Mon fils s'est converti à l'islam - Clara Sabinne - E-Book

Mon fils s'est converti à l'islam E-Book

Clara Sabinne

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Beschreibung

Le témoignage poignant d'une mère à propos de la conversion de son enfant à l'islam !

Que faire quand un tsunami débarque dans votre vie bien tranquille ? Je suis la maman de deux grands garçons équilibrés. Je suis une cadre épanouie, une jeune quinqua en bonne santé à qui la vie sourit. Tout va bien, tout allait bien jusqu’à ce fameux 15 mai, 5 h 21 du matin, quand j’ai compris que mon fils Simon s’était converti à l’islam.

Avant que je ne comprenne ce qu’il se passe, la panique s’est emparée de moi, la peur m’a plaquée contre mon lit, les larmes se sont écoulées le long de mes joues. Pourquoi cette terreur ? Pourquoi cette envie de fuir la réalité ? Pourquoi cette perte totale de sérénité face au choix religieux de mon garçon ?

Il devint vite évident que je ne connaissais rien de l’islam ni des musulmans. La peur naissait de ma méconnaissance, des amalgames que je faisais entre islam et terrorisme, entre musulmans et non-respect des femmes. Pour dompter ma terreur et respecter le choix de mon fils, je me suis ouverte à un monde que je ne connaissais pas.

Ce livre raconte comment les opinions d'une mère à propos de l'islam ont évolué suite à la conversion de son fils.

EXTRAIT

Dimanche 15 mai 2011, 5 h 21 du matin.
Cette date, cette heure précise, sont ancrées à jamais dans ma mémoire. Tout comme un traumatisme vous marque à vie, tout comme certaines amours vous collent à la peau ou comme une chanson vous obsède la journée durant ; le 15 mai – 5 h 21 du matin s’est engouffré dans mon existence sans que je ne le voie arriver, sans que je ne devine sa venue imminente. C’est mon tsunami à moi, mon Katrina et mon Tchernobyl à la fois, c’est la vie qui me joue un tour de tordu. Quels démons souhaite-telle soudain me voir combattre ? Sont-ils en moi ou en dehors de moi ? Ce matin-là, je ne le sais pas.
Quand je pense que la nuit précédente, je rêvais que le plafond me tombait sur la tête.… Moi qui me souhaite des nuits douces, emplies d’images positives, je n’ai pas aimé le réveil.
Heureusement la journée du 14 s’annonçait belle, mon grand garçon Simon nous avait rejoints pour fêter les 17 ans de Thibaut, son cadet. Juste un aller-retour d’Istanbul où Simon passait 6 mois, avant de commencer l’université en septembre. Je suis allée le chercher à l’aéroport. Lorsque Thibaut nous ouvrit la porte, il mit trois secondes à comprendre, son cerveau avait besoin de temps pour digérer ce que ses yeux contemplaient : son grand frère, son grand frère tout chéri était là, devant lui.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

À lire et à faire lire pour ne pas oublier que derrière une religion il y a des hommes et des femmes et que nous sommes tous pareils. Il y a beaucoup à gagner en faisant preuve de tolérance et de bienveillance. - Rêvez livres

À PROPOS DE L'AUTEUR

Clara Sabinne vit avec ses deux fils. Économiste de formation, elle représente la fondation caritative d’une grande multinationale en Europe. Depuis son adolescence, dans ses temps libres, Clara écrit des livres. Cet ouvrage est le premier qu'elle publie.

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À mes fils que j’aime tant.

À la vie aussi, souvent surprenante, parfois douloureuse, jamais ennuyante.

Oui, à la vie.

L’AUBE

Dimanche 15 mai 2011, 5 h 21 du matin.

Cette date, cette heure précise, sont ancrées à jamais dans ma mémoire. Tout comme un traumatisme vous marque à vie, tout comme certaines amours vous collent à la peau ou comme une chanson vous obsède la journée durant ; le 15 mai – 5 h 21 du matin s’est engouffré dans mon existence sans que je ne le voie arriver, sans que je ne devine sa venue imminente. C’est mon tsunami à moi, mon Katrina et mon Tchernobyl à la fois, c’est la vie qui me joue un tour de tordu. Quels démons souhaite-telle soudain me voir combattre ? Sont-ils en moi ou en dehors de moi ? Ce matin-là, je ne le sais pas.

Quand je pense que la nuit précédente, je rêvais que le plafond me tombait sur la tête.… Moi qui me souhaite des nuits douces, emplies d’images positives, je n’ai pas aimé le réveil.

Heureusement la journée du 14 s’annonçait belle, mon grand garçon Simon nous avait rejoints pour fêter les 17 ans de Thibaut, son cadet. Juste un aller-retour d’Istanbul où Simon passait 6 mois, avant de commencer l’université en septembre. Je suis allée le chercher à l’aéroport. Lorsque Thibaut nous ouvrit la porte, il mit trois secondes à comprendre, son cerveau avait besoin de temps pour digérer ce que ses yeux contemplaient : son grand frère, son grand frère tout chéri était là, devant lui.

Quel bonheur pour les deux garçons de se retrouver ! Ils se sont littéralement sauté dessus. Du haut de son mètre quatre-vingt-six, Thibaut prit Simon dans ses bras et le décolla de cinq centimètres au-dessus du sol. Il tournait sur lui-même et l’emmenait dans sa ronde. Les rires, les baisers, les : « Lâche-moi ! », les embrassades qui recommencent, les : « Ça alors, c’est toi ! », les : « Mais, c’est génial ! » Les : « Merci maman ! », les : « Waouh, Simon est de retour ! » L’amour qui dégouline des câlins, des touchers, des regards, des éclats de voix, des silences, des pauses et la ronde qui nous emmène encore tous les trois, blottis les uns contre les autres, heureux. Infiniment heureux, un moment béni, unique, divin.

Oui la vie était belle ce vendredi 13 mai. Je me suis endormie comblée, mon cœur de maman gonflé et reconnaissant pour ces heures de bonheur intense. Alors pourquoi ce rêve de plafond qui me tombait sur la tête ? Qu’est-ce que mon inconscient essayait de dire que je ne souhaitais pas entendre ? J’exècre cette absence de contrôle de mes pensées la nuit, ces images non choisies qui surgissent de je ne sais où et que certains s’amusent à décortiquer pour transmettre les messages que nous sommes censés comprendre. Moi, je suis du genre basique, le jour je fais face et j’assume les événements, je les prends comme ils arrivent et je les traite un à la fois. La nuit, je suis au repos et au minimum j’attends de ces heures calmes qu’elles me vident la tête et m’apportent la sérénité, au mieux qu’elles me remplissent d’une bonne énergie. Certainement pas qu’elles m’effrayent ou me déstabilisent.

Le samedi 14 se passe dans la joie, nous partageons un repas de famille avec mes neveux et nièces en l’honneur de Thibaut. Les conversations animées et la balade digestive le long du fleuve sont suivies par une soirée festive, entourés d’amis pour le traditionnel dîner d’anniversaire. Nous ne rentrons pas trop tard car Thibaut a prévu de sortir en discothèque pendant que Simon part retrouver quelques copains. Je me couche, le téléphone portable posé sur la table de nuit, juste au cas où un des garçons aurait besoin d’une maman-taxi. Oui, étrangement parfois, le dernier bus les oublie.

Je m’endors facilement. Demain, je profiterai encore de chaque minute passée en compagnie de Simon avant qu’il ne retrouve son père en soirée et reparte à Istanbul le lundi matin pour reprendre ses cours de turc. J’entends un des garçons rentrer vers minuit, le second tourne les clés dans la porte à 1 h 46. Ils ont été raisonnables, je suis rassurée de les savoir sains et saufs. Je n’ai plus besoin de rester en mode veille, je me laisse sombrer dans un sommeil plus profond, les enfants sont dans leur lit, tout va bien.

Ou du moins, tout allait bien…

Jusqu’à ce qu’un bruit me réveille.

Est-ce que cela vient de dehors ? Je tends l’oreille, j’entends quelqu’un bouger, la lumière dans le couloir s’allume un court instant, avant que le noir ne réapparaisse sous ma porte. En temps normal je ne me poserais aucune question. Deux grands adolescents dorment à l’étage, à quelques mètres de moi. Il arrive souvent que l’un d’eux se lève la nuit et passe devant ma chambre pour aller à la salle de bains, avant de replonger sous la couette. Pas de quoi fouetter un chat, aucune raison de s’inquiéter. Pourtant, ce 15 mai à 5 h 21, au lieu de me retourner dans mon lit et de continuer ma nuit, j’allume la lampe de chevet et je m’assieds sur le bord du matelas. Ma respiration s’accélère, mon estomac se tord, les boyaux se tirebouchonnent, mes mains deviennent moites, les larmes me montent aux yeux, avant même que je ne mette des mots sur ce que je ressens. Une peur instinctive s’empare de moi. Je me lève d’un bond, je tourne dans la pièce sans parvenir à calmer ma respiration. Je suis perdue, totalement perdue. J’ouvre la porte de ma chambre et je découvre que, comme je le soupçonnais, c’est bien sous celle de Simon qu’un rayon de lumière apparaît. Je recule le plus silencieusement possible et je prends mon visage entre les paumes de mes mains. Je suis tétanisée. Je supplie :

– Seigneur, je t’en prie aide-moi. Fais que ce ne soit pas cela, je t’en supplie. Et si ma peur est fondée, aide-moi à trouver les mots justes, aide-moi à ne pas avoir peur. Aide-moi !

Pourquoi cette intuition si vivace, comme une évidence qui m’explose à la face ? Pourquoi cette panique qui m’envahit et que la prière ne calme guère ? Je suis profondément croyante, peu pratiquante, mais je prie à longueur de journée, comme si mon canal de communication avec le divin était en permanence ouvert. Alors pourquoi cette frayeur à la pensée que Simon se serait levé pour prier ? Et pourquoi envisager une seconde qu’il prie ? Il pourrait avoir une insomnie, il pourrait avoir une envie de lire, il pourrait s’être simplement levé pour aller aux toilettes et il va bien vite se rendormir. Il pourrait.… Oui, bien sûr, c’est cela qu’il fait, c’est simple, naturel, évident.

Je cogne mon front contre le mur, je me souviens. Simon, mon Simon.

Une année plus tôt, quelques mois avant de passer son bac, il avait trouvé sa voie. Il allait entreprendre des études de droit, il songeait à devenir avocat, il s’imaginait bien en défenseur de belles causes. Son père et moi étions contents : bon diplôme, bon choix. Cet enfant ne nous avait décidément jamais causé le moindre souci, il réussissait même à choisir des études sérieuses quelques mois avant son bac, de quoi ne pas s’inquiéter et avoir le temps de lui trouver une chambre d’étudiant convenable.

Et puis, un dimanche soir fin avril, il m’avoua ne pas être certain d’avoir envie de commencer l’université dès septembre. Avant de se lancer dans un cursus ardu, il rêvait de prendre une année sabbatique pour voyager, vivre à l’étranger et apprendre une langue étrangère. J’étais consciente que les futures études de droit allaient demander un grand investissement de sa part et qu’il lui faudrait une motivation sans faille pour réussir. J’avais vu trop de jeunes autour de moi perdre une ou deux années à l’université par manque de maturité ou carence de volonté. Ces jeunes devaient ensuite vivre avec un sentiment d’échec pas toujours facile à surmonter. Je préférais éviter que mon Simon ne se retrouve dans une telle situation. Adepte du « surtout pas de regrets », je crois qu’il est gérable de se planter puis de se relever. Par contre, il est moins aisé de vivre avec des « si j’avais pu »… Je proposai à Simon de s’octroyer cette année sabbatique et tant pis pour les programmes d’étudiants déjà clôturés, nous allions nous débrouiller sans eux.

Une année sabbatique d’accord, cependant pas question de farniente. Que pourrait faire Simon de cette année que son père et moi étions prêts à lui offrir ? Son papa proposa qu’il apprenne l’allemand. Ni Simon ni moi n’étions attirés par cette langue, par contre le turc nous semblait une excellente idée. Non seulement Simon avait déjà quelques copains turcs, mais de plus son père avait vécu cinq années avec une femme originaire d’Izmir. Simon aimait cette langue qu’il avait souvent entendu pratiquer entre cette femme et son fils qui habitaient chez Paul, mon exmari. Quant à moi, convaincue de l’importance grandissante de la Turquie dans le monde des affaires, je savais que très peu de non-Turcs parlent turc, il me semblait donc logique d’encourager Simon à apprendre cette langue qui l’attirait. Je lui trouvai des cours de janvier à juin, à Istanbul.

Simon était fou de bonheur, d’autant plus qu’il fut décidé que de septembre à décembre, il irait dans ma famille au Canada pour pratiquer son anglais et travailler comme bénévole dans quelques associations caritatives. L’année sabbatique rêvée de mon grand garçon se dessinait bien, il termina son année scolaire avec succès et après un été agréable, il partit au Canada chez des cousins. Mon grand-père maternel venait de Toronto, il quitta sa ville natale pour s’engager comme capitaine dans la cavalerie pour sauver la vieille Europe de l’oppresseur allemand. Il rencontra ma grand-mère âgée de seize ans, belle, passionnée. Après la guerre, et deux années d’échanges de lettres romantiques, il revint l’épouser et fonda notre branche de la famille. Comme le patriarche venait d’une famille de neuf enfants, maman avait une flopée de cousins qui vivaient de l’autre côté de l’océan. Mon fils partit vivre chez la délicieuse Elaine et son mari Alan qui devinrent bien vite les grands-parents canadiens de mon Simon.

Dès le début, William, un cousin de sa génération, le prit sous son aile et se chargea de la partie sorties, visites, amusements du séjour. Elaine de son côté, très active dans la communauté protestante locale, le présenta à deux associations dans lesquelles Simon s’investit avec plaisir. Quelques heures par jour, il servait des repas pour les plus démunis et s’occupait d’un vestiaire où les familles pauvres se procuraient vêtements et ustensiles variés. Il accompagna aussi Elaine à l’église chaque dimanche et il rejoignit un groupe de jeunes qui lisaient l’Évangile ensemble les lundis soir avant de partager des hamburgers moelleux et dégoulinants tout en refaisant le monde.

Je ne suis pas une pratiquante assidue. Quant au papa de mes enfants, il était allergique à l’église et à la plupart des religieux, alors que son propre père était proche de l’Opus Dei… Ceci explique-t-il cela ? Je ne peux le dire. Ce qui est certain, c’est que Paul ne m’encourageait pas à emmener les enfants à la messe. Je les y conduisais une fois par mois pour semer un peu de pratique religieuse dans leur vie. Nous avions aussi l’habitude, les garçons et moi, de nous asseoir par terre autour d’une bougie et de prier à voix haute. Chacun à notre tour, nous demandions tout ce dont nous avions envie. Cela pouvait aller de « Seigneur aide-moi à être plus gentil avec un tel. », à « Protège les gens qui dorment dans la rue, guéris le chat de la voisine, fais que les professeurs soient en grève demain, répare ma bicyclette, dessinemoi de beaux rêves, ou fais que j’arrête de tousser la nuit afin que maman dorme mieux. » J’avais le souhait de transmettre à mes fils le plaisir de prier les uns pour les autres. Je désirais qu’ils aient la certitude que Dieu nous aime et nous protège. Nous ne passions pas de longues heures dans les églises, cependant Dieu était bien présent dans leur vie, depuis leur plus tendre enfance.

Ce fut un changement pour Simon de pratiquer sa foi de façon si active à Toronto. Il aima le partage de la spiritualité, la communauté tournée vers l’accueil et le don à l’autre, les échanges d’idées, la solidarité. Il se sentit plus proche de Dieu et eut envie de s’investir davantage dans sa foi. Il se perçut comme un privilégié, gâté par la vie. Conscient de sa chance, son idéal le poussait à avoir envie de donner en retour. C’est un fils plus mature, toujours aussi doux, calme et bon qui nous revint du Canada. Une flamme nouvelle brûlait en lui, une soif d’absolu illuminait son regard. Une sérénité étonnante se dégageait de sa personne. Une force nouvelle, dont je n’imaginais pas encore l’ampleur, mûrissait en lui.

Simon rentra chez nous le 16 décembre dernier, il repartit en Turquie le 2 janvier. Ces quelques jours furent divisés entre la maison de son père et la mienne, ses amis et les fêtes de Noël où nous courions beaucoup pour visiter la famille. Simon nous avait manqué à tous, il me fallait le partager avec les autres. En fin de compte, je passai peu d’heures en sa compagnie et pratiquement aucune en tête-à-tête. Je constatais qu’il était heureux, qu’il allait bien et qu’il se transformait en un homme dont j’étais fière. Je savais que cette année il la passerait à l’étranger, j’étais déjà contente d’avoir pu le voir entre ses deux séjours. Je m’étais programmée pour de vraies retrouvailles fin juin. J’apprenais la patience.

Alors qu’il fut entouré et choyé au Canada, Simon ne se plut pas chez le couple qui lui louait une chambre à Istanbul. Ces gens s’avérèrent moins charmants qu’il n’y paraissait et leur appartement se trouvait à près de deux heures en transport de l’école où Simon étudiait le turc. Début février, il déménagea dans une maison pour étudiants où de nouveau il ne resta qu’un mois, le temps que ses amis turcs lui trouvent un autre logement. Il nous annonça fin février qu’il déménageait encore et que cette fois serait la bonne, car « on » lui avait trouvé une chambre, en plein cœur de la vieille ville, à cinq minutes de la Mosquée bleue et pas trop loin de son école.

Simon avait 18 ans, il était grand, il gérait sa vie. Je ne me suis pas demandé qui était ce « on » qui lui avait procuré cette nouvelle adresse. Je ne me suis pas non plus inquiétée au sujet des jeunes avec qui il partageait son logement, je lui faisais confiance. Tout ce que je savais c’est qu’il s’agissait d’une maison qui accueillait des garçons turcs, âgés de 15 à 20 ans. Ces jeunes étudiaient dans les écoles élitistes d’Istanbul, la plupart venaient de villes ou de villages éloignés, ils ne rentraient chez eux que tous les trois mois. Cet environnement me paraissait idéal pour sa pratique quotidienne de la langue, je n’entrevoyais aucune raison de me tracasser.

À la mi-avril, les vacances de Pâques s’annoncèrent. J’emmenai Thibaut pour quelques jours à Istanbul. Je connaissais bien cette ville où naquit ma grande amie Sophia. J’y passai cinq magnifiques journées et soirées en compagnie de mes deux fils. Simon nous fit visiter sa maison en me demandant au préalable de changer mon jeans pour une jupe longue, d’éviter tout décolleté et de porter mon écharpe sur les cheveux. Cette requête m’a un brin titillée, mais puisque j’avais les vêtements qu’il demandait, je me suis pliée à son souhait sans trop de réticence, juste un léger désagrément que je rejetai en me disant : « À Rome, on fait comme les Romains ! »

Nous rencontrâmes le directeur des lieux qui nous accueillit avec courtoisie. Nous laissâmes nos chaussures en bas et commençâmes notre ascension vers les étages. Les jeunes, croisés dans les escaliers, avaient tous l’air d’apprécier Simon, ils souriaient gentiment à Thibaut et me montraient un respect étonnant, une distance certaine. Ils ne croisaient mes yeux que rapidement et baissaient ensuite le regard. Si d’habitude j’avais une bonne relation avec les amis de mes fils que je taquinais et que j’embrassais, je comprenais qu’ici la barrière de la langue et le fait que je les apercevais pour la première fois générait de la timidité. Pourtant, je devinais une autre cause, sans doute culturelle, derrière leur attitude délibérément réservée.

Simon nous expliqua plus tard combien la mère est estimée dans la culture turque et musulmane. Le Prophète avait un grand respect pour les femmes et davantage encore pour les mères. Simon nous récita une phrase du Prophète : « Le Paradis est aux pieds de ta mère. » Il la balança à Thibaut un matin où le cadet se montra un peu énervé à mon égard. J’ai adoré cette phrase : « Le Paradis est aux pieds de ta mère. » J’avoue que depuis, je me suis plus d’une fois amusée à demander à mes fils : « Aux pieds de qui est le Paradis ?… » Du miel pour mes oreilles !

Notre visite des lieux se poursuivit. Je fus surprise de constater que Simon partageait une chambre avec trois autres étudiants. Dans une espace exigu, quatre lits en hauteur, 90 cm de large chacun, étaient accolés les uns aux autres et coincés entre la porte et la fenêtre. Sous les lits, quatre bureaux et quatre armoires avec quatre chaises à roulettes qui se faisaient un chemin comme elles pouvaient entre tout ce bois. L’ensemble était, je l’avoue, conçu avec intelligence. Pourtant, constater que mon fils vivait là-dedans, me perturbait. J’ai toujours eu besoin de mon espace, je considérais l’intimité d’une chambre d’adolescent pratiquement sacrée. Au pensionnat, de 12 à 14 ans je dormais en dortoir, un rideau me séparait de mes voisines, j’avais donc mon petit carré à moi toute seule. Ensuite de 14 à 16 ans, nous partagions une chambre à deux et dès 17 ans nous avions une chambre seule. Alors, imaginer mon Simon, jeune adulte serré dans une boîte à sardines, me consternait. Par contre, lui souriait et affirmait que c’était sympa et qu’il arrivait à bien dormir et bien travailler, malgré la proximité effarante de ses compères. Oui, Simon était rayonnant. Je n’avais donc pas de souci à me faire.

Au dernier étage, une grande pièce surplombait la vieille ville. La vue était magnifique. Simon nous expliqua que c’était à la fois le lieu où ils se réunissaient tous et la salle de prière. De fait, une haute pile de tapis était rangée dans un coin. Nous nous installâmes sur des coussins et Simon nous servit du thé et une multitude de gâteaux turcs qu’il nous avait achetés. Mon fils semblait avoir déjà appris l’art local de recevoir. En fait, mon garçon était comme un poisson dans l’eau. Il maîtrisait étonnamment bien la langue après moins de quatre mois d’immersion, il s’était aussi adapté à la culture et au mode de vie des Turcs. Il s’adressait à tous, jeunes ou moins jeunes avec douceur et respect, que ce soit pour demander une information à un passant, commander un repas ou plaisanter avec un chauffeur de taxi. Tous lui souriaient. Il avait été adopté par la ville et ses habitants, et il le leur rendait bien, un bonheur contagieux se dégageait de sa personne.

J’observais son intégration avec admiration, épatée que tous ces gens se montrent si gentils avec lui. Sa connaissance d’Istanbul, de son histoire, des lieux touristiques et des quartiers plus anonymes était impressionnante. Il citait même des versets du Coran et je l’écoutais, fière de son ouverture d’esprit et de sa curiosité. Il vivait avec des jeunes musulmans pratiquants, il était donc naturel qu’il s’intéresse à leur religion. Je trouvais admirable d’ailleurs que ses nouveaux amis aient si bien accueilli ce chrétien et que tout ce petit monde vive en pleine harmonie.

Simon nous expliqua que ses colocataires se rassemblaient dans cette salle pour les prières du soir, de la nuit et du matin avant l’école. J’imaginais tous ces adolescents priant ensemble et laissant mon Simon dormir dans son lit. Je lui demandai :

– Cela ne pose-t-il pas de problème que tu ne pries pas avec eux ?

Il me répondit :

– Aucun problème.

Pour moi le sujet était clos et tout allait bien dans le meilleur des mondes. Simon nous fit visiter Istanbul comme s’il y avait toujours vécu. Nous passâmes cinq journées magnifiques, à trois. Après notre départ, son père lui rendit visite avec sa compagne. Simon rejoua le guide le temps d’un week-end.

Dès son retour d’Istanbul, son papa me téléphona. Il était inquiet, très inquiet. Loin d’être un imbécile, Paul n’en reste pas moins un être plutôt angoissé qui envisage plus souvent le pire que moi. Alors, quand il me dit :

– Je crois que Simon est devenu musulman.

En pensée, j’ai pouffé de rire. Le moment n’était pas propice à la moquerie. Le malaise de Paul était bien réel. Surtout ne pas le laisser me contaminer ! Je me suis efforcée de prendre une voix confiante et assertive pour lui rétorquer :

– Ce n’est pas parce qu’il y a une salle de prière dans sa maison que Simon prie avec les autres.

– Il n’y a pas que la salle de prière. Simon n’a pas pris un seul verre de vin durant le week-end, cela ne lui ressemble pas.

– Moi non plus je ne bois pas beaucoup de vin. Si cela se trouve, Simon a hérité de ma préférence pour l’eau…

Difficile à croire pour Paul qui possède une cave sublime et déguste un grand cru chaque fois qu’il le peut. Cela faisait déjà quelques années qu’il initiait ses fils à l’œnologie, il ne comprenait donc pas l’abstinence soudaine de Simon. Je lui répondis :

– Il connaît le prix exorbitant des bons vins à la carte des restaurants et il a sans doute préféré t’éviter cette dépense.

Paul n’était toujours pas convaincu. Je lui racontai alors que Simon était allé à la messe tous les dimanches à Toronto et qu’il y avait suivi une lecture de l’Évangile les lundis. J’affirmai qu’au Canada sa foi s’était renforcée, il était possible qu’il cesse de boire pour le moment par respect pour les musulmans qui l’entouraient et l’accueillaient. Il n’y avait aucune raison de s’inquiéter.

Simon n’en avait plus que pour deux mois à Istanbul, bientôt il serait de retour chez nous. Je terminai notre conversation en lui demandant de faire confiance à son fils qui était un jeune homme mûr et équilibré, pas influençable pour deux sous. Simon allait bien, tout allait bien. Paul raccrocha perplexe, pas encore rassuré.

Angoisse quand tu nous tiens…

LE DÉSARROI

Dimanche 15 mai 2011, 5 h 21 du matin. Pourquoi envisager une seconde que Simon se soit levé pour prier ? Il pourrait avoir une insomnie, il pourrait avoir envie de lire, il pourrait s’être juste éveillé pour aller aux toilettes et il va bien vite se rendormir.

Il pourrait.…

Oui, bien sûr, c’est cela qu’il fait, c’est simple, naturel, évident.