Mission de la France - Joseph Alexandre Saint-Yves d'Alveydre - E-Book

Mission de la France E-Book

Joseph Alexandre Saint-Yves d'Alveydre

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Beschreibung

Que l'assentiment du peuple à l'impôt fasse partie de la tradition française pourrait étonner aujourd'hui. C'est pourtant ce que révèle l'étude des cahiers des États généraux : la France s'est construite sur l'accord régulièrement renouvelé entre la loi politique des gouvernants et la loi sociale des gouvernés. Cette synarchie menait la nation vers son grand destin, jusqu'à ce que, après de longs tiraillements, l'absolutisme "de droit divin" de Louis XIV finisse par enterrer définitivement la voix d'en bas, semant ainsi, en toute logique, la graine fatale de 1789. Que la France renoue avec sa Tradition, celle du véritable christianisme originel, transmise par les Templiers, et elle retrouvera le vrai sens de sa Mission. Un exposé saisissant. (Édition annotée)

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Mission

de la France

La France vraie

Joseph Alexandre

Saint-Yves d’Alveydre

Édition annotée

Fait par Mon Autre Librairie

À partir de l’édition Calmann Lévy, Paris, 1887

https://monautrelibrairie.com

__________

© 2022, Mon Autre Librairie

ISBN : 978-2-38371-052-3

Table des matières

Machiavel

Préface

Chapitre premier

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

CHAPITRE I

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

CHAPITRE V

CHAPITRE VI

CHAPITRE VII

CHAPITRE VIII

CHAPITRE IX

CHAPITRE X

CHAPITRE XI

CHAPITRE XII

CHAPITRE XIII

CHAPITRE XIV

CHAPITRE XV

CHAPITRE XVI

CHAPITRE XVII

CHAPITRE XVIII

CHAPITRE XIX

CHAPITRE XX

CHAPITRE XXI

CHAPITRE XXII

CONCLUSION

Il faut souvent ramener une nation à ses principes.

Machiavel

À ma femme

Je dédie

La France vraie

Comme mes Missions, ce livre est né en moi d’une double influence.

L’une remonte à mon premier ami, Frédéric Auguste de Metz,1 membre de l’Institut ; l’autre est ma femme.

C’est grâce à la sainte paix de l’esprit, de l’âme et de la vie qu’elle m’a donnée, que j’ai pu résumer mes travaux et aimer assez l’Humanité pour oser les publier.

Si ces livres me survivent, s’ils font à ma patrie et à toutes les nations le bien que j’ai souhaité, que les noms de ma femme et de Frédéric-Auguste de Metz en soient seuls bénis.

Tout ce que mes livres peuvent renfermer de bon et de bienfaisant me vient d’eux, tout ce qu’ils contiennent d’imparfait vient de moi.

Saint-Yves d’Alveydre

Préface

I

Je diviserai ce livre en deux parties.

L’une, pro domo, fera contrepoids à certaines attaques, les pires, je crois, que l’esprit du mensonge ait jamais opposées à l’esprit de vérité, le vice à la vertu, l’athéisme social d’une ville au sacerdoce d’une pensée nationale.

L’autre, pro patria, démontrera dans l’Histoire de France la loi du salut de la Patrie.

Dans le volume entier je mettrai tout ce que la conscience et la pensée d’un homme peuvent donner de sincérités et de clartés.

J’entrerai ainsi de pied en cap dans l’âme d’une capitale pour réveiller celle d’une nation.

Si je réussis, que la France seule en soit glorifiée, sinon, j’aurai fait mon devoir tout entier.

Comme il y a une France vraie et une fausse, il y a un Paris vrai et un faux.

Le vrai Paris, comme son nom et ses armes le disent, est le Vaisseau-pilote de l’Humanité.

Celui-là est ma ville natale : je l’eusse choisi s’il n’était mon berceau.

Mort ou vif, esprit ou homme, je lui rendrai sa loi synarchique. Il entrera au port sous cet Arc d’Alliance avec son oriflamme aux trois couleurs.

Le Paris vrai vogue dans l’azur, silencieux parmi des étoiles. Elles s’appellent gloires, vertus, travail, génies.

Le Paris faux fait un vacarme de possédés, grouillant dans toutes les fanges. Elles s’appellent hontes et vices, plaisirs impurs et impuissances.

L’un a sur lui la bénédiction céleste des Aïeux, l’autre emporte leur malédiction comme un coup de foudre au fond de son enfer.

Voilà longtemps que je veille, invisible, et que je vois tout, longtemps que, comme une vigie nationale, je regarde et écoute les deux Frances, les deux Paris.

Il n’est rien de grand que le faux n’ait insulté, à commencer par le vrai. Pas une grande œuvre contre laquelle il n’ait bavé. Pas un grand homme que sa petitesse n’ait tâché de rabaisser. Pas une vérité, pas une lumière contre laquelle il n’ait levé son sale boisseau. Pas une bonté à laquelle sa gueule n’ait mordu la main.

Non seulement il regimbe contre les grandeurs selon Dieu, mais, comme l’âne de Silène, il rue encore contre toute grandeur selon les hommes.

Il n’est pas une famille impériale ou royale qu’il n’ait éclaboussée, non de lumières comme les prophètes, mais de noirceurs puant le vin vomi.

Ici c’est un fumier de romans pornographiques à faire « rougir Priape et se voiler ses filles de joie.

Là, l’insulte est directe : c’est un empereur aussi nécessaire à la sauvegarde de la France que nos propres légions. C’est un souverain qui a pour patron le Prince des Archanges, et auquel le faux Paris, singeant le faux Berlin, fait assassiner ses aides de camp, qui en haussent les épaules d’indignation.

Plus loin, ce sont des femmes, toutes les grandes dames de l’Univers, âmes parfois plus grandes encore, anges humains.

Elles ont beau aimer la vraie France, être ses sœurs européennes de charité : le faux Paris clabaude toujours, en clapotant dans son bourbier.

Sont-elles alliées à des familles impériales et royales, voient-elles s’incliner la majesté de la force devant celle de la bonté, peuvent-elles crier grâce à la guerre au nom du Dieu de paix ? Vite le ruisseau dit à la borne : agents politiques.

Le ruisseau ignore que ce qu’il appelle des agents n’entrent pas par l’escalier d’honneur des cours.

La borne ignore qu’ils ne montent même pas par l’escalier de service des souverains.

Plus loin c’est la vieillesse qu’on insulte, ce sont des vieillards de quatre-vingt-quatre ans. Leurs longs états de services sont sans tache, leur vie un modèle de travail, de probité et de vertu.

Vite, l’aspic souffle à la vipère : vieillards vicieux.

Silence, reptiles ! Le vice c’est vous.

Est-il une majesté sur terre, une sainteté que le faux Paris n’ait reniées, jusqu’à celle des cheveux blancs, jusqu’à celle de la Charité sous la cornette des Sœurs des pauvres ?

Jésus-Christ revenant sur terre ne trouverait plus, non dans le vrai Paris, mais dans le faux, douze apôtres comme à Jérusalem.

Il y trouverait treize Judas pour aller le vendre aux enchères à Rome, à la surenchère à Berlin.

Ici, la Bourse monterait, la honte aussi.

Décidément j’aime encore mieux Jérusalem et le Calvaire, Caïphe et ses Pharisiens, que ce faux Paris et ses faux Parisiens.

Mais vous, Londres, Berlin, Vienne, Pétersbourg, vous qui portez aussi comme Cybèle des couronnes de tours sous les cieux, ne vous dites pas trop vite : Dieu que c’est vrai !

Vous avez toutes sous vos robes de pierre et sous vos pieds le même enfer, les mêmes plaies.

II

Le faux Paris, la fausse France ne sont qu’une lèpre commune à toutes les capitales, à toutes les nations.

C’est la peste de tous les bas-empires, le choléra-morbus de tous les paganismes expirants.

Ce n’est point seulement dans les cafés, dans les cercles, dans les coulisses des théâtres, dans les boudoirs des filles de proie, dans les écuries des chevaux de course, que soufflent ces mœurs de byzantins, rouges ou blancs, verts ou bleus.

Entrez dans les premiers des salons : le dieu pénate du lieu est le même, à rares exceptions près.

À toutes les époques de décadence, il s’appelle haine du prochain.

Comme sous le trépied de la Pythie, il met un serpent python sous chaque fauteuil.

N’ayant plus de motif de s’aimer, tous se haïssent du haut en bas, comme de bas en haut.

Après les courtoises banalités d’usage, derniers soupirs d’une urbanité chrétienne, qui s’en va, le python païen travaille sous le fauteuil, et l’inspiration éclate immédiatement.

Les anthropophages eux-mêmes rougiraient d’un manque de charité où les bigots ne sont point en arrière des athées.

Aussi, est-ce une lycanthropie universelle comme au pire sabbat du Moyen-âge.

L’ultramontain déjeune du protestant, dîne du Juif, soupe du franc-maçon, et réciproquement.

Le communard dévore le républicain, le bonapartiste, l’orléaniste, le légitimiste et vice versa.

Enfin, cet enragement général, ce prurigo politicien aboutit à l’hydrophobie de chacun contre tous, de tous contre chacun.

Il y a intolérance mutuelle comme dans les digestions des névrosiaques et des dyspeptiques : on ne peut plus s’avaler, on se renvoie.

Las de bâiller ensemble sur les mêmes ragoûts sectaires, les enragés finissent par se mordre dans le sein de la même secte, du même parti, de la même classe, de la même coterie, de la même famille.

C’est ce charnier psychologique des haines mutuelles, c’est ce cercle d’enfer, c’est cet esprit idiot, jaloux, puant, que j’appelle le faux Paris et la fausse France.

III

Le vrai Paris, la vraie France n’en demeurent pas moins la Ville sacrée, la terre sainte de l’Occident.

C’est encore là, c’est là toujours que s’élabore le grand mystère social pour toutes les cités, pour toutes les nations.

Oui, en ce moment même, la France, l’Ancien et le Nouveau Testament à la main, revêtue de ses vêtements sacerdotaux, mitre au front, monte à l’autel, prêche, bénit, console, prie, enseigne aux petits et aux grands enfants à aimer Dieu et le prochain. Ceinte de l’auréole de toutes les sciences et de tous les arts, elle éclaire l’enfance, elle illumine l’adolescence, la virilité et la vieillesse. Sous la toque des prêtres catholiques, protestants, juifs, sous le tablier du maçon, sous la calotte du membre du bureau de bienfaisance, à travers la grande dame qui donne son billet de banque, la bourgeoise qui donne sa pièce d’or, l’ouvrière qui donne son sou, elle pratique la charité ou le secours mutuel, car il est toujours mutuel ce secours, même dans la charité qui pacifie la faim. Et voilà, Paris en tête, la France vraie dans son autorité sociale.

Oui, en ce moment même, la France tient la balance et le glaive de la justice, défend la victime, châtie le crime, arbitre les différends, arrête les rixes par le bras des sergents de ville, assure la sécurité des routes sous le tricorne des gendarmes. Elle bâtit des forteresses, fond des canons, se dresse, muraille vivante, opposant le droit national à la force et à l’iniquité européennes.

Et voilà, Paris en tête, la France vraie dans son second pouvoir social.

Oui, en ce moment même, la France travaille saintement sous l’œil de Dieu, porte le poids de la dette publique, paye les budgets, prodigue son or comme son sang. Elle cultive les champs, reboise les montagnes, endigue et canalise les fleuves, sélecte et multiplie les espèces animales et végétales, dispute le blé, la vigne et l’olivier aux fléaux et à la concurrence des autres peuples. Elle se lève avant l’aube comme l’étoile du matin, allume ses hauts fourneaux, met en mouvement tous les membres de fer de ses industries et de ses métiers. Jour et nuit, elle sillonne son sol de locomotives et de trains, elle laboure toutes les mers du soc de ses navires, commerce et échange avec tous les peuples de toutes couleurs et de tous climats. Sous la blouse et sous le frac, elle est en travail comme la ruche cosmique à travers toutes ses cités et tous ses hameaux, jusque dans les derniers replis de son sol métropolitain et colonial.

Et voilà, Paris en tête, la France vraie dans son troisième pouvoir social.

Oui, sous cette triple tiare, celle-ci est vraie, celle-ci est juste, celle-ci est bonne. Elle est souverainement nécessaire à toute l’Humanité qui attend d’elle la Foi et la Loi des Temps nouveaux.

Celle-ci est ma mère immortelle, ma patrie sainte et bien-aimée. Je baise la poussière de ses pieds comme le plus humble de ses enfants, et je n’écris que pour lui rendre hommage et gloire de ce que sa pensée et son cœur m’ont dicté.

Avant-Propos

Pro Domo

Chapitre premier

De 1832 à 1887. – Mission des souverains. – La Synarchie à l’Hôtel de ville de Bruxelles. – Mission des Juifs. – Union économique. – Syndicats ouvriers. – M. de Cambourg. – Le syndicat de la Presse professionnelle. – M. Chevreul. – La machine infernale. – Renouvellement des vœux synthétiques de l’ancienne France. – Les Ministres. – M. Dauphin. – M. Flourens. – Le général Boulanger. – L’amiral Aube. – Notre adresse à la Chambre des députés, au Sénat, au Président de la République. – Pouvoir économique. – Aux lecteurs. – Aux journalistes. – Charlatanisme littéraire, politique, mondain. – La Synarchie européenne et l’Amphictyonat présidé par les Papes. – Nécessité d’un Concordat social en France entre les Français, en 1889.

S’il fallait compter tous ceux qui ont apporté quelque lumière en ce monde et que les ténèbres n’aient point injuriés, tous ceux qui ont sciemment et consciemment travaillé au relèvement d’une nation, et que les ignorants doublés des inconscients n’aient point payés d’ingratitude, la liste serait courte, et il y aurait peu de gloire à y figurer.

Quand je crus que la bonté divine me commandait des œuvres en me donnant bonheur et loisir, je savais d’avance, comme le Dante, que j’allais sortir de mon ciel pour entrer dans la selva selvaggia, dans la sauvage forêt des préjugés, et que sa faune carnassière m’y laisserait difficilement frayer des voies.

Je n’avais que peu de mérite à ne m’en point soucier, car mes convictions étaient inébranlables, et je connaissais la force invincible de la vérité sur l’erreur, de la vertu sur le vice, du travail sur l’oisiveté.

En 1882, à peine eus-je publié la Mission des souverains que j’entendis siffler de l’étranger et d’ailleurs pas mal de reptiles. Je reçus des lettres anonymes me menaçant de me couvrir de boue, moi et les miens, d’autres parlant même de mort.

Tristes gens, me disais-je, et je haussai les épaules.

Loin de m’émouvoir pour si peu, la même année 1882, je continuai mon œuvre par la parole.

À Bruxelles, dans la grande salle de l’Hôtel de ville, je démontrai la loi de la paix continentale à un millier d’hommes d’élite de toutes les nations.

Mon plan était de faire la même chose, l’année suivante, à Amsterdam, puis dans les capitales de toutes les petites Puissances, pour les amener à se constituer en Sénat européen, sous le protectorat de la France et de la Russie d’abord, puis de tous les grands États qui auraient voulu entrer dans cette ligue de bien public.

À Paris, en 1883-84, je publiai dans la Mission des Juifs la même loi de paix sociale, celle de l’Histoire universelle, contrairement aux théories des politiciens naturalistes, depuis Aristote jusqu’à de Moltke.

Ai-je besoin de dire que dans toutes ces étapes à travers la forêt sauvage, je recevais pas mal de flèches dans ma carapace.

En 1885, je réunis quelques amis pour travailler ensemble à la paix sociale de mon pays, par l’action et non plus seulement par la plume et par la parole.

Il en sortit un projet d’union entre les différentes classes économiques de France, projet imprimé, et que nous nous proposions de répandre et de soutenir devant un Congrès, à Paris.

En janvier 1886, sous la présidence de M. Milhet-Fontarabie, sénateur, nous voulûmes faire l’essai de ces idées devant les syndicats ouvriers.

Un ami vint me dire : « Il y a tout un complot organisé contre vous ; vous serez insulté, interrompu à chaque instant, accusé, hué par des blouses blanches.

– Accusé de quoi ? » lui répondis-je. Et je lui mis sous les yeux les réponses les plus péremptoires aux accusations qu’il me disait.

C’est pourquoi, fort de ma conscience et de l’honneur de toute ma vie, j’allai là, comme au feu : en avant !

Plus de deux cents syndicats ouvriers étaient représentés dans la salle de la rue de Lancry.

Je pris la parole après MM. de Fontarabie et de Cambourg, et j’exposai notre projet d’un grand Conseil de l’Économie nationale.

Toutes les intelligences et tous les cœurs comprirent bientôt que le bien public était le seul mobile qui nous animait, qu’aucune ambition politique ne nous guidait, et nous n’en reçûmes qu’applaudissements.

Ainsi, malgré les menaces qui, sourdement, grondaient à mesure que l’œuvre grandissait, j’avais le bonheur de sentir que les vérités auxquelles je me suis voué étaient objectives, c’est-à-dire qu’elles ressortaient des expériences de l’Histoire et des besoins de mon pays.

L’heure était venue de grouper sur ce terrain fécond les intelligences et les âmes dont la bonne volonté venait à nous.

Après avoir cherché le point de synthèse des différentes branches de l’Économie publique, je proposai à mes amis d’adopter le seul qui fût légalement possible, celui de la formation de la Presse économique et professionnelle de France en syndicat.

Il existe en effet, à côté de la grande Presse religieuse et scientifique, sociale et politique, une petite Presse très humble mais très utile aussi, et qui mérite à tous égards les encouragements de sa sœur aînée.

C’est celle de tous les journaux professionnels, qui vont des industries les plus puissantes aux plus modestes corps de métier.

Cette petite sœur ne fait pas de bruit, elle ne fait pas de politique, mais elle travaille bien et d’une manière extrêmement utile à la mère patrie.

Une industrie, un métier, un art même sont-ils menacés par la concurrence étrangère ? Vite un bon article technique, bien simple, bien vrai, bien sincère, révèle le péril et le remède.

Une injustice est-elle commise dans le sein d’une même corporation ? Vite, elle est signalée, sans passion, sans haine, et appelle une contrepartie ou un arbitrage.

Ce que nous avons trouvé de sagesse, de science pratique, de patriotisme et de bon vouloir dans ces directeurs et dans ces rédacteurs est un des plus doux encouragements que nous recevrons jamais.

M. Destrem, le vaillant philosophe, voulut bien accepter la présidence de ce syndicat, que M. de Cambourg et moi lui offrîmes avec MM. Dureau, directeur du Journal des fabricants de sucre, Dècle, président du Syndicat des bijoutiers, Constant Deville, membre du Conseil des prud’hommes, dont je citerai une lettre des plus remarquables dans un des chapitres de Pro patria.

Puisque je viens de prononcer le nom du baron Théodore de Cambourg, qu’il me soit permis de lui consacrer quelques lignes, quand il mériterait un chapitre à lui seul. Depuis plusieurs années que je le vois à l’œuvre, mon estime et mon admiration grandissent au lieu de diminuer, comme c’est généralement le cas dans les relations du monde.

M. de Cambourg est depuis longtemps l’âme des initiatives patriotiques les plus sagaces, les plus courageuses, les plus persévérantes et les plus désintéressées de tout mobile personnel.

Il met au service de la France et du prochain une intelligence et un dévouement rares, dont l’énergie est aussi grande que la bonté.

Ceux qui le connaissent, et ils sont nombreux, verront que c’est pour épargner sa modestie, égale à son exceptionnelle valeur, que je n’en dis pas davantage.

Je tiens seulement à ajouter que c’est à son infatigable initiative que je dois d’avoir vu passer en acte les idées de salut public qui nous ont rapprochés et unis.

Quand notre œuvre fut fondée, hors de tout esprit de secte, de parti et de classe, nous voulûmes faire porter sur elle un jugement solennel par le doyen de la France vraie.

C’est pourquoi nous allâmes chez l’auguste témoin de ce siècle et de la fin du précédent : M. Chevreul, membre de l’Institut.

Nous lui exposâmes le but de notre Syndicat, d’abord l’association d’une Presse méritante, ensuite son élévation aux prérogatives et aux faveurs dont jouit la grande Presse, enfin sa haute portée comme organe fonctionnel des vœux de toute notre Économie nationale.

M. Chevreul répondit à notre Syndicat les paroles éminemment flatteuses et encourageantes que les journaux ont reproduites.

Il voulut bien accepter la Présidence d’honneur de cette fondation.

C’est alors que sautèrent contre moi et contre les miens les volcans de boue que l’on connaît.

Des hommes de loi me disaient : « Traînez donc ces gens-là en police correctionnelle avec une ligne et un hameçon. S’ils ont autant d’années de prison qu’ils ont vomi de calomnies, plusieurs siècles n’y suffiront pas. »

Je dis et j’écrivis à mes amis : « Laissez faire, laissez aller, laissez passer, ne répondez pas, ne me vengez pas, et que ces calomniateurs gagnent autant d’argent à faire le mal que j’en ai perdu dans ma vie à faire le bien. Étant capables d’accusations fausses et de faux témoignages, c’est eux qui, tôt ou tard, me vengeront d’eux-mêmes. »

Des brochures parurent pour me défendre : je les arrêtai.

Du reste ces flèches empoisonnées n’entravèrent nullement la marche lente mais sûre de nos idées de bien public.

Comme archiviste du Syndicat de la Presse économique et professionnelle, je fus chargé de rédiger les vœux que nous portâmes en corps aux trois Pouvoirs de l’État, en janvier et en février de la présente année 1887.

Pour bien marquer sa déférence envers le Gouvernement existant, le Syndicat suivit la voie hiérarchique en demandant successivement audience aux différents ministres.

Parmi ces derniers, le ministre des Finances, M. Dauphin, celui des Affaires étrangères, M. Flourens, puis M. le général Boulanger à la Guerre, M. l’amiral Aube à la marine, ont été unanimes à considérer notre but national comme aussi méritoire qu’utile, et leurs précieux encouragements nous ont portés à saisir des mêmes vœux les présidents des deux Chambres et le chef de l’État : voir à la fin de Pro patria.

Enfin, la publication de ces mêmes vœux à dix mille exemplaires a fonctionnellement saisi toute l’Économie française d’une même pensée d’association dans laquelle elle trouvera la conclusion et la synthèse organiques de tout le mouvement des Syndicats.

Ce mouvement tend à constituer cinq Conseils supérieurs, non gouvernementaux, mais purement nationaux, de la Finance, de l’Agriculture, de l’Industrie, du Commerce et de la Main-d’œuvre de notre pays.

De plus, ces cinq doigts des gouvernés devront s’articuler forcément sur une même main, comme je l’ai dit ailleurs. Ils devront former un même Pouvoir social et non politique, celui de tous les contribuables professionnellement réunis. Ils ne devront ni légiférer, ni exécuter, mais proposer. Ils mettront d’accord, chaque année, tous leurs besoins, tous leurs vœux et les apporteront aux Pouvoirs de l’État, depuis l’Électorat politique jusqu’aux Commissions des Chambres législatives, jusqu’aux Ministres, jusqu’au Chef du Gouvernement, quel qu’il soit.

Aucune nation au monde n’égalera la nôtre en puissance, en force de cohésion, en prospérité, le jour où ce fonctionnement aura porté ses inévitables fruits.

Ainsi, les ennemis du dehors pas plus que ceux du dedans ne peuvent arrêter une pensée vraie, juste et bonne pour tous, celle qui réunit aujourd’hui tant de patriotes dévoués, celle qui a été le mobile de mes travaux pendant toute ma vie, et celui de mes écrits dès 1882.

Cette organisation économique est en effet l’un des trois Pouvoirs sociaux, et non politiques, que j’ai désignés sous le nom de Synarchie.

Du reste, pour montrer au lecteur l’esprit de patriotisme et de paix publique qui préside à nos idées, je ne puis mieux faire que de mettre sous ses yeux le texte de notre adresse aux deux Chambres, en leur envoyant la copie de nos vœux synthétiques au Président de la République.

« Messieurs les Présidents,

« Messieurs les Députés,

« Messieurs les Sénateurs,

« Le Syndicat de la Presse économique et professionnelle a l’honneur de vous faire part des vœux qu’il a adressés au Pouvoir exécutif dans la personne de son vénérable Chef.

« Pour bien marquer sa déférence envers le Gouvernement existant, le Syndicat a suivi la voie hiérarchique en demandant successivement audience aux différents ministres, à commencer par le Chef du Ministère actuel.

« Les Ministres qui lui ont fait l’honneur de le recevoir et de l’entendre ont été unanimes à considérer notre but national comme aussi désirable qu’utile, et leurs précieux encouragements nous permettent d’espérer une attention aussi éclairée de la part du Pouvoir législatif.

« Le grand Conseil économique des gouvernés que nous souhaitons aux gouvernants ne peut que leur apporter un concours consultatif des plus précieux, un point d’appui social, nullement une opposition politique, s’il est recruté et formé de la manière que nous indiquons dans notre adresse.

« Le relèvement économique de la France et sa paix sociale réclament un organe médiateur de cette nature, qui chaque année vienne offrir à l’Exécutif et au Législatif le total et la balance des besoins et des vœux de la Finance, de l’Agriculture, de l’Industrie, du Commerce et de la Main-d’œuvre de notre pays.

« Cette balance, pour donner toute garantie de paix politique aux gouvernants, pourrait se faire en présence du Conseil d’État et de la Cour des comptes.

« Elle présenterait ainsi à vos commissions une somme complète de travail, sortant directement du cerveau et du cœur même des gouvernés.

« Vous les associeriez ainsi comme pouvoir consultatif à vos labeurs parlementaires, dont vous allégeriez du même coup le fardeau et la lourde responsabilité devant le pays, tant pour vous, Messieurs, que pour les autres Pouvoirs de l’État.

« À une heure où, dans tous les États constitutionnels, le fonctionnement du régime parlementaire est l’objet d’une étude approfondie qui conclut à des perfectionnements nécessaires, nous croyons faire acte de bons et de prévoyants citoyens en vous soumettant des conclusions conformes à la tradition et à l’Histoire de notre pays.

« Ce qui a fait longtemps sa force et celle de ses gouvernants a été l’union sociale et non politique des gouvernés, venant leur apporter un semblable et tout-puissant concours national, sans empiéter sur leurs fonctions ni sur les trois Pouvoirs de l’État.

« De plus, et par cela même, une organisation de ce genre, et qui ne nécessite aucune modification dans la constitution politique, est en plein dans le vrai courant de notre génie national que vous avez si bien compris, Messieurs, en lui accordant la loi sur les syndicats.

« Tout autres seraient les expédients purement politiques par lesquels certains régimes parlementaires, celui du congrès des États-Unis par exemple, ont essayé de compléter leur fonctionnement.

« Déjà des voix autorisées s’élèvent dans cette grande nation d’outre-mer pour protester contre l’autocratie de ces commissions d’étude, de travail et de délibération, mais aussi d’accaparement et de monopole politique et autre sans concours et sans contrôle des gouvernés.

« Il en serait tout autrement des commissions d’étude d’un Parlement français appuyé ainsi, comme Antée, sur la science et sur la conscience de toutes les compétences économiques de la nation.

« Nos vœux au Parlement se résument dans la teneur suivante. Nous demandons que les cinq sections de notre Économie nationale, Finances, Agriculture, Industrie, Commerce, Main-d’œuvre, puissent former cinq Conseils supérieurs permanents et librement élus par les syndicats respectifs.

« Nous demandons que ces cinq Conseils, après avoir fait la balance et la concordance des vœux de leurs commettants, se mettent sur cette base en rapports réguliers avec les Commissions législatives correspondantes et avec les Ministères spéciaux.

« Heureux d’avoir fait revivre auprès de vous, Messieurs, après quatre-vingt-dix-huit ans, l’usage français des vœux synthétisés, nous nous permettrons de vous rappeler une vérité historique qui est chère à tous vos souvenirs.

« C’est grâce à ces coutumes et à celle des cahiers rédigés par les gouvernés que le Gouvernement français a fondé sa grandeur au dedans et au dehors. C’est grâce à elles que la nation a désigné, près de cinq siècles à l’avance, l’un de ses trois buts glorieux : l’égalité devant la loi.

« Le rétablissement de cette féconde solidarité, en mode purement démocratique, est une mesure de prévoyance et de salut social pour l’avenir.

« Elle est digne d’une République et de l’assentiment de ses législateurs. Si vous l’adoptez, vous aurez écrit une des pages les plus utiles de notre histoire contemporaine, et l’électorat national tout entier vous en sera profondément reconnaissant.

« Veuillez agréer, Messieurs, etc. »

Tel est l’un des buts pratiques dans lesquels se résument mes travaux d’Économie sociale basée sur l’Histoire de France et sur l’Histoire universelle.

Ces derniers seraient suffisants pour faire tomber toutes calomnies dans l’esprit des gens qui ne me connaissent pas, si ce n’était tout justement la portée de mes œuvres que l’on cherche à atteindre dans l’opinion, en faisant discréditer ma personne et présenter ma vie sous le jour le plus ridiculement odieux.

Je sais que dans différents centres beaucoup d’hommes se disent : Les bons fruits ne viennent que des bons arbres ; mais quel malheur que ce brave citoyen ne réponde pas une fois pour toutes à ce fumier.

À lui, non, lecteur ; mais à vous je dirai de quoi vous raffermir à mon sujet, si vous en avez besoin.

J’irai même dans les chapitres suivants jusqu’à l’humilité absolue des premiers Chrétiens, en faisant ma confession publique comme au temps des catacombes.

En attendant, veuillez prendre bonne note de ce qui suit.

Dans mon enfance, dans mon adolescence, dans mon âge mûr, non seulement il n’y a pas une tare, mais pas une ombre que j’aie le désir de cacher à qui que ce soit.

Notez que je ne parle point des onze dernières années de ma vie, qui n’ont aucun mérite à être irréprochables, étant bénies de Dieu par un exceptionnel bonheur ; je parle de toute mon existence antérieure, souvent battue par la tempête, comme toute destinée vouée à la découverte de quelque monde que ce soit.

De plus, il n’est aucune phase de ma vie dont je n’aie en mains les documents pour me défendre, en cas de besoin.

Enfin, depuis l’enfance jusqu’à présent, j’ai des témoins qui défient tous les menteurs et tous les mensonges, si jamais cela en vaut la peine.

Je vous dis cela, lecteur, afin que vous soyez certain que je suis bien l’homme de mes livres, de mes discours et de mes fondations publiques, comme le foyer est la flamme et le feu.

C’est ce qui me rend facile de me redresser comme une pyramide devant les pygmées qui jettent des ordures à mes pieds.

Orgueil, diront encore mes ennemis. Oui, cet orgueil-là je l’ai, vis-à-vis des méchants, et ils ne soupçonnent pas la millième partie de ce que je puis leur opposer sous ce rapport.

Mais devant le Paris vrai, devant la France vraie, je n’ai jamais senti et je ne sens en moi que l’humilité la plus absolue, parce que je n’ai que la bonne volonté la plus entière de voir mon pays glorieux et puissant, et non pas moi.

Si je l’avais voulu, j’eusse pris un tout autre chemin, soit en art, soit en politique.

Je me serais inféodé à une secte, à un parti, à une classe, à une coterie, au lieu de chercher la loi de leur synthèse, et de la mettre en acte après l’avoir trouvée, sitôt que j’ai vu des hommes d’élite et des patriotes s’y reconnaître à tous les rangs de la société.

Ce n’est pas parce que j’ai été indignement attaqué que je laisserai fléchir la rigueur de mes principes, en demandant à l’opinion la moindre indulgence à mon sujet.

Je ne réclame d’elle que sa seule probité, parce que j’ai apporté la mienne tout entière à orienter ma vie de manière à pouvoir travailler à coup sûr au bien commun, comme je le fais.

J’entends l’humilité autrement que cela, et je l’appelle la vérité confessée dans toute la simplicité du cœur.

J’avertis les hommes qui ont comme moi l’honneur de tenir une plume capable d’influer en bien ou en mal sur la direction d’une nation, et je leur dis ce qui suit :

Quelques-uns d’entre vous ont été plus que légers à mon égard, en prêtant écho au mal contre moi et contre les miens. Ce n’est point votre sang qui peut le réparer à mes yeux, c’est votre conscience, c’est votre bonne foi.

À vous et à tous mes confrères je dis : Faites attention qu’étranger aux querelles des sectes, des partis, des classes, je ne puis qu’en avoir tout d’abord les fanatiques contre moi, par cela seul que je veux leur présenter un traité de paix sociale.

Utopie, direz-vous, et je me bornerai à répondre : Vous avez assez frappé pour écouter ; et vous ne direz peut-être plus utopie quand vous aurez lu la France vraie.

L’un de vous, après m’avoir drapé d’une manière ridicule, a glissé le mot charlatan dans son réquisitoire, comme si j’avais jamais tenu le trombone ou la grosse caisse avec lui sur une estrade quelconque.

Un charlatan court aux foules. Où m’a-t-on vu courir de ce côté ? Un charlatan cherche des succès faciles et des gros sous qui s’appellent, suivant l’échelon social : satisfaction littéraire, politique ou mondaine.

Littéraire ? Parlons-en, messeigneurs. Dans la littérature de tous les temps, il y a le bastringue à côté du temple. Dans quelle coterie du bastringue des lettres m’a-t-on jamais vu traîner les muses et offenser la langue française pour mériter le prix de l’indécence et obtenir les bravos des imbéciles ?

J’écris des œuvres qui ne sont guère de nature à amuser le contemporain, ni à faire sonner les grelots de ses marottes.

Où m’a-t-on jamais vu essayer de vous séduire et d’attirer votre bienveillance sur ces livres ?

Je ne l’ai point fait, parce que si je souhaite vos adhésions à mes travaux, ceux-ci comme celles-là ne peuvent être qu’absolument indépendants et spontanés. Or, par le temps qui court, entre deux sortes de livres, les sales et les propres, où a-t-on vu le succès courir à la propreté ? Donc, il faut rayer de vos tablettes tout charlatanisme littéraire de ma part.

Politique, alors ? Où m’a-t-on jamais vu pousser et crier dans la foire aux bulletins de vote, aux recettes générales, aux portefeuilles, aux ambassades ? Où m’a-t-on jamais surpris faisant le caméléon politicien, passant tour à tour par toutes les couleurs nationales, collant des affiches de toutes les nuances de l’arc-en-ciel sur le ventre et sur le dos successifs de tous les partis ?

Quand mes amis républicains sont devenus des personnages gouvernementaux, moi, très humble gouverné, les ai-je jamais assiégés d’aucune demande personnelle que ce soit ? Quand mes amis orléanistes ont voulu me présenter au comte de Paris, moi, très humble citoyen de la République française, n’ai-je point décliné cet honneur ? Enfin, quand mes amis bonapartistes ont voulu me faire causer avec le prince Napoléon, même ligne de conduite de ma part, et j’y ai sacrifié comme avec le comte de Paris la conversation d’un homme l’esprit, ce qui est beaucoup. J’ai agi ainsi parce qu’à moins d’être leur ami personnel, je ne pourrais voir les princes dynastiques que comme courtisan mondain ou comme synarchiste parlant à des citoyens éminents d’une même patrie. Courtisan n’est pas de mon goût, synarchiste ne serait peut-être pas du leur,

Donc rayez aussi de vos tablettes tout charlatanisme politique de ma part.

Mondain, alors ? Où m’a-t-on jamais vu à la foire des vanités, prenant la file, poussant, faisant l’important, battant ma petite réclame sur mon chapeau, arrondissant la bouche en cœur et le dos en courbette où que ce soit et devant qui que ce soit ? Où m’a-t-on vu frapper à une porte quelconque, celle des cercles ou des salons qui ont l’amusante prétention de mettre les gens à la mode, et même de créer l’opinion, c’est-à-dire de faire prendre au Peuple français soit des vessies pour des lanternes, soit des lanternes pour des vessies ?

Non seulement je ne cours après personne, mais je ne vais même pas chez ceux qui m’appellent, non par dédain de ma part, mais par règle de vie et par besoin de tout mon temps.

Mes amis me reprochent amèrement cette sauvagerie ; aussi hausseront-ils les épaules en me voyant m’expliquer si naïvement.

Donc rayez le charlatanisme mondain comme les deux autres, et de trois.

Enfin ai-je besoin d’un charlatanisme quelconque comme la cigale pour subsister ? Je ne demande pas au bon Dieu dans le ciel d’autre paradis que celui qu’il m’a donné sur la terre.

Pourtant, je m’expose volontairement à braver l’enfer les haines des sectes et des partis, les mauvais coups des cabinets noirs et des coteries, auxquels je ne mendie pas plus leurs faveurs que je ne redoute leurs index et leurs inquisitions respectives.

Quel intérêt, je vous prie, un homme peut-il avoir à courir de pareilles aventures, à moins qu’il ne soit mû comme une machine à vapeur par un puissant mobile intérieur, impersonnel et objectif ; lequel ?

D’autres parmi vous, procédant toujours par ouï-dire, ont prononcé le mot folie.

Je veux bien vous prendre pour tous les sages de la Grèce, et je vous dis : Mes écrits, mes paroles et mes actes sont-ils des œuvres de folie dans l’état actuel de l’Europe, dans celui auquel tout accule notre pays en le menaçant d’écroulement ? Des juges aussi nombreux que compétents trouvent le contraire.

Lorsqu’en 1882 je pris la parole à l’Hôtel de ville de Bruxelles pour prouver la nécessité d’un Amphictyonat synarchique européen, lorsque je rappelai dans mon premier discours que les Pontifes chrétiens avaient institué la trêve de Dieu, qu’ils avaient été souvent des médiateurs de paix, les dépositaires et les garants des traités, sans doute bien des ignorants me traitèrent de fou. Pourtant, ces mêmes idées sont devenues aujourd’hui monnaie courante, témoin ce que je lis dans le Figaro du 24février 1887 :

« Il ne faut pas se le dissimuler, si l’Europe ne trouve pas le moyen de résoudre le problème militaire, si elle continue à s’épuiser en armements et à se couvrir de casernes et de forteresses, elle marche à sa ruine. Tous les hommes d’État dignes de ce nom le comprennent en Europe. Mais qui prendra l’initiative du désarmement ? Qui ? Celui qui est par essence le souverain pacifique, l’héritier de ces pontifes qui ont donné, au Moyen-âge, la trêve de Dieu, et qui peuvent donner au monde moderne un tribunal amphictyonique, dont l’impartialité est au-dessus de tout soupçon. »

Elle sera en effet au-dessus de tout soupçon, si la Loi synarchique est mise en pratique.

Mes soi-disant folies, qui ne sont que les sages formules des conclusions sociales de l’Histoire, font leur tour d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Océanie, depuis cinq ans. Il n’en est aucune qui ne doive se réaliser, à la gloire de notre pays, pour son bonheur, pour celui de notre Continent et de tous les autres, à commencer par la Chambre économique.

Décidément, mes camarades, je vois que mes livres précédents sont trop longs pour que vous ayez eu le temps de les lire dans votre rude combat pour la vie. Mais en voici un de quelques pages qui vous dira toute la pensée nationale pour laquelle j’ai vécu et vivrai ; et vous serez certains comme moi que c’est là, non la doctrine d’un homme, mais le Testament historique d’un peuple.

Néanmoins, je tâcherai de m’étendre le moins possible sur l’Histoire de France, que vous savez aussi bien que moi. Je n’y toucherai qu’au point de vue purement organoleptique, afin que vous soyez sûrs que, dans mes conclusions, c’est la France qui parle et non pas moi.

L’heure de notre patrie est grave au dedans et au dehors. Se hâter de la pousser trop à gauche ou trop à droite, c’est peut-être la tuer, sans aucun intérêt possible pour le parti ou pour le régime qui tenterait inconsidérément l’aventure.

L’Europe est une poudrière : ne soyons pas plus le fumeur que l’incendiaire ; apprêtons-nous à en être l’inspecteur d’assurances et le pompier.

Son état présent ne peut pas durer, il tend par anarchie armée à une fin de série historique, et la France seule a, dans sa propre tradition, la loi sociale qui peut présider à la série des temps nouveaux ; je vous le prouverai encore une fois.

C’est cette réserve française de pensée et d’action que je m’efforce de vous démontrer le plus loyalement possible dans mes Missions et dans la France vraie. Cela vaut bien la peine d’une lecture de deux heures et d’une méditation d’une heure au coin de votre feu.

Hommes de droite, quand vous en serez à Pro patria, ne vous choquez pas de ma libre allure, laissez-moi parler comme un homme de gauche, comme parlaient vos pères il y a quatre cents ans.

Hommes de gauche, ne vous choquez pas de la discipline strictement chrétienne que s’impose toujours non seulement mon sentiment, mais avant tout mon intelligence. Aussi, laissez-moi vous parler comme un homme de droite qui ne séparerait jamais la science de la foi, comme parlaient vos pères il y a quatre cents ans.

Les uns comme les autres, vous verrez que ce que j’appelle le testament de la France n’en est pas moins moderne pour cela, et qu’il répond entièrement, non seulement aux besoins actuels, mais à tout l’avenir de notre pays.

Ah ! si Dieu m’accorde de vous rassembler tous dans une même intelligence sociale des vœux et des destinées de la Patrie, ce sera pour moi la seule récompense que je puisse ambitionner.

Cette chère Patrie n’a plus besoin de révolutions, qui ne la conduiront jamais qu’à des coups d’État.

Elle n’a plus besoin de coups d’État, qui ne la conduiront jamais qu’à des révolutions.

Ce qu’il lui faut, c’est votre entente, c’est votre paix mutuelle, c’est une trêve de Dieu, c’est un concordat social entre vous, qui ne vous impose aucune humiliation, aucun reniement de vos fidélités, à quelque secte et à quelque parti qu’elles appartiennent.

Cela est-il possible ? Je le crois invinciblement, et si je fais passer ma conviction dans vos âmes, c’est en 1889, oui, c’est dans deux ans que vous devrez célébrer la renaissance définitive de la France, en lui accordant cette trêve, ce concordat autrement important pour elle et pour vous que ceux qu’elle signe avec les papes.

Chapitre II

Réponse à deux calomnies : Faux marquis en 1880, déserteur en 1870–71.

Je ne vais relever ici que deux calomnies qui intéressent ma vie publique ; et il n’en est aucune que je ne puisse confondre de la même manière, soit qu’elles touchent à ma vie privée ou à celle des êtres qui me sont chers.

Je prie le lecteur d’excuser ces détails personnels, qui ne seront pas longs ; mais il n’est pas mauvais pour tous ceux qui ont ou qui auront quelque chose de bon à faire en ce monde qu’un homme de bien les rassérène et leur montre qu’il n’est point besoin de se laisser aller soit à perdre la tête, soit au découragement, quand on est attaqué par la diffamation, sous quelque forme que ce soit.

Un journal m’a traité de faux marquis.

Comme je n’ai pas plus l’habitude de m’affubler de faux titres que de mettre les doigts dans mon nez, que de prendre de l’argent dans la poche de mes voisins ou des diamants sur la tête de mes voisines de table, voici la simple vérité.

Je l’extrais de la lettre d’envoi du diplôme on ne peut plus authentique que j’ai reçu en 1880, et dont je ne suis ni plus honteux ni plus fier que s’il me venait des croisades.

« Mon cher Saint-Yves,

« Désirant honorer en vous le savant et surtout l’homme utile et modeste qu’on a justement appelé un bienfaiteur de l’humanité, quelques amis et moi avons obtenu pour vous le titre de marquis.

« J’espère que cette récompense vous sera chère, ainsi qu’à votre excellente femme, et que vous y verrez une preuve de notre profonde et affectueuse estime.

« Votre tout dévoué,

« Signé : Le commandeur,

« C. P. »

La lettre précédente émane d’un des plus dignes et des plus éminents philanthropes de l’Europe.

Enfin, pour savoir à quoi m’en tenir sur la loi française à cet égard, je me suis adressé à l’un de mes conseils légaux, ancien président de la Chambre des avoués de Paris, aussi solide ami qu’éminent jurisconsulte, M. T. N.

Il m’a répondu ce qui suit le 5 octobre 1880 :

« Je ne vois point le moindre inconvénient à ce que vous preniez le titre étranger dont vous avez le brevet régulier. C’est d’un usage journalier. On ne pourrait être attaqué que par celui auquel ce titre appartiendrait déjà, et qui pourrait faire ordonner par justice qu’on n’a pas le droit de s’en servir, etc. »

Je tiens ces deux lettres et le diplôme à la disposition de ceux de mes amis qui n’en auraient point connaissance, et qui prendraient plus au sérieux que moi la peau d’âne dont mes faibles mérites ont été recouverts en 1880.

Quant aux autres, non seulement ils peuvent supprimer le titre de marquis si celui-ci les gêne, mais aussi le de et le saint de mon nom, si cela leur fait plaisir.

Je passe à une calomnie plus grave, également imprimée, et selon laquelle je me serais dérobé, en 1870-71, à la dette de sang que tout bon Français s’est fait un devoir d’acquitter.

Il n’y a à cela qu’un léger inconvénient, c’est mon livret de soldat, qui porte : Punition : néant ; mon certificat de bonne conduite, qui mentionne que j’ai servi avec honneur et fidélité ; enfin mes certificats de blessures pendant la campagne de 1870-71.

Quand la guerre éclata, j’étais en congé de six mois renouvelable pour l’étranger et renouvelé de nouveau depuis huit jours ; j’étais chez moi, en Angleterre, dans la modeste et studieuse indépendance que je m’étais créée péniblement, et qui m’était chère.

Légalement, j’eusse été dans mon droit strict en restant en repos, à l’abri de tous les périls, jusqu’à la fin de la guerre ou peu s’en faut ; mais j’en serais inévitablement mort de désespoir.

C’est pourquoi, en quarante-huit heures, j’avais tout quitté pour prendre le paquebot et courir au drapeau de l’infanterie de marine.

Du 9 septembre au 20 novembre j’étais au fort de Bicêtre, à la redoute des Hautes-Bruyères et à toutes les opérations dont ces points ont été le centre.

Du 20 novembre au 9 décembre, j’étais à la redoute de la Pépinière et à tous les engagements qui ont eu lieu sous son feu, la prise de la Gare-aux-Bœufs y compris.

Du 9 décembre au 25, j’étais au plateau d’Avron et à toutes les actions dans lesquelles ma compagnie a donné.

C’est le jour même du bombardement du plateau que j’ai reçu du Val-de-Grâce ma commission d’aide-major de l’armée. Quelques jours après j’étais attaché sur ma demande aux compagnies de marche partant pour les tranchées d’Arcueil-Cachan.

C’est pendant une reconnaissance devant le fort d’Issy, qui brûlait sous le bombardement des Prussiens dont on craignait l’assaut, que j’ai attrapé mon horion.

J’épargne au lecteur la citation de tous mes certificats pour me borner aux deux derniers.

« J’extrais ce qui suit du rapport adressé par moi le 20 janvier au docteur Jules Worms, chirurgien-major à l’état-major de la garde nationale de la Seine : ‘Je tiens à vous faire remarquer que Saint-Yves a été blessé à la main par un éclat de projectile pendant un service commandé. Je suis heureux que mes notes me permettent de donner ce témoignage à Saint-Yves dont je n’ai qu’à me louer sous tous les rapports.’

« Signé : Docteur Alfred Guillon, Ancien chirurgien-major aux compagnies de marche des 2e et 171e bataillons. »

« Je soussigné, certifie les attestations ci-contre et ne puis que répéter les éloges qu’elles contiennent au sujet des services de Saint-Yves.

« J’ai eu l’honneur d’avoir sous mes ordres ces compagnies dans les différentes sorties qu’elles ont faites devant l’ennemi, et j’ai été à même d’apprécier le zèle et le courage de Saint-Yves, dont j’ai du reste fait mention dans mon rapport à l’état-major.

« Signé : Eug. Koller, Chevalier de la Légion d’honneur, ex-chef des 2e et 171e bataillons de marche. »

Suivent les signatures légalisées à la mairie du huitième arrondissement.

Ainsi, loin de m’être dérobé à la dette de sang en 1870-71, comme on a eu l’infamie de le dire, je l’ai volontairement acquittée lorsque je pouvais ne pas le faire, légalement parlant.

Ainsi, quoique ennemi systématique de la guerre, je ne la redoute pas pour moi, mais pour les autres, et j’ai même eu l’honneur de m’y distinguer très modestement, en méritant d’être signalé dans des ordres du jour et dans des rapports à l’état-major de Paris.

On comprendra bien qu’il y a humilité de ma part et non orgueil à relater ce qui précède, tant à cause de mon humble grade que de l’obligation même où je suis de repousser de moi de semblables indignités.

Ce n’est pourtant pas à moi qu’elles peuvent faire honte, mais à ceux qui les ont criminellement forgées et à ceux qui les ont répétées avec la plus coupable légèreté.

Ces derniers, s’ils sont honnêtes, rougiront de s’être faits les complices d’une infâme calomnie, et ils le regretteront ; quant aux autres, les supposer capables de repentir, c’est leur faire beaucoup d’honneur.

Chapitre III

Le vieillard et la tradition. – Mon maître en Économie sociale. – Frédéric-Auguste de Metz. – La formation de ses idées. – Le salut social des enfants. – La colonie de Mettray. – Les lycées et les prisons au point de vue éducateur. – La Maison paternelle. – Mon arrivée chez M. de Metz. – Son influence sur mes idées. – L’abbé Rousseau, curé d’Ingrandes sur Loire. – Lettre de M. de Metz. – Lettre de l’abbé Rousseau. – Continuation de ma confession. – Quelques révélations importantes de M. de Metz. – Ses vœux au sujet de la France. – Le Souverain Pontife et les saints nationaux.

Tous les patriotes éclairés se demandent avec anxiété où va la France de 1789.

Voilà de longues années que je me suis posé le même problème, dont notre Histoire m’a indiqué la solution, celle que j’appelle la Synarchie.

Entravée par des doctrines étrangères qui lui viennent d’Athènes, de Rome et de Londres, notre souveraineté nationale avait pourtant formulé sa propre loi d’organisation dès le quatorzième siècle.

Pour savoir où elle va, il nous suffira de montrer d’où elle vient, ce que je ferai dans Pro patria.

Cette méthode d’observation et d’expérience historique est une partie de ce que j’ai appelé la Tradition : Mission des Juifs.2

J’ai indiqué alors sans le nommer le grand Français, l’auguste vieillard, qui a orienté dans ce sens mes études et ma vie. Je vais lui consacrer ici quelques lignes de pieux hommage.

La plupart de mes lecteurs connaissent au moins de nom Frédéric-Auguste de Metz, membre de l’Institut. Il est né en 1796, et a rendu son âme à Dieu en 1873.

Entraîné fort jeune par une vocation du cœur autant que de la pensée, il est devenu le maître praticien d’une des sciences judéo-chrétiennes qui honorent le plus le dix-neuvième siècle : l’Économie sociale.

Magistrat distingué dès l’âge de vingt-cinq ans, juge, puis conseiller à la Cour d’appel de Paris, il n’était pas d’ambition personnelle qu’il ne pût satisfaire avec gloire. Mais ayant touché de bonne heure aux nombreuses plaies de la société, il en ressentit une compassion si profonde qu’elle fit de lui un thérapeute.

Il constata avec effroi que l’Évangile, malgré son action sur la raison et sur l’âme individuelles, n’avait encore vivifié ni la raison des États, ni l’âme des sociétés. Il trouva surtout que les lois pénales et les institutions pénitentiaires restaient marquées du sceau de la fatalité païenne, comme si, depuis dix-huit siècles, l’Humanité n’avait pas été dotée d’une nouvelle faculté intellectuelle, d’un sens moral nouveau.

La médiation et la régénération sont bonnes à tout, me disait-il souvent. Il n’est pas une fonction du corps social que leur puissance rédemptrice ne puisse vivifier.

De Metz passa plusieurs années à observer sur le vif le fonctionnement des tribunaux et des prisons. Entre le Code et lui, l’esprit du christianisme se dressait avec une telle autorité que le barreau allait y perdre un futur l’Hospital, l’Humanité y gagner un nouvel apôtre, un saint Vincent de Paul laïque.

Remontant à la source du mal, il devait, par la suite, prendre uniquement à partie la loi répressive, en ce qui regarde les enfants. Sa devise en cette matière était celle d’un éducateur de premier ordre : la répression au début de la vie aigrit, et n’améliore pas.

Plus soucieux de pratique que de théorie, il visita beaucoup de nations et plusieurs continents, pour faire dans sa pensée une encyclopédie d’observations sur les expériences des peuples.

C’est la méthode que j’ai suivie d’après lui, en Histoire, dans ma recherche de la loi sociale.

De courtes brochures donnent les traces du développement des idées de M. de Metz : Projet de maisons de refuge pour les prévenus acquittés, à leur sortie de prison ; Lettre au Conseil général de la Seine sur le système pénitentiaire ; Rapport sur les pénitenciers des États-Unis, etc., etc.

Les ministères de la justice et de l’intérieur doivent avoir dans leurs cartons de nombreuses études par lesquelles ce grand homme de bien essayait d’éclairer et de galvaniser la routine gouvernementale.

Mais en cela comme en d’autres choses, c’est à l’initiative des gouvernés à vivifier l’État, en créant pour qu’il puisse conserver.

Aussi, en 1834, Frédéric-Auguste de Metz immola à ses convictions la carrière glorieuse que lui ouvrait de plus en plus la magistrature.

Assisté de deux aides de camp, le vicomte de Courteilles et un ancien officier supérieur, M. Giraud, il transforma un château et un domaine princiers en colonie agricole ; ce fut Mettray, dont M. de Metz dessina lui-même les plans.

Rien de plus joli, dans ces beaux sites de l’Indre-et-Loire, que ces chalets gardés comme des moutons par une chapelle rustique dont la haute flèche et la croix les dominent ainsi qu’un berger appuyé sur une houlette pastorale.

Pas de murs, des jardins coquets devant et derrière ces maisons agrestes, où vont et viennent, comme des abeilles dans des ruches, des essaims d’enfants de toutes les tailles, depuis trois jusqu’à vingt ans.

Les petits sont dirigés par des sœurs portant le nom de mères de famille, les grands par un personnel d’hommes dévoués, sortant d’une école normale fondée par M. de Metz. Il y a un ou deux pères de famille par chaque maison, qui est aussi un atelier.

Tous les corps de métiers sont représentés, jusqu’aux marins. Ces derniers ont un trois-mâts au milieu de l’immense cour d’honneur, pour apprendre le gymnase et la manœuvre.

Tous ces petits cœurs battaient la charge d’allégresse quand M. de Metz les visitait d’un doux regard, et un seul reproche de lui les brisait de douleur.

Autour de ce hameau typique, où rien ne manque, pas même l’orchestre militaire et les orphéons, l’œil voit s’étendre au loin des champs et des fermes modèles qui eussent enchanté Sully.

C’est ainsi qu’à travers ce saint disciple, à travers l’âme de ce doux et cher de Metz, Jésus-Christ lui-même a vraiment visité ce pays et l’a béni.

Il a d’abord parcouru le monde, il est entré dans toutes les prisons où grouillaient les enfants des pauvres, il a touché les portes infernales, les barreaux de fer des geôles, il a regardé les dortoirs et les préaux ignobles, sondé la pourriture morale de ces écoles du vice et du crime, et il en a pleuré comme au jardin des Oliviers.

Alors le divin Maitre, illuminant toutes ces ténèbres de son auréole, est parti suivi de tous les petits enfants en bonnets de laine et en sabots.

Il a levé la main sur la loi marâtre qui lui barrait le passage, et il lui a dit : Ils sont à moi depuis le Calvaire.

Ils se sont arrêtés à Mettray pendant que les sages de ce monde criaient à l’utopie en les voyant passer.

Voilà un demi-siècle que l’utopie est une réalité, une ville de plus de deux mille âmes, et qui en a fait pousser d’autres partout.

Christianiser le code en traitant par l’humanité ces pauvres enfants délivrés de la fatalité du crime, en faire des laboureurs, des artisans, des marins, des soldats, des citoyens utiles : tel était le but de ce grand homme de bien, un Dom Bosco laïque, doublé d’un homme du monde et d’un membre de l’Institut.

La loi disait : Ces enfants seront nourris et élevés aux frais de l’État. M. de Metz s’empara du mot élevés comme d’une forteresse sacrée ; et il s’introduisit ainsi dans le Code, la Croix de lumière à la main, pour racheter les âmes d’une chute imméritée dans une caste pire que les esclaves et que les parias, les prisonniers.

C’est par dizaines de milliers que se comptent aujourd’hui les hommes sauvés par lui du Destin antique des païens.

Voyant cette œuvre de médiation sociale en faveur des plus déshérités, les classes supérieures s’émurent, et demandèrent quelque chose pour elles-mêmes.

Comme les prisons, les lycées et les collèges sont un triste régime qui aigrit les âmes. Ils ont leurs maladies collectives ; et, parmi toutes, l’indiscipline par réaction contre une contrainte purement disciplinaire.

L’instruction y est bonne, bien que, encore plus mécanique que vitale, elle pût être meilleure. Mais l’éducation y est nulle, parce que personne n’y est voué par situation, si ce n’est le pauvre diable de maître d’étude, qui n’y entend rien.

Homme de valeur, il songe à ses livres, à enlever un diplôme pour s’enfuir au plus vite.

Nul, il est pire qu’un caporal à trois chevrons comme éducateur. Il songe le plus souvent à l’estaminet et à la queue de billard, et le sens social de l’éducation se réduit chez lui à empêcher de causer ou de fumer en classe.

Pourtant les enfants sont des âmes et des intelligences sortant comme des oiseaux de Paradis d’un nid propre et chaud, et risquant la mort psychique quand elles tombent du ciel dans ces enfers à travers les pierres de ces casernes.

Il fait tellement obscur et froid là-dedans qu’il n’en monte plus ni lumière glorieuse ni vie puissante depuis des années, comme si, dès le début, ce système tuait tous ceux qu’il ne révolte pas.

Les pauvres parents qui amènent là de sages enfants bien peignés, bien lavés, et qui en voient sortir de farouches et hirsutes révolutionnaires de douze ans, gémissent sur ces derniers et les croient coupables.

Ils trouvèrent heureusement un saint spécial auquel se vouer dans le génie chrétien de de Metz, car lui montrer une plaie, c’était la faire guérir par le sauveur.

Aussi, dans l’église de la colonie, il fonda pour les fils de famille, sous le nom de Maison Paternelle, une sorte de petit couvent renfermant une vingtaine de cellules élégantes dans les galeries de la nef et toutes orientées vers l’autel.

« Les lettrés, disait ce grand initiateur chrétien, sont appelés plus près, non du cœur, mais de la pensée de Dieu ; voilà pourquoi je les mets dans sa maison. »

Au collège, j’avais le triste honneur d’être parmi les insubordonnés les plus insupportables. Je me souviens que cette disposition psychologique a poussé sous le premier coup qu’un de mes maîtres m’a donné à dix ans, et auquel j’ai répondu par un encrier. Depuis, je ne pouvais rien leur passer. Une punition provoquait une caricature ou une raillerie ; deux, des injures ; trois, un discours incendiaire en pleine classe ; et toute violence sur moi ou sur mes voisins d’étude, une rébellion armée d’un dictionnaire.

Étais-je mauvais ou méchant ? Je ne le crois pas ; car jamais une bonne parole ne m’a trouvé insensible. Mais les taisez-vous, les pensums, les gros yeux, les airs de juge, les grilles, les verrous, les menaces me révoltaient jusqu’à la fureur, puis me désespéraient jusqu’à la noire mélancolie.

Des éducateurs psychiques comme le sont parfois les prêtres eussent fait de moi tout ce qu’ils auraient voulu par la tendresse.

Ce régime des lycées, sans intelligence, sans âme, sans cœur, a eu sur moi l’effet que produit la cage sur certains oiseaux : ils mordent les barreaux et ne chantent plus jamais jusqu’à la mort, ou jusqu’à ce que la porte s’ouvre.

Je réclamais toujours à cor et à cri de m’en retourner chez mes parents, chez ma mère, femme aussi sainte que distinguée, chez mon père, médecin de grande valeur, homme de la plus admirable et de la plus stoïque vertu.

Les pauvres chères âmes étaient en peine à cause de moi ; et toutes les nécessités du monde actuel les forçaient à prêter main-forte aux sévérités du lycée.

Vite le baccalauréat, vite la carrière ; tel est le vœu légitime de tous les parents qui ne veulent pas voir leurs enfants manquer le train.

Pauvres bien-aimés parents ! Au lieu d’encouragements, les notes qu’ils recevaient sur moi n’étaient pas faites pour les flatter ; je les retrouve et je cite les pires : caractère âpre, indiscipliné, rébellion, arrêts, le thème variait peu.

Alors les voisins, les amis, irritaient encore des plaies vives. C’était le préfet, le receveur général, le président du tribunal qui arrivaient majestueusement avec leurs gamins, le dimanche et les jours de fête, quand la musique des régiments jouait sur les promenades. « Eh bien ! où donc est Alexandre ? » Mes parents rougissants et confus disaient : « En retenue. »