autre Vie, celle du plein Accomplissement du meilleur de nous-même, dans la proximité de ceux que nous avons aimés. Oui, c’est cela, je crois, qu’on appelle l’Espérance. Et c’est la mienne.

Abeille

Elle est sans doute l’animal, disons l’insecte, le plus paré de vertus au monde, et cela depuis la nuit des temps. Même son venin peut guérir, tout au moins soulager douleurs articulaires et maladies neuro-végétatives. Les abeilles sont une merveille de la nature, et pourtant si menacées aujourd’hui, notamment par ces poisons de pesticides et autres néonicotinoïdes, mais aussi par un parasite du nom de « varroa » qui s’installe et se reproduit dans les alvéoles des ruches. Leur disparition serait une tragédie planétaire. La journée mondiale qui leur est consacrée tous les 20 mai illustre cette inquiétude.

Ado, j’aimais accompagner mon père qui disposait de dizaines de ruches, installées le plus souvent dans des champs proches de fermes, dans la campagne guipavasienne (Finistère). Nous y allions, tous les deux, équipés du matériel adéquat : un fumoir avec du papier cartonné, un voile pour chacun, un canif pour couper le dard au ras de la peau en cas de piqûre, mais nous ne mettions pas de gant. Avec des gestes lents, presque doux, nous manipulions les cadres de cire aux alvéoles parfaites remplies de miel, qu’il nous fallait ensuite « désoperculer » avant de les placer dans l’extracteur (ou centrifugeuse) qui, en tournant à toute vitesse sur lui-même, projetait contre les parois la cire pleine de miel. Nous recueillions cette mixture dans des bassines et, après l’avoir filtrée en excluant la cire, nous remplissions de ce nectar couleur d’automne des pots en carton jaune de 250 et 500 grammes.

Loin d’être perçu comme une gêne ou une menace, le bourdonnement incessant des abeilles m’emplissait d’admiration devant le travail de ces ouvrières-ménagères-guerrières autour et au-delà de leurs ruches. Je me souviens de la joie – sans doute une secrète fierté – de mon père quand il découvrait la reine de la ruche (jamais de roi chez les abeilles !), protégée, veillée, nourrie, chouchoutée, par son peuple ailé, organisé, solidaire, courageux, et produisant ce miracle plus efficient que bien des médicaments : le Miel. Sans compter le pollen, la propolis, la cire et la gelée royale… Depuis lors j’ai toujours aimé le miel, j’en ai consommé tout au long de ma vie.

Absolu

Autant on use facilement de l’adverbe « absolument » pour signifier tout à fait, entièrement, nécessairement, ou même de l’adjectif « absolu » au sens d’inconditionnel ou de radical, comme je l’ai fait pour le titre de mon livre sur Henri de Kerillis « L’absolu patriote », autant le concept même d’absolu est assez peu utilisé. Et pour cause ! C’est un mot redoutable : le frère ontologique de l’Infini. Tous deux sont des balises sur la voie ou l’échelle du divin. L’absolu est l’un des rares concepts que je pourrais employer pour évoquer Dieu : l’Etre-Absolu. Il n’est conditionné par rien, ne dépend de rien. Autonomie parfaite, pleine et entière. Nul être humain ne peut y accéder – l’Absolu n’est pas de ce monde –, on peut seulement en éprouver le sentiment, le goût, l’aspiration, surtout dans ses jeunes années. Mais, attention ! invoqué comme tel ou instrumentalisé, l’Absolu peut aussi engendrer un mal qui s’appelle alors intolérance ou fanatisme… Goethe admirait Napoléon, ce qui ne l’empêchait pas de noter que ce grand homme « nous offre un exemple du danger qu’il y a à rechercher l’absolu et à tout sacrifier à la poursuite d’une idée ».

Blanche de Richemont (écrivaine) : « Absolu : mot refuge des âmes de feu… On reconnaît les êtres d’absolu à leur regard qui brûle. À leurs corps tendus qui trahissent l’ardeur. À leur impatience d’avancer. Mais aussi à leur patience infinie puisqu’elle est la voie des hauteurs… À leur détachement face aux conventions puisqu’ils suivent la voie de leur âme, tellement plus exigeante que celle des hommes ». (Petit dictionnaire de la Joie)

Absurde

Le sentiment de l’absurde, chez moi, ne naît pas de la « nausée » qu’inspirerait une existence sans but (nous pouvons toujours en trouver un) ni de l’étrangeté d’être au monde, car nous ne l’avons ni voulu ni désiré (mais je l’assume !). L’absurde, pour moi, c’est de croire que nous venons du néant (quel néant ?!) et que nous ne passons sur la Terre que pour retourner au néant ! Cela n’a aucun sens. Nous ne sommes que poussière ? Peut-être, mais poussière d’étoiles, ces poussières qui ont fait éclore la Vie sur Terre, et sans doute ailleurs, il y a des milliards d’années. Il est bien moins absurde de penser que l’« Energie » à l’origine de la Vie n’est pas seulement physique, un simple agglomérat de matière, qu’elle a une raison d’être, un sens, une destinée. Nous ne sommes pas un circuit électrique, avec un interrupteur qui actionne la lumière (naissance !) puis qui l’éteint (mort !) une fois pour toutes. Au lieu du « tout est poussière et retourne à la poussière », il faudrait dire « tout est lumière et retourne à la lumière ».

Jean Sur (écrivain) : « L’homme n’est pas un non-sens, l’amour n’est pas une illusion, la vie n’est pas un jeu, la souffrance n’est pas une humiliation, le langage n’est pas un vain mot ».

Académie

Mon premier livre : Questions sur l’Essentiel (en 2 tomes) a été publié en octobre 1979 aux éditions du Cerf (alors dirigées par les Dominicains). J’y interrogeais une trentaine d’hommes et de femmes politiques, et d’intellectuels engagés, sur leur parcours et leurs choix en matière de spiritualité. J’en ai gardé 20, dont François Mitterrand (qui n’était pas encore président de la République), Jean Lecanuet, Jacques Barrot, Jacques Delors, Jean-Pierre Chevènement, Jacques Attali… Sollicitées, d’autres personnalités ont préféré décliner : Pierre Mendès-France, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Chirac, Michel Debré, Olivier Guichard… Michel Rocard avait accepté et l’interview a été faite, mais il a refusé qu’elle paraisse : je dois dire que ses réponses étaient assez creuses (par comparaison avec celles de Mitterrand, notamment), et comme il se disposait à se porter candidat à l’élection présidentielle de 1981, peut-être a-t-il craint que cette interview ne l’avantage pas. L’interview du professeur, historien et journaliste, Raymond Aron (réalisée en novembre 1978) n’a pas trouvé place non plus dans ces 2 tomes. N’étant ni un homme politique ni un intellectuel engagé dans un parti, j’avais décidé de réserver la publication de cet entretien plus tard, dans un autre cadre. Mais ce n’est qu’à sa mort, en octobre 1983, que de larges extraits ont été publiés dans l’hebdo Témoignage chrétien.

À ma grande surprise, j’ai reçu, en 1980, l’un des prix de l’Académie française : le prix Weiss (avec 300 francs en prime !). Je me souviens d’avoir été un peu gêné, car, après tout, les trois-quarts des textes ne sont pas de moi, même si je les ai suscités et remis en forme… J’ai obtenu ce prix grâce à 2 personnages assez marquants de cette époque (tous 2 académiciens, bien entendu) : le Père Carré, dominicain, prédicateur du carême à Notre-Dame de Paris, et le philosophe chrétien (et peintre) Jean Guitton, grand ami du pape Paul VI, confident occasionnel de François Mitterrand, et auteur, entre autres, de Dialogue avec M. Pouget, Apprendre à vivre et à penser, Un siècle une vie… Je l’avais rencontré lors d’une vente-signature des écrivains catholiques, à Paris, le 21 novembre 1979. Il avait lu Questions sur l’Essentiel et me dit avec son enthousiasme de vieil enfant : « C’est excellent, magnifique ! Comment avez-vous fait ? Vous avez beaucoup de talent pour interroger : vous les avez confessés comme on ne le fait plus aujourd’hui… ». Plus tard, en février 80, il publiera un article sur le bouquin, en dernière page du Figaro, dans un style beaucoup plus sobre, voire distancié.

Quant au Père Carré, il m’écrit : « Cher Monsieur, Ne me remerciez pas pour ce Prix d’Académie. J’ai été heureux de faire rendre hommage, de cette manière, à deux volumes qui m’ont intéressé au plus haut point… J’ai admiré la perspicacité et l’acuité de vos interventions. Vous avez réussi à obtenir des réponses parfois inattendues, et presque toujours passionnantes. Etc. ».

Je dois dire que ces 2 tomes ont suscité énormément d’articles de presse ; et même une interview à la télévision avec le présentateur vedette de l’époque, Yves Mourousi. C’était, il est vrai, la première fois que des personnalités politiques de premier plan affichaient publiquement leurs convictions, leurs croyances ou leur non-croyance, leurs doutes, leurs espoirs, le sens qu’ils donnent à leur vie… Au printemps 2002, j’ai récidivé avec « Ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas », en interrogeant d’autres personnalités.

Admiration

L’admiration n’est ni flatterie ni courtisanerie ; elle ne se confond pas non plus avec l’adoration ou l’émerveillement, mais elle se rapproche de la célébration quand elle s’exprime avec flamme. J’ai besoin d’admirer, ce qui n’est pas si éloigné du besoin d’aimer, tant il est vrai que l’admiration est souvent une composante de l’amour. Les cœurs secs, les Narcisse, les esprits blasés revenus de tout, n’aiment pas admirer (trop naïf, voyons !), et ne savent pas le faire. L’admiration fait descendre l’ego et remonter l’humilité. Plutôt secret, mais pas toujours, ce sentiment, aussi intime qu’intellectuel, noue les amitiés et encourage la pensée et la créativité.

En cuisine, l’huile est plus utilisée que le vinaigre ; dans les rapports entre humains, c’est plutôt l’inverse : la critique est partout, l’admiration plus rare. « La médiocrité refuse toujours d’admirer et souvent d’approuver », assurait Joseph de Maistre. Un bémol cependant : toute personne (ou presque) a droit au respect, pas à l’admiration ! J’aimerais partager le constat d’Albert Camus quand il écrit : « Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser ». Qu’il y ait des êtres admirables, partout dans le monde, c’est une évidence (j’en ai rencontré), et c’est un réconfort ! Mais chez l’homme ordinaire qu’y a-t-il d’admirable ? … et qu’y a-t-il de méprisable ? L’estime ou la considération ne suffit pas pour se hisser au niveau de l’admiration.

À l’origine de celle-ci, il y a l’étonnement devant ce que l’on découvre, et qui nous émeut, nous met en joie et, souvent, nous dépasse. Mais peut-on admirer ce que l’on ne connaît pas ? Oui, il s’agit alors d’une admiration passive : on observe, on écoute, quelqu’un ou quelque chose qui suscite une grande satisfaction, une jubilation, un enthousiasme à la limite de l’émerveillement… ou de la fascination. Mais nous sommes dans la position de celui ou celle qui reçoit, sans être capable d’analyser, de comparer, d’évaluer ce qui est reçu par l’un de nos sens. C’est une sorte de contentement à l’état pur, qu’on appelle parfois l’« admiration béate ». En revanche, il y a admiration « active » quand nous apprécions profondément quelqu’un ou quelque chose parce que nous pouvons en mesurer la valeur par la connaissance que nous avons de la situation ou du sujet en question. « L’admiration séparée de la connaissance perd sa raison », souligne le philosophe René Le Senne.

Où va mon admiration ? Vers la beauté et l’intelligence bien sûr, mais aussi le courage, la générosité, le talent, l’éloquence… Impossible de noter ici tous les personnages que j’admire ou que j’ai admirés. Quelques-uns tout de même : Jeanne d’Arc, Charles de Gaulle, Churchill, Martin Luther King, Nelson Mandela, mais aussi François Mauriac, notamment pour son éblouissant Bloc-Notes, André Malraux pour ses fulgurances, Pierre Teilhard de Chardin pour sa haute spiritualité savante, Charles Péguy pour son âme authentique ; et aussi mon cher Kerillis, pour son courage et sa lucidité visionnaire ; et les hommes qui ont marqué mon parcours intellectuel et professionnel : Philippe Vianney, fondateur du Centre de formation des journalistes, pour sa chaleur combative, sa sincérité, son enthousiasme créatif ; François Furet pour son intelligence historique, si claire, si juste ; Claude Imbert, au Point, pour l’élégance de sa langue ; Simone Veil pour son courage… Et parmi mes contemporains, j’admire la claire et pénétrante rigueur d’André Comte-Sponville, la subtilité de Jean-Noël Jeanneney, le brio étourdissant de Fabrice Lucchini, les fulgurances de Sylvain Tesson ; le charme de l’intelligence de Mona Ozouf et de Delphine Horvilleur ; la vivacité d’esprit de mes collègues journalistes : Christophe Barbier, Caroline Fourest, Caroline Roux, etc.

Frédéric Gros (philosophe) : « D’habitude, l’inégalité écrase. Mais pas dans le cas de l’admiration : si j’admire un philosophe, un musicien ou un dirigeant politique, je suis grandi par cet affect ».

Agnostique

À la question « Êtes-vous croyant ? », j’ai longtemps répondu un « oui » spontané. Je l’ai même fait lors de mon premier cours de philo, en Tunisie, quand une élève, un peu provocatrice, m’a d’emblée posé la question. Mais avais-je conscience de ce en quoi je croyais ? « En Dieu » certes, mais quel « Dieu » ? Le Créateur de l’univers et de tout ce qui s’y trouve ? L’Arbitre suprême du Jugement dernier ? Le Père aimant et miséricordieux de ma religion ? Évidemment, je ne m’interrogeais pas comme je le fais là, aujourd’hui. Je croyais en Jésus-Christ sauveur, mort et ressuscité, et à son héritage évangélique transmis par l’Église. C’est ainsi, sans doute, que je peux résumer la foi qui m’habitait.

Aujourd’hui, je partage avec beaucoup d’autres, y compris des « croyants », l’idée que l’existence de celui qu’on appelle ordinairement « Dieu » est inaccessible à la raison et à l’imagination humaine, ou que, si cette existence peut être conçue par des raisonnements subtils, ne serait-ce qu’à titre d’hypothèse, elle ne relève pas moins de l’incertitude. Et justement, l’agnostique est celui, ou celle, qui dit : « Je ne sais pas » concernant l’existence, ou non, de Dieu. Des déductions, des intuitions, oui, mais aucune certitude. Je peux très bien concevoir des intermédiaires (anges, guides, entités spirituelles, on les appelle comme on veut) entre nous, les humains, et une puissance créatrice (point Oméga de Teilhard de Chardin ?), mais non cette puissance elle-même. Impossible, radicalement impossible. Dès lors, je dirais volontiers que je suis un « agnostique chrétien », comme nombre d’intellectuels, ou pas, nés chrétiens, et qui le restent culturellement, mais pas selon les dogmes et la théologie classique du christianisme.

Le philosophe Lucien Jerphagnon se qualifiait d’« agnostique mystique ». Un agnostique mystique, disait-il, est « un apophatique (du grec apophasis : négation, la démarche apophatique se proposant de dire ce que Dieu n’est pas, puisqu’il est impossible de dire ce qu’il est) qui a compris qu’on ne peut parler de Dieu qu’en projetant sur lui des catégories humaines. Je crois en Dieu, mais je ne peux rien en dire de définitif », ajoutait-il.

Ailleurs

L’Ailleurs est rempli, voire encombré par les feux de notre imaginaire, la quête de l’impossible, la nostalgie d’un autre monde, des rêves de métamorphose…

De ses 15 à 21 ans, Arthur Rimbaud a habité une maison qui s’appelait « La maison des Ailleurs », à Charleville-Mézières. De quoi attiser l’inspiration…

Joseph Joubert (moraliste) : « Tous nos sentiments et toutes nos pensées ne sont ici-bas que les commencements de sentiments et de pensées qui seront achevés ailleurs ».

Jean d’Ormesson (écrivain) : « Quelque part, ailleurs, tout est accompli, alors qu’ici (sur la terre) nous ne voyons que l’inachevé… Nous ne sommes, si je puis dire, que les ombres de nous-même. Plus fort encore en moi que l’amour de la vie – qui est pourtant très fort – il y a le sentiment que notre vie n’a pas son explication en elle-même, mais ailleurs ».

Altruisme

Le mot a été lancé, semble-t-il, par Auguste Comte au 19e siècle. Il n’a pas de connotation religieuse, même si le moine bouddhiste Matthieu Ricard, parmi d’autres, en a fait le noyau dur de sa spiritualité. J’aurais pu intégrer ce mot-là dans mon Éloge des vertus. Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Parce que l’altruisme, pour moi, n’est pas tout à fait une vertu. C’est plutôt une disposition d’esprit, ou d’âme, ouverte sur autrui (le mot vient de « alter », autre), attentive à ses besoins. C’est une valeur, disons sociale, comme la sollicitude et la solidarité. Mais si l’altruisme ne passe pas à l’action, il n’est qu’une pulsion bienveillante, un rêve bien intentionné. Et même lorsqu’il agit, il n’atteint pas forcément l’élan de la générosité ni la profondeur de la bonté.

André Comte-Sponville : « Sans générosité, sans compassion, sans amour, l’altruisme n’est qu’une abstraction ou un mensonge ».

Ambition

C’est un mot qui, à mes yeux, n’est ni honteux ni glorieux, juste ambivalent. Car, il y a au moins deux sortes d’ambitieux. Celui dont l’envie, la volonté et l’objectif sont de réussir à tout prix, de se placer toujours avant les autres, ou au-dessus, quitte à leur marcher sur les pieds et à les écarter de son chemin. Et puis il y a l’ambitieux qui cherche à exploiter tout son potentiel, à faire valoir et fructifier le meilleur de lui-même ; cet ambitieux-là n’est ni un arriviste ni un carriériste, il vise plutôt le dépassement de lui-même, de sa condition sociale ou professionnelle.

Les Français jettent toujours un regard plus ou moins suspicieux sur quelqu’un qui arbore une ambition. Qu’un ambitieux pointe de la tête ou des jambes, dans quelque domaine professionnel que ce soit, et aussitôt 36 jaloux le guettent et ajustent leur sarbacane ! Même un penseur aussi fin que Fénelon considérait l’ambition comme la pire des passions : « Elle naît insensiblement, écrivait-il, elle prend racine. Elle pousse, elle étend ses branches sous de beaux prétextes, et on ne commence à la sentir que quand elle a empoisonné le cœur ». Spinoza n’était pas plus indulgent : « L’ambition est le désir immodéré de la gloire ».

Pourtant, qui ne voit que l’ambition visant un noble but est un moteur de l’Histoire ? Le monde aurait bien peu évolué si des hommes et des femmes n’avaient pas eu l’ambition de le transformer. Quand une haute ambition, secouée ou entravée par des épreuves et des échecs, non seulement résiste, mais s’épure et s’approfondit, il arrive qu’elle se forge un destin et puisse se muer en grandeur.

Ne pas chercher à déployer ses dons et talents serait une stupidité, voire une faute. Faire preuve d’ambition n’est pas forcément la marque d’une volonté de domination, pas plus que le manque d’ambition n’est le signe d’une humilité. Plutôt qu’une ambition, j’ai eu pour ma part ce qu’on appelait naguère une vocation (du latin « vocare » : appeler). Je me croyais appelé à devenir médecin, je suis devenu journaliste et prof. À l’âge où j’écris ces lignes (78 ans), je n’ai d’autre ambition que de mener ce travail de mémoire et de réflexion aussi loin que possible, sans pouvoir en prévoir le terme.

Âme

L’âme fait partie de ces mots-océan (comme l’amour, l’esprit, la conscience, Dieu…) qui ouvrent sur des horizons infinis et provoquent un vertige de navigation intellectuel quand on a la prétention de traiter de sujets aussi complexes. « L’âme est le mot qui fait dire le plus de bêtises » ironisait Jules Renard. Tant pis, je vais tout de même essayer ! La question de l’âme, le mystère de l’âme est devenu, pour moi, l’un des sujets de réflexion les plus intéressants qui soient. Je dévore tout ce que je trouve là-dessus, dès lors que l’étude atteint un certain degré de profondeur métaphysique ou poétique. Mais j’ai bien du mal à y voir clair.

Et d’abord, quels mots choisir pour évoquer l’âme ? Car, parler de l’âme, c’est parler d’un monde différent du monde physique, matériel, cosmique. Le monde de l’âme me semble être un monde intermédiaire, avec pour substrat l’imagination et le rêve, la poésie et la musique, ou encore l’intuition et la mystique. Ce monde est celui qui nous fait entrevoir, concevoir, ou prendre conscience que l’être incarné que nous sommes vit en réalité dans l’exil de sa vraie nature, qui est spirituelle. Le monde de l’âme c’est celui de la promesse d’une Lumière révélée ou… retrouvée.

Qu’en est-il des rapports de l’âme et du corps ? D’éminents philosophes ont disserté à l’infini à ce sujet, des montagnes de livres en ont traité. J’en ai lu quelques-uns, mais je ne suis guère plus avancé, d’autant que désormais le mot « esprit » vient souvent se substituer à l’« âme », parce que, sans doute, plus acceptable aux yeux de la science. Moi je pose naïvement la question : où donc l’âme pourrait-elle habiter, sur la terre, sinon dans un corps ? Ou alors, peut-être, dans la nature ? On évoque parfois ce qu’en alchimie on appelle « l’Âme du Monde », cet esprit de feu universel reliant l’humain, le cosmos et le divin. Mais comment ne pas se perdre dans un tel magma ?

Je préfère m’en tenir à quelques intuitions. Je crois, pour ma part, que dans un corps (mais aussi dans un esprit), l’âme est comme un oiseau en cage. Tout ce qu’elle est, ou devient, tout ce à quoi elle aspire est hors de la cage. Cela ne veut pas dire que le corps ne contribue pas à la nourrir, même en la faisant souffrir. Et les souffrances de l’âme trouvent souvent refuge dans la maladie, la folie, la violence. « Le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient jouer ses gammes », disait Hildegarde de Bingen. Mais, combien de « corps » savent-ils qu’ils ont une âme ?! À moins qu’ils l’oublient, par frivolité, par nombrilisme, par goinfrerie matérialiste… ou la perdent, par obsession du pouvoir, de l’argent, de la jouissance, de la célébrité ? L’âme est unique, incarnée certes, mais elle n’appartient pas au corps. On ne la trouve pas sous un scalpel. Lorsqu’on meurt, on ne « rend » pas l’âme, on la libère : on rend seulement à la terre son enveloppe charnelle. Après la mort, la destinée de l’âme serait-elle de migrer d’un corps physique à un autre, puis à un autre, etc., jusqu’à ce que l’on pourrait appeler la Suprême Bonté Intelligente arrête le processus et, abolissant toute différenciation charnelle (homme/femme, grand/petit, beau/laid, fort/faible…), permette à cette âme de ne plus se consacrer qu’à un seul but : son élévation spirituelle ?

L’âme et l’esprit sont-ils deux concepts qui se confondent en un principe immatériel, source unique de Vie ? Je ne le pense pas. L’âme est notre étincelle de divin, « un feu qu’il faut nourrir » disait Voltaire, faute de quoi elle s’éteint. L’esprit est cet espace non circonscrit, au-delà de nos sens, dont la conscience est l’instrument. L’esprit cherche à décrypter et à comprendre, l’âme sait et contemple le mystère. L’esprit est, sans doute, pour une part, dépendant du cerveau, et du corps tout entier, l’âme non. L’esprit a un rapport avec l’intelligence, mais il est plus vaste qu’elle ; l’âme a un rapport avec le cœur, mais elle est plus profonde que lui. L’esprit est exploration, l’âme vibration. Le corps a ses douleurs et l’esprit a ses doutes ; l’âme en est-elle affectée ? Peut-être, mais en elle « la joie est plus profonde que la tristesse » (Nietzche). Montaigne avait cette jolie injonction : « Garder son âme en haleine »…

Pascal (philosophe) : « Dans une grande âme, tout est grand ».

Amour

Que pourrais-je dire sur l’amour qui n’ait pas été dit 36 millions de fois de 36 mille manières ? À quoi bon d’ailleurs essayer de le définir ? Il suffit de le vivre ! Je me contenterai donc de citer cette phrase de François Cassingena-Trévedy, moine bénédictin et poète, devenu en même temps paysan, à laquelle j’adhère : « Nous venons d’un amour premier et nous allons vers un amour ultime ». L’exact inverse du « Nous venons du néant et nous y retournons »…

Anges

« Croyez-vous aux anges ? » demande Pia à son ami Pantope dans le livre de Michel Serres « La légende des anges », publié en octobre 1993 (anniversaire de Gabriel !). Et le philosophe de poursuivre : « On ne répond pas à une question pareille par oui ou par non. Cela demande toute une vie de travail, une histoire, une recherche ». Il a sans doute raison, Michel Serres. Malgré tout, pour ma part je réponds d’emblée « oui, je crois aux anges, en particulier à mon ange gardien ». Je ne sais pas le nommer, mais il est bien là, mon Ami invisible, et depuis très longtemps, je le sais, je le sens… Je vais y revenir.

Certes, les anges n’habitent pas – physiquement – la Terre, même pas à Los Angeles ni « dans nos campagnes » ; et ils ne volent pas comme des oiseaux ! Nous ne pouvons pas les voir, mais, après tout, nous ne voyons pas non plus l’air qui nous entoure, il n’en est pas moins réel. Les trois religions monothéistes, et au-delà, attestent de l’existence de ces « sublimes créatures ». Qui sont-elles ? Des « intelligences séparées » nous dit Aristote, des « médecins du ciel » affirment d’autres, des entités de lumière désincarnées qui « veillent aux avant-postes de l’invisible » (Maryse Choisy), bref, des êtres purement spirituels que nous ne pouvons pas vraiment connaître ? C’est l’avis de St Thomas d’Aquin – appelé pourtant le « Docteur Angélique » ! – pour qui « les substances angéliques étant supérieures à notre intelligence, celle-ci ne saurait les appréhender selon ce qu’elles sont elles-mêmes ».

Dieu sait pourtant que les livres traitant d’angélologie remplissent de nombreux rayons dans certaines librairies spécialisées. Un livre notamment a connu un succès foudroyant dans les années 70 : « Dialogues avec l’ange », de Gitta Mallasz. Traduit en plus de quinze langues, il raconte l’expérience spirituelle extrême vécue par quatre amis artistes, à Budapest, pendant la Seconde Guerre mondiale. L’une d’entre eux, prénommée Hanna, dit avoir reçu, d’un « maître intérieur », des messages sur l’univers, l’homme, la mort, l’éternité, etc. (pendant plusieurs mois, tous les vendredis à la même heure). Ce long récit sera conservé par Gitta tandis que ses trois amis juifs vont être déportés et mourront dans des camps nazis. « Je n’en suis pas l’auteur, précisera Gitta, la catholique, seulement le scribe ».

Dans son ouvrage « La hiérarchie céleste », le Pseudo-Denys, théologien allemand des 5e-6e siècle, établit une classification adoptée par la tradition. Il distingue neuf chœurs regroupés par trois, en trois hiérarchies ascendantes. Au premier niveau, le plus bas, on trouve les anges, les archanges et les principautés ; au deuxième : les puissances, les vertus et les dominations (étrange qu’on puisse les appeler ainsi) ; au troisième, le sommet de cette hiérarchie : les trônes, les chérubins et les séraphins. La religion chrétienne ne retiendra, au concile de Latran en 745, puis à celui d’Aix-la-Chapelle en 789, que trois noms d’archanges : Gabriel, dont le nom signifie « la force de Dieu », Raphaël ou « Dieu guérit », et Michaël (Michel), « celui qui est pareil à Dieu ». Gabriel est le messager de Dieu par excellence ; celui qui annonce à Zacharie que sa femme Elisabeth aura un fils qu’il appellera Jean (le futur Baptiste). Le même qui annonce, quelque temps plus tard, à Marie, la bonne nouvelle de sa prochaine maternité extraordinaire. Lui encore qui, sous le nom arabe de Jibril, transmet au prophète Muhammad une « dictée surnaturelle » (Louis Massignon) : le Coran, censé être la Parole même de Dieu.

Les traditions religieuses assurent que les anges ont pour première vocation d’adorer Dieu et de chanter ses louanges. Mais ils sont là aussi, et même surtout, semble-t-il, comme envoyés de Dieu auprès des hommes. Le nom « ange » vient du grec « aggelos », qui veut dire messager (peut-être est-ce pour cela qu’on leur attribue des ailes ?!). A chacun est assigné une mission plus particulière, en dehors d’être des messagers : gardiens des créatures humaines, y compris « gardiens de la mémoire de Dieu en l’homme » (Jacqueline Kelen), conducteurs des âmes des justes vers le « paradis », intercesseurs auprès du divin, combattants du Bien pour résister aux offensives de leurs frères déchus, devenus « démons »… D’ailleurs, si Dieu existe (et pourquoi ne pas en faire l’hypothèse, ou le pari ?!), l’ange est probablement un trait d’union, un intermédiaire entre l’infinie puissance de la Transcendance divine (qui ferait peur !) et l’infinie petitesse de l’homme. Puisqu’il y a séparation entre matière et lumière, l’ange est peut-être notre jumeau dans la lumière et nous sommes son jumeau dans la matière. Nous aurions donc un « double céleste », comme le croyait Eleazar de Worms, talmudiste allemand des 12e-13e siècle. Je le dis, pleinement conscient de ma naïveté (angélique ?!) : j’aimerais faire partie un jour du chœur des anges…

Mais, l’ange que je ressens à mes côtés depuis toujours, est avant tout un grand frère protecteur qui, je l’affirme de toute ma conviction, m’a sauvé la vie à plusieurs reprises. Je n’avais pas encore un an quand, un soir de juillet 1944, alors que ma tante Mimi s’apprêtait à me langer, je saisis l’épingle dite « de sûreté » (!), qu’elle avait laissée ouverte près de moi, la portais à ma bouche et l’avalais cul sec ! On m’a transporté d’urgence dans une clinique à Brest, un chirurgien est arrivé malgré le couvre-feu et a pu bénéficier miraculeusement d’un rétablissement provisoire de l’électricité, le temps de m’ouvrir l’estomac et d’y récupérer l’épingle, juste avant qu’elle ne descende dans l’intestin et le perfore… En racontant cet épisode, mes parents étaient toujours ébahis de la « chance » que j’avais eue de m’en tirer aussi bien, avec en plus, comme trophée, une cicatrice qui, en grandissant, allait prendre la forme d’une croix de Lorraine ! Je passe sur tous les accidents, nombreux, que j’ai eus pendant mon enfance et mon adolescence. Beaucoup plus tard, vers 2012/2013, je roulais à scooter boulevard Poniatowski (Paris 12e) ; il était environ 23 h, il avait plu, mais le boulevard était quasiment désert, je roulais assez vite voyant que le feu au loin venait de passer au vert. Mais quand j’arrive au carrefour avec la rue de Charenton, une voiture venant du sens opposé me coupe la route à une vingtaine de mètres. À cette distance-là, je savais que je ne pouvais pas l’éviter, même en freinant, la chaussée mouillée aurait, de toute façon, provoqué la chute. Or, non seulement je n’ai pas heurté la voiture, mais je me suis retrouvé de l’autre côté de cette voiture, assis sur mon scooter, éberlué, ne comprenant absolument rien à ce qui venait de se passer. Je devais me fracasser contre la voiture, et tout s’est déroulé un peu comme dans un film au ralenti ; tout est devenu très lent, j’ai pris conscience que j’étais toujours vivant, et que je pouvais reprendre ma route…

Au mois d’août 2019, je rentrais de Tours à Suresnes, en voiture, sur l’autoroute A10. Il faisait chaud, je me suis penché vers le siège à droite pour récupérer une bouteille d’eau. Soudain, un bruit violent : mes deux roues de gauche, avant et arrière, venaient de heurter le parapet central et les pneus d’exploser. Je roulais donc sur la file de gauche, mais dans l’incapacité de contrôler mon volant et de maintenir une trajectoire avec, derrière moi, beaucoup de voitures qui rentraient, elles aussi, de week-end. Là encore, je me suis soudain retrouvé, complètement à droite, sur la bande d’arrêt d’urgence, et… parfaitement calme ! Face à une situation aussi dangereuse, il fallait que mon attention soit exclusivement et intensément focalisée sur ma conduite. Or, je n’ai aucun souvenir des quelques secondes passées entre le moment où je me trouvais encore sur la file de gauche et celui où je suis arrivé sur la bande d’arrêt… Comme si mon ange s’était chargé de m’extirper de cette très fâcheuse situation. Pourquoi dis-je « comme si » ? Je suis convaincu qu’il l’a réellement fait. Alors, questions bêtement humaines : pourquoi cette intervention extraordinaire ? attend-on quelque chose de moi en retour ? Mais non, je le sais pourtant : cet amour-là est gratuit, inconditionnel.

Angélisme

Dire de quelqu’un qu’il « fait dans l’angélisme » n’est pas lui adresser un compliment. Pardon pour les anges qui ne méritent aucunement un tel dédain ! L’angélisme est une vision idéalisée, voire ingénue, des rapports humains, entre individus, groupes ou nations. C’est le fait de croire, ou de s’imaginer, que les conflits peuvent toujours se résoudre par une confiance partagée, une bienveillance active, ou des incantations à la fraternité universelle. Dans sa version extrémiste, l’angélisme peut se muer en volonté d’épuration ethnique, politique ou religieuse. Elle touche alors au fanatisme. À l’inverse, le pacifisme, dans sa candeur désarmante, peut aussi relever de l’angélisme.

Angoisse

Je peux être inquiet ou anxieux comme tout un chacun, mais l’angoisse m’est assez étrangère. Jusqu’à présent, je n’ai pas ressenti de véritable crise d’angoisse telle que me l’ont décrite des proches ou des amis. Pourtant, je me souviens de l’avoir éprouvée, intensément, quand nous sommes restés, toute une soirée et une longue nuit, sans nouvelles de Gabriel. Bien avant, il y avait eu aussi les brûlures de Thomas et le cancer de la thyroïde de Françoise.

Si, placé devant une situation difficile, voire dangereuse ou dramatique, j’ai la possibilité d’agir, de trouver une solution, mais sans y parvenir, je peux alors éprouver une forme d’angoisse. Mais, si je ne peux rien faire par moi-même pour changer le cours des choses (une guerre, une épidémie, une tempête…), dans ce cas ce que j’éprouve est plutôt de l’ordre du fatalisme. En quoi je rejoins peut-être la sagesse stoïcienne d’Epictète pour lequel « Il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui ne dépendent pas de nous ».

Animaux

Qu’ils soient à poils ou à plumes, je n’aime pas caresser, ni même toucher, les animaux. Le geste ne m’est pas naturel. Je me méfie en particulier des chats, souvent fourbes ! D’une façon générale, je trouve qu’il y a bien trop d’animaux domestiques et, pour ma part, même si j’ai eu un âne et des chiens dans mon environnement, je n’ai jamais eu à proprement parler d’animal de compagnie. Ce que je ne supporte pas c’est qu’un animal puisse faire la loi dans une maison… En même temps, je ne cesse de dénoncer leur maltraitance, et de pointer l’intelligence et la sensibilité qu’on ne leur reconnaît pas encore suffisamment.

Voir évoluer les animaux sauvages, en direct ou à travers des documentaires, me passionne. Pour fêter mes 70 ans, je me suis offert un voyage en Tanzanie, en particulier dans le grand parc national du Serengeti, où j’ai pu assister, entre autres, à une chasse aux gnous par une troupe de lionnes. Mais ceux qui me fascinent ce sont les grands singes que je pourrais observer pendant des heures sans ennui, et les éléphants qui, avec leurs pattes et leur trompe, semblent rendre hommage à leurs morts, même à l’état d’ossements (comme le font aussi les bisons, les girafes, et d’autres).

Années

Comme il est vite arrivé le temps où je dois désormais compter en années, et non plus en décennies, le terme de mon parcours de vie ! Mais, si je ne devais mourir qu’après avoir fini de mettre en ordre mes affaires, et surtout mes archives, livres et dossiers, alors je serais immortel, ou presque !

Antipathie

Autant nous pouvons l’éprouver comme une « inimitié naturelle » (D’Alembert) pour telle ou telle personne, autant nous nous étonnons d’en susciter nous-même ! Mais… pas grave, docteur !

Apparences

Elles nous attirent, nous charment, nous séduisent, ou au contraire nous rebutent, nous répugnent, mais quoi qu’il en soit, il nous faut les traverser : la vérité est toujours au-delà des apparences.

Arbres

Longtemps, je les ai à peine regardés. Et pourtant, les arbres sont non seulement les plus grands des êtres vivants, mais ils sont surtout nos patriarches, nos racines ancestrales. Ils occupaient la terre des centaines de millions d’années avant nous. Ils n’ont besoin que d’eau et de lumière pour se nourrir. Les arbres meurent toujours debout, les hommes le plus souvent couchés. C’est avec leur bois qu’on a fabriqué nos bibliothèques, nos journaux et nos livres. Combien de civilisations se sont bâties, en quelque sorte, sur le dos des arbres ?! Ces dernières décennies, on redécouvre leur « sagesse », leur énergie intelligente, que les Druides, eux, n’ignoraient pas. J’aime l’idée de l’arbre passeur entre ciel et terre… Seront-ils là encore dans mille ans, ces compagnons de toujours ? Ou même dans deux cents ans ?

En 1967, au concours d’entrée au Centre de Formation des Journalistes, parmi d’autres épreuves, on nous a projeté un court-métrage documentaire intitulé « Vie et mort d’une forêt », dont il fallait rendre compte, par écrit, sous quelque forme que ce soit. Je me souviens que la poésie de ces images m’avait inspiré, et la secrétaire générale du CFJ, Claire Richet, m’a confié quelques semaines plus tard que la note obtenue à cet exercice d’évocation avait largement contribué à mon admission ! Beaucoup plus tard, en 1994, accompagnant, comme journaliste, en Israël, François Léotard, alors ministre de la Défense, j’ai eu l’occasion de planter un arbre, pas loin de Jérusalem, mais je ne me rappelle plus lequel. En revanche, je sais que dans la forêt de Paimpont (Brocéliande dans la légende celtique), il existe un arbre magnifique, plus que tricentenaire : le hêtre de Ponthus, avec son bouquet géant de bras levés vers le ciel. C’est l’arbre sorcier de cette forêt ; il aurait tant d’histoires à raconter, dont beaucoup de tragiques !

Blanche de Richemont (écrivaine) : « L’arbre est une flèche lancée vers le ciel… Tel un guide, il traverse le cycle des saisons en silence, humble et droit, il nous montre la voie. Chaque arbre est un veilleur, un messager, à l’image de l’olivier, qui donne la paix ; du chêne, la force ; du laurier, l’éternité ; de l’orme, la guérison ; du pommier, la sagesse ; du palmier, la victoire ».

Argent

Pour moi l’argent ne sert qu’à s’éviter… de compter ! Plus largement, il sert à trois choses : être indépendant, aider ceux qui sont dans le besoin, offrir des cadeaux. Point. Si on le recherche pour lui-même ou ce qu’il représente, il devient un poison et l’ennemi de l’âme. J’adhère à ces deux préceptes, le premier attribué à Alexandre Dumas fils : « N’estime l’argent ni plus ni moins qu’il ne vaut : c’est un bon serviteur et un mauvais maître » (je crois que Jésus avait déjà dit cela) ; le second est du philosophe Alain : « Pour être libre par rapport à l’argent, il faut n’en point désirer au-delà du nécessaire ».

Aristocrate

Comme Winston Churchill je pense que l’aristocratie (littéralement : le « gouvernement des meilleurs ») est faite pour diriger les masses. Sauf que je ne pense pas (comme lui) à l’aristocratie de naissance ou de classe. Les « meilleurs », pour moi, ce ne sont pas forcément les plus diplômés, le gratin de la « méritocratie », mais les plus lucides dans la vision du bien commun, les plus courageux dans la prise de décision et le passage à l’action, les plus sages dans la compréhension des rapports entre gouvernants et gouvernés. Peut-on trouver, parmi les hommes et les femmes politiques, toutes ces qualités (auxquelles il faudrait ajouter le désintéressement), ne serait-ce que chez un petit nombre d’entre eux ? Je n’y crois guère. Si c’était le cas, à la démocratie je préférerais ce régime aristocratique, proche de celle que préconisait Platon dans La République. Je sais bien qu’aujourd’hui c’est une conception politiquement incorrecte, et même iconoclaste, mais peu m’importe, c’est la mienne.

Arrogance

Que l’arrogance soit plus répandue parmi les élites qu’ailleurs, c’est une évidence. Mais beaucoup de Français (beaucoup trop) confondent arrogance et compétence. L’arrogant, c’est celui qui, au nom d’un savoir dont il se targue (et qui peut être réel), s’autorise à regarder de haut, voire à mépriser ceux et celles qui ne possèdent pas ce savoir. Mais celui qui sait, devrait-il éviter de le montrer pour ne pas risquer de froisser l’amour-propre, la susceptibilité de celui qui ne sait pas ? Éviter de l’humilier, oui bien sûr, et il est si facile d’être maladroit. Mais faudrait-il bientôt s’excuser de savoir ?! « Un musicien doit-il s’excuser de sa virtuosité ? Un peintre de son talent ? Un savant de ses découvertes ? » s’alarme Jacques Attali. La quasi-célébration de la médiocrité en lieu et place de l’excellence fait partie du mal français. « Ce comportement se trouve à la source de ce qui peut détruire l’âme de la France, poursuit Attali. Car on en vient à dénoncer toute réussite, même venue du travail… Certains vont jusqu’à glorifier l’ignorance et l’échec »…

Art

L’art commence avec le regard, d’une certaine manière étonnée, innocente, émerveillée, de regarder les choses, même les plus ordinaires : nuages effilochés par le vent, rivière ondulant à travers les prés, fleurs multicolores au bord d’un chemin… La nature est la première artiste, mais elle l’ignore, et c’est l’Homme qui célèbre la création. L’art est d’abord cela : une célébration de la vie, sous toutes ses formes. Mais la vie est profusion, tumulte, confusion. L’art est re-création : il ouvre, décante, purifie la réalité lourde et close. Il réveille l’invisible, rend visible ce qui est obscur, ou ignoré.

De cette glaise de vie, l’artiste est capable de tirer une infinité sublime d’images, de formes, de couleurs, de sons, signes d’une autre vie, plus dense, plus intense. L’artiste est un passeur de vérité voilée ; mais l’art est le cheval ailé de tout homme qui rêve d’un autre monde. Pourquoi en rêve-t-il, sinon parce qu’il en perçoit, à des moments privilégiés, les traces, les effluves, les murmures, et l’artiste encore plus et mieux que les autres ? Mes amies peintres, Gemmanick, Caroline, Anna, mon beau-frère Yvon, me l’ont fait toucher, non pas du doigt, mais de l’œil… et du cœur !

L’œuvre d’art est plus grande que l’artiste lui-même. En elle, il se dépasse, parfois se transcende. Elle est médiatrice entre l’imperfection infinie de l’homme et son aspiration inassouvie à la perfection. L’art, on le sait, est un défi à l’éphémère et à la mort. Le génie des peintres dessinateurs de Lascaux et d’ailleurs nous bouleverse toujours, des milliers d’années plus tard. L’art a partie liée avec l’immortalité, puisque la beauté est un éclat d’éternité.

Alain : « Tous les arts sont comme des miroirs où l’homme connaît et reconnaît quelque chose de lui-même qu’il ignorait ».

Athée

Athée oui, mais de quel « dieu » ?! C’est ce que disait Saint Paul aux Romains : « Nous sommes athées, nous le proclamons, nous sommes athées de tous les prétendus dieux… ». Il existe en effet tellement de faux dieux qu’on a besoin d’une sorte d’« athéisme purificateur » selon l’expression de la philosophe et mystique Simone Weil (« Il y a deux athéismes dont l’un est une purification de la notion de Dieu ») ! Moi, j’ai trop de doutes pour être athée, ou pour le devenir. Mais je respecte, bien sûr, ceux qui le sont sincèrement, après avoir réfléchi sérieusement à la question, et qui ont décidé de ne pas croire en « Dieu ». Ou qui croient simplement que tout se joue ici, au cours d’une existence finie, bornée par la naissance et la mort.

André Comte-Sponville (philosophe) : « Si vous rencontrez quelqu’un qui vous dit : “Je sais que Dieu n’existe pas”, ce n’est pas d’abord un athée, c’est un imbécile. Disons que c’est un imbécile qui prend son incroyance pour un savoir. Et de même si quelqu’un vous dit : “Je sais que Dieu existe”, c’est un imbécile qui prend sa foi pour un savoir. La vérité c’est que nous ne savons pas. Croyance et incroyance sont sans preuve, et c’est ce qui les définit : quand on sait, il n’y a plus lieu de croire ou non ».

Athlétisme

C’est une manière de discipliner le corps, d’assouplir et de dompter les nerfs, de fortifier les muscles. Tout cela qui est en perpétuelle tension, ou agitation, l’athlétisme le contraint à rester à sa place et à servir, l’éduque en vue de sa fin qui est d’être l’auxiliaire de l’esprit.

J’ai toujours aimé l’athlétisme, que j’ai beaucoup pratiqué au collège Saint-François, à Lesneven (Finistère). En cadet, j’ai été champion de Bretagne du 80 mètres et, plus tard, étudiant à Angers, j’ai participé à des compétitions (au SCO) et obtenu, une fois, le score de 11,01 secondes aux 100 mètres. C’était dans les années 60 ! On m’avait alors fait miroiter la possibilité d’être sélectionné dans l’équipe de France de relais B du 4x100 ! C’est resté à l’état de fantasme… Mais je prends toujours un grand plaisir à regarder les Jeux olympiques, et surtout les épreuves de courses et de sauts.

Attention

Être attentif aux autres, à son environnement humain, relationnel, social, écologique, c’est bien plus que sortir de l’indifférence et manifester un certain intérêt à ce qui se passe. Plus qu’une attitude d’observation, l’attention est une orientation de l’existence, une philosophie de vie. Tant d’occasions se présentent pour nous distraire, nous disperser, papillonner, alors que tant de choses essentielles commencent avec l’attention !

L’attention est une qualité et la porte d’entrée à nombre de vertus : comment devenir prudent, compatissant, doux, délicat, mais aussi juste et solidaire, sans commencer par faire attention ? Sans elle, comment se connaître soi-même ? Comment changer de comportement ? Comment entrer dans une relation authentique avec quelqu’un si, par le regard et par l’écoute, on ne lui a pas signifié : je te vois, je t’entends, tu existes, tu es présent pour moi ? L’attention à l’autre est souvent le premier pas d’une vraie rencontre.

Simone Weil : « L’attention absolument pure est prière ».

Aube

Cette heure chargée de promesses, ou alors d’une seule, mais intense. L’aube… quand la nuit s’éclipse avec son ombre et que renaît la lumière, timide, hésitante, mais on le devine, pas si fragile. Aube, comme une Genèse renouvelée qui murmure « Et la lumière fut »… Quelque part, dans les monastères, le chant de louange des moines et des moniales jaillit du silence, remplit la nef endormie et s’élève, offrande pure, jusqu’aux voûtes de pierre… Je me souviens de ces laudes matinales des moines de Soligny-la-Trappe, en Normandie, où je m’étais enfermé, une dizaine de jours, pour terminer la rédaction de ma biographie de Charlemagne. Je me réveillais en même temps qu’eux et mêlais ma voix aux leurs, quand je connaissais les chants, des psaumes le plus souvent… L’aube est une prière silencieuse, du corps et du souffle. Et ces chants liturgiques sont une fête pour l’âme.

Au-delà

J’aborde ce sujet avec autant d’excitation et de passion que de circonspection. Derrière l’horizon, raccourci, de ma vie terrestre, il y a cette Réalité, obscure et lumineuse à la fois, non pas d’un lieu, mais d’un espace infini d’exigence spirituelle et d’amour inconditionnel. C’est du moins ce que je crois. L’écrivain argentin Jorge Luis Borges disait que « les catholiques croient en un monde de l’au-delà, mais ne s’y intéressent pas ». Je pense qu’il a raison ; moi, au contraire, ce monde-là m’intéresse énormément. Peut-être parce qu’il est, quelque part, malgré tout, à notre portée (grâce à des « intermédiaires », j’en reparlerai), alors que Dieu – ou qu’on l’appelle sous quelque nom que ce soit – est complètement en dehors de notre petite sphère de compréhension. Maintenant donc que je pressens la fin de mon parcours terrestre, la grande affaire c’est celle-ci : l’au-delà, et l’au-delà de l’au-delà, les champs infinis de la connaissance, de l’illumination, de la béatitude…

Mais d’abord, reconnaissons que l’Au-delà n’est pas un sujet particulier pour spécialiste d’ésotérisme, de spiritisme ou de mystique. Il est au carrefour de la Vie et de la Mort, de la Transcendance et de l’Immortalité. Pas rien tout de même ! Bien sûr, on est là sur un plan très éloigné de la science et de la rationalité pure et dure. Et il ne saurait être question pour moi de chercher à convaincre qui que ce soit de réalités dont je suis parfaitement incapable d’apporter des « preuves », tout au plus des témoignages et des intuitions. L’immatériel et l’invisible ne peuvent être l’objet que d’évocation, pas de démonstration. Je ne sais d’ailleurs pas bien expliquer comment j’en suis arrivé à considérer la re-naissance dans l’au-delà comme une évidence.

La croyance en l’au-delà remonte à la préhistoire de l’humanité. Presque toutes les civilisations anciennes ont cru à la survivance de l’âme après la disparition du corps. Depuis les Égyptiens des temps pharaoniques, les Aztèques, les Celtes et leurs druides, jusqu’au spiritisme d’Allan Kardec et la société théosophique d’Elena Blavatsky, au 19e siècle, en passant par saint Jean et l’Apocalypse, les tableaux de Jérôme Bosch, la Divine Comédie de Dante, etc., la question de l’au-delà a été omniprésente dans toutes les sociétés humaines, à travers les religions, les arts, les philosophies et les mythologies, les rêves, et même la vie quotidienne. Aujourd’hui, au 21e siècle, surtout en Occident, cette croyance apparaît à beaucoup farfelue ou sulfureuse, voire dangereuse, tant on l’associe à des mouvements sectaires ou à des cercles d’illuminés aux pratiques douteuses. Chez d’autres, elle suscite plutôt de la curiosité, mais une curiosité mêlée d’angoisse ou de malaise. Cela s’explique notamment par au moins un siècle et demi de scientisme et de matérialisme. Mais déjà, au 17esiècle, Pascal soulignait l’indifférence à ce sujet : « Une chose qui nous importe si fort ! » s’étonnait-il. Pour ma part, je n’arrive pas à croire à la sincérité de ceux qui affirment ne s’être jamais interrogés sur l’au-delà de leur mort.

Mon premier achat d’un livre sur ce thème remonte à 1972. C’était un « Que sais-je ? » intitulé tout simplement « L’au-delà », signé François Grégoire, essayiste, romancier et diplomate. Beaucoup d’autres allaient suivre, surtout dans la décennie 2010-2020. Mais le surnaturel, puisqu’on peut l’appeler ainsi, a fait irruption dans ma vie un jour des années 2005-2006. À Paris, ce jour-là, des amis m’ont entraîné à la conférence d’une femme, Marie-Pascale Rémy, qui racontait son expérience de mort imminente (EMI). Le choc ! Je n’en avais jamais entendu parler et son récit me captiva. Cette jeune femme, sportive de haut niveau, fut gravement blessée dans un accident de voiture en Suisse, et tomba dans le coma. Quand elle en sortit, elle n’était plus tout à fait la même, moins à cause des séquelles psychologiques de l’accident, que par ce qu’elle disait avoir vécu durant ce coma. C’était la première fois que j’entendais parler d’un long tunnel plutôt sombre, débouchant sur un océan de lumière, indescriptible avec des mots humains. Plus tard, j’ai suivi d’autres conférences sur ce sujet et rencontré ce qu’on appelle des expérienceurs (j’y reviendrai plus tard). Et puis, en 2014 je crois, j’ai aussi assisté à une séance de communication avec les défunts, par une médium du nom de Florence Hubert. Nouveau choc et forte émotion en réalisant que des défunts pouvaient s’adresser à des proches, grâce à la médiumnité de certains humains. Il faut avoir assisté à de telles séances avant de porter un jugement de rejet ou d’opprobre sur ce phénomène. Je m’en garderai bien. Autant que je le sache, je ne suis pas dépourvu d’esprit critique et je sais à quel point la crédulité peut être dangereuse. Pour avoir participé à une demi-douzaine de ces séances et bien connaître maintenant Florence Hubert, je suis prêt à témoigner qu’il n’y a là aucun trucage ni supercherie. Les personnes connectées à leur défunt en sortent bouleversées, comme moi-même lorsque mon père (défunt) s’est manifesté… (Je reviendrai aussi sur la médiumnité).

Je connais à peu près toutes les objections qu’on peut faire à propos de cette croyance en l’au-delà. Vision consolatrice, disent certains. Rassurante pour ce qui me concerne. Et alors ?! Faut-il que consolation rime forcément avec illusion ? Et le fait d’être rassuré prouverait que j’ai besoin de l’être ? Une psychologue – Christiane Astruc – témoignant dans le magazine Panorama (mars 1997) disait ceci : « Même si la croyance en un au-delà permet d’atténuer la souffrance de la séparation, je ne la vois ni comme un refuge, pour fuir la réalité terrestre, ni comme une béquille. Pour moi, l’au-delà est une étape qui s’inscrit dans la continuité de ma vie sur terre, mais sur un mode désincarné ». Les tables tournantes ou parlantes, l’écriture automatique et la chasse aux fantômes (etc.) ne m’attirent guère. C’est la spiritualité qui me séduit, pas son folklore.

Je mesure tout à fait le risque qu’il y a à réduire l’au-delà à une projection fantasmatique de l’ici-bas. La raison doit garder un rôle essentiel dans ces réflexions sur l’au-delà, elle n’est pas mise au rencart, mais, modestement, à l’école. Le mystère de l’après-vie nous dépasse, comme il dépasse tout être incarné. Ce n’est pas une raison pour le mettre sous le boisseau. Du reste, n’est-il pas dit dans le Credo qu’on attend, non seulement « la résurrection des morts », mais « la vie du monde à venir » ? Je crois qu’ici-bas, sans en faire nullement une fixation, nous avons à préparer l’au-delà. Le vrai chemin de vie : celui de l’amour, de l’amitié, de la bonté, de la compassion, de la créativité… ne s’arrête pas dans un cercueil ou une urne funéraire. Il continue, selon la mission qui nous a été confiée lors de notre incarnation. Et ce qui devrait exploser dans l’au-delà, avec une force dont nous n’avons pas la moindre idée, c’est moins une connaissance infinie qu’un soleil d’amour. Bref, pour moi, cette vie de l’au-delà est l’atelier de notre apprentissage du divin. Telle est la conviction que je me suis forgée, et qui ressemble à une foi.

Emmanuel Kant (philosophe) : « Il est sage d’agir comme si une autre vie… était inéluctable ».

Autorité

L’autorité n’est plus ce qu’elle était, du moins en Occident. On le dit, on le répète, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, c’est un fait : selon la fonction ou le métier que l’on exerçait, la situation hiérarchique que l’on occupait, la place que l’on tenait dans la famille, l’âge que l’on affichait, l’exercice de l’autorité s’avérait autrefois plus simple, aidé en cela par la tradition, l’admiration ou la crainte. Ces formes d’autorité, celles du chef, du maître, du curé, du juge et du père, ont perdu leur aura, depuis des décennies, et se trouvent même, notamment en politique, plus ou moins délégitimées. J’ai vécu mai 68 et connu ces poussées anarchistes qui déboulonnaient tous les maîtres, patrons, mandarins, présidents ou doyens, et clamaient qu’il était « interdit d’interdire ». « Ni dieux ni maîtres »,